62. Bethléhem.-Arrivée de sainte Anne.-Libéralité de la sainte Famille.
Le soir du 19 décembre, je vis sainte Anne, avec Marie d'Héli, une servante, un domestique et deux ânes, passer la nuit à peu de distance de Béthanie : elle se rendait à Bethléem. Joseph avait à peu près fini ses arrangements dans la grotte de la Crèche et dans les grottes latérales, pour loger ses hôtes de Nazareth, et pour recevoir les trois rois, dont Marie avait récemment annoncé l'arrivée lorsqu'ils étaient à Causour. Joseph et Marie étaient allés dans l'autre grotte avec l'Enfant-Jésus. La grotte de la Crèche était entièrement débarrassée. L'âne seul y avait été laissé.
Joseph, autant que je puis m'en souvenir, avait depuis quelque temps payé
le second impôt. De nouveaux curieux étaient venus de Bethléhem
pour voir l'enfant. Il s'était laissé prendre tranquillement
par quelques-uns et s'était détourné de quelques autres
en pleurant.
Je vis la sainte Vierge tranquille dans son nouveau logement, qui était
arrangé commodément. Sa couche était contre la paroi.
L'Enfant-Jésus était près d'elle dans une longue corbeille
faite d'écorce, qui reposait sur des fourches. La couche de Marie,
ainsi que le berceau de l'Enfant-Jésus qui était à côté,
étaient séparés du reste par une cloison en clayonnage.
Le jour, quand elle ne voulait pas être seule, elle était assise
en avant de cette cloison, ayant l'enfant auprès d'elle. Joseph reposait
dans une partie éloignée de la grotte, qui était aussi
séparée du reste. Je vis Joseph porter des aliments à
Marie dans un plat, ainsi qu'une petite cruche et de l'eau.
(Le jeudi, 20 décembre.) Ce soir commençait un jour de jeûne.
Tous les aliments étaient préparés pour le jour suivant
: le feu était couvert et les ouvertures voilées l. Sainte Anne
était arrivée avec la soeur aînée de la sainte
Vierge et une servante. Ces visiteurs devaient passer la nuit dans la grotte
de la Crèche ; c'était pour cela que la sainte Famille s'était
retirée dans la grotte latérale. J'ai vu aujourd'hui Marie mettre
l'enfant dans les bras de sa mère : celle-ci était profondément
touchée. Anne avait apporté des couvertures, des linges et des
provisions de bouche. Elle dormit à l'endroit où Elisabeth avait
reposé, et Marie lui raconta avec beaucoup d'émotion tout ce
qui s'était passé. Anne pleura avec la sainte Vierge, et tout
ce récit fut interrompu par les caresses de l'Enfant-Jésus.
(Le vendredi, 21 décembre.) Je vis aujourd'hui la sainte Vierge revenir
dans la grotte de la Crèche et le petit Jésus c ouche de nouveau
dans la crèche. Quand Joseph et Marie sont seuls près de l'enfant,
je les vois souvent l'adorer. Je vis aussi aujourd'hui sainte Anne se tenir
près de la crèche avec la sainte Vierge dans une attitude respectueuse,
et contempler l'Enfant-Jésus avec un grand sentiment de dévotion
et de ferveur. Je ne sais pas bien si les personnes qui accompagnaient sainte
Anne avaient passe la nuit dans l'autre grotte, ou si elles étaient
allées ailleurs. Je suis portée à croire qu'elles étaient
ailleurs. Je vis aujourd'hui qu'Anne avait apporté différents
objets pour la mère et pour l'enfant. Marie a déjà reçu
bien des choses depuis qu'elle est ici ; mais tout, autour d'elle, présente
l'image de la pauvreté, parce qu'elle donne tout ce dont elle peut
se passer à la rigueur. Je l'entendis dire à Anne que les rois
de l'Orient viendraient bientôt et que leur visite ferait un grand effet.
Je crois que, pendant le séjour des rois, Sainte Anne ira à
trois lieues d'ici, chez sa soeur, et qu'elle reviendra plus tard.
(Le samedi, 9 décembre.) Ce soir, après la clôture du
Sabbat, je vis sainte Anne, avec sa compagne, quitter la sainte Vierge pour
un certain temps. Elle s'en alla à trois lieues de là, dans
la tribu de Benjamin, chez une soeur qui y était mariée. Je
ne sais plus le nom de l'endroit, qui consiste seulement en quelques maisons
dans une plaine. Il est à une demi lieue du dernier logement de la
sainte Famille dans son voyage à Bethléhem.
63. Voyage des trois Rois. Leur arrivée à Jérusalem.
Hérode consulte les docteurs de la loi.
(Le samedi, 22 décembre.) Le cortège des trois rois partit la nuit de Mathanea, et suivit un chemin frayé. Ils ne traversèrent plus aucune ville, mais passèrent le long de tous les petits endroits dans lesquels Jésus, à la fin du mois de juillet de sa troisième année de prédication, enseigna, guérit et bénit les enfants : de ce nombre était Bethabara, où ils arrivèrent le matin de bonne heure pour le passage du Jourdain. Comme c'était le jour du sabbat, ils ne rencontrèrent que peu de gens sur le chemin.
Ce matin, à sept heures, je vis la caravane passer le Jourdain. Ordinairement
on traversait le fleuve à l'aide d'un appareil en poutres ; mais pour
de grands convois' avec de lourds bagages, on jetait une espèce de
pont. Les bateliers qui habitaient sur les bords avaient coutume de faire
ce travail moyennant une rétribution ; mais, comme c'était le
jour du sabbat et qu'ils ne pouvaient pas travailler, les voyageurs s'occupèrent
eux-mêmes de leur passage, et ils furent aidés par quelques paiens,
valets des bateliers. Le Jourdain n'était pas très large en
cet endroit, et il était plein de bancs de sable. On plaça des
planches sur les poutres à l'aide desquelles on passait ordinairement,
et on y fit passer les chameaux. Il fallut assez de temps pour que tout le
monde pût atteindre la rive occidentale.
Le soir, à cinq heures et demie, elle dit : ils ont laissé Jéricho
à leur droite ; ils sont dans la direction de Bethléhem, mais
ils se détournent à droite dans cette de Jérusalem. Il
y a bien une centaine d'hommes avec eux. Je vois dans le lointain une petite
ville qui m'est connue ; elle est près d'un petit cours d'eau qui,
à partir de Jérusalem, coule de l'ouest à l'est. Ils
doivent certainement passer par cette petite ville. Pendant un certain temps,
ils ont le petit cours d'eau à leur gauche. Tantôt on voit Jérusalem,
tantôt elle disparaît, selon que la route monte ou descend. Elle
dit plus tard : ils n'ont pas passé par la petite ville, ils se sont
détournés à droite vers Jérusalem.
Le samedi soir, 22 décembre, après la clôture du sabbat,
je vis le cortège des trois rois arriver devant Jérusalem. Je
vis la ville avec ses hautes tours qui s'élevaient vers le ciel. L'étoile
qui les conduisait avait presque disparu, elle jetait seulement encore une
faible lueur derrière la ville. A mesure que les voyageurs s'étaient
approchés de Jérusalem, ils avaient perdu de leur confiance,
car l'étoile ne se montra t plus à eux si brillante, à
beaucoup près, et en Judée ils la voyaient bien moins souvent.
Ils avaient cru aussi trouver partout des fêtes et des réjouissances
à cause de la naissance de ce Sauveur pour lequel ils étaient
venus de si loin. Mais, comme ils ne rencontraient que la plus entière
indifférence à ce sujet, ils s'attristaient, se troublaient
et craignaient de s'être complètement trompés.
Le cortège, qui pouvait être de deux cents personnes, avait à
peu près un quart de lieue de long. Déjà, à Causour,
un certain nombre de gens de distinction s'étaient adjoints à
eux. D'autres avaient fait de même plus tard. Les trois rois étaient
assis sur trois dromadaires. Trois autres dromadaires étaient chargés
de bagages. Chaque roi avait près de lui quatre hommes de sa tribu.
La plupart des autres personnes du cortège montaient des animaux très
légers à la course, qui avaient de très jolies têtes.
Je ne sais pas si c'étaient des chevaux ou des ânes ; ils ne
ressemblaient pas à nos chevaux. Ceux de ces animaux dont se servaient
les gens de distinction, avaient de beaux harnais et de belles brides : ils
étaient ornés de chaînes et d'étoiles d'or. Quelques
gens de la suite des rois allèrent à la ville et revinrent avec
des gardiens et des soldats. Leur arrivée, avec un si nombreux cortège,
dans un moment où il n'y avait pas de fête, et sans qu'ils vinssent
pour faire le commerce, était, sur cette route surtout, une chose tout
à fait inaccoutumée Aux questions qu'on leur adressa, ils répondirent
pourquoi ils venaient ; ils parlèrent de l'étoile et de l'enfant
nouveau-né. Personne n'y pouvait rien comprendre. Ils furent très
troublés de cela, et pensaient qu'ils s'étaient trompés,
puisqu'ils ne trouvaient pas un homme qui parût savoir quelque chose
touchant le Sauveur du monde ; car tous ces gens les regardaient avec surprise,
et ne pouvaient s'imaginer ce qu'ils voulaient.
Quand les gardiens de la porte virent avec quelle bonté ils distribuaient
d'abondantes aumônes aux mendiants qui s'approchaient d'eux, et les
entendirent dire qu'ils cherchaient un logement, et qu'ils payeraient tout
généreusement ; quand ils ajoutèrent qu'ils voulaient
parler au roi Hérode, quelques-uns d'entre eux rentrèrent dans
: la ville, et il s'ensuivit des allées et des venues, des messages
et des explications. Pendant ce temps, les trois rois s'entretinrent avec
des gens de toute espèce qui s'étaient rassemblés autour
d'eux. Quelques-uns de ces hommes avaient entendu parler d'un enfant né
à Bethléhem, mais ils ne pensaient pas qu'il y eut là
rien d'important, parce que les parents étaient pauvres et des gens
du commun ; d'autres se moquaient d'eux. Ils comprirent, d'après ce
qu'on leur disait, qu'Hérode ne savait rien touchant cet enfant nouveau-né,
et comme, d'ailleurs, ils ne comptaient guère sur Hérode, ils
furent de plus en plus découragés ; car ils étaient embarrassés
de l'attitude qu'ils auraient devant Hérode et de ce qu'ils lui diraient.
Leur tristesse pourtant ne leur fit pas perdre leur calme, et ils se mirent
à prier. Alors le courage leur revint, et ils se dirent les uns aux
autres : Celui qui nous a conduits si vite par le moyen de l'étoile,
saura bien nous ramener heureusement chez nous.
Quand enfin les surveillants furent revenus, on conduisit le cortège
le long des murs de la ville, et on les fit entrer par une porte située
dans le voisinage du Calvaire. A peu de distance du marché aux poissons,
ils furent conduits dans une cour ronde, entourée d'écuries
et de logements, et à l'entrée de laquelle se tenaient des gardes.
Les bêtes de somme furent mises dans les écuries ; eux-mêmes
se retirèrent sous des hangars, dans le voisinage d'une fontaine placée
au milieu de la cour. Cette cour touchait par un côté à
une hauteur ; des autres côtés, elle était dégagée,
et il y avait des arbres devant. Des employés vinrent alors, deux par
deux, avec des lanternes, et visitèrent les bagages des rois. Je pense
que c'étaient des douaniers.
Le palais d'Hérode était situé plus haut, à peu
de distance de cet édifice, et je vis le chemin éclairé
par des lanternes et des falots placés sur des perches. Il envoya un
de ses valets, chargé d'amener secrètement le roi Théokéno
dans son palais. Il était près de dix heures du soir. Théokéno
fut reçu dans une salle d'en bas par un courtisan d'Hérode et
interrogé sur les motifs de son voyage. Il raconta tout avec une grande
simplicité, et pria cet homme de demander à Hérode où
était le roi nouveau-né des Juifs, dont ils avaient vu et suivi
l'étoile.
Lorsque le courtisan eut fait son rapport à Hérode, celui-ci
fut d'abord très troublé, mais il se remit et fit répondre
qu'il voulait faire prendre des informations à ce sujet. Il fit engager
les trois rois à se reposer en attendant ; car, disait-il, il voulait
s'entretenir avec eux le lendemain et leur faire connaître ce qu'il
aurait appris.
Lorsque Théokéno revint près de ses compagnons de voyage,
il ne put leur porter aucune nouvelle qui les consolât. On n'avait rien
disposé pour les faire reposer, et ils tirent refaire bien des paquets
qui avaient été défaits. Je ne les vis pas dormir pendant
cette nuit, mais quelques-uns d'entre eux errèrent dans la ville, regardant
le ciel comme pour y chercher leur étoile. Dans Jérusalem même
tout était silencieux, mais devant la cour on s'agitait et on prenait
des informations. Les rois supposaient qu'Hérode devait tout savoir,
mais qu'il se cachait d'eux.
Il y avait une fête chez Hérode au moment où Théokéno
était dans le palais ; les salles étaient éclairées
: on voyait là toutes sortes de gens et des femmes parées indécemment.
Les questions de Théokéno touchant un roi nouveau-né
troublèrent beaucoup Hérode, et il fit aussitôt convoquer
chez lui les princes des prêtres et les scribes. Je les vis, avant minuit,
venir près de lui avec des rouleaux d'écriture. Ils avaient
leurs costumes de prêtres, des plaques sur la poitrine et des ceintures
sur lesquelles étaient brodées des lettres. J'en vis environ
une vingtaine autour de lui. Il leur demanda où le Messie devait naître
; je les vis alors déployer leurs rouleaux et répondre en désignant
un passage avec le doigt : " il doit naître à Bethléhem
de Juda, disaient-ils, car il est écrit dans le prophète Michée
: " Et toi, Bethléhem, tu n'es pas a la plus petite parmi les
princes de Juda ; car c'est de toi que sortira le chef qui doit gouverner
mon peuple dans Israel ". Je vis alors Hérode se promener avec
quelques-uns d'entre eux sur le toit en terrasse du palais et chercher inutilement
des yeux l'étoile dont avait parlé Théokéno. Il
était extraordinairement inquiet ; mais les prêtres et les docteurs
lui firent de longs discours pour le tranquilliser, disant qu'il ne fallait
pas attacher d'importance aux propos des rois mages ; que ces gens, amis du
merveilleux, se faisaient toujours de singulières imaginations avec
leurs étoiles ; que si quelque chose de pareil avait eu lieu, on le
saurait dans le temple et dans la ville sainte, qu'Hérode et eux-mêmes
ne pourraient l'ignorer.
64. Les Rois devant Hérode. Conduite de celui-ci et ses motifs.
(Le dimanche, 23 décembre.) Aujourd'hui, de très grand matin, Hérode fit conduire secrètement les trois rois dans son palais. Ils furent reçus sous une arcade et conduits dans une salle où je vis des branches vertes et des bouquets dans des vases, et où on avait préparé quelques rafraîchissements. Au bout de quelque temps, Hérode vint ; ils s'inclinèrent devant lui et l'interrogèrent sur le roi des Juifs nouvellement né. Hérode cacha du mieux qu'il put son agitation et feignit une grande joie. Il y avait encore quelques scribes avec lui. Il leur fit des questions sur ce qu'ils avaient vu, et Mensor lui décrivit la dernière apparition qu'ils avaient vue dans le ciel avant leur départ : c'était, lui dit-il, une vierge, et devant elle un enfant, du côté droit duquel était sortie une branche lumineuse ; puis, au-dessus de celle-ci, s'était montrée une tour à plusieurs portes. Cette tour était devenue une grande ville, au-dessus de laquelle l'enfant avait paru avec une couronne, un glaive et un sceptre comme un roi ; après quoi ils s'étaient vus eux-mêmes, ainsi que tous les rois du monde, prosternés devant l'enfant et l'adorant ; car il avait un empire auquel tous les autres empires devaient se soumettre, etc. Hérode leur dit qu'il existait une prophétie disant quelque chose de semblable à propos de Bethléhem Ephrata ; il les engagea à y aller sans bruit, et quand ils auraient trouvé l'enfant, à revenir le lui dire, afin que lui aussi pût aller l'adorer. Les rois, qui n'avaient pas touché aux mets qu'on avait apprêtés pour eux, s'en retournèrent à leur logis. Il était encore de grand matin, car je vis des lanternes allumées devant le palais. Hérode conféra avec eux très secrètement' pour éviter qu'on en parlât. Comme il commençait à faire jour, ils se préparèrent à partir. Les gens qui avaient accompagné le cortège jusqu'à Jérusalem s'étaient dès la veille dispersés dans la ville.
Hérode était en ce moment plein de mécontentement et
d'irritation. Lors de la naissance de Jésus-Christ, il se trouvait
dans un château qu'il avait près de Jéricho, et il s'était
rendu coupable d'un lâche assassinat. Il avait placé dans la
haute administration du temple des gens de son parti qui espionnaient à
son profit ce qui se passait là, et lui dénonçaient ceux
qui s'opposaient à ses desseins. Le principal de ses adversaires était
un haut fonctionnaire du temple, homme juste et pieux. Hérode, sous
les dehors de l'amitié, le fit inviter à venir le trouver à
Jéricho, puis il le fit attaquer et assassiner dans le désert,
mettant ce meurtre sur le compte des brigands. Quelques jours après,
il alla à Jérusalem pour prendre part à la célébration
de la fête de la dédicace du temple, qui avait lieu le 25 du
mois de Casleu, et il s'y engagea dans une affaire très désagréable.
Voulant faire plaisir aux Juifs à sa manière, il avait fait
faire en or une figure d'agneau, ou plutôt de chevreau, car elle avait
des cornes, afin que cette image fût placée sur la porte qui
conduisait de la cour des femmes à la cour des immolations. Il voulut
faire cela de sa propre autorité, et que pourtant on lui en sût
gré. Les prêtres s'y étant opposés, il les menaça
de leur faire payer une amende ; ils déclarèrent qu'ils la payeraient,
mais qu'ils n'admettraient pas l'image en question, parce que cela était
contraire aux prescriptions de la loi. Hérode furieux voulut faire
placer l'image secrètement ; mais, quand on l'eut apportée,
un Israélite zélé la saisit et la jeta par terre, en
sorte qu'elle se brisa en deux morceaux. Il y eut du tumulte à cette
occasion, et Hérode fit mettre cet homme en prison. Cette affaire l'avait
fort irrité, et il se repentait d'être venu à la fête.
Mais ses courtisans tâchaient de le distraire et de l'amuser.
Il était dans cette disposition d'esprit lorsque des bruits se répandirent
sur la naissance du Christ. Depuis longtemps, en Judée, plusieurs hommes
pieux vivaient dans l'attente de la venue du Messie, qu'ils regardaient comme
prochaine. Ce qui s'était passé lors de la naissance de Jésus
avait été divulgué par les bergers. Cependant beaucoup
de gens considérables regardaient tout cela comme des fables et de
vains discours. Hérode en avait aussi entendu parler, et il avait fait
prendre très secrètement des informations à Bethléhem
; ses émissaires étaient venus à la crèche trois
jours après la naissance de Jésus, et, après s'être
entretenus avec saint Joseph, ils déclarèrent, en hommes orgueilleux
qu'ils étaient, que c'était une chose sans conséquence
; qu'il n'y avait là qu'une pauvre famille dans une misérable
grotte, et que tout cela ne méritait pas qu'on s'en occupât.
Leur orgueil même les avait empêchés, dés le commencement,
d'interroger sérieusement saint Joseph, d'autant plus qu'ils avaient
reçu l'ordre d'éviter ce qui pourrait attirer l'attention. Mais
tout d'un coup Hérode vit arriver les trois rois avec leur immense
suite, ce qui le jeta dans une grande inquiétude ; car ils venaient
de bien loin, et c'était là quelque chose de plus que de simples
bruits. Comme ils parlaient avec tant d'assurance du roi nouveau-né,
il teignit aussi de vouloir lui rendre hommage, et ils se réjouirent
de le voir ainsi disposé. L'aveuglement orgueilleux des scribes ne
parvint pas à le tranquilliser, et l'intérêt qu'il avait
à tenir cet incident aussi secret que possible détermina sa
conduite. Il ne fit d'abord aucune objection aux explications des trois rois
; il ne mit pas non plus aussitôt la main sur Jésus, pour ne
pas donner crédit à leurs dires en présence d'un peuple
très difficile à manier. Il résolut d'obtenir des informations
plus exactes par le moyen même des trois rois, et de prendre ensuite
des mesures en conséquence. Mais, comme les rois, avertis par Dieu,
ne revinrent pas vers lui, il fit représenter leur fuite comme la conséquence
d'une illusion ou d'un mensonge de leur part. On fit répandre partout
qu'ils n'avaient pas osé reparaître, parce qu'ils étaient
honteux de l'erreur grossière où ils étaient tombés
et où ils avaient voulu entraîner les autres ; " car, sans
cela, disait-on, quelles raisons auraient-ils pu avoir pour s'enfuir clandestinement,
après avoir été reçus d'une façon si amicale
? "
C'est ainsi qu'il essaya plus tard d'assoupir toute l'affaire. Il fit seulement
dire à Bethléhem qu'on ne devait pas se mettre en rapport avec
cette famille dont il avait été parlé, ni accueillir
des bruits et des inventions propres à égarer les esprits. Comme
la sainte Famille retourna à Nazareth quinze jours plus tard, on cessa
bientôt de parler d'événements sur lesquels la multitude
n'avait eu que des renseignements assez vagues, et les gens pieux qui espéraient
gardèrent le silence.
Quand tout parut à peu près oublié, Hérode pensa
à se défaire de Jésus, mais il apprit que la famille
avait quitté Nazareth avec l'enfant. Il le fit longtemps rechercher
; mais, tout espoir de le trouver s'étant évanoui, son in quiétude
en devint plus grande, et il eut recours à la mesure désespérée
du massacre des enfants. Il prit, du reste, à cette occasion les plus
grandes précautions, et envoya d'avance des troupes partout où
l'on pouvait craindre quelque émeute. Je crois que le massacre eut
lieu en sept endroits.
65. Les Saints Rois vont de Jérusalem à Bethléhem.
Ils adorent l'Enfant et lui offrent leurs présents.
Je vis le cortège des trois rois arriver à une porte située au midi. Une troupe d'hommes les suivit jusqu'à un ruisseau qui est en avant de la ville, et s'en retourna ensuite. Quand ils eurent franchi le ruisseau, ils firent une petite halte et cherchèrent l'étoile des yeux. L'ayant aperçue, ils jetèrent un cri de joie et continuèrent leur marche en chantant. L'étoile ne les conduisit pas en ligne directe, mais par un chemin qui se détournait un peu à l'ouest.
Ils passèrent devant une petite ville que Je connais bien, derrière
laquelle je les vis s'arrêter et prier vers midi, dans un site agréable
voisin d'un hameau. En cet endroit, une source jaillit de terre devant eux,
ce qui les remplit de joie. Ils descendirent et creusèrent pour cette
source un bassin qu'ils entourèrent de sable, de pierres et de gazon.
Ils campèrent là plusieurs heures, firent boire et manger leurs
bêtes, et prirent eux-mêmes un peu de nourriture ; car à
Jérusalem ils n'avaient pu prendre aucun repos par suite de leurs diverses
préoccupations. Plus tard, j'ai vu Notre Seigneur s'arrêter plusieurs
fois près de cette source avec ses disciples. L'étoile, qui
brillait la nuit comme un globe de feu, ressemblait maintenant à la
lune vue dans le jour ; elle ne paraissait pas parfaitement ronde, mais comme
découpée ; je la vis souvent cachée par des nuages.
Sur la route directe de Bethléhem à Jérusalem il y avait
un grand mouvement de voyageurs avec des bagages et des ânes ; c'étaient
probablement des gens qui revenaient de Bethléhem après avoir
payé l'impôt, ou qui allaient à Jérusalem pour
le marché ou pour visiter le temple. Le chemin que suivaient les rois
était solitaire, et Dieu les conduisait sans doute par là pour
qu'ils pussent arriver à Bethléhem le soir et sans faire trop
d'effet. Je les vis se remettre en marche quand le soleil était déjà
très bas. Ils allaient dans le même ordre qu'en venant ; Mensor,
le plus jeune, allait en avant ; puis venait Sair, le basané, et enfin
Théokéno, le blanc et le plus âgé.
(Le dimanche, 23 décembre). Je vis aujourd'hui, par le crépuscule
du soir, le cortège des saints rois arriver devant Bethléhem,
près de ce même édifice où Joseph et Marie s'étaient
fait inscrire : c'était l'ancienne maison de la famille de David. Il
n'en reste plus que quelques débris de murs ; elle avait appartenu
aux parents de saint Joseph. C'était un grand bâtiment entouré
d'autres plus petits, avec une cour fermée, devant laquelle était
une place plantée d'arbres et où se trouvait une fontaine. Je
vis sur cette place des soldats romains, parce que la maison était
comme le bureau des collecteurs de l'impôt. Quand le cortège
arriva, un certain nombre de curieux se rassembla autour de lui. L'étoile
ayant disparu, les rois avaient quelque inquiétude. Des hommes s'approchèrent
d'eux et les interrogèrent. Ils descendirent de leurs montures, et
des employés vinrent de la maison à leur rencontre avec des
branches à la main, et leur offrirent quelques rafraîchissements.
C'était l'usage de souhaiter ainsi la bienvenue à des étrangers
de cette espèce. Je me dis à moi-même : On est bien plus
poli avec eux qu'avec le pauvre saint Joseph, parce qu'ils ont distribué
de petites pièces d'or. On leur parla de la vallée des bergers
comme d'un bon endroit pour y dresser leurs tentes. Ils restèrent assez
longtemps dans l'indécision. Je ne les entendis pas faire des questions
sur le roi des Juifs nouvellement né : ils savaient que Bethléhem
était l'endroit dédaigné par la prophétie ; mais,
par suite des discours d'Hérode, ils craignaient d'attirer l'attention.
Bientôt ils virent briller du ciel, sur un côté de Bethléhem,
un météore semblable à la lune à son lever ; alors
ils remontèrent sur leurs bêtes ; puis, longeant un fossé
et des murs en ruine, ils firent le tour de Bethléhem par le midi et
se dirigèrent à l'orient, vers la grotte de la Crèche,
qu'ils abordèrent par le côté de la plaine où les
anges étaient apparu aux bergers.
Quand ils furent arrivés prés du tombeau de Maraha dans la vallée
qui est derrière la grotte de la Crèche. Ils descendirent de
leurs montures. Leurs gens défirent beaucoup de paquets, dressèrent
une grande tente qu'ils portaient avec eux, et firent d'autres arrangements,
avec l'aide de quelques bergers qui leur indiquèrent les places les
plus convenables. Le campement était arrangé en partie, quand
les rois virent l'étoile se montrer, claire et brillante, sur la colline
de la Crèche et y diriger perpendiculairement ses rayons. Elle parut
grandir beaucoup et répandit une masse de lumière extraordinaire.
Je les vis d'abord regarder d'un air très étonné. Il
faisait sombre ; ils ne voyaient pas de maison, mais seulement la forme d'une
colline semblable à un rempart. Tout d'un coup, ils furent saisis d'une
grande joie, car ils virent dans la lumière la figure resplendissante
d'un enfant. Tous se découvrirent la tête pour témoigner
leur respect ; puis les trois rois allèrent vers la colline et trouvèrent
la porte de 'a grotte. Mensor l'ouvrit ; il vit la grotte pleine d'une lumière
céleste, et au fond la Vierge tenant l'enfant et assise, telle que
ses compagnons et lui l'avaient vue dans leurs visions.
Il retourna aussitôt su. ses pas et dit aux autres ce qu'il venait de
voir. Alors Joseph sortit de la grotte, accompagné d'un vieux berger,
pour aller à leur rencontre. Ils lui dirent en toute simplicité
comment ils étaient venus pour adorer le roi nouveau-né des
Juifs, dont ils avaient vu l'étoile, et pour lui offrir leurs présents.
Joseph les accueillit amicalement, et le vieux berger les accompagna près
de leur suite et les aida dans leurs arrangements, ainsi que quelques autres
bergers qui se trouvaient là.
Eux-mêmes se préparèrent comme pour une cérémonie
solennelle. Je les vis mettre de grands manteaux blancs qui avaient une longue
queue ; ces manteaux avaient un reflet brillant comme s'ils eussent été
de soie brute ; ils étaient très beaux et flottaient légèrement
autour d'eux : c'était leur costume ordinaire pour les cérémonies
religieuses. Ils portaient à la ceinture des bourses et des boites
d'or suspendues à des chaînes. Tout cela était recouvert
par leurs larges manteaux. Chacun des rois était suivi par quatre personnes
de sa famille ; il y avait en outre quelques serviteurs de Mensor qui portaient
une petite table, un tapis à franges et d'autres menus objets. Quand
ils eurent suivi saint Joseph sous l'auvent qui était devant la grotte,
ils recouvrirent la table avec le tapis, et chacun des trois rois y plaça
quelques-unes des boîtes d'or et des vases qu'ils détachèrent
de leur ceinture : c'étaient les présents qu'ils offraient en
commun. Mensor et tous les autres ôtèrent leurs sandales, et
Joseph ouvrit la porte de la grotte Deux jeunes gens de la suite de Mensor
marchaient devant lui ; ils étendirent une pièce d'étoffe
sur le sol de la grotte, puis ils se retirèrent en arrière ;
deux autres le suivirent avec la table, où étaient les présents.
Arrivé devant la sainte Vierge, il les prit, et, mettant un genou en
terre, il les déposa respectueusement à ses pieds. Derrière
Mensor étaient les quatre hommes de sa famille qui s'inclinaient humblement.
Sair et Théokéno, avec leurs compagnons, se tenaient en arrière
dans l'entrée. Quand ils s'avancèrent, ils étaient comme
ivres de joie et d'émotion et inondés de la lumière qui
remplissait la grotte ; et pourtant il n'y avait là d'autre lumière
que la Lumière du monde. Marie, appuyée sur un bras, était
plutôt couchée qu'assise sur un tapis, à la gauche de
l'Enfant-Jésus, lequel était étendu, à la place
où il était né, dans une auge recouverte d'un tapis et
placée sur une estrade ; mais au moment où ils entrèrent,
la sainte Vierge se mit sur son séant, se voila et prit dans ses bras
l'Enfant-Jésus enveloppé dans son large voile. Mensor s'agenouilla,
et, mettant les présents devant lui, il prononça de touchantes
paroles par lesquelles il lui faisais hommage, en croisant ses mains devant
sa poitrine et en inclinant sa tête découverte. Pendant ce temps,
Marie avait mis à nu le haut du corps de l'enfant, qui regardait d'un
air aimable du milieu du voile dont il était enveloppé ; sa
mère soutenait sa petite tête de l'un de ses bras et l'entourait
de l'autre. Il avait ses petites mains jointes devant sa poitrine, et souvent
il les étendait gracieusement autour de lui.
Oh ! combien se trouvaient heureux de l'adorer ces chers hommes de l'Orient
! Quand je voyais cela, je me disais à moi-même : " Leurs
coeurs sont purs et sans souillure, pleins de tendresse et d'innocence comme
des coeurs d'enfants pieux. Il n'y a rien de violent en eux, et pourtant ils
sont pleins de feu et d'amour. Je suis morte, je ne suis plus qu'un esprit
; autrement je ne pourrais pas voir cela, car cela n'existe pas maintenant,
et cependant existe maintenant ; mais cela n'existe pas dans le temps ; en
Dieu il n'y a pas de temps ; en Dieu tout est présent ; je suis morte,
je ne suis plus qu'un esprit ". Pendant que j'avais ces pensées
si étranges, j'entendis me voix qui me disait : " Que t'importe
cela ? regarde et loue le Seigneur, qui est éternel et dans lequel
tout est éternel ".
Je vis alors Mensor tirer d'une bourse, qui était ; suspendue à
sa ceinture, une poignée de petites barres compactes, pesantes, de
la longueur du doigt, effilées à l'extrémité et
brillantes comme de l'or : c'était son présent, qu'il plaça
humblement sur les genoux de la sainte Vierge, à côté
de l'Enfant-Jésus. Elle prit l'or avec un remerciement gracieux et
le couvrit d'un coin de son manteau. Mensor donna ces petites barres d'or
vierge parce qu'il était plein de sincérité et de charité,
et qu'il cherchait la vérité avec une ardeur constante et inébranlable.
Mensor se retira en arrière avec ses quatre suivants, et Sair, le roi
basané, s'avança avec les siens et s'agenouilla avec une profonde
humilité ; il offrit son présent avec des paroles touchantes
: c'était un vase d'or à mettre de l'encens, plein de petits
grains résineux, de couleur verdâtre ; il le plaça sur
la table devant l'Enfant-Jésus. Il donna l'encens, parce que c'était
un homme qui se conformait respectueusement et du fond du coeur à la
volonté de Dieu et la suivait avec amour. Il resta longtemps agenouillé
avec une grande ferveur avant de se retirer.
Après lui vint Théokéno, le plus vieux des trois ; il
était très avancé en âge ; ses membres étaient
raides, et il ne pouvait pas se mettre à genoux ; mais il se tint debout,
profondément incliné, et plaça sur la table un vase d'or
avec une belle plante verte. C'était un bel arbuste à tige droite,
avec de petits bouquets frisés surmontés de jolies fleurs blanches
: c'était la myrrhe. Il offrit la myrrhe, parce qu'elle est le symbole
de la mortification et de la victoire sur les passions ; car cet excellent
homme avait soutenu des luttes persévérantes contre l'idolâtrie,
la polygamie et les habitudes violentes de ses compatriotes. Dans son émotion,
il resta si longtemps devant l'Enfant-Jésus avec ses quatre suivants,
que je pris pitié des autres serviteurs restés hors de la grotte,
parce qu'ils avaient tant attendu pour voir l'Enfant-Jésus.
Les paroles des rois et de tous leurs compagnons étaient pleines de
simplicité et fort touchantes. En se prosternant et en lui offrant
leurs présents, ils s'exprimaient à peu près en ces termes
: Nous avons vu son étoile ; nous savons qu'il est le Roi de tous les
rois ; nous venons l'adorer et lui offrir notre hommage et nos présents,
et ainsi de suite. Ils étaient comme en extase, et, dans leurs prières
naïves et affectueuses, ils recommandaient à l'Enfant-Jésus
eux-mêmes, leurs familles, leur pays, leurs biens et tout ce qui avait
du prix pour eux sur la terre. Ils offraient au roi nouveau-né leurs
coeurs, leurs âmes, leurs pensées et leurs actions. Ils le priaient
de les éclairer, de leur donner la vertu, le bonheur, la paix et l'amour.
Ils se montraient enflammés d'amour et répandaient des larmes
de joie, qui tombaient sur leurs joues et leurs barbes. Ils étaient
dans le bonheur ; ils croyaient être arrivés eux-mêmes
dans cette étoile vers laquelle' depuis des milliers d'années,
leurs ancêtres avaient dirigé leurs regards et leurs soupirs
avec un désir si constant. Toute la joie de la promesse accomplie après
tant de siècles était en eux.
La mère de Dieu accepta tout avec d'humbles actions de grâces
; d'abord, elle ne dit rien, mais un simple mouvement sous son voile exprimait
sa pieuse émotion. Le petit corps de l'enfant se montrait brillant
entre les plis : de son manteau. A la fin, elle adressa à chacun quelques
paroles humbles et gracieuses et retira un peu son voile en arrière.
Oh ! j'ai pris là une nouvelle leçon ; je me disais à
moi-même : Avec quelle douce et aimable gratitude elle reçoit
chaque présent ! Elle qui n'a besoin de rien, qui possède Jésus,
qui accueille avec humilité tous les dons de la charité. Moi
aussi, à l'avenir, je recevrai' humblement et avec reconnaissance tous
les dons charitables. Que de bonté dans Marie et dans Joseph. Ils ne
gardaient presque rien pour eux, et distribuaient tout aux pauvres.
Lorsque les rois eurent quitté la grotte avec leurs suivants et furent
retournés à leur tente, leurs serviteurs entrèrent à
leur tour. Ils avaient dressé la tente, déchargé les
bêtes de somme, mis tout en ordre, et ils attendaient devant la porte,
patiemment et humblement. Ils étaient plus de trente, et il y avait
aussi avec eux une troupe d'enfants qui avaient seulement un linge autour
des reins et un petit manteau. Les serviteurs entraient cinq par cinq, et
un des principaux personnages auxquels ils appartenaient les conduisait. Ils
s'agenouillaient autour de l'Enfant et l'honoraient en silence. Enfin, les
enfants entrèrent tous ensemble, se mirent à genoux et adorèrent
Jésus avec une joie innocente et naive. Les serviteurs ne restèrent
pas longtemps dans la grotte de la Crèche, car les rois rentrèrent
avec solennité. Ils avaient mis d'autres manteaux longs et flottants
; ils portaient à la main des encensoirs, et ils encensèrent
très respectueusement l'enfant, la sainte Vierge, Joseph et toute la
grotte ; puis ils se retirèrent après s'être inclinés
profondément. C'était une manière d'adorer chez ce peuple.
Pendant tout ce temps, Marie et Joseph étaient pénétrés
de la plus douce joie où je les eusse jamais vus ; des larmes d'attendrissement
coulaient souvent sur Leurs joues. Les honneurs solennellement rendus à
l'Enfant-Jésus, qu'ils étaient obligés de loger si pauvrement,
et dont la dignité suprême restait cachée dans leurs coeurs,
les consolaient infiniment ; ils voyaient que la Providence toute-puissante
de Dieu, malgré l'aveuglement des hommes, avait préparé
pour l'Enfant de la promesse et lui avait envoyé des contrées
les plus lointaines ce qu'eux-mêmes ne pouvaient lui donner, l'adoration
due à sa dignité rendue par les puissants de la terre avec une
sainte magnificence. Ils adoraient Jésus avec les saints rois ; les
hommages qui lui étaient adressés les rendaient heureux.
Les tentes étaient dressées dans la vallée située
derrière la grotte de la Crèche jusqu'à la grotte du
tombeau de Maraha ; les bêtes étaient rangées en ordre
et attachées à des pieux séparés par des cordes.
Près de la grande tente qui était voisine de la colline de la
Crèche, se trouvait un espace recouvert de nattes, où était
déposée une partie des bagages ; cependant, la plus grande partie
fut portée dans la grotte du tombeau de Maraha. Quand tous eurent quitté
la crèche, les étoiles s'étaient levées. Ils se
rassemblèrent en cercle près du vieux térébinthe,
qui s'élevait au-dessus de la grotte de Maraha, et entonnèrent
des chants solennels en présence des étoiles. Je ne puis dire
combien étaient touchants ces chants qui retentissaient dans la vallée
silencieuse. Pendant tant de siècles leurs ancêtres avaient regardé
les astres, prié, chanté ; maintenant, tous leurs désirs
étaient exaucés ; ils chantaient comme enivrés de joie
et de reconnaissance.
Pendant ce temps, Joseph, avec l'aide de deux vieux bergers, avait apprêté
un petit repas dans la tente des trois rois. Ils apportèrent du pain,
des fruits, des rayons de miel, quelques herbes et des flacons de baume, qu'ils
rangèrent sur une table basse recouverte d'un tapis. Joseph s'était
procuré tout cela dès le matin pour recevoir les rois, dont
la sainte Vierge lui avait annoncé d'avance l'arrivée. Quand
ceux-ci revinrent à leur tente, je vis saint Joseph les accueillir
très amicalement, et les prier, comme étant ses hôtes,
d'accepter le petit repas qu'il leur offrait. Il se plaça à
côté d'eux autour de la table, et ils mangèrent. Il ne
montrait point de timidité ; il était si content qu'il versait
des larmes de joie.
Quand je vis cela, je pensai à feu mon père, le pauvre paysan,
qui, lors de ma vêture dans le couvent, fut obligé de se mettre
à table avec beaucoup de gens de distinction. Dans sa simplicité
et son humilité, il avait eu d'abord grand peur ; puis, plus tard,
son contentement fut tel, qu'il en pleura de joie. Il tenait, sans le vouloir,
la première place à la fête. Après ce petit repas,
Joseph les quitta. Quelques-uns des plus considérables de la caravane
allèrent à une auberge de Bethléhem ; les autres se placèrent
sur leurs couches, qui étaient rangées en cercle dans la grande
tente, et se livrèrent au repos. Joseph, revenu à la grotte,
mit tous les présents à droite de la crèche, dans un
recoin devant lequel il avait mis une cloison, en sorte qu'on ne pouvait pas
voir ce qui s'y trouvait. La servante d'Anne qui, après le départ
de celle-ci, était restée auprès de la sainte Vierge,
s'était tenue dans une grotte latérale pendant toute la cérémonie
; elle ne reparut que lorsque tous eurent quitté la crèche.
Elle était grave et intelligente. Je ne vis ni la sainte Famille, ni
même cette servante regarder les présents des rois avec une complaisance
mondaine ; tout fut accepté avec d'humbles remerciements et presque
aussitôt distribué charitablement.
Ce soir, à Bethléem, je vis un peu d'agitation lors de l'arrivée
du cortège à la maison où l'on payait l'impôt,
et, plus tard, bien des allées et des venues dans la ville. Les gens
qui avaient suivi le cortège jusqu'à la vallée des bergers,
n'avaient pas tardé à revenir. Plus tard, pendant que les trois
rois, pleins de joie et de ferveur, adoraient et déposaient leurs présents
dans la grotte de la Crèche, je vis roder dans les environs, à
une certaine distance, quelques Juifs qui espionnaient et chuchotaient ensemble
; plus tard, je les vis aller et venir dans Bethléhem, et faire divers
rapports. Je ne pus m'empêcher de pleurer amèrement sur ces malheureux.
Je souffre beaucoup de voir ces méchantes gens, qui alors, et maintenant
encore, quand le Sauveur s'approche des hommes, se tiennent là murmurant
et observant) puis, poussés par leur malice, répandent des mensonges.
Oh ! combien ces malheureux me semblaient à plaindre ! ils ont le salut
si près d'eux, et ils le repoussent, tandis que ces bons rois, guidés
par leur foi sincère dans la promesse, Sont allés si loin et
ont trouvé le salut. Oh ! combien je pleure sur ces hommes endurcis
et aveugles !
A Jérusalem, je vis aujourd'hui, pendant le jour, Hérode lire
encore des rouleaux avec plusieurs scribes, et parler de ce qu'avaient dit
les trois rois. Plus tard, tout fut calme, comme si l'on eût voulu assoupir
cette affaire.
66. Les Rois visitent encore la sainte Famille.
- Hérode leur tend des
embûches.
- Un Ange les avertit. Ils prennent congé et s'en vont.
(Le lundi, 91 décembre.) Aujourd'hui je vis de grand matin les rois
et quelques personnes de leur suite visiter successivement la sainte Famille.
Je les vis aussi, pendant la journée, près de leur campement
et de leurs bêtes de somme, occupés de diverses distributions.
Ils étaient dans la joie et le bonheur, et faisaient beaucoup de présents.
J'ai vu qu'alors on en agissait toujours ainsi lors des événements
heureux. Les bergers, qui avaient rendu des services à la suite des
rois, reçurent des présents considérables. Je vis aussi
faire des gratifications à beaucoup de pauvres ; ainsi l'on mettait
des couvertures sur les épaules de quelques pauvres vieilles femmes
toutes courbées qui s'étaient glissées là. Il
y avait plusieurs personnes de la suite des trois rois qui se plaisaient dans
la vallée près des bergers, et qui voulaient rester là
et se réunir à ces bergers. Ils firent connaître leur
désir aux rois, et reçurent la permission de rester avec de
riches présents. On leur donna des couvertures, des effets, de l'or
en grains, et les Anes qu'ils avaient montés. Comme je vis aussi les
rois distribuer beaucoup de pain, je me demandai d'abord d'où ils l'avaient
tiré. Je me rappelai ensuite les avoir vus plusieurs fois, aux endroits
où ils campaient, préparer, au moyen de leur provision de farine,
dans des formes de fer qu'ils portaient avec eux, de petits pains plats semblables
à du biscuit, qu'ils mettaient sur leurs bêtes de somme, entassés
dans de légères boites de cuir. Il vint aussi aujourd'hui beaucoup
de gens de Bethléhem, qui se pressaient autour d'eux pour avoir des
présents, et qui se faisaient donner quelque chose sous divers prétextes.
Le soir, ils allèrent à la crèche pour prendre congé.
Mensor s'y rendit seul d'abord. Marie lui mit l'Enfant-Jésus dans les
bras : il pleurait et était rayonnant de joie. Après lui vinrent
les deux autres, qui prirent congé en versant des larmes. Ils apportèrent
encore beaucoup de présents, des pièces de diverses étoffes,
dont quelques-unes semblaient être de soie sans teinture, dont quelques
autres étaient rouges ou à fleurs ; il y avait aussi de très
belles couvertures. Ils voulurent en outre laisser leur grands manteaux d'un
jaune pâle, qui semblaient faits d'une laine extrêmement fine
; ils étaient très légers, le moindre souffle d'air les
agitait. Ils portaient aussi plusieurs coupes placées les unes sur
les autres, des boites pleines de grains, et dans une corbeille des pots où
étaient de beaux bouquets d'une herbe verte avec de jolies fleurs blanches.
Ces pots étaient placés les uns au-dessus des autres dans la
corbeille. C'était de la myrrhe. Ils donnèrent aussi à
Joseph de longues cages avec des oiseaux qu'ils avaient en grand nombre sur
leurs dromadaires pour les manger.
Tous versèrent des larmes abondantes quand ils quittèrent Marie
et l'enfant. Je vis la sainte Vierge debout près d'eux lorsqu'ils prirent
congé. Elle portait sur son bras l'Enfant-Jésus enveloppé
dans son voile, et elle fit quelques pas pour reconduire les rois vers la
porte de la grotte ; là elle s'arrêta en silence, et, pour donner
un souvenir à ces excellents hommes, elle détacha de sa tête
le grand voile d'étoffe jaune transparente qui l'enveloppait ainsi
que l'Enfant-Jésus ; et elle le donna à Mensor. Ils reçurent
ce don en s'inclinant profondément, et une joie respectueuse fit battre
leurs coeurs quand ils virent devant eux la sainte Vierge sans voile, tenant
le petit Jésus. quelles douces larmes ils versèrent en quittant
la grotte ! Le voile fut pour eux dès lors la plus sainte relique qu'ils
possédassent.
La sainte Vierge, en recevant les présents, ne semblait pas attacher
de prix aux choses qu'on lui offrait ; et pourtant, dans sa touchante humilité,
elle montrait une véritable reconnaissance pour celui qui donnait.
Pendant cette merveilleuse visite, je n'ai vu chez elle aucun sentiment de
retour complaisant sur elle-même. Seulement, au commencement, par amour
pour l'Enfant-Jésus et par compassion pour saint Joseph, elle se hissa
aller en toute simplicité à l'espérance que dorénavant
ils trouveraient peut-être de la sympathie à Bethléhem,
et ne seraient plus traités d'une manière aussi méprisante
qu'à leur arrivée ; car la tristesse et la confusion de saint
Joseph l'avaient beaucoup affligé.
Quand les rois prirent congé, la lampe était déjà
allumée dans la grotte : il faisait sombre, et ils se rendirent aussitôt
avec leurs suivants sous le grand térébinthe qui surmontait
le tombeau de Maraha, pour y faire, comme la veille au soir, les cérémonies
de leur culte. Une lampe était allumée sous l'arbre. Lorsque
les étoiles se montrèrent, ils prièrent et entonnèrent
des chants mélodieux. Les voix des enfants faisaient un effet très
agréable dans le choeur. Ils se rendirent ensuite dans leur tente,
où Joseph leur avait encore préparé un petit repas, après
lequel quelques-uns s'en retournèrent à leur auberge à
Bethléhem, tandis que les autres se livrèrent au repos dans
la tente.
Vers minuit, j'eus tout à coup une vision. Je vis les rois reposant
dans leur tente sur des couvertures étendues par terre, et j'aperçus
auprès d'eux un jeune homme resplendissant : c'était un ange
qui les éveillait et leur disait de partir en toute hâte, et
de ne pas revenir par Jérusalem, mais par le désert, en contournant
la mer Morte. Ils se jetèrent promptement à bas de leur couche,
et leur suite fut bientôt sur pied. L'un d'eux alla à la crèche
éveiller saint Joseph, qui courut à Bethléhem pour avertir
ceux qui s'y étaient logés ; mais il les rencontra avant d'y
arriver, car ils avaient eu la même apparition. La tente fut pliée,
les bagages furent chargés, et tout fut enlevé avec une rapidité
étonnante. Pendant que les rois faisaient encore de touchants adieux
à saint Joseph devant la grotte de la Crèche, leur suite partait
en détachements séparés pour prendre les devants, et
se dirigeait vers le midi pour longer la mer Morte en traversant le désert
d'Engaddi.
Les rois firent des instances pour que la sainte Famille partît avec
eux, parce qu'un danger la menaçait certainement ; ils demandèrent
ensuite que Marie se cachât avec le petit Jésus pour n'être
pas inquiétée à cause d'eux ; ils pleurèrent comme
des enfants, embrassèrent saint Joseph et lui adressèrent des
paroles touchantes ; puis ils montèrent leurs dromadaires légèrement
chargés, et s'éloignèrent à travers le désert.
Je vis l'ange dans la plaine près d'eux, il leur montrait la direction
du chemin. Bientôt ils disparurent. Ils suivirent des routes séparées
à un quart de lieue les uns des autres, se dirigeant pendant une lieue
vers l'orient, et ensuite vers le midi, dans le désert. Ils passèrent
par la contrée que traversa Jésus en revenant d'Égypte
dans sa troisième année de prédication.
67. Mesures prises par les autorités de Bethléhem contre les
Rois.
- L'accès à la
grotte de la Crèche interdit.
- Zacharie visite la sainte Famille
(Le mardi 25 décembre.) L'ange avait averti les rois à propos,
car les autorités de Bethléhem avaient le projet de les faire
arrêter aujourd'hui, de les emprisonner dans de profonds caveaux qui
étaient sous la synagogue, et de les accuser auprès d'Hérode
comme perturbateurs du repos public.
Je ne sais pas s'il y avait eu un ordre secret d'Hérode à cet
effet ; je crois plutôt que c'était un mouvement de zèle
spontané. Ce matin, lorsqu'on apprit leur départ à Bethléhem,
ils étaient déjà près d'Engaddi, et la vallée
où ils avaient campé était calme et solitaire comme avant
leur séjour, dont il ne restait plus d'autres traces que le gazon foulé
et quelques pieux qui avaient servi pour les tentes. Dans le fait, pourtant,
l'apparition de la caravane avait produit beaucoup d'effet dans Bethléhem.
Bien des gens se repentaient de n'avoir pas donné l'hospitalité
à saint Joseph ; d'autres parlaient des rois comme d'aventuriers conduits
par d'étranges imaginations ; d'autres enfin trouvaient des rapports
entre leur arrivée et les bruits de l'apparition qu'avaient eue les
bergers. Tous ces propos portèrent les magistrats de l'endroit, peut-être
sur une invitation d'Hérode, à prendre certaines mesures. Je
vis au centre de Bethléhem tous les habitants convoqués sur
une place où se trouvait un puits entouré d'arbres, devant une
grande maison à laquelle on montait par des degrés. Du haut
de ces degrés on lut un avertissement ou une proclamation dirigée
contre les discours superstitieux, et interdisant les visites à la
demeure des gens qui avaient donné lieu à tous ces propos.
Quand la foule ainsi rassemblée se fut retirée, je vis saint
Joseph mandé dans cette même maison et interrogé par de
vieux Juifs. Je le vis revenir à la crèche et se rendre encore
une fois au tribunal. La seconde fois, il prit avec lui un peu de l'or qu'avaient
apporté les rois, et il le leur donna ; après quoi ils le laissèrent
s'en aller tranquillement. Tout cet interrogatoire me parut aboutir à
une escroquerie. Je vis aussi que les autorités firent barrer par un
tronc d'arbre mis en travers un chemin qui conduisait aux environs de la crèche
sans passer par la porte de la ville, mais qui, en partant de la place où
Marie s'était arrêtée sous un grand arbre, franchissait
une colline ou un rempart. Ils placèrent une sentinelle près
de l'arbre dans une cabane, et firent tendre sur le chemin des fils qui aboutissaient
à une sonnette dans la cabane, afin qu'on pût arrêter ceux
qui voudraient prendre ce chemin. Dans l'après-midi, je vis une troupe
de seize soldats d'Hérode près de Joseph, avec lequel ils s'entretinrent.
Ils avaient probablement été envoyés à cause des
trois rois, qu'on avait accusés de troubler la paix publique ; mais,
comme le silence et le repos régnaient partout fit qu'ils ne trouvèrent
dans la grotte que la pauvre famille, comme d'ailleurs ils avaient l'ordre
de ne rien faire qui pût attirer l'attention, ils s'en retournèrent
tranquillement et rapportèrent ce qu'ils avaient vu. Joseph avait porté
les présents des trois rois et ce qu'ils avaient laissé en outre
après eux, dans la grotte de Maraha et dans d'autres grottes cachées
de la colline de la Crèche, qu'il connaissait depuis sa jeunesse pour
s'y être souvent dérobé aux persécutions de ses
frères. Ces caveaux solitaires existaient dés le temps du patriarche
Jacob. A une époque où il n'existait que des cabanes à
la place de Bethléhem, il y avait dressé une fois ses tentes
sur la colline de la Crèche.
Ce soir, je vis Zacharie d'Hébron visiter pour la première fois
la sainte Famille. Marie était encore dans la Grotte. Il versa des
larmes de joie, prit l'enfant dans ses bras, et répéta, en y
changeant quelque chose, le cantique de louanges qu'il avait chanté
lors de la circoncision de Jean-Baptiste.
(Le mercredi, 26 décembre.) Aujourd'hui Zacharie s'en retourna chez
lui, et sainte Anne revint près de la sainte Famille avec sa fille
aînée. La fille aînée d'Anne était plus grande
que sa mère et paraissait presque plus âgée.
Une grande joie règne maintenant dans la sainte Famille. Anne est tout
heureuse. Marie place souvent l'Enfant-Jésus dans ses bras, et le laisse
soigner par elle. Je ne l'ai vue faire cela pour aucune autre personne. Je
vis, ce qui lue toucha beaucoup, que les cheveux de l'enfant, qui étaient
blonds et bouclés, avaient à leur extrémité de
beaux rayons de lumière. Je crois qu'ils lui frisent les cheveux, car
je vois qu'on frotte sa petite tête lorsqu'on le lave, ce qu'on fait
en mettant sur lui un petit manteau. Je vois toujours dans la sainte Famille
une pieuse et touchante vénération pour l'Enfant-Jésus
; mais tout s'y passe simplement et naturellement, comme chez les saints élus
de Dieu. L'enfant a une affection, une tendresse pour sa mère que je
n'ai jamais vue chez des enfants si jeunes.
Marie raconta à sa mère tout ce qui s'était passé
lors de la visite des trois rois, et Anne fut extraordinairement touchée
que le Seigneur eût appelé ces hommes de si loin pour leur faire
connaître l'enfant de la promesse. Elle vit les présents des
rois, qui étaient cachés dans une excavation pratiquée
dans la paroi : elle aida à en distribuer une grande partie, et à
ranger le reste en bon ordre.
Tout étai' tranquille dans les environs : les chemins menant à
la grotte, qui ne passaient pas par la porte de la ville, étaient barrés
par ordre des autorités. Joseph n'allait plus faire ses emplettes à
Bethléhem ; les bergers lui apportaient ce dont il avait besoin. La
parente chez laquelle Anne est allée, dans la tribu de Benjamin', est
Mara. La fille de Rhode, soeur d'Élisabeth.
Dans sa narration la soeur confondit souvent cette Mara avec une soeur cadette
ou nièce d'Anne, qu'elle appelait Énoué. Souvent des
proches parents lui apparaissaient comme des frères ou des soeurs.
Elle était pauvre, et eut dans la suite plusieurs fils qui furent disciples
de Jésus. Un d'eux s'appelait Nathanael' : c'était le fiancé
des noces de Cana. Cette Mara était présente lors de .a mort
de la sainte Vierge à Éphèse.
Anne était maintenant seule avec Marie dans la grotte latérale.
Je les vis travailler ensemble à une couverture grossière. La
grotte de la Crèche était entièrement vide. L'âne
de Joseph était caché derrière des claies. Encore aujourd'hui
des agents d'Hérode vinrent de Bethléhem, et prirent des informations
dans plusieurs maisons relativement à un enfant nouveau-né.
Ils accablèrent spécialement de questions une Juive de distinction
qui, peu de temps auparavant, avait mis au monde un enfant mâle. Ils
ne vinrent pas à la grotte de la Crèche ; comme précédemment
ils n'y avaient trouvé qu'une pauvre famille, ils ne supposèrent
pas qu'il pût en être question.
Deux hommes âgés (c'étaient, je crois, des bergers qui
avaient adoré l'Enfant-Jésus) vinrent trouver Joseph, et l'avertirent
de ces perquisitions. Je vis alors la sainte Famille et sainte Anne se réfugier
avec l'enfant dans la grotte du tombeau de Maraha. Dans la grotte de la Crèche
il n'y avait plus rien qui décelât un lieu habité : elle
paraissait entièrement abandonnée.
Ce n'est pas le Nathanael que Jésus vit sous le figuier. Nathanael,
le fils de Mara, était l'un des enfants que sainte Anne réunit
pour fêter Jésus, âgé de douze ans, lorsqu'il revint
après avoir enseigne dans le temple pour le première fois. Jésus,
à cette fête, parla en parabole d'un mariage ou l'eau devait
être changée en vin, et d'un autre mariage où le vin serait
changé en sang. Il disait aussi, comme en plaisantant, Au jeune Nathanael,
qu'il serait un jour présent à ses noces. La fiancée
de Cana était de Bethléhem et de la famille de saint Joseph.
Après le miracle de Cana, les deux époux firent voeu de continence.
Nathanael se joignit aussitôt aux disciples de Jésus, et il reçut
au baptême le nom d'Amator. Il devint plus tard évêque.
Il fut à Edesse et aussi en Crète, près de Carpus ; il
alla ensuite en Arménie. Y ayant fait de nombreuses conversions, il
fut arrêté et envoyé sur les bords de la mer Noire. Rendu
à la liberté, il alla dans le pays de Mensor. Il y opéra
sur une femme on miracle dont j'ai oublié les détails, baptisa
un grand nombre de personnes, et fut mis à mort dans la ville d'Acaiakuh,
située sur une île de l'Euphrate.
Je les vis pendant la nuit suivre la vallée avec une lumière
couverte. Anne portait l'Enfant-Jésus dans ses bras, Marie et Joseph
marchaient à côté d'elle ; les bergers les conduisaient,
portant les couvertures et tout ce qui était nécessaire pour
les saintes femmes et l'enfant.
J'eus à cette occasion une vision, et je ne sais pas si la sainte Famille
l'eut aussi. Je vis autour de l'Enfant-Jésus une gloire formée
de sept figures d'anges placées les unes au-dessus des autres ; plusieurs
autres figures paraissaient dans cette gloire. Je vis aussi près de
sainte Anne, de saint Joseph et de Marie, des formes lumineuses qui semblaient
les conduire par le bras. Quand ils furent entrés dans le vestibule,
ils fermèrent la porte et allèrent jusque dans la grotte du
Tombeau, où ils disposèrent tout pour prendre leur repos.
68. La sainte Famille dans la grotte de Maraha.
- Joseph sépare l'Enfant
Jésus de Marie pendant quelques heures.
- Marie, dans son inquiétude, exprime du lait de son sein.
- Origine d'un miracle qui s'est perpétué jusqu'à nos
jours.
La soeur Emmerich raconta à diverses reprises les deux incidents qui
suivent comme ayant eu lieu lorsque la sainte Vierge était cachée
dans la grotte de Maraha. Ayant toujours été distraite par la
souffrance ou par des visites, elle ne les raconta pas le jour même
où elle les vit, mais par forme de supplément, comme quelque
chose qu'elle avait oublié ; nous les mettons donc ensemble, laissant
au lecteur le soin de les placer dans un autre ordre selon qu'il le jugera
convenable.
La sainte Vierge raconta à sa mère tout ce qui s'était
passé lors de la visite des saints rois, et elles parlèrent
aussi de la manière dont elle avait été laissée
dans la grotte du tombeau de Maraha.
Je vis deux bergers venir trouver la sainte Vierge, et l'avertir qu'il venait
des gens chargés par les autorités de s'enquérir de son
enfant. Marie ressentit une vive inquiétude, et je vis bientôt
après saint Joseph entrer, retirer l'Enfant-Jésus de ses bras,
l'envelopper dans un manteau et l'emporter. Je ne me souviens plus où
il alla avec lui.
Je vis alors la sainte Vierge livrée à ses inquiétudes
maternelles, rester seule dans la grotte sans l'Enfant-Jésus pendant
l'espace d'une demi journée. Quand vint l'heure où on devait
l'appeler pour allaiter l'enfant, elle fit ce qu'ont coutume de faire des
mères soigneuses lorsqu'elles ont été agitées
violemment par quelque frayeur ou quelque vive émotion. Avant de donner
à boire à l'enfant, elle exprima de son sein le lait que ses
angoisses avaient pu altérer, dans une petite cavité de la couche
de pierre blanche qui se trouvait dans la grotte. Elle parla de la précaution
qu'elle avait prise à un des bergers, homme pieux et grave, qui était
venu la trouver (probablement pour la conduire auprès de l'enfant)
; cet homme, profondément convaincu de la sainteté de la mère
du Rédempteur, recueillit plus tard avec soin le lait virginal qui
était resté dans la petite cavité de la pierre, et le
porta avec une simplicité pleine de foi à sa femme, qui avait
alors un nourrisson qu'elle ne pouvait pas satisfaire ni calmer. Cette bonne
femme prit cet aliment sacré avec une respectueuse confiance, et sa
foi fut récompensée, car son lait devint aussitôt très
abondant. Depuis cet événement la pierre blanche de cette grotte
reçut une vertu semblable, et j'ai vu que, de nos jours encore, même
des infidèles mahométans en font usage comme d'un remède,
dans ce cas et dans plusieurs autres'.
La tradition de ce miracle est rapportée avec diverses variantes dans
beaucoup de descriptions anciennes et modernes de la Palestine. Suivant la
tradition la plus ordinaire, la sainte Famille, passant près de Bethléhem
lors de la fuite en Egypte, se serait cachée dans cette grotte, et
quelques gouttes de lait tombées du sein de la mère de Dieu
auraient donné cette vertu à la pierre de la grotte. C'est la
soeur Emmerich qui a dit la première que cette grotte avait servi de
tombeau à la nourrice d'Abraham ; quelle s'appelait dès lors
la grotte de la nourrice ; et aussi que les inquiétudes maternelles
de Marie avaient été la cause de cette vertu communiquée
à la pierre de la grotte en question. Le savant franciscain Fr. Quaresmius,
commissaire apostolique dans la Terre Sainte au dix-neuvième siècle,
dit entre autres choses, à propos de cette grotte, dans son Historica
Terra' Sanctae elucidatio, Antwerpiæ, 1632, t. II, p. 678 : "à
peu de distance de la grotte de la Nativité et de l'église de
la sainte Vierge, à Bethléhem (suivant d'autres indications
elle en est éloignée de deux cents pas), se trouve un souterrain
dans lequel sont creusées trois grottes ; dans cette qui est au milieu,
le saint sacrifice de la messe a été souvent célébré
en mémoire du miracle qui s'y est opéré : on l'appelle
communément la grotte de la Vierge ou l'église de Saint Nicolas
une bulle du pape Grégoire Xl (mort en 1378) mentionne cette chapelle
de Saint Nicolas à Bethléhem, et permet aux franciscains d'y
bâtir une maison avec clocher et cimetière. "On lit encore
dans un ancien manuscrit sur les lieux saints : "Item, l'église
de Saint Nicolas, où est la grotte dans laquelle, suivant la tradition,
la sainte Vierge s'est cachée avec l'Enfant-Jésus ". Quaresmius,
après avoir rapporté la tradition vulgaire sur cette grotte,
ajoute que la terre de cette grotte est naturellement rouge ; mais qu'étant
réduite en poussière, lavée et séchée au
soleil, elle devient blanche comme la neige, et que, mêlée avec
de l'eau, elle ressemble parfaitement à du lait. La terre ainsi préparée
s'appelle lait de la sainte Vierge. On en fait une potion très salutaire
pour les femmes qui ne peuvent pas nourrir, et on l'emploie aussi avec succès
contre d'autres maladies. Même les femmes turques et arabes en retirent
une telle quantité de terre pour l'employer ainsi, que ce qui était
autrefois une seule grotte en forme trois aujourd'hui. Les reliques qui, dans
plusieurs Lieux de pèlerinage, portent le nom de lac bestoe Virginia,
et donnent lien à beaucoup de moqueries, ne sont le plus souvent que
de la terre de cette grotte de Bethléhem, dont parle la soeur Emmerich.
Quaresmius, à ce propos, mentionne un miracle rapporté par Baronius,
lequel dit, dans ses Annales (an 158), que depuis que saint Paul a rejeté
la vipère qui l'avait mordu à la main dans l'île de Malte
(Act. XXIX), il n'y a plus dans cette île ni serpents ni animaux venimeux,
et même que la terre de Malte est devenue un contrepoison ; puis il
ajoute ces paroles : " Si une telle vertu a été donnée
à cette terre à cause de saint Paul, pourquoi refuserions-nous
de croire que Dieu, pour honorer la Vierge mère, a communiqué
une vertu semblable et encore plus grande d cette grotte, sanctifiée
par la présence de Jésus et de Marie " ! Castro, dans la
vie de Marie, Grotonus, dans la vie de saint Joseph, rapportent la même
tradition d'après un vieil écrit arménien.
Depuis ce temps, cette terre passée à l'eau et pressée
dans de petits moules a été répandue dans la chrétienté
comme un objet de dévotion ; c'est d'elle que se composent les reliques
appelées lait de la très sainte Vierge.
69. Préparatifs pour le départ de la sainte Famille.
- Départ de sainte Anne.
Détails personnels à la soeur.
- Elle reconnaît des reliques venant des trois Rois.
(Du 28 au 30 décembre.) Je vis dans les derniers jours et aujourd'hui
saint Joseph prendre divers arrangements qui annonçaient le prochain
départ de la sainte Famille. Chaque jour il amoindrissait son mobilier.
Il donna aux bergers les cloisons mobiles, les claies et les autres objets
à l'aide desquels il avait rendu la grotte habitable, et tout cela
fut emporté par eux.
Aujourd'hui, dans l'après-midi, un assez grand nombre de gens qui allaient
à Bethléhem pour le sabbat, vinrent à la grotte de la
Crèche ; mais, la trouvant abandonnée, ils passèrent
outre. Sainte Anne doit retourner à Nazareth après le sabbat
; on met tout en ordre et on fait des paquets. Elle prend avec elle et charge
sur deux ânes plusieurs choses données par les trois rois, spécialement
des tapis, des couvertures et des pièces d'étoffe. Ce soir,
la sainte Famille célébra le sabbat dans la grotte de Maraha
; on continua à le célébrer le samedi 29 décembre.
La tranquillité régnait dans les environs. Après la clôture
du sabbat, on prépara tout pour le départ de sainte Anne.
Cette nuit, je vis, pour la seconde fois, la sainte Vierge sortir, au milieu
des ténèbres, de la grotte de Maraha, et porter l'Enfant-Jésus
dans cette de la Crèche. Elle le posa sur un tapis à l'endroit
où il était né et pria à genoux près de
lui. Je vis alors toute la grotte remplie d'une lumière céleste,
comme à l'heure de la naissance du Sauveur. Je pense que la sainte
Mère de Dieu doit aussi avoir vu cela.
Le dimanche 30 décembre, de très grand matin, je vis sainte
Anne faire de tendres adieux à la sainte Famille et sus trois bergers,
et partir pour Nazareth avec ses gens.
Ils emportaient sur leurs bêtes de somme tout ce qui restait des présents
des trois rois, et je fus très surprise de les voir prendre un petit
paquet qui m'appartenait. J'eus le sentiment qu'il était parmi les
leurs, et je ne pus comprendre comment il pouvait se faire que sainte Anne
emportât ainsi ce qui était à moi.
Cette impression qu'eut la soeur Emmerich s'explique par ce qui va être
raconté. Bientôt après ce mouvement de surprise qu'elle
eut lorsqu'il lui sembla voir sainte Anne emporter de Bethléhem quelque
chose qui lui appartenait, elle communiqua ce qui suit à l'écrivain
:
" Sainte Anne, dit elle, a emporté en partant beaucoup de choses
données par les trois rois, et spécialement des étoffes
; une grande partie de tout cela a servi dans la primitive Église,
et il en est resté quelque chose jusqu'à nos jours. Il y a parmi
mes reliques un petit morceau de la couverture de la petite table où
étaient les présents des trois rois. et un autre morceau venant
d'un de leurs manteaux.
A l'occasion de ce mot : mes reliques, nous avons quelques détails
à donner au lecteur. A toutes les époques, il y a eu dans l'Église
catholique des personnes qui, en vertu d'un don particulier, éprouvaient
une rire et agréable impression à la vue ou nu contact des ossements
des saints et de tous les objets consacrés et sanctifiés. Vraisemblablement
ce don ne s'est jamais manifesté à un aussi haut degré
ni aussi constamment que chez la soeur Anne-Catherine Emmerich. Non seulement
le très saint Sacrement mais encore tout ce qui avait été
consacré et bénit par l'Église, particulièrement
les ossements des saints et tout ce que l'Eglise désigne par le nom
de reliques, était distingué par elle de toutes les autres substances
semblables quant à Leur nature. Ces objets sacrés lui apparaissaient
brillants de lumière, et d'une lumière différemment colorée
suivant leur espèce. Lorsque c'étaient des ossements de saints
on des etoffe9 qui leur avaient appartenu, elle pouvait faire connaître
les noms des sainte et souvent raconter leur histoire dans le plus grand détail.
C'est ce dont les personnes qui l'approchaient le plus souvent purent se convaincre
si pleinement par une foule d'expériences journalières, qu'un
de ses amis lui donna le nom de saeromètre. Celui qui écrit
ceci rapportent dans l'histoire détaillée de sa vie un grand
nombre de ces expériences. Nous ne savons pas si les autorités
ecclésiastiques du pays où a vécu la soeur Emmerich se
sont fait faire un rapport étendu avec tous les témoignages
à l'appui sur ce phénomène si intéressant en ce
qui touche la vie spirituelle, mais nous sommes convaincus que ce don était
ce qu'il y avait en elle de' plus remarquable et de plus digne d'attention.
Pour éprouver cette connaissance qu'elle avait des reliques et des
autres objets consacrés, plusieurs de ses amis, et notamment l'écrivain,
étaient mis à la porté. de la bonne soeur une grande
quantité d'objets de ce genre Cela leu avait été facile,
car, malheureusement, par suite de la destruction de tant d'églises
et de couvents à notre époque, et aussi par suite de la diminution
ou même de l'extinction complète du sens de la loi en ce qui
touche les choses saintes et les objets transmis par la tradition comme sacrés
et vénérables, de véritables trésors, eu l'honneur
desquels de grandes églises avaient peut-être été
bâties, étaient négligés ou profanés de
la manière la plus affligeante. Plusieurs étaient tombés
dans les mains de particuliers et jusque dans les boutiques des fripiers.
Elle-même indiqua ce qu'étaient devenus beaucoup de ces ossements
sacres, et on les lui procura. Elle reçut ainsi, grâce à
la bonté du respectable Overberg, qui était son directeur extraordinaire,
deux châsses importantes, pleines de reliques des temps primitifs, qui
avaient été trouvées dans une vieille église supprimée.
Comme une partie de ces reliques se trouvait dans une petite armoire près
du lit de la malade, tandis qu'une autre partie était dans la demeure
de l'écrivain, celui-ci demanda : " Cette relique est-elle ici
" ? Non, répondit-elle, là-bas, dans la maison. "
est-ce chez moi " ? dit l'écrivain.-Non, répliqua-t-elle,
chez cet homme, chez le pèlerin ". (Elle avait coutume de désigner
ainsi l'écrivain). c Elle se trouve dans un petit paquet ; la petite
pièce du manteau est d'une couleur effacée. Mais on ne me croira
pas, et pourtant cela est vrai ; je le vois devant vos yeux. Il y a un proche
parent de l'écrivain, celui qui m'a fait une visite ; celui-là
a un coeur semblable à celui du roi basané Séir. Il est
si doux, si docile et si sincère c'est un vrai coeur chrétien.
Ah ! si cet homme était dans l'Eglise : il posséderait le ciel
sur la terre !
L'écrivain ayant pris parmi les reliques déposées chez
lui ce qu'on pouvait appeler un petit paquet, et le lui ayant apporté,
elle l'ouvrit aussitôt et reconnut un petit reste d'étoffe de
laine jaune et un autre morceau de soie rougeâtre, comme provenant des
trois rois, mais sans donner à cet égard d'explications plus
précises. Elle dit ensuite : " Je dois avoir moi-même un
petit morceau d'étoffe venant des trois rois mages. Ils avaient plusieurs
manteaux ; un, qui était épais et d'une étoffe serrée
pour le mauvais temps ; un autre, de couleur jaune, et un autre rouge, de
belle laine fine. Ces manteaux flottaient au vent quand ils marchaient. Dans
les cérémonies, ils portaient des manteaux de soie sans teinture
; les bords étaient brodés d'or, et il y avait une longue queue
que portaient des suivants. Je pense qu'il y a près de moi quelque
pièces d'un de ces manteaux, et que c'est pour cela que j'ai vu près
des trois rois, antérieurement et encore cette nuit, des scènes
relatives à la production et au tissage de la soie.
Dans une contrée située a l'orient, entre le pays de Théokéno
et celui de Séïr, se trouvaient des arbres de..' les branches
étaient couvertes de vers ; on avait creusé autour de chaque
arbre un petit fossé pour que les vers ne pussent pas s'en aller. Je
vis souvent placer des feuilles sous ces arbres ; de petites boites étaient
suspendues aux arbres, et comme on y prenait des objets ronds, plus longs
que le doigt, je croyais d'abord que c'étaient des oeufs d'oiseau d'une
espèce rare ; mais je vis bientôt que c'étaient des coques
filées par les vers, lorsque ces gens les dévidèrent
et en tirèrent des fils très déliés. Ils en assujettissaient
une grande quantité devant leur poitrine, et filaient avec un beau
fit qu'ils roulaient sur quelque chose qu'ils tenaient à la main. Je
les vis aussi tisser entra des arbres ; leur métier à tisser
était très simple : la pièce d'étoffe était
à peu près large comme mon drap de lit. Quelques jours après,
elle dit : Mon médecin m'a souvent interrogée à propos
d'un petit morceau d'étoffe de soie d'un tissu singulier. J'en ai vu
dernièrement un pareil auprès de moi, et ne sais plus ce qu'il
est devenu. En recueillant mes souvenirs, j'ai reconnu que c'était
à cette occasion que j'avais vu ce tableau du tissage de la soie :
c'était plus à l'orient que le pays des trois rois, dans un
pays où alla saint Thomas. Je me suis trompée en le racontant
: il faut que le pèlerin efface cela. Ce morceau d'étoffe n'appartient
pas aux trois rois ; il m'a été donné par quelqu'un qui
voulait faire une expérience, sans s'inquiéter de ce qui m'occupait
alors intérieurement : il résulte de là des contusions,
et tout devient obscur.
J'ai vu de nouveau les reliques, et je sais où elles sont. Il y a plusieurs
années, j'ai donné à ma belle-soeur qui habite Flamske,
avant ses dernières couches, un petit paquet fermé par une couture.
Elle m'avait priée de lui donner une relique pour la fortifier ; je
lui donnai ce petit paquet, que j'avais vu lumineux. et comme ayant été
autrefois en contact avec la Mère de Dieu. Je ne me souviens pas bien
si je vis alors clairement tout ce qu'il contenait ; mais il procura à
cette pieuse femme beaucoup de consolation. Cette nuit, je l'ai revu, elle
le possède encore, il est solidement cousu. Il y a un petit morceau
de tapis d'un rouge sombre, deux petites pièces d'un tissu léger
comme du crêpe, de la couleur de la soie brute, quelque chose de vert
qui ressemble à du coton, un petit morceau de bois et deux petits fragments
de pierre blanche. J'ai fait dire à ma belle-soeur de me le rapporter.
Au bout de quelques jours, sa belle-soeur vint en effet la voir et apporta
le petit paquet en question, qui était à peu près de
la grosseur d'une noix. L'écrivain l'ouvrit chez lui avec soin, sépara
les uns des autres les morceaux d'étoffe roulés ensemble, et
les serra entre les pages d'un livre pour les aplatir. Il y avait un morceau
d'étoffe de laine fort épaisse d'environ deux pouces carrés,
de couleur rouge tirant sur le brun ; des morceaux longs et larges de deux
doigts d'un tissu léger, semblable à de la mousseline, et dont
la couleur était celle de la soie brute, puis un petit éclat
de bois et deux petits fragments de pierre. Ayant plié les petits morceaux
d'étoffe dans des feuilles de papier à lettre, il les lui mit
sous les yeux dans la soirée. Elle ne savait pas ce que c'était
et dit d'abord : " Qu'ai je à faire de ces lettres " ? Puis,
tenant dans sa main les papiers sans les ouvrir, elle ajouta aussitôt
: "Il faut conserver cela avec soin et n'en pas perdre un brin. L'étoffe
épaisse, qui maintenant parait brune, était autrefois d'un rouge
foncé. C'était une couverture, à peu près aussi
grande que ma chambre ; les suivants des trois rois l'étendirent dans
la grotte de la Crèche, et Marie s'y assit avec l'Enfant-Jésus
pendant qu'ils présentaient l'encens. Elle l'a conservée ensuite
dans la grotte et la prit sur son âne lorsqu'elle alla à Jérusalem
présenter l'enfant au temple. Le tissu léger vient d'une espèce
de manteau court, composé de trois bandes d'étoffe séparées
et attachées à un collet, qu'ils portaient sur leurs épaules
comme une étole pour les cérémonies. Le petit éclat
de bois et les deux petites pierres ont été rapportés
de la Terre Sainte à une époque plus récente.
Elle était alors occupée de la suite de ses visions relatives
à la dernière année de la prédication de Jésus.
Le 27 janvier qui précéda sa Passion, elle le vit, allant à
Béthanie, s'arrêter, avec dix-sept disciples, dans une auberge
de Bethléhem. Il les instruisit sur leur vocation, et célébra
le sabbat avec eux. La lampe resta allumée toute la journée.
" Il y a, dit-elle, un de ces disciples qui est nouvellement venu avec
lui de Sichar. Je l'ai vu très distinctement : il doit y avoir parmi
mes reliques un petit fragment de ses os. Son nom ressemble à Silan
ou à Vilan ; ces deux lettres s'y trouvent ". Plus tard, elle
dit Silvain. Au bout de quelque temps elle ajouta : " J'ai vu de nouveau
les petits morceaux d'étoffe venant des trois rois. Il doit y avoir
encore là un petit paquet, où se trouvent entre autres choses
un peu du manteau du roi Mensor, un morceau d'une couverture de sole rouge
qui fut placée anciennement près du Saint Sépulcre, et
un petit fragment de l'étole blanche et rouge d'un saint ". Après
avoir fait une pause, elle dit encore : " Je vois maintenant où
est ce petit paquet ; je l'ai donné, il y a deux ans et demi, à
une femme d'ici pour le porter sur elle ; elle l'a encore. Je la prierai de
me le rendre. Je le lui donnai pour la consoler quand on me mit en prison,
à cause du grand intérêt qu'elle me portait. Je ne savais
pas alors au juste ce qu'il y avait ; je voyais seulement qu'il brillait,
que c'était une relique, et qu'il avait été en contact
avec la mère de Dieu. Maintenant que j'ai vu avec tant de détail
tout ce qui concerne les trois rois, j'ai reconnu tout ce qui, dans mon voisinage,
avait quelque rapport à eux, et notamment ces reliques d'étoffe
".
Au bout de quelques jours, quand elle eut de nouveau ce petit paquet, elle
le donna à ouvrir à l'écrivain, parce qu'elle était
malade. Il ouvrit dans l'autre pièce ce petit paquet, fermé
depuis longtemps par une forte couture, et il y trouva les objets suivants
enveloppés ensemble :
1 - un petit morceau de tissu de laine très fine, sans teinture, qui,
lorsqu'on voulait le déployer, s'effilait en parcelles très
minces ;
2 - Deux petits morceaux d'étoffe de coton, couleur nankin d'un tissu
peu serré mais pourtant assez solide de la longueur d'un doigt ;
3 - Un pouce carré d'étoffe de soie cramoisie ;
4 - un quart de pouce carré d'étoffe de soie jaune et blanche
;
5 - Un petit échantillon de soie verte et rouge ;
6 - Au milieu de tout cela, un petit papier plié où était
une petite pierre blanche de la grosseur d'un pois.
L'écrivain sépara tous ces objets et les enveloppa dans autant
de morceaux de papier, excepté le n° 6 qu'il laissa dans le vieux
papier. Quand il s'approcha de la malade, elle ne semblait pas être
dans l'état de clairvoyance ; elle était éveillée,
toussait et se plaignait de vives douleurs ; pourtant elle dit bientôt
: " Qu'est-ce que ces lettres que vous avez là ? cela est tout
brillant. Nous avons là des trésors qui ont plus de valeur qu'un
royaume ". Elle prit alors les différents papiers sans les ouvrir
et sans regarder ce qu'ils contenaient. Après les avoir tenus successivement
dans sa main, elle se fut pendant quelques instants, comme regardant intérieurement
; puis, en les rendant, elle dit ce qui suit sur leur contenu, sans faire
la plus légère erreur, car l'écrivain s'en assura aussitôt
en ouvrant ces papiers, qui étaient tous pliés de la même
manière :
N. l. Ceci vient d'une robe de Mensor ; c'est de la laine très fine.
Elle n'avait pas de manches, mais seule ment des ouvertures pour passer les
bras. Une bande d'étoffe, semblable à une manche, pendait depuis
les épaules jusqu'aux coudes. Elle décrivit alors très
exacte. ment la forme, la matière et la couleur de la relique.
N. 2. Ceci provient d'un manteau que les trois rois avaient laissé après eux. Elle décrivit ensuite la relique.
N. 3. Ceci est un petit morceau d'une couverture de soie rouge qui était étendue sur le sol près du Saint Sépulcre, quand les chrétiens possédaient encore Jérusalem. Lorsque les Turcs prirent la ville, elle était comme neuve. Les chevaliers la partagèrent entre eux, et chacun en emporta un morceau comme souvenir.
N. 4. Ceci vient de l'étole d'un très saint prêtre, nommé Alexis. C'était, je crois, un capucin. Il priait continuellement au Saint Sépulcre. Les Turcs lui firent subir beaucoup de mauvais traitements. Ils firent entrer des chevaux dans l'église, et placèrent une vieille femme turque entre lui et le Saint Sépulcre, à l'endroit où il priait. Mais il ne se laissa pas troubler par tout cela. Ils finirent par le murer là, et la femme lui donnait de l'eau et du pain par une ouverture. Je sais cela par beaucoup de choses qui m'ont été montrées récemment, lorsque j'ai vu le petit paquet, sans bien savoir où il se trouvait.
N. 5. Ceci n'est pas une relique, c'est cependant un objet digne de respect. Cela provient des sièges où les princes et les chevaliers s'asseyait dans l'église du Saint Sépulcre
N. 6. C'est une petite pierre de la chapelle qui est au-dessus du Saint Sépulcre, et il y a aussi un petit fragment d'ossement du disciple Silvain de Sichar.
L'écrivain lui ayant dit qu'il n'y avait pas de fragment d'ossements,
elle répondit : " Regardez et cherchez ". Il alla dans la
première pièce pour y voir plus clair, ouvrit avec précaution
le papier plié, et trouva dans un pli un très petit morceau
d'ossement, de forme irrégulière, de l'épaisseur de l'ongle
et de la grandeur d'un demi kreutzer. Elle l'avait exactement décrit,
et il le reconnut aussitôt. Tout cela se passa le soir dans sa chambre,
qui n'était pas éclairée ; il n'y avait de la lumière
que dans la première pièce.
70. Purification de la sainte Vierge.
Comme on approchait du jour où la sainte Vierge devait présenter son premier-né au temple et le racheter suivant les prescriptions de la loi, tout fut préparé pour que la sainte Famille pût d'abord aller au temple, puis retourner à Nazareth. Déjà, le dimanche 30 décembre au soir, les bergers avaient pris tout ce qu'avaient laissé après eux les serviteurs de sainte Anne. La grotte de la Crèche, la grotte latérale et celle du tombeau de Maraha étaient entièrement débarrassées, et même nettoyées. Saint Joseph les laissa parfaitement propres.
Dans la nuit du dimanche au lundi 31 décembre, je vis Joseph et Marie
visiter encore une fois avec l'enfant la grotte de la Crèche, et prendre
congé de ce saint lieu. Ils étendirent d'abord le tapis des
trois rois à la place où Jésus était né,
y posèrent l'enfant et prièrent ; puis, ils le placèrent
à l'endroit où avait eu lieu la circoncision, et s'y agenouillèrent
aussi pour prier.
Le lundi 31 décembre, au point du jour, je vis la sainte Vierge se
placer sur l'âne, que les vieux bergers avaient amené tout harnaché
devant la grotte. Joseph tint l'enfant jusqu'à ce qu'elle se fût
installée commodément et le lui donna. Elle était assise
sur un siège : ses pieds, un peu relevés, reposaient sur une
planchette. Elle tenait sur son sein l'enfant, enveloppe dans son grand voile,
et le regardait avec bonheur. Ils n'avaient près d'eux, sur l'Ane,
que deux couvertures et deux petits paquets, entre lesquels Marie était
assise. Les bergers leur firent de touchants adieux et les conduisirent jusqu'au
chemin. Ils ne prirent pas la route par laquelle ils étaient venus,
mais passèrent entre la grotte de la Crèche et celle du tombeau
de Maraha, en longeant Bethléhem au levant. Personne ne les aperçut.
(30 janvier.) Aujourd'hui, je les vis suivre lentement la route, assez courte
du reste, qui va de Bethléhem à Jérusalem. Ils y mirent
beaucoup de temps et s'arrêtèrent souvent. A midi, je les vis
se reposer sur des bancs qui entouraient un puits recouvert d'un toit. Je
vis deux femmes venir près de la sainte Vierge et lui apporter deux
petites cruches avec du baume et des petits pains.
L'offrande de la sainte Vierge pour le temple était dans une corbeille
suspendue aux flancs de l'âne. Cette corbeille avait trois compartiments,
dont deux étaient recouverts et contenaient des fruits. Le troisième
formait une cage à jour où l'on voyait deux colombes.
Je les vis vers le soir, à environ un quart de lieue en avant de Jérusalem,
entrer dans une petite maison, tenue par un vieux ménage qui les reçut
très affectueusement. C'étaient des Esséniens, parents
de Jeanne Chusa. Le mari s'occupait de jardinage, taillait les haies et était
chargé de quelque chose relativement au chemin.
(1er février.) Je vis aujourd'hui la sainte Famille passer toute la
journée chez ses vieux hôtes. La sainte Vierge fut presque tout
le temps dans une chambre, seule avec l'enfant, qui était posé
sur un tapis. Elle était toujours en prière et paraissait se
préparer pour la cérémonie qui allait avoir lieu. J'eus
à cette occasion des avertissements intérieurs sur la manière
dont on doit se préparer à la sainte communion. Je vis apparaître
dans la chambre plusieurs anges qui adorèrent l'Enfant-Jésus.
Je ne sais pas si la sainte Vierge les vit ; mais je suis portée à
le croire, car je la vis très émue. Les bons hôtes montrèrent
toute espèce de prévenances envers la sainte vierge. Ils devaient
avoir un pressentiment de la sainteté de l'Enfant-Jésus.
Le soir, vers sept heures, j'eus une vision relative au vieux Siméon.
C'était un homme maigre, très âgé, avec une barbe
courte. Il était prêtre, avait une femme et trois fils, dont
le plus jeune pouvait avoir vingt ans. Je vis Siméon, qui habitait
tout contre le temple, se rendre, par un passage étroit et obscur,
dans une petite cellule voûtée qui était pratiquée
dans les gros murs du temple. Je n'y vis rien qu'une ouverture par laquelle
on pouvait voir dans l'intérieur du temple. J'y vis le vieux Siméon
agenouillé et ravi en extase pendant sa prière. Un ange lui
apparut et l'avertit de remarquer le lendemain matin l'enfant qui serait présenté
le premier, parce que cet enfant était le Messie, après lequel
il avait si longtemps soupiré. Il ajouta qu'il mourrait peu de temps
après l'avoir vu. C'était un merveilleux spectacle ; la cellule
était brillante de clarté, et le saint vieillard était
rayonnant de joie. Je le vis ensuite revenir dans sa demeure et raconter,
tout joyeux, à sa femme, ce qui lui avait été annoncé.
Quand sa femme fut allée se reposer, je le vis de nouveau se mettre
en prière.
Je n'ai jamais vu les pieux Israélites ni leurs prêtres faire,
pendant leur prière, ces contorsions exagérées que font
les Juifs d'à présent ; mais je les vis quelquefois se donner
la discipline. Je vis aussi la prophétesse Anne prier dans sa cellule
du temple, et avoir une vision touchant la présentation de l'Enfant-Jésus.
(2 février.) Ce matin, avant le jour, je vis la sainte Famille, accompagnée
de ses hôtes, quitter son auberge avec les corbeilles où étaient
les offrandes, et se rendre au temple de Jérusalem. Ils entrèrent
d'abord dans une cour entourée de mur attenante au temple. Pendant
que saint Joseph et son hôte plaçaient l'âne sous un hangar,
la sainte Vierge fut accueillie très amicalement par une femme âgée,
qui la conduisit plus loin par un passage couvert. Elles avaient une lanterne,
car il faisait encore sombre. Dès leur entrée dans ce passage,
le vieux Siméon vint au-devant de Marie. Il lui adressa quelques paroles
qui exprimaient sa joie, prit l'enfant qu'il serra contre son coeur, et revint
en hâte au temple par un autre chemin. Ce que l'ange lui avait dit la
veille lui avait inspiré un si vif désir de voir l'enfant après
lequel il avait si longtemps soupiré, qu'il était venu là
attendre l'arrivée des femmes. Il portait de longs vêtements
comme les prêtres hors de leurs fonctions. Je l'ai vu souvent dans le
temple, et toujours en qualité de prêtre, mais qui n'occupait
pas un rang élevé dans la hiérarchie. Il se distinguait
seulement par sa grande piété, sa simplicité et ses lumières.
La sainte Vierge fut conduite par la femme qui lui servait de guide jusqu'au
vestibule du temple où la présentation devait avoir lieu : elle
y fut reçue par Anne et par Noémi, son ancienne maîtresse,
lesquelles habitaient l'une et l'autre de ce côté du temple.
Siméon, qui était venu de nouveau à la rencontre de la
sainte Vierge, la conduisit au lieu où se faisait le rachat des premiers-nés
: Anne, à laquelle saint Joseph donna la corbeille où était
l'offrande, la suivit avec Noémi. Les colombes étaient dans
le dessous de la corbeille ; la partie supérieure était remplie
de fruits. Saint Joseph se rendit par une autre porte au lieu où se
tenaient les hommes.
On savait dans le temple que plusieurs femmes devaient venir pour la présentation
de leurs premiers-nés, et tout était préparé.
Le lieu où la cérémonie eut lieu était aussi grand
que l'église principale de Dulmen. Contre les murs étaient des
lampes allumées qui formaient toujours une pyramide. La flamme sortait
à l'extrémité d'un conduit recourbé par un bec
d'or qui brillait presque autant qu'elle. A ce bec était attaché
par un ressort une espèce de petit éteignoir qui, relevé
en haut, éteignait la lumière sans qu'elle répandit d'odeur,
et qu'on retirait par en bas lors. qu'on voulait allumer.
Devant une espèce d'autel, au coin duquel se trouvaient comme des cornes,
plusieurs prêtres avaient apporté un coffret quadrangulaire un
peu allongé, qui formait le support d'une table assez large sur laquelle
était posée une grande plaque. Ils mirent par-dessus une couverture
rouge, puis une autre couverture blanche transparente, qui pendait tout autour
jusqu'à terre. Aux quatre coins de cette table turent placées
des lampes allumées à plusieurs branches ; au milieu, autour
d'un long berceau, deux plats ovales et deux petites corbeilles.
Ils avaient tiré tous ces objets des compartiments du coffre, où
ils avaient pris aussi des habits sacerdotaux, qu'on avait placés sur
un autel fixe. La table, dressée pour les offrandes, était entourée
d'un grillage. Des deux côtés de cette pièce du temple
il y avait des rangées de sièges, dont l'une était plus
élevée que l'autre ; il s'y trouvait des prêtres qui priaient.
Siméon s'approcha alors de la sainte Vierge, qui tenait dans ses bras
l'Enfant-Jésus enveloppé dans une étoffe bleu de ciel
et la conduisit par la grille à la table des offrandes, où elle
plaça l'enfant dans le berceau. A partir de ce moment, je vis le temple
rempli d'une lumière dont rien ne peut rendre l'éclat. Je vis
que Dieu y était, et au-dessus de l'enfant, je vis les cieux ouverts
jusqu'au trône de la très sainte Trinité. Siméon
reconduisit ensuite la sainte Vierge au lieu où se tenaient les femmes
derrière un grillage. Marie portait un vêtement couleur bleu
de ciel et un voile blanc ; elle était enveloppée dans un long
manteau d'une couleur tirant sur le jaune.
Siméon alla ensuite à l'autel fixe, sur lequel étaient
placés les vêtements sacerdotaux. Lui et trois autres prêtres
s'habillèrent pour la cérémonie. Ils avaient au bras
une espèce de petit bouclier, et sur la tête une sorte de mitre.
L'un d'eux se tenait derrière la table des offrandes, l'autre devant
; deux autres étaient aux petits côtés, et ils récitaient
des prières sur l'enfant.
La prophétesse Anne vint alors près de Marie, lui présenta
la corbeille des offrandes, qui renfermait dans deux compartiments, placés
l'un au-dessous de l'autre, des fruits et des colombes, et la conduisit au
grillage qui était devant la table des offrandes ; elle resta là
debout. Siméon, qui se tenait devant la table, ouvrit la grille, conduisit
Marie devant la table, et y plaça son offrande. Dans un des plats ovales
on plaça des fruits, dans l'autre des nièces de monnaie : les
colombes restèrent dans la corbeille.
Siméon resta avec Marie devant l'autel des offrandes le prêtre,
placé derrière l'autel, prit l'Enfant-Jésus, l'éleva
en l'air en le présentant vers différents côtés
du temple et pria longtemps. Il donna ensuite l'enfant à Siméon
qui le remit sur les bras de Marie, et lut des prières dans un rouleau
placé près de lui sur un pupitre.
Siméon reconduisit alors la sainte Vierge devant la balustrade, d'où
elle fut ramenée par Anne, qui l'attendait là, à la place
où se tenaient les femmes ; il y en avait là une vingtaine,
venues pour présenter au temple leurs premiers-nés. Joseph et
d'autres hommes se tenaient plus loin, à l'endroit qui leur était
assigné. Alors les prêtres, qui étaient devant l'autel,
commencèrent un service avec des encensements et des prières
; ceux qui se trouvaient sur les sièges y prirent part en faisant quelques
gestes, mais non exagérés comme ceux des Juifs d'aujourd'hui.
Quand cette cérémonie fut finie, Siméon vint à
l'endroit où se trouvait Marie, reçut d'elle l'Enfant-Jésus,
qu'il prit dans ses bras, et, plein d'un joyeux enthousiasme, parla de lui
longtemps, et en termes très expressifs. Il remercia Dieu d'avoir accompli
sa pro. messe, et dit, entre autres choses : "C'est maintenant Seigneur,
que vous renvoyez votre serviteur en paix selon votre parole ; car mes yeux
ont vu votre salut que vous avez préparé devant la face de tous
les peuples la lumière qui doit éclairer les nations et glorifier
votre peuple d'Israël ".
Jusqu'en 1823, dans le troisième récit da la prédication
de Jésus, elle parla d'un séjour qu'il fit à Hébron,
environ dix jours après la mort de saint Jean-Baptiste, elle vit Jésus,
le vendredi 29 Thébet (17 janvier), taire une instruction sur la lecture
du sabbat, qui était tirée de l'Exode (X-XIII), et qui traitait
des ténèbres d'Egypte et du rachat des premiers nés.
Elle vit à cette occasion toute la cérémonie de la présentation
de Jésus dans le temple et raconta ce qui suit : "La sainte vierge
présenta l'Enfant-Jésus au temple le quarante et unième
jour après sa naissance. Elle resta à cause d'une fêle
trois jours dans l'auberge située devant la porte de Bethléhem.
Outre l'offrande ordinaire des colombes, elle offrit cinq petites plaques
d'or de forme triangulaire provenant de' présents des trois rois, et
donna plusieurs pièces de belle étoffe pour le' ornements du
temple. Joseph, avant de quitter Bethléhem, vendit à sen cousin
la jeune ânesse qu'il lui avait remise en gage le 30 novembre, Je crois
toujours que l'ânesse sur laquelle Jésus entra à Jérusalem
le dimanche des rameaux provenait de cette bête.
Joseph s'était rapproché après la présentation
; ainsi que Marie, il écouta avec respect les paroles inspirées
de Siméon, qui les bénit tous deux, et dit à Marie :
" Voici que celui-ci est placé pour la chute et pour la résurrection
de plusieurs dans Israel, et comme un signe de contradiction ; un glaive traversera
ton âme, afin que ce qu'il y a dans beaucoup de coeurs soit révélé
".
Quand le discours de Siméon fut fini, la prophétesse Anne fut
aussi inspirée, parla longtemps de l'Enfant-Jésus, et appela
sa mère bienheureuse.
Je vis les assistants écouter tout cela avec émotion, mais pourtant
sans qu'il en résultat aucun trouble ; les prêtres même
semblèrent en entendre quelque chose. Il semblait que cette manière
enthousiaste de prier à haute voix ne fût pas tout à fait
une chose inaccoutumée, que des choses semblables arrivassent souvent,
et que tout dût se passer ainsi. Tous donnèrent à l'enfant
et à sa mère de grandes marques de respect. Marie brillait comme
une rose céleste.
La sainte Famille avait présenté, en apparence, la plus pauvre
des offrandes ; mais Joseph donna secrète. ment au vieux Siméon
et à la prophétesse Anne beaucoup de petites pièces jaunes
triangulaires, lesquelles devaient profiter spécialement aux pauvres
vierges élevées dans le temple, et hors d'état de payer
lad frais de leur entretien.
Je vis ensuite la sainte Vierge, tenant l'enfant dans ses bras, reconduite
par Anne et Noémi à la cour où elles l'avaient prise
et où elles se firent réciproquement leurs adieux. Joseph y
était déjà avec les deux hôtes ; il avait amené
l'Ane sur lequel Marie monta avec l'enfant, et ils partirent aussitôt
du temple, traversant Jérusalem en allant dans la direction de Nazareth.
Je n'ai pas vu la présentation des autres premiers-nés amenés
aujourd'hui ; mais j'ai le sentiment que tous reçurent des grâces
particulières, et que beaucoup d'entre eux furent du nombre des saints
innocents égorgés par ordre d'Hérode.
La cérémonie de la Présentation dut être terminée
ce matin, vers neuf heures ; car c'est alors que je vis partir la sainte Famille.
Ils allèrent ce jour-là jusqu'à Béthoron, et passèrent
la nuit dans la maison qui avait été le dernier gîte de
la sainte Vierge, treize ans avant, lorsqu'elle fut conduite au temple. La
maison me parut habitée par un maître d'école. Des gens,
envoyés par sainte Anne, les attendaient là pour les prendre
avec eux. Ils revinrent à Nazareth par un chemin beaucoup plus direct
que celui qu'ils avaient pris en allant à Bethléhem, lorsqu'ils
évitaient les bourgs et n'entraient que dans les maisons isolées.
Joseph avait laissé chez son parent la jeune ânesse qui lui avait
montré le chemin dans le voyage à Bethléhem ; car il
pensait toujours revenir à Bethléhem, et à se construire
une demeure dans la vallée des bergers. Il avait parlé de ce
projet aux bergers, et il leur avait dit qu'il voulait seulement que Marie
passât un certain temps chez sa mère pour se remettre des fatigues
de son mauvais gîte. Il avait, à cause de cela, laissé
beaucoup de choses chez les bergers.
Joseph avait avec lui une singulière espèce de monnaie qu'il
avait reçue des trois rois. Il avait à sa robe une espèce
de poche intérieure où il portait une quantité de feuilles
de métal jaunes, minces, brillantes et repliées les unes sur
les autres. Elles étaient carrées, avec les coins arrondis ;
il y avait quelque chose de gravé. Les pièces d'argent que reçut
Judas pour prix de sa trahison étaient plus épaisses et en forme
de langue.
Pendant ces jours-là, je vis les trois saints rois réunis au
delà d'une rivière. Ils firent une halte d'un jour et célébrèrent
une fête. Il y avait là une grande maison entourée de
plusieurs autres petites. Au commencement, ils voyageaient très vite
; mais, à dater de leur halte actuelle, ils allèrent beaucoup
plus lentement qu'ils n'étaient venus. Je vis toujours en avant de
leur cortège un jeune homme resplendissant qui leur parlait quelquefois.
71. Mort de Siméon.
(3 janvier.) Siméon avait une femme et trois fils, dont l'aîné pouvait avoir quarante ans et le plus jeune vingt ans. Tous trois étaient employés au temple. Plus tard, ils furent constamment les amis secrets de Jésus et des siens. Ils devinrent disciples du Seigneur, soit avant sa mort, soit après son ascension. Lors de la dernière cène, l'un d'eux prépara l'agneau pascal pour Jésus et les apôtres. Je ne sais pourtant pas si tous ceux-là n'étaient pas peut-être des petits fils de Siméon. Lors de la première persécution qui eut lieu après l'Ascension, ils rendirent de grands services aux amis du Sauveur. Siméon était parent de Séraphia, qui reçut le nom de Véronique, et aussi de Zacharie par le père de celle-ci.
Je vis que Siméon, étant revenu chez lui après avoir
prophétisé à la présentation de Jésus,
tomba aussitôt malade ; il n'en témoigna pas moins une grande
joie dans les discours qu'il tint à sa femme et à ses fils.
Je vis cette nuit que c'était aujourd'hui qu'il devait mourir. De tout
ce que je vis à ce sujet, je ne me rappelle que ce qui suit : Siméon,
sur son lit de mort, adressa à sa femme et à ses enfants des
exhortations touchantes ; il leur parla du salut qui était venu pour
Israël et de tout ce que l'ange lui avait annonce, en termes très
forts et avec une joie touchante. Je le vis ensuite mourir paisiblement. Sa
famille le pleura en silence. Il y avait autour de lui beaucoup de prêtres
et de Juifs qui priaient.
Je vis ensuite qu'ils portèrent son corps dans une autre pièce.
Il fut placé là sur une planche percée de plusieurs ouvertures,
et ils le lavèrent avec des éponges sous une couverture, en
sorte qu'ils ne le virent pas à nu. L'eau coulait par les ouvertures
de la planche dans un bassin de cuivre placé au-dessous. Ils placèrent
ensuite sur lui de grandes feuilles vertes, l'entourèrent de beaux
bouquets d'herbes, et l'ensevelirent dans un grand drap, où il fut
enveloppé à l'aide d'une longue bandelette, comme un enfant
au maillot. Son corps était raide et si inflexible, que je croyais
presque qu'il était attaché sur la planche.
Le soir il fut mis au tombeau. Six hommes le portèrent, avec des lumières,
sur une planche qui avait à peu près la forme du corps, avec
un rebord peu élevé des quatre côtés. Sur cette
planche reposait le corps enveloppé, sans être recouvert par-dessus.
Les porteurs et le cortège allaient plus vite qu'on ne va dans nos
enterrements. Le tombeau était sur une colline peu éloignée
du temple. Le caveau où il fut déposé avait à
l'extérieur la forme d'un monticule, où se trouvait adaptée,
à l'extérieur, une porte oblique, maçonnée à
l'intérieur d'une façon particulière. C'était
l'espèce de travail, quoique plus grossier, que je vis faire à
saint Benoît dans son premier monastère '.
Dans une vision de la vie de saint Benoît (le 10 février 1820),
elle vit, entre autres choses, que le saint, dans sa jeunesse, apprit de son
maître à faire avec des pierres de diverses couleurs, sur le
sable du jardin, toute espèce d'ornements et d'arabesques à
la façon des mosaïques antiques. Plus tard, elle le vit, étant
anachorète, exécuter à la voûte de sa cellule ou
de sa grotte une mosaïque grossière représentant une vision
du jugement dernier. Elle vit plus tard des disciples de saint Benoît
l'imiter dans ce genre de travail et le perfectionner, Dans une vision où
elle exposa toute l'histoire de l'ordre, exprimée jusque dans ses plus
petits détails par le caractère et les habitudes du fondateur,
elle dit : "Lorsque chez les Bénédictins l'esprit fut moins
vivant que l'écorce, je vis leurs églises et leurs monastères
trop ornes et trop embellis, et en voyant toutes les images et tous les ornements
qui couvraient la voûte des églises, je me disais : Cela vient
de ce travail que faisait Benoît dans sa cellule : cette semence est
ainsi montée en herbe. Si toute cette surcharge vient à tomber,
elle brisera bien des choses.
Les parois, comme dans la cellule de la sainte Vierge au temple, étaient
ornées de fleurs et d'étoiles, formées de pierres de
différentes couleurs Le petit caveau où ils placèrent
Siméon n'offrait que juste assez d'espace pour qu'on pût circuler
autour du corps. Il y avait encore certains usages particuliers lors des enterrements
: on mettait près des morts des pièces de monnaie, des petites
pierres, et aussi, je crois, des aliments. Je ne m'en souviens plus très
bien.
72. Arrivée de la sainte Famille chez Sainte Anne
Je vis le soir la sainte Famille arrivée dans la maison d'Anne, à une demi lieue de Nazareth, vers la vallée de Zabulon. Il y eut une petite fête de famille du genre de celle qui avait eu lieu lors du départ de Marie pour le temple. La fille aînée d'Anne, Marie d'Héli, était présente. L'âne était déchargé. Ils voulaient rester là un certain temps. Tous accueillirent l'Enfant-Jésus avec une grande joie ; mais cette joie était paisible et tout intérieure. Je n'ai jamais rien vu de très passionné chez tous ces personnages. Il y avait aussi là de vieux prêtres. On fit un petit festin. Les femmes mangèrent, comme toujours, séparées des hommes.
Je vis encore la sainte Famille chez Anne. Il y avait quelques femmes : la
fille aînée d'Anne, Marie Héli, avec sa fille, Marie de
Cléophas, puis une femme du pays d'Elisabeth, et la servante qui s'était
trouvée près de Marie à Bethléhem. Cette servante,
après avoir perdu son mari qui ne s'était pas bien conduit envers
elle, n'avait pas voulu se remarier et elle était venue à Juttah,
chez Elisabeth, où Marie l'avait connue lors de sa visite à
sa cousine ; de là, cette veuve était venue chez Anne. Je vis
aujourd'hui Joseph faire plusieurs paquets chez Anne et aller avec la servante
à Nazareth, précédant des ânes, qui étaient
au nombre de deux ou de trois.
Je ne me souviens plus en détail de tout ce que j'ai vu aujourd'hui
dans la maison de sainte Anne ; mais je dois y avoir eu de vives impressions,
car j'y avais une ardeur pour la prière dont je ne comprends peut-être
plus bien la cause. Avant d'aller chez Anne, je me trouvai en esprit prés
d'un couple de jeunes mariés qui nourrissent leur vieille mère
; tous deux sont maintenant atteints d'une maladie mortelle, et s'ils n'en
guérissent pas, leur mère sera sans ressource. Je connais cette
pauvre famille, mais je n'en ai pas entendu parler depuis longtemps. Dans
les cas désespérés, j'invoque toujours la sainte mère
de Marie ; et aujourd'hui, comme j'étais chez elle en vision, je vis
dans son jardin, malgré la saison, beaucoup de poires, de prunes et
d'autres fruits pendants aux arbres, quoiqu'ils n'eussent plus de feuilles
; je voulus les cueillir en m'en allant, et je portai les poires aux époux
malades, qui ont été guéris par là. Il me fallut
ensuite en donner à beaucoup de pauvres âmes, connues et inconnues,
qui en furent soulagées. Vraisemblablement ces fruits signifient des
grâces obtenues par l'intercession de sainte Anne. Je crains que ces
fruits n'indiquent pour moi beaucoup de douleurs et de souffrances ; j'éprouve
toujours cela lors de semblables visions où je cueille des fruits dans
les jardins des saints, car il faut toujours payer cela cher. Je ne sais pas
bien pourquoi je cueillis ces fruits dans le jardin de sainte Anne ; peut-être
ces personnes et ces âmes sont-elles sous la protection particulière
de sainte Anne, en sorte que les fruits de la grâce doivent provenir
pour elles de son jardin ; ou peut-être cela eut-il lieu parce qu'elle
est particulièrement secourable dans les circonstances désespérées,
ainsi que je l'ai toujours reconnu.
Comme on demandait à la soeur comment elle voyait le climat de la Palestine
dans cette saison, elle répondit : J'oublie toujours de le dire, parce
que tout cela me parait si naturel, qu'il me semble que tout le monde doit
le savoir. Je vois souvent de la pluie et du brouillard, quelquefois aussi
un peu de neige, mais qui fond tout de suite. Je vois souvent des arbres sans
feuilles où pendent encore des fruits. Je vois plusieurs récoltes
dans l'année ; je vois déjà faire la moisson dans la
saison qui correspond à notre printemps. Dans l'hiver, je vois les
gens qui sont sur les chemins, tout enveloppés ; ils ont leurs manteaux
sur la tête.
(Le 6.) Aujourd'hui, dans l'après midi, je vis la sainte Vierge, accompagnée
de sa mère qui portait l'Enfant-Jésus, se rendre dans la maison
de Joseph, à Nazareth. Le chemin est très agréable :
il a environ une demi lieue de long, et passe entre des collines et des jardins.
Anne envoie des aliments à Joseph et à Marie dans leur maison
de Nazareth. Combien tout est touchant dans la sainte Famille ! Marie est
comme une mère et en même temps comme la servante la plus soumise
du saint enfant ; elle est aussi comme la servante de saint Joseph. Joseph
est vis-à-vis d'elle comme l'ami le plus dévoué et comme
le serviteur le plus humble. Combien je suis touchée de voir la sainte
Vierge remuer et retourner le petit Jésus comme un enfant qui ne peut
s'aider lui-même ! Quand on songe que c'est le Dieu de miséricorde
qui a créé le monde, et qui, par amour, se laisse ainsi mouvoir
en tous sens, combien on est douloureusement affecté de la dureté,
de la froideur et de l'égoïsme des hommes !
73. Purification de Marie. Fête de la Chandeleur.
La fête de la Chandeleur me fut montrée dans un grand tableau difficile à expliquer ; je raconterai comme Je le puis ce que j'ai vu passer devant mes yeux. Je vis une fête dans cette église diaphane, planant au-dessus de, la terre, qui me représente l'Église catholique en général, quand j'ai à contempler, non telle église en particulier ; mais l'Eglise en tant qu'Église. Je la vis pleine de choeurs d'anges qui entouraient la très sainte Trinité. Comme je devais voir la seconde personne de la très sainte Trinité dans l'Enfant-Jésus présenté et racheté au temple, lequel était pourtant présent aussi dans la très sainte Trinité, ce fut comme dernièrement, lorsque je crus que l'Enfant-Jésus était près de moi et me consolait pendant que je voyais en même temps une image de la très sainte Trinité. Je vis donc près de moi l'apparition du Verbe incarné, l'Enfant-Jésus uni à la très sainte Trinité par une voie lumineuse. Je ne puis pas dire qu'il ne fût pas là parce qu'il était près de moi ; je ne puis pas dire non plu. qu'il ne fût pas près de moi parce qu'il était là, et cependant, au moment où je sentis vivement la présence de l'Enfant-Jésus près de moi, je vis la figure sous laquelle m'était montrée la sainte Trinité autrement que lorsqu'elle m'est présentée seulement comme l'image de la Divinité.
Je vis paraître un autel au milieu de l'église. Ce n'était
pas comme un autel de nos jours dans nos églises actuelles, mais un
autel en général. Sur cet autel, je vis un petit arbre avec
de grandes feuilles pendantes, de l'espèce de l'arbre de la science
du bien et du mal dans le Paradis. Je vis ensuite la sainte Vierge avec l'Enfant-Jésus
sur les bras sortir pour ainsi dire de terre devant l'autel, et l'arbre qui
était sur l'autel se pencher devant elle et se flétrir ; puis,
je vis un ange revêtu d'habits sacerdotaux, n'ayant qu'un anneau autour
de la tête, s'approcher de Marie. Elle lui donna l'enfant qu'il posa
sur l'autel, et dans le même instant, je vis l'enfant passer dans l'image
de la sainte Trinité, qui m'apparut cette fois dans sa forme ordinaire.
Je vis l'ange donner à la Mère de Dieu un petit globe brillant
sur lequel était une figure semblable à un enfant emmailloté,
et, Marie l'ayant reçu, plana au-dessus de l'autel. De tous les côtés,
je vis venir à elle des bras portant des flambeaux, et elle présenta
tous ces flambeaux à l'enfant qui était sur le globe, dans lequel
ils entrèrent aussitôt. Je vis tous ces flambeaux former au-dessus
de Marie et de l'enfant une lumière et une splendeur qui illuminaient
tout. Marie avait un ample manteau étalé sur toute la terre.
Puis tout cela devint comme la célébration d'une fête.
Je crois que le dessèchement de l'arbre de la science lors de l'apparition
de Marie et l'absorption de l'enfant offert sur l'autel dans la sainte Trinité
devaient être une image de la réconciliation des hommes avec
Dieu. C'est pourquoi je vis toutes les lumières dispersées présentées
à la Mère de Dieu, et remises par celle-ci à l'Enfant-Jésus,
lequel était la lumière qui éclaire tous les hommes,
dans lequel seul toutes les lumières dispersées redeviennent
une seule lumière qui illumine le monde entier, représenté
par ce globe comme par le globe impérial. Les lumières présentées
indiquaient la bénédiction des cierges à la fête
d'aujourd'hui.
74. La fuite en Egypte. Introduction.
Le samedi, 10 février 1821, la malade était agitée par des préoccupations touchant un logement à trouver. s'étant endormie là-dessus, elle se réveilla bientôt toute consolée. Elle raconta qu'un ami, mort depuis peu (un bon vieux prêtre), était venu auprès d'elle et l'avait consolée. " Oh ! disait-elle, combien ce digne homme a d'esprit maintenant ! à présent, il sait parler. Il m'a dit : Ne t'inquiète pas de trouver un logement ; occupe-toi seulement de nettoyer et de parer ton intérieur où tu reçois le Seigneur Jésus quand il te visite. Lorsque saint Joseph vint à Bethléhem, il ne cherchait pas un logement pour lui, mais pour Jésus, et il arrangea très proprement la grotte de la Crèche ".
Elle communiqua encore plusieurs réflexions profondes du même
genre que lui avait adressées cet ami, et qui toutes indiquaient un
homme auquel son caractère était sien connu. Elle raconta qu'il
lui avait dit : " Lorsque l'ange enjoignit à saint Joseph de s'enfuir
en Égypte avec Jésus et Marie, il ne se préoccupa point
de trouver un logement, mais il obéit simplement et se mit en route
".
Comme l'année précédente, vers la même époque,
elle avait vu quelque chose de la fuite en Egypte, l'écrivain supposa
qu'il en avait été de même cette fois, et il lui adressa
cette question : " Saint Joseph est-il donc parti aujourd'hui pour l'Egypte
" ? à quoi elle répondit très nettement. "
Non ; le jour où il partit tombe maintenant le 29 février ".
Malheureusement, l'occasion ne se présenta pas de savoir cela exactement,
parce qu'elle était alors fort malade. Elle dit une fois : " L'enfant
pouvait bien avoir un an. Je le vis, hors d'une halte, pendant le voyage,
jouer au tour d'un baumier. Ses parents le faisaient quelquefois marcher pendant
un peu de temps ". Une autre fois, elle crut voir que Jésus avait
neuf mois. C'est au lecteur à déterminer, d'après d'autres
circonstances mentionnées dans le récit, et spécialement
d'après ce qui est dit de l'âge du petit Jean-Baptiste, quel
devait être l'âge de Jésus, qui paraîtrait d'après
cela avoir été en effet de neuf mois.
75. Nazareth. Demeure et occupation de la sainte Famille.
(Le dimanche, 25 février). Je vis la sainte Vierge tricoter ou faire au crochet de petites robes. Elle avait un rouleau de laine assujetti à la hanche droite, et dans les mains deux petits bâtons, en os, si je ne me trompe, avec de petits crochets à l'extrémité. L'un d'eux pouvait être long d'une demi aune, l'autre était plus court. Elle travaillait ainsi debout ou assise près de l'Enfant-Jésus, qui était couché dans une petite corbeille.
Je vis saint Joseph tresser différents objets, comme des cloisons et
des espèces de planchers pour les chambres. avec de longues bandes
d'écorces jaunes, brunes et vertes. Il avait une provision d'objets
de ce genre, placés les uns sur les autres, dans un hangar près
de la maison. J'étais touchée de compassion en pensant qu'il
ne prévoyait pas qu'il faudrait bientôt s'enfuir en Egypte. Sainte
Anne venait presque tous les jours de sa maison. située à peu
près à une lieue de là.
76. Jérusalem.-Préparatifs d'Hérode pour le massacre
des enfants
(Le dimanche, 25 février.) J'eus la vue de ce qui se passait à Jérusalem. Je vis Hérode faire convoquer beaucoup de gens. C'était comme lorsque chez nous on recrute des soldats. Ces hommes furent conduits dans une grande cour, et reçurent des habits et des armes. Ils portaient au bras comme une demi lune (une espèce de bouclier). Ils avaient des épieux et des sabres courts et larges, semblables à des coutelas. Ils portaient des casques sur la tête, et plusieurs avaient des bandelettes autour des jambes. Cela devait être fait en vue du massacre des enfants. Hérode était très agité.
(Le lundi, 26 février.) Je vis Hérode toujours dans une grande
agitation. Il était comme lorsque les rois l'interrogèrent sur
le roi nouvellement né des Juifs. Je le vis se consulter avec quelques
vieux scribes. Ils apportèrent de longs rouleaux de parchemin fixés
sur des bâtons, et y lurent quelque chose. Je vis aussi que les soldats
qu'on avait habillés de neuf la veille furent envoyés en divers
endroits dans les environs de Jérusalem, et aussi à Bethléhem.
Je crois que ce fut pour occuper les lieux d'où plus tard les mères
devaient porter leurs enfants à Jérusalem, sans savoir qu'ils
y seraient égorgés. On voulait empêcher que le bruit de
cette cruauté ne produisit des soulèvements.
(Le mardi, 27 février.) Je vis aujourd'hui les soldats d'Hérode,
qui avaient quitté Jérusalem la veille, arriver dans trois endroits.
Ils allèrent à Hébron, à Bethléhem, et
dans un troisième endroit qui se trouvait entre les deux autres, dans
la direction de la mer Morte. J'en ai oublié le nom. Les habitants,
qui ne savaient pas pourquoi ces soldats venaient chez eux, étaient
quelque peu agités. Mais Hérode était rusé ; il
ne laissait rien connaître de ses desseins et recherchait secrètement
Jésus. Les soldats restèrent longtemps dans ces endroits pour
ne pas laisser échapper l'enfant né à Bethléhem.
Il fit égorger tous les enfants au-dessous de deux ans.
77. Détails personnels à la narratrice. Effets de sa prière
à l'anniversaire du massacre des Innocents.
(Le mardi, 27 février). Ce soir, après le coucher du soleil, la malade s'endormit, et dit au bout de quelques minutes, sans y être provoquée extérieurement : " Dieu soit mille fois béni ! je suis venue bien à propos. Oh ! qu'il est heureux que j'aie été là ! le pauvre enfant est sauvé. J'ai tant prié, qu'il a bien fallu qu'elle le bénît et l'embrassât. Après cela, elle ne pouvait plus le jeter dans le marais ".
à cette explosion soudaine, l'écrivain lui demanda qui c'était,
et elle répondit : " C'est une fille séduite ; elle voulait
noyer son enfant nouveau-né. Ce n'est pas très loin d'ici. J'ai
tant prié Dieu de ne laisser mourir sans baptême aucun enfant
innocent ! J'ai fait cette prière, parce que l'anniversaire du massacre
des Innocents approche. J'ai supplié le bon Dieu par le sang de ses
premiers martyrs. Oh ! il faut profiter des occasions et cueillir sur la terre
les roses qui fleurissent dans le jardin de l'Église du ciel. Dieu
m'a exaucée et j'ai pu secourir la mère et l'enfant ".
Voilà ce qu'elle dit immédiatement après la vision, ou
pour mieux dire après son action en esprit. Le lendemain matin, elle
dit :
" J'ai été promptement conduite par mon guide à
M.... Je vis une fille devenue mère. Je crois que c'est en avant de
M.... L'endroit me paraît être à gauche de T...., sur la
route qui mène à K... Son enfant était venu au monde
derrière un buisson, et elle s'approcha avec lui d'un marais profond
sur lequel il y a beaucoup de verdure. Elle voulait jeter 19enfant dans l'eau
; elle le portait dans son tablier. Je vis prés d'elle une grande figure
sombre dont sortait pourtant une sorte de lumière sinistre. Je pense
que c'était le malin esprit. Je m'avançai près d'elle
et priai de tout mon coeur. Je vis s'éloigner la figure sombre. Alors
elle prit son enfant, le bénit et l'embrassa. Quand elle eut fait cela,
elle n'eut plus le courage de le noyer. Elle s'assit et pleura amèrement.
Elle ne savait plus que faire. Je la consolais et lui donnai la pensée
d'aller trouver son confesseur et de lui demander son aide. Elle ne me vit
pas, mais son ange gardien le lui dit. Je crois qu'elle n'a pas ses parents
dans cet endroit. Elle parait être de la classe moyenne.
78. Nazareth.-Vie domestique de le sainte Famille.
(Le mardi, 27 février.) Je vis aujourd'hui sainte Anne avec sa servante aller de sa demeure à Nazareth. La servante avait un paquet pendu au côté ; elle portait une corbeille sur la tête et une autre à la main : c'étaient des corbeilles rondes, dont l'une était à jour. Il y avait dedans des oiseaux. Elles portaient des aliments à Marie, car celle-ci n'avait pas de ménage et recevait tout de chez sainte Anne.
(Le mercredi, 28 février.) Je vis aujourd'hui, vers le soir, sainte
Anne et sa fille aînée chez la sainte Vierge. Marie Héli
avait avec elle un petit garçon fort robuste de quatre ou cinq ans
: c'était son petit-fils, le fils aîné de sa fille, Marie
de Cléophas. Joseph était allé à la maison de
sainte Anne. Je me disais : " Les femmes sont toujours les mêmes
", quand je les voyais assises ensemble, causant familièrement,
jouant avec l'Enfant-Jésus, l'embrassant et le mettant dans les bras
du petit garçon. Tout cela se passait comme de nos jours.
Marie Héli demeurait dans un petit endroit, à environ trois
lieues de Nazareth, du côté du levant. Sa maison était
presque aussi bien arrangée que celle de sainte Anne. Elle avait une
cour entourée de murs. avec un puits à pompe. Quand on mettait
le pied sur un certain endroit, l'eau jaillissait en haut et tombait dans
un bassin de pierre. Son mari s'appelait Cléophas. Sa fille, Marie
de Cléophas, mariée à Alphée, demeurait à
l'autre bout du village.
Le soir, je vis les femmes prier. Elles se tenaient devant une petite table
placée contre le mur, et sur laquelle était une couverture rouge
et blanche. La lampe était allumée pendant la prière.
Marie était devant Anne et sa soeur près d'elle. Elles croisaient
les mains sur la poitrine, les joignaient et les étendaient. Marie
lut dans un rouleau placé devant elle. Elles récitaient leurs
prières sur un ton et un rythme qui me rappelèrent la psalmodie
du choeur au couvent.
79. Un ange avertit Joseph de s'enfuir. Préparatifs et commencement
du voyage.
(Nuit du jeudi 1er mars au vendredi 2 mars.) ils sont partis ; je les ai vus se mettre en marche. Hier, Joseph était revenu de bonne heure de la maison de sainte Anne. Celle-ci et sa fille aînée étaient encore à Nazareth. A peine étaient-elles allées se reposer, que l'ange avertit Joseph. Marie et l'Enfant-Jésus avaient leur chambre à coucher à droite du foyer, sainte Anne à gauche, la fille aînée de celle-ci entre la chambre de sa mère et celle de saint Joseph. Ces différentes pièces étaient séparées par des cloisons en branches d'arbre tressées ; elles étaient aussi couvertes par en haut avec un clayonnage de même espèce ; la couche de Marie était en outre séparée du reste de la chambre par un rideau ou une portière. l'Enfant-Jésus couchait à ses pieds sur un tapis. Quand elle se levait, elle pouvait le prendre.
Je vis Joseph dormir dans sa chambre ; il était couché sur le
côté, la tête appuyée sur son bras. Je vis un jeune
homme resplendissant s'approcher de sa couche et lui parler. Joseph se releva,
mais il était accablé de sommeil et il se recoucha. Le jeune
homme le prit alors par la main, et Joseph se réveilla tout à
fait et se leva. Le jeune homme disparut. Joseph alla allumer sa lampe à
celle qui était devant le foyer, au milieu de la maison ; il frappa
à la porte de la sainte Vierge, et demanda si elle pouvait le recevoir.
Je le vis entrer et parler à Marie, qui n'ouvrit pas le rideau placé
devant elle ; puis il alla dans l'écurie où était son
âne, et entra dans une chambre où étaient divers effets.
Il arrangea tout pour le départ.
Quand Joseph eut quitté la sainte Vierge, elle se leva et s'habilla
pour le voyage ; elle alla ensuite trouver sa mère et lui fit connaître
l'ordre donné par Dieu. Alors sainte Anne se leva aussi, ainsi que
Marie Héli et son fils. Ils laissèrent l'Enfant-Jésus
reposer encore. La volonté de Dieu était au-dessus de tout pour
ces saintes personnes. Quelque affliction qu'elles eussent dans le coeur,
elles disposèrent tout pour le voyage avant de se livrer à la
tristesse des adieux. Marie ne prit pas à beaucoup près tout
ce qu'elle avait apporté de Bethléhem. Elles firent un paquet
de médiocre grosseur avec ce que Joseph avait préparé,
et y joignirent quelques couvertures. Tout se fit avec calme et très
promptement, comme lorsqu'on vient d'être réveillé pour
partir secrètement.
Marie prit alors l'enfant, et sa hâte fut si grande que je ne la vis
pas le changer de langes. Le moment des adieux était venu, et je ne
puis dire à quel point était touchante l'affliction de sainte
Anne et celle de sa fille aînée. Elles pressèrent en pleurant
l'Enfant-Jésus sur leur sein ; le petit garçon l'embrassa aussi.
Sainte Anne embrassa à plusieurs reprises la sainte Vierge, pleurant
amèrement comme si elle ne devait plus la revoir. Marie Héli
se Jeta par terre et versa des larmes abondantes.
Il n'était pas encore minuit lorsqu'ils quittèrent la maison.
Anne et Marie Héli accompagnèrent la sainte Vierge pendant quelque
temps ; Joseph venait derrière avec
l'âne. On allait dans la direction de la maison de saints Anne, seulement on la laissait un peu à droite. Marie portait devant elle l'Enfant-Jésus, emmailloté à l'aide d'une bande d'étoffe qui était assujettie sur ses épaules. Elle avait un long manteau qui enveloppait l'enfant et elle, avec un grand voile carré, qui ne couvrait que le derrière de la tête et tombait des deux côtés du visage. Elles avaient fait un peu de chemin lorsque saint Joseph les rejoignit avec l'âne, sur lequel étaient attachées une outre pleine d'eau et une corbeille où se trouvaient plusieurs objets, des petits pains, des oiseaux vivants et une petite cruche. Le petit bagage des voyageurs et quelques couvertures étaient empaquetés autour du siège placé en travers, qui avait une planchette pour les pieds. Elles s'embrassèrent encore en pleurant, et sainte Anne bénit la sainte Vierge ; celle-ci monta sur l'âne que Joseph conduisait, et se mit en route.
En parlant de la douleur de sainte Anne et de Marie Héli, la soeur
pleurait de tout son coeur, et disait qu'elle n'avait pu s'empêcher
de verser des larmes pendant la nuit où elle avait vu cette scène.
80. La sainte femme. quittent la maison de Joseph.-La sainte famille arrive
à Nazara avant le sabbat.
(Le vendredi, 2 mars.) Je vis de grand matin Marie Héli aller avec le petit garçon à la maison de sainte Anne, et envoyer son beau-père avec un serviteur à Nazareth, après quoi elle retourna chez elle. Je vis sainte Anne ranger tout dans la maison de Joseph et empaqueter beaucoup de choses. Le matin, il vint deux hommes de la maison de sainte Anne : l'un d'eux ne portait sur lui qu'une peau de mouton ; il avait des sandales grossières assujetties avec des courroies autour des jambes ; l'autre avait un vêtement plus long. Ils aidèrent à tout mettra en ordre dans la maison de Joseph, à empaqueter tout ce qui pouvait être retiré et à le porter dans la maison de sainte Anne.
Je vis la sainte Famille dans la nuit de son départ traverser plusieurs
endroits et se reposer le matin sous un hangar. Vers le soir, comme ils ne
pouvaient pas aller plus loin, je les vis entrer dans un petit endroit appelé
Nazara, chez des gens qui vivaient séparés et qu'on traitait
avec un certain mépris. Ce n'étaient pas proprement des Juifs
; il y avait quelque chose de paien dans leur religion ; ils allaient adorer
au temple du mont Garizim, près de Samarie, ce qui les obligeait à
faire quelques lieues par un chemin difficile et montueux. Ils étaient
assujettis à de lourdes corvées et devaient travailler comme
des esclaves au temple de Jérusalem, et faire d'autres travaux publics.
Ces gens accueillirent la sainte Famille très amicalement ; elle resta
là tout le jour suivant. Lors du retour d'Égypte, la sainte
Famille visita de nouveau ces braves gens ; et aussi, plus tard, lorsque Jésus
alla au temple dans sa douzième année, et lorsqu'il revint à
Nazareth ' ; toute cette famille se fit baptiser par saint Jean, et se réunit
aux disciples de Jésus. Nazara n'est pas très loin d'une autre
ville située sur une hauteur, dont je ne puis plus bien dire le nom
; car j'ai vu et entendu nommer bien des villes différentes dans les
environs, notamment Legio et Massaloth, entre lesquelles, si je ne me trompe,
se trouve Nazara. Je suis portée à croire que la ville dont
la situation me frappa s'appelle Legio, mais elle a encore un autre nom.
Lors du premier récit de la fuite en Egypte, elle avait oublié
de mentionner le séjour de la sainte Famille en cet endroit. Elle en
parla une autre année à l'occasion du voyage de Marie enfant
eu temple. Quinze ans après la mort de la soeur Emmerich, lorsque l'écrivain
mit en ordre ce qui concernait la fuite en Égypte, il se demanda pourquoi
la sainte Famille s'était arrêtée là un jour entier
: il s'aperçut pour la première lois que le sabbat commençait
le soir du 2 mars 1821, et que la sainte Fille dut célébrer
là le sabbat en secret, ce dont la soeur ne dit rien alors. Cette coïncidence
témoigne en faveur de la précision de ses visions, du moins
lorsqu'elle le' raconte nettement, ce qui certainement n'a pas toujours lieu.