Le procès de Jeanne d'Arc
Texte établi et préfacé par Robert Brasillach / présentation
de François Bluche / Classiques
collection dirigée, par Benoît Mancheron / Éditions de Paris
PRÉSENTATION DE L'EDITION NOUVELLE
(questions-réponses à partir de la page 13)
Sacrate juge la Cité, Jeanne signe le jugement,
Et à la Cour siègent ce soir la Reine et Charlotte Corday.
R. B.
Infiniment souhaitable et dès longtemps souhaitée, cette réédition
du Procès de Jeanne d'Arc par Robert Brasillach (1941) aurait pu ou dû
être présentée par Régine Pernoud, l'historienne
de Jeanne, ou par mon ami Francis Rapp, membre de l'Institut - le XVe siècle
n'a plus de secret pour lui -, ou par la famille de Brasillach.
Jean-Luc de Carbuccia aime les paradoxes, qui m'a confié la tâche
de cette présentation. Certes, je révère la Pucelle d'Orléans
et j'admire les Poèmes de Fresnes, mais cette sensibilité n'a
rien d'original et elle ne saurait faire de moi un médiéviste
érudit. De fait, notre éditeur a ses raisons, qui vous seront
dites au terme de cet avant-propos.
" Le Procès de condamnation de Jeanne d'Arc, écrivit Pierre
Champion, son savant éditeur, est ajuste titre un des documents les plus
célèbres de notre Histoire ; il nous fait connaître une
cause qui a gravement scandalisé la conscience humaine, en même
temps qu'il nous révèle les traits les plus véridiques
et les plus touchants de la vie de l'héroïque Jeanne d'Arc, orgueil
et miroir d'un peuple. " II n'est, hélas, vraiment connu du grand
public que par quelques " mots historiques " de l'accusée ("
La pitié qui était au royaume de France " ; " II avait
été à la peine, c'était bien raison qu'il fut à
l'honneur " ; " Savez-vous si vous êtes en la grâce de
Dieu ? - Si je n 'y suis, Dieu m'y mette ; et si j'y suis, Dieu m'y tienne ").
Peu d'entre nous ont lu les mille pages grand in-octavo de l'édition
Champion ; encore moins les deux mille pages du Procès en nullité
(1455-1456), ce complément indispensable.
Robert Brasillach, publiant sous une forme accessible le Procès de condamnation(1)
de 1431, les Éditions de Paris le rééditant aujourd'hui,
n'ont nullement cherché à faire œuvre d'érudition,
mais à arracher la mémoire de Jeanne à " la poudre
du greffe " (Sainte-Beuve), après Quicherat et Champion, pour que
nous puissions - jeunes ou vieux - communiquer avec l'héroïne de
la France, saisir son message de gloire et de sacrifice, nous imprégner
de son mystère.
" On ne pense pas à tout. En voulant perdre Jeanne, écrit
Pierre Champion, publier à travers le monde les erreurs de sa doctrine
et ses mensonges, les juges de Rouen ont bien travaillé à sauver
sa mémoire... C'est grâce à eux que nous sommes devenus
juges à notre tour. " Le jugement des juges... L'évêque
Cauchon, ses assesseurs de Rouen, ses sbires et leurs complices, sont ainsi
tombés dans le piège de leur malhonnêteté, car les
procès-verbaux de ces tristes audiences de 1431 n'avaient eu pour dessein
que de réduire, écraser la Pucelle ; à qui l'on ne pardonnait
ni la libération d'Orléans, ni le sacre de Charles VII à
Reims ; à qui l'on ne pardonnait ni sa fraîcheur, ni sa simplicité,
ni sa vertu, ni sa droiture, ni la transparence de sa foi. Péguy a très
bien défini les actes du procès de Rouen : " C'est comme
si nous avions l'évangile de Jésus-Christ par le greffier de Caïphe
et par le notarius, par l'homme qui prenait des notes aux audiences de Ponce
Pilate. "
Or, au lieu de réduire la jeune accusée, ce fâcheux tribunal
d'Église (Dieu ayant toujours su d'un mal tirer un bien), a contribué
à montrer au monde la sainteté de la prétendue sorcière,
" hérétique obstinée et rechue " ; et sans doute
a-t-il contribué à façonner cette sainteté même.
Jeanne domine ses juges à tous égards. À leur orgueil satisfait,
elle oppose sa simplicité évangélique ; à leur pédanterie
de clercs, ses proverbes rustiques ; à leur théologie formaliste,
le cristal de sa foi mystique et naturelle ; à leurs détours hypocrites,
la rectitude spontanée de son dessein ; à leur trahison politique,
la fidélité de son
______________
(1) Éditions Gallimard.
loyalisme ; à leurs questions perfides, la netteté innocente de
toutes ses réponses.
Ce dernier point est loin d'être secondaire. La distinction du fond et
de la forme n'est que mauvaise excuse des cuistres. Le triste style des accusateurs
de Rouen trahit la noirceur de leur être. Le verbe simple et sublime de
la sainte traduit la pureté de son âme elle-même. Et ce verbe,
lumineux et transparent, suffit à transformer, transfigurer le texte
du Procès de condamnation. D'un grimoire pédant, hypocrite et
nauséabond, Jeanne a fait " l'un des plus beaux livres français
" (M. Barrés). Dans l'esprit de saint Louis, avec le style du sire
de Joinville et la douceur de Charles d'Orléans, la Pucelle - si grande
dans la piété, si noble à travers son épopée
fulgurante, si humble en sa dignité, si aisée en toute compagnie
(avec saint Michel, avec Baudricourt, avec le " gentil Dauphin ",
avec saintes Catherine et Marguerite, avec La Hire et Gille de Rais, et même
avec Cauchon, redoutable évêque de Beauvais) - Jeanne d'Arc, non
contente d'avoir redressé un royaume en détresse, restauré
le Roi, découragé l'envahisseur et conquis des provinces, se présente
à nous comme un grand écrivain de " France la doulce ".
Mais, emporté par mon admiration, j'ai peut-être trop montré
la sainte, trop négligé la fille du peuple, la paysanne, l'héroïne
et la patriote. Barrés jugeait qu'il fallait aller à Domremy et
" ne pas laisser Jeanne dans l'église ". D'ailleurs il est
indispensable de noter que la Pucelle éblouissait à la fois un
Barrés, agnostique de droite et un Péguy, croyant de gauche.
Les catholiques en Jeanne vénèrent la sainte (par eux canonisée
bien des années ou bien des siècles avant 1920), dite parfois
" la plus grande sainte de France et du monde " (Péguy). N'aurait-elle
pas, tout comme François d'Assise, " réalisé la plus
fidèle et la plus prochaine imitation de Jésus-Christ"? Les
protestants cultivés trouvent luthérien le constant recours de
la Pucelle à l'Église invisible, et calvinienne sa devise : Dieu,
premier servi. Pour les royalistes, Jeanne affirme la légitimité
du Prince, sacré à Reims, et magnifie la fidélité
féodale. Chateaubriand admire son esprit chevaleresque ; Michelet, son
bon sens ; Jaurès, son patriotisme. Les jacobins de 93 saluaient en elle
" la Bergère " ; Anatole France voulut bien lui laisser "
une note pathétique d'humanité ". La venue de Jeanne d'Arc
représente, aux yeux du fougueux Léon Bloy, " le plus haut
miracle depuis l'Incarnation ". En même temps, " pour les rationalistes,
elle est le triomphe de l'inspiration individuelle ".
Ces exemples divers le montrent : " Jeanne d'Arc n'appartient à
aucun parti ; elle les domine tous, et c'est là son véritable
miracle " (Barrés). Ce n'est point un hasard si, le 24 juin 1920
- trente-neuf jours après la canonisation -, la chambre des députés
adopte sans débat le projet de loi barrésien demandant l'institution
en mai d'une fête nationale de Jeanne d'Arc. Depuis 1871, ou environ,
la Pucelle était le symbole du courage (" Cette petite fille a sa
place entre Du Guesclin et Bayard", écrivait encore Barrés),
le courage de la France (" Elle multiplie des actes admirables de défis
au destin "). Jeanne incarnait le patriotisme - un patriotisme populaire
en ses origines et plusieurs de ses formes ; un patriotisme éclairé,
au point d'orienter la stratégie et de commander à la politique.
Pour Maurice Barrés " elle symbolise la France même ".
Selon Pierre Chaunu, elle partage avec Louis Pasteur la première place
du mythe français ; elle siège au sommet du panthéon des
" saints laïcs " de la troisième République.
Il n'est, dès lors, pas étonnant d'observer que, dans la France
déchirée au temps de la Seconde Guerre mondiale, Jeanne a pu être
objet de ferveur en l'un et l'autre camp. Et ce fait nous ramène à
l'énigme du choix du présentateur.
Notre éditeur, sachant que - péché de jeunesse - j'avais
fait partie des F.T.P., m'a fait avouer que, en 1943, si j'avais reçu
l'ordre de tuer Robert Brasillach, j'aurais probablement obéi. "
Or, dit-il, autant que lui vous admiriez Jeanne d'Arc. C.Q.F.D. "
Dieu merci, je n'ai pas tué de poète. Je révère
la Pucelle et j'admire les Poèmes de Fresnes. Je suis du camp d'André
Chénier, de la Reine et de Charlotte Corday.
François BLUCHE
POUR UNE MEDITATION
SUR LA RAISON DE JEANNE D'ARC
Le plus émouvant et le plus pur chef-d'œuvre de la langue française
n'a pas été écrit par un homme de lettres. Il est né
de la collaboration abominable et douloureuse d'une jeune fille de dix-neuf
ans, visitée par les anges, et de quelques prêtres mués,
pour l'occasion, en tortionnaires. Des notaires peureux ont écrit sous
la dictée, et c 'est ainsi qu'a pu nous parvenir ce prodigieux dialogue
entre la sainteté, la cruauté et la lâcheté, qui
réalise et incarne enfin, en les laissant loin derrière lui, tous
les dialogues imaginaires qu'avait produits le génie allégorique
du moyen âge.
Même cachées sous un latin transparent, qui n 'a plus guère
de latin que le nom, et semble une variété méridionale
du français, un chantant français d'oc à déclinaisons,
la force et la beauté de ce texte incomparable saisissent le cœur.
Mais laissons de côté le latin, allons à ce qui nous reste
de l'interrogatoire français, qui est considérable, cherchons
dans le vieil anonyme qui traduisit le procès pour le roi Louis XII,
n 'est-ce pas aussitôt le suc, la saveur inoubliable, cette langue forte
et douce, dont Joinville seul, pensions-nous, possédait le secret ? Tant
d'années après lui, le monde était encore assez près
des sources pures de la langue, assez près de l'esprit des miracles de
Notre-Dame et des croisades, qu'on allait bientôt oublier, pour que la
sainteté se permît encore cette étonnante alliance avec
la beauté. Car il nous faut bien répéter ce que pensait
Péguy : à côté des mots les plus simples de Jeanne,
les saints les plus illustres semblent des bavards, amplificateurs de Cicéron.
Auprès de cet éclat tremblant et fier, seules peuvent prendre
place les strophes rayonnantes ou ténébreuses d'un saint Jean
de la Croix, les recherches les plus fines d'une sainte Thérèse,
le plus pur des cantiques de saint François d'Assise. Encore Jeanne seule
a-t-elle ce clair génie inimitable, qui est celui de sa race, la beauté
naïve des chansons où l'on parle de marjolaine, le rire et l'ironie
qu'elle n 'abandonne pas jusqu'au seuil de la mort et de la transfiguration,
et surtout ce que Michelet, dans un de ses jours de bonheur a si admirablement
défini comme le bon sens dans l'exaltation.
On nous a trop appris qu'il y avait des qualités contradictoires, que
le bon sens ne se pouvait marier avec l'exaltation, non plus que la clarté
avec le mysticisme. On nous a trop proposé, et quelquefois de mains qui
se voulaient orthodoxes, d'obscures prières fort peu orthodoxes. Trop
d'exégètes sont venus jeter des ombres sur les mystères
: mais le mystère en pleine lumière a été réalisé
au moins une fois, et c'est ce miracle du grand jour qui, malgré la dévotion
que les docteurs ont organisée autour de Jeanne, reste encore inconnu
dans sa magnificence authentique pour presque tout le monde. Ce livre non écrit,
ce livre hors de la littérature, il faut en effet en saluer tout d'abord,
à coté de vertus plus fécondes, la beauté : personne
n 'a plus naturellement parlé que Jeanne ce qu 'Alain Fournier appelait
après Laforgue du français de Christ.
Des analogies mystérieuses joignent en effet la moindre des paroles de
l'enfant, dans leur simplicité riche d'un monde surnaturel, aux paraboles
que prononçait son Maître en Palestine, quatorze siècles
avant sa naissance. Ce n 'est pas la première fois qu 'on rapproche Jeanne
de Jésus, en s'excusant aussitôt d'oser la comparaison. Pourquoi
s'excuser, et quelle est cette timidité étrange ? Le catholicisme
ne nous enseigne-t-il pas que l'homme doit s'efforcer à l'imitation du
Christ, et que les saints sont les êtres qui ont le plus merveilleusement
pastiché la ressemblance du Seigneur ? Jusque dans leur corps, certains
d'entre eux ont, à force d'amour, retrouvé les stigmates de la
croix, des clous et de la lance. Mais, avant même son supplice et ses
défaillances, avant son Calvaire et son jardin des Oliviers, avant même
d'être condamnée par les prêtres, d'être trahie par
Judas, d'être vendue pour trente deniers, avant Anne et Caïphe, avant
que Pilate, qui s'appelait Le Bouteiller, bailli, se fût lavé les
mains de l'exécution et n 'eût même pas pris la peine de
notifier sa sentence, Jeanne avait d'abord imité Jésus dans sa
par oie et dans son cœur.
C'est sa parole que nous rapporte cet étrange évangile, ruisselant
de clartés, qu'est le texte de son procès. Encore les juges se
sont-ils efforcés, sans aucun doute, d'obscurcir la lumière qui
les confond. Car il nous faut bien songer que cet évangile est un évangile
selon Ponce Pilate, et que nous ne connaissons l'admirable jeune fille qu'à
travers ses ennemis. Ne parlons pas seulement d'une " information posthume
", où, devant Cauchon, les juges vinrent déposer tour à
tour que Jeanne, le matin de sa mort, renia ses voix et se repentit. Elle est
trop bien faite, elle veut trop prouver pour qu'on puisse en admettre les conclusions
: des contradictions subtiles y fourmillent d'ailleurs. N'en parlons pas, puisque
les notaires eux-mêmes ont refusé de l'authentifier par leur signature,
dans un scrupule bien tardif. Mais le reste du procès, qu'on y songe,
est également soumis à caution : On n 'a rien fait dire à
Jeanne qui puisse réellement scandaliser les âmes, mais on a omis
certaines de ses réponses. Cela, nous le savons par le procès
de réhabilitation, œuvre juste s'il en fut, mais farce ignoble où,
à peu de frais et en chargeant les morts, les survivants du premier procès
réussirent si vite à se faire passer pour de petits saints. Ces
lâches nous ont pourtant rapporté quelques paroles et quelques
gestes qui ne quitteront pas notre mémoire. Le miracle reste toujours
le même : à travers ces silences, ces sournoiseries d'amis, ces
cruautés d'ennemis, à travers les travestissements et les omissions,
la sainteté de Jeanne n'en paraît pas moins éclatante. Nous
n 'avons même pas à dire qu'il nous faut bien nous contenter de
ce qui nous reste, puisque, mis à part quelques points sur lesquels Jeanne
n 'a pas voulu tout dire, ou sur lesquels on ne l'a pas laissée tout
dire, la sincérité totale de cette âme merveilleuse et le
drame sont posés devant nous dans tout l'éblouissement de l'été.
Aussi le chef-d'œuvre, chef-d'œuvre de surnaturel et de bon sens,
chef-d'œuvre de la sainteté casquée, chef-d'œuvre enfin
de la poésie et de la langue, n 'a-t-il pas trop souffert des mauvais
copistes qui, parce qu'ils y avaient eu un bout de rôle, se sont cru autorisés
à des coupures. La préfiguration la plus parfaite de Jeanne dans
le monde païen, Antigone, l'invocatrice des lois éternelles, nous
touche moins que cette enfant insolente. Dans ce recueil d'interrogatoires,
sous les phrases judiciaires savantes, les longs considérants mortels,
il y a un drame humain et surhumain, que nul autre n'atteint. La puissance dramatique
n'a ici nul besoin d'arrangement. Il ne faut pas s'étonner si le procès
a pu, tel quel, être porté à la scène. Car c 'est
bien une voix vivante que nous entendons, cette voix têtue, acharnée,
qui si magnifiquement riposte, - ou qui, soudain éclairée par
un avertissement miraculeux, dé-, passe son insolence même et prophétise.
Dès lors, on ne saurait s'étonner du silence, inexplicable pour
certains, et même scandaleux, qui est le silence de la poésie française
lorsqu'il s'agit de Jeanne, Notre théâtre n 'est point un théâtre
national, comme en partie le théâtre anglais : à ces guerres
des Deux Rosés, à ces rivalités de loups qui enchantaient
Shakespeare, correspondent pourtant assez bien nos Frédégonde
et nos Brune-haut, nos Clovis et nos Sigebert. Mais si je regrette un Marlowe
français, un Beaumont français, à défaut même
d'un Shakespeare, ce n'est pas à propos de Jeanne. Son drame, elle l'a
écrit, elle l'a dicté. Je n'y trouve rien à redire, même
si je ne regarde que l'art. Je n 'ai pas besoin de l'Odéon et de la Comédie-Française.
Jeanne est un plus grand écrivain, un plus habile dramaturge que tous
ceux qui l'ont mise en scène.
Ce qui m'étonne seulement, c'est un autre silence. Celui des philosophes,
des critiques, des théologiens. On a vu commenter à perte de vue
sainte Thérèse et saint Jean de la Croix, saint Augustin, saint
Bernard, Bérulle, et d'autres plus obscurs. Parce que sous les fleurs
d'une rhétorique enfantine et bourgeoise, on découvrait le cœur
brûlant, l'énergie de fer de Thérèse de Lisieux,
les plus graves exégètes ont analysé et mis en ordre les
préceptes de la "petite voie ". De nos jours, des âmes
saintes, mais d'une sainteté qui semble sans détours, Elisabeth
Leseur, Anne de Guigné, Guy de Fontgalland, ont leurs fidèles
et leurs scoliastes. Car je ne parle pas seulement de la dévotion à
la personne : cette dévotion qui entoure la ravissante et maligne Bernadette.
Je parle du commentaire (qui, je ne sais pourquoi, manque justement à
Bernadette), et qui s'attache avec tant d'ardeur, et tant de subtilité,
aux moindres paroles des saints que j'ai nommés, afin d'épuiser
le contenu spirituel, et j'ai même envie de dire intellectuel, de leurs
écrits, où la beauté de la foi surpasse celle de l'art.
Certes, l'enseignement donné par Jeanne, je vois bien que plusieurs ont
tenté, laïcs ou clercs, de l'expliciter et d'en prolonger les leçons.
Laïcs surtout, et je ne m'étonne pas, en notre temps, de voir un
Péguy demander à Jeanne presque tout, un Barrés chercher
en elle l'incarnation du mythe de la chapelle et de la prairie, un Mourras fortement
définir sa politique et sa raison. Mais les clercs de bonne volonté
ne me paraissent pas avoir dépassé les commentaires moraux à
la portée des catéchismes de persévérance. Peut-être
faut-il en accuser tous ces procès que subit Jeanne, procès de
Poitiers, procès de Reims, procès de réhabilitation, procès
de canonisation. Leurs desseins, je l'avoue, étaient différents.
Mais enfin, ils se tiennent, et le dernier en date, qui nous demande d'honorer
dans la personne de Jeanne la vierge chrétienne, n 'a peut-être
pas complètement servi sa mémoire. Une vierge chrétienne
parmi tant d'autres, il me semble que c'est diminuer singulièrement la
jeune fille. C'est la réduire à cette statue de plâtre argenté
(cuirassée et casquée, il est vrai) qui fait dans nos églises,
pour le jour des premières communions, pendant à quelque débonnaire
saint Michel, dont le dragon semble apprivoisé.
Je vois bien que Jeanne n 'a pas tenu de plume pour écrire un livre.
Pas plus, répétons-le, que le Christ. Mais si ses juges et ses
bourreaux l'ont tenue pour elle, pourquoi ne cherche-t-on pas dans ces paroles
sacrées, au delà de leurs obscurités, ou, ce qui est peut-être
plus difficile, de leur trop éblouissante et trop blanche lumière,
pourquoi ne cherche-t-on pas les linéaments d'une pensée, et même,
disons le mot, d'une doctrine ? Le culte de Jeanne d'Arc, en France ou à
l'étranger, a subi des variations singulières. Je veux bien que
ce soit l'honneur du romantisme de l'avoir ranimé. Mais nous en sommes
jusqu'à présent demeurés aux effusions du sentimentalisme.
La " bergerette " de Lorraine en impose encore aux foules. Ce n'est
pas aujourd'hui que nous verrons une chaire Jeanne d'Arc à la faculté
catholique. - Mais j'aimerais que ce fût demain.
La pensée n 'est rien sans l'action, ni l'action sans la pensée.
Personne mieux que Jeanne ne connut cette alliance parfaite, à laquelle
rêvent les plus hauts génies : Dans la moindre des paroles de Jeanne,
prolongée par son action, dans le moindre de ses gestes, toujours informé
en raison, toujours proposé en exemple, demeure une parcelle de vérité
organisée et féconde. On aura fait un grand pas dans la connaissance
de cet être unique lorsqu'on en sera persuadé.
N'étant ni philosophe ni théologien, je ne puis même esquisser
ici ce système de Jeanne auquel je voudrais que de plus qualifiés
donnassent leurs soins ; comme ils les donnent à un système de
sainte Thérèse, un système de Bossuet.
Rarement la sainteté a fait plus parfaite alliance avec l'intelligence,
le génie à la fois religieux, civique, militaire et poétique.
Charles Mourras a pu étudier magnifiquement la politique de cet être
exceptionnel, on en pourrait étudier la théologie. La plus grande
sainte de France est aussi l'un de ses plus grands écrivains, l'un de
ses plus grands politiques, l'un de ses plus grands j généraux.
On supplie les Français de ne pas faire du plus haut symbole de leur
race une bien pensante héroïne de patronage.
On pourrait tirer du Procès de Jeanne d'Arc une sorte de catéchisme,
par demandes et par réponses, où tout un idéal de vie serait
rigoureusement déterminé.
D. - Croyez-vous que vous soyez sujette de l'Église ?
R. - Oui, Notre-Seigneur premier servi.
Jeanne consent bien à dire qu'elle reçoit le sacrement d'eucharistie
à Pâques, mais quand on lui demande si elle le reçoit aux
fêtes autres que Pâques, elle répond : Passez outre. C'est
que, dans le premier cas, il s'agit d'une obligation, de règlements religieux
faits pour tous, et elle s'adresse à ceux qui ont fait ces règlements.
Dans le second, il s'agit d'un mystère, plus ineffable, des relations
qui existent entre la créature et le Créateur, et auxquelles personne
n 'a rien à voir. Le plus mauvais pécheur a droit à ce
secret des saints : on peut lui demander compte de ce qui est d'obligation,
et qu'il viole, mais nul n'a à s'informer si, dans l'intimité
de son humiliation, de son espoir, de sa médiocrité indulgente
à soi-même, il essaie de s'entretenir, le soir, tout seul, avec
celui qu 'il aime malgré tout.
" Quand j'eus l'âge de treize ans, j'eus une voix de Dieu pour m'aider
à me gouverner. Et la première fois, j'eus grand'peur. "
Jeanne n'a aucune habitude du monde surnaturel. C'est là ce qui peut
toucher le moins digne. Elle a peur, comme tout homme peut avoir peur devant
une figure divine. Plus tard, elle s'habituera, elle arrivera à une sorte
de familiarité merveilleuse. Mais il ne faut pas oublier que par son
premier geste - ce geste de terreur - elle nous indique la violence qu'un Dieu
fait à la nature. Elle était une petite fille, pieuse sans doute,
mais amusée de la vie et aimant sa tranquillité. Quelque chose
est venu bouleverser tout cela. Il lui faudra du temps pour s'en accommoder,
et en arriver à ces paisibles relations avec le monde surnaturel où
nous la voyons par la suite si naturellement engagée.
" Et vint cette voix environ l'heure de midi, au temps de l'été
dans le jardin de mon père. "
En une phrase miraculeuse, tout le décor éternel de la sainteté
de Jeanne est posé. Avec des mots qui semblent pris à des chansons
(Dans le jardin de mon père, les lilas sont fleuris...), Jeanne nous
invite à penser qu'il n'y a point de brumes dans sa mystique, mais le
grand éclat du plein midi, l'heure de la vision parfaite. Son extase
n 'est point pénible et douteuse appréhension d'un univers plus
deviné que vu, elle est vision d'un coup, vision totale et joyeuse, lignes
nettes, inoubliables, amitié et santé.
" Je n'avais point jeûné la veille. "
Elle le dit pour les docteurs présents et les docteurs futurs.
" Cela était-il bien de faire assaut un jour de fête ?
- Passez outre. "
Les juges semblent calquer ici les questions des pharisiens. A Jésus
aussi on demandait s'il était bon d'agir le jour du sabbat. Mais le Maître
et le disciple sont d'accord pour faire d'abord leur métier, qui est
œuvre de salut, éternel ou temporel, comme tous ceux qui mettent
l'esprit avant la lettre et dédaignent les prescriptions formelles. Ainsi
Jeanne, à chaque instant, retrouve-t-elle en son âme le réalisme
du Créateur.
" Avez-vous remercié cette voix et avez-vous fléchi les genoux
?
- Je l'ai remerciée, mais en m'asseyant en mon lit, et j'ai joint les
mains. "
J'imagine que les juges ont été choqués. Ils ne peuvent
concevoir qu'on parle à Dieu autrement qu'à genoux : assis, cela
passe les bornes. Mais Jeanne n 'a aucun souci de l'étiquette. Elle reçoit
les saintes comme elles viennent, et ne fait pas pour elles des frais de toilette.
Dans ses champs, dans son lit, assise, couchée, elle est toujours prête
à les accueillir, simplement, comme des amies merveilleuses.
" Cette nuit même, la voix m'a dit moult de choses pour le bien
de mon Roi, que je voudrais qu'il sût dès maintenant, dussé-je
ne pas boire de vin jusqu'à Pâques. "
Et on voit bien que cela lui coûte.
" Si j'étais dans un bois, j'entendrais bien la voix venant à
moi. "
Encore une fois, les relations entre Dieu et l'homme sont tout d'abord personnelles
: aucun "protestantisme" là-dedans. Mais on ne saurait se parler,
quand il s'agit d'amour, devant la foule assemblée, et les docteurs en
furie. Jamais Jeanne n'a eu une vision devant ses juges. Mais elle est secouée
de frissons et pense aux saintes, parfois, dans ces étranges absences
dont on nous a parlé lors de son abjuration, et qui sont beaucoup plus
fréquentes qu'on ne l'a cru dans son procès (elles expliquent
bien des choses). C'est qu'alors elle se voit seule, et appelle d'un coup, en
même temps que la vision, le décor qui l'a contenue. Il lui faut
le jardin de son père, l'éblouissement de midi, le bois. De là
cette naïveté, cette jeunesse de la sainteté. C 'est une
sainteté franciscaine, qui ne refuse pas d'associer la création
à l'image du Créateur, et s'émerveille de sa beauté.
L'ombre des forêts qu'invoqué la pécheresse des tragédies
profanes, cette ombre fraîche, cette ombre où court une ombre chasseresse,
voici que nous la retrouvons ici, à notre grande surprise, voici qu'elle
sert à abriter un plus vif amour, et plus dévorant encore, et
plus pur. Parenté des désirs humains ! Cris qui se répondent,
d'un cantique des cantiques charnel aux plaintes d'un saint Jean de la Croix
! Ainsi nous est enseignée la manière non de fuir le monde, mais
de le transmuter, par une alchimie de chaque jour, et défaire du décor
passionnel un décor de sainteté. Ce que Dieu a créé
nous aide à l'écouter.
En copiant ces pages admirables, j'étais certes frappé par la
poésie naturelle, faite de jeunesse, de fierté, de ces évocations
inouïes d'arbres en fleurs, de rondes de fillettes et de fées, qui
apparaît et éclate à chaque instant. Et je ne voudrais pas
que la mystérieuse jeune fille choisie par ses voix fût limitée
: il y a dans son aventure toutes les puissances douloureuses et enthousiastes
que puisse supporter un cœur mortel. Mais enfin, au travers de ce long
martyre, et de la plus abominable inquisition dont fut jamais indigne un être
humain, ce qui se formait peu à peu, c 'était, sous l'aspect d'une
enfant de dix-neuf ans, une image de la vertu d'insolence.
Lorsqu'on parle du procès de Socrate, on ne manque pas de dire qu'il
exaspérait les juges athéniens par sa moquerie parfois pesante,
et de citer l'ironique proposition d'être nourri au Prytanée. Mais
le vieux philosophe ricaneur et logicien avait pour lui, en face d'hommes mûrs
et sans doute ignorants, son âge et sa réputation. Tandis que cette
petite fille, qui ne sait ni lire ni écrire, qui allait parfois garder
les moutons de son père dans un petit village de Lorraine ou de Champagne,
cette petite fille si pareille en apparence à celle qui va à confesse
tous les samedis avouer de menus péchés de gourmandise et de coquetterie,
elle a tenu tête au roi de France et d'Angleterre avec ses troupes, et
maintenant à ces théologiens ?
Qu'on imagine le scandale presque inconcevable : d'un bout à l'autre
du procès, sauf à la fin, lorsqu'elle est brisée par ses
souffrances et ses déceptions, elle proteste avec une opiniâtreté
presque rieuse, une insolence de fille de la campagne qui se moque des messieurs
de la ville, et elle se moque de tout, de leurs victoires, de leur armée,
de leurs complications théologiques, et elle passe à travers les
pièges avec une aisance si fine et si joyeuse ! On l'entend presque rire
entre les lignes lorsqu'elle tire la langue (il n'y a pas d'autre mot) à
ces faux théologiens et on entend le grondement de tout ce jury de professeurs
sacrés et d'universitaires.
Elle refuse de prêter serment, elle réplique : " Je vous l'ai
déjà dit ! Demandez au Roi ! Passez outre ! Ce n 'est pas de votre
procès ! Vous ne saurez rien ! " Nous la voyons, dans son habit
d'homme, relevant la tête, haussant les épaules devant tant de
questions saugrenues et inutiles, ardente, brûlante de vie, toute prête
à s'échapper, à courir dans les champs. Comme elle est
bette, et jeune, cette enfant qui ne sait pas ce que c'est que la prudence,
qui, à chaque instant, blesse ses juges avec une témérité
magnifique, et humble avec tout cela, sans orgueil ni souci d'elle-même,
ne songeant qu'à Dieu, à sa mission et au Roi.
Jeanne, admirable Jeanne ! Parmi tant d'images qu'elle peut nous proposer, celle
de la sainte, cette de la jeune guerrière, et d'autres, on me pardonnera
de m'arrêter à une qui m'est chère entre toutes, celle de
cette insolente jeunesse. Jeanne, c'est la jeunesse qui ne respecte pas. Elle
rit des conventions et des puissances fausses. Elle saute dedans comme de son
échelle elle sautait dans les villes prises en criant : " Tout est
nôtre. " Les vieux universitaires, les vieux théologiens vendus
à l'Angleterre sont peut-être très savants, bien qu'ils
la jugent comme s'ils ne croyaient ni aux révélations ni aux anges,
mais elle sait que cette science n'est que fausse science. Ils sont réunis
pour la perdre, couvrent une fois de plus de raisons religieuses une machination
purement politique, elle le sait, mais elle ne résiste pas au plaisir
de se sentir forte de sa raison, forte de son droit. L'Eglise, elle l'aime et
la veut servir : de quel droit ceux-ci se disent-ils l'Église ? Plus
âgée, elle eût peut-être biaisé, rusé
! Mais c'est la jeunesse qui joue franc jeu, et se risque tout entière,
au dangereux plaisir d'être dans son droit. Les personnes raisonnables
n'aiment pas la jeunesse qui a raison. Et il faut bien avouer qu'elle a une
si blessante façon d'avoir raison. Elle ne pèse pas ses mots,
elle réagit avec violence, immédiatement : " Pensez-vous
que Notre-Seigneur n'ait pas de quoi la vêtir?"
Et tout cela avec une gaieté, une paix de l'âme qui nous ravit.
Je ne sais quel saint disait que Dieu n 'aimait pas les saints tristes, ou plutôt
qu'il n 'y avait pas de saints tristes. Jamais parole n 'a été
vraie plus que pour Jeanne. Nous la voyons, nous l'entendons rire de son grand
rire clair. Qu'on l'écoute raconter comment à Troyes, où
on la croyait plus ou moins sorcière, on lui envoya un prêtre pour
l'exorciser. Et comme, en approchant avec crainte, il faisait le signe de la
croix, et jetait de l'eau bénite, elle lui dit : " Approchez hardiment
: je ne m'envolerai pas. "
À travers les pages de ce procès, dans un temps qui est un temps
d'acceptation générale et de soumission, Jeanne nous propose,
avec ce sourire, la magnifique vertu d'insolence. Une jeune insolence, une insolence
déjeune sainte. Il n 'est pas de vertu dont nous ayons plus besoin aujourd'hui.
Elle est un bien précieux qu'il ne faut pas laisser perdre : le faux
respect des fausses vénérations est le pire mal. Par un détour
en apparence étrange, Jeanne nous apprend que l'insolence, à la
base de toute reconstruction est à la base même de la sainteté.
À ce mépris des grandeurs illusoires, elle a risqué et
perdu seulement sa vie : mais elle pensait qu'il est bon de risquer sa vie dans
l'insolence lorsqu'on n'aime que les vraies grandeurs.
On connaît de Jeanne les mots cornéliens, la subtilité héroïque.
Mais il me semble que c 'est déjà la raidir, la soumettre à
un modèle admirable, où elle a apporté plus de souplesse.
" Savez-vous si vous êtes en la grâce de Dieu ?
" - Si je n'y suis, Dieu m'y mette; et si j'y suis, Dieu m'y tienne. "
C 'est ici que la mémoire commune arrête la réponse sublime.
Et sans doute n 'aurait-on pas fini d'épiloguer sur ce qu'elle recèle
de profonde raison, d'habileté, en même temps que d'humilité
et de noblesse véritablement inspirée. Mais pourquoi oublier la
suite, pourquoi oublier les par oies modestes :
" Je serais la plus dolente du monde si je savais n'être pas en la
grâce de Dieu. Et si j'étais en péché, je crois que
la voix ne viendrait pas à moi. Et je voudrais que chacun l'entendît
aussi bien comme moi. "
Voit-on comment le chant s'élève, après le cri de la guerrière
? Elle soupire, elle tend les mains, elle s'interroge, et sous cette douce plainte,
murmurée, berçante, cette mélodie humaine, avec ses reprises
et ses rejets - tant d'espoir, tant de confiance perce ! Grave et sage raison,
qui ainsi s'achève en musique.
// est une page du Procès que Barrés aimait à citer et
qui devait bien, en effet, l'arrêter. Je m'étonne qu'elle ne soit
pas plus illustre. Sans doute, tous ceux qui ont été touchés
par Jeanne la connaissent, et nous n 'oublierons jamais la voix de Ludmilla
Pitoëff lorsqu'elle la disait ; mais elle devrait être chantée
partout, célèbre comme une des plus belles pages de notre langue.
C 'est un hymne véritablement né de la colline inspirée,
avec son paganisme naïf, l'accord éternel de la chapelle et de la
prairie, et tout cela caché sous une sorte de babillage merveilleux,
de cris d'oiseau sous la feuille. Ainsi, grâce aux mots les plus joyeux
de notre race, Mai dresse ce décor de feuillages au travers duquel on
aperçoit le bûcher de Rouen. Au printemps de Lorraine, un autre
printemps plus cruel répond, et de ces surimpressions tragiques naît
la poésie, naît le trouble unique qui s'empare de nous. Écoutons
la guerrière shakespearienne :
"Assez proche de Domremy, il y a certain arbre qui s'appelle l'arbre des
Dames, et d'autres l'appellent l'arbre des Fées. Auprès, il y
a une fontaine. Et j'ai ouï dire que les gens malades de fièvre
boivent de cette fontaine et vont quérir de son eau pour recouvrer la
santé. Et cela, je l'ai vu moi-même ; mais ne sais s'ils en guérissent
ou non. J'ai ouï dire que les malades, quand ils peuvent se lever, vont
à l'arbre pour s'ébattre. C'est un grand arbre, appelé
Fau, d'où vient le beau mai. Il appartenait, à ce qu'on dit, à
monseigneur Pierre de Bourlemont, chevalier. Parfois, j'allais m'ébattre
avec les autres filles, et faisais à cet arbre chapeaux de fleurs pour
l'image de Notre-Dame de Domremy. Plusieurs fois, j'ai ouï dire des anciens,
non pas de mon lignage, que les dames fées y demeuraient. Et j'ai ouï
dire à une femme, nommée Jeanne, femme du maire Aubery, de mon
pays, laquelle était ma marraine, qu'elle avait vu les dames fées.
Mais moi qui parle, ne sais si cela est vrai ou non. Je n'ai jamais vu fée
à l'arbre, que je sache.
- En avez-vous vu ailleurs ?
- Je ne sais. J'ai vu mettre aux branches de l'arbre des chapeaux de fleurs
par les jouvencelles, et moi-même en ai mis parfois avec les autres filles.
Et parfois nous les emportions, et parfois nous les laissions. Depuis que je
sus que je devais venir en France, je fis peu de jeux ou ébattements,
et le moins que je pus. Et je ne sais point si, depuis que j'eus entendement,
j'ai dansé prés de l'arbre. Parfois je peux bien y avoir dansé
avec les enfants ; mais j'y ai plus chanté que dansé. "
Pourquoi accuser d'hérésie celle qui porte des couronnes aux arbres
magiques ? Nous sommes trop sûrs que Jeanne ne croyait point aux dames
fées, mais elle ne jugeait point criminel d'aimer encore ces belles imaginations
françaises. Elle ne dansait pas, mais elle chantait, et l'on imagine
si bien quelles chansons ! Pour Hauviette, et Mengette, et Simon Musnier, et
Jean Waterin, on la voit, à l'heure du goûter, par ces journées
de fête, chantant la petite fille qui s'en allait, en passant par la Lorraine,
avec ses sabots et un bouquet, trouver le Dauphin, le fils du Roi, et risquait
si fort de " perdre sa peine ". Encore une chanson sur notre chemin,
comme pour l'apparition des saintes du jardin ! Encore l'accompagnement des
grâces naturelles. La voix du sol, les voix des fées se mêlent
candidement aux voix des anges. Et c 'est bien, sans attacher plus d'importance
qu'il ne convient à ce paganisme ingénu, un mariage de la terre
et du ciel qui est parfaitement français. Oui, il devait plaire à
Barrés qui retrouve en Jeanne, si curieusement, le sang de Velleda et
celui des centurions romains. Elle devait lui plaire cette sainte si naïve,
qui aimait le vin excellent, les parures, les robes dorées, les belles
armes, et se faisait réprimander pour tout cela par les pharisiens, cette
sainte sans raideur qui aimait la beauté, ne croyait point aux fées,
mais chantait des chansons pour les enfants qui y croyaient, tressait des couronnes
à la Vierge dans les bois et riait aux anges dans ce décor de
printemps auquel elle songerait, six ans plus tard, sur son bûcher.
" Ceci est inscrit dans le livre de Poitiers. "
Personne n'a jamais retrouvé ce livre de Poitiers, auquel Jeanne renvoie
constamment ses juges : des trois procès de Jeanne d'Arc, nous n 'avons
conservé que le procès de condamnation et le procès de
réhabilitation ; il nous manque le procès de sanctification, cette
enquête que l'on fit à l'Université pour savoir si la jeune
fille visitée par les anges était digne de sa mission. Là,
devant des hommes qui, quelque prudents qu'ils fussent, croyaient en elle (ou,
en tout cas, faisaient semblant), Jeanne a dû se livrer sans réticences,
expliquer ses voix, sa formation.
On rêve d'un grenier de presbytère, entre Poitou et Île-de-France,
peut-être en Touraine, peut-être en Anjou. On rêve de vacances,
et de recherches dans ce grenier, et de la fenêtre ouverte sur l'été,
et de l'odeur des mirabelles et des rosés mûres. Une poussière
dorée monterait des plinthes, descendrait en rayons par les lucarnes.
Et, dans un tas d'archives et d'actes de possession, parmi les registres de
baptême, les transmissions de terrain, les doubles expéditions
notariées de ventes et de successions, on trouverait un paquet mal ficelé,
dont il manquerait la première page. Il manque toujours la première
page des manuscrits : c 'est une malice innocente du destin ou des érudits.
On lirait, et peu à peu, hors des formules du latin ecclésiastique,
éclaterait ce français plein de suc, reconnaissable entre mille.
Nous serions tout à coup entourés par les anges et par les saintes
: les dominations descendraient dans le grenier comme dans une cathédrale.
Et peu à peu - ou plutôt tout d'un coup, sans vouloir nous l'avouer
- nous serions sûrs qu'il s'agit de ces Enfances Jeanne, merveilleusement
perdues, merveilleusement retrouvées, et Domremy, et les plaines de Meuse,
et les bois de monseigneur Pierre de Bourlemont, et la leçon la plus
secrète de saint Michel archange, tout cela apparaîtrait devant
nous, au milieu même du grenier tourangeau ou angevin, pendant que la
bonne du curé, le visage aussi cuit et aussi rayonnant que sa tarte aux
prunes, nous hélerait d'en bas pour le dîner.
Le mot qui revient peut-être le plus souvent dans le procès, c
'est le mot de lumière :
" Quand vous avez vu la voix qui venait à vous, y avait-il de la
lumière ?
- Il y avait beaucoup de lumière de toute part, et cela est convenable...
Il y avait plus de trois cents chevaliers et cinquante torches, sans compter
la lumière spirituelle. Et rarement j'ai eu révélations
sans qu'il y ait lumière. "
Jusqu'à ce que cet amour de la lumière, ce blanc et parfait et
lucide amour éclate dans la phrase terrible, la plus dure qu'aient jamais
entendue les juges :
" Toute lumière ne vient pas que pour vous. "
Non, Jeanne ne fut pas une simple enfant torturée. Rien n'a été
étranger au plus lucide et plus étonnant génie de l'humanité.
Robert BRASILLACH
N.B. - On sait que, du procès de condamnation de Jeanne d'Arc, qui avait été interrogée en français, il nous reste la traduction latine faite par Thomas de Cour celles, et une minute en français copie de la minute originale, qui comprend la dernière séance des interrogatoires publics, les interrogatoires secrets, et les réponses de Jeanne aux autres audiences. C'est-à-dire que les paroles elles-mêmes de Jeanne nous ont été conservées autant que cela se pouvait pour la plus grande partie du procès. Afin de rendre la lecture plus aisée, nous avons, comme on l'a déjà fait pour le théâtre, traduit ou repris à la première personne tout ce qui se trouvait à la troisième dans les textes authentiques. Nous avons supprimé toutes les délibérations des juges ainsi que les lettres au Roi ou à l'Université et le texte du jugement. Ce sont les paroles de Jeanne qui nous importent(1). Nous nous sommes contenté de rajeunir l'orthographe et quelques mots, en conservant au texte sa saveur. Pour la première partie, afin de garder l'unité de la langue, nous nous sommes inspiré d'une traduction faite par ordre de Louis XII, fragmentaire et fautive par endroits, bien que plus exacte qu'on ne l'a dit, et pleine d'agrément. Enfin, pour l'abjuration et les derniers jours en particulier, nous avons reproduit tout ce que nous rapporte le procès de réhabilitation.
______________
1 Tous les textes concernant Jeanne d'Arc (procès et témoignages) ont été édités par Jules Quicherat; le Procès de condamnation a été réédité de la manière la plus remarquable par Pierre Champion.
PREMIÈRE PARTIE
LES SÉANCES PUBLIQUES
I
Le mercredi 21 février 1431, l'évêque de Béarnais
se rendit à la chapelle royale du château de Rouen. Il ouvrit la
séance, assisté de quarante-trois assesseurs.
Lorsque l'accusée fut entrée, l'évêque exposa comment
elle avait été prise sur le territoire du diocèse et comment
de nombreux actes accomplis par elle blessaient la foi orthodoxe. Selon la règle
commença à l'exhorter à dire la vérité.
JEANNE. - Je ne sais sur quoi vous me voulez interroger. Par aventure me pourriez-vous
demander telles choses que je ne vous dirais point.
L'ÉVÊQUE. - Vous jurez de dire vérité sur ce qui
vous sera demandé concernant la matière de foi et que vous saurez.
JEANNE. - De mon père, de ma mère et des choses que j'ai faites
depuis que j'ai pris le chemin de France, volontiers je jurerai. Mais des révélations
à moi faites de par Dieu, je ne les ai dites ni révélées
à personne, fors au seul Charles, mon Roi. Et je ne les révélerai,
même si on devait me couper la tête! Car j'ai eu cet ordre par vision,
j'entends par mon conseil secret, de ne rien révéler à
personne. Et, avant huit jours, je saurai bien si je dois les révéler.
L'ÉVÊQUE. - Derechef, nous, évêque, vous admonestons
et vous requérons de vouloir prêter serment de dire la vérité
dans ce qui touche notre foi.
JEANNE, à genoux et les deux mains posées sur le missel. - Je
jure de dire vérité sur les choses qui me seront demandées
et que je saurai, concernant la matière de foi.
L'ÉVÊQUE. - Quels sont votre nom et votre surnom ?
JEANNE. - En mon pays, on m'appelait Jeannette et, après que je fus venue
en France, on m'appela Jeanne. Du surnom, je ne sais rien.
L'ÉVÊQUE. - Quel est votre lieu d'origine ?
JEANNE. - Je suis née au village de Domremy, qui fait un avec le village
de Greux. C'est au lieu dit Greux qu'est la principale église.
L'ÉVÊQUE. - Quels étaient les noms de vos père et
mère ?
JEANNE. - Mon père s'appelait Jacques d'Arc. Ma mère, Isabeau.
L'ÉVÊQUE. - Où fûtes-vous baptisée ?
JEANNE. - En l'église de Domremy.
L'ÉVÊQUE. - Quels furent vos parrains et marraines ?"
JEANNE. - Une de mes marraines s'appelait Agnès, l'autre Jeanne, l'autre
Sibille. Un de mes parrains s'appelait Jean Lingué, l'autre Jean Barrey.
J'eus plusieurs autres marraines, comme j'ai ouï dire à ma mère.
L'ÉVÊQUE. - Quel prêtre vous a baptisée ?
JEANNE. - Maître Jean Minet, à ce que je crois.
L'ÉVÊQUE. - Vit-il encore ?
JEANNE. - Oui, à ce que je crois.
L'ÉVÊQUE. - Quel âge avez-vous ?
JEANNE. - Comme il me semble, à peu près dix-neuf ans.
L'ÉVÊQUE. - Qui vous a appris votre croyance ?
JEANNE. - J'ai appris de ma mère Pater noster, Ave Maria, Credo. Je n'ai
pas appris d'autre personne ma croyance, sinon de ma mère.
L'ÉVÊQUE. - Dites Pater noster.
JEANNE. - Entendez-moi en confession, et je vous le dirai volontiers.
L'ÉVÊQUE. - Volontiers nous vous baillerons un ou deux notables
hommes de la langue de France, devant lesquels vous direz Pater noster.
JEANNE. - Je ne leur dirai pas, s'ils ne m'entendent en confession.
L'ÉVÊQUE. - Cela entendu, nous, évêque, interdisons
à Jeanne de sortir des prisons à elle assignées, dans le
château de Rouen, sans notre congé, sous peine d'être convaincue
du crime d'hérésie.
JEANNE. - Je n'accepte point cette défense. Si je m'échappais,
nul ne me pourrait reprendre pour avoir faussé ou violé ma foi,
puisque je n'ai baillé ma foi à personne. De plus, j'ai à
me plaindre d'être détenue avec chaînes et entraves de fer.
L'ÉVÊQUE. - Ailleurs et par plusieurs fois, vous avez tenté
de vous échapper des prisons. C'est à cette fin qu'on vous gardât
plus sûrement et plus fidèlement que l'ordre a été
donné de vous entraver de chaînes de fer.
JEANNE. - C'est vrai qu'ailleurs j'ai voulu, et je voudrais encore m'échapper,
comme il est licite à quiconque est incarcéré ou prisonnier.
II
Le jeudi 22 février, dans la salle de parement.
L'ÉVÊQUE. - Nous vous requérons et admonestons, sous les
peines du droit, de faire le serment que vous avez prêté hier,
et de jurer, simplement et absolument, de dire vérité sur tout
ce qui vous sera demandé en la matière pour laquelle vous êtes
ici déférée et diffamée.
JEANNE. - J'ai fait serment hier, et il doit suffire.
L'ÉVÊQUE. - Nous vous requérons de jurer. Car nul, même
prince, requis en matière de foi, ne peut refuser de prêter serment.
JEANNE. - Je l'ai fait hier, votre serment. Il vous doit bien suffire. Vous
me chargez trop.
L'ÉVÊQUE. - Jurez de dire vérité sur ce qui touche
la foi. JEANNE. - Je jure de dire vérité sur ce qui touche la
foi.
L'ÉVÊQUE. - Que maître Jean Beaupère, insigne professeur
de sacrée théologie, interroge Jeanne.
JEAN BEAUPÈRE. - Tout d'abord je vous exhorte à dire vérité
sur ce qu'on demandera, comme vous l'avez juré.
JEANNE. - Vous me pourriez bien demander telle chose sur laquelle je répondrais
vérité, et sur une autre je ne la répondrais pas. Si vous
étiez bien informés de moi, vous devriez vouloir que je fusse
hors de vos mains. Je n'ai rien fait fors par révélation.
JEAN BEAUPÈRE. - Quel était votre âge quand vous avez quitté
la maison de votre père ?
JEANNE. - De mon âge je ne saurais déposer.
JEAN BEAUPÈRE. - Dans votre jeunesse avez-vous appris quelque métier
?
JEANNE. - Oui, à coudre panneaux de lin, et à filer, et je ne
crains femme de Rouen pour filer et coudre.
JEAN BEAUPÈRE. - N'avez-vous pas quitté une fois la maison de
votre père ?
JEANNE. - Par crainte des Bourguignons, j'ai quitté la maison de mon
père, et suis allée dans la ville de Neufchâteau, en Lorraine,
chez une certaine femme, surnommée la Rousse, où j'ai demeuré
environ quinze jours.
JEAN BEAUPÈRE. - Que faisiez-vous quand vous étiez dans la maison
de votre père ?
JEANNE. - Quand j'étais dans la maison de mon père, je vaquais
aux besognes familières de la maison, et je n'allais pas aux champs avec
les brebis et autres bêtes.
JEAN BEAUPÈRE. - Confessiez-vous vos péchés chaque année
?
JEANNE. - Oui, et à mon propre curé. Et quand le curé était
empêché, je me confessais à un autre prêtre, avec
le congé dudit curé. Quelquefois aussi, deux ou trois fois, à
ce que je crois, je me suis confessée à des religieux mendiants.
Et c'était dans ladite ville de Neufchâteau. Et je recevais le
sacrement d'eucharistie à la fête de Pâques.
UN ASSESSEUR. - Receviez-vous le sacrement d'eucharistie aux fêtes autres
que Pâques ?
JEANNE. - Passez outre.
JEAN BEAUPÈRE. - Quand avez-vous commencé à ouïr ce
que vous nommez vos voix ?
JEANNE. - Quand j'eus l'âge de treize ans, j'eus une voix de Dieu pour
m'aider à me gouverner. Et la première fois, j'eus grand'peur.
Et vint cette voix environ l'heure de midi, au temps de l'été,
dans le jardin de mon père. Je n'avais pas jeûné la veille.
J'ouïs la voix du côté droit vers l'église, et rarement
je l'ouïs sans clarté. En vérité il y a clarté
du côté où la voix est ouïe, il y a là communément
une grande clarté. Quand je vins en France, souvent j'entendais cette
voix.
JEAN BEAUPÈRE. - Comment voyez-vous la clarté que vous dites quand
cette clarté est sur le côté ?
JEANNE, sans répondre. - Si j'étais dans un bois, j'entendrais
bien la voix venant à moi.
JEAN BEAUPÈRE. - Comment était cette voix ?
JEANNE. - II me semblait que c'était une digne voix, et je crois que
cette voix était envoyée de par de Dieu. Lorsque j'eus ouï
par trois fois cette voix, je connus que c'était la voix d'un ange. Cette
voix m'a toujours bien gardée, et je comprenais bien cette voix.
JEAN BEAUPÈRE. - Quel enseignement vous donnait cette voix pour le salut
de votre âme ?
JEANNE. - Elle m'enseigna à me bien conduire, à fréquenter
l'église. Elle me dit qu'il était nécessaire que je vinsse
en France.
UN ASSESSEUR. - Sous quelle forme cette voix vous est-elle apparue ?
JEANNE. - Vous n'aurez pas cela de moi, cette fois. Cette voix me disait, deux
ou trois fois la semaine, qu'il fallait que je partisse et que je vinsse en
France, et que mon père ne sût rien de mon départ. La voix
me disait de venir en France, et je ne pouvais plus durer où j'étais.
Cette voix me disait encore que je lèverais le siège mis devant
la cité d'Orléans. Elle me dit en outre d'aller à Robert
de Baudricourt, dans la ville de Vaucouleurs, et qu'il me baillerait des gens
pour aller avec moi. Et alors je répondis que j'étais une pauvre
fille qui ne savait monter à cheval ni mener la guerre. J'allai chez
un mien oncle, et lui dis que je voulais demeurer quelque menu temps chez lui.
Et j'y demeurai environ huit jours. Et je dis alors à mon oncle qu'il
fallait que j'allasse en ladite ville de Vaucouleurs. Et mon oncle lui-même
m'y mena. Quand je fus venue en ladite ville de Vaucouleurs, je reconnus Robert
de Baudricourt encore que je ne l'eusse jamais vu auparavant. Je reconnus par
cette voix ledit Robert, car la voix m'avait dit que c'était lui. Et
je dis à Robert qu'il fallait que je vinsse en France. Robert par deux
fois me repoussa et me refusa, et la tierce, il me reçut et me bailla
des hommes. La voix m'avait dit ce qui arriverait.
JEAN BEAUPÈRE. - Que dites-vous au duc de Lorraine ?
JEANNE. - Le duc de Lorraine manda qu'on me menât à lui. J'y allai,
et je lui dis que je voulais aller en France. Il m'interrogea sur la recouvrance
de sa santé. Mais moi, je lui dis que, de cela, je ne savais rien. Je
parlai peu au duc de mon voyage. Toutefois, je dis au duc de me bailler son
fils et des gens, pour me conduire en France, et que je prierais Dieu pour sa
santé. J'étais allée sous sauf-conduit vers le duc, d'où
je revins à la ville de Vaucouleurs. |
JEAN BEAUPÈRE. - En quel habit étiez-vous, quand vous êtes
partie de Vaucouleurs ? Où êtes-vous allée ?
JEANNE. - À mon départ de ladite ville de Vaucouleurs, étant
en habit d'homme, portant une épée que m'avait baillée
ledit Robert de Baudricourt, sans autres armes, accompagnée d'un chevalier,
d'un écuyer, et de quatre serviteurs, je gagnai la ville de Saint-Urbain
et passai la nuit en l'abbaye. En ce voyage, je passai par la ville d'Auxerre,
et j'ouïs messe en la grande église. Alors j'avais fréquemment
mes voix, avec celle dont j'ai déjà fait mention.
JEAN BEAUPÈRE. - Par le conseil de qui avez-vous pris habit d'homme ?
JEANNE. - Passez outre.
UN ASSESSEUR. - Nous vous requérons de nous dire par le conseil de qui
vous avez pris habit d'homme.
JEANNE. - Passez outre.
JEAN BEAUPÈRE. - Qui vous l'a conseillé ?
JEANNE. - De cela je ne charge homme quelconque.
JEAN BEAUPÈRE. - Que vous dit Robert de Baudricourt lors de votre départ
?
JEANNE. - Ledit Robert de Baudricourt fît jurer à ceux qui me conduisaient
de me conduire bien et sûrement. Et Robert me dit, à moi, au moment
que je le quittai : " Va, va, et advienne ce qu'il pourra advenir ! "
JEAN BEAUPÈRE. - Que savez-vous du duc d'Orléans ?
JEANNE. - Je sais bien que Dieu chérit le duc d'Orléans. Et j'ai
eu sur lui plus de révélations que sur homme vivant, excepté
sur mon Roi.
JEAN BEAUPÈRE. - Pourquoi avez-vous quitté l'habit de femme ?
JEANNE. - II fallait bien que je changeasse mon habit pour habit d'homme. Je
crois que mon conseil m'a bien dit.
JEAN BEAUPÈRE. - Comment êtes-vous arrivée près de
celui que vous nommez votre Roi ?
JEANNE. - J'allais jusqu'à mon Roi sans empêchement. Comme j'étais
arrivée à Sainte-Catherine de Fierbois, alors j'envoyai d'abord
à mon Roi. Puis j'allais à la ville de Château-Chinon où
était mon Roi. J'y arrivai environ l'heure de midi, et me logeai en une
hôtellerie. Après dîner, j'allai vers mon Roi qui était
dans le château. Quand j'entrai dans la chambre du Roi, je le reconnus
entre les autres par le conseil de ma voix qui me le révéla. Je
lui dis que je voulais aller faire la guerre contre les Anglais.
JEAN BEAUPÈRE. - Cette fois où la voix vous montra votre Roi,
y avait-il en cet endroit quelque lumière ?
JEANNE. - Passez outre.
JEAN BEAUPÈRE. - Vîtes-vous quelque ange au-dessus de votre Roi
?
JEANNE. - Pardonnez-moi. Passez outre.
JEAN BEAUPÈRE. - Votre Roi eut-il des révélations ?
JEANNE. - Avant que mon Roi me mît à l'œuvre, il eut plusieurs
apparitions et belles révélations.
JEAN BEAUPÈRE. - Quelles apparitions et révélations eut
votre Roi?
JEANNE. - Je ne vous le dirai point. Vous n'aurez pas encore réponse.
Mais envoyez vers le Roi, et il vous le dira.
JEAN BEAUPÈRE. - Pourquoi votre Roi vous a-t-il reçue ?
JEANNE. - La voix m'avait promis que mon Roi me recevrait assez tôt après
que je serais venue vers lui. Ceux de mon parti connurent bien que la voix m'était
envoyée de par Dieu, et virent et connurent cette voix, je le sais bien.
Mon Roi et plusieurs autres ouïrent et virent les voix qui venaient à
moi. Il y avait présents Charles de Bourbon, et deux ou trois autres.
JEAN BEAUPÈRE. - Entendez-vous souvent cette voix ?
JEANNE. - II n'est jour que je ne l'entende, et même j'en ai bien besoin.
JEAN BEAUPÈRE. - Que lui avez-vous demandé ?
JEANNE. - Oncques n'ai requis à cette voix autre récompense finale,
fors le salut de mon âme.
JEAN BEAUPÈRE. - Qu'avez-vous fait devant Paris ?
JEANNE. - La voix me dit de demeurer en la ville de Saint-Denis en France. Et
je voulais y demeurer. Mais, contre ma volonté, les
seigneurs m'emmenèrent. Si toutefois je n'eusse été blessée,
je n'en fusse point partie. Mais je fus blessée dedans les fossés
de Paris, comme j'y étais arrivée de ladite ville de Saint-Denis.
Mais en cinq jours je me trouvai guérie. Et je fis faire une escarmouche
devant Paris.
JEAN BEAUPÈRE. - Était-ce jour de fête ?
JEANNE. - Je crois bien que c'était jour de fête.
JEAN BEAUPÈRE. - Cela était-il bien de faire assaut un jour de!
fête ?
JEANNE. - Passez outre.
III
Le samedi 24 février, dans la même salle.
L'ÉVÊQUE. - Tout d'abord nous vous requérons de jurer, simplement
et absolument, de dire vérité sur ce qu'on vous demandera, et
de prêter serment sans aucune condition.
JEANNE. - Donnez-moi congé de parler.
L'ÉVÊQUE. - Parlez.
JEANNE. - Par ma foi, vous me pourriez demander telles choses que je ne vous
dirais pas. Peut-être que de beaucoup de choses que vous me pourriez demander,
je ne vous dirai pas le vrai, spécialement sur ce qui touche mes révélations.
Car, par aventure, vous me pourriez contraindre à dire telle chose que
j'ai juré de ne pas dire, et ainsi je serais parjure, ce que vous ne
devriez pas vouloir.
L'ÉVÊQUE. - Vous devez dire vérité à votre
juge.
JEANNE. - Moi, je vous le dis, avisez-vous bien de ce que vous dites être
mon juge, car vous assumez une grande charge, et vous me chargez trop.
L'ÉVÊQUE. - Nous vous requérons de prêter le serment.
JEANNE. - II me semble que c'est assez d'avoir juré deux fois en justice.
L'ÉVÊQUE. - Voulez-vous jurer, simplement et absolument ?
JEANNE. - Vous vous en pouvez bien passer : j'ai assez juré de deux fois.
Tout le clergé de Rouen ou de Paris ne saurait me condamner sans droit.
L'ÉVÊQUE. Nous vous requérons de jurer de dire la vérité.
JEANNE. - De ma venue en France, je dirai volontiers vérité. Mais
je ne dirai pas tout. Et huit jours ne suffiraient pas à dire tout.
L'ÉVÊQUE. - Prenez avis des assesseurs pour savoir si vous devez
jurer ou non.
JEANNE. - De ma venue, je dirai volontiers vérité, et non autrement.
Il ne faut plus m'en parler.
L'ÉVÊQUE. - Vous vous rendez suspecte en ne voulant jurer de dire
vérité.
JEANNE. - II ne faut plus m'en parler.
L'ÉVÊQUE. - Nous vous requérons de jurer, précisément
et absolument.
JEANNE. - Je dirai volontiers ce que je sais, mais encore pas tout. Je suis
venue de par Dieu, et n'ai que faire ici, et demande qu'on me renvoie à
Dieu de qui je suis venue.
L'ÉVÊQUE. - Nous vous requérons et admonestons de jurer
sous peine d'être convaincue de ce dont vous accuse.
JEANNE. - Passez outre.
L'ÉVÊQUE.- Nous vous requérons une dernière fois
de jurer, et vous admonestons de dire vérité sur ce qui touche
le procès. Vous vous exposez à grand danger par un tel refus.
JEANNE. - Je suis prête à jurer de dire vérité sur
ce que je saurai touchant le procès. Je le jure.
L'ÉVÊQUE. - Que l'illustre docteur maître Jean Beaupère
interroge Jeanne.
JEAN BEAUPÈRE. - À quelle heure avez-vous bu et mangé pour
la dernière fois ?
JEANNE. - Depuis hier après-midi je n'ai mangé ni bu. JEAN BEAUPÈRE.
- Depuis quelle heure avez-vous entendu la voix qui vient à vous ?
JEANNE. - Je l'ai ouïe hier et aujourd'hui.
JEAN BEAUPÈRE. - À quelle heure, hier, avez-vous ouï cette
voix?
JEANNE. - Je l'aie ouïe trois fois, ce jour-là : une fois au matin,
une fois à vêpres, et la troisième fois comme on sonnait
pour l'Ave Maria du soir. Et je l'ouïs plus souvent que je ne le dis.
JEAN BEAUPÈRE. - Hier au matin, que faisiez-vous, quand cette voix est
venue à vous ?
JEANNE. - Je dormais, et la voix m'a réveillée.
JEAN BEAUPÈRE. - Vous a-t-elle éveillée en vous touchant
les bras?
JEANNE. - J'ai été éveillée par la voix, sans toucher.
JEAN BEAUPÈRE. - La voix était-elle dans votre chambre ? JEANNE.
- Non, que je sache, mais elle était dans le château. JEAN BEAUPÈRE.
- Avez-vous remercié cette voix ! et avez-vous fléchi les genoux
?
JEANNE. - Je l'ai remerciée, mais en m'asseyant en mon lit, et j'ai joint
les mains. Et ce fut après l'avoir requise de prêter conseil. Sur
quoi elle me dit de répondre hardiment.
JEAN BEAUPÈRE. - Que vous dit la voix quand vous fûtes éveillée
?
JEANNE. - Je lui demandai conseil sur ce que je devais répondre, lui
disant de demander conseil sur cela à Notre-Seigneur. Et la voix me dit
que je réponde hardiment et que Dieu me conforterait.
JEAN BEAUPÈRE. - La voix vous a-t-elle dit quelques paroles avant d'être
requise par vous ?
JEANNE. - La voix me dit quelques paroles, mais je ne les compris toutes. Toutefois,
quand je fus éveillée du sommeil, la voix me dit de répondre
hardiment. (À l'évêque) Vous dites que vous êtes mon
juge. Avisez-vous de ce que vous faites, car, en vérité, je suis
envoyée de par Dieu, et vous vous mettez en grand danger.
JEAN BEAUPÈRE. - Cette voix a-t-elle quelquefois varié ses conseils
?
JEANNE. - Oncques ne l'ai trouvée en deux langages contraires. Cette
nuit, je l'ai entendue me dire de répondre hardiment.
JEAN BEAUPÈRE. - La voix vous a-t-elle ordonné de ne pas dire
tout ce qui vous serait demandé ?
JEANNE. - Je ne vous répondrai pas là-dessus. Et j'ai révélations
touchant le Roi que je ne vous dirai point.
JEAN BEAUPÈRE. - La voix vous a-t-elle défendu de dire révélations
?
JEANNE. - De cela, je n'ai pas été conseillée. Donnez-moi
délai de quinze jours, et je vous répondrai sur cela. Si la voix
me l'a défendu, que voulez-vous y redire ?
JEAN BEAUPERE. - Cela vous a-t-il été défendu par la voix
?
JEANNE. - Croyez que ce ne sont pas les hommes qui me l'ont défendu.
Aujourd'hui je ne répondrai pas, et je ne sais si je dois répondre
ou non jusqu'à ce que cela m'ait été révélé.
JEAN BEAUPÈRE. - La voix vient-elle de Dieu ?
JEANNE. - Je crois fermement, aussi fermement que je crois en la foi chrétienne
et que Dieu nous racheta des peines d'enfer, que cette voix vient de Dieu et
par son ordre.
JEAN BEAUPÈRE. - Cette voix, que vous dites vous apparaître, est-elle
un ange, ou vient-elle de Dieu immédiatement ? ou est-ce la voix d'un
saint ou d'une sainte ?
JEANNE. - Cette voix vient de par Dieu. Et je crois que je ne vous dit pas pleinement
ce que je sais. J'ai une plus grande peur de faillir, en disant quelque chose
qui déplaise à ces voix que je n'en ai de vous répondre.
Et quant à cette question, je vous prie de me donner un délai.
L'ÉVÊQUË. - Croyez-vous qu'il déplaise à Dieu
qu'on dise vérité?
JEANNE. - Les voix m'ont dit de dire certaines choses au Roi et non à
vous. Cette nuit même, la voix m'a dit moult de choses pour le bien de
mon Roi, que je voudrais qu'il sût dès maintenant, dussé-je
ne pas boire de vin jusqu'à Pâques. Car il en serait plus aise
à dîner.
JEAN BEAUPÈRE. - Ne pouvez-vous tant faire auprès de cette voix
qu'elle veuille obéir et porter cette nouvelle à votre Roi ?
JEANNE. - Je ne sais si la voix voudrait obéir, fors si c'était
la volonté de Dieu et si Dieu y consentait. Mais s'il plaisait à
Dieu, il pourrait bien faire révéler à mon Roi. Et de cela,
je serais bien contente.
JEAN BEAUPÈRE. - Pourquoi cette voix ne parle-t-elle pas avec votre Roi
comme elle faisait quand vous étiez en sa présence ?
JEANNE. - Je ne sais si c'est la volonté de Dieu. N'était la grâce
de Dieu, je ne saurais rien faire.
JEAN BEAUPÈRE. - Votre conseil vous a-t-il révélé
si vous échapperiez des prisons ?
JEANNE. - Cela, ai-je à vous le dire ?
JEAN BEAUPÈRE. - Cette nuit, la voix vous a-t-elle donné conseil
et avis sur ce que vous deviez répondre ?
JEANNE. - Si elle me l'a révélé, je n'ai pas bien compris.
JEAN BEAUPÈRE. - En ces deux derniers jours où vous avez entendu
les voix, est-il venu quelque clarté ?
JEANNE. - Au nom de la voix vient la clarté.
JEAN BEAUPÈRE. - Avec les voix, voyez-vous quelque chose autre ?
JEANNE. - Je ne vous dis pas tout, car je n'en ai congé, et aussi mon
serment ne touche pas à cela. La voix est bonne, et digne, et de cela
je ne suis pas tenue de vous répondre. Au surplus, donnez-moi par écrit
les points sur lesquels je ne réponds pas maintenant.
JEAN BEAUPÈRE. - Cette voix à laquelle vous demandez conseil,
a-t-elle la vue et les yeux ?
JEANNE. - Vous n'aurez pas encore cela. Le dicton des petits enfants est qu'on
pend bien aucunes fois les gens pour dire la vérité.
JEAN BEAUPÈRE. - Savez-vous si vous êtes en la grâce de Dieu?
JEANNE. - Si je n'y suis, Dieu m'y mette ; et si j'y suis, Dieu m'y tienne.
Je serais la plus dolente du monde si je savais n'être pas en la grâce
de Dieu. Et, si j'étais en péché, je crois que la voix
ne viendrait pas à moi. Et je voudrais que chacun l'entendît aussi
bien comme moi.
JEAN BEAUPÈRE. - Quel âge aviez-vous quand vous l'entendîtes
pour la première fois ?
JEANNE. - Je tiens que j'étais en l'âge de treize ans quand la
voix me vint la première fois.
JEAN BEAUPÈRE. - En votre jeunesse, alliez-vous vous ébattre avec
les autres jouvencelles aux champs ?
JEANNE. - J'y ai bien été quelques fois, mais ne sais en quel
âge.
JEAN BEAUPÈRE. - Ceux de Domremy tenaient-ils le parti des Bourguignons
ou le parti adverse ?
JEANNE. - Je ne connaissais qu'un Bourguignon, et j'eusse bien voulu qu'il eût
la tête coupée, voire s'il eût plu à Dieu !
JEAN BEAUPÈRE. - Au village de Maxey, étaient-ils Bourguignons
ou adversaires des Bourguignons ?
JEANNE. - Ils étaient Bourguignons.
JEAN BEAUPÈRE. - La voix vous a-t-elle dit en votre jeunesse de haïr
les Bourguignons ?
JEANNE. - Depuis que je compris que les voix étaient pour le roi de France,
je n'ai point aimé les Bourguignons. Les Bourguignons auront la guerre
s'ils ne font ce qu'ils doivent. Et je le sais par la voix.
JEAN BEAUPÈRE. - En votre jeune âge, avez-vous eu révélation
par la voix que les Anglais devaient venir en France ?
JEANNE. - Jà les Anglais étaient en France, quand les voix commencèrent
à me venir.
JEAN BEAUPÈRE. - Oncques fûtes-vous avec les petits enfants qui
se combattaient pour le parti que vous tenez ?
JEANNE. - Non, je n'en ai mémoire. Mais j'ai bien vu qu'aucuns de ceux
de la ville de Domremy s'étaient combattus contre ceux de Maxey, et en
revenaient quelques fois bien blessés et saignants.
JEAN BEAUPÈRE. - En votre jeune âge, aviez-vous grande intention
de persécuter les Bourguignons ?
JEANNE. - J'avais grande volonté et grand désir que le Roi eût
son royaume.
JEAN BEAUPÈRE. - Eussiez-vous bien voulu être homme quand vous
sûtes que vous deviez venir en France ?
JEANNE. - Ailleurs j'ai répondu à cela.
JEAN BEAUPÈRE. - Meniez-vous point les bêtes aux champs ?
JEANNE. - Ailleurs j'ai répondu à cela. Depuis que j'ai été
grande et que j'ai eu entendement, je n'avais pas coutume de garder les bêtes,
mais j'aidais bien à les conduire aux prés, en un château
nommé l'île, par crainte des gens d'armes. Mais je n'ai pas mémoire
si, dans mon jeune âge, je les gardais ou non.
JEAN BEAUPÈRE. - Avez-vous gardé mémoire de certain arbre
existant près de votre village ?
JEANNE. - Assez proche de Domremy, il y a certain arbre qui s'appelle l'arbre
des Dames, et d'autres l'appellent l'arbre des Fées. Auprès il
y a une fontaine. Et j'ai ouï dire que les gens malades de fièvre
boivent de cette fontaine ; et vont quérir de son eau pour recouvrer
la santé. Et cela, je l'ai vu moi-même : mais ne sais s'ils en
guérissent ou non. J'ai ouï dire que les malades, quand ils se peuvent
lever, vont à l'arbre pour s'ébattre. C'est un grand arbre, appelé
Fau, d'où vient le beau Mai. Il appartenait, à ce qu'on dit, à
monseigneur Pierre de Bourlemont, chevalier. Parfois j'allais m'ébattre
avec les autres filles, et faisais à cet arbre chapeaux de fleurs pour
l'image de Notre-Dame de Domremy. Plusieurs fois j'ai ouï dire des anciens,
non pas de mon lignage, que les dames fées y conversaient. Et j'ai ouï
dire à une femme, nommée Jeanne, femme du maire Aubery, de mon
pays, laquelle était ma marraine, qu'elle avait vu les dames fées.
Mais moi qui parle, ne sais si cela est vrai ou non. Je n'ai jamais vu fée
à l'arbre, que je sache
JEAN BEAUPÈRE. - En avez-vous vu ailleurs ?
JEANNE. - Je ne sais. J'ai vu mettre aux branches de l'arbre des chapeaux de
fleurs par les jouvencelles, et moi-même en ai mis quelquefois avec les
autres filles. Et parfois nous les emportions, et parfois nous les laissions.
Depuis que je sus que je devais venir en France, je fis peu de jeux ou ébattements
et le moins que je pus. Et je ne sais point si, depuis que j'eus entendement,
j'ai dansé près de l'arbre. Parfois j'y peux bien avoir dansé
avec les enfants ; mais j'y ai plus chanté que dansé.
JEAN BEAUPÈRE. - Avez-vous souvenir d'un bois qu'on nomme le bois Chesnu
?
JEANNE. - II y a un bois que l'on appelle le bois Chesnu, qu'on voit de l'huis
de mon père, et il n'y a pas la distance d'une demilieue. Je ne sais,
et je n'ai oncques ouï dire, si les dames fées y conversaient. Mais
j'ai ouï dire à mon frère qu'on disait au pays que j'avais
pris mon fait à l'arbre de mesdames les Fées. Mais ce n'était
point, et je lui ait dit le contraire. Quand je vins devant mon Roi, aucuns
demandaient si, en mon pays, il n'y avait point de bois qu'on appelât
le bois Chesnu. Car il y avait prophéties qui disaient que de devers
le bois Chesnu devait venir une Pucelle qui ferait merveilles. Mais en cela
je n'ai point ajouté foi.
JEAN BEAUPËRE. - Voulez-vous avoir habit de femme ?
JEANNE. - Baillez-m'en un, je le prendrai et m'en irai. Autrement, je ne le
prendrai pas, et suis contente de celui-ci, puisqu'il plaît à Dieu
que je le porte.
L'ÉVÊQUE. - Cela dit, nous faisons arrêter tout interrogatoire
pour ce jour.
IV
Le mardi 27 février, dans la même salle.
L'ÉVÊQUE. - Nous requérons Jeanne de prêter serment
de dire vérité sur ce qui touche le procès.
JEANNE. - Volontiers je jurerais de dire vérité sur ce qui touche
le procès, mais non pas sur tout ce que je sais.
L'ÉVÊQUE. - Nous vous requérons de jurer de répondre
vérité sur tout ce qui vous sera demandé.
JEANNE. - Volontiers je jurerais de dire vérité sur ce qui touche
le procès, mais non pas sur tout ce que je sais. Vous devez être
content : j'ai assez juré.
L'ÉVÊQUE. - Que maître Jean Beaupère interroge Jeanne.
JEAN BEAUPÈRE. - Comment vous êtes-vous portée depuis samedi
dernier ?
JEANNE. - Vous voyez bien comme je me suis portée. Je me suis portée
le mieux que j'ai pu.
JEAN BEAUPÈRE. - Jeûniez-vous tous les jours de ce carême
?
JEANNE. - Cela est-il de votre procès ?
JEAN BEAUPÈRE. - Oui, cela sert au procès.
JEANNE. - Oui, vraiment, j'ai toujours jeûné durant ce carême.,
JEAN BEAUPÈRE. - Depuis samedi, avez-vous ouï la voix qui vient
à vous ?
JEANNE. - Oui, vraiment, je l'ai ouïe beaucoup de fois.
JEAN BEAUPÈRE. - Ce samedi, l'avez-vous ouïe en cette salle où
on vous interrogeait ? .
JEANNE. - Ce n'est point de votre procès.
JEAN BEAUPÈRE. - Cela sert au procès.
JEANNE. - Oui, vraiment, je l'ai ouïe.
JEAN BEAUPÈRE. - Que vous a dit la voix samedi ?
JEANNE. - Je ne la comprenais pas bien, et ne comprenais chose que je vous puisse
répéter jusqu'au retour en ma chambre.
JEAN BEAUPÈRE. - Que vous a dit la voix quand vous fûtes retournée
en votre chambre ?
JEANNE. - Elle m'a dit que je vous répondisse hardiment. Je lui ai demandé
conseil sur les questions que vous me poseriez. Ce que j'aurai congé
de Notre-Seigneur de révéler, je le dirai volontiers. Mais ce
qui touche les révélations concernant le roi de France, je ne
le dirai pas sans congé de ma voix.
JEAN BEAUPÈRE. - La voix vous a-t-elle défendu de dire tout ?
JEANNE. - Je ne l'ai pas bien comprise.
JEAN BEAUPÈRE. - Que vous a dit la voix en dernier lieu ?
JEANNE. - Je lui ai demandé conseil sur aucunes choses qu'on m'avait
demandées.
JEAN BEAUPÈRE. - Vous a-t-elle donné conseil sur ces choses ?
JEANNE. - Sur aucuns points, j'ai eu conseil ; et sur aucuns on pourra me demander
réponse, sur quoi je ne répondrai pas sans congé. Et si
je répondais sans congé par aventure, je n'aurais pas les voix
"en garant". Quand j'aurai congé de Notre-Seigneur, je ne craindrai
pas de parler, car j'aurai un bon garant.
JEAN BEAUPÈRE. - Était-ce voix d'ange qui vous parlait, voix de
saint, de sainte, ou de Dieu sans intermédiaire ?
JEANNE. - C'est la voix de sainte Catherine et de sainte Marguerite. Et leurs
figures sont couronnées de belles couronnes moult richement et moult
précieusement. Et sur cela j'ai congé de Notre-Seigneur. Si sur
cela vous avez un doute, envoyez à Poitiers où autrefois j'ai
été interrogée.
JEAN BEAUPÈRE. - Comment savez-vous que ce sont ces deux saintes ? Les
connaissez-vous l'une d'avec l'autre ?
JEANNE. - Je sais bien que ce sont elles, et je les connais bien l'une de l'autre.
JEAN BEAUPÈRE. - Comment les connaissez vous l'une de l'autre ?
JEANNE. - Je les connais par le salut qu'elles me font. Il y a sept ans passés
qu'elles m'ont prise pour me gouverner. Je les connais parce qu'elles se nomment
à moi.
JEAN BEAUPÈRE. - Les deux saintes sont-elles vêtues d'un même
drap ?
JEANNE. - Je ne vous en dirai maintenant autre chose. Je n'ai pas congé
de vous le révéler. Et si vous ne me croyez, allez à Poitiers
! D'ailleurs il y a des révélations qui vont au roi de France
et non pas à ceux qui m'interrogent.
JEAN BEAUPÈRE. - Les saintes sont-elles du même âge ?
JEANNE. - Je n'ai pas congé de vous le dire.
JEAN BEAUPÈRE. - Parlent-elles ensemble ou l'une après l'autre
?
JEANNE. - Je n'ai pas congé de vous le dire, et toutefois j'ai tous les
jours conseil de toutes deux.
JEAN BEAUPÈRE. - Laquelle des deux apparut la première ?
JEANNE. - Je ne les ai pas connues si tôt. Je l'ai bien su aucunes fois,
mais je l'ai oublié. Si j'en ai congé, je vous le dirai volontiers.
Cela est mis en un registre à Poitiers. J'ai eu aussi confort de saint
Michel.
JEAN BEAUPÈRE. - Laquelle desdites apparitions vous vint la première
?
JEANNE. - Ce fut saint Michel.
JEAN BEAUPÈRE. - Y a-t-il beaucoup de temps passé depuis que vous
eûtes pour la première fois la voix de saint Michel ?
JEANNE. - Je ne vous nomme point la voix de saint Michel, mais vous parle du
grand confort.
JEAN BEAUPÈRE. - Quelle fut la première voix qui vint à
vous, quand vous étiez en l'âge de treize ans ou environ ?
JEANNE. - Ce fut saint Michel que je vis devant mes yeux, et il n'était
pas seul, mais était bien accompagné d'anges du ciel. Je ne vins
en France que du commandement de Dieu.
JEAN BEAUPÈRE. - Avez-vous vu saint Michel et les anges corporellement
et réellement ?
JEANNE. - Je les vis de mes yeux corporels, aussi bien que je vous vois. Et
quand ils se partaient de moi, je pleurais ; et j'eusse bien voulu qu'ils m'emportassent
avec eux.
JEAN BEAUPÈRE. - En quelle figure était saint Michel ?
JEANNE. - II n'y a pas encore de réponse pour vous là-dessus,
et je n'ai point encore congé de le dire.
JEAN BEAUPÈRE. - La première fois, que vous dit saint Michel ?
JEANNE. - Vous n'en aurez encore aujourd'hui réponse. Mes voix m'ont
dit de vous répondre hardiment. J'ai bien dit à mon Roi une fois
tout ce qui m'avait été révélé, car cela
le concernait. Mais je n'ai point congé de vous révéler
encore ce que saint Michel m'a dit. Je voudrais bien que vous qui m'interrogez
vous eussiez copie de ce livre qui est à Poitiers, pourvu qu'il plaise
à Dieu.
JEAN BEAUPÈRE. - Les voix vous ont-elles dit de ne point dire vos révélations
sans leur congé ?
JEANNE. - Encore ne vous en réponds point ; et sur ce dont j'aurai congé,
je répondrai volontiers. Si les voix me l'ont interdit, je ne l'ai pas
bien compris.
JEAN BEAUPÈRE. - Quel signe donnez-vous que vous ayez cette révélation
de par Dieu, et que ce soient saintes Catherine et Marguerite qui vous parlent
?
JEANNE. - Je vous l'ai assez dit que ce sont saintes Catherine et Marguerite
; et croyez-moi si vous voulez !
JEAN BEAUPÈRE. - Vous est-il défendu de le dire ?
JEANNE. - Je n'ai pas encore bien compris si cela m'est défendu ou non.
JEAN BEAUPÈRE. - Comment savez-vous faire la distinction que sur aucuns
points vous répondrez et sur aucuns autres non ?
JEANNE. - Sur aucuns points j'ai demandé congé de répondre,
et sur aucuns je l'ai. J'aimerais mieux être tirée à quatre
chevaux qu'être venue en France sans congé de Dieu.
JEAN BEAUPÈRE. - Dieu vous a-t-il prescrit de prendre habit d'homme ?
JEANNE. - L'habit, c'est peu, la moindre chose. Mais n'ai pris cet habit d'homme
par le conseil d'homme au monde. Je n'ai pris cet habit et n'ai rien fait, fors
par commandement de Dieu et de ses anges.
JEAN BEAUPÈRE. - Vous semble-t-il que ce commandement fait à vous
de prendre habit d'homme soit licite ?
JEANNE. - Tout ce que j'ai fait, est par le commandement du Seigneur. Et s'il
me prescrivait d'en prendre un autre, je le prendrais, puisque ce serait par
le commandement de Dieu.
JEAN BEAUPÈRE. - L'avez-vous fait par ordre de Robert de Baudricourt
?
JEANNE. - Non.
JEAN BEAUPÈRE. - Croyez-vous avoir bien fait en prenant habit d'homme
?
JEANNE. - Tout ce que j'ai fait par commandement du Seigneur, je crois l'avoir
bien fait, et j'en attends bon garant et bon secours.
JEAN BEAUPÈRE. - Mais dans ce cas particulier, en prenant habit d'homme,
croyez-vous avoir bien fait ?
JEANNE. - Rien au monde de ce que j'ai fait dans mes actions ne l'a été
fors par commandement de Dieu.
JEAN BEAUPÈRE. - Quand vous avez vu la voix qui venait à vous,
y avait-il de la lumière ?
JEANNE. - II y avait moult de lumière de toute part, et cela est convenable.
Toute lumière ne vient pas que pour vous.
JEAN BEAUPÈRE. - Y avait-il un ange sur la tête de votre Roi quand
vous le vites pour la première fois ?
JEANNE. - Par la Bienheureuse Marie ! s'il y était, je ne sais, et je
ne l'ai point vu.
JEAN BEAUPÈRE. - II y avait donc de la lumière ?
JEANNE. - II y avait plus de trois cents chevaliers, et cinquante torches, sans
compter la lumière spirituelle. Et rarement j'ai eu révélations
sans qu'il y ait lumière.
JEAN BEAUPÈRE. - De quelle façon votre Roi a-t-il ajouté
foi à vos dires.
JEANNE. - II avait de bons intersignes, et par les clercs.
JEAN BEAUPÈRE. - Quelles révélations eut votre Roi ?
JEANNE. - Vous ne les aurez pas encore de moi de cette année. Pendant
trois semaines, je fus interrogée par les clercs, à Chinon et
à Poitiers. Mon Roi eut un signe de mes faits, avant de vouloir croire
en moi. Et les clercs de mon parti furent de cette opinion qu'il n'y avait rien
que de bien en mon fait.
JEAN BEAUPÈRE. - Avez-vous été à Sainte-Catherine
de Fierbois ?
JEANNE. - Oui. Et là j'ouïs trois messes en un jour. Ensuite j'allai
à la ville de Chinon. J'envoyai une lettre à mon Roi disant que
j'envoyais pour savoir si j'entrerais dans la ville où était ledit
Roi ; que j'avais bien fait cent cinquante lieues pour venir vers lui, à
son secours, et que je savais moult de choses bonnes pour lui. Et il me semble
qu'en cette lettre il y avait contenu que je reconnaîtrais bien mon Roi
entre tous les autres.
JEAN BEAUPÈRE. - Aviez-vous une épée ?
JEANNE. - J'avais une épée que j'avais prise à Vaucouleurs.
JEAN BEAUPÈRE. - N'aviez-vous pas une autre épée ?
JEANNE. - Étant à Tours ou à Chinon, j'envoyai chercher
une épée étant dans l'église de Sainte-Catherine
de Fierbois, derrière l'autel. Et aussitôt après elle fut
trouvée, toute rouillée.
JEAN BEAUPÈRE. - Comment saviez-vous que cette épée était
là?
JEANNE. - Cette épée était dans la terre, rouillée,
et il y avait dessus cinq croix. Je sus qu'elle était là par mes
voix, et oncques n'avait vu l'homme qui alla quérir ladite épée.
J'écrivis aux gens d'église de ce lieu qu'il leur plaise me donner
cette épée. Et ils me l'envoyèrent. Elle n'était
que peu en terre derrière l'autel, comme il me semble. Toutefois, ne
sais au juste si elle était devant l'autel, ou derrière. Mais
je crois que j'ai écrit alors que ladite épée était
derrière l'autel. Sitôt que l'épée fut découverte,
les gens d'église du lieu la frottèrent, et aussitôt tomba
la rouille sans effort. Ce fut un marchand d'armes de Tours qui alla la quérir.
Les gens d'église du lieu me donnèrent un fourreau, et ceux de
Tours aussi, avec eux, firent faire deux fourreaux, un de velours vermeil et
l'autre de drap d'or. Quant à moi j'en ai fait faire un autre de cuir
bien fort. Lorsque je fus prise, je n'avais pas cette épée. Toutefois,
je l'ai continuellement portée, depuis que je l'eus, jusqu'à mon
départ de Saint-Denis, après l'assaut de Paris.
JEAN BEAUPÈRE. - Quelle bénédiction fîtes vous, ou
fîtes-vous faire sur cette épée ?
JEANNE. - Jamais n'y fis ni fis faire bénédiction quelconque,
ni ne l'aurais su faire. J'aimais bien cette épée, car on l'avait
trouvée dans l'église de la bienheureuse Catherine, que j'aimais
bien.
JEAN BEAUPÈRE. - Avez-vous été en la ville de Coulange-la-Vineuse
?
JEANNE. - Je ne sais.
JEAN BEAUPÈRE. - Avez-vous posé aucunes fois votre épée
sur l'autel, pour que, la posant ainsi, elle fût mieux fortunée
? JEANNE. - Non, que je sache.
JEAN BEAUPÈRE. - Oncques n'avez-vous fait oraison pour que votre épée
fut mieux fortunée ?
JEANNE. - II est bon à savoir que j'eusse voulu que mon harnais fût
bien fortuné.
JEAN BEAUPÈRE. - Aviez-vous votre épée quand vous fûtes
prise ?
JEANNE. - Non, j'avais certaine épée qui avait été
prise sur un Bourguignon.
JEAN BEAUPÈRE. - Où resta cette épée, et en quelle
ville ?
JEANNE. - J'offris une épée et des armes à Saint-Denis,
mais ce n'était pas cette épée. J'avais cette épée
à Lagny ; et depuis Lagny jusqu'à Compiègne j'ai porté
l'épée du Bourguignon, qui était bonne épée
de guerre, et bonne à donner de bonnes buffes et de bons torchons. Quant
à dire où j'ai perdu l'autre, cela ne touche pas au procès,
et je n'en répondrai pas pour l'instant. Mes frères ont mes biens,
mes chevaux, mon épée, à ce que je crois, et autres choses
valant plus de douze mille écus.
JEAN BEAUPÈRE. - Quand vous êtes allée à Orléans,
aviez-vous étendard ou bannière ? de quelle couleur ?
JEANNE. - J'avais étendard au champ semé de lis ; et y était
le monde figuré, et deux anges à ses côtés. Il était
de couleur blanche, de toile blanche ou boucassin. Il y avait écrit dessus
les noms JHESUS MARIA, comme il me semble. Et il était frangé
de soie.
JEAN BEAUPÈRE, - Les noms JHESUS MARIA étaient-ils écrits
en haut, en bas ou sur le côté ?
JEANNE. - Sur le côté, comme il me semble.
JEAN BEAUPÈRE. - Aimiez-vous mieux votre étendard ou votre épée
?
JEANNE. - J'aimais beaucoup plus, voire quarante fois, mon étendard que
mon épée.
JEAN BEAUPÈRE. - Qui vous fit faire cette peinture sur l'étendard
?
JEANNE. - Je vous l'ai assez dit, que je n'ai rien fait fors du commandement
de Dieu.
JEAN BEAUPÈRE. - Qui portait votre étendard ?
JEANNE. - Je portais moi-même l'étendard, quand on chargeait les
ennemis, pour éviter de tuer personne. Je n'ai jamais tué personne.
JEAN BEAUPÈRE. - Quelle compagnie vous donna votre Roi quand il vous
mit à l'œuvre ?
JEANNE. - II me bailla dix ou douze mille hommes, et d'abord j'allai à
Orléans, à la bastille de Saint-Loup, puis à la bastille
du Pont.
JEAN BEAUPÈRE. - Près de quelle bastille avez-vous fait retirer
vos hommes ?
JEANNE. - Je ne m'en souviens pas. J'étais bien sûre de lever le
siège d'Orléans, par révélation à moi faite.
Ainsi l'avais-je dit au Roi avant que d'y venir.
JEAN BEAUPÈRE. - Quand on dut faire l'assaut, n'avez-vous pas dit à
vos gens que vous recevriez vous-même sagettes, viretons, pierres lancées
par les machines ou canons ?
JEANNE. - Non. Même il y eut cent blessés et plus. Mais je dis
bien à mes gens qu'ils n'eussent pas de doute et qu'ils lèveraient
le siège. À l'assaut de la bastille du Pont, je fus blessée
d'une sagette ou vireton au cou. Mais j'eus grand confort de sainte Catherine,
et fus guérie en moins de quinze jours. Et ne laissai point pour cela
de chevaucher et de besogner.
JEAN BEAUPÈRE. - Aviez-vous prescience que vous seriez blessée
?
JEANNE. - Je le savais bien, et l'avais dit à mon Roi, mais que, nonobstant,
il ne laissât point de besogner. Cela m'avait été révélé
par les voix des deux saintes, savoir de la bienheureuse Catherine et de la
bienheureuse Marguerite. Je fus la première à poser l'échelle
en haut, dans ladite bastille du Pont. Et comme je levais cette échelle,
je fus blessée au cou par le vireton, comme je l'ai dit.
JEAN BEAUPÈRE. - Pourquoi n'avez-vous point traité avec le capitaine
de Jargeau ?
JEANNE. - Les seigneurs de mon parti répondirent aux Anglais qu'ils n'auraient
pas le délai de quinze jours qu'ils demandaient, mais qu'ils s'en allassent,
eux et leurs chevaux, sur l'heure. Pour moi, je dis qu'ils s'en iraient de Jargeau
en cottes et en chemises, la vie sauve, s'ils le voulaient. Autrement ils seraient
pris d'assaut.
JEAN BEAUPÈRE. - Eûtes-vous délibération avec votre
conseil, à savoir avec vos voix, pour savoir si vous donneriez ce délai
où non ?
JEANNE. - Je ne m'en souviens pas.
L'EVEQUE. - Cela dit, l'interrogatoire est renvoyé à plus tard,
et nous désignons jeudi prochain pour procéder aux interrogatoires
et examens suivants.
V
Le jeudi 1er mars, dans la même salle.
L'EVEQUE. - Nous sommons et requérons Jeanne de faire et de prêter
serment de dire vérité sur ce qu'on lui demandera, simplement
et absolument.
JEANNE. - Je suis prête à jurer de dire vérité sur
tout ce que je saurai touchant le procès, comme je l'ai déjà
dit. Je sais bien des choses qui ne touchent pas le procès, et il n'est
pas besoin de les dire. De tout ce que je saurai vraiment touchant le procès,
volontiers je parlerai.
L'EVEQUE. - À nouveau nous vous sommons et requérons de faire
et de prêter serment de dire vérité sur ce qu'on vous demandera,
simplement et absolument.
JEANNE. - Ce que je saurai répondre de vrai qui touche le procès,
volontiers je le dirai. Je le jure sur les saints Évangiles. (Elle jure.)
De ce que je saurai qui touche le procès, volontiers je dirai la vérité,
et je vous en dirai autant que je dirais si j'étais devant le pape de
Rome.
L'EVEQUE. - Que dites-vous de notre Sire le pape ? Lequel croyez-vous qui soit
le vrai pape ?
JEANNE. - Est-ce qu'il y en a deux ?
L'EVEQUE. - N'avez-vous pas reçu une lettre du comte d'Armagnac pour
savoir auquel des trois Souverains pontifes il fallait obéir ?
JEANNE. - Ledit comte m'écrivit certaine lettre sur ce fait, à
laquelle je donnai réponse, entre autres choses, que je lui donnerais
réponse quand je serais à Paris, ou ailleurs au repos. J'allais
monter à cheval quand je fis cette réponse.
L'EVEQUE. - Qu'on lise la copie des lettres dudit comte et de ladite Jeanne.
LETTRE DU COMTE D'ARMAGNAC
" Ma très chère Dame, je me recommande humblement à
vous, et vous supplie pour Dieu, que, attendu la division qui à présent
est en la sainte Eglise universelle, sur le fait des papes (car il y a trois
prétendants à la papauté : l'un demeure à Rome,
qui se fait appeler Martin quint, auquel tous les rois chrétiens obéissent
; l'autre demeure à Paniscole, au royaume de Valence, lequel se fait
appeler pape Clément huitième ; le tiers, on ne sait où
il demeure, sinon seulement le cardinal de Saint-Étienne et peu de gens
avec lui, lequel se fait nommer pape Benoît quatorzième ; le premier,
qui se dit pape Martin, fut élu à Constance par le consentement
de toutes les nations des chrétiens ; celui qui se fait appeler Clément
fut élu à Paniscole, après la mort du pape Benoît
treizième, par trois de ses cardinaux; le tiers qui se nomme pape Benoît
quatorzième, à Paniscole, fut élu secrètement par
le cardinal de Saint-Étienne même) veuillez supplier Notre-Seigneur
Jésus-Christ que, par sa miséricorde infinie, il nous veuille
par vous déclarer qui est, des trois dessus-dits, vrai pape, auquel il
lui plaira qu'on obéisse dorénavant : ou à celui qui se
dit Martin, ou à celui qui se dit Clément, ou à celui qui
se dit Benoît ; auquel nous devons croire, et si c 'est en secret, ou
sans aucune dissimulation, ou sans manifestation publique. Car nous serons tous
prêts défaire le vouloir et plaisir de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Le tout vôtre : Comte d'Armagnac. "
RÉPONSE DE JEANNE
" Comte d'Armagnac, mon très cher et bon ami, Jeanne la Pucelle
vous fait savoir que votre messager est venu par dévers moi, lequel m'a
dit que vous l'aviez envoyé pour savoir de moi auquel des trois papes,
que vous mandez par mémoire, vous devriez croire. De laquelle chose je
ne vous puis bonnement faire savoir au vrai pour le présent, jusque à
ce que je sois à Paris ou ailleurs, en repos ; car je suis en ce moment
trop empêchée au fait de la guerre.
Mais quand vous saurez que je serai à Paris, envoyez un messager par
dévers moi, et je vous ferai savoir tout au vrai auquel vous devrez croire,
et ce que j'en aurai su par le conseil de mon droiturier et souverain Seigneur,
le Roi de tout le Monde, et ce que vous en aurez à faire, à tout
mon pouvoir. À Dieu je vous recommande. Dieu soit garde de vous. Écrit
à Compiègne, le vingt-deuxième jour d'août. "
L'ÉVÊQUE. - Est-ce votre réponse que représente ladite
copie ?
JEANNE. - J'estime avoir fait cette réponse en partie, non en tout.
L'ÉVÊQUE. - Avez-vous dit savoir par le conseil du Roi des Rois
ce que le comte devait croire en cette matière ?
JEANNE. - Je n'en sais rien.
L'ÉVÊQUE. - Faisiez-vous doute à qui le comte devait obéir
?
JEANNE. - Je ne savais comment mander au comte à qui il devait obéir,
puisqu'il me demandait de chercher à savoir à qui Dieu voulait
qu'il obéît. Quant à moi, je crois que nous devons obéir
à notre Sire le pape qui est à Rome. Je dis aussi au messager
du comte autre chose qui n'est pas contenu dans la copie des lettres. Et si
ledit messager n'était pas parti aussitôt, on l'eût jeté
à l'eau, non toutefois par mon ordre. Sur ce que le comte me demandait
de savoir, à qui Dieu voulait qu'il obéît, je répondis
que je ne savais pas. Mais je lui mandai plusieurs choses qui ne furent pas
mises en écrit. Et quant à ce qui est de moi, je crois en notre
Sire le pape qui est à Rome.
L'ÉVÊQUE. - Pourquoi avez-vous écrit que vous donneriez
ailleurs réponse sur ce fait, puisque vous croyez en celui qui est à
Rome.
JEANNE. - La réponse par moi donnée fut sur d'autres matières
que sur le fait des trois Souverains pontifes.
L'ÉVÊQUE. - Avez-vous dit que, sur le fait des trois Souverains
pontifes, vous auriez conseil ?
JEANNE. - Jamais je n'écrivis ni fis écrire sur le fait des trois
Souverains pontifes. En nom Dieu, je jure que jamais je n'écrivis ni
fis écrire.
L'ÉVÊQUE. - Avez-vous accoutumé de mettre dans vos lettres
les noms JHESUS MARIA avec une croix ?
JEANNE. - Sur aucunes, je les mettais, et aucune fois non. Et aucune fois je
mettais une croix comme signe pour que celui de mon parti auquel j'écrivais
ne fît pas ce que je lui écrivais.
L'ÉVÊQUE. - Qu'on donne lecture à Jeanne de la lettre qu'elle
adressa au roi notre Sire, à monseigneur le duc de Bedford et autres.
LETTRE DE JEANNE
JHESUS MARIA
" Roi d'Angleterre, et vous, duc de Bedford, qui vous dites régent du royaume de France, vous, Guillaume de la Poule (William Pôle) ; comte de Suffolk ; Jean, sire de Talbot ; et vous Thomas, sire de Scales, qui vous dites lieutenant dudit duc de Bedford, faites raison au Roi du Ciel. Rendez à la Pucelle, qui est ici envoyée de par Dieu, le Roi du Ciel, les clefs de toutes les bonnes villes que vous avez prises et violées en France. Elle est ici venue de par Dieu pour proclamer le sang royal. Elle est toute prête de faire paix, si vous lui voulez faire raison, pourvu que France vous rendiez, et payiez pour l'avoir tenue. Et entre vous, archers, compagnons de guerre, gentils et autres qui êtes devant la ville d'Orléans, allez-vous-en en votre pays, de par Dieu. Et si ainsi ne le faites, attendez les nouvelles de la Pucelle, qui vous ira voir brièvement, à vos bien grands dommages. Roi d'Angleterre, si ainsi ne le faites, je suis chef de guerre, et en quelque lieu que j'atteindrai vos gens en France, je les en ferai en aller, qu'ils le veuillent ou ne le veuillent ; et s'ils ne veulent obéir, je les ferai tous occire. Je suis ici envoyée de par Dieu, le Roi du Ciel, corps pour corps, pour vous bouter hors de toute France. Et s'ils veulent obéir, je les prendrai à merci. Et n'ayez point d'autre opinion, car vous ne tiendrez point le royaume de France de Dieu, le Roi du Ciel, fils de sainte Marie ; mais le tiendra le Roi Charles, vrai héritier ; car Dieu, le Roi du Ciel le veut, et cela lui est révélé par la Pucelle, et il entrera à Paris à bonne compagnie. Si vous ne voulez croire les nouvelles, de par Dieu et la Pucelle, en quelque lieu que vous trouverons, nous frapperons dedans et ferons un si grand "hahay" qu'il y a bien mille ans qu'en France il n 'en fut un si grand, si vous ne faites raison. Et croyez fermement que le Roi du Ciel enverra plus de force à la Pucelle que vous ne lui en sauriez mener avec tous assauts, à elle et à ses bonnes gens d'armes ; et aux horions on verra qui aura meilleur droit de Dieu du Ciel. Vous, duc de Bedford, la Pucelle vous prie et vous requiert que vous ne fassiez plus détruire. Si vous lui faites raison, vous pourrez venir en sa compagnie, où les Français feront le plus beau fait qui oncques fut fait pour la chrétienté. Et faites réponse si vous voulez faire paix en la cité d'Orléans ; et si ainsi ne le faites, de vos biens grands dommages qu'il vous souvienne brièvement. Écrit le mardi, semaine sainte. "
L'ÉVÊQUE. - Reconnaissez-vous cette lettre ?
JEANNE. - Oui, excepté trois mots : à savoir là où
il est dit : Rendez à la Pucelle, où on doit mettre : Rendez au
Roi. Là où il est dit chef de guerre, et troisièmement,
où on a mis corps pour corps, il n'y a rien de cela dans la lettre que
j'ai envoyée. Jamais aucun seigneur n'a dicté cette lettre : mais
moi-même les ai dictées avant de les envoyer. Toutefois furent
bien montrées à certains de mon parti.
L'ÉVÊQUE. - Que pensez-vous qui doive arriver à ceux de
votre parti?
JEANNE. - Avant qu'il soit sept ans, les Anglais perdront plus grand gage qu'ils
ne firent devant Orléans, et ils perdront tout en France. Les Anglais
auront plus grande perte qu'oncques n'eurent en France, et ce sera par grande
victoire que Dieu enverra aux Français.
L'ÉVÊQUE. - Comment le savez-vous ?
JEANNE. - Je le sais bien par révélation qui fut faite, et que
cela arrivera avant sept ans ; et je serais bien courroucée que ce fût
autant différé. Je sais cela par révélation aussi
bien comme je vous sais devant moi.
L'ÉVÊQUE. - Quand cela arrivera-t-il ?
JEANNE. - Je ne sais le jour ni l'heure.
L'ÉVÊQUE. - Quelle année cela arrivera-t-il ?
JEANNE. - Vous n'aurez pas encore cela. Bien voudrais-je toutefois que ce fut
avant la Saint-Jean !
L'ÉVÊQUE. - Avez-vous dit que cela adviendrait avant la Saint-Martin
d'hiver ?
JEANNE. - J'ai dit qu'avant la Saint-Martin d'hiver on verrait bien des choses
; et ce pourrait être que ce soient les Anglais qui seront jetés
à terre.
L'ÉVÊQUE. - Qu'avez-vous dit à John Grey, votre garde, sur
la Saint-Martin ?
JEANNE. - Je vous l'ai dit.
L'ÉVÊQUE. - Par qui savez-vous que cela adviendra ?
JEANNE. - Je le sais par saintes Catherine et Marguerite.
L'ÉVÊQUE. - Saint Gabriel était-il avec saint Michel, quand
il vint à vous ? .
JEANNE. - II ne m'en souvient pas.
L'ÉVÊQUE- - Depuis mardi dernier passé, avez-vous parlé
avec saintes Catherine et Marguerite ?
JEANNE. - Oui, mais je ne sais l'heure. !
L'ÉVÊQUE. - Quel jour?
JEANNE. - Hier et aujourd'hui. Il n'est jour que je ne l'entende
L'ÉVÊQUE. - Les vîtes-vous toujours dans le même habit
?
JEANNE. - Je les vois toujours sous même forme ; et leurs figures sont
couronnées moult richement ; du reste, et leurs robes, je ne sais rien.
L'ÉVÊQUE. - Comment savez-vous que vos apparitions sont homme ou
femme ?
JEANNE. - Je le sais bien, et les reconnais à leurs voix, et parce qu'elles
me l'ont révélé ! Je ne sais rien que ce ne soit fait par
révélation et commandement de Dieu.
L'ÉVÊQUE. - Quelle figure y voyez-vous ?
JEANNE. - Je vois le visage.
L'ÉVÊQUE. - Les saintes qui vous apparaissent ont-elles des cheveux
?
JEANNE. - C'est bon à savoir.
L'ÉVÊQUE. - Y avait-il quelque chose entre leurs couronnes et leurs
cheveux ?
JEANNE.- Non.
L'ÉVÊQUE. - Leurs cheveux étaient-ils longs et pendants
?
JEANNE. - Je n'en sais rien. Et ne sais encore s'il y avait des bras, ou autres
membres figurés. Elles parlaient très bien et bellement, et je
les comprenais très bien.
L'ÉVÊQUE. - Comment parlaient-elles puisqu'elles n'avaient pas
de membres ?
JEANNE. - Je m'en rapporte à Dieu. Cette voix est belle, et douce, et
humble, et parle langage de France.
L'ÉVÊQUE. - Sainte Marguerite parle-t-elle langage d'Angleterre
?
JEANNE. - Comment parlerait-elle anglais puisqu'elle n'est pas du parti des
Anglais ?
L'ÉVÊQUE. - Sur leurs têtes, avec les couronnes, y avait-il
des anneaux d'or ou autrement ?
JEANNE. - Je n'en sais rien.
L'ÉVÊQUE. - Vous-même n'avez-vous pas certains anneaux ?
JEANNE. - Vous, évêque, vous en avez un à moi. Rendez-le
moi ! Les Bourguignons ont un autre anneau. Mais montrez-moi cet anneau, si
vous l'avez.
L'ÉVÊQUE. - Qui vous donna l'anneau qu'ont les Bourguignons ?
JEANNE. - Mon père, ou ma mère. Il me semble qu'il y avait écrit
les noms JHESUS MARIA ; je ne sais qui les fit écrire ; et il n'y avait
pas de pierre, à ce qu'il me semble. Et l'anneau me fut donné
en la ville de Domremy. Mon frère me donna un autre anneau que vous ayez,
et que je vous charge de le donner à l'église.
L'ÉVÊQUE. - N'avez-vous guéri personne avec l'un ou l'autre
de vos anneaux ?
JEANNE. - Jamais je n'ai guéri personne par le moyen desdits anneaux.
L'ÉVÊQUE. - Saintes Catherine et Marguerite ont-elles parlé
avec vous sous l'arbre dont il a été déjà fait mention
?
JEANNE. - Je n'en sais rien.
L'ÉVÊQUE. - Lesdites saintes vous ont-elles parlé à
la fontaine qui est proche de l'arbre ?
JEANNE. - Oui, et je les y ai entendues. Mais ce qu'elles me dirent alors, je
ne sais.
L'ÉVÊQUE. - Qu'est-ce que les saintes vous ont promis, soit là,
soit ailleurs ?
JEANNE. - Elles ne me firent nulle promesse, si ce n'est par congé de
Dieu.
L'ÉVÊQUE. - Quelles promesses vous ont-elles faites ?
JEANNE. - Ce n'est pas du tout de votre procès. Entre autres choses,
elles m'ont dit que mon Roi serait restitué en son royaume, que ses adversaires
le veuillent ou non. Elles me promirent aussi de me conduire en paradis, et
je les en ai bien requises.
L'ÉVÊQUE. - Eûtes-vous autre promesse ?
JEANNE. - J'ai une autre promesse, mais je ne la dirai pas, et elle ne touche
pas le procès. Avant trois mois je dirai autre promesse.
L'ÉVÊQUE. - Vos voix vous ont-elles dit qu'avant trois mois vous
seriez délivrée de prison ?
JEANNE. - Ce n'est pas de votre procès. Toutefois je ne sais quand je
serai délivrée. Ceux qui me veulent ôter de ce monde pourront
bien s'en aller avant moi.
L'ÉVÊQUE. - Votre conseil vous a-t-il dit que vous seriez délivrée
de la prison où vous étiez présentement ?
JEANNE. - Reparlez-m'en dans trois mois. Je vous en répondrai. Demandez
aux assesseurs, sur leur serment, si cela touche le procès.
LES ASSESSEURS, après délibération. - Cela touche le procès.
JEANNE. - Moi, je vous ai toujours bien dit que vous ne sauriez tout. Moi, il
faudra bien un jour que je sois délivrée. Et je veux avoir congé
de vous le dire : aussi je demande un délai.
L'ÉVÊQUE. - Les voix vous ont-elles défendu de dire vérité
?
JEANNE. - Voulez-vous que je vous dise ce qui ne va qu'au roi de France ? Il
y a moult de choses qui ne touchent pas le procès. Je sais bien que mon
Roi gagnera le royaume de France, et cela je le
sais bien comme je sais que vous êtes devant moi en juges. Je serais morte,
n'était la révélation qui me conforte chaque jour.
L'ÉVÊQUE. - Qu'avez-vous fait de votre mandragore ?
JEANNE. - Je n'ai point de mandragore, et oncques n'en eus. Mais j'ai ouï
dire que proche mon village, il y en a une, mais n'en ai jamais vu aucune. J'ai
ouï dire que c'est chose périlleuse et mauvaise à garder
; je ne sais toutefois à quoi cela sert.
L'ÉVÊQUE. - En quel lieu est la mandragore dont vous avez ouï
parler ?
JEANNE. - J'ai ouï dire qu'elle est en terre, proche l'arbre dont j'ai
parlé, mais ne sais le lieu. J'ai aussi ouï dire qu'au-dessus de
cette mandragore il y a un coudrier.
L'ÉVÊQUE. - À quoi avez-vous ouï dire que sert la mandragore?
JEANNE. - J'ai ouï dire qu'elle fait venir l'argent. Mais je n'en crois
rien. Mes voix ne m'en ont jamais rien dit.
L'ÉVÊQUE. - En quelle figure était saint Michel, quand il
vous apparut ?
JEANNE. - Je ne lui vis pas de couronne ; et de ses vêtements je ne sais
rien.
L'ÉVÊQUE. - Était-il nu ?
JEANNE. - Pensez-vous que Dieu n'ait de quoi le vêtir ?
L'ÉVÊQUE. - Avait-il des cheveux ?
JEANNE. - Pourquoi les lui aurait-on coupés ? Je n'ai pas vu le bienheureux
Michel depuis que j'ai quitté le château du Crotoy. Je ne le vois
pas bien souvent. Je ne sais pas s'il a des cheveux.
L'ÉVÊQUE. - Avait-il une balance ?
JEANNE. - Je n'en sais rien. J'ai grand' joie quand je le vois. Et m'est avis,
quand je le vois, que je ne suis pas en péché mortel. Sainte Catherine
et sainte Marguerite me font volontiers confesser à tour de rôle
et de fois à autre. Si je suis en péché mortel, je ne le
sais.
L'ÉVÊQUE. - Quand vous vous confessez, croyez-vous être en
péché mortel ?
JEANNE. - Je ne sais si j'y ai été, mais n'en crois pas avoir
fait les œuvres. Et jà ne plaise à Dieu que j'y fusse oncques,
et jà ne lui plaise que je fasse les œuvres ou que je les aie faites,
par quoi mon âme soit chargée de péché mortel !
L'ÉVÊQUE. - Quel signe avez-vous donné à votre Roi
pour lui montrer que vous veniez par Dieu ?
JEANNE. - Je vous ai toujours dit que vous ne le tirerez pas de ma bouche. Allez
lui demander !
L'ÉVÊQUE. - Avez-vous juré de ne pas révéler
ce qui vous serait demandé touchant le procès ?
JEANNE. - Je vous ai autrefois dit que je ne vous dirai pas ce qui touche et
ce qui va à notre Roi. Et sur ce qui va à notre Roi, je ne parlerai
pas.
L'ÉVÊQUE. - Ne savez-vous point le signe que vous avez donné
à votre Roi ?
JEANNE. - Vous ne le saurez pas de par moi. ; L'ÉVÊQUE. - Cela
touche le procès.
JEANNE. - J'ai promis de le tenir bien secret, et ne vous en dirai rien. Je
l'ai promis en tel lieu que je ne le vous puis dire sans me parjurer.
L'ÉVÊQUE. - À qui l'avez-vous promis ?
JEANNE. - À sainte Catherine et sainte Marguerite. Et ce fut montré
au Roi. Je l'ai promis aux deux saintes, sans qu'elles me requissent. Et je
le fis à ma propre requête, car trop de gens me l'eussent demandé,
si je ne l'eusse promis aux saintes.
L'ÉVÊQUE. - Quand vous avez montré le signe à votre
Roi, y avait-il autre personne en sa compagnie ?
JEANNE. - Je pense, il n'y avait autre personne que lui, bien que, assez près,
il y eût moult de gens.
L'ÉVÊQUE. - Avez-vous vu la couronne sur la tête de votre
Roi, quand vous lui avez montré le signe ?
JEANNE. - Je ne puis vous le dire sans me parjurer.
L'ÉVÊQUE. - Votre Roi avait-il une couronne quand il fut à
Reims ?
JEANNE. - À ce que je pense, mon Roi a pris en gré la couronne
qu'il trouva à Reims. Mais une bien plus riche lui fut apportée
plus tard. Il le fit pour hâter son fait, à la requête de
ceux de la ville de Reims, pour éviter la charge des gens d'armes. S'il
eût attendu, il eût été couronné en une plus
riche mille fois.
L'ÉVÊQUE. - Avez-vous vu cette couronne qui est plus riche ?
JEANNE. - Je ne le vous puis dire sans encourir parjure. Et si je ne l'ai vue,
j'ai ouï dire qu'elle est riche de cette sorte, et opulente.
L'ÉVÊQUE. - Cela dit, la séance est terminée pour
ce jour.
VI
Le samedi 3 mars, dans la même salle.
L'ÉVÊQUE. - Nous requérons Jeanne de jurer simplement et
absolument de dire vérité sur tout ce qui lui sera demandé.
JEANNE. - Ainsi que autrefois j'ai fait, je suis prête à jurer.
(Elle jure, les mains sur l'Évangile.)
L'ÉVÊQUE. - Vous ne nous avez pas parlé des corps et des
membres de sainte Catherine et sainte Marguerite ?
JEANNE. - Je vous en ai dit ce que je sais, et ne vous en répondrai autre
chose. J'ai vu saint Michel et les saintes aussi bien que je sais qu'ils sont
saint et saintes en paradis.
L'ÉVÊQUE. - Avez-vous vu autre chose que le visage ?
JEANNE. - Je vous en ai dit ce que je sais. Et plutôt que de dire tout
ce que je sais, j'aimerais mieux que vous me fissiez trancher le col. Tout ce
que je sais touchant le procès, je le dirais volontiers.
L'ÉVÊQUE. - Croyez-vous que saint Michel et saint Gabriel ont des
têtes naturelles ?
JEANNE. - Je les ai vus de mes yeux, et crois que ce sont eux, aussi fermement
que Dieu est.
L'ÉVÊQUE. - Croyez-vous que Dieu les forma en les mode et forme
où vous les avez vus ?
JEANNE. - Oui.
L'ÉVÊQUE. - Croyez-vous qu'en ces mode et forme Dieu les a créés
dès le principe ?
JEANNE. - Vous n'aurez autre chose pour le présent, fors ce que je vous
ai répondu.
L'ÉVÊQUE. - Avez-vous su par révélation que vous
vous échapperiez ?
JEANNE. - Cela ne touche point votre procès. Voulez-vous que je parle
contre moi ?
L'ÉVÊQUE. - Les voix vous en ont-elles dit quelque chose ?
JEANNE. - Cela n'est point de votre procès. Je m'en rapporte à
mon Seigneur. Et si tout vous concernait, je vous dirais tout. Par ma foi, je
ne sais le jour ni l'heure où je m'échapperai.
L'ÉVÊQUE. - Les voix vous en ont-elles dit quelque chose en général?
JEANNE. - Oui, vraiment, les voix m'ont dit que je serais délivrée,
mais je ne sais le jour ni l'heure, et qu'hardiment je fasse bon visage.
L'ÉVÊQUE. - Quand vous êtes venue pour la première
fois devers votre Roi, vous demanda-t-il si c'était par révélation
que vous aviez changé votre habit ?
JEANNE. - Je vous en ai répondu. Toutefois il ne me souvient si ce me
fut demandé. Et cela est en écrit à Poitiers.
L'ÉVÊQUE. - Vous souvient-il si les maîtres qui vous ont
examinée dans l'autre parti, les uns par un mois, les autres par trois
semaines, vous ont interrogée sur la mutation de votre habit ?
JEANNE. - Je ne m'en souviens. Toutefois ils me demandèrent où
j'avais pris tel habillement d'homme. Et je leur dis que je l'avais pris à
Vaucouleurs.
L'ÉVÊQUE. - Lesdits maîtres vous demandèrent-ils si
vous aviez pris cet habit suivant vos voix ?
JEANNE. - Je ne m'en souviens.
L'ÉVÊQUE. - Votre Reine ne vous a-t-elle pas interrogée
sur le changement de votre habit, quand vous l'avez visitée pour la première
fois ?
JEANNE. - Je ne m'en souviens.
L'ÉVÊQUE. - Votre Roi, votre Reine et d'autres de votre parti,
vous ont-ils point requise parfois de déposer habit d'homme ?
JEANNE. - Cela n'est point de votre procès.
L'ÉVÊQUE. - Au château de Beaurevoir, n'en avez-vous pas
été requise ?
JEANNE. - Oui, vraiment. Et répondis que je ne le déposerais point
sans le congé de Notre-Seigneur. Je vous dirai aussi que la demoiselle
de Luxembourg requit à monseigneur de Luxembourg que je fusse point livrée
aux Anglais.
L'ÉVÊQUE. - Ne vous offrit-on pas habit de femme à Beaurevoir
?
JEANNE. - La demoiselle de Luxembourg et la dame de Beaurevoir m'offrirent habit
de femme ou drap à le faire, et me requirent que je le portasse. Et je
répondis que je n'en avais pas le congé de Notre-Seigneur, et
qu'il n'en était pas encore temps.
L'ÉVÊQUE. - Messire Jean de Pressy et autres à Arras vous
offrirent-ils point habit de femme ?
JEANNE. - Lui et plusieurs autres m'ont plusieurs fois demandé de prendre
cet habit.
L'ÉVÊQUE. - Croyez-vous que vous eussiez délinqué
ou fait péché mortel de prendre habit de femme ?
JEANNE. - Je fais mieux d'obéir et servir mon souverain Seigneur, c'est
à savoir Dieu. Si j'eusse dû l'avoir fait, je l'eus plutôt
fait à la requête de ces deux dames que d'autres dames qui soient
en France, excepté ma Reine.
L'ÉVÊQUE. - Quand Dieu vous révéla de changer votre
habit, fût-ce par la voix de saint Michel, de sainte Catherine ou de sainte
Marguerite ?
JEANNE. - Vous n'en aurez maintenant autre chose.
L'ÉVÊQUE. - Quand votre Roi vous mit premièrement en œuvre
et que vous fîtes faire votre étendard, les gens d'armes et autres
gens de guerre firent-ils faire panonceaux à la manière du vôtre?
JEANNE. - II est bon à savoir que les seigneurs maintenaient leurs armes.
Certains compagnons de guerre en firent faire à leur plaisir, et les
autres non.
L'ÉVÊQUE. - De quelle manière les firent-ils faire ? Fût-ce
de toile ou de drap ?
JEANNE. - C'était de blancs satins, et il y avait en certains les fleurs
de lis. Je n'avais en ma compagnie que deux ou trois " lances ", mais
les compagnons de guerre aucunes fois en faisaient faire à la semblance
des miens, et ne faisaient cela que pour connaître mes hommes des autres.
L'ÉVÊQUE. - Les panonceaux étaient-ils souvent renouvelés
?
JEANNE. - Je ne sais. Quand les lances étaient rompues, on en faisait
de nouveaux.
L'ÉVÊQUE. - N'avez-vous pas dit que les panonceaux qui étaient
en semblance des vôtres étaient heureux ?
JEANNE. - Je leur disais bien aucunes fois : Entrez hardiment parmi les Anglais
! et moi-même j'y entrais.
JACQUES DE TOURAINE. - N'avez-vous point été en des lieux où
les Anglais eussent été tués ?
JEANNE. - En nom Dieu, si ! Comme vous parlez doucement ! Que ne partaient-ils
de France et n'allaient-ils en leur pays !
UN SEIGNEUR ANGLAIS. - Vraiment, c'est une bonne femme ! Que n'est-elle Anglaise
!
L'ÉVÊQUE. - Leur dites-vous qu'ils le portassent hardiment, et
qu'ils auraient bonheur ?
JEANNE. - Je leur dis bien ce qui était venu et qui adviendrait encore.
L'ÉVÊQUE. - Mettiez-vous ou faisiez-vous mettre eau bénite
sur les panonceaux, quand on les prenait nouveaux ?
JEANNE. - Je n'en sais rien. Et si ce a été fait, ce n'a pas été
de mon commandement.
L'ÉVÊQUE. - En avez-vous point vu jeter ?
JEANNE. - Cela n'est point de votre procès. Si j'en ai vu jeter, je ne
suis pas avisée maintenant d'en répondre.
L'ÉVÊQUE. - Les compagnons de guerre faisaient-ils point mettre
en leurs panonceaux JHESUS MARIA ?
JEANNE. - Par ma foi, je n'en sais rien.
L'ÉVÊQUE. - Avez-vous point tourné ou fait tourner toiles,
par manière de procession, autour d'un autel ou d'une église,
pour faire panonceaux ?
JEANNE. - Non, et n'en ai rien vu faire.
L'ÉVÊQUE. - Quand vous fûtes devant Jargeau, qu'était-ce
que vous portiez derrière votre heaume ? N'y avait-il pas aucune chose
ronde ?
JEANNE. - Par ma foi, il n'y avait rien.
L'ÉVÊQUE. - Connûtes-vous oncques frère Richard ?
JEANNE. - Je ne l'avais oncques vu quand je vins Troyes.
L'ÉVÊQUE. - Quel visage frère Richard vous fit ?
JEANNE. - Ceux de la ville de Troyes, comme je pense, l'envoyèrent devers
moi, disant qu'ils redoutaient que je ne fusse pas chose de par Dieu. Quand
il vint devers moi, en approchant, il faisait signe de la croix et jetait eau
bénite, et je lui dis : Approchez hardiment, je ne m'envolerai pas.
L'ÉVÊQUE. - Avez-vous point vu ou fait faire aucunes images ou
peintures de vous et à votre semblance ?
JEANNE. - Je vis à Arras une peinture en la main d'un Écossais,
et y avait la semblance de moi toute armée ; et je présentais
une lettre à mon Roi, et étais agenouillée d'un genou.
Oncques ne vis ni fis faire autre image ou peinture à ma semblance.
L'ÉVÊQUE. - Chez votre hôte, à Orléans, n'y
avait-il point un tableau, où il y avait trois femmes peintes, et écrit
: Justice, Paix, Union ?
JEANNE. - Je n'en sais rien.
L'ÉVÊQUE. - Ne savez-vous point que ceux de votre parti aient fait
faire service, messe, oraison pour vous ?
JEANNE. - Je n'en sais rien. S'ils ont fait faire service, ils ne l'ont point
fait par mon commandement. Et s'ils ont prié pour moi, m'est avis qu'ils
ne font point de mal.
L'ÉVÊQUE. - Ceux de votre parti croient-ils fermement que vous
soyez envoyée de par Dieu ?
JEANNE. - Ne sais s'ils le croient, et m'en attends à leur cœur
; mais s'ils ne le croient, pourtant je suis envoyée de par Dieu.
L'ÉVÊQUE. - Pensez-vous que, en croyant que vous êtes envoyée
de par Dieu, ils aient bonne croyance ?
JEANNE. - S'ils croient que je suis envoyée de par Dieu, ils ne sont
point abusés.
L'ÉVÊQUE. - Saviez-vous point le sentiment de ceux de votre parti
quand ils vous baisaient les pieds et les mains, et vos vêtements.
JEANNE. - Beaucoup de gens me voyaient volontiers, et ils baisaient mes vêtements
le moins que je pouvais. Mais venaient les pauvres gens volontiers à
moi, parce que je ne leur faisais point de déplaisir, mais les supportais
à mon pouvoir.
L'ÉVÊQUE. - Quelle révérence vous firent ceux de
Troyes à l'entrée?
JEANNE. - Ils ne m'en firent point. À mon avis, frère Richard
entra avec eux à Troyes. Mais je ne suis point souvenante si je le vis
à l'entrée.
L'ÉVÊQUE. - Ne fit-il point de sermon à l'entrée,
lors de votre venue ?
JEANNE. - Je ne m'y arrêtai guère, et n'y couchai oncques. Quant
au sermon, je n'en sais rien.
L'ÉVÊQUE. - Fûtes-vous beaucoup de jours à Reims ?
JEANNE. - Je crois que nous y fûmes quatre ou cinq jours.
L'ÉVÊQUE. - N'avez-vous point levé d'enfant aux fonts baptismaux
?
JEANNE. - À Troyes j'en levai un. Mais de Reims je n'en ai point de mémoire,
ni de Château-Thierry. J'en levai deux aussi à Saint-Denis. Et
volontiers mettais nom aux fils Charles, pour l'honneur de mon Roi, et aux filles
Jeanne. Et aucunes fois, selon ce que les mères voulaient.
L'ÉVÊQUE. - Les bonnes femmes de la ville touchaient-elles leurs
anneaux à l'anneau que vous portiez ?
JEANNE. - Maintes femmes ont touché à mes mains et à mes
anneaux, mais je ne sais point leur cœur et intention.
L'ÉVÊQUE. - Quels furent ceux de votre compagnie qui prirent papillons
en votre étendard devant Château-Thierry ?
JEANNE. - Ce ne fut oncques fait ou dit dans notre parti. Mais ceux du parti
de deçà l'ont fait, et ils l'ont inventé.
L'ÉVÊQUE. - Que fîtes-vous à Reims des gants avec
lesquels votre Roi fut sacré ?
JEANNE. - II y eut une livrée de gants pour bailler aux chevaliers et
nobles qui là étaient. Et il y en eut un qui perdit ses gants.
Mais je ne dis point que je les ferais retrouver.
L'ÉVÊQUE. - Qui portait votre étendard à Reims ?
JEANNE. - Mon étendard fut en l'église de Reims, et me semble
que mon étendard fut assez près de l'autel. Moi-même je
l'y tins un peu, et ne sais point que frère Richard le tint.
L'ÉVÊQUE. - Quand vous alliez par le pays, receviez-vous souvent
le sacrement de confession et de l'autel quand vous teniez es bonnes villes
?
JEANNE. - Oui, aucunes fois.
L'ÉVÊQUE. - Receviez-vous lesdits sacrements en habit d'homme ?
JEANNE. - Oui, mais n'ai point mémoire de les avoir reçus en armes.
L'ÉVÊQUE. - Pourquoi avez-vous pris la haquenée de l'évêque
de Senlis ?
JEANNE. - Elle fut achetée deux cents saluts. S'il les eut ou non, je
ne sais. Mais il en eut assignation, ou il en fut payé. D'ailleurs je
lui écrivis qu'il la aurait s'il voulait, et que je ne la voulais point,
et qu'elle ne valait rien pour souffrir peine.
L'ÉVÊQUE. - Quel âge avait l'enfant que vous avez visité
à Lagny?
JEANNE. - L'enfant avait trois jours. Il fut apporté à Lagny devant
l'image de Notre Dame. Et il me fut dit que les pucelles de la ville étaient
devant Notre Dame, et que je voulusse aller prier Dieu et Notre Dame qu'ils
lui veuillent donner vie. J'y allai, et priai avec les autres. Finalement il
apparut vie, et il bâilla trois fois, et puis fut baptisé, et aussitôt
mourut, et fut enterré en terre sainte. Or il y avait trois jours, comme
l'on disait, qu'en l'enfant la vie n'avait apparu, et il était noir comme
ma cotte. Mais quand il bâilla, la couleur lui commença à
revenir. Et j'étais avec les pucelles à genoux devant Notre Dame
à faire ma prière.
L'ÉVÊQUE. - Ne fut-il point dit dans la ville que vous aviez fait
cette résurrection, et que c'était à votre prière
? JEANNE. - Je ne m'en enquérais point.
L'ÉVÊQUE. - Connûtes-vous point Catherine de La Rochelle
? P avez-vous vue ?
JEANNE. - Oui, à Jargeau et à Monfaucon en Berry.
L'ÉVÊQUE. - Ne vous a-t-elle point montré une dame vêtue
de blanc, qu'elle disait qui lui apparaissait aucunes fois ?
JEANNE. - Non. L'ÉVÊQUE. - Que vous a dit cette Catherine ?
JEANNE. - Cette Catherine me dit que venait à elle cette dame blanche
vêtue de draps d'or, qui lui disait qu'elle allât par les bonnes
villes, et que le Roi lui baillât des hérauts et trompettes pour
faire crier que quiconque aurait or, argent ou trésor mussé, l'apportât
aussitôt ; et que ceux qui ne le feraient, et qui en auraient de mussés,
elle les connaîtrait bien et saurait trouver lesdits trésors ;
et ce serait pour payer mes gens d'armes. À quoi je répondis qu'elle
retournât à son mari, faire son ménage et nourrir ses enfants.
Et pour en savoir la certitude, j'en parlai à sainte Marguerite ou sainte
Catherine, qui me dirent que du fait de cette Catherine n'était que folie,
et que c'était tout néant. J'écrivis à mon Roi que
je lui dirais ce qu'il en devait faire ; et quand je vins à lui, je lui
dis que c'était folie et tout néant du fait de Catherine. Toutefois
frère Richard voulait qu'on la mît en œuvre. Et ont été
très mal contents de moi frère Richard et ladite Catherine.
L'ÉVÊQUE. - Avez-vous point parlé à Catherine de
La Rochelle du fait d'aller à La Charité ?
JEANNE. - Ladite Catherine ne me conseillait point d'y aller, disant qu'il faisait
trop froid et qu'elle n'irait pas. Elle voulait aller vers le duc de Bourgogne
pour faire paix, et je lui dis qu'il me semblait qu'on n'y trouverait point
de paix, si ce n'était par le bout de la lance. Je demandai à
Catherine si cette dame blanche qui lui apparaissait venait toutes les nuits,
et pour ce, je coucherais avec elle. Et j'y couchai, et veillai jusques à
minuit, et ne vis rien, et puis je m'endormis. Quand vint le matin, je demandai
si elle était venue : et elle me répondit qu'elle était
venue, et que je dormais et qu'elle n'avait pu m'éveiller. Alors je lui
demandai si elle ne viendrait point le lendemain, et elle me répondit
que oui. Pour laquelle chose, je dormis de jour, afin de pouvoir veiller la
nuit. Et je couchai la nuit suivante avec Catherine, et veillai toute la nuit.
Mais je ne vis rien, bien que souvent je lui demandasse si elle ne viendrait
point. Et Catherine me répondait : oui, tantôt.
L'ÉVÊQUE. - Que fîtes-vous sur les fossés de La Charité
?
JEANNE. - J'y fis faire un assaut. Mais je n'y jetai point et n'y fis point
jeter eau bénite par manière d'aspersion.
L'ÉVÊQUE. - Pourquoi n'y êtes-vous point entrée, puisque
vous aviez commandement de Dieu ?
JEANNE. - Qui vous a dit que j'avais commandement de Dieu d'y entrer ?
L'ÉVÊQUE. - N'en eûtes-vous point de conseil de votre voix
?
JEANNE. - Je m'en voulais venir en France. Mais les gens d'armes me dirent que
c'était le mieux d'aller devant La Charité premièrement.
L'ÉVÊQUE. - Avez-vous été longtemps dans la tour
de Beaurevoir ?
JEANNE. - J'y fus quatre mois environ. Quand je sus que les Anglais venaient
pour me prendre, je fus moult courroucée ; et toutefois mes voix me défendirent
plusieurs fois de sauter. Enfin, par terreur des Anglais, je sautai et me recommandai
à Dieu et à Notre Dame. Et quand j'eus sauté, la voix de
sainte Catherine me dit que je fisse bon visage et que je guérirais,
et que ceux de Compiègne auraient secours. Je priais toujours pour ceux
de Compiègne avec mon conseil.
L'ÉVÊQUE. - Que dîtes-vous, quand vous eûtes sauté
?
JEANNE. - Aucuns disaient que j'étais morte. Et sitôt qu'il apparut
aux Bourguignons que j'étais en vie, ils me dirent que j'avais sauté.
L'ÉVÊQUE. - N'avez-vous point dit que aimiez mieux mourir que d'être
entre la main des Anglais ?
JEANNE. - J'aimerais mieux rendre l'âme à Dieu que d'être
en la main des Anglais.
L'ÉVÊQUE. - Vous êtes-vous point courroucée, et avez-vous
point blasphémé le nom de Dieu ?
JEANNE. - Oncques je ne maugréai ni saint ni sainte, et je n'ai point
accoutumé de jurer.
L'ÉVÊQUE. - À propos de Soissons, parce que le capitaine
avait rendu la ville, n'avez-vous point renié Dieu que, si vous le teniez,
vous feriez trancher le capitaine en quatre pièces ?
JEANNE. - Oncques ne reniai saint ni sainte ; et ceux qui l'on dit ou rapporté
ont mal entendu.
L'ÉVÊQUE. - Qu'on reconduise Jeanne dans sa prison.
DEUXIÈME PARTIE
LES INTERROGATOIRES SECRETS
I
Après avoir extrait des interrogatoires précédents les
points sur lesquels Jeanne n 'avait pas répondu suffisamment, l'évêque
de Beauvais délégua maître Jean de La Fontaine, licencié
en droit canon, pour l'interroger, et fixa comme date le samedi 10 mars. Ce
jour-là, il se rendit dans la prison de Jeanne.
L'ÉVÊQUE. - Nous requérons Jeanne de faire et prêter
le serment de dire vérité sur ce qui lui sera demandé.
JEANNE. - Je vous promets que je dirai vérité de ce qui touchera
votre procès ; et plus vous me contraindrez à jurer, et plus tard
je vous la dirai.
JEAN DE LA FONTAINE. - Par le serment que vous avez fait, quand vous vîntes
dernièrement à Compiègne, de quel lieu étiez-vous
partie ?
JEANNE. - De Crépy-en-Valois.
LA FONTAINE. - Quand vous fûtes venue à Compiègne, fûtes-vous
plusieurs journées avant de faire aucune sortie.
JEANNE. - Je vins à heure secrète du matin, et entrai dans la
ville sans que mes ennemis le sussent guère, comme je pense ; et ce,
même jour, sur le soir, je fis la sortie où je fus prise.
LA FONTAINE. - À la sortie sonna-t-on les cloches ?
JEANNE. - Si on les sonna, ce ne fut point à mon commandement ou à
mon su. Je n'y pensais point. Et il ne me souvient pas si j'avais dit qu'on
les sonnât.
LA FONTAINE. - Fîtes-vous cette sortie du commandement de votre voix ?
JEANNE. - En la semaine de Pâques dernièrement passée, étant
sur les fossés de Melun, il me fut dit par mes voix, c'est à savoir
sainte Catherine et sainte Marguerite, que je serais prise avant qu'il fût
la Saint-Jean, et qu'ainsi fallait que fût fait ; et que je ne m'ébahisse
pas, et prisse tout en gré, et que Dieu m'aiderait.
LA FONTAINE. - Depuis ce lieu de Melun, ne vous fut-il point dit par vos dites
voix que vous seriez prise.
JEANNE. - Oui, par plusieurs fois, et comme tous les jours. Et à mes
voix je requérais, quand je serais prise, d'être bientôt
morte, sans long travail de prison. Et elles me dirent de prendre tout en gré,
et qu'ainsi il fallait faire. Mais ne me dirent point l'heure, et si je l'eusse
sue, je n'y fusse pas allée. J'avais plusieurs fois demandé à
savoir l'heure, mais elles ne me la dirent point.
LA FONTAINE. - Si vos voix vous eussent commandé de faire la sortie et
signifié que vous seriez prise, y fussiez-vous allée ?
JEANNE. - Si j'eusse su l'heure, et que je dusse être prise, je n'y fusse
point allée volontiers ; toutefois j'eusse fait leur commandement à
la fin, quelque chose qui me dût être venue.
LA FONTAINE. - Quand vous fîtes cette sortie de Compiègne, avez-vous
eu voix de partir et de faire cette sortie ?
JEANNE. - Ce jour, je ne sus point ma prise et je n'eus d'autre commandement
de sortir. Mais toujours il m'avait été dit qu'il fallait que
je fusse prisonnière.
LA FONTAINE. - A faire cette sortie, avez-vous passé par le pont?
JEANNE, - Je passai par le pont et par le boulevard, et allai avec la compagnie
des gens de mon parti sur les gens de monseigneur de Luxembourg, et les reboutai
par deux fois jusques au logis des Bourguignons, et à la tierce fois
jusques à mi-chemin. Et alors les Anglais, qui là étaient,
coupèrent les chemins à moi et à mes gens, entre moi et
le boulevard. Et pour cela, mes gens se retirèrent. Et moi, en me retirant
dans les champs de côté, vers la Picardie, près du boulevard,
je fus prise. Et était la rivière entre Compiègne et le
lieu où je fus prise, et n'y avait seulement, entre le lieu où
je fus prise et Compiègne, que la rivière, le boulevard et le
fossé dudit boulevard.
LA FONTAINE. - En l'étendard que vous portiez, est-ce que le monde est
peint, et deux anges, et cætera ?
JEANNE. - Oui. Oncques n'en eus qu'un.
La Fontaine - Quelle signifiance était-ce de peindre Dieu tenant le monde,
et deux anges ?
JEANNE. - Sainte Catherine et sainte Marguerite me dirent de prendre hardiment
cet étendard, et de le porter hardiment, et de faire mettre en peinture
là le Roi du Ciel. Je dis cela à mon Roi, mais bien contre mon
gré. Et de la signifiance je ne sais rien autre.
LA FONTAINE. - Aviez-vous point écu et armes ?
JEANNE. - Je n'en eus oncques point. Mais mon Roi donna à mes frères
des armes, c'est à savoir un écu d'azur, deux fleurs de lis d'or
et une épée au milieu. En cette ville, j'ai décrit ces
armes à un peintre, parce qu'il m'avait demandé quelles armes
j'avais. Elles furent données par mon Roi à mes frères,
à la plaisance d'eux, sans requête de moi, et sans révélation.
LA FONTAINE. - Aviez-vous un cheval, quand vous fûtes prise, coursier
ou haquenée ?
JEANNE. - J'étais à cheval, et c'était un demi-coursier,
celui sur qui j'étais quand je fus prise.
LA FONTAINE. - Qui vous avait donné ce cheval ?
JEANNE. - Mon Roi ou mes gens me le donnèrent sur l'argent du Roi ; et
j'avais cinq coursiers sur l'argent du Roi, sans les trottiers qui étaient
plus de sept.
LA FONTAINE. - Oncques avez-vous eu autres richesses de votre Roi que ces chevaux
?
JEANNE. - Je ne demandais rien à mon Roi, fors bonnes armes, bons chevaux,
et de l'argent à payer mes gens de mon hôtel.
LA FONTAINE. - Aviez-vous point de trésor ?
JEANNE. - Les dix ou douze mille que j'ai vaillants ne sont pas grand trésor
à mener la guerre, et c'est peu de chose. Lesquelles choses ont mes frères,
comme je pense. Ce que j'ai, c'est de l'argent propre à mon Roi.
LA FONTAINE. - Quel est le signe que vous avez donné à votre Roi
en venant vers lui.
JEANNE. - II est beau, et honoré, et bien croyable, et il est bon, et
le plus riche qu'il soit.
JEAN DE LA FONTAINE. - Pourquoi ne le voulez-vous aussi bien dire et montrer
comme vous avez voulu avoir le signe de Catherine de La Rochelle ?
JEANNE. - Si le signe de Catherine eût été aussi bien montré
comme a été le mien devant notables gens d'Église et autres,
archevêques et évêques, c'est à savoir devant l'archevêque
de Reims et autres évêques dont je ne sais le nom (et même
y était Charles de Bourbon, le sire de la Trémoïlle, le duc
d'Alençon et plusieurs autres chevaliers qui le virent et ouïrent
comme je vois ceux qui me parlent aujourd'hui), je n'eusse point demandé
à savoir le signe de Catherine. Et toutefois je savais d'avance par sainte
Catherine et sainte Marguerite que, du fait de ladite Catherine de La Rochelle,
c'était tout néant.
LA FONTAINE. - Est-ce que ce signe dure encore ?
JEANNE. - II est bon savoir, et qu'il durera jusques à mille ans, et
outre. Ledit signe est en trésor du Roi.
LA FONTAINE. - Est-ce or, argent, ou pierre précieuse, ou couronne ?
JEANNE. - Je ne vous en dirai autre chose, et ne saurait homme décrire
aussi riche chose comme est le signe. Et toutefois le signe qu'il vous faut,
c'est que Dieu me délivre de vos mains, et c'est le plus certain qu'il
vous sache envoyer ! Quand je dus partir pour aller à mon Roi, il me
fut dit par une voix : " Va hardiment, quand tu seras devers le Roi, il
aura bon signe de te recevoir et de te croire. "
LA FONTAINE. - Quand le signe vint à votre Roi, quelle révérence
lui fîtes-vous ? et vint-il de par Dieu ?
JEANNE. - Je remerciai Notre-Seigneur de ce qu'il me délivrait de la
peine qui me venait des clercs de mon parti qui arguaient contre moi, et je
m'agenouillai plusieurs fois. Un ange, de par Dieu et non de par autre, bailla
le signe à mon Roi, et j'en remerciai moult de fois Notre-Seigneur. Les
clercs de mon parti cessèrent de m'arguer quand ils eurent su ledit signe.
LA FONTAINE. - Est-ce que les gens d'Église de ce parti virent le signe
dessus dit ?
JEANNE. - Quand mon Roi et ceux qui étaient avec lui eurent vu ledit
signe, et même l'ange qui le bailla, je demandai à mon Roi s'il
était content : et il répondit que oui. Alors je partis et je
m'en allai en une petite chapelle assez près, et j'ouïs lors dire
qu'après mon départ, plus de trois cents personnes virent ledit
signe. Par l'amour de moi, et pour qu'ils cessassent de m'interroger, Dieu voulut
permettre que ceux de mon parti qui virent ledit signe le vissent.
LA FONTAINE. - Votre Roi et vous ne fîtes-vous point de révérence
à l'ange, quand il apporta le signe ?
JEANNE. - Pour moi, oui. Je m'agenouillai et ôtai mon chapeau.
II
Le lundi 12 mars, dans la prison de Jeanne.
L'ÉVÊQUE. - Nous requérons Jeanne de dire vérité
sur ce qu'on lui demandera.
JEANNE. - De ce qui touchera votre procès, comme autrefois vous ai dit,
je dirai volontiers vérité. Je le jure.
LA FONTAINE. - L'ange qui apporta au Roi le signe dont il a été
fait mention parla-t-il point ?
JEANNE. - Oui. Il dit à mon Roi qu'on me mît vite en besogne, et
que le pays serait bientôt allégé.
LA FONTAINE. - L'ange qui apporta ledit signe fut-il l'ange qui vous apparut
premièrement, ou un autre ?
JEANNE. - C'est toujours tout un, et oncques ne me faillit.
LA FONTAINE. - L'ange ne vous a-t-il point failli, quant aux biens de fortune,
lorsque vous avez été prise ?
JEANNE. - Je crois, puisqu'il plaît à Notre Sire, que c'est le
mieux que je sois prise.
LA FONTAINE. - Quant aux biens de grâce, l'ange ne vous a-t-il point failli
?
JEANNE. - Comment me faudrait-il, quand il me conforte tous les jours ? Et j'entends
que ce confort me vient de sainte Catherine et sainte Marguerite.
LA FONTAINE. - Ces saintes Catherine et Marguerite, les appelez-vous, ou viennent-elles
sans qu'on les appelle ?
JEANNE. - Elles viennent souvent sans appeler, et, d'autres fois, si elles ne
venaient bientôt, je requérais Notre-Seigneur de me les envoyer.
LA FONTAINE. - Les avez-vous quelques fois appelées sans qu'elles vinssent
?
JEANNE. - Oncques n'en eus besoin un peu sans les avoir.
LA FONTAINE. - Saint Denis vous a-t-il oncques apparu ?
JEANNE. - Non, que je sache.
LA FONTAINE. - Quand vous promîtes à Notre-Seigneur de garder votre
virginité, lui parliez-vous?
JEANNE. - II devait bien suffire de le promettre à celles qui étaient
envoyées de par lui, c'est à savoir sainte Catherine et sainte
Marguerite.
LA FONTAINE. - Qui vous poussa de faire citer un homme à Toul, en cause
de mariage ?
JEANNE - Je ne le fis pas citer, mais ce fut lui qui me fit citer. Et là
je jurai devant le juge de dire vérité. Enfin je ne lui avais
pas fait de promesse. La première fois que j'ouïs ma voix, je vouai
ma virginité pour la garder tant qu'il plairait à Dieu. Et j'étais
en l'âge de treize ans, ou environ. Mes voix m'assurèrent que je
gagnerais mon procès.
LA FONTAINE. - De ces visions, n'avez-vous point parlé à votre
curé ou autre homme d'Église ?
JEANNE. - Non, mais seulement à Robert de Baudricourt et à mon
Roi. Je ne fus pas contrainte de mes voix à les celer ; mais je redoutais
moult de les révéler, par crainte des Bourguignons et qu'ils n'empêchassent
mon voyage ; et, tout spécialement, je redoutais moult mon père
qu'il ne m'empêchât de faire mon voyage.
LA FONTAINE. - Croyiez-vous bien faire de partir sans le congé de père
ou mère, puisqu'on doit honorer père et mère ?
JEANNE. - En toutes autres choses, je leur ai bien obéi, excepté
en ce départ. Mais depuis, je leur en ai écrit, et ils m'ont pardonné.
LA FONTAINE. - Quand vous êtes partie de chez vos père et mère,
croyiez-vous point pécher ?
JEANNE. - Puisque Dieu le commandait, il le convenait faire. Puisque Dieu le
commandait, si j'avais eu cent pères et cent mères, et si j'eusse
été fille de roi, je serais partie.
LA FONTAINE. - Avez-vous demandé à vos voix si vous deviez dire
à votre père et à votre mère votre départ
?
JEANNE. - Quant à ce qui est de père et de mère, elles
étaient assez contentes que je le leur disse, n'eût été
la peine qu'ils m'eussent faite si je le leur avais dit. Quant à ce qui
est de moi, je ne le leur eusse dit pour chose quelconque. Mes voix s'en rapportaient
à moi de le dire à père ou mère ou de m'en taire.
LA FONTAINE. - Quand vous vîtes s leur faisiez-vous révérence
?
JEANNE. - Oui, et je baisais la terre après leur départ où
ils avaient reposé, en leur faisant révérence
LA FONTAINE. - Étaient-ils longuement avec vous ?
JEANNE. - Ils viennent beaucoup de fois entre les chrétiens, qu'on ne
les voit pas ; et je les ai beaucoup de fois vus entre les chrétiens.
LA FONTAINE. - De saint Michel ou de vos voix, n'avez-vous point de lettres
?
JEANNE. - Je n'en ai point de congé de vous le dire. Et d'ici à
huit jours, j'en répondrai volontiers ce que je saurai.
LA FONTAINE. - Vos voix vous ont-elles point appelée fille de Dieu, fille
de l'Église, la fille au grand cœur ?
JEANNE. - Avant le siège d'Orléans levé, et depuis, tous
les jours, quand elles me parlent, elles m'ont plusieurs fois appelée
Jeanne la Pucelle, fille de Dieu.
LA FONTAINE. - Puisque vous vous dites fille de Dieu, pourquoi ne dites-vous
pas Pater noster ?
JEANNE. - Je le dis volontiers. Et autrefois, quand je refusai de le dire, c'était
en intention que monseigneur de Beauvais me confessât.
III
Le même jour, lundi 12 mars dans l'après-midi.
LA FONTAINE. - On raconte que votre père eut des songes à votre
sujet avant votre départ.
JEANNE. - Quand j'étais encore avec mes père et mère, me
fut dit par plusieurs fois par ma mère que mon père disait qu'il
avait songé qu'avec les gens d'armes s'en irait Jeanne sa fille. Et en
avaient grand souci mes père et mère de me bien garder, et me
tenaient en grande sujétion. Et j'obéissais à tout, sinon
au procès de Toul, au cas de mariage. J'ai ouï dire à ma
mère que mon père disait à mes frères : " Si
je croyais que la chose advint que j'ai songée d'elle, je voudrais que
vous la noyassiez ; et si vous ne le faisiez, je la noierais moi-même.
" Et à peu qu'ils n'en perdirent le sens, quand je fus partie pour
aller à Vaucouleurs.
LA FONTAINE. - Ces pensées ou songes vinrent-ils à votre père
depuis que vous eûtes ces visions?
JEANNE. - Oui, plus de deux ans après que j'eus les premières
voix.
LA FONTAINE. - Fut-ce à la requête de Robert ou de vous que vous
prîtes habit d'homme ?
JEANNE. - Ce fut par moi, et non à la requête d'homme au monde.
LA FONTAINE. - La voix vous commanda-t-elle de prendre habit d'homme ?
JEANNE. - Tout ce que j'ai fait de bien, je l'ai fait par le commandement des
voix. Quant à cet habit, j'en répondrai une autre fois. Pour le
présent, je n'en suis point avisée. Mais demain j'en répondrai.
LA FONTAINE. - Prenant habit d'homme, pensiez-vous mal faire ?
JEANNE. - Non. Et encore de présent, si j'étais en l'autre parti
et en cet habit d'homme, il me semble que ce serait un des grands biens de France
de faire comme je faisais ayant ma prise.
LA FONTAINE. - Comment eussiez-vous délivré le duc d'Orléans
?
JEANNE. - J'eusse pris assez d'Anglais deçà la mer pour le ravoir
; et si je n'eusse pas fait assez de prise en deçà, j'eusse passé
la mer pour aller le quérir, par puissance, en Angleterre.
LA FONTAINE. - Sainte Marguerite et sainte Catherine vous avaient-elles dit
sans condition et absolument que vous prendriez gens suffisamment pour avoir
le duc d'Orléans qui était en Angleterre ?
JEANNE. - Oui, et je le dis à mon Roi, et qu'il me laissât faire
au sujet des seigneurs anglais qui étaient alors prisonniers. Si j'eusse
duré trois ans sans empêchement, j'eusse délivré
le duc.
LA FONTAINE. - Les saintes vous avaient-elles dit de passer la nier pour aller
le quérir et l'amener en trois ans ?
JEANNE. - II y avait terme plus bref que trois ans, et plus long que d'un an.
Mais je n'en ai pas, pour le présent, mémoire.
LA FONTAINE. - Quel est le signe baillé à votre Roi ?
JEANNE. - J'en aurai conseil de sainte Catherine.
IV
Le mardi 13 mars, l'évêque se rendit à la prison de Jeanne
avec cinq assesseurs, et frère Jean Le Maître, vicaire de l'Inquisiteur,
qui désormais allait diriger le procès avec lui.
JEAN DE LA FONTAINE. - Quel fut le signe baillé à votre Roi ?
JEANNE. - Seriez-vous contents que je me parjurasse ?
JEAN LE MAITRE. - Avez-vous juré et promis à sainte Catherine
de ne pas dire ce signe ?
JEANNE. - J'ai juré et promis de ne dire ce signe, et de moi-même,
pour ce qu'on me chargeait trop de le dire. Et adonc je me suis dit à
moi-même : je promets que je n'en parlerai plus à aucun homme.
Pourtant je dirai que le signe, ce fut que l'ange donnait certitude à
mon Roi en lui apportant la couronne, et en lui disant qu'il aurait tout le
royaume de France entièrement, à l'aide de Dieu et moyennant son
labeur ; et qu'il me mit en besogne, c'est à savoir qu'il me baillât
des gens d'armes, autrement il ne serait mie de sitôt couronné
et sacré.
LA FONTAINE. - Depuis hier avez-vous parlé à sainte Catherine
?
JEANNE. - Depuis je l'ai ouïe, et toutefois elle m'a dit plusieurs fois
que je réponde hardiment aux juges de ce qu'ils me demanderont touchant
mon procès.
LA FONTAINE. - En quelle manière l'ange apporta-t-il la couronne, et
la mit-il sur la tête de votre Roi ?
JEANNE. - Elle fut bien baillée à un archevêque que, c'est
à savoir celui de Reims, comme il me semble, en la présence du
Roi. Et ledit archevêque la reçut et la bailla au Roi. J'étais
moi-même présente. Elle fut mise en trésor du Roi.
LA FONTAINE. - En quel lieu fut-elle apportée ?
JEANNE. - Ce fut en la chambre du Roi au château de Chinon.
LA FONTAINE. - Quel jour et à quelle heure ?
JEANNE. - Du jour, je ne sais, et de l'heure, il était haute heure. Autrement
n'ai-je mémoire de l'heure. Et du mois, en mois d'avril ou de mars, comme
il me semble. Au mois d'avril prochain, ou en ce présent mois, il y aura
deux ans. C'était après Pâques.
LA FONTAINE. - La première journée que vous vîtes le signe,
votre Roi le vit-il ?
JEANNE. - Oui, et il l'eut lui-même.
LA FONTAINE. - De quelle matière était la couronne ?
JEANNE. - C'est bon à savoir qu'elle était de fin or, et était
si riche que je ne saurais en nombrer et apprécier la richesse. La couronne
signifiait qu'il tiendrait le royaume de France.
LA FONTAINE. - Y avait-il pierreries ?
JEANNE. - Je vous ai dit ce que j'en sais !
LA FONTAINE. - L'avez-vous maniée ou baisée ?
JEANNE. - Non.
LA FONTAINE - L'ange qui l'apporta venait-il de haut ou venait-il par terre
?
JEANNE. - II vint de haut. J'entends qu'il venait par le commandement de Notre-Seigneur.
Il entra par l'huis de la chambre.
LA FONTAINE. - Venait-il par terre et marchait-il depuis l'huis de la chambre
?
JEANNE. - Quand il vint devant le Roi, il fit révérence au Roi,
en s'inclinant devant lui, et prononçant les paroles que j'ai dites du
signe. Avec cela, l'ange remémorait au Roi la belle patience qu'il avait
eue dans les grandes tribulations qui lui étaient advenues. Depuis l'huis,
l'ange marchait et allait sur la terre, en venant au Roi.
LA FONTAINE. - Quel espace y avait-il de l'huis jusqu'au Roi.
JEANNE. - Comme je pense, il y avait bien l'espace de la longueur d'une lance.
Et par où il était venu, l'ange s'en retourna. Quand il vint,
je l'accompagnai, et allai avec lui par les degrés à la chambre
du Roi, et entra l'ange le premier, et puis, moi-même, je dis au Roi :
Sire, voilà votre signe, prenez-le.
LA FONTAINE. - En quel lieu l'ange vous apparut-il ?
JEANNE. - J'étais presque toujours en prière, afin que Dieu envoyât
le signe au Roi, et j'étais en mon logis, chez une bonne femme près
du château de Chinon, quand il vint. Et puis nous nous en allâmes
ensemble au Roi. Il était bien accompagné d'autres anges avec
lui, que chacun ne voyait pas. Ce n'eût été pour l'amour
de moi, et pour m'ôter hors de la peine des gens qui m'arguaient, je crois
bien que plusieurs gens qui virent l'ange ne l'eussent pas vu.
LA FONTAINE. - Tous ceux qui étaient là avec le Roi virent-ils
l'ange ?
JEANNE. - Je pense que l'archevêque de Reims, les seigneurs d'Alençon
et de la Trémoïlle, et Charles de Bourbon le virent. Quant à
ce qui est de la couronne, plusieurs gens d'église et autres la virent,
qui ne virent pas l'ange.
LA FONTAINE. - De quelle figure et quelle grandeur était ledit ange ?
JEANNE. - Je n'ai point songé de le dire, et demain j'en répondrai.
LA FONTAINE. - Ceux qui étaient en la compagnie de l'ange étaient-ils
tous d'une même figure ?
JEANNE. - Ils s'entre-ressemblaient volontiers pour aucuns, et les autres non,
en la manière que je les voyais. Les aucuns avaient des ailes, et il
en était de couronnés, et d'autres non. Étaient en leur
compagnie saintes Catherine et Marguerite, qui furent avec l'ange dessus dit,
et les autres anges aussi, jusque dedans la chambre du Roi.
LA FONTAINE. - Comment se départit l'ange de vous ?
JEANNE. - II se départit de moi en la petite chapelle. Et je fus bien
courroucée de son départ, et je pleurais. Je m'en fusse volontiers
allée avec lui, c'est à savoir mon âme.
LA FONTAINE. - Au départ de l'ange, demeurâtes-vous joyeuse, ou
effrayée, ou en grand'peur ?
JEANNE. - II ne me laissa point en peur ni effrayée. Mais j'étais
courroucée de son départ.
LA FONTAINE. - Fut-ce par le mérite de vous que Dieu envoya son ange
?
JEANNE. - II venait pour grande chose. Ce fut en espérance que le Roi
croirait ce signe, et qu'on cesserait de m'arguer, et pour donner secours aux
bonnes gens d'Orléans, et aussi pour le mérite du Roi et du bon
duc d'Orléans.
LA FONTAINE. - Pourquoi vous, plutôt qu'une autre ?
JEANNE. - II plut à Dieu ainsi faire par une simple pucelle, pour rebouter
les adversaires du Roi.
LA FONTAINE. - A-t-il été dit à vous où l'ange avait
pris cette couronne ?
JEANNE. - Elle a été apportée de par Dieu. Il n'y a orfèvre
au monde qui la sût faire si belle ou si riche. Où l'ange la prit,
je m'en rapporte à Dieu, et je ne sais point autrement où elle
fut prise.
LA FONTAINE. - Cette couronne fleurait-elle point bon et avait-elle bonne odeur
? Était-elle séduisante ?
JEANNE. - Je n'ai point mémoire de cela. Je m'en aviserai. Elle sent
bon et sentira, mais qu'elle soit bien gardée, ainsi qu'il convient.
LA FONTAINE. - Comment était-elle ?
JEANNE. - Elle était en manière de couronne.
LA FONTAINE. - L'ange vous a-t-il écrit des lettres ?
JEANNE. - Non.
LA FONTAINE. - Quel signe eurent le Roi, les gens qui étaient avec lui,
et vous, de croire que c'était un ange ?
JEANNE. - Le Roi le crut par l'enseignement des gens d'Église qui là
étaient, et par le signe de la couronne.
LA FONTAINE. - Comment les gens d'Église surent-ils que c'était
un ange ?
JEANNE. - Par leur science, et parce qu'ils étaient clercs.
LA FONTAINE. - Que savez-vous de certain prêtre concubinaire ?
JEANNE. - Je ne sais rien.
LA FONTAINE. - Et d'une tasse perdue que vous avez indiquée, à
ce qu'on dit ?
JEANNE. - De tout cela, je ne sais rien, ni oncques n'en ouïs parler.
LA FONTAINE. - Quand vous êtes allée devant Paris, avez-vous eu
révélation de vos voix d'y aller?
JEANNE. - Non. J'y allai à la requête des gentilshommes qui voulaient
faire une escarmouche ou une vaillance d'armes. Et j'avais bien l'intention
d'aller outre et de passer les fossés.
LA FONTAINE. - Avez-vous eu révélation d'aller devant La Charité
?
JEANNE. - Non, mais par la requête des gens d'armes ainsi comme autrefois
je l'ai dit.
LA FONTAINE. - Eûtes-vous point révélation d'aller au Pont-Levêque
?
JEANNE. - Depuis que j'eus révélation à Melun que je serais
prise, je m'en rapportai le plus du fait de la guerre à la volonté
des capitaines. Toutefois je ne leur disais point que j'avais révélation
d'être prise.
LA FONTAINE. - Fut-ce bien fait, au jour de la Nativité de Notre Dame,
alors qu'il était fête, d'aller assaillir Paris ?
JEANNE. - C'est bien fait de garder les fêtes de Notre Dame. En ma conscience
il me semble que c'était et serait bien fait de garder les fêtes
de Notre Dame, depuis un bout jusqu'à l'autre.
LA FONTAINE. - Ne dîtes-vous point devant la ville de Paris : " Rendez
la ville de par Jésus " ?
JEANNE. - Non, mais j'ai dit : Rendez-la au roi de France.
V
Le mercredi 14 mars.
LA FONTAINE. - Quelle fut la cause pour laquelle vous avez sauté de
la tour de Beaurevoir ?
JEANNE. - J'avais ouï dire que ceux de Compiègne, tous jusqu'à
l'âge de sept ans, devaient être mis à feu et à sang,
et j'aimais mieux mourir que vivre après une telle destruction de bonnes
gens. Ce fut l'une des causes. L'autre fut que je sus que j'étais vendue
aux Anglais, et j'eusse préféré mourir que d'être
entre la main des Anglais, mes adversaires.
LA FONTAINE. - Ce saut fut-il fait du conseil de vos voix ?
JEANNE. - Sainte Catherine me disait presque tous les jours de ne point sauter,
et que Dieu m'aiderait, et de même à ceux de Compiègne.
Et je lui dis que, puisque Dieu aiderait à ceux de Compiègne,
je voulais y être. Et sainte Catherine me dit: " Sans faute, il faut
que vous preniez en gré, et vous ne serez point délivrée
tant que vous n'aurez pas vu le roi des Anglais. " Et je répondais
: " Vraiment ! je ne le voudrais point voir : j'aimerais mieux mourir que
d'être en la main des Anglais ! ".
LA FONTAINE. - Avez-vous dit à sainte Catherine et sainte Marguerite
: " Laissera Dieu mourir si mauvaisement ces bonnes gens de Compiègne,
etc. ? "
JEANNE. - Je n'ai point dit : " si mauvaisement ", mais je leur dis
en cette manière : " Comment Dieu laissera-t-il mourir ces bonnes
gens de Compiègne, qui ont été et sont si loyaux envers
leur Seigneur ! " Quand je fus tombée, je fus deux ou trois jours
que je ne voulais pas manger. Et même aussi de ce saut je fus meurtrie
tant que je ne pouvais ni boire ni manger. Toutefois je fus réconfortée
de sainte Catherine, qui me dit de me confesser et de requérir merci
à Dieu pour avoir sauté, et que sans faute ceux de Compiègne
auraient secours avant la Saint-Martin d'hiver. Et adoncques je me pris à
revenir et commençai à manger, et je fus bientôt guérie.
LA FONTAINE. - Quand vous avez sauté, pensiez-vous vous tuer ?
JEANNE. - Non. Mais en sautant, je me recommandai à Dieu, et je croyais,
par le moyen de ce saut, m'échapper et m'évader sans Sire livrée
aux Anglais.
LA FONTAINE. - Quand la parole vous fut revenue, n'avez-vous point renié
et maugréé Dieu et ses saints, comme on le trouve dans l'information
?
JEANNE. - Je n'ai point de mémoire ni souvenance que j'aie renié
ou maugréé oncques Dieu ou ses saints, en ce lieu ou ailleurs.
Je ne m'en suis point confessée, car je n'ai point de mémoire
que je l'aie dit ou fait.
LA FONTAINE. - Voulez-vous vous en rapporter à l'information faite ou
à faire ?
JEANNE. - Je m'en rapporte à Dieu et non à autre, et à
bonne confession.
LA FONTAINE. - Vos voix vous demandent-elles délai pour répondre
?
JEANNE. - Sainte Catherine me répond quelquefois, et aucunes fois je
manque à la comprendre, à cause du trouble des prisons et par
les noises de mes gardes. Quand je fais requête à sainte Catherine,
alors elle et sainte Marguerite font requête à Notre-Seigneur,
et puis du commandement de Notre-Seigneur elles me donnent réponse.
LA FONTAINE. - Quand elles viennent, y a-t-il lumière avec elles ? Avez-vous
point vu de lumière, la fois où vous ouïtes la voix dans
ce château et où vous ne saviez si elle était dans votre
chambre ?
JEANNE. - II n'est jour qu'elles ne viennent en ce château, et elles ne
viennent point sans lumière. Pour cette fois, j'ouïs la voix, mais
n'ai point mémoire si je vis lumière, et aussi si je vis sainte
Catherine.
LA FONTAINE. - Qu'avez-vous demandé à vos voix ?
JEANNE. - J'ai demandé à mes voix trois choses : l'une, mon expédition
; l'autre, que Dieu aide aux Français, et garde bien les villes de leur
obéissance ; et l'autre, le salut de mon âme... En outre, je requiers,
s'il arrive que je sois menée à Paris, que j'aie le double de
mes interrogatoires et réponses, afin que je le baille, à ceux
de Paris, et leur puisse dire: "Voici comme j'ai été interrogée
à Rouen, et mes réponses ", et que je ne sois plus travaillée
de tant de demandes.
L'ÉVÊQUE. - Puisque vous avez dit que nous, évoque, nous
nous mettions en danger de vous mettre en cause, vous demandons ce que cela
veut dire, et en quel danger nous nous mettons, nous, évêque, et
les autres ?
JEANNE. - J'ai dit à monseigneur de Beauvais: " Vous dites que vous
êtes mon juge, je ne sais si vous l'êtes ; mais avisez-vous bien
que vous ne me jugiez mal, que vous vous mettriez en grand danger. Et je vous
en avertis, afin que, si Notre-Seigneur vous en châtie, j'aie fait mon
devoir de vous le dire. "
LA FONTAINE. - Quel est ce péril ou danger ?
JEANNE. - Sainte Catherine m'a dit que j'aurais secours, et je ne sais si ce
sera d'être délivrée de la prison ou si, quand je serai
au jugement, il viendra aucun trouble, par le moyen de quoi je pourrais être
délivrée. Je pense que ce sera l'un ou l'autre. Le plus souvent
me disent mes voix que je serai délivrée par grande victoire.
Et après me disent mes voix : " Prends tout en gré, ne te
chaille de ton martyre. Tu t'en viendras enfin au royaume de paradis. "
Et cela, me le disent mes voix simplement et absolument, c'est à savoir
sans faillir. J'appelle cela martyre pour la peine et adversité que je
souffre en la prison, et je ne sais si j'en souffrirai de plus grandes, mais
je m'en attends à Notre-Seigneur.
LA FONTAINE. - Depuis que vos voix vous ont dit que vous iriez en la fin au
royaume de paradis vous tenez-vous assurée d'être sauvée,
et de n'être point damnée en enfer ?
JEANNE. - Je crois fermement ce que mes voix m'ont dit, que je serais sauvée,
aussi fermement que si j'y étais déjà.
LA FONTAINE. - Cette réponse est de grand poids.
JEANNE. - Aussi, je la tiens pour un grand trésor.
LA FONTAINE. - Après cette révélation, croyez-vous que
vous ne puissiez faire péché mortel ?
JEANNE. - Je n'en sais rien, mais m'en attends du tout à Notre-Seigneur.
VI
Le même jour, dans l'après-midi.
LA FONTAINE. - Pensez-vous toujours être sûrement sauvée
?
JEANNE. - J'entendais dire ainsi : pourvu que je tienne le serment et promesse
que j'ai faits à Notre-Seigneur, c'est à savoir de bien garder
ma virginité, de corps et d'âme.
LA FONTAINE. - Vous est-il besoin de vous confesser, puisque vous croyez, à
la relation de vos voix, que vous serez sauvée ?
JEANNE. - Je ne sais point avoir péché mortellement. Mais si j'étais
en péché mortel, je pense que sainte Catherine et sainte Marguerite
me délaisseraient bientôt. Quant à votre demande, je crois
qu'on ne saurait trop nettoyer sa conscience.
LA FONTAINE. - Depuis que vous êtes en cette prison, n'avez-vous point
renié ou maugréé Dieu ?
JEANNE. - Non. Aucunes fois, quand je dis : Bon gré Dieu ! ou Saint Jean
! ou Notre Dame ! ceux qui peuvent avoir rapporté ont mal entendu.
LA FONTAINE. - N'est-ce point péché mortel de prendre un homme
à rançon, et de le faire mourir prisonnier ?
JEANNE. - Je ne l'ai point fait.
LA FONTAINE. - Et le nommé Franquet d'Arras, qu'on fit mourir à
Lagny ?
JEANNE. - Je fus consentante de le faire mourir, s'il l'avait mérité,
pour ce qu'il confessa être meurtrier, larron et traître. Son procès
dura quinze jours, et en furent juges le bailli de Senlis et ceux de la justice
de Lagny. Je requérais d'avoir Franquet pour échanger contre un
homme de Paris, seigneur de l'Ours. Quand je sus que le seigneur était
mort, et que le bailli me dit que je voulais faire grand tort à la justice
de délivrer ce Franquet, alors je dis au bailli : " Puisque mon
homme est mort, que je voulais avoir, faites de celui-ci ce que devez faire
par justice. "
LA FONTAINE. - Avez-vous baillé ou fait bailler l'argent pour celui qui
avait pris ledit Franquet ?
JEANNE. - Je ne suis pas monnayeur ou trésorier de France pour bailler
argent.
LA FONTAINE. - Nous vous rappelons que vous avez assailli Paris un jour de fête,
que vous avez eu le cheval de monseigneur de Senlis, que vous vous êtes
laissée choir de la tour de Beaurevoir, que vous portez habit d'homme,
que vous étiez consentante de la mort de Franquet d'Arras. En tout cela,
croyez-vous point avoir fait péché mortel ?
JEANNE. - En premier, sur Paris, je n'en crois pas être en péché
mortel. Si je l'ai fait, c'est à Dieu d'en connaître, et, en confession,
à Dieu et au prêtre. En second, sur le cheval de monseigneur de
Senlis, je crois fermement que je n'en ai point de péché mortel
envers Notre Sire, pour ce qu'il fut estimé à deux cents saluts
d'or, dont il eut assignation. Toutefois il fut renvoyé au seigneur de
la Trémoïlle pour le rendre à monseigneur de Senlis. Et ne
valait rien ledit cheval à chevaucher pour moi. Je ne l'ôtai pas
à l'évêque. D'autre part, je n'étais point contente
de le retenir, pour ce que j'ouïs dire que l'évêque était
mal content qu'on ait pris son cheval, et aussi pour ce qu'il ne valait rien
pour gens d'armes. En conclusion, s'il fut payé de l'assignation qui
lui fut faite, je ne sais, ni aussi s'il eut restitution de son cheval, et je
pense que non. En tiers pour la tour de Beaurevoir, je le faisais non pas en
espérance de me désespérer, mais en espérance de
sauver mon corps, et d'aller secourir plusieurs bonnes gens qui étaient
en nécessité. Après le saut, je m'en suis confessée,
et j'en ai requis à Notre-Seigneur, et j'en ai pardon de Notre-Seigneur.
Je crois que ce n'était pas bien fait de faire le saut, mais ce fut mal
fait. Je sais que j'en ai pardon par la relation de sainte Catherine, après
que je m'en fusse confessée : Je m'en confessai du conseil de sainte
Catherine.
LA FONTAINE. - En eûtes-vous grande pénitence ?
JEANNE. - Je portai une grande partie de cette pénitence du mal que je
me fis en tombant.
LA FONTAINE. - Ce mal-fait que vous fîtes en sautant, croyez-vous que
ce fut péché mortel ?
JEANNE. - Je n'en sais rien, mais m'en attends à Notre-Seigneur.
LA FONTAINE. - Et l'habit d'homme ?
JEANNE. - Puisque je le fais par le commandement de Notre Sire, et en son service,
je ne crois point mal faire. Et quand il lui plaira de le commander, il sera
aussitôt mis bas.
VII
Le jeudi 15 mars, au matin.
L'ÉVÊQUE. - Nous admonestons et requérons Jeanne par charitables
exhortations, si elle a fait quelque chose qui soit contre notre foi, de s'en
rapporter à la détermination de l'Église.
JEANNE. - Que mes réponses soient vues et examinées par les clercs
; et puis qu'on me dise s'il y a quelque chose qui soit contre la foi chrétienne.
Je saurai bien dire par mon conseil ce qu'il en sera, et puis je dirai ce que
j'en aurai trouvé par mon conseil. Toutefois, s'il y a rien de mal contre
la foi chrétienne que Notre Père a commandée, je ne le
voudrais soutenir, et serais bien courroucée d'aller
encontre.
L'ÉVÊQUE. - II faut distinguer entre l'Église triomphante
et l'Église militante, et voir ce qui est de l'une et de l'autre. De
présent, mettez-vous en la détermination de l'Église de
ce que vous avez fait ou dit, soit bien, soit mal ?
JEANNE. - Je ne vous en répondrai autre chose pour le présent.
LA FONTAINE. - Dites-nous, sous le serment que vous avez prêté,
comment vous avez cru vous échapper du château de Beaulieu, entre
deux pièces de bois.
JEANNE. - Je ne fus oncques prisonnière en un lieu que je m'en échappasse
volontiers. Étant dans ce château, j'eusse enfermé les gardes
dans la tour, n'eût été le portier qui me vit et me rencontra.
À ce qu'il me semble, il ne plaisait pas à Dieu que je m'échappasse
pour cette fois, et il fallait que je visse le roi des Anglais, comme mes voix
m'avaient dit, et comme dessus est écrit.
LA FONTAINE. - Avez-vous congé de Dieu ou de vos voix de partir de prison
toutes fois qu'il vous plaira ?
JEANNE. - Je l'ai demandé plusieurs fois, mais je ne l'ai pas encore.
LA FONTAINE. - De présent partiriez-vous si vous voyiez votre point de
partir ?
JEANNE. - Si je voyais l'huis ouvert, je m'en irais, et ce me serait le congé
de Notre-Seigneur. Je crois fermement, si je voyais l'huis ouvert, et que mes
gardes et les autres Anglais n'y sussent résister, que j'entendrais que
ce serait le congé, et que Notre-Seigneur m'enverrait secours. Mais sans
congé, je ne m'en irais pas, si ce n'était en faisant une entreprise
pour m'en aller, pour savoir si Notre Père en serait content, selon le
proverbe : Aide-toi, Dieu t'aidera. Je le dis, pour que, si je m'en vais, on
ne dise pas que je m'en suis allée sans congé.
LA FONTAINE. - Puisque vous demandez à ouïr messe, il semble que
ce serait le plus honnête que vous soyez en habit de femme. Lequel aimerez-vous
mieux ? prendre habit de femme et ouïr messe? ou demeurer en habit d'homme
et non ouïr messe ?
JEANNE. - Certifiez-moi d'ouïr messe, si je suis en habit de femme, et
sur ce je vous répondrai.
LA FONTAINE. - Et je vous certifie que vous orrez messe si vous êtes en
habit de femme.
JEANNE. - Et que dites-vous si j'ai juré et promis à notre Roi
de ne pas mettre bas cet habit ? Toutefois je vous réponds : Faites-moi
faire une robe longue jusques à terre, sans queue, et me la baillez pour
aller à la messe ; et puis, au retour, je reprendrai l'habit que j'ai.
LA FONTAINE. - Prendriez-vous une fois pour toutes l'habit de femmes pour aller
ouïr la messe ?
JEANNE. - Je me conseillerai sur cela, et puis vous répondrai. Je requiers,
en l'honneur de Dieu et Notre Dame, que je puisse ouïr messe en cette bonne
ville.
LA FONTAINE. - Prenez habit de femme simplement et absolument.
JEANNE. - Baillez-moi habit comme une fille de bourgeois, c'est à savoir
houppelande longue, et je le prendrai, et même le chaperon de femme, pour
aller ouïr la messe. Le plus instamment que je puis, je requiers qu'on
me laisse cet habit que je porte, et qu'on me laisse ouïr messe sans le
changer.
LA FONTAINE. - De ce que vous avez dit et fait, voulez-vous vous soumettre et
rapporter à la détermination de l'Église ?
JEANNE. - Toutes mes œuvres et mes faits sont en la main de Dieu, et je
m'en attends à lui. Et vous certifie que je ne voudrais rien faire ou
dire contre la foi chrétienne. Si j'avais rien fait ou dit, ou qu'il
fût sur mon corps quelque chose que les clercs sussent dire que c'est
contre la foi chrétienne, que Notre Père a établie, je
ne le voudrais pas soutenir, mais je le bouterais hors.
LA FONTAINE. - Ne vous en voulez-vous point soumettre à l'ordonnance
de l'Église ?
JEANNE. - Je ne vous en répondrai maintenant autre chose. Mais samedi
envoyez-moi le clerc, si vous ne voulez venir, et je lui répondrai sur
cela, avec l'aide de Dieu, et ce sera mis en écrit.
LA FONTAINE. - Quand viennent vos voix, leur faites-vous révérence
absolument comme à un saint ou une sainte ?
JEANNE. - Oui. Et si je l'ai pas fait parfois, je leur en ai crié merci
et pardon depuis. Je ne leur sais pas faire si grande révérence
qu'il leur convient. Car je crois fermement que ce sont saintes Catherine et
Marguerite. Et semblablement saint Michel.
LA FONTAINE. - Puisqu'aux saintes de paradis on fait volontiers oblation de
chandelles, etc., est-ce qu'à ces saints et saintes qui viennent à
vous, vous n'avez point fait oblation de chandelles ardentes, ou d'autres choses,
à l'église ou ailleurs, ou fait dire des messes ?
JEANNE. - Non, si ce n'est à l'offrande de la messe, en la main du prêtre,
en l'honneur de sainte Catherine. Je crois que c'est l'une de celles qui apparut
à moi. Je n'allume pas autant de chandelles que je le ferais volontiers,
pour saintes Catherine et Marguerite qui sont en paradis, et que je crois fermement
être celles qui viennent à moi.
LA FONTAINE. - Quand vous mettez des chandelles devant l'image de sainte Catherine,
les mettez-vous, les chandelles, en l'honneur de celle qui vous apparaît
?
JEANNE. - Je le fais en l'honneur de Dieu, de Notre Dame, et de sainte Catherine
qui est au ciel. Et je ne fais point de différence entre sainte Catherine
qui est au ciel, et celle qui m'apparaît.
LA FONTAINE. - Avez-vous toujours fait et accompli ce que vos voix vous commandent
?
JEANNE. - De tout mon pouvoir j'accomplis le commandement de Notre-Seigneur
à moi fait par mes voix, et selon ce que j'en sais entendre. Elles ne
me commandent rien sans le bon plaisir de Notre-Seigneur.
LA FONTAINE. - Au fait de la guerre, n'avez-vous rien fait sans le congé
de vos voix ?
JEANNE. - Vous en êtes tout répondus. Lisez bien votre livre, et
vous le trouverez ! Toutefois je dirai qu'à la requête des gens
d'armes fut faite une vaillance d'armes devant Paris, et aussi j'allai devant
La Charité à la requête de mon Roi, et ce ne fut ni contre
ni par le commandement de mes voix.
LA FONTAINE. - Fîtes-vous oncques aucunes choses contre leur commandement
et volonté ?
JEANNE. - Ce que j'ai pu et su faire, je l'ai fait et accompli à mon
pouvoir. Et quant à ce qui est du saut du donjon de Beaurevoir, que je
fis contre leur commandement, je ne m'en pus tenir. Quand elles virent sa nécessité,
et que je ne m'en savais ni pouvais tenir, elles me secoururent la vie, et me
gardèrent de me tuer. Quelque chose que je fis oncques en mes grandes
affaires, elles m'ont toujours secourue. Et c'est signe que ce sont bons esprits.
LA FONTAINE. - Avez-vous point d'autres signes que ce soient bons esprits ?
JEANNE. - Saint Michel me le certifia, avant que les voix me vinssent.
LA FONTAINE. - Comment connûtes-vous que c'était saint Michel ?
JEANNE. - Par le parler et langage d'anges. Et je le crois fermement, que c'étaient
des anges !
LA FONTAINE. - Comment connûtes-vous que c'était langage d'anges
?
JEANNE. - Je le crus assez tôt, et j'eus cette volonté de le croire.
Saint Michel, quand il vint à moi, me dit que saintes Catherine et Marguerite
viendraient à moi, et que j'agisse suivant leur conseil, qu'elles étaient
ordonnées pour me conduire et conseiller en ce que j'avais à faire,
et que je les crusse de ce qu'elles me disaient, et que c'était par le
commandement de Notre-Seigneur.
LA FONTAINE. - Si l'Ennemi se mettait en forme ou signe d'ange, comment connaîtriez-vous
si c'est bon ange ou mauvais ange ?
JEANNE. - Je reconnaîtrais bien si ce serait saint Michel ou une chose
contrefaite comme lui. La première fois, j'eus grand doute si c'était
saint Michel. Et à la première fois j'eus grand'peur. Je le vis
maintes fois avant de savoir que c'était saint Michel.
LA FONTAINE. - Pourquoi reconnûtes-vous plutôt que c'était
saint Michel, cette fois où vous avez cru que c'était lui, que
la fois première ?
JEANNE. - La première fois, j'étais jeune enfant et j'eus peur
de cela. Depuis, saint Michel m'enseigna tant de choses que je crus fermement
que c'était lui.
LA FONTAINE. - Quelle doctrine il vous enseigna ?
JEANNE. - Sur toutes choses, il me disait que je fusse bonne enfant, et que
Dieu m'aiderait, et, entre les autres choses, que je vinsse au secours du roi
de France. Et une plus grande partie de ce que l'ange m'enseigna est en ce livre.
Et me racontait l'ange la pitié qui était au royaume de France.
LA FONTAINE. - Quelle était la grandeur et stature de cet ange ?
JEANNE. - Samedi j'en répondrai avec l'autre chose dont je dois répondre,
- à savoir ce qu'il en plaira à Dieu.
LA FONTAINE. - Croyez-vous point grand péché de courroucer sainte
Catherine et sainte Marguerite qui vous apparaissent, et de faire contre leur
commandement ?
JEANNE. - Oui. Mais je sais l'amender. Le plus que je les courrouçai
oncques, à mon avis, ce fut au saut de Beaurevoir, dont je leur ai crié
merci, ainsi que des autres offenses que je peux avoir faites envers elles.
LA FONTAINE. - Sainte Catherine et sainte Marguerite prendront-elles vengeance
corporelle pour l'offense ?
JEANNE. - Je ne sais, et je ne leur ai point demandé.
LA FONTAINE. - Vous nous avez dit jadis que, pour dire vérité,
aucunes fois on est pendu. Savez-vous en vous quelque crime ou faute, pour quoi
vous puissiez ou deviez mourir, si vous le confessiez?
JEANNE. - Non.
VIII
Le samedi 17 mars.
L'ÉVÊQUE. - Nous requérons Jeanne de prêter serment.
JEANNE. - Je jure.
LA FONTAINE. - En quelle forme et espèce, grandeur et habit vient saint
Michel ?
JEANNE. - II était en la forme d'un très vrai prud'homme. De l'habit
et d'autres choses, je n'en dirai plus autre chose. Quant aux anges, je les
ai vus, de mes yeux, et on n'en aura plus autre chose de moi. Je crois aussi
fermement les dits et les faits de saint Michel qui m'est apparu, comme je crois
que Notre-Seigneur Jésus-Christ souffrit mort et passion pour nous. Et
ce qui me met à le croire, c'est le bon conseil, confort et bonne doctrine
qu'il m'a faits et dits.
LA FONTAINE. - Voulez-vous vous mettre de tous vos dits et faits, soit de bien
soit de mal, en la détermination de notre mère sainte Église
?
JEANNE. - Quant à l'Église, je l'aime et la voudrais soutenir
de tout mon pouvoir pour notre foi chrétienne, et ce n'est pas moi qu'on
devrait détourner ou empêcher d'aller à l'église
ni d'ouïr la messe. Quant aux bonnes œuvres que j'ai faites et à
ma venue, il faut que je m'en attende au Roi du Ciel, qui m'a envoyée
à Charles fils de Charles, roi de France, qui sera roi de France. Et
vous verrez que les Français gagneront bientôt une grande besogne
que Dieu enverra aux Français, et tant qu'il ébranlera presque
tout le royaume de France. Je le dis afin que, quand ce sera advenu, on ait
mémoire que je l'ai dit.
LA FONTAINE. - Dites-nous le terme.
JEANNE. - Je m'en attends à Notre-Seigneur.
LA FONTAINE. - Dites-nous si vous vous en rapporterez à la détermination
de l'Église ?
JEANNE. - Je m'en rapporte à Notre-Seigneur qui m'a envoyée, à
Notre Dame et à tous les benoîts saints et saintes de paradis.
Et m'est avis que c'est tout un de Notre-Seigneur et de l'Église, et
qu'on n'en doit point faire de difficulté. Pourquoi fait-on difficulté
que ce soit tout un ?
LA FONTAINE. - II y a l'Église triomphante, où sont Dieu, les
saints, les anges et les âmes sauvées. L'Église militante,
c'est notre saint-père le pape, vicaire de Dieu en terre, les cardinaux,
les prélats de l'Eglise et le clergé, et tous bons chrétiens
et catholiques. Laquelle Église bien assemblée ne peut errer,
et est gouvernée du Saint-Esprit. Voulez-vous vous en rapporter à
l'Église militante, c'est à savoir celle qui est ainsi déclarée
?
JEANNE. - Je suis venue au roi de France de par Dieu, de par la Vierge Marie
et tous les benoîts saints et saintes de paradis, et l'Église victorieuse
de là-haut, et de leur commandement. Et à cette Église-là
je soumets tous mes bons faits, et tout ce que j'ai fait ou à faire.
LA FONTAINE. - Vous soumettez-vous à l'Église militante ?
JEANNE. - Je n'en répondrai maintenant autre chose.
LA FONTAINE. - Que dites-vous de l'habit de femme qu'on vous offre, afin que
vous puissiez aller ouïr messe ?
JEANNE. - Quant à l'habit de femme, je ne le prendrai pas encore, tant
qu'il plaira à Notre-Seigneur. Et si ainsi est qu'il me faille mener
jusque en jugement, qu'il me faille dévêtir en jugement, je requiers
aux seigneurs de l'Église qu'ils me donnent la grâce d'avoir une
chemise de femme et un couvre-chef en ma tête. J'aime mieux mourir que
de révoquer ce que Notre-Seigneur m'a fait faire, et je crois fermement
que Notre-Seigneur ne laissera jà advenir que je sois mise si bas, sans
avoir secours bientôt de Dieu et par miracle.
LA FONTAINE. - Puisque vous dites que vous portez habit d'homme par le commandement
de Dieu, pourquoi demandez-vous chemise de femme en article de mort ?
JEANNE. - II me suffit qu'elle soit longue.
LA FONTAINE. - Votre marraine qui a vu les fées, est-elle réputée
sage femme ?
JEANNE. - Elle est tenue et réputée bonne prude femme, non pas
devine ou sorcière.
LA FONTAINE. - Vous avez dit que vous prendriez habit de femme si on vous laissait
aller, et s'il plaisait à Dieu ?
JEANNE. - Si on me donnait congé en habit de femme, je me mettrais bientôt
en habit d'homme, et ferais ce qui m'est commandé par Notre-Seigneur.
Ainsi j'ai autrefois répondu : et je ne ferais pour rien le serment de
ne pas m'armer et ne pas me mettre en habit d'homme, de façon à
faire le plaisir de Notre-Seigneur.
LA FONTAINE. - Parlez-nous de l'âge et des vêtements de saintes
Catherine et Marguerite.
JEANNE. - Vous êtes répondus de ce que vous en aurez de moi. Et
vous n'en aurez autre chose. Et je vous en ai répondu tout au plus certain
ce que je sais.
LA FONTAINE. - Avant aujourd'hui, croyiez-vous que les fées fussent mauvais
esprits ?
JEANNE. - Je n'en savais rien.
LA FONTAINE. - Savez-vous si saintes Catherine et Marguerite haïssent les
Anglais ?
JEANNE. - Elles aiment ce que Notre-Seigneur aime et haïssent ce que Dieu
hait.
LA FONTAINE. - Dieu hait-il les Anglais ?
JEANNE. - De l'amour ou haine que Dieu a pour les Anglais, ou de ce que Dieu
fera à leurs âmes, je ne sais rien. Mais je sais qu'ils seront
boutés hors de France, excepté ceux qui y mourront ; et que Dieu
enverra victoire aux Français, et contre les Anglais.
LA FONTAINE. - Dieu était-il pour les Anglais quand ils étaient
en prospérité en France ?
JEANNE. - Je ne sais si Dieu haïssait les Français. Mais je crois
qu'il voulait permettre de les laisser battre pour leurs péchés,
s'ils péchaient.
LA FONTAINE. - Quel garant et quel secours vous attendez-vous à avoir
de Notre-Seigneur pour porter habit d'homme ?
JEANNE. - Tant de l'habit que d'autres choses que j'ai faites, je n'en ai voulu
avoir autre loyer, sinon le salut de mon âme.
LA FONTAINE. - Quelles armes offrîtes-vous en l'église de Saint-Denis
en France ?
JEANNE. - Un blanc harnais entier pour homme d'armes, avec une épée.
Je l'ai gagnée devant Paris.
LA FONTAINE. - À quelle fin les offrîtes-vous ?
JEANNE. - Ce fut par dévotion, ainsi qu'il est accoutumé par les
gens d'armes, quand ils sont blessés. Et pour ce que j'avais été
blessée devant Paris, je les offris à Saint-Denis, pour ce que
c'est le cri de France.
LA FONTAINE. - Était-ce pour qu'on les adorât ?
JEANNE. - Non.
LA FONTAINE. - De quoi servaient ces cinq croix qui étaient en l'épée
trouvée à Sainte-Catherine de Fierbois ?
JEANNE. - Je n'en sais rien.
LA FONTAINE. - Qui vous poussa à faire peindre anges, avec bras, pieds,
jambes, vêtements sur votre étendard ?
JEANNE. - Vous en êtes répondus.
LA FONTAINE. - Les avez-vous fait peindre tels qu'ils viennent à vous
?
JEANNE. - Je les ai fait peindre en la manière qu'ils sont peints es
églises.
LA FONTAINE. - Oncques les vîtes-vous en la manière qu'ils furent
peints ?
JEANNE. - Je ne vous en dirai autre chose.
LA FONTAINE. - Pourquoi n'y fîtes-vous pas peindre la clarté qui
venait à vous avec les anges ou les voix ?
JEANNE. - II ne me fut point commandé.
IX
L'après-midi du même samedi
LA FONTAINE. - Les deux anges peints en votre étendard représentaient-ils
saint Michel et saint Gabriel ?
JEANNE. - Ils n'y étaient fors seulement pour l'honneur de Notre-Seigneur,
qui était peint en l'étendard. Je ne fis faire cette représentation
des deux anges fors seulement pour l'honneur de Notre-Seigneur, qui y était
figuré, tenant le monde.
LA FONTAINE. - Ces deux anges, qui étaient figurés en l'étendard,
étaient-ils les deux anges qui gardent le monde ? Pourquoi n'y en avait-il
pas plus, vu qu'il était commandé par Notre-Seigneur que vous
prisiez cet étendard ?
JEANNE. - Tout l'étendard fut commandé par Notre-Seigneur, par
la voix de saintes Catherine et Marguerite, qui me dirent : " Prends l'étendard
de par le Roi du Ciel. " Et pour ce qu'elles me dirent : " Prends
étendard de par le Roi du Ciel ", j'y fis faire cette figure de
Notre-Seigneur et de deux anges, en couleur. Et tout je fis par leur commandement.
LA FONTAINE. - Leur avez-vous demandé si, en vertu de cet étendard,
vous gagneriez toutes les batailles où vous vous bouteriez, et si vous
auriez victoire ?
JEANNE. - Elles me dirent de le prendre hardiment, et que Dieu m'aiderait.
LA FONTAINE. - Qui aidait le plus, vous à l'étendard ou l'étendard
à vous ?
JEANNE. - De la victoire de l'étendard ou de moi, c'était tout
à Notre-Seigneur.
LA FONTAINE. - L'espérance d'avoir victoire était-elle fondée
en votre étendard ou en vous ?
JEANNE. - II était fondé en Notre-Seigneur, et non ailleurs.
LA FONTAINE. - Si un autre l'eût porté, eut-il eu aussi bonne fortune
comme vous de le porter ?
JEANNE. - Je n'en sais rien, je m'en attends à Notre-Seigneur.
LA FONTAINE. - Si un des gens de votre parti vous eût baillé votre
étendard à porter, l'eussiez-vous porté ? Y eussiez-vous
eu aussi bonne espérance comme en votre étendard, qui vous était
disposé de par Dieu ? Même celui de votre Roi, si vous l'aviez
eu ?
JEANNE. - Je portais plus volontiers celui qui m'était ordonné
de par Notre-Seigneur, et toutefois du tout je m'attendais à Notre-Seigneur.
LA FONTAINE. - De quoi servait le signe que vous mettiez en vos lettres : JHESUS
MARIA ?
JEANNE. - Les clercs écrivant mes lettres le mettaient. Et aucuns disaient
qu'il me convenait de mettre ces deux mots : JHESUS MARIA.
LA FONTAINE. - Vous a-t-il point été révélé,
si vous perdiez votre virginité, que vous perdriez votre bonheur, et
que vos voix ne viendraient plus ?
JEANNE. - Cela ne m'a point été révélé.
LA FONTAINE. - Si vous étiez mariée, croyez-vous que vos voix
vous viendraient ?
JEANNE. - Je ne sais, et m'en attends à Notre-Seigneur.
LA FONTAINE. - Pensez-vous et croyez-vous fermement que votre Roi fit bien de
tuer ou faire tuer monseigneur de Bourgogne ?
JEANNE. - Ce fut grand dommage pour le royaume de France. Quelque chose qu'il
y eût entre eux, Dieu m'a envoyé au secours du roi de France.
LA FONTAINE. - Vous avez dit à monseigneur de Beauvais que vous répondriez
autant à monseigneur et à ses commis comme vous feriez devant
notre saint-père le pape, et toutefois il y a plusieurs interrogatoires
à quoi vous ne voulez répondre. Ne répondriez-vous point
plus pleinement devant le pape que vous ne faites devant monseigneur de Beauvais
?
JEANNE. - J'ai répondu tout le plus vrai que j'ai su. Et si je savais
aucune chose qui me vînt à la mémoire que je n'ai dit, je
le dirais volontiers.
LA FONTAINE. - Vous semble-t-il que vous soyez tenue de répondre pleinement
vérité à notre saint-père le pape, vicaire de Dieu,
de tout ce qu'on vous demanderait touchant la foi et le fait de votre conscience?
JEANNE. - Je requiers que je sois menée devant lui. Et puis je répondrai
devant lui tout ce que je devrai répondre.
LA FONTAINE. - De quelle matière était l'un de vos anneaux, où
il était écrit JHESUS MARIA ?
JEANNE. - Je ne sais proprement. S'il est d'or, il n'est pas de fin or. Je ne
sais si c'était or ou laiton. Je pense qu'il y avait trois croix et non
autre signe que je sache, excepté JHESUS MARIA.
LA FONTAINE. - Pourquoi regardiez-vous volontiers cet anneau quand vous alliez
en fait de guerre ?
JEANNE. - Par plaisance et par l'honneur de mon père et de ma mère.
Et moi, ayant mon anneau en main et en mon doigt, j'ai touché à
sainte Catherine qui m'apparut visiblement.
LA FONTAINE. - En quelle partie de ladite sainte Catherine ?
JEANNE. - Vous n'en aurez autre chose.
LA FONTAINE. - Avez-vous baisé ou accolé oncques saintes Catherine
et Marguerite ?
JEANNE. - Je les ai accolées toutes deux.
LA FONTAINE. - Fleuraient-elles bon ?
JEANNE. - II est bon à savoir qu'elles sentaient bon.
LA FONTAINE. - En les accolant, y sentiez-vous point de chaleur ou autre chose
?
JEANNE. - Je ne les pouvais point accoler sans les sentir et toucher.
LA FONTAINE. - Par quelle partie les accoliez-vous, par haut ou par bas ?
JEANNE. - II sied mieux les accoler par le bas que par le haut.
LA FONTAINE. - Leur avez-vous point donné de guirlandes ou chapeaux de
fleurs ?
JEANNE. - En l'honneur d'elles, à leurs images ou remembrances es églises,
j'en ai plusieurs fois donné. Quant à celles qui m'apparaissent,
je n'en ai point baillé dont j'ai mémoire.
LA FONTAINE. - Quand vous mettiez chapeaux de fleurs en l'arbre, les mettiez-vous
en l'honneur de celles qui vous apparaissaient ?
JEANNE.- Non.
LA FONTAINE. - Quand ces saintes venaient à vous, leur faisiez-vous révérence
en vous agenouillant ou inclinant ?
JEANNE. - Oui, et le plus que je pouvais leur faire de révérence,
je le leur faisais. Que je sais que ce sont celles qui sont au royaume de paradis.
LA FONTAINE. - Savez-vous rien de ceux qui vont en l'erre avec les fées
?
JEANNE. - Je n'y fus oncques, ni n'en sus quelque chose. Mais j'en ai bien ouï
parler, et qu'on y allait le jeudi ; mais je n'y crois point, et crois que c'est
sorcellerie.
LA FONTAINE. - Fîtes-vous point flotter ou tourner votre étendard
autour de la tête de votre Roi quand il fut sacré à Reims
?
JEANNE. - Non, que je sache.
LA FONTAINE. - Pourquoi fut-il plus porté en l'église de Reims,
au sacre, que ceux des autres capitaines ?
JEANNE. - II avait été à la peine, c'était bien
raison qu'il fût à l'honneur.
X
Le dimanche de la Passion, et le jeudi 22 mars, les juges délibèrent.
Le samedi 24 mars, l'évêque avec huit autres juges alla dans la
prison de Jeanne et on lui fit la lecture des interrogatoires.
JEANNE. - Je fais le serment de ne rien ajouter que de vrai à mes réponses.
Le greffier Manchon commença la lecture du procès-verbal. Jeanne
l'interrompit au moment où il lisait le compte rendu du premier interrogatoire
public, où elle avait eu à répondre sur son nom.
JEANNE. - J'ai pour surnom d'Arc ou Romée. Dans mon pays les filles portent
le surnom de leur mère. Que me soient lues à la suite les questions
et les réponses : ce qui sera lu sans que j'y contredise sera tenu pour
vrai et confessé.
Quand on en arriva à l'article où il est question
que Jeanne prenne un habit de femme, elle dit :
JEANNE. - Baillez-moi habit de femme pour aller à la maison de ma mère,
et je le prendrai. C'est pour être hors des prisons. Quand je serai hors
des prisons, je prendrai conseil sur ce que je dois faire.
Quand la lecture fut finie, elle dit :
JEANNE. - Je crois bien avoir parlé selon ce qui est écrit en
ce registre et selon ce qui m'a été lu. Et je ne contredis à
aucun des dits qui sont contenus en ce registre.
XI
Le dimanche des Rameaux, 25 mars, l'évêque vint
dans la prison de Jeanne avec quatre juges.
L'ÉVÊQUE. - Plusieurs fois, et surtout hier, vous nous avez demandé
qu'il vous soit permis, à cause de la solennité des jours et du
temps, d'ouïr messe en ce dimanche de la fête des Rameaux. C'est
pourquoi nous vous demanderons, si nous vous accordions cette grâce, si
vous voudriez quitter habit d'homme et recevoir habit de femme, ainsi que vous
aviez accoutumé au lieu de votre naissance, et comme ont coutume d'en
porter les femmes de votre pays.
JEANNE. - Je vous requiers qu'il me soit permis d'ouïr messe en l'habit
d'homme en lequel je suis, et que je puisse recevoir le sacrement d'eucharistie
à la fête de Pâques.
L'ÉVÊQUE. - Répondez à ce que nous demandons, à
savoir si vous voulez quitter habit d'homme, si on vous accorde cette grâce
?
JEANNE. - Je n'ai point conseil sur cela, et je ne puis encore prendre ledit
habit.
L'ÉVÊQUE. - Voulez-vous avoir conseil avec vos saintes pour recevoir
habit de femme ?
JEANNE. - On peut bien me permettre d'ouïr messe en cet état, et
je le souhaite hautement. Mais je ne puis changer d'habit, et ce n'est pas en
moi.
LES ASSESSEURS. - Nous vous exhortons, pour tant de bien et dévotion
que vous semblez avoir, de vouloir prendre habit convenable à votre sexe.
JEANNE. - II n'est pas en moi de le faire. Si c'était en moi, ce serait
bientôt fait.
L'ÉVÊQUE - Parlez avec vos voix pour savoir si vous pouvez reprendre
habit de femme pour recevoir le viatique à Pâques.
JEANNE. - Autant qu'il est en moi, je ne recevrai pas le viatique, en changeant
mon habit pour habit de femme. Je demande qu'il me
soit permis d'ouïr messe en habit d'homme. Cet habit ne charge point mon
âme, et le porter n'est pas contre l'Église.
JEAN D'ESTIVET. - De tout ceci, en qualité de promoteur, je demande relation,
devant les seigneurs et maîtres ici présents.
TROISIÈME PARTIE
LE JUGEMENT
I
Les juges, dans les journées du 26 et du 28 mars, lurent à Jeanne un acte d'accusation en 70 articles. Elle opposa les plus formelles protestations à tout ce qui lui était reproché contre l'orthodoxie. Le 31 mars, on revint la trouver dans sa prison.
L'ÉVÊQUE. - Nous venons vous interroger sur certains points sur
lesquels vous avez pris délai pour répondre jusqu'à aujourd'hui.
Voulez-vous vous en rapporter au jugement de l'Église qui est sur terre,
de tout ce que vous avez dit ou fait, soit bien, soit mal, spécialement
des cas, crimes ou délits qu'on vous impose, et de tout ce qui touche
votre procès ?
JEANNE. - De ce qu'on me demande, je m'en rapporterai à l'Église
militante, pourvu qu'elle ne me commande chose impossible, c'est que, les faits
que j'ai dits et faits, déclarés au procès, des révélations
que j'ai dites avoir faites de par Dieu, je les révoque. Je ne les révoquerai
pas pour quelque chose. Ce que Notre Sire m'a fait faire et commandé,
et commandera, je ne le laisserai à faire pour homme qui vive, et il
me serait impossible de le révoquer. En cas que l'Église me voudrait
faire faire autre chose au contraire du commandement que je dis à moi
fait par Dieu, je ne le ferais pour quelque chose.
L'ÉVÊQUE. - Si l'Église militante vous dit que vos révélations
sont illusions, ou choses diaboliques ou mauvaises choses, vous en rapporterez-vous
à l'Église ?
JEANNE. - Je m'en rapporterai à Notre-Seigneur, duquel je ferai toujours
le commandement. Je sais bien que ce qui est contenu en mon procès est
venu par le commandement de Dieu. De ce que j'ai affirmé audit procès
avoir fait du commandement de Dieu, il m'aurait été impossible
de faire le contraire. En cas que l'Église militante me commanderait
faire le contraire, je ne m'en rapporterais à homme du monde, fors à
Notre-Seigneur, dont je ferai toujours le bon commandement.
L'ÉVÊQUE. - Croyez-vous point que vous soyez sujette à l'Église
qui est sur terre, c'est à savoir à notre saint-père le
pape, aux cardinaux, archevêques, évêques et autres prélats
d'Église ? JEANNE. - Oui, Notre Sire premier servi.
L'ÉVÊQUE. - Avez-vous commandement de vos voix, de ne vous point
soumettre à l'Église militante, qui est sur terre, ni au jugement
d'icelle ?
JEANNE. - Je ne réponds chose que je prenne en ma tête, mais ce
que je réponds, c'est du commandement d'icelles. Elles ne commandent
point que je n'obéisse pas à l'Église, - Notre Sire premier
servi.
Les jours suivants, les juges firent extraire de l'acte d'accusation et des
interrogatoires de Jeanne (à ce qu'ils prétendirent) un certain
nombre de propositions qui furent réunies en un sommaire de douze articles.
Les points principaux qui furent relevés sont : 1° les voix de Jeanne
dans son enfance ; 2° l'ange qui apporta le signe au Roi ; 3° le fait
que Jeanne puisse reconnaître saint Michel, sainte Catherine et sainte
Marguerite ; 4° les révélations dont Jeanne s'est vantée
; 5° l'habit d'homme ; 6° les mots JHESUS MARIA sur ses lettres ; 7°
la visite à Robert de Baudricourt ; 8° le saut de Beaurevoir ; 9°
la croyance qu'avait Jeanne d'aller en paradis ; 10° l'amour de Dieu pour
les Français et sa haine pour les Anglais; 11° la croyance que Jeanne
conserve ! envers ses apparitions, et sa dévotion envers elles ; 12°
son refus formel d'obéir à l'Église. En la plupart de ses
articles, les juges ne tinrent aucun compte des dénégations ou
des réponses de Jeanne : ils laissèrent toutefois de côté
un certain : nombre de légendes absurdes que contenait l'acte en soixante-dix
articles. C'est sur les douze articles que délibérèrent
les docteurs, puis l'université de Paris.
II
Le procès de réhabilitation nous rapporte (déposition de
Tiphaine) comment Jeanne malade fut visitée dans sa prison par Jean d'Estivet
et par son médecin Jean Tiphaine. Celui-ci lui tâta le pouls et
interrogea ses gardiens sur ses malaises.
JEAN TIPHAINE. - Qu'avez-vous ? Où avez-vous mal ?
JEANNE. - II me fut envoyé certaine carpe par l'évêque de
Beauvais, de laquelle j'ai mangé et je crains qu'elle ne soit la cause
de mon malaise.
JEAN D'ESTIVET. - Tu parles mal ! c'est toi, paillarde, qui a mangé harengs
et autres choses qui te sont contraires !
JEANNE. - Je ne l'ai point fait.
Le 18 avril, les deux juges accompagnés de sept assesseurs allèrent trouver Jeanne dans sa prison, et procédèrent à une " exhortation charitable ".
JEANNE. - Je vous rends grâces de ce que vous me dites pour mon salut.
Il me semble, vu la maladie que j'ai, que je suis en grand péril de mort.
Et si ainsi est que Dieu veuille faire son plaisir de moi, je vous requiers
avoir confession, et mon Sauveur aussi, et être ensevelie en la terre
sainte.
L'ÉVÊQUE. - Si vous voulez avoir les droitures et sacrements de
l'Église, il faudrait que vous fissiez comme les bons catholiques doivent
faire et que vous vous soumissiez à l'Église. Si vous persévérez
dans votre propos de ne pas vous soumettre à l'Église, on ne pourra
vous administrer les sacrements de pénitence, que nous sommes toujours
prêts à accorder.
JEANNE. - Je ne vous en saurais maintenant autre chose dire.
L'ÉVÊQUE. - Tant plus vous craignez pour votre vie à cause
de la maladie, tant plus vous devriez amender votre vie. Et vous n'aurez pas
le droit de l'Église, comme catholique, si vous ne vous soumettez à
l'Église.
JEANNE. - Si le corps meurt en prison, je m'attends à ce que le fassiez
mettre en terre sainte. Si vous ne le faites mettre, je m'en attends à
Notre-Seigneur.
L'ÉVÊQUE. - Autrefois, vous avez dit dans votre procès que
si vous aviez fait ou dit quelque chose qui fût contre notre foi chrétienne,
ordonnée de Notre-Seigneur, vous ne le voudriez point soutenir.
JEANNE. - Je m'en attends à la réponse que j'en ai faite et à
Notre-Seigneur.
L'ÉVÊQUE. - Vous avez dit avoir eu plusieurs fois révélations
de par Dieu, par saint Michel, saintes Catherine et Marguerite. S'il venait
aucune bonne créature qui affirmât avoir eu révélation
de par Dieu, touchant le fait de vous, le croiriez-vous.
JEANNE. - II n'y a chrétien au monde qui viendrait dévers moi
et qui se dirait avoir eu révélation que je ne sache s'il dirait
vrai ou non. Je le saurais par saintes Catherine et Marguerite.
L'ÉVÊQUE. - Imaginez-vous point que Dieu puisse révéler
chose à une bonne créature qui vous soit inconnue ?
JEANNE. - II est bon à savoir que oui. Mais je n'en croirais homme ni
femme, si je n'en avais aucun signe.
L'ÉVÊQUE. - Croyez-vous que la Sainte Écriture soit révélée
de Dieu?
JEANNE. - Vous le savez bien. Et est bon à savoir que oui.
L'ÉVÊQUE. - Nous vous sommons, exhortons et requérons de
prendre le bon conseil des clercs et notables docteurs, et de le croire pour
le salut de votre âme. Voulez-vous soumettre vos dits et faits à
l'Église militante ?
JEANNE. - Quelque chose qui m'en doive advenir, je n'en ferai ou dirai autre
chose, car j'en ai dit déjà au procès.
NICOLAS MIDI. - Nous vous exhortons de soumettre vos dits et faits à
l'Église militante. Il est dit dans Matthieu, chapitre XVII : "
Si ton frère a péché contre toi, va lui faire sentir seul
à seul. S'il t'écoute, tu auras gagné ton frère.
" Et ensuite : " S'il refuse de t'écouter, dis-le à
l'Église ; et s'il refuse d'écouter l'Eglise, qu'il soit pour
toi comme un païen et un publicain. " Si vous ne voulez vous soumettre
à l'Église et lui obéir, il faudra que nous vous abandonnions
comme une sarrasine.
JEANNE. - Je suis bonne chrétienne, et bien baptisée, et je mourrai
comme bonne chrétienne.
L'ÉVÊQUE. - Puisque vous requérez que l'Église vous
baille votre Créateur, voudrez-vous vous soumettre à l'Église,
et on vous promettra de vous le bailler ?
JEANNE. - De cette soumission, je n'en répondrai autre chose que j'ai
fait. J'aime Dieu, je le sers, je suis bonne chrétienne, et je voudrais
aider et soutenir sainte Église de tout mon pouvoir.
L'ÉVÊQUE. - Voudriez-vous point qu'on ordonnât une belle
et notable procession pour vous remettre en bon état, si vous n'y êtes
?
JEANNE. - Je veux très bien que l'Église et les catholiques prient
pour moi.
C'est probablement ce soir-là que Jean de La Fontaine, Ysambart de La
Pierre et frère Martin revinrent sans l'évêque trouver Jeanne
pour lui demander de se soumettre au concile de Baie.
Ils lui dirent :
" Vous devez croire et tenir que l'Église c'est notre saint-père le pape, et ceux qui président en l'Église militante, et vous ne devez point faire de doute de vous soumettre à notre saint-père le pape et au saint concile : car il y a, tant de votre parti que d'ailleurs, plusieurs notables clercs. Si ainsi vous ne faites, vous vous mettrez en grand danger. "
III
Le mercredi 2 mai, dans la salle du château de
Rouen près de la grande salle, les juges siégèrent
avec soixante-trois assesseurs. L'évêque exposa
d'abord l'impossibilité de ramener Jeanne à un
meilleur esprit, c'est pourquoi il avait décidé
qu'admonition publique lui serait faite par maître
Jean de Châtillon, archidiacre d'Évreux. Puis,
Jeanne fut introduite.
JEANNE. - Lisez votre livre, et puis je vous répondrai. Je m'attends
à Dieu, mon Créateur, de tout. Je l'aime de tout mon cœur.
Je m'en attends à mon juge : c'est le Roi du Ciel et de la terre.
JEAN DE CHÂTILLON. - On vous a déclaré ce qu'était
l'Église militante, et admonesté de croire et tenir l'article
Unam sanctam Ecclesiam..., et de vous soumettre à l'Église militante.
JEANNE. - Je crois bien l'Église d'ici-bas. Mais de mes faits et dits,
ainsi qu'autrefois j'ai dit, je m'attends et rapporte à Dieu. Je crois
bien que l'Église militante ne peut errer ou faillir, mais, quant à
mes dits et faits, je les mets et rapporte du tout à Dieu, qui m'a fait
faire ce que j'ai fait. Je me soumets à Dieu, mon Créateur, qui
me l'a fait faire. Et je m'en rapporte à lui, et à sa personne
propre.
JEAN DE CHÂTILLON. - Voulez-vous dire que vous n'avez point déjuge
sur terre et que notre saint-père le pape n'est point votre juge?
JEANNE. - Je ne vous en dirai autre chose. J'ai bon maître, c'est à
savoir Notre-Seigneur, à qui je m'attends du tout, et non à autre.
JEAN DE CHÂTILLON. - Si vous ne voulez croire l'Église et l'article
Ecclesiam sanctam catholicam, vous serez hérétique, et vous subirez
la punition du feu par la sentence d'autres juges.
JEANNE. - Je ne vous en dirai autre chose. Et si je voyais le feu, pourtant
dirais-je tout ce que je vous dis, et n'en ferais autre chose.
JEAN DE CHÂTILLON. - Si le concile général, comme notre
saint-père, les cardinaux ou autres gens d'Église étaient
là, vous y voudriez-vous rapporter et soumettre ? JEANNE. - Vous n'en
tirerez autre chose.
JEAN DE CHÂTILLON. - Voulez-vous vous soumettre à notre saint-père
le pape ?
JEANNE. - Menez-m'y, et je lui répondrai. Et autrement, je n'en veux
répondre.
JEAN DE CHÂTILLON. - Nous enverrons votre procès au pape pour qu'il
en juge.
JEANNE. - Je ne sais pas ce que vous mettrez dans le procès. Je veux
y être menée et être interrogée par le pape.
L'ÉVÊQUE. - Voulez-vous vous soumettre à l'Église
?
JEANNE. - Qu'est-ce que l'Église ? Quant à ce qui est de vous,
je ne veux pas me soumettre à votre jugement, parce que vous êtes
mon ennemi capital.
YSAMBART. - II faut vous soumettre au général concile de Baie.
JEANNE. - Qu'est-ce que c'est que général concile ?
YSAMBART. - C'est congrégation de toute l'Église universelle et
la Chrétienté, et en ce concile, il y a autant de votre part comme
de la part des Anglais.
JEANNE. - Oh ! puisqu'en ce lieu sont aucuns de notre parti, je veux bien me
rendre et soumettre au concile de Baie !
L'ÉVÊQUE. - Taisez-vous, de par le diable ! Qui a été
parler à cette femme depuis hier ? (Il fait venir le garde anglais et
lui demande) Qui lui a parlé ?
LE GARDE. - Maître de La Fontaine, votre lieutenant, et les deux religieux.
GUILLAUME MANCHON. - Dois-je inscrire cette soumission ?
L'ÉVÊQUE. - Non, ce n'est pas nécessaire.
JEANNE. - Ha ! vous écrivez bien ce qui va contre moi, et ne voulez pas
écrire ce qui va pour moi.
JEAN DE CHÂTILLON, lisant. - " Item, depuis longtemps, vous persévérez
à porter, contre l'honnêteté de votre sexe, habit d'homme,
à la mode des gens d'armes, et vous le portez continuellement sans aucune
nécessité, ce qui est scandaleux, contraire aux bonnes et honnêtes
mœurs, en ayant en outre les cheveux taillés en rond ; et ce sont
là façons contraires au commandement de Dieu, mis dans le Deutéronome,
chapitre XXII : " Que la femme ne soit point vêtue d'un habillement
d'homme, et que l'homme ne mette point de vêtements de femme ; car quiconque
fait ces choses est en abomination à l'Éternel son Dieu "
; contraires au commandement de l'Apôtre qui dit que la femme doit voiler
son chef; contraires aux défenses de l'Eglise, faites dans les sacrés
conciles généraux ; contraires à la doctrine des saints
et des docteurs, tant de sacrée théologie que de droit canonique
; et toutes choses qui sont de mauvais exemples pour les autres femmes.
JEANNE. - Quant à l'habit, je veux bien prendre longue robe et chaperon
de femme pour aller à l'Église et recevoir mon Sauveur, ainsi
qu'autrefois j'ai répondu, pourvu que, aussitôt après, je
le mette bas, et reprenne celui que je porte.
JEAN DE CHÂTILLON. - Mais vous portez l'habit d'homme sans nécessité,
spécialement depuis que vous êtes en prison.
JEANNE. - Quand j'aurai fait ce pourquoi je suis envoyée de par Dieu,
je prendrai habit de femme.
JEAN DE CHÂTILLON. - Croyez-vous que vous fassiez bien de prendre habit
d'homme ?
JEANNE. - Je m'en attends à Notre-Seigneur.
JEAN DE CHÂTILLON. - En ce que vous dites que vous faites bien, et que
vous ne péchez point en portant ledit habit, et en ce que vous dites
que Dieu et les saintes vous le font faire, vous les blasphémez comme
on vous a lu dans la cédule, vous errez, et faites mal.
JEANNE. - Je ne blasphème point Dieu ni ses saints.
JEAN DE CHÂTILLON. - Nous vous admonestons de cesser de porter l'habit
et de croire que vous faites bien de le porter, et de reprendre habit de femme.
JEANNE. - Je n'en ferai autre chose.
Jean de Châtillon reprit la lecture de l'acte d'admonition et pria Jeanne
de ne plus ajouter foi à ses visions.
JEANNE. - Je m'en rapporte à mon Juge, c'est à savoir Dieu, et
à ce qu'autrefois j'ai répondu, qui est au livre.
JEAN DE CHÂTILLON. - Si on vous envoie deux ou trois ou quatre des chevaliers
de votre parti, qui viendraient par sauf-conduit, voudriez-vous vous en rapporter
à eux de vos apparitions et choses contenues en ce procès ?
JEANNE. - Qu'on les fasse venir, et puis je répondrai. Et autrement je
ne me veux rapporter à eux ni soumettre de ce procès.
JEAN DE CHÂTILLON. - À l'église de Poitiers où vous
avez été examinée, vous voulez-vous rapporter et soumettre
?
JEANNE. - Me croyez-vous prendre par cette manière et par cela attirer
à vous ?
JEAN DE CHÂTILLON. - En conclusion et de nouveau vous admonestons généralement
de vous soumettre à l'Église, et sous peine d'être laissée
par l'Église. Si l'Église vous laisse, vous serez en grand péril
du corps et de l'âme, et vous pourrez bien mettre en péril d'encourir
peines du feu éternel, quant à l'âme, et du feu temporel,
quant au corps, et par la sentence d'autres juges.
JEANNE. - Vous ne ferez jà ce que vous dites contre moi, qu'il ne vous
en prenne mal et au corps et à l'âme.
IV
Le mercredi 9 mai, Jeanne fut amenée dans la grosse tour du château
de Rouen, devant les deux juges et neuf assesseurs.
L'ÉVÊQUE. - Nous requérons et admonestons Jeanne de répondre
vérité sur les nombreux et divers points contenus en son procès
qu'elle a niés ou sur lesquels elle a répondu mensongèrement,
alors que nous avions sur eux informations certaines, preuves et présomption
véhémentes.
Lecture fut faite de plusieurs de ces points.
Si vous n'avouez pas la vérité à ce sujet, vous serez mise
à la torture.
On montra à Jeanne les instruments tout prêts. Et se tenaient debout
les hommes chargés de la mettre à la torture "pour la ramener
à la voie et à la connaissance de la vérité et qui
pouvaient par là lui procurer le salut de l'âme et du corps que
par ses inventions mensongères elle exposait à de graves périls
".
JEANNE. - Vraiment, si vous me deviez écarteler les membres et faire
partir l'âme hors du corps, je ne vous dirais autre chose. Et si aucune
chose je vous en disais, après je dirais toujours que vous me l'auriez
fait dire par force.
L'ÉVÊQUE. - Depuis l'autre jour, entendîtes-vous vos voix
?
JEANNE. - À la Sainte-Croix, j'eus le confort de saint Gabriel. Et croyez
que ce fut saint Gabriel. Je l'ai su par les voix, que c'était saint
Gabriel.
L'ÉVÊQUE. - Avez-vous demandé conseil à vos voix
?
JEANNE. - J'ai demandé conseil à mes voix pour savoir si je me
soumettrais à l'Église, pour ce que les gens d'Église me
pressaient fort de me soumettre à l'Église, et elles m'ont dit
que si je voulais que Notre-Seigneur m'aidât, je m'attende à lui
de tous mes faits. Je sais bien que Notre-Seigneur a toujours été
maître de mes faits, et que l'Ennemi n'a oncques eu puissance sur mes
faits. J'ai demandé à mes voix si je serais brûlée,
et lesdites voix m'ont répondu que je m'attende à Notre Sire et
qu'il m'aidera.
L'ÉVÊQUE. - Du signe de la couronne que vous dites avoir baillé
à l'archevêque de Reims, voulez-vous vous en rapporter à
lui?
JEANNE. - Faites-le venir, et que l'ouïsse parler, et puis je vous répondrai.
Mais il n'oserait dire le contraire de ce que je vous en ai dit.
L'ÉVÊQUE. - Voyant l'endurcissement de l'âme de cette femme
et ses façons de répondre, nous, juges, craignant que les tourments
de la torture ne lui profitent peu, nous décidons de surseoir à
leur application jusqu'à ce que nous ayons là-dessus avis plus
complet. La séance fut levée et Jeanne reconduite en sa prison.
Le samedi suivant 12 mai, après une délibération dans la
maison de l'Évêque, treize juges , décidèrent qu'il
"n'était pas expédient de la mettre à la torture ".
V
Le samedi 19 mai, lecture fut donnée des consultations de l'université
de Paris. Les juges et docteurs se rangèrent à l'avis des facultés,
déclarant Jeanne hérétique et schismatique en plusieurs
points. Ils décidèrent toutefois de procéder à une
nouvelle admonition charitable. Elle eut lieu le mercredi 23 mai, dans une chambre
du château de Rouen voisine de la prison de Jeanne et n 'obtint aucun
résultat.
JEANNE. - Quant à mes faits et mes dits que j'ai dits au procès,
je m'y rapporte et les veux soutenir.
L'ÉVÊQUE. - Croyez-vous que vous ne soyez point tenue de soumettre
vos dits et faits à l'Église militante ou à autres qu'à
Dieu?
JEANNE. - La manière que j'ai toujours dite et tenue au procès,
je la veux maintenir quant à cela. Si j'étais en jugement, et
je voyais le feu allumé et bourrées allumées, et le bourreau
près de bouter le feu, et si j'étais dedans le feu, pourtant je
n'en dirais autre chose et soutiendrais ce que j'ai dit au procès jusques
à la mort.
VI
Le jeudi après la Pentecôte, 24 mai, les juges se rendirent le matin au cimetière de l'abbaye de Saint-Ouen de Rouen. Ils étaient assistés du cardinal de Winchester, dit cardinal d'Angleterre, de trois évêques, de dix abbés et prieurs, et d'un grand nombre de juges. Une grande multitude " était présente. Jeanne était sur un échafaud dressé devant le tribunal. Assez près d'elle, de façon à être vu, se tenait le bourreau, une torche à la main, prêt à allumer le bûcher.
L'ÉVÊQUE. - Maître Guillaume Erard, personne insigne, docteur
en théologie sacrée, va tout d'abord prononcer une solennelle
prédication, pour la salutaire admonition de Jeanne et de tout le
peuple.
GUILLAUME ERARD. - Je prendrai pour sujet la Parole de Dieu, rapportée
au chapitre XV de saint Jean : " Le sarment ne peut de lui-même porter
de fruits, s'il ne demeure attaché à la vigne ". De là
il faut déduire que tout catholique doit demeurer dans la vraie vigne
de notre sainte mère l'Église que le Christ de sa droite a plantée.
Jeanne s'est séparée par des erreurs nombreuses et des crimes
graves de l'unité de notre sainte mère l'Église, elle a
maintes fois scandalisé le peuple chrétien. Nous vous admonestons
et vous exhortons, ainsi que tout le peuple, à suivre de salutaires doctrines.
Jamais en France il n'y a eu tel scandale qu'au sujet de cette Jeanne, qui a
été sortilège, hérétique, schismatique, et
le Roi qui l'a aimée l'est aussi, pour avoir voulu recouvrer son royaume
par telle femme hérétique !
Ha ! noble maison de France, qui as toujours été protectrice de
la foi, as-tu été ainsi abusée de t'adhérer à
une hérétique et schismatique ! C'est grande pitié !
Ha ! France ! tu es bien abusée ! Tu as toujours été la
chambre très chrétienne ; et Charles, qui se dit Roi et de toi
gouverneur, s'est adhéré comme hérétique et schismatique
(tel est-il), aux paroles et faits d'une femme inutile, diffamée, et
de tout déshonneur pleine ! Et non pas lui seulement, mais tout le clergé
de son obéissance et seigneurie, par lequel elle a été
examinée et non reprise, comme elle a dit.
O Jeanne ! ton Roi, qui se dit roi de France, en adhérant et en croyant
à toi, est devenu hérétique et schismatique !
C'est à toi, Jeanne, à qui je parle, et je te dis que ton Roi
est hérétique et schismatique !
JEANNE. - Par ma foi, sire, révérence gardée, car je vous
ose bien dire et jurer, sur peine de ma vie, que c'est le plus noble chrétien
de tous les chrétiens, et qui mieux aime la foi et l'Église, et
n'est point tel que vous dites !
GUILLAUME ERARD, à Jean Massieu. - Faites la taire !
Tu as agi contre la majesté royale, tu as agi contre Dieu et la foi catholique.
Tu as erré plusieurs fois en la foi, et, si tu ne t'amendes point, tu
seras brûlée. Tu as pris un habit d'homme...
JEANNE. - J'ai pris habit d'homme parce que j'avais à être parmi
gens d'armes, avec lesquels il était plus sûr et plus convenable
de se trouver en habit d'homme que de femme, et ce que j'ai fait, je l'ai bien
fait.
GUILLAUME ERARD. - Voici messeigneurs les juges, qui plusieurs fois vous ont
sommée et requise que vous voulussiez soumettre tous vos dits et faits
à notre mère sainte Église, en vous faisant voir et montrant
qu'en vos dits et faits, étaient plusieurs choses qui, comme il semblait
aux clercs, n'étaient bonnes à dire ou à soutenir.
JEANNE. - Je vous répondrai. De la soumission à l'Église,
je leur ai dit en ce point que toutes les œuvres que j'ai faites, et les
dits, soient envoyés à Rome devers notre saint-père le
pape, auquel (et à Dieu premier) je me rapporte. Quant aux dits et faits
que j'ai faits je les ai faits de par Dieu. De mes faits et dits je ne charge
aucune personne ni mon Roi, ni autre. S'il y a quelque faute c'est à
moi et non à autre.
L'ÉVÊQUE. - Les faits et dits que vous avez faits, qui sont réprouvés,
les voulez-vous révoquer ?
JEANNE. - Je m'en rapporte à Dieu et à notre saint-père
le pape.
L'ÉVÊQUE. - II ne suffit pas. On ne peut aller quérir notre
saint-père si loin. Les ordinaires sont juges chacun en leur diocèse.
Pour ce, il est besoin que vous vous rapportiez à notre mère sainte
Église, et que vous teniez ce que les clercs et gens en ce se connaissant
en disent et ont déterminé de vos dits et faits.
On l'en admonesta trois fois.
NICOLAS LOYSELEUR. - Jeanne, croyez-moi. Si vous le voulez, vous serez sauvée.
Acceptez votre habit, et faites tout ce qui vous sera ordonné. Sinon
vous êtes en péril de mort. Et si vous faites ce que je vous dis,
vous serez sauvée, et aurez beaucoup de bien, et n'aurez pas de mal,
mais serez baillée à l'Église.
L'ÉVÊQUE. - Comme cette femme ne veut dire autre chose, nous allons
commencer à lire la sentence définitive.
L'Évêque ne lut qu'une partie de la sentence, interrompu par Jeanne.
LOYSELEUR. - Faites ce qu'il dit, et prenez habit de femme.
GUILLAUME ERARD. - Jeanne, nous avons grand'pitié de toi. Il faut que
vous révoquiez ce que vous avez dit, ou nous vous livrerons à
la justice séculière.
JEANNE. - Je n'ai rien fait de mal. Je crois aux douze articles de la foi et
aux dix commandements du Décalogue. Je m'en rapporte au concile de Rome,
et veux croire tout ce que croit sainte Église. GUILLAUME ERARD. - Révoque
ce que tu as dit.
JEANNE. - Vous vous donnez bien du mal pour me séduire.
GUILLAUME ERARD. - Révoque ce que tu as dit.
JEANNE. - Je ferai tout ce que vous voudrez.
A l'Évêque, qui interrompt sa lecture.
Je veux tenir tout ce que l'Église et les juges voudront dire et sentencier,
et obéir du tout à l'ordonnance et volonté d'eux.
GUILLAUME ERARD. - Tu abjureras et signeras cette cédule. Si tu fais
ce qui t'est conseillé, tu seras libérée des prisons.
UN CLERC ANGLAIS, à L'Évêque. - Hâtez-vous. Vous êtes
trop favorables ! Vous faites mal d'admettre une telle abjuration, et c'est
une dérision !
L'ÉVÊQUE, jetant ses papiers à terre. - Vous mentez ! Je
suis juge en matière de foi, et je dois plutôt chercher son salut
que sa mort ! Je ne ferai rien d'autre aujourd'hui ! J'ai agi selon ma conscience.
Vous me ferez des excuses ! On m'a fait injure et je ne procéderai pas
plus avant tant qu'on ne m'aura pas fait d'excuses.
LE CARDINAL, au clerc. - Taisez-vous !
GUILLAUME ERARD. - Voici la cédule d'abjuration. (// la lit.)
JEANNE. - Je n'entends point ce que c'est qu'abjurer et je demande conseil.
JEAN MASSIEU. - Si vous allez à rencontre d'aucuns desdits articles,
vous serez brûlée. Je vous conseille de vous rapporter à
l'Église universelle pour savoir si vous devez les abjurer ou non.
GUILLAUME ERARD, à Massieu. - Que dites-vous à Jeanne ?
JEAN MASSIEU. - Je lui lis cette cédule et lui dis de la signer.
JEANNE. - Je ne sais pas signer. Je m'en rapporte à l'Église universelle,
si je dois les abjurer ou non. Que cette cédule soit vue par les clercs
et l'Église entre les mains de qui je dois être mise. S'ils me
donnent conseil que j'aie à la signer et à faire ce qu'ils me
diront, volontiers je le ferai. Je ne dois pas abjurer selon cette cédule.
Je demande qu'on me mette en garde d'Église, et que je ne sois plus mise
aux mains des Anglais.
GUILLAUME ERARD. - Tu n'auras pas plus long délai. Et si tu ne signes
pas cette cédule. tu seras immédiatement brûlée.
Défense est faite à maître Jean Massieu de parler davantage
avec Jeanne et de lui donner conseil.
JEANNE. - J'aime mieux signer qu'être brûlée.
À ce moment, la foule furieuse poussa de grands cris et jeta un grand
nombre de pierres vers l'accusée et le tribunal.
JEAN MASSIEU. - (Jean Massieu dut donc relire à haute voix, à
ce qu'il semble, la cédule d'abjuration, que Jeanne répéta
mot pour mot après lui. D'après lui-même, et tous ceux qui
l'ont vue, cette cédule tenait en six ou huit lignes de grosse écriture,
et était longue comme un Pater noster, d'après le prieur Migiel.
Elle commençait par " JE, JEHANNE ", .contenait la promesse
de ne plus se vêtir en homme, de ne plus porter les armes, de ne plus
se tondre les cheveux, de se soumettre aux déterminations de l'Église,
et d'après le code inquisitorial, elle devait se terminer par la formule
: je jure soumission au pape. De plus il y était dit que Jeanne avait
commis crime de lèse-majesté et entraîné le peuple.
C 'est tout ce qu'on en sait d'après les témoins, qui ne font
pas allusion à une révocation formelle des voix, laquelle semble
douteuse d'après l'interrogatoire de Jeanne dans la prison après
l'abjuration. La cédule n 'a aucun rapport avec la très longue
pièce insérée au procès et que Jeanne aurait signée
de sa main. D'après Jean Massieu, il s'agirait purement et simplement
d'un faux. À moins que Jean Massieu n'ait eu intérêt à
dissimuler la vérité, ce qui est fort possible, et qu'il ait présenté
à signer à Jeanne une pièce qu'il ne lui avait pas lue.
Cette dernière hypothèse a été soutenue et est extrêmement
vraisemblable.)
JEANNE. - Si les clercs me le conseillent, et s'il paraît bon à
leurs consciences, je ferai volontiers ce qu'on me conseille.
L'ÉVÊQUE, au Cardinal. - Attendu la soumission de Jeanne, que doit-on
faire ?
LE CARDINAL. - On doit admettre Jeanne à la pénitence.
JEANNE. - Je m'en rapporte à la conscience des juges pour savoir si je
dois révoquer ou non. Je n'entends point révoquer quelque chose,
si ce n'est pourvu qu'il plaise à Notre Sire.
JEAN MASSIEU. - Signe la cédule.
JEANNE. - Je ne sais ni lire ni écrire. "
Jean Massieu tend à Jeanne la plume, et elle trace un rond. Alors Massieu
lui prend la main et lui fait signer son nom. D'après les témoins,
Jeanne avait l'air inconsciente et elle souriait. Elle avait souri aussi en
prononçant l'abjuration.
LOYSELEUR. - Jeanne, vous avez fait une bonne journée, s'il plaît
à Dieu, et vous avez sauvé votre âme.
JEANNE. - Or ça, entre vous, gens d'Église, menez-moi en vos prisons,
et que je ne sois plus en la main de ces Anglais.
L'ÉVÊQUE. - Menez-la où vous l'avez prise.
JEAN D'ESTIVET. - Qu'on la ramène au château de Rouen, et qu'on
lui donne habits de femme.
Jeanne fut donc ramenée au château, et on l'insultait sur le chemin.
Mais les Anglais, furieux, menaçaient les docteurs et les évêques
en levant sur eux leurs épées. On leur criait que le roi d'Angleterre
avait bien perdu son argent avec eux. Et Warwick se plaignait de l'indulgence
de monseigneur Beauvais.
WARWICK. - Le roi va mal : Jeanne s'en est tirée !
L'ÉVÊQUE. - Monseigneur, ne vous inquiétez pas : nous la
rattraperons bien !
QUATRIEME PARTIE
LA CAUSE DE RECHUTÉ(1)
I
Le dimanche de la Trinité, les juges apprirent que Jeanne avait repris l'habit d'homme. Ils vinrent au château, sans Cauchon, mais une centaine d'Anglais les empêchèrent de passer, leur criant que les gens d'Eglise étaient faux, menteurs et traîtres. Ils réussirent à s'échapper. Le lendemain, lundi 28 mai, une dizaine d'entre eux allèrent trouver Jeanne dans sa prison.
L'ÉVÊQUE. - Quand et pourquoi avez-vous repris habit d'homme ?
JEANNE. - J'ai naguère repris habit d'homme, et laissé habit de
femme.
L'ÉVÊQUE. - Pourquoi l'avez-vous pris et qui vous l'a fait prendre
?
JEANNE. - Je l'ai pris de ma volonté, sans nulle contrainte. J'aime mieux
l'habit d'homme que l'habit de femme.
L'ÉVÊQUE. - Vous avez promis et juré de ne pas reprendre
ledit habit d'homme.
JEANNE. - Oncques n'entendis que j'eusse fait serment de ne
pas le prendre.
______________
(1) " Relaps ".
L'ÉVÊQUE. - Pour quelle cause l'avez-vous repris ?
JEANNE. - Pour ce qu'il m'était plus licite de le reprendre et avoir
habit d'homme, étant entre les hommes, que d'avoir habit de femme. Je
l'ai repris pour ce qu'on n'a point tenu ce qu'on m'avait promis, c'est à
savoir que j'irais à la messe et recevrais mon Sauveur, et qu'on me mettrait
hors de fers. Les Anglais m'ont fait ou fait faire en la prison beaucoup de
torts et de violences quand j'étais vêtue d'habits de femme. (Elle
pleure) J'ai fait cela pour la défense de ma pudeur, qui n'était
pas en sûreté en habit de femme avec mes gardes, qui voulaient
attenter à ma pudeur. Je m'en plains grandement. Après mon abjuration
et renonciation, on m'a tourmentée violemment en ma prison, molestée,
battue et foulée. Et un millourt d'Angleterre a tenté de me forcer.
Et c'est la cause pourquoi j'ai repris l'habit d'homme.
L'ÉVÊQUE. - Avez-vous abjuré, et spécialement promis
de ne point reprendre cet habit ?
JEANNE. - J'aime mieux mourir que d'être aux fers. Mais si on me veut
laisser aller à la messe et ôter hors des fers, et mettre en prison
gracieuse, et que j'aie une femme, je serai bonne et ferai ce que l'Église
voudra.
L'ÉVÊQUE. - Depuis jeudi, avez-vous point ouï vos voix ?
JEANNE. - Oui.
L'ÉVÊQUE. - Que vous ont-elles dit ?
JEANNE. - Elles m'ont dit que Dieu m'a mandé, par saintes Catherine et
Marguerite, la grande pitié de la trahison que j'ai consentie en faisant
abjuration et révocation pour sauver ma vie. Avant jeudi, mes voix m'avaient
dit ce que je ferais, et que je fis ce jour. Mes voix me dirent en l'échafaud,
devant le peuple que je répondisse à ce prêcheur hardiment
; c'était un faux prêcheur, et il a dit plusieurs choses que je
n'ai pas faites. Si je disais que Dieu ne m'a pas envoyée, je me damnerais.
Vrai est que Dieu m'a envoyée. Mes voix m'ont dit depuis que j'avais
fait grande mauvaiseté de ce que j'avais fait de confesser que je n'avais
pas bien fait. De peur du feu, j'ai dit et révoqué ce que j'ai
dit.
L'ÉVÊQUE. - Croyez-vous que vos voix soient sainte Catherine et
sainte Marguerite ?
JEANNE. - Oui, et de Dieu.
L'ÉVÊQUE. - Et la couronne dont on a autrefois parlé ?
JEANNE. - Du tout, je vous en ai dit la vérité au procès,
le mieux que j'ai su.
L'ÉVÊQUE. - Mais sur l'échafaud, devant nous, les juges,
et tous autres, et devant le peuple, quand vous fîtes votre abjuration,
vous avez dit que vos voix étaient saintes Catherine et Marguerite.
JEANNE. - Je ne l'entendais point ainsi faire ou dire. Je n'ai point dit ou
entendu révoquer mes apparitions, c'est à savoir que ce fussent
saintes Catherine et Marguerite. Tout ce que j'ai fait, c'est de peur du feu,
et je n'ai rien révoqué que ce ne soit contre la vérité.
J'aime mieux faire ma pénitence en une fois, c'est à savoir mourir,
que d'endurer plus longuement peine en cachot. Je ne fis oncques chose contre
Dieu ou la foi, quelque chose qu'on m'ait fait révoquer. Ce qui était
en la cédule de l'abjuration, je ne le comprenais point. J'ai dit à
l'heure même que je n'entendais point révoquer quelque chose, si
ce n'était pourvu qu'il plût à Notre-Seigneur. Si les juges
veulent, je reprendrai habit de femme : du résidu je n'en ferai autre
chose.
L'ÉVÊQUE. - Vous êtes donc hérétique obstinée
et rechue
JEANNE. - Si vous, messeigneurs de l'Église, m'eussiez menée et
gardée en vos prisons, par aventure ne me fût-il pas advenu ainsi.
L'ÉVÊQUE. - Cela entendu, nous n'avons plus qu'à procéder
plus outre, selon ce qui est de droit et de raison.
Lorsque les juges eurent quitté la prison, l'Évêque >
dit aux Anglais qui attendaient dehors :
L'ÉVÊQUE. - Farewell ! Farewell ! Faites bonne chère ! Il
est fait ! Elle est prise !
II
Le mardi 29 mai, les juges délibérèrent et conclurent
qu'il fallait traiter Jeanne comme relapse.
Pendant ce temps, Jean Massieu se trouvait seul avec Jeanne.
JEAN MASSIEU. - Pourquoi avez-vous repris habit d'homme ?
JEANNE. - C'était jeudi après la Pentecôte que je déposai
habit d'homme. Et fut mis l'habit d'homme en un sac, en la même chambre
où je suis détenue prisonnière, et demeura en garde audit
lieu entre les mains de cinq Anglais, dont en demeurent de nuit trois en la
chambre, et deux dehors, à l'huis de la chambre. De nuit, je suis couchée,
ferrée par les jambes de deux paires de fers à chaînes,
et attachée moult étroitement d'une chaîne traversante par
les pieds de mon lit, tenante à une grosse pièce de bois de longueur
de cinq ou six pieds et fermante à clef. Par quoi je ne peux mouvoir
de la place. Et quand vint le dimanche matin, qui était jour de la Trinité
; que je dus me lever, je demandai à ces Anglais, mes gardes : "
Defferrez-moi, ainsi je me lèverai ". Et lors un de ces Anglais
m'ôta mes habillements de femme, que j'avais sur moi, et ils vidèrent
le sac auquel était l'habit d'homme, et ledit habit, ils le jetèrent
sur moi en me disant : " Lève-toi " et ils cachèrent
l'habit de femme audit sac. Je ne me vêtis de l'habit d'homme qu'ils m'avaient
baillé en disant : " Messieurs, vous savez qu'il m'est défendu
: sans faute, je ne le prendrai point. " Et néanmoins ne m'en voulurent
bailler d'autre, en tant que ce débat dura jusqu'à l'heure de
midi. Et finalement, pour nécessité de corps, je fus contrainte
de sortir dehors et prendre ledit habit. Après que je fusse retournée,
ils ne me voulurent point bailler d'autre, nonobstant quelque supplication ou
requête que j'en fisse.
III
Le mardi 29 mai, l'évêque de Beauvais fit citer Jeanne par huissier
pour comparaître sur la place du Vieux-Marché et entendre la sentence
de condamnation. Jean Massieu alla donc lui signifier la citation.
Elle fut faite à Jeanne le mercredi matin, 30 mai. Frère Martin
Ladvenu était envoyé par l 'évêque, avec frère
Jean Toutmouillé, pour exhorter la condamnée et la préparer
à la mort.
MARTIN LADVENU. - Monseigneur l'évêque de Beauvais nous a envoyés
vers vous pour vous annoncer la mort prochaine, et pour vous induire à
vraie contrition et pénitence, et aussi pour vous ouïr en confession.
Frère Toutmouillé qui nous rapporte cette scène, nous dit
que frère Martin s'acquitta de sa mission " moult soigneusement
et charitativement. Et quand il annonça à la pauvre femme la mort
de quoi elle devait mourir ce jour-là, que ainsi les juges l'avaient
ordonné et entendu, et qu'elle eut ouï la dure et cruelle mort qui
lui était prochaine, elle commença de s'écrier douloureusement
et piteusement, se tirer et arracher les cheveux. "
JEANNE. - Hélas ! me traite-t-on ainsi horriblement et cruellement, qu'il
faille que mon corps net en entier, qui ne fut jamais corrompu, soit aujourd'hui
consumé et rendu en cendres ! Ha ! Ha ! j'aimerais mieux être décapitée
sept fois que d'être ainsi brûlée ! Hélas ! si j'eusse
été en la prison ecclésiastique à laquelle je m'étais
soumise, et que j'eusse été gardée par les gens d'Église,
non pas par mes ennemis et adversaires, rien ne me fût si misérablement
mal advenu, comme il en est. Oh ! j'en appelle devant Dieu, le grand Juge, des
grands torts et ingravances qu'on me fait.
" Et elle se complaignait merveilleusement en ce lieu, ainsi que dit le
déposant, des oppressions et violences qu'on lui avait faites en la prison
par les geôliers, et par les autres qu'on avait fait entrer vers elle.
"
C'est alors qu'entrèrent Pierre Morice et Loyseleur.
LOYSELEUR. - Jeanne, nous vous exhortons pour le salut de votre âme. Est-il
vrai que vous eûtes ces voix et apparitions ?
JEANNE. - Oui.
PIERRE MORICE. - Ces apparitions étaient-elles réelles ?
JEANNE. - Oui, et réellement, soit bons, soit mauvais esprits, ils me
sont apparus. J'entendais les voix surtout à l'heure de compiles, quand
les cloches sonnaient ; et aussi, le matin quand les cloches sonnaient. J'ai
eu des apparitions, qui venaient à moi, tantôt en grande multitude,
et tantôt en petite, sous forme de choses très petites.
UN DES ASSISTANTS. - Croyez-vous que ces apparitions ou voix procèdent
de bons ou de mauvais esprit ? JEANNE. - Je m'en attends à ma mère
l'Église.
C'est un peu après qu'entrèrent l'Évêque et le vice-inquisiteur.
JEANNE. - Évêque, je meurs par vous !
L'ÉVÊQUE. - Ha ! Jeanne, prenez en patience. Vous mourez pour ce
que vous n'avez tenu ce que vous nous aviez promis, et que vous êtes retournée
à votre premier maléfice.
JEANNE. - Hélas ! si vous m'eussiez mise aux prisons de cour d'Église,
et rendue entre les mains des concierges ecclésiastiques compétents
et convenables, ceci ne fût pas advenu. Pourquoi j'appelle de vous devant
Dieu.
L'ÉVÊQUE. - Or ça, Jeanne, vous nous avez toujours dit que
vos voix vous disaient que vous seriez délivrée, et vous voyez
maintenant comment elles vous ont déçue. Dites-nous maintenant
la vérité. JEANNE. - Vraiment, je vois bien qu'elles m'ont déçue.
L'ÉVÊQUE - Vous pouvez bien voir que ces voix n'étaient
pas de bons esprits, et qu'elles ne venaient pas de Dieu. Car, si cela était,
jamais elles n'auraient dit faux ou n'auraient menti.
LOYSELEUR. - Pour ôter l'erreur que vous avez semée dans le peuple,
il vous faudrait avouer publiquement que vous avez été jouée,
et que vous avez joué le peuple, en ayant ajouté foi à
de telles révélations, en ayant exhorté le peuple à
y croire, et il vous faudrait demander humblement pardon pour cela.
JEANNE. - Volontiers le ferai, mais je n'espère pas m'en souvenir quand
besoin en sera, à savoir quand je serai en jugement public. Remettez-moi
cela en mémoire ainsi qu'autres choses concernant mon salut.
Après ce dernier avertissement, Jeanne fut laissée quelque temps
seule avec Martin Ladvenu, frère prêcheur, à qui elle se
confessa, et auquel elle demanda la communion. Très perplexe, celui-ci
envoya Jean Massieu avertir l'Evêque de ce que Jeanne demandait. Une courte
réunion fut tenue, et l'Évêque fit cette réponse
étrange :
L'ÉVÊQUE - Dites à frère Martin qu'il lui baille
le sacrement d'eucharistie, et tout ce qu'elle demandera !
Jean Massieu revint à la prison, et transmit l 'ordre à Martin
Ladvenu.
Un certain maître Pierre apporta donc le corps du Christ, de façon
très irrévérencieuse, sans lumière, sans étole,
simplement posé sur la patène du calice et recouvert du linge.
Frère Martin, mécontent fit aller quérir une étole
et de la lumière.
Au moment de lui donner la communion, frère Martin, tenant l'hostie consacrée
entre ses doigts, dit à Jeanne:
FRÈRE MARTIN. - Croyez-vous que ce soit là le corps du Christ
?
JEANNE. - Oui, et le seul qui me puisse délivrer. Je demande qu'il me
soit baillé !
Au témoignage de Ladvenu, Jeanne reçut la communion avec grande
dévotion, beaucoup de larmes et humilité. " Cela ne se saurait
décrire " C 'est à un moment de cette matinée, on
ne sait lequel, qu'elle demanda à maître Pierre Morice :
JEANNE. - Maître Pierre, où serai-je ce soir ?
PIERRE MORICE. - N'avez-vous pas bonne espérance
Seigneur ?
JEANNE. - Oui, et, Dieu, aidant, je serai en paradis.
IV
A huit heures, Jeanne fut revêtue de la tunique de toile écrue
et soufrée, coiffée d'une mitre où on lisait : " hérétique,
relapse, apostate, ydolastre ". On la fit monter sur la charrette du bourreau
Thierrache, et elle arriva sur la place du Vieux-Marché de Rouen où
une foule énorme était réunie. On la mit sur un échafaud.
En face d'elle se trouvait le bûcher, qui était très élevé
de sorte que le bourreau ne pût atteindre l'accusée, et abréger
ses souffrances, comme on avait l'habitude de faire. Le clergé se tenait
sur une tribune, et les juges civils sur une autre.
Maître Nicolas Midi, insigne docteur en théologie, prêcha
sur ce thème : " Si un membre souffre, tous les autres souffrent
avec lui " (saint Paul aux Corinthiens, 1). Il conclut par la formule habituelle.
NICOLAS MIDI. - Jeanne, va en paix, l'Église ne peut plus te défendre,
et te remet au bras séculier.
L'ÉVÊQUE. - Nous admonestons de nouveau Jeanne de penser au salut
de son âme, de songer à ses méfaits, en faisant pénitence
et assumant vraie contrition. Nous l'exhortons à croire le conseil des
clercs et hommes notables, qui l'enseignent et l'instruisent des choses qui
touchent son salut, et spécialement le conseil des deux vénérables
frères prêcheurs qui sont auprès d'elle, que nous lui avons
baillés pour l'instruire sans relâche et lui prodiguer dans leur
zèle salutaire admonitions et conseils salvateurs.
JEANNE. - Benoîte Trinité ! Benoîte glorieuse Vierge Marie
! Benoîts saints de paradis ! sainte Catherine ! sainte Marguerite ! saint
Michel ! saint Gabriel ! saint Denis !
Ha ! Rouen, Rouen, seras-tu ma maison !
Rouen ! Rouen ! mourrai-je ici ?
Je requiers à toutes manières de gens, de quelque condition ou
état qu'ils soient, tant de mon parti que d'autre, merci humblement.
Qu'ils veuillent prier pour moi ; je leur pardonne le mal qu'ils m'ont
fait.
Je demande pardon aux Anglais et aux Bourguignons, pour ce que j'en ai fait
occire, et mis en fuite, et que je leur ai causé beaucoup de dommages.
Je demande à tous les prêtres ici présents que chacun d'eux
me donne une messe.
Elle continua ainsi à se plaindre et à implorer, pendant une demi-heure,
dit Jean Massieu. Autour d'elle la foule pleurait, sauf quelques Anglais qui
s'efforçaient de rire. Puis l'Évêque se décida à
lire la sentence, qui se terminait ainsi : " ...par cette sentence, que
siégeant en ce tribunal, nous portons en cet écrit et prononçons,
nous décrétons que, tel un membre pourri, pour que tu n 'infectes
pas aussi les autres membres, tu dois être rejetée de l'unité
de l'Église, retranchée de son corps, livrée à la
puissance séculière, et nous te rejetons, retranchons et abandonnons,
priant toutefois la même puissance séculière de modérer
envers toi sa décision, en deçà de la mort et de la mutilation
des membres ; et si de vrais signes de pénitence apparaissent en toi,
que le sacrement de pénitence te soit administré. "
JEANNE. - Je recommande mon âme à Dieu, à la Bienheureuse
Marie, à tous les saints. Je les invoque. Je demande pardon aux juges,
aux Anglais, au roi de France, à tous les princes de mon royaume.
Jamais je n'ai été induite par mon Roi à faire ce que j'ai
fait, soit bien, soit mal.
Je demande à avoir la croix.
" Ce ayant, un Anglais qui était là présent, en fit
une petite de bois, du bout d'un bâton, qu'il lui baîlla. Et dévotement
elle la reçut, et la baisa, en faisant piteuses lamentations et reconnaissances
à Dieu notre Rédempteur qui avait souffert en la croix pour notre
rédemption ; de laquelle croix elle avait le signe et représentation,
et mit icelle croix en son sein, entre sa chair et ses vêtements. "
JEANNE, à Ysambart et Jean Massieu. - Je vous supplie humblement que
vous alliez en l'église prochaine et que vous m'apportiez la croix, pour
la tenir élevée tout droit devant mes yeux jusques au pas de la
mort, afin que la croix, où Dieu pendit, soit en ma vie continuellement
devant mes yeux.
Jean Massieu fit apporter la croix par le clerc de la paroisse de Saint-Sauveur.
Jeanne l'embrassa " moult étroitement et longuement " et la
tint jus- ' qu'à ce qu'elle fût liée au poteau.
JEANNE. - Je me recommande à Dieu, au bienheureux Michel, à la
bienheureuse Catherine, à tous les saints. Je salue tous ceux qui sont
présents.
Pendant que Jean Massieu s'efforçait de réconforter Jeanne, les
Anglais commençaient à l'impatienter. L'un d'eux lui cria : Comment,
prêtre, nous ferez-vous ici dîner ?
On fit donc descendre Jeanne de son échafaud pour la mener devant le
bailli qui, seul, avait pouvoir de la condamner. Mais celui-ci ne se donna pas
cette peine, et aucune sentence légale ne fut rendue contre Jeanne
LE BAILLI (LE BOUTEILLER). - Conduisez-la ! Conduisez-la ! (Il fait signe de
la main aux gardes et dit au bourreau : ) Fais ton devoir.
On mena Jeanne au bûcher pendant qu'elle continuait à invoquer
les saints et les saintes.
JEANNE. - Ha ! Rouen, j'ai grand'peur que tu n'aies à souffrir de ma
mort !
Le bourreau la lia au poteau.
JEANNE. - Saint Michel ! saint Michel !
Le feu fut allumé. Inquiète pour les deux frères : prêcheurs,
elle leur dit de s'écarter.
JEANNE. - Descendez, et levez haut la croix du Seigneur, que je puisse la voir.
De l'eau bénite ! Jésus ! Dans les flammes, on l'entendait répéter
" au moins six fois " le nom de Jésus.
JEANNE. - Jésus ! Jésus ! Jésus ! Jésus ! Jésus
! Jésus !
Puis Ladvenu l'entendit qui disait :
JEANNE. - Les voix que j'aie eues étaient de Dieu. Tout ce que j'ai fait,
je l'ai fait par le commandement de Dieu ! Non, mes voix ne m'ont pas déçues.
Les révélations que j'ai eues étaient de Dieu. Enfin, au
moment de mourir, elle cria, d'une voix très forte : JEANNE. - Jésus
!
On sait que le bourreau ne put arriver à réduire en cendres le
cœur de Jeanne, et que celui-ci fut jeté à la Seine avec
le reste. Le peuple murmurait qu'on avait fait une grande injustice, et Jean
Tressart, secrétaire du roi d'Angleterre, résumait l'opinion de
tous en revenant du lieu du supplice : JEAN TRESSART - Nous sommes tous perdus
! Nous avons brûlé une sainte !
Et maître Jean Alespée, chanoine de Rouen et un des juges, avouait
le jour même :
JEAN ALESPÉE. - Je voudrais que mon âme fût où qu'est
l'âme de cette femme.
CHRONOLOGIE SOMMAIRE
CONCERNANT JEANNE D'ARC
1412 Jeanne, fille de laboureur, naît à Domremy, sur la Meuse,
un village français du Barrois mouvant.
1420 20-21 mai : Le honteux traité de Troyes dénie la légitimité
du dauphin Charles et prétend le priver de ses droits monarchiques au
profit de Henri V d'Angleterre.
1425 (environ) : Jeanne entend pour la première fois des voix mystérieuses.
1429 Janvier : Jeanne se rend à Vaucouleurs, auprès de Robert
de Baudricourt, capitaine de cette place pour le Roi.
22 février : Jeanne quitte Vaucouleurs, ayant conquis à sa cause
Baudricourt.
6 mars : Elle rencontre Charles VII à Chinon.
22 mars : Lettre (ultimatum au nom du Ciel) de Jeanne aux Anglais.
29 avril : Jeanne entre dans Orléans assiégé.
4-7 mai : Prise des bastilles anglaises encerclant Orléans.
8 mai : Les Anglais lèvent le siège.
18 juin : Victoire de Patay.
17 juillet: Charles VII est sacré à Reims.
Décembre : Échec de Jeanne d'Arc à La Charité sur
Loire. Lettres patentes de Charles VII anoblissant le père de Jeanne et toute sa descendance.
1430 23 mai : Tentant de secourir Compiègne, Jeanne tombe aux mains
de Jean de Luxembourg, du parti bourguignon.
Entre la mi-juillet et le 24 octobre (on ne peut préciser davantage)
: Jeanne risque la mort en tentant de s'échapper du château de
Beaurevoir.
6 décembre : Jean de Luxembourg vend Jeanne d'Arc aux Anglais moyennant
10 000 écus d'or.
23 décembre : Jeanne à Rouen, où réside Pierre Cauchon,
évêque-comte de Beauvais (Jeanne a été arrêtée
dans son diocèse), dépossédé de son siège.
1431 9 janvier-23 mai : Présidé par l'évêque de Beauvais,
a lieu à Rouen - pour hérésie et sorcellerie - le procès
de Jeanne devant un tribunal d'Église.
24 mai : Jeanne, ayant fait " soumission ", est condamnée à
la prison perpétuelle.
28 mai : Ayant constaté que Jeanne avait repris ses habits d'homme, les
docteurs la considèrent aussitôt comme " relapse ".
29 mai : Jeanne d'Arc est condamnée à mourir brûlée
vive, comme hérétique et relapse.
30 mai : Elle meurt sur le bûcher, place du Vieux-Marché à
Rouen.
1450 15 février : Charles VII ordonne une information nouvelle sur le
procès et la condamnation de Rouen.
1452 Début d'une enquête ecclésiastique parallèle.
1455 11 juin : Rescrit du pape Calixte III (rendu à la requête
d'Isabelle d'Arc, mère de Jeanne, et des frères de Jeanne, Jean
et Pierre d'Arc du Lys) pour procéder à la révision du
jugement de 1431.
7 novembre : Début du procès (contumace, car Pierre Cauchon est
mort en 1442) sur le fait d'annulation de la condamnation de Jeanne.
1456 7 juillet : Sentence de nullité du procès et de la condamnation
de 1431.
1909 18 avril: Jeanne est béatifiée.
1920 16 mai : Canonisation de Jeanne
EXTRAIT DU CATALOGUE
Henri Lestradet Le sida, propagation et prévention, rapports de la commission
VII de l'Académie nationale de médecine
Isabelle Mourrai Le sens des mots, réflexion sur les embûches et les perversions du langage. Préface de Maurice Schumann
Antoine Moussali La croix et le croissant, le christianisme face à l'islam. Préface d'Alain Besançon
Daniel Ranard de Brieme Dictionnaire du Linceul de Turin
Xavier de Roche Louis XVII, les preuves de la survivance
Philippe Rolland Le Nouveau Testament selon l'ordre chronologique et la structure
littéraire des écrits apostoliques
La Succession apostolique dans le Nouveau Testament
Jean-Marie Veilleur Flos florum, pour une date de la fête de Pâques conforme aux données astronomiques
À PARAÎTRE
Yves Chiron Saints du XXe siècle (répertoire illustré)
Louis Fontaine Mémoire du scoutisme (dictionnaire)
Leïla Mounira Moi, Aïcha, 9 ans, épouse du prophète
Mahomet (récit)
Collection Classiques
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Jean Guitton Rue du Bac ou la superstition dépassée
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Collection authologie
Elena Balzamo Le verbe et le mirador, la poésie au goulag
Emest Chénière Drogues, transe et extase, témoignages
Denis Lensel L'irruption de la grâce, témoignages de conversion
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