Homélie de la Messe de l'Aurore
Dimanche de la 5ème semaine de Carême, 7 avril
Le mont des Oliviers, théâtre prodigieux de l'Huile dévorante de la désolation et de l'Huile glorifiante de la vision ; la vie intérieure de Jésus est descendue jusqu'à nous à l'Aurore ; Jean chapitre 8 : Jésus est assis et se redresse trois fois ; la Femme face à face est debout : de quoi est-elle le dépôt ; catéchisme de la Très Sainte Trinité et des Missions invisibles des Personnes divines ; application à la "Vie éternelle!" ; missions invisibles et missions visibles se prolongent aujourd'hui en mission de vie éternelle dans l'UN ; les deux Portes de la Jérusalem où ces dernières missions invisibles et visibles nous emportent ; "Je suis la Lumière du monde"
Pour une courte méditation affinée de ce dimanche :
Extraits du Livre du Père Chardon : la Croix de Jésus
« Une Théologie grandiose » de l'intelligence de laquelle « dépend » comme il le rappelle
en termes exprès, « toute la connaissance des opérations mystiques ».
Il y a deux Processions ou Productions des Personnes divines ; l'une est éternelle, l'autre est temporelle ; celle-ci a un commencement, celle-là n'en a point ; l'une est immanente, l'autre se fait au dehors... L'une est appelée simplement génération ou production ; l'autre est appelée envoi ou mission.
Et l'une et l'autre perfectionnent l'entendement et la volonté, la première de Dieu, la seconde de l'Homme. Celle-là est la raison éternelle de la production des créatures, et de leur sortie hors de leur cause ; mais celle-ci est le modèle de leur retour. En l'une, nous adorons Dieu comme le principe de notre être; en l'autre nous l'envisageons comme sa fin.
La première a ses effets dedans les dons de la nature, elle fait une présence qui est commune à toutes choses bonnes et mauvaises ; et la seconde ne se communique jamais qu'avec les dons et les grâces surnaturelles avec quoi elle clôt le cercle de l'amour de l'adorable Providence, que l'autre avait commencé en Dieu, pour venir en nous; tandis que celle-ci commence en nous et se termine en Dieu.
Ce cercle, cette boucle de l'Amour, y a-t-il rien d'aussi beau ?
La Production éternelle est l'origine de la seconde, ou plutôt la seconde n'est qu'une extension de la première. Je dis mieux : la Production éternelle et temporelle n'est qu'une même production; la condition du temps n'ajoute rien de nouveau en Dieu, qui est immuable et plénitude de toute perfection. C'est seulement en la créature, qui est rendue participante, par un nouveau changement qui se fait en elle, de ce que Dieu est depuis l'éternité.
C'est-à-dire que Dieu commence à produire en l'âme sainte les Personnes qui sont procédantes dans son sein auparavant toute éternité.
Les anti-mystiques sont en vérité de plaisants chrétiens, quand ils s'effarouchent de ce que présentent « d'extraordinaires » - c'est leur mot chéri - certaines confidences des saints. Eh ! juste ciel ! le dogme de la grâce sanctifiante ne nous plonge-t-il pas dans un «extraordinaire» infiniment plus étrange, aussi vrai néanmoins que les dogmes des géomètres, sinon davantage; cette application de l'activité et de la fécondité éternelles à des créatures, le mystère de la Trinité se reproduisant en chacun de nous ?
Ô puissance de la grâce !
Ô excès d'amour d'un Dieu, qui n'a point de bornes aux effets qu'il produit dans l'esprit de sa créature, à laquelle il ne cache et il ne réserve, de tous ses biens, quoi que ce soit qui puisse empêcher l'égalité qui doit être entre les véritables amants.
Ceux qui s'aiment parmi les hommes, auraient bien la volonté, dit l'Ange de l'Ecole, de deux personnes n'en faire qu'une ; à quoi ne pouvant réussir sans la corruption de l'une ou de l'autre, ou de tous les deux, ils tâchent de s'unir ensemble, par quelque manière qui ait de la bienséance.
Les forces de l'amour humain sont trop raccourcies, en comparaison de celles de la divine Charité, qui transforme la créature en Dieu de telle manière qu'elle l'abîme, en la déifiant, dedans la profondeur des perfections divines, où, ne délaissant point d'être créature, elle y perd pourtant son non-être, et, comme une goutte d'eau se confondant avec la mer où elle est engloutie, elle perd la crainte de devenir moindre.
Elle prend un être divin dans l'être de Dieu, en l'abîme duquel elle est submergée par la grâce, afin que, tout ainsi que Dieu est celui qui est..., elle dise : je suis par la grâce de Dieu tout ce que Dieu est par nature.
Et que, par conséquent, par l'union qu'elle a aux Termes admirables des opérations éternelles, à savoir le Fils et le Saint-Esprit, qui sont envoyés pour être, non seulement comme les objets, mais encore comme les principes de ses connaissances et de ses amours, elle puisse dire avec l'incomparable Apôtre : « Je puis tout avec celui qui me fortifie », l'essence de son âme, ses puissances et leurs opérations, étant au milieu de l'essence et de la Trinité des Personnes divines, ainsi qu'une éponge pleine et remplie d'eau en toute sa capacité, flottant dans le sein d'une mer, dont toutes les dimensions de hauteur, de profondeur, de largeur et de longueur sont infinies.
Dieu n'habite pas en nous comme une statue sur un autel : il est l'autel aussi bien que la statue ; il ne s'offre pas seulement à notre connaissance et à notre amour : il est notre connaissance elle-même et notre amour.
En nous, par nous, avec nous, il se contemple et il s'aime.
Ce ne sont pas seulement les puissances de notre âme, ce sont nos opérations qui flottent dans le sein de cette mer.
Qui a entrevu ce miracle de pénétration activante, si l'on peut dire, a la clef de toute la mystique. La passivité ne lui est plus un scandale, pas davantage une prime à la paresse.
Vie passive certes, puisque Dieu agit en nous plus que nous ; active néanmoins, suractive même, puisque l'activité divine s'ajoute, se mêle en quelque façon à la nôtre.
Quel ravissement d'avoir Dieu au dedans de nous-mêmes, dans le plus profond de notre intimité, ruisselant en abondance et se répandant, si je l'ose dire, dans toute l'étendue de l'âme, jusques dedans ses puissances et ses facultés, sans rien détruire, afin qu'elle soit participante de la Société divine, afin qu'elle entre par imitation en la condition naturelle de Dieu tout-puissant, et afin qu'elle soit étreinte et embrassée de la plénitude de la Divinité. Et comme si ce n'était pas assez, pour être tout ensemble perfectionnée et secourue, ennoblie et fortifiée, en son entendement et en sa volonté, à produire des effets généreux, qui aient une élévation conforme à sa nouvelle condition, et proportionnée à la grandeur du mérite de celui que la grâce rend présent.
C'est ainsi que les « Missions invisibles des Personnes divines, par conformité aux deux visibles » - L'Incarnation et la Pentecôte, - font que Dieu est à nous et que nous sommes à lui, qu'il nous tient et que nous le tenons ; qu'il nous embrasse et que nous l'embrassons...
Mais, par dessus tout, qu'étant principes d'opérations en nous, il faut ensuite qu'elles fassent que nous nous avancions continuellement et que nous changions d'état, dedans les plus éminents degrés de la perfection.
Par où est maintenue la prééminence des hauts contemplatifs sur les « imparfaits » ; et, tout ensemble, démolie cette sorte de fossé que certains imaginent entre les deux états.
Car il faut savoir que ces admirables Missions, comme principes d'opérations surnaturelles,... font que la Grâce ne demeure point oisive, mais qu'elle prend de l'agrandissement, qui vient quelquefois à croître jusqu'à un tel degré, que l'âme est dite changer d'état, se faisant en elle une sorte de nouveauté de la Grâce, dedans une éminence qui l'élève, sans comparaison, au-dessus de sa première sanctification...
A mesure qu'elle fait du progrès en l'augmentation de la Grâce et de la divine Charité, les Personnes divines y sont de nouveau produites, elles commencent de lui appartenir, avec des droits et des prérogatifs singuliers qu'elle n'avait pas auparavant.
Des changements d'état, des prérogatives singulières, « une sorte de nouveauté en la Grâce »; mais toujours les mêmes « Missions ». D'où il suit que cette sublime doctrine, dernière raison des expériences mystiques, au sens le plus étroit du mot, l'est aussi de toute expérience religieuse et de toute vie chrétienne.
Cette vérité des Missions divines est un des plus puissants motifs d'avancement spirituel, entre tous ceux que l'on a coutume de proposer, pour exciter les commençants, encourager les profitants et confirmer les parfaits ; parce qu'il tient toujours l'âme soigneuse de son progrès, éveillée à produire sans cesse des actes plus forts et plus fervents de toutes les vertus, afin que, croissant en la grâce, ce nouvel accroissement amène Dieu de nouveau en elle, pour une demeure qui a plus de présence, pour une union qui a plus d'adhérence, et qui a d'autant plus d'élévation qu'elle a plus d'intimité, plus de pureté et plus de vigueur.
Cette union vient quelquefois à croître en certains esprits, à se resserrer si fort que l'on n'y discerne presque plus rien d'humain...
Ils meurent à toute l'affection et l'opération humaine, ils sont si parfaitement possédés de l'esprit de Dieu, liquéfiés, résouds, unis et déifiés en lui, que l'adorable Trinité est plus vivante, plus opérante, et plus agissante dans eux qu'eux-mêmes dans eux-mêmes.
Mystère deux fois « inexplicable », « compris », néanmoins « dans les secrets des propriétés de la Grâce ».
- Le « poids » crucifiant des « Missions divines ».
« Application des Missions invisibles des Personnes divines aux Croix spirituelles ».
Après des vérités si chrétiennes, il est assez facile de conclure que les Croix spirituelles, étant des effets de la grâce, ne séparent pas de Dieu... La grâce ne prenant de l'accroissement dans l'âme sainte qu'à mesure qu'elle acquiert plus de pureté, (et) les Personnes divines ne faisant leur demeure en elle qu'en proportion que la grâce y a plus de radication et de possession, il est aisé de voir que les croix spirituelles, étant des moyens si puissants pour purifier l'esprit, elles seront aussi des aides pour attirer avec d'autant plus de perfection les Missions des Personnes divines, et de leur faire prendre une demeure d'autant plus intime que les croix seront plus affligeantes, et auront causé plus de séparation.
Ce qui fait qu'elles sont des moyens bien plus propres que les consolations, pour insinuer Dieu dans la plus secrète et profonde capacité de l'esprit.
On parle donc « avec beaucoup d'impropriété », quand « on appelle les croix spirituelles des absences de Dieu ». Elles ne nous séparent que de ce qui n'est pas lui, à savoir des « grâces et des lumières sensibles ».
« Tous les excès d'ardeurs, qui, de la volonté, s'étaient comme débordés, à guise d'un fleuve qui sort de son lit avec insolence, sur la partie inférieure, par inflammations, élancements, douceurs
et autres ferveurs expérimentales », sont ramenés, par les désolations intérieures, et « recueillis dans leur centre, afin de n'avoir plus d'action que pour le Créateur ».
Le fleuve rentre dans son lit; la tendresse de la dévotion se trouve « transformée toute en force d'amour ».
Puisque l'amitié parfaite se dépouille du propre intérêt et que les douceurs qui naissent de l'exercice de la tendresse, ont leur expérience dedans la chair, par un effort digne de la noblesse de sa source, (l'âme) ramasse toutes les flammes dispersées en toutes les puissances animales, pour les rallier en la partie supérieure,... où est la volonté, et va convertissant les tendresses en forces, les douceurs en rigueurs, les affections sensibles en impressions déiformes.
Mais non, ce ralliement, elle le subit plus qu'elle ne le commande, se laissant dépouiller par Dieu, qui ne veut pas que « son affection s'attache à quoi que ce soit qui ne soit point lui ».
De crainte que l'usage trop fréquent... de ses consolations n'arrête son inclination,... il lui suspend le ruisseau, pour la faire soupirer avec plus d'ardeur à la source. Il cache le rayon, pour lui donner plus d'adhérence au soleil, dedans la roue duquel, sans qu'elle en fasse expérience, il la tient cachée. Il lui soustrait ses grâces, pour se donner lui-même.... Cependant, il s'insinue doucement, en se faisant maître de toutes les attentions de ses puissances, afin de la rendre jouissante du Bien unique et nécessaire, que l'on ne doit aimer qu'avec la même solitude, qui sépare de toutes choses la souveraineté de son être.