Le couronnement d'épines / troisième mystère douloureux
Au milieu du Carême, nous lisons ce bel Evangile : il n’y a pas d’autre commandement que d’aimer le Seigneur ton Dieu : tu n’as pas d’autre Seigneur que Lui ; L’aimer de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force, de tout ton esprit, de toute ton intelligence ; et tu aimeras ton prochain comme toi-même (Marc, 12, 28-34).
Nous pouvons partir de cette parole de Dieu pour contempler, méditer, rentrer à l’intérieur du troisième mystère douloureux, treizième mystère du rosaire.
Jésus a été couronné d’épines, Jésus a été injurié, humilié, soumis à la dérision, à la moquerie générale, aux rires et à toutes les formes possibles d’humiliation publique et d’humiliation intime : voilà ce qui est stigmatisé dans ce troisième mystère.
Jésus est couronné d’épines à plusieurs reprises. Il a été convoqué successivement devant tellement d’autorités ! D’abord chez Anne, tout de suite Il a été bafoué par ceux qui l’accompagnaient ; Anne l’a livré ensuite aux moqueries et aux mauvais traitements de tous les gardes qui étaient là, et cela a duré assez longtemps. Nous n’avons pas l’habitude de décrire ce genre de persécutions et nous n’osons pas dire ce que Jésus a subi dans ce mystère de sa passion.
Pour la flagellation, nous arrivons encore à oser suggère ce qu’Il a subi, mais pour le couronnement, nous n’osons pas décrire ces humiliations parce que nous gardons au moins un minimum de pudeur, comme je vous l’ai dit la dernière fois. Ce qui a été fait à Dieu est terrible.
De Anne, Il est passé chez Caïphe, et de là Il a été maltraité à nouveau dans une fosse, jusqu’à ce qu’Il soit convoqué devant le Sanhédrin.
Là, devant tous, Il a dit :« Je suis le Fils de Dieu ».
Alors Caïphe a déchiré son vêtement.
Jésus a dit cela alors qu’Il avait déjà été passablement conspué, face à face avec le grand Prêtre, avec l’autorité religieuse (en tant que fils d’Israël, Il devait obéir à l’autorité religieuse, à Caïphe, chef du Sanhédrin) :
« Je suis le Fils de Dieu, et vous verrez le Fils de l’homme revenir dans la gloire sur les nuées glorieuses du ciel » (Matthieu 26, 64 ; Marc 14, 62).
Si nous voulons avoir une certaine description du visage de Jésus à cet instant, nous l’avons dans les Actes des apôtres, parce que cette parole a été prononcée par le premier martyre : la forme de Son visage, un visage angélique, divin, y est très bien décrite. Caïphe n’a pas supporté cette parole, et encore moins cette manifestation presque visible de la divinité de Jésus. La parole de Jésus est efficace ; Jésus n’avait prononcé cette parole : « Je suis le Fils de Dieu », qu’une fois avec ses disciples ; mais là, devant Caïphe, il le manifesta dans toute la force de sa passion : Caïphe n’a pas pu le supporter ; il L’a livré une troisième fois à des humiliations terribles, à sa manière à lui, en l’abandonnant à ses soldats. Je crois que ce n’est même pas la peine d’essayer d’imaginer ce qu’on Lui a fait. Il faut savoir que c’est insupportable : même dans un film où les gens se délectent de choses horribles, on ne le ferait pas.
Le Sanhédrin a ensuite amené Jésus chez Pilate, vers quatre heures du matin, après qu’Il ait été maltraité pendant deux heures dans les cachots.
Personnellement, j’ai eu
le bonheur d’aller dans ce cachot, à saint Pierre aux liens,
à Jérusalem. Autant à la résurrection Il avait
marqué le suaire de Turin qui Le recouvrait, autant ici la souffrance
de Jésus fut si forte qu’elle put imprimer le rocher, et nous
voyons encore aujourd’hui cette impression sur le rocher : l’ombre
de Jésus est venue frapper le mur de cette fosse, la creusant dans
un relief particulier où nous voyons Jésus à genoux,
les bras en croix ; Son visage vers le Père demande pardon, lumineux
dans l’action de grâce, et un autre visage (tourné en arrière:
vraiment extraordinaire) ténébreux et complètement broyé.
Nous connaissions une petite paysanne qui s’appelait Marthe Robin, dans
la Drôme, et la première fois qu’un pèlerinage à
Jérusalem avait été organisé pour ses foyers,
elle avait dit : « allez dans le cachot et regardez bien l’ombre
qui s’est inscrite au moment même où Judas s’est
pendu, pour y communier à ce que Jésus a souffert dans ces heures
de la nuit ».
Même là, Il fut soumis aux mauvais traitements des soldats.
Pilate s’est moqué de Lui : « qu’est-ce que c’est que cette histoire ? » (il faudrait également parler des vêtements dont Il fut revêtu).
Pilate le renvoya chez Hérode, usurpateur de la royauté d’Israël ; Hérode excédé livre Jésus à nouveau à des hordes d’humiliations, et Jésus est à nouveau couronné : le docteur Barbet, quand il analyse le Suaire de Turin, dit que c’est peut-être à ce moment-là qu’on lui a mis un gros buisson d’épines, et on a tapé dessus, en prenant un malin plaisir à Lui broyer la tête. La couronne d’épines tressée qu’on Lui connaît dans les représentations ordinaires lui a été imposée après la flagellation.
Vraiment, Hérode n’était pas content, parce que Jésus ne lui parlait pas : Il ne pouvait pas échanger de paroles avec Hérode, puisque Hérode n’avait pas de parole (cet Hérode-là avait fait décapiter Jean Baptiste qu’il aimait entendre parler, mais nous n’avons pas le temps de rester là-dessus). Hérode l’a très bien compris et cela l’a exaspéré ; il livra donc Jésus à de nouvelles tortures avant de Le renvoyer chez Pilate.
Pilate, après L’avoir fait flageller, va couronner Jésus d’épines. Le couronnement d’épines est donc continuel, avec sept grandes humiliations, sept grands moments. La flagellation a lieu avant le dernier moment de l’humiliation de Jésus crucifié, de l’humiliation de Jésus couronné d’épines.
Que Jésus ne soit pas mort après la flagellation relevait du miracle. Nous avons vu la dernière fois en méditant le mystère de la flagellation qu’entre Marie et Jésus s’est passé quelque chose de très grand sur le plan divin : ils ont institué dans cette communion nouvelle et virginale une origine béatifiante nouvelle, une immunité béatifiante originelle principielle et une innocence nouvelle de l’homme et de la femme, pour s’enfoncer à travers la concupiscence jusqu’à la redécouverte du cœur, et donc le cœur de l’homme et de la femme s’était par grâce de rédemption ré-ouvert. C’est dans cette situation du coeur que le septième couronnement d’épines s’est produit.
Quand nous suggérons sept couronnements d’épines, nous voulons désigner les sept grands moments où Il a été livré à une torture ayant pour but de l’humilier, de l’écraser, de l’anéantir, de le livrer à la moquerie, à la dérision.
Saint Thomas d’Aquin, quand il commente la Passion de Jésus dans la Somme, montre dans sa théologie scientifique que toutes les formes d’humiliation étaient présentes en même temps, de sorte qu’il n’y avait aucune porte de sortie à la dignité de Jésus. La seule dignité qui ait pu surgir est ce cœur nouveau trouvé dans la flagellation, dans cette immunité principielle béatifiante nouvelle que nous avons vu la dernière fois.
Du point de vue du cœur, du point de vue de l’amour, quelque chose de nouveau était apparu dans leur humanité unie à la notre : un amour nouveau, surnaturel, limpide, immune, innocent, une immunité principielle béatifiante nouvelle, une nouvelle source de la création du cœur de l’homme et de la femme dans l’unité, à l’intérieur précisément de tous ceux qui étaient détruits dans leur cœur, et en communion avec tous ceux qui étaient sous le joug de la concupiscence. C’est ce que nous avions vu la dernière fois.
Je ferai remarquer une chose par rapport à ce mystère de la flagellation, sur lequel vient se greffer la mortification de l’intelligence, de l’esprit, du couronnement d’épines : Jésus et Marie avaient déjà vécu la flagellation par anticipation, ils n’ont pas attendu Ponce Pilate, ils en ont vécu à l’avance en célébrant la Pâques et à la Transfiguration, comme dans la sainte Famille à Nazareth ; dans le cinquième mystère joyeux un champ d’entraînement s’y vivait déjà où l’on se réjouissait du nouveau paradis qui devait s’inscrire sur des bases nouvelles qui n’avaient strictement rien à voir avec l’état du cœur de l’homme et de la femme avant le péché originel…
Joseph était présent.
Une unité habituelle s’était installée entre Jésus déchiré dans toute son affectivité sensible, Jésus déchiré dans toute sa peau (toute sa masculinité d’homme devait être totalement détruite et anéantie, comme nous l’avons vu), et l’Immaculée devant accompagner du dedans cet anéantissement de la concupiscence.
La concupiscence chez Jésus était une concupiscence immaculée, un frémissement d’amour, parfait qui devait être détruit. Marie a dû subir tous les coups. Déjà à Nazareth, au cœur de la Sainte Famille, une communion s’était initiée avec ce que Jésus devait subir, et Marie a compris petit à petit que cela devait aller jusque là. Elle a compris qu’elle devait tout vivre avec Jésus, du dedans du corps de Jésus, du dedans de la chair sensible de Jésus, et elle ne pouvait pas le vivre sans Joseph, parce que Jésus ne pouvait vivre cette re-création d’une sensibilité surnaturelle virginale nouvelle toute immaculée, toute immune, toute principielle, toute béatifiante, sinon à l’intérieur de ceux qui étaient abîmés dans la concupiscence. Celui qui fut au principe de cette communion, dans la sainte Famille, ce fut bien saint Joseph, le « papa » ( à la différence de la mère de Dieu, le père de Jésus n’avait pas été préservé du péché originel, il en portait donc les séquelles ! ).
Tout cela s’est donc initié de manière bienheureuse dans la sainte Famille : le pli de cette unité trinitaire de rédemption était pris. A la flagellation, Joseph n’est plus là mais il a laissé la place (et c’est ce qui est beau dans le mystère de la flagellation) à tous les autres justes abîmés dans leur concupiscence (puisque la concupiscence est une conséquence, une séquelle du péché originel).
Voilà pour la flagellation.
Dès que nous avons retrouvé la recréation, la remise en vie du cœur de l’homme, du cœur de la femme, du cœur de l’humanité intégrale dans une virginité cette fois ci, non plus naturelle, mais une virginité vraiment surnaturelle, non plus une virginité transfigurée mais une virginité à la fois douloureuse sur la terre et glorieuse dans le ciel ( notons ici la différence entre la virginité du paradis terrestre qui est une virginité naturelle et transfigurante, et la virginité nouvelle de la flagellation, qui est une virginité souffrante et glorieuse), une fois ce cœur humain retrouvé, Jésus est immédiatement livré à cette nouvelle horde de soldats romains qui vont le battre, lui cracher sur le visage, et le conspuer… pendant presque une heure : de neuf à dix heures du matin.
Il ne faut pas perdre de vue ce cœur de Jésus installé fortement dans le cœur de Marie, et le cœur de Marie installé intimement dans le cœur de Jésus, tous deux ayant pour ainsi dire disparu dans notre cœur en ces moments divins et terribles.
Une fois réouvertes les sources de l’amour dans notre cœur par anticipation grâce à la flagellation, Jésus a pu entrer dans cette humiliation suprême. Nous passons avec Lui de la re-création du cœur à la re-création de l’esprit : un esprit humain qu’avait abîmé l’orgueil.
Avec beaucoup d’amour en Son corps anéanti, l’esprit humain de Jésus et l’esprit humain de Marie en leur mutuelle unité surnaturelle, vont être complètement broyés pour se conjoindre à notre esprit broyé par l’orgueil.
Il a fallu qu’il y ait beaucoup d’amour pour cela : il fallait vraiment le mystère de la flagellation en lequel devait surgir cet amour douloureux et glorieux ( c’est à dire victorieux de tout ) pour pouvoir aller jusqu’à ce suprême anéantissement du couronnement d’épines ; tous deux vont accepter d’être littéralement broyés dans leur unité spirituelle et profondément contemplative, pour rejoindre ce qui a été plus qu’abîmé en notre esprit à nous, en cette partie spirituelle de notre âme.
La concupiscence n’est pas l’esprit ; la concupiscence n’est pas l’orgueil ; ce mystère entre Jésus et Marie est d’une autre nature.
L’orgueil, d’où vient-il ?
Malheureusement l’orgueil vient de nous.
L’orgueil a deux sources, pour dire la vérité.
La première source à l’orgueil s’inscrit dans un esprit créé par Dieu, magnifié par Dieu, entièrement pur ; nous, entièrement purs dans notre intelligence, dans notre esprit, de par Dieu, va s’exalter lui-même pour prendre son indépendance.
Tel fut le démon : le démon ressemble tant à Dieu qu’il se sent presque Dieu. Et c’est vrai : notre esprit, dès qu’il sort des mains de Dieu, est quasi Dieu ; il n’est pas Dieu, parce qu’il est créé par Dieu, mais il est quasiment Dieu, il est ressemblance de Dieu, miroir de Dieu, simplicité de Dieu.
Les tout petits comme nous, avons complètement oublié l’état de notre esprit lorsqu’il a été créé par Dieu (nous l’avons oublié parce que l’orgueil l’a précisément bien caché, camouflé), mais quelle chose extraordinaire que cet esprit !
Lucifer par exemple est ‘lumière de Dieu’, celui qui porte toute la lumière de Dieu. Le premier orgueil vient de ce que cette lumière a porté un amour de Dieu très grand mais pas dans l’amour du prochain : nous nous sommes exaltés en Dieu et nous avons pris cette immense dignité, cette immense grandeur, cette immense splendeur, pour nous exalter nous-même, et nous exaltant nous-même, nous nous sommes du coup séparés de Dieu. Il n’y a pas eu assez d’amour.
« Dieu m’a créé
!
- Mais enfin, Lucifer, attends, réfléchis : Il a créé
aussi Mickaël, Il a créé également Gabriel, Il a
créé aussi le Messie, et c’est dans le Messie que vous
avez été créés ! Il a créé aussi
la matière ; la matière elle-même va être porteuse
de la ressemblance de Dieu. Tu dois aimer, admirer, exalter l’immense
dignité de Dieu dans toutes les autres créatures spirituelles,
et ceci d’autant plus que tu recevras plus d’amour en toi ; plus
d’amour, et tu verras que cet amour gratifie d’autant plus intensément
qu’il s’associe tous les autres êtres. Qui sera le plus
grand ? Celui qui aura le plus d’amour, et pas forcément celui
qui aura le plus de lumière. »
Alors par manque d’amour, certains se sont rétractés en disant : « je vais garder cette splendeur de l’amour de Dieu qui est en moi, de la lumière de Dieu qui est en moi, pour moi, indépendamment de Dieu ».
Tel est le premier orgueil : l’orgueil spirituel à l’état pur, un orgueil par lequel nous voulons prendre notre indépendance, parce que nous ne voulons pas passer par les autres créatures pour nous unir à Dieu. L’esprit veut passer avant l’amour, ou en dehors de l’amour.
Nous sommes créés par Dieu dans un état de splendeur spirituelle, dans une lumière, une lucidité extraordinaire parce que complètement divine, dans une saisie vraiment profonde, béatifiante, candide, innocente, pure et toute de clarté . Mais quand dans les instants suivants nous nous retrouvons entre les mains de nos parents qui doivent être le canal par lequel Dieu doit passer, nous allons dire non.
Une des manières pour nous de coopérer au péché originel va consister à dire :
Dieu directement, oui ! Par la médiation de ceux qui nous ont créé, non ! Mes parents, non ! Tous leurs visages analogiques : les autorités, le patron, la tante, la gouvernante, non ! Le père spirituel, le confesseur, le pape, non ! « Mon papa ? Non, il est trop dur, il n’est pas spirituel ! ».
A cause de cela, nous allons vouloir prendre notre indépendance : voilà notre manière à nous de faire comme Lucifer.
Jésus dit dans une parabole :
« Un homme avait deux fils. L’un des fils dit : « je prends tout l’héritage et je m’en vais, je prends mon indépendance » et il sort de la maison en prenant les cadeaux du Père. Le deuxième fils reste à la maison ».
La première source de l’orgueil (dont je viens de vous parler) origine la constitution du moi autonome, comme disent les psychologues : quand vous faites certaines sessions, vous essayez d’aller profondément au fond de vous pour ‘trouver votre être profond’, c’est à dire votre moi autonome. Là où vous êtes autonomes, indépendants : on ne pourra pas vous embêter ; là vous êtes forts, profondément enracinés.
La deuxième source de l’orgueil n’est pas le moi, mais l’ego, comme on dit…
L’égoïsme.
Qu’est-ce que l’ego ? Comment naît l’égoïsme
?
« Ecoute, moi, je suis à
la maison [ c’est le deuxième fils ] : j’y reste, et comme
cela, tout ce qui est à toi est à moi, et tout ce qui est à
moi est à toi, et j’en profite. Comme cela, je suis resté
juste : je n’ai pas volé l’héritage, je ne suis
pas indépendant, je suis là ». Mais je vais m’accrocher
à ces richesses ; j’en fais un droit ; je n’en suis pas
détaché ; je reste là à cause de cette sécurité.
L’attachement à mon être profond qui consiste à
aimer, à me livrer, laisse la place à un comportement exactement
contraire à celui du premier fils qui prend son indépendance
: je refuse de me détacher des biens ( au contraire, je me les approprie).
Va naître en moi une spiritualité de l’avoir évacuant
une spiritualité d’amour spirituel.
Ainsi se constitue l’ego : l’ego jouisseur, possesseur, et dominateur.
Petit à petit, par insatisfaction permanente (spirituellement, l’avoir
insatisfait toujours), va se développer l’ego jouisseur : je
reste là pour en jouir (tandis que l’autre est indépendant,
mais il paie). L’ego jouisseur devient exclusif et se défend
: ego possesseur ; puis il se dépasse pour écraser : ego dominateur
; je deviens vraiment égoïste.
Lorsque ces deux spirales vont s’associer en nous, ce souci d’être indépendant (de s’approprier une certaine autonomie) et en même temps ce souci d’être égoïste (de s’approprier les richesses), l’orgueil inné va apparaître pour devenir de plus en plus explicite.
Dans la parabole, le premier se replie sur lui-même, il prend tout et dilapide tous ses biens ; le deuxième reste sous dépendance, mais il s’accroche (ego jouisseur) et se défend (ego dominateur, volonté de puissance) dans l’égoïsme.
Le péché personnel va nous faire associer les deux. Du côté de l’égoïsme, nous sommes insatisfaits… Du coté de l’indépendance nous développons une attitude d’orphelin dans notre moi autonome (« personne ne me comprend », « mon papa et ma maman me rejettent», etc..)…
Les deux s’alimentant, va naître une certaine prise de conscience dans l’esprit qui se caractérise par le murmure et la révolte : nous allons développer à l’intérieur de nous une vision de nous-même en dehors de l’image et ressemblance de Dieu, exclusive du père et de la mère, de l’amour et de l’esprit.
Voilà comment se développe la fameuse seconde personnalité ou personnalité néo-formée, le ‘vieil homme’ qui domine en nous.
Donc nous avons les trois : le moi, l’ego et le soi.
Le moi, l’ego et le soi sont sources de l’orgueil lorsqu’ils s’associent. Expliquons ce processus :
Je me justifie : « oui, j’ai quand même eu du malheur, c’est vraiment terrible, ce qui m’arrive n’est pas bien, je ne suis pas doué, j’en ai assez ! etc. ».
Cette prise de conscience va alimenter
un désir de compensations nouvelles, de super-compensations à
la fois nostalgiques ( au regard du passé) et ambitieuses( au regard
du futur )
Et l’association des trois fait naître l’orgueil qui refuse
de vivre l’humilité de l’instant présent ( dépendance
et gratuité ).
L’orgueil naît avec le murmure : il ne faut jamais oublier cela.
Voilà pourquoi saint Benoît dit que le premier degré d’humilité est l’abolition de tout murmure intérieur, et évidemment extérieur…
Comme par exemple : « oh ! Comment il m’a regardé, celui-là ! » ou bien « Comment il ne m’a pas regardé ! », « Seigneur, quand même, comment est-ce qu’il s’y prend avec moi ! ».
Premier degré d’humilité : pas de murmure ! Le murmure est le résultat de ces trois, le 666 de la vie spirituelle broyée : de l’intelligence de l’homme qui n’est plus ressemblance du Père de la Vie, ni ressemblance de l’unité sponsale du père et de la mère, ni miroir de la très sainte Trinité en lui-même ; l’homme n’est plus lui-même spirituellement : il murmure… Dans cette prise de conscience, il veut s’auto justifier.
En murmurant, il auto-justifie son égoïsme, il justifie son désir d’autonomie et son attitude d’orphelin, ce fait qu’il rejette son père et sa mère, qu’il rejette l’obéissance, qu’il rejette Dieu, et enfin qu’il rejette toute la création dans sa personnalité néo-formée (il rejette sa propre personnalité intime spirituelle). Il rejette tout et il s’auto-justifie par le murmure : le murmure existe pour justifier un orgueil forcené.
Saint Benoît dit que l’orgueil est détecté, repéré, au murmure : si l’orgueil est forcené, si nous ne renonçons pas à l’orgueil, il y aura forcément le murmure. Les Pères appelaient acédie cet état lamentable et mélancholique.
Il faut connaître par cœur les dix degrés d’humilité de saint Benoît, le grand spécialiste de l’humilité dans l’Eglise des Apôtres.
La disposition pour comprendre et rentrer à l’intérieur du mystère du couronnement d’épines, c’est l’humilité. Il faut rentrer dans une attitude d’humilité.
L’orgueil fait des projets : par compensation ( « nous allons changer la machine à laver », « nous allons déménager cette pièce et mettre les meubles ailleurs» : la ‘déménagite’ ; « l’année prochaine, je ferai ça » ; « j’ai une maison à Toulouse, mais je projette de la vendre bientôt pour avoir une maison à Tombouktou, c’est beaucoup mieux » ; des projets continuels jaillissant d’une insatisfaction profonde enracinée dans le murmure :« je ne suis pas bien avec ces gens-là, etc… »). Nous sommes toujours projetés dans l’avenir pour ne pas vivre du Royaume de Dieu plénitude l’éternité dans la pauvreté de l’instant présent.
L’orgueil est nostalgique d’une liberté sans entrave: « oui, mon père…, ma mère… ! », « d’ailleurs on ne m’aime pas », « moi-même je ne m’aime pas non plus », « regarde ce qui m’est arrivé l’année dernière », etc… : nous sommes projetés dans le passé à cause du refus de la dépendance dans l’amour.
A cause de l’attitude de l’égoïsme, nous faisons des projets, pour avoir toujours plus.
Mais l’instant présent, non ! La grâce dans l’instant présent, l’éternité au-delà, l’origine dans l’instant présent, non !
Nous voyons les trois sources de l’humilité naturelle disparaître : l’humilité la plus fondamentale, la plus élémentaire, la plus homéopathique, a disparu, et le signe en est le murmure.
Le jeune postulant entrant au noviciat, dans un monastère ou en n’importe quelle communauté chrétienne, découvre cette toute première règle : plus aucun projet. Celui qui dans sa tête formule des projets ne fait plus partie de la communauté : il doit partir ( il vaut mieux qu’il aille à Bagdad ou ailleurs ! ). Nous pouvons projeter de faire de l’humanitaire ou de la guerre, ce serait pareil.
Alors : pas de projet, pas de murmure, mais de la gratitude !
L’attitude de fond des mystères douloureux est toujours l’Eucharistie et Gethsémani : la gratitude.
Gethsémani est un instant présent tellement fort que nous en sommes abasourdis : Dieu Lui-même s’inflige Lui-même ce qu’il est impossible à Lui-même dans la plénitude de vie divine dans sa chair, de supporter. Et Il le fait avec la force de l’Eglise, avec la force de toute l’humanité glorieuse, et non pas avec sa propre force : telle est l’humilité de Dieu.
Le fruit du troisième mystère douloureux : la mortification de l’esprit, l’anéantissement de l’orgueil.
La disposition profonde pour essayer de rentrer à l’intime de Jésus, dans les profondeurs intérieures de Marie, si le Bon Dieu nous y aide, pour rentrer dans le mystère du couronnement d’épines, consistera à être un peu humble :
Comme disposition antécédante (avant de rentrer dans le mystère), nous supplions le Bon Dieu pour obtenir: « la grâce d’une humilité profonde, spirituelle, lumineuse et vraie ».
Reprenons avant tout les moments de l’humilité avec saint Benoît.
Premier degré d’humilité : l’abolition du murmure
Le premier degré, l’absence de murmure, pour avoir un minimum d’humilité grossière, pour commencer à respirer un tout petit peu (parce que par l’orgueil, l’esprit, l’intelligence spirituelle, le cœur spirituel, la liberté spirituelle ne respirent plus).
Attention ! C’est moi qui suis responsable ; moi qui m’inflige cet orgueil : ce n’est ni Dieu, ni le démon. C’est moi qui pose à chaque fois les actes par lesquels je ne veux pas respirer spirituellement : je respire dans mon égoïsme, dans mon esprit d’indépendance, dans ma revendication, dans ma révolte et dans ma personnalité néo-formée ; oui, je veux respirer là ; je m’y incruste, j’y pose tous mes d’actes.
Le murmure est un acte qui s’obstine à intensifier l’orgueil. Au jour du jugement, nous verrons qu’à chaque fois que nous avons fait ces actes-là, nous avons été responsables d’orgueil à la même hauteur que Lucifer. Faire un acte d’orgueil est terrible. Vous savez bien que l’on dit qu’au ciel, nous trouverons des gens qui ont fait tous les péchés du monde : pratiqué des fautes de concupiscence, de gourmandise, de mensonge, mais nous ne trouverons pas un seul orgueilleux. En enfer, nous trouverons des gens qui ont gardé la chasteté jusqu’à la mort, qui n’ont jamais menti, qui furent généreux, mais qui sont orgueilleux. Le critère de la damnation, de la réprobation est l’orgueil : il n’y en a pas d’autre.
Cela veut dire que si j’accepte mes pauvretés de fait et tout ce que je suis dans l’action de grâce, je rentre aussitôt dans une dépendance d’amour à l’égard de mon Créateur : dans l’action de grâce, je dépends de Lui et j’en suis content. Voilà qui est tout simple : le murmure a disparu.
J’accepte d’être là où je suis, dans ce que je suis, et comme je suis. Non seulement je l’accepte, mais je m’y soumets volontiers, j’en suis content, je suis dans l’action de grâce : je deviens spirituel. Non un spirituel déchu, mais un spirituel présent. Ce n’est pas encore très vertueux, mais j’accepte d’être un être spirituel.
Le premier degré n’est pas vraiment un degré d’humilité, mais un degré de condition : il est une condition sine qua non.
Deuxième degré d’humilité : la soumission, l’obéissance.
Accepter d’obéir, se soumettre par obéissance à un autre : ce que je décide intérieurement et réalise extérieurement est vécu à l’ombre de la volonté de quelqu’un d’autre que moi. J’obéis à mon père, à ma mère, au pape, au curé, même s’il n’est pas parfait.
« Ah non, je ne suis pas d’accord avec ce que m’a dit mon confesseur ! » : là, il n’y a pas le deuxième degré d’humilité.
Dans ce que me dit l’autorité, je fais le tri : « ça, d’accord, mais ça, non ! » : là non plus nous n’avons pas vraiment commencé puisque c’est moi-même qui commande et décide ce sur quoi je suis en accord, ce n’est plus de l’obéissance !
L’obéissance est le deuxième degré d’humilité.
Troisième degré d’humilité : l’obéissance héroïque.
Le Bon Dieu me demande des actes
d’amour héroïque. Nous obéissons au Saint Esprit
aussi… dans l’humilité du cœur… Le Saint Esprit
ne se confond pas avec nos intuitions :
Attention cependant aux personnes qui disent : « le Saint Esprit m’a
dit que… ». Le Saint Esprit a-t-Il vraiment exprimé sans
médiation quoique ce soit à ton esprit ?! …
De toute évidence donc, le Seigneur permet que se présente à vous quelque chose de vil, d’abject, d’humiliant : et vous pousse à obéir sans hésiter … C’est ce que nous appelons l’obéissance héroïque, ce qui n’est pas tout à fait la même chose que l’obéissance à ses autorités.
S’y refuser démontre que nous ne vivons pas du troisième degré d’humilité !
Cela me rappelle l’histoire de quelqu’un que je connais bien : il était à un poste élevé dans la Sidérurgie ; il fallait colorier des cartes, mais le secrétaire général ne voulait pas le faire, et la secrétaire du secrétaire général ne voulait pas le faire, la sous-secrétaire de la secrétaire de direction ne voulait pas le faire non plus, le coursier se trouvait irrité de se voir demander ce service (« quand même, je ne suis pas payé pour faire cela ! ») ; on est donc venu trouver ce haut cadre supérieur pour lui suggérer : « ils ne veulent pas le faire, voulez-vous le faire ? - Bien sûr, je vais les colorier, ces cartes, si vous voulez ! » Il prit des crayons de couleur pour colorier les cartes.
Dans ce troisième degré d’humilité, on ne place pas sa dignité ailleurs que dans le service : on trouve cela normal, on trouve que ce serait idiot de ne pas l’accepter, puisqu’il faut que quelqu’un accepte de le faire…
Quatrième degré: porter d’un même front humiliation et louange, gloire et honneur.
Devant le même public, quelqu’un dit : « voilà, je
vais dire un mot à propos de Colette ». Avant même que
la personne ait parlé, qu’elle reçoive une louange ou
qu’elle reçoive une injure et une humiliation, pour Colette c’est
pareil, elle sait qu’elle sera de toutes façons dans le même
état intérieur, elle sera contente. Dans un monastère,
quand le Père abbé arrive et dit : « bon alors, dis-moi,
Jean-Luc, je crois qu’on va pouvoir dire un mot à ton sujet »…
à l’avance, tu es dans la béatitude ! La vie chrétienne
consiste à tout recevoir d’un cœur égal.
Cinquième degré d’humilité : la spiritualité de la dernière place.
Tu n’es content que lorsque tu te trouves à la dernière
place.
Jésus au couronnement d’épines, ou Joseph, ou Marie en vivent profondément: celui qui doit être humilié le plus, c’est Lui ; pour Jésus c’est normal, parce qu’Il est humble ; c’est normal pour Marie parce qu’elle aime l’humilité de Jésus.
Sixième degré d’humilité : tu n’exalteras pas ta voix.
Tu ne parleras pas plus fort que les autres, tu ne t’exalteras pas dans
le rire. Les gens que vous entendez rire n’ont certainement pas le sixième
degré d’humilité : le rire est une exaltation, et une
exaltation est un signe d’orgueil ; je ris, alors comme cela on me regarde
et j’aime bien qu’on me regarde.
Je me rappelle de la liturgie chantée avec le Père Emmanuel, les petites sœurs religieuses et les petits frères ermites (nous étions une quinzaine d’ermites). J’étais fier de ce que je pouvais chanter avec eux la liturgie en latin, et on reconnaissait ma voix dans ce concert de solitaires, plus que celle du Père Emmanuel. Combien de fois fit-il la remarque : « Frère, pourquoi nous casses-tu la liturgie ? On ne veut pas entendre ta voix. Ta voix doit se fondre dans la liturgie. Ce n’est pas la liturgie qui doit te suivre. »… Dans le chant, vous entendez certaines personnes plus que les autres ! Il ne faut pas non plus entendre qu’une personne ne chante pas : si on entend qu’elle ne chante pas, elle se fait remarquer aussi. La voix se moule dans l’ensemble et l’ensemble fait une seule voix : tu entends que ta voix est fortement engloutie dans la voix commune. Dans la liturgie bénédictine, il est impossible de discerner une voix parmi les autres.
Vous ne distinguerez jamais de manière audible le rire d’un sage : un humble sourire, oui ! Il ne s’exalte pas lui-même à travers le rire. Ce signe est beau. Saint Benoît précise ce sixième degré d’humilité : « stultus in risu exaltat vocem suam », celui qui est stupide ne trouve que le rire pour exalter son orgueil ; il faut être stupide ne trouver, comme solution à son exaltation, que le rire.
Septième degré d’humilité : l’humilité fervente.
Celui de l’esprit d’enfance, celui que sainte Thérèse
de l’Enfant Jésus a tellement aimé : être toujours
à la dernière place, faire les tâches les plus viles,
et le faire avec un amour d’une ferveur immense! Découvrir comme
un trésor d’être oublié, caché, humilié…
Huitième degré d’humilité : l’humilité surnaturelle,
par laquelle nous sommes tellement unis à Jésus que nous disons
avec Jésus : « regarde ce que je vaux, moi, pauvre humanité
! » à Dieu le Père.
Nous sommes tellement unis à tout ce qui se fait de mal que nous nous en sentons vraiment, profondément responsables, et que nous voulons nous humilier devant Dieu de ce qui se passe dans le monde. Ce n’est pas de l’imagination : nous nous en sentons profondément responsables et nous voulons véritablement payer et être humiliés. Il s’agit ici d’une humilité de nécessité : une humiliation surnaturelle, une union avec Jésus humilié, une union avec Jésus bafoué, ricané, en toute justice divine, moqué par Pilate, Hérode, le Sanhédrin, les hommes, et les fils d’Israël.. Tous ceux qu’Il avait Lui-même secourus et guéris de sa propre main (il ne faut pas oublier que parmi tous ceux qui l’ont conspué et honni à Jérusalem, Il en avait guéri beaucoup pendant les trois années précédentes).
Cette humilité surnaturelle s’origine dans une unité de rédemption : le sacerdoce royal, le fruit des sacrements commence là.
Neuvième degré : la crainte de Dieu (don du Saint Esprit) dans l’esprit de pauvreté.
Rencontre entre le Don de force ( cette patience quasi-infinie, intérieure
et surnaturelle qui se trouve à l’intérieur du ciel chez
ceux qui sont déjà au ciel, cette force de patience qui vient
au dedans nous) et le Don de Crainte ( refus d’abîmer, par quelconque
chose contraire à l’humilité, la présence de Dieu
dans le ciel qui est en nous et dans la terre dans laquelle nous sommes).
Dixième degré d’humilité : l’humilité du ciel,
Humilité de Dieu s’incarnant si bien en nous que, comme l’Immaculée sur la terre, comme ceux qui ont atteint le degré d’humilité du mariage spirituel, il suffit que nous passions quelque part pour que, sans que nous nous en rendions même compte, ceux qui sont autour de nous, à notre seule vue, deviennent humbles. Cette humilité aspire l’orgueil de ceux qui nous voient et fait naître en eux l’humilité. Et toi-même, tandis que tu passes, tu ne le vois pas.
Lorsque l’Immaculée Conception passait aux abords des endroits où Jésus était humilié, bafoué, couronné d’épines, un silence se faisait, les ricanements s’arrêtaient.
Voilà pourquoi dans ce mystère, contrairement à la flagellation, Marie fut éloignée de Jésus. Il fallait que Jésus pénètre au fond de ce mystère de la recréation d’une intelligence spirituelle toute fine, toute immaculée, toute virginale, toute pure, toute humble, toute libre.
Voilà pour les dispositions : l’humilité.
Nous découvrons quels actes nous devons produire pour essayer de comprendre ce qui se passe à l’intérieur de l’humilité de Jésus, Marie, et Joseph. Jésus l’avait expliqué : « sachez que Je suis doux et humble de cœur » ; ce sont les deux seules vertus que Jésus magnifie en Lui (les qualités spirituelles de l’humilité et de la douceur, l’humilité dans la douceur : son onction messianique est une douceur onctueuse d’humilité), l’unique trésor que Jésus se reconnaisse de Lui-même à propos des qualités qu’Il a reçues en son coeur. Comme bien d’autres Pères de l’Eglise, Saint Jean Eudes dit que la douceur et l’humilité ne Lui viennent pas de Dieu Seul: par la grâce de Dieu, Il a reçu de ses parents ces deux vertus.
Voilà pourquoi Joseph reste très présent dans ce mystère du couronnement d’épines, comme une source conjointe.
Ici il y a quelque chose d’extraordinaire. Après la flagellation, une fois que le cœur du Fils de l’homme a pu vaincre toutes les concupiscences de tous les temps et de tous les lieux dans tous ceux qui auraient la foi, dans tous ceux qui le voudraient bien, à ce moment-là Jésus a voulu faire ce qui venait de son père. La rédemption de Jésus trouve son centre de gravité en ce qu’Il n’a pas voulu utiliser la puissance de sa divinité, continuellement disponible en Lui ; Il s’est toujours placé en deçà de la foi de Marie, en Se mettant sous cette ombre pour réaliser tout ce qu’Il avait à vivre pendant les trente six années de sa vie : Il a toujours voulu se mettre sous la foi de Marie pour que tout ce qui se réalise dans Son humanité soit engendré du ciel en union totale avec la foi de Marie.
Toutes nos méditations sur les vingt mystères du rosaire sont basées sur ce principe-là. Jésus aurait pu tout faire avec sa toute puissance, Lui qui demeurait dans la vision béatifique dans les sommets de son intelligence humaine, et telle fut actuée la victoire de sa fécondité vivante sur le principe d’efficacité de la puissance… Surtout dans les mystères douloureux, Il s’est caché sous la foi de Marie, Il n’a pris de son propre cœur et de sa propre puissance que ce qui était en dessous de la foi de Marie. Il s’est toujours rétracté en soumission [ hypotasso, être placé en-dessous], en soumission à la foi de son père et de sa mère.
Tels se révèlent en Lui les deuxième et troisième degrés d’humilité : Il s’est soumis, et toute sa vie, tous ses actes ne se font que sous l’ombre de la foi de son père et de sa mère ; cela a donné ce qui s’est passé à l’intérieur de la rédemption du monde dans le couronnement d’épines, à l’intérieur du Fils de l’Homme moralement anéanti dans le couronnement d’épines.
Quand nous pénétrerons ce mystère, il nous faudra demander de pouvoir contempler à quel point Jésus, en vivant cela, s’est mis vraiment sous notre dépendance…... dans la plus grande gratuité.
Il nous faudra demander de rentrer dans l’humilité surnaturelle parfaite du Corps mystique entier et vivant de Jésus engendré (pour ainsi dire), inauguré dans la saint Famille.
Jésus a voulu vivre cela dans la disparition de son Père. Bien sûr, nous pouvons deviner saint Joseph, mais il s’agit de son Père, première Personne de la très sainte Trinité.
Nous l’avons vu dans le cinquième mystère joyeux : Jésus a toujours voulu, en communion profonde avec Marie dans la sainte Famille, ne retrouver son Père qu’à travers Joseph ; Il apprenait avec lui à traverser les esprits abîmés par les trois concupiscences du péché originel pour rejoindre Son Père. Il y a pris goût avec un amour infini, parce que son père brisé dans les séquelles originelles était Juste. Saint Joseph ayant disparu, Jésus a continué à se soumettre à son père disparu en Marie à travers nous, si nous pouvons nous exprimer ainsi.
« Celui qui fait la volonté
de mon père, voilà mon frère, ma sœur, ma mère
» (Mt 12, 50)
En Marie qui porte encore, Joseph n’étant plus là, tous
ceux qui vivent ces mêmes blessures de l’humanité et qui
ont un minimum d’humilité : ceux qui n’y murmurent pas.
Ceux qui murmurent ne risquent pas d’avoir jamais aucune grâce
rédemptrice qui corresponde à ce mystère-là ;
or nous devinons que l’orgueil de l’esprit est le seul péché
qui condamne ou qui justifie : il vaut mieux que nous engagions toutes nos
forces contre lui (mais c’est un autre problème, ce n’est
pas la contemplation du mystère).
La contemplation du mystère se découvrira dans la volonté de Jésus de se soumettre à une obéissance d’humiliation, à une relation disparue avec le Père (première Personne de la très sainte Trinité).
Comme cette relation vivante et juste avait disparu, il ne restait plus qu’une seule chose dans l’esprit humain de Jésus, illuminé vraiment par la lumière de l’humilité et toutes les lumières messianiques du monde : vivre l’humanité dans son humiliation, dans cette disparition du Père.. Rejoindre enfin son Père dans une relation vivante nouvelle, qui traverse toutes ces humiliations méritées jusqu’au fond de ses désastres intérieurs de la dignité humaine, jusqu’à y retrouver la Présence inaltérée du Père en tout homme … L’Amour de Jésus lui fait considérer cet anéantissement comme quelque chose de normal.
Pour qu’Il puisse le vivre pleinement, sans tricher, dans la clarté de cette disparition de Dieu le Père, Il a fallu que quelque chose se passe avec Marie : leurs cœurs déjà étaient soudés ensemble ( apparition et la redécouverte d’une nouvelle origine béatifiante du cœur à la flagellation )…
Désormais, ce sera la contemplation,
la Lumière née de la Lumière qui s’humilie Elle-même
dans la foi de Marie (jusqu’à maintenant, ce n’était
pas le cas : la Lumière née de la Lumière avait assumé
la foi de Marie pour s’incarner, mais Elle ne s’était pas
humiliée dans la foi de Marie).
C’est pourquoi quelque chose de très proche de Gethsémani
perce le voile du Couronnement d’épines. Une chose est sûre
: quelque chose de nouveau se produit ici, une nouvelle origine béatifiante
de l’esprit d’enfance dans le Sein du Père jusqu’en
notre chair ; tel en est simplement l’axe, qu’il faudra demander
au Saint Esprit de nous faire comprendre.
C’est à cause de cela que Jésus a subi ce qu’Il a subi dans l’impassibilité.
« J’ai rendu mon visage dur comme la pierre, tandis qu’ils me crachaient au visage et qu’ils me conspuaient » : Il s’est soumis à la foi de l’Eglise, sous la foi de Marie et de Pierre.
C’est la parole de l’Ecriture sur le mystère de Jésus couronné d’épines : « J’ai rendu mon visage dur comme la pierre ».
Vous vous imaginez bien que c’est une mauvaise traduction, n’est-ce pas ? Nous pourrions traduire : « J’ai rendu mon visage impassible, ferme, fort comme Pierre ».
« Tu ne t’appelleras plus Simon, tu t’appelleras Pierre »
[ le mot Kefa vient du verbe kaphaph qui signifie : plier, se courber, et de keph, creux du rocher : le ‘roc’ du Christ, la solidité du Christ sont ceux qui à la suite de son père disparaissent à l’avance dans l’humilité de l’anéantissement du cœur du Christ, de sa Plaie ouverte en la Substance spirituelle de son coeur ] .
Pierre représente la Justice nouvelle qui a remplacé Joseph. Il y a là quelque chose de très fort.
Marie a dû y accompagner Jésus dans ce couronnement de la passion pour qu’il y ait une humilité éternelle dans la Jérusalem céleste, une humilité tellement extraordinaire que nous sommes placés par eux aux antipodes de l’orgueil du démon.
Que cette humilité céleste puisse commencer dès cette terre, voilà le fruit de la rédemption du couronnement d’épines.
Ave, Maria !