Le portement de croix / quatrième mystère douloureux

Le Temple de Jérusalem est actuellement à 740 mètres d’altitude, et le petit sommet appelé Calvaire ( aujourd’hui au saint Sépulcre ) se trouve donc à peu près à la même hauteur : du Temple, il faut descendre un peu, et sortir des murs de Jérusalem.
Le Gabatha, l’endroit où Jésus a subi le couronnement d’épines du troisième mystère, n’est pas si loin que cela du Calvaire, ni très loin de la porte de Jérusalem. Il faut peut-être un quart d’heure ou vingt minutes pour faire le chemin de croix à Jérusalem.
C’est du Gabatha que Jésus a commencé de gravir le chemin du Calvaire.
Pilate a condamné Jésus de sa propre juridiction à être cloué sur la croix et L’a livré aux Juifs. On retire alors à Jésus sa chlamyde, cette espèce de grande robe de fou, on Lui redonne ses tuniques qui devaient être passablement souillées, avant de le charger de sa croix.
L’heure est venue pour Jésus :
Vraiment, l’heure de Dieu est arrivée…
Nous méditons dans ce mystère non seulement le fait qu’Il ait été condamné, mais aussi le fait qu’Il va faire cette lente, cette grande montée sur le sommet du Mont Sion et qu’Il va y être crucifié à l’heure exacte où l’on sacrifie les agneaux du sacrifice de la Pâque dans le Temple de Jérusalem.
Toutes ces heures comptent…
La tradition (que d’ordinaire nous attribuons à Marie) veut que nous suivions Jésus, minute après minute, dans tout ce qui s’est passé : c’est cela, le chemin de croix.
Marie, la toute première, avec ses compagnes, a pris sur elle ( indépendamment du fait qu’elle devait être une crucifiée conjointe avec Jésus, de l’intérieur ) de pouvoir être en même temps une sauvée conjointe : une coupe de recueillement des moindres instants, des moindres gouttes de sang qui ont coulé des plaies du Seigneur.
Les traditions font remonter à Marie ce que nous appelons une dévotion : c’est évidemment plus qu’une dévotion, puisque Marie non seulement pendant toutes ces heures sombres était lumineusement inscrite à l’intérieur de Jésus, de Dieu dans sa chair livrée aux tourments des démons et des pêcheurs, et en même temps, elle était ce début de l’Eglise recueillant sur la branche toute verdoyante de l’arbre de la vie, ses feuilles et ses fruits.
C’est pour cela que Marie était là, avec bien sûr toutes celles (ce sont surtout, je suppose, des femmes qui ont fait cela) qui recueillirent le sang qui coulait le long du chemin. La colonne de la flagellation a été entièrement nettoyée par les disciples, le sang et les lambeaux de chair ont été recueillis. Partout où Jésus est passé, tous ces lieux ont été l’objet d’une vénération très grande et vraiment immédiate.

Sûrement, cela a été la force de Marie, force qui a été triple au fond puisque :
- Il a fallu que Marie accompagne Jésus de l’intérieur pour ne pas mourir elle-même de tristesse : il fallait vraiment qu’elle soit portée par la force de Dieu à l’intérieur de Jésus, et donc elle devait se recueillir en Jésus pour y trouver les sources abondantes de la force divine, de la patience éternelle de Dieu.
- Il a fallu en même temps qu’elle soit toute compassion : comme corédemptrice, elle devait rentrer dans le mystère de la compassion.
- Et aussi qu’elle soit en même temps, comme dit le Pape quand il introduit ces mystères du Rosaire, le prototype parfait, immaculé et sans tâche de toute l’Eglise de Jésus crucifié.
Elle a eu un triple rôle simultané.

Ces heures-là, nous pouvons les récapituler (il faut les connaître pratiquement par cœur).
« L’heure est venue, Père, l’heure est venue, glorifie ton Fils, pour que ton Fils Te glorifie ».
- Il y a eu la messe, l’institution de l’eucharistie : c’était vers 18 heures, au moment de la préparation de la Pâque.
- A 19 heures, les disciples mangèrent l’agneau pascal.
- A 20 heures, Jésus lave les pieds de ses disciples.
- A 21 heures, l’agonie a commencé à Gethsémani : première heure.
- A 22 heures ( 10 heures du soir ), l’agonie s’est amplifiée, comme nous l’avons vu dans le premier mystère douloureux, jusqu’à minuit : pendant trois heures, Jésus a agonisé (avec tout ce que nous avons vu et tout ce que nous essayons de suivre à la manière de l’Immaculée pour être comme des sources conjointes de la rédemption du monde et de la glorification éternelle de Dieu le Père, portés par la puissance du Saint Esprit : les flambeaux qui doivent brûler devant la Face de Dieu le Père, à l’intime de Dieu le Père sont ceux-là qui se préparent en suivant Jésus dans l’agonie).
- A minuit, Jésus est arrêté. Cette arrestation a duré environ une heure, puisqu’il y a eu toutes ces discussions, que les soldats sont tombés par terre, etc…
- A 1 heure du matin, Jésus enchaîné passe les portes de Jérusalem après s’être abreuvé dans le torrent et les eaux du Cédron.
- Il est environ (peut-être pas tout à fait) 2 heures lorsque Jésus comparaît devant Anne d’abord, puis Caïphe.
- A 3 heures du matin, Caïphe livre Jésus à ses soldats.
- A 4 heures du matin, Jésus est jeté dans une fosse : un court moment il reste là, seul. Il fallait peut-être qu’Il soit seul à l’heure où Judas se pendait.
- A 6 heures du matin, Il est arraché de sa fosse où pourtant Il fut encore livré aux mauvais traitements des archers, puis passe devant le Sanhédrin : nous l’avons vu, Jésus est alors condamné par le Sanhédrin pour avoir proclamé, dans la lumière d’un visage déjà déchiqueté par les coups, qu’Il est le Fils unique de Dieu, qu’Il est le Dieu vivant : « c’est toi-même qui l’a dit, Je le suis, et vous verrez le Fils de l’homme venir dans toute sa gloire sur les gloires du ciel » (Matthieu 26, 64 ; Marc 14, 62). Ils n’ont pas supporté la lumière sortant de ce visage déjà déchiqueté qui prouvait, plus que la parole, la divinité du Messie : ils ont déchiré leur manteau et se sont détournés, et laissèrent les soldats L’anéantir autant qu’il était en leur pouvoir de le faire.
- Après, entre 7 heures et 10 heures du matin, Jésus passe de Pilate à Hérode, d’Hérode à Pilate, de la flagellation à une nouvelle comparution devant Pilate, et enfin au couronnement d’épines. Ce qui représente dix heures de torture continuelle : ils ne se sont pas arrêtés de Le torturer (peut-être a-t-Il eu un moment de répit d’une heure quand Il était dans le cachot… Nous n’en sommes pas sûrs)…

En tous cas, c’est sur le Gabatha (cette esplanade située au pied du tribunal de Pilate) que Jésus a été couronné une dernière fois par tous ces soldats, puis conspué et roué de coups pendant environ une demi-heure. Pendant ce temps, Ponce Pilate met par écrit son jugement pour le donner à Caïphe et à Anne.
Ici commence le chemin de croix.
La croix est posée sur les épaules de Jésus.
Le Prêtre, lorsqu’il commence la messe, embrasse d’abord l’autel. Embrasser et vénérer l’autel, vénérer ce lieu qui va être le lieu de Dieu est un usage liturgique dans de très nombreuses religions.
Comme le dit le Nouveau Testament, l’autel de la croix s’est présenté devant Jésus. C’est comme cela que commence ce mystère.
Jésus, et Marie, et nous aussi, l’Eglise), embrasse l’autel de la croix.
Quand nous embrassons l’autel, comme d’ailleurs lorsque nous embrassons quelqu’un avec toute la force que cela peut impliquer dans les heures profondes d’une vie, avec toute l’intensité que cela peut représenter, nous sommes devant un geste de grande signification.
Jésus a fait cela ; Jésus à travers nous fait cela à chaque fois.
A chaque fois qu’il y a une croix, il y a une étreinte, un baiser, un amour, un désir, une joie de pouvoir pénétrer à l’intérieur de celui qu’on embrasse, de pénétrer dedans son intime : tel fut le baiser de la croix.
Cette croix, Jésus va la porter.
Pour nous qui sommes pécheurs, dans la mesure où nous sommes des impies ( c’est à dire dans la mesure où nous n’avons pas d’amour à l’intérieur de nous pour Dieu notre Père ), la croix sera écrasante sur nos épaules. Mais la croix n’écrasera jamais celui qui a un très grand amour pour Dieu : il rentrera dedans, cette croix lui sera intérieure ; c’est de l’intérieur de la croix qu’un baiser ardent le rendra libre.
Tandis que si nous n’avons pas le don de piété ( cet amour ardent pénétrant l’intime de la première Personne de la très sainte Trinité en Son intériorité vivante de Paternité incréée qui spire sa propre Vie, celle du Dieu vivant qu’Il est Lui-même dans son Fils ), si nous vivons tous nos gestes, toutes nos pensées en dehors de cet Amour divin, la moindre croix va nous écraser.
Pourtant la croix n’est pas faite pour écraser, la croix est faite pour restaurer (en grec, le mot croix se dit stauros) : elle est une restauration à l’intérieur de Dieu. C’est vraiment le côté athée et non-amour en nous qui fait qu’au fond, nous n’acceptons pas la croix.
Jésus, Lui, embrasse la croix.
Les chrétiens embrassent la croix.
Jésus aime, en union avec les membres vivants de son corps mystique vivant, à embrasser la croix. Dès que la croix est là, elle pénètre ; en eux les portes ne sont pas fermées, elles restent comme une ouverture par rapport à la croix.
Les portes de Jérusalem se sont ouvertes pour la croix de Jésus ; Jésus est sorti librement.
Il y a dans la croix une porte.
Quand saint Jean exprime dans la bouche de Jésus que Jésus est le Dieu fait souffrance, ou la souffrance faite chair, il fait dire à Jésus : « Eièh hè dalet » : Je suis la porte. Pour Jésus, la porte est la croix.
La croix : Dieu Lui-même s’est fait ‘porte’, ouverture.
Le chemin est très court : il faut passer dedans cette porte, une porte (la croix) qui est Jésus-même.
Jésus est Dieu devenu chair et humanité ; la croix est la souffrance devenue chair.
Dans le premier mystère joyeux, nous disons bien que Dieu s’est fait chair. Dans ce quatrième mystère douloureux, nous allons dire : la croix, la souffrance, est devenue chair. Et quelque part, cela revient au même.
Cette espèce de balance est extraordinaire : la souffrance en soi faite chair d’un côté, Dieu en Soi fait chair de l’autre, se retrouvent ici ensemble en un contrepoids étonnant dans le chemin de la croix, dans le portement de croix. Tout cela est vécu dans une espèce de déséquilibre, dans une instabilité limite : nous sommes dans une situation limite, avec la force quasi infinie de Dieu dans la chair de Jésus, et la force quasi infinie de la souffrance faite chair en lui.
Ce qui se passe à l’intérieur de Jésus est vraiment extraordinaire dans ce chemin de croix : la toute puissance pacifique de Dieu, l’impassibilité béatifiante de Dieu fait contrepoids, à l’intérieur de Jésus, au poids de la croix. Ce poids de la croix l’intérieur de Jésus est tel qu’il repousse dans les sommets de son intelligence humaine tous les rayonnements de la vision béatifique.
Il ne faut pas oublier que quand Dieu a pris chair de la Vierge Marie, quand Il était enfant, quand Il était adolescent, quand Il était dans sa pleine jeunesse ( dans laquelle Il a été récolté par le mystère de la croix ), Il était dans la vision béatifique. Essayons de comprendre ce que cela veut dire.
Cela veut dire que dans les sommets de son intelligence, Jésus se trouvait dans un état de jubilation, de vision béatifiante, quasi infinie : celle dont jouissent actuellement ceux qui sont glorifiés dans la vision béatifique du ciel : la lumen gloriae qui se trouve dans leur intelligence créée les met en affinité (en poids de béatitude) avec le poids étonnant du bonheur de Dieu. Voyez-vous la puissance d’impétration de cette béatitude, de cette jubilation, de cette lumière ?
Eh bien ce poids énorme de jubilation est pour ainsi dire contrebalancé à égalité par le poids de souffrance intérieure surnaturelle de Jésus. Les souffrances qu’Il a subies sont des souffrances physiques, ce sont des souffrances morales, ce sont des souffrances spirituelles, et ce sont aussi des souffrances surnaturelles. Nous l’avons vu, le premier mystère douloureux de Gethsémani est le fond même des quatre mystères douloureux suivants : une souffrance qui dépasse toute souffrance créée. Le poids extraordinaire de souffrance à l’intérieur de Jésus est si grand qu’il vient faire contrepoids, sans le supprimer, à la lumen gloriae qui se trouve dans les sommets de son intelligence. Toute sa chair, toute sa sensibilité, toute son âme psychique sensible, mais aussi tout son cœur humain, toute son affectivité profonde humaine et spirituelle, toute son intelligence et toute sa mémoire, sont entièrement envahis par ce poids de souffrance, de peine et de croix.
Une croix qui est aussi d’origine surnaturelle, il faut bien le dire. Humaine, psychique, morale, et surnaturelle. En ce sens, le mystère de Jésus avec sa croix va se découvrir comme un mystère de Marie. Nous avons bien vu par la sainte Ecriture, par la Révélation, par l’enseignement doctrinal infaillible du corps mystique vivant de Jésus vivant, que Jésus s’est toujours mis à l’ombre de son père et de sa mère, à l’ombre de la foi de Marie et de Joseph, et Il n’a rien voulu faire pour vaincre à partir des forces de sa Toute-Puissance divine.
Il a toujours puisé à la source de son père et de sa mère, de la foi surnaturelle de Marie et de Joseph, et en même temps, à travers eux, aux sources de cette survenue du Saint Esprit à l’intérieur de la foi de Marie, et de cette présence silencieuse et cachée de Dieu le Père dans l’obombration : c’est là que Jésus venait puiser pour porter ce poids de souffrance, de croix, de mort. Et c’est pourquoi cette souffrance était puisée dans une force véritablement surnaturelle, mais qui demeurait dépendante et à l’ombre de la foi de Marie.
Jésus aurait évidemment pu ( c’est peut-être un des aspects de la tentation que le démon voulait lui faire accepter, ne serait-ce au moins qu’une seconde de temps en temps, et il faut avouer que c’est terrible : « prends donc un petit peu de ta propre Toute-Puissance, et tu pourras souffrir encore plus facilement » ). Non, Jésus n’a jamais pris de ces ressources proprement divines toujours disponibles en Lui, bien qu’Il eût pu le faire (si quelqu’un commence à vous marquer au fer rouge, si vous pouvez lui retirer le bras parce que vous avez la force pour cela, vous le faites : Jésus ne le faisait pas, pas du tout, à aucun moment, pas une seule seconde).
Le poids de la croix contrebalance le poids de la vision béatifique en Jésus : tel est le secret caché profondément dans le mystère du Portement de croix.
La croix de Jésus, du Père Chardon, dominicain du XVIIème siècle, est un très grand classique, un livre extraordinaire ; je serais désolé qu’il y ait des personnes parmi nous qui n’aient jamais lu le livre du Père Chardon. Toute la sainte Ecriture et toute la mystique, toute la doctrine de Jésus et de l’Eglise de Jésus, toute la doctrine des Apôtres, est inscrite dans ce livre pour expliciter ce que je viens de vous dire :
Jésus porte sa croix parce qu’Il s’est fait croix pour nous : c’était nos souffrances qu’Il portait, nos péchés qu’Il portait en Lui-même sur le bois. Nous qui pensions qu’Il était broyé, anéanti, abandonné ! Non, c’est Lui qui nous portait : « personne ne prend Ma vie, c’est Moi qui la donne ».
Voilà donc Jésus embrassant d’abord l’autel de la croix (deuxième station du chemin de croix, après sa condamnation à mort à la première station). Dans tout l’amour intérieur de son âme.
Et Marie aussi, bien sûr…
Marie, comme le dit le Pape (dans le petit livre sur les mystères du Rosaire qu’il a écrit pour cette année en nous engageant à dire maintenant ces vingt mystères du Rosaire, de manière lumineuse et rédemptrice), Marie est une source de tous les mystères de Jésus, de tous les mystères de Dieu, mais une source conjointe : cela veut dire qu’elle devient source en étant dans la même vie que Jésus. Ce poids énorme va écraser en Marie, non pas le poids de gloire ( qu’elle n’a pas en elle ), mais le poids d’amour qu’elle a pour Jésus en la mémoire de l’Incarnation, et aussi le poids de grâce de la lumière surnaturelle de sa foi. Elle rentre véritablement dans une foi qui désormais sera totalement ténébreuse, dans une nuit totale surnaturelle de la foi, pour que puisse se réaliser précisément dans le baiser de la croix le mariage spirituel qui l’appelle.
Le chemin de croix commence au Gabatha et se termine au Golgotha.
C’est joli, cela fait partie de ces choses intéressantes à regarder. Nous commençons à nous accoutumer à cette approche du littéral hébraïque :
Gabatha, en hébreu, s’écrit : Gimmel , Beit , Tav , Hè .
Dans Golgotha, le Beit du Gabatha va être changé par le Lamed .
Cette ascension intérieure surnaturelle de la révolution de la souffrance en Dieu, de la révolution de Dieu dans la souffrance, cette conversion, cette metanoia de Dieu est extraordinaire : le Beit va laisser place au Lamed.
Gabatha vient d’une racine hébraïque qui veut dire ‘pavement de pierres éclatées, dispersées, brisées’ (une mosaïque est un gabatha, par exemple). Cela vient de l’adjectif gabbah, en hébreu, qui veut dire orgueilleux, exalté. L’orgueil produit cette espèce d’éclatement. Quiconque est orgueilleux, est susceptible pour un cheveu, il ne supporte pas la moindre remarque : l’orgueilleux est une passoire éclatée. C’est terrible d’être orgueilleux ! Il faut beaucoup plaindre les orgueilleux, les passoires éclatées… que nous sommes. L’orgueilleux, celui qui s’exalte, ne se rend pas compte que s’il pousse trop son souffle dans un ballon, il explose : cela donne un gabatha.
Et Jésus est couronné d’épines à cet endroit. Il y embrasse la croix…
Puis Il monte jusqu’au lieu du Calvaire, calvaria en latin, cranos en grec (je ne vois pas très bien pourquoi on a traduit par calvaire en latin : en quoi le calvaria latin traduit-il le cranos grec ?) : golgotha en hébreu.
Le Gimmel , que nous trouvons du Gabatha jusqu’au Golgotha, signifie la force d’amour, venant vraiment de Dieu : la force de l’amour qui fait que nous sommes plantés en Dieu et que toutes les forces de la mort, toutes les forces inférieures, sont en nous : l’amour est plus fort que la mort, et l’amour nous fait pénétrer en Dieu. Le gimmel est l’amour dans toute sa force. Mais attention : s’il n’y a plus d’amour, le gimmel se transforme en orgueil, c’est-à-dire que nous nous dressons contre Dieu et nous nous lions aux enfers.
La force de l’amour , dans le Gabatha, va s’intégrer complètement au beit .
La bible commence par un Beit , deuxième lettre de l’alefbeit : Dieu n’a rien voulu faire ni créer, ni commencer, ni en Lui-même, ni à l’extérieur de Lui-même, sans l’amour de l’époux et de l’épouse. D’après Moïse, le beit est ce nid où se blottissent l’époux et l’épouse dans une clôture d’intimité qui les y cache tout en possédant une ouverture à l’infini. Le beit est une demeure intérieure d’amour de l’époux et de l’épouse, une demeurance intime, sponsale, ouverte à l’infini.
Tout a commencé dans le Gabatha, où l’orgueil est écrasé par la force de l’amour entre Jésus et tous ceux qui avec Marie épousent Jésus dans cette ouverture à l’infini du Tav ( de la croix ) : dans cette ouverture intime où nous demeurons dans la croix ; laquelle croix, de l’intérieur, parfume toutes les intériorités divines et toutes les intériorités créées (voilà pour le Hè ).
Si nous composons lettre après lettre le mot Gabatha : , voilà comment commence le chemin de croix, voilà pourquoi le chemin de croix commence par un baiser.
Et il se termine au Golgotha, parce que le poids de la croix est si grand dans l’intérieur de Jésus, le poids de la croix est si grand dans l’intériorité de Jésus communiquée à l’intériorité de Marie, si grand dans la médiation de la nuit de la foi qu’ils vont bien aboutir tous les deux à un arrêt, à une situation limite qui aboutisse à la mort de l’un et de l’autre… De sorte qu’il ne restera plus que le regard de Dieu : le Lamed ( Dieu qui regarde, Dieu qui nous aime en nous regardant, Dieu qui aime toutes choses en les créant parce qu’Il les voit, et en les regardant : Il les crée ). Nous voyons ici toute la force de l’amour de Dieu désormais dans ce regard de Dieu qui nous regarde deux fois : l’Evangile dit Golgotha (on disait Golgotha en araméen), mais la bible en hébreu dit Gulgoleth, ( GLGLT )
C’est extraordinaire : Gimmel , Lamed (deux fois), et Tav : la force de l’amour où l’orgueil est vaincu, et il ne reste plus que l’effacement, se fait deux fois (vous voyez : Jésus et Marie) dans une seule croix ; toute la force de l’amour dans le corps mystique tout entier de Jésus, et cela a commencé avec Jésus et Marie, le tout dans le Tav , une croix qui parfume toute l’intimité de Dieu et toute l’intimité de la création.
Ce passage du Gabatha au Golgotha va faire le chemin de croix.

Nous qui sommes impies, nous qui gardons notre susceptibilité et sommes impatients dès qu’il se produit quelque chose de pénible ( « je ne me sens pas bien, j’ai une petite (ou une grande) souffrance » … toutes les souffrances, dès que nous ne les acceptons pas, sont forcément grandes, c’est évident, l’orgueil cause cela : premièrement, ne pas accepter la souffrance est un signe d’impiété ; deuxièmement, ne pas la supporter fait qu’elle devient énorme pour nous), il est intéressant pour nous d’avoir cette réaction : elle nous permet de justifier notre révolte profonde contre Dieu ! C’est pour cela que la haine de la croix est un baromètre de notre orgueil ou, au contraire de notre amour pour Dieu (comme nous l’avons déjà vu pour le couronnement d’épines).
Si nous sommes impies, si nous sommes orgueilleux, nous avons perdu cette capacité, lorsqu’il y a une croix, de la recevoir (non pas la laisser nous écraser de manière à ce que cela devienne insupportable, mais au contraire :), de la faire rentrer dans notre cœur, de manière qu’une fois entrée dans notre cœur ( plutôt que dans notre tête pour, comme on le dit vulgairement, grossièrement nous faire ‘péter les plombs’), nous nous disions : « finalement, j’aime bien être avec cela » et qu’il y ait un baiser ; que nous puissions entrer à l’intérieur de cette croix et qu’elle puisse entrer avec l’intérieur de nous avec amour : que ce soit pour nous une occasion de racheter notre orgueil, de racheter notre impiété, notre manque d’amour fou pour Dieu le Père (nous n’aimons que nous-mêmes, vous comprenez !).
Celui qui murmure sans cesse : « je souffre beaucoup », perd l’habitude de ne vivre à la folie que de l’amour de Dieu ; il est très loin de la charité, de la communion intime, profonde, lumineuse, avec Dieu, dans les espaces infinis de Son amour : de la compassion et de la miséricorde de Dieu.
Dans leur éducation, il faut habituer les enfants, et même les animaux, à souffrir un peu (sans être des assassins, je suis tout à fait d’accord) : la souffrance fait partie de la nature.
En plus, nous avons péché : il est normal que nous récoltions les fruits de nos fautes. Nous sommes orgueilleux : il va falloir apprendre la disposition introductive au mystère du Portement de croix.
La disposition pour rentrer dans l’intérieur de ce quatrième mystère douloureux : à chaque fois que j’ai une peine, une petite ou une grande souffrance que je n’ai pas accepté de porter (il y a cinq ans peut-être, la mort de mon enfant ; ou la trahison d’un ami ; ou, sans que cela soit une souffrance insupportable, une arthrite par exemple : « j’ai mal, j’ai vraiment mal ») ; la disposition, donc, est qu’à chaque fois que j’ai une souffrance soit passée, soit physique, soit morale, soit actuelle, soit inattendue, je la prends, je m’ouvre à cette souffrance, je l’accueille, je l’embrasse : je rentre à l’intime de cette souffrance et la souffrance rentre à l’intérieur de mon cœur, pour ouvrir mon cœur à un amour plus grand. De sorte que puisse naître une complicité entre cette souffrance et moi : au lieu de m’écraser, elle va me grandir, elle va être la nourriture de mon cœur. Comme c’est facile à faire !
Pour éviter de tricher, je prends une souffrance vraie qui est objectivement terrible (je ne parle pas des souffrances que nous avons dans la tête, car les souffrances psychologiques, nous les avons nous-mêmes transformées en énormes souffrances insupportables : il faut faire très attention de ne pas prendre ces souffrances-là qui viennent de nous quand nous nous sommes bouclés dans notre cœur), par exemple, une injustice criante, affreuse, profonde : « toute ma vie brisée pour une calomnie : ma femme me quitte avec les enfants parce que soi-disant je l’ai trompée, alors que ce n’est pas vrai ». En y pensant, je peux pleurer un peu (ce n’est pas interdit du tout de pleurer un peu), mais au lieu de porter cette souffrance et de revivre l’écrasement qu’elle a causé, je vais faire ce que je n’ai pas fait jusqu’à aujourd’hui : je la laisse rentrer à l’intérieur de moi, et, au lieu que cette croix m’écrase, comme une meule écrase un matériau plus mou qu’elle, je l’accepte : « ah ! enfin ! une vraie souffrance ! », et je l’embrasse. Comme à Gethsémani et à l’Eucharistie.
Je vais avoir une attitude eucharistique, une attitude de gratitude, une attitude d’accueil, une attitude d’assimilation : je vais faire rentrer cette souffrance à l’intérieur de moi, comme une eucharistie, dans la gratitude, et du coup, je vais dire « oui » et remercier même d’avoir été choisi pour vivre en présence de cette croix. De l’intérieur, je vais avoir pour cette croix une gratitude très grande : quelque part, cette croix détruit mon cœur, me détruit, m’anéantit intérieurement, mais du coup, je suis transformé en croix, je ne suis plus écrasé.
Vous voyez la grande différence entre les deux cas :
- ou bien je vais me laisser écraser, désespérer, révolter, par la souffrance, parce que l’orgueil m’empêche de la transformer en croix,
- ou bien je l’accueille, je la vis avec amour, et je me laisse transformer intérieurement en croix : je suis croix vivante, je suis transformé intérieurement en plaie vivante. Et la croix à ce moment-là devient lumineuse, glorieuse (nous ne pouvons pas ne pas le voir) tandis que dans le cas contraire elle reste ténébreuse.
Si j’accepte la croix avec gratitude, si je me laisse transformer en croix avec gratitude, si je suis une plaie vivante dans cette gratitude, alors une assimilation se fait avec Jésus crucifié qui est Croix faite chair, Dieu fait chair et Souffrance faite chair (toutes les souffrances du monde se concentrent et s’incarnent en Jésus) : Il est notre croix, notre trophée, notre gloire.
Attention ! La souffrance n’est pas la croix. Une souffrance ne devient croix que si elle est rentrée au fond de moi, vécue avec gratitude, avec amour et avec allégresse : à ce moment-là je suis transformé en croix. Cette croix qui mienne s’est faite chair en Jésus. Elle crée une unité radicale, immédiate, incarnée, directe, avec Jésus dans le quatrième et cinquième mystère douloureux. Je suis transformé en Jésus, je deviens un membre vivant de Jésus vivant, j’aime que le Père m’ait choisi pour vivre avec Lui cet instant-là.
Du coup l’impiété disparaît, l’amour du Père reprend, le cœur se réveille : je suis enfin transformé en croix.
Celui qui est orgueilleux et qui n’aime pas Dieu a horreur de vivre la croix.
La passoire éclatée est terrible : il n’y a pas plus malheureux qu’un orgueilleux qui ne supporte pas la croix, parce que le moindre remous le met dans un état d’exaspération, de révolte et de blasphème.
Mais celui qui est humble et qui a l’amour infini de Dieu a une soif insatiable de vivre intérieurement la croix.
Cela s’apprend petit à petit.
Et Jésus est venu nous apprendre à retrouver du cœur dans la vraie vie. Il est monté, la croix sur les épaules.
Dans la mesure où nous sommes liés à Lui par l’amour et par la grâce et pour la vie éternelle, comme il y a quand même des choses que nous ne voulons pas accepter dans notre participation au mystère de la croix, Il a accepté d’être écrasé physiquement par la croix, et cela a été très pénible : un écrasement moral, un écrasement humain, un écrasement naturel, un écrasement physique.
Combien de fois est-Il tombé ? Jésus aurait confié à sainte Brigitte et à plusieurs saints : « la souffrance physique la plus vive que j’ai éprouvée pendant ces dix-huit heures de torture a été la plaie de l’épaule quand j’ai porté la croix ». Une douleur aiguë vraiment terrible. Il est normal, exsangue qu’Il était, qu’Il ait alors perdu connaissance et se soit écroulé sous le poids d’une douleur aussi vive, aussi insupportable.
Il faudra aussi comprendre qu’elle est évidemment significative d’une douleur surnaturelle insupportable.
Il faudra enfin comprendre que dans sa foi, l’Immaculée va apprendre à faire que son amour pour Jésus en arrive lui-même à être écrasé, anéanti et disparu, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien d’autre que le seul regard de Dieu. Le support de l’amour mutuel va se voiler, la mémoire surnaturelle de l’incarnation va disparaître.
Voilà à mon sens ce que signifie ce passage du Gimmel, Beit, Tav au Gimmel, Lamed, Tav.
Le mystère de Marie a été si loin dans la communion, qu’elle a été transformée en croix elle-même, et s’ils ont été soutenu dans la vie de leur mutuelle unité dans le mariage de la croix, c’est à cause d’un regard éternel de Dieu qui surgit du cœur de cette croix dans l’ensemble du corps mystique du Verbe de Dieu.

La disposition pour rentrer dans ce mystère est donc facile à comprendre : quand nous avons une souffrance, même passée, nous l’assimilons dans l’amour du cœur en ces quelques instants pour la transformer en croix.
Je peux profiter d’un mal de tête pour m’entraîner à trouver la porte d’entrée de la souffrance et de sa transformation en croix.
La metanoia de l’orgueil en vie divine, c’est la croix.
Faire ces exercices de transformation de nos souffrances en croix nous dispose à ce mystère. Une union se fait alors avec Jésus puisque toutes nos souffrances furent effectivement et concrètement incarnées en Lui dans ces instants-là. Je suis donc lié à Lui de l’intérieur en son portement de croix ; une gratitude surgit alors : j’ai été choisi pour vivre en présence de Jésus crucifié.
Le Baptême fait que nous sommes incorporés à Jésus crucifié : ce qui est à l’intérieur vivant et amoureux de notre chair ne vit vraiment que quand il vit dans l’intérieur de la crucifixion intérieure de Jésus, concrètement, physiquement, sensiblement, spirituellement et surnaturellement.
Voilà pourquoi les souffrances ne sont pas pour nous des signes de malédiction, mais le signe que Dieu nous regarde : nous passons du Gabatha au Golgotha.
Elles peuvent être le signe que Dieu nous choisit, un signe de bienveillance.
Combien de gens qui appartiennent à des religions idolâtriques considèrent qu’une souffrance est une malédiction de Dieu ? Alors que Jésus crucifié est la bénédiction même de Dieu.
Nous renouvelons notre baptême en renonçant à Satan, à toutes ses œuvres, à toutes ses séductions, à tout ce qui conduit au blasphème, à tout ce qui conduit à la révolte, à tout ce qui conduit à l’orgueil, à tout ce qui est impur, du point de vue du cœur, dans l’intention…. et en nous attachant à l’intime de Jésus crucifié.
Etre attaché à l’intérieur de nous à l’intime de Jésus crucifié : c’est cela, le baptême, « je renouvelle la grâce de mon baptême, je m’attache à Jésus crucifié pour toujours » ; alors la mort est vaincue par l’amour, la liberté revient, le cœur revient, Dieu revient, le ciel et la terre règnent ensemble.
Telle est la disposition.

Il faut méditer, minute après minute, cette extraordinaire montée qui s’est réalisée entre 10 et 11 heures du matin, à partir du Gabatha.
Jésus a pris sa croix,
Il a embrassé la croix,
Il s’est effondré sous son poids,
Il s’est relevé parce que sa mère était là, un peu avant la porte de sortie de Jérusalem. Marie a accouru vers Lui, ils se sont rencontrés et se sont livrés en cette unité du mystère de la croix,
Il s’est relevé et comme on avait peur qu’Il meure, on a obligé quelqu’un qui venait de la ville et qui s’appelait Simon de Cyrène, à Lui porter un morceau de la croix. C’était le père de Rufus et d’Alexandre, comme me dit l’Evangile de saint Marc (15, 21). Cet homme qui a porté la croix avec Jésus nous représente un petit peu. Nous allons suivre Jésus.
Véronique, qui était la femme de Chouza (un des princes des prêtres), était disciple de Jésus : elle s’approche avec un linge pour consoler Jésus et pour Lui demander pardon : Jésus aurait pris ce linge de sa main gauche et l’aurait appliqué sur Lui, en tenant la croix avec l’autre main. Et Véronique serait repartie avec ce linge où le visage de Jésus s’est imprimé aussitôt. Ce linge est vénéré à Rome aujourd’hui.
Il s’est effondré une deuxième fois, aux portes de Jérusalem.
Là, des femmes pleuraient, criaient et se tordaient les mains : « c’est horrible, ce qu’on lui fait ». Jésus s’arrête auprès de ces femmes et dit :
« ne pleurez pas sur Moi, pleurez plutôt sur vous-mêmes et sur ce que vous engendrez »
(on traduit quelquefois par « sur vos enfants »)
« parce que dans ces jours-là on dira : bienheureuses les femmes stériles »,
« Jérusalem, tu n’as pas entendu ma voix, j’ai tellement souvent voulu te prendre comme une poule te prend sous ses ailes, et tu n’as pas voulu »,
Les Pères de l’Eglise affirment que quand Jésus dit : « dans ces jours-là », Il parlait de la destruction de Jérusalem,
« on dira : heureuses les femmes stériles, heureuses les femmes qui n’ont rien donné, qui n’ont rien engendré » (Luc, 23, 27-29).
Jésus passe, et arrive très vite sur le petit promontoire (Golgotha vient de Gal, qui veut dire promontoire) : il est 11 heures.
La croix est montée (ce qui prend probablement une demi-heure ou trois quarts d’heure).
Je tiens à vous signaler que dans le chemin de croix on vénère le moment où, avant de le clouer sur la croix, on Lui arrache tous ses vêtements, on Le met à nouveau tout nu, et c’est par une prière, par un geste sans doute de la Vierge qu’on arrive à accepter qu’Il soit recouvert au niveau du bassin.
Avant midi, on Le cloue sur la croix, comme Il l’explique Lui-même à sainte Brigitte, « avec des gros clous émoussés » : quand on L’a cloué sur la croix, des morceaux de chair sont passés de l’autre côté du montant de la croix. Le clou est enfoncé à l’endroit où passent tous les nerfs de la main. Le supplice de la croix est terrible.
Dans le Temple de Jérusalem, au même moment, on sacrifie les agneaux et le sang est répandu sur l’autel : au moment où l’on met Jésus sur l’autel de la croix et qu’on Le fixe, et qu’on l’immole, c’est forcément à l’heure de l’immolation de l’agneau dans le Temple de Jérusalem, juste avant midi. Les saints Evangiles nous disent aussi l’heure (vers midi moins le quart).
A midi, les ténèbres se sont faites sur toute la terre, le soleil s’est obscurci, il n’a plus rien donné de sa lumière, on voyait la lune, les étoiles ; cela dut provoquer une panique effrayante dans tout Jérusalem ; des témoignages historiques montrent que des ténèbres semblables ont eu lieu dans d’autres endroits, au Liban, à Tyr, à Sidon, à Rome et ailleurs.
Jésus sur la croix dit la première de ses sept paroles : « pardonne-leur, Père, parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font ». (Luc, 23, 34)
Dans la deuxième heure, à 1 heure de l’après-midi, Il répond au bon larron (qui lui avait dit : « souviens-toi de moi, Seigneur, quand Tu viendras dans ton Royaume ») : « tu seras avec moi aujourd’hui même dans le paradis ». (Luc, 23, 42-43)
C’est vraiment à la fin qu’Il dit à Jean : « voici ta mère », et à Marie : « voilà ton fils » (Jean, 19, 25-27), nous désignant à travers lui.
L’heure s’est accomplie où le Beit a été changé dans le regard de Dieu nouveau sur Jésus : Jésus devait disparaître et il ne devait plus y avoir que Jésus dans les élus ; Marie devait disparaître dans son amour pour Jésus, et il ne devait plus y avoir que l’amour de Marie pour Jésus dans les élus. Alors le Golgotha s’accomplit.
A trois heures, Jésus dit sa dernière parole : « J’ai soif » (Jean, 19, 28), et dans un grand cri, Il expira. Alors il y eut un grand tremblement de terre. Quand le centurion (qui pourtant était un païen), spécialiste et expert de la croix, de la mort dans ce supplice, a vu comment Jésus est mort dans ce cri, il a dit : « cela est impossible : celui-ci est Dieu ! »…
C’est que Jésus n’est pas mort d’une mort naturelle : on ne L’a pas fait mourir (on aurait voulu), c’est Lui qui a arraché son âme humaine hors de son corps par amour pour le Père : c’est son amour pour le Père, dans l’amour infini de la croix, qui a arraché son âme hors de son corps, c’est l’attraction d’amour de son Père dans Joseph déjà mort dans sa propre mort, qui a arraché l’âme de Jésus pour qu’Il puisse rejoindre le Père dans la mort de son père, et cela n’est pas au pouvoir de l’homme ordinaire. Le centurion a dit : « Celui-ci est le Fils de Dieu », et il partit de là en se frappant la poitrine.
Vers trois heures et demie, Longin est venu et Lui a ouvert le côté par un coup de lance, et c’est ainsi que se termine le chemin de la croix.
Jésus descendu de la croix est déposé dans les bras de la Vierge.
A quatre heures, on le met dans un suaire puis dans un tombeau.
A cinq heures, le tombeau est fermé.
A six heures, plus personne ne doit bouger à Jérusalem : le sabbat commence.

Dans le Temple de Jérusalem, deux énormes colonnes (une colonne de marbre blanc fissuré de veines rouges, et une colonne plutôt rougeâtre) tenaient le passage entre le Qadesh du Beit Hamiqdash, le Saint du Temple, et le Qadesh Ha Qadesh, le Saint des Saints du Temple, un énorme rideau très épais en barrait le passage ; strictement personne ne pouvait voir ce qui se passait dans le Saint des Saints sauf le grand Prêtre (tiré au sort chaque année au jour du Hoshanna Rabba) qui y rentrait une fois l’an.
Or il était inscrit dans la Torah, dans les préceptes, dans les prophéties de l’Ecriture, que quand le rideau du Temple se déchirerait en deux, il ne pourrait plus jamais être célébré de sacrifice de la Pâques dans le Temple du peuple de Dieu.
Et effectivement, à l’instant où Jésus est mort, un tremblement de terre énorme a eu lieu, ces deux colonnes gigantesques se sont secouées, ont tiré sur le rideau et l’ont déchiré en deux (Matthieu 27, 51), de sorte que le Saint des Saints a été visible pour tout le monde. Le sacrifice du Temple a été évidemment arrêté, et depuis cette année-là, plus jamais dans l’histoire d’Israël, plus jamais le sacrifice n’aura été présenté dans le Temple. Pourtant, tout le monde le sait, le Temple n’a été détruit par les Romains que quarante ans plus tard, en l’an soixante-dix.
Le Talmud et les textes rabbiniques actuels expliquent que le sacrifice s’est arrêté en l’an trente.
Les Juifs savaient : ils connaissaient leurs prophéties et ils devaient respecter scrupuleusement tous leurs préceptes. Parmi ces préceptes, il y avait celui-là : « lorsque le rideau du Temple se déchirera en deux, le sacrifice sera aboli et laissera place à un sacrifice différent ».
L’orgueil religieux, lorsqu’il se laisse inspirer par la haine de Dieu, persévère jusqu’au bout. Continuer à respecter les règles religieuses tout en persévérant dans l’orgueil et la haine de Dieu, a abattu la vertu de religion à un degré très inférieur à la vertu surnaturelle de charité et à la vertu de la foi. La foi est venue dépasser la loi ; et ce n’est pas Jésus qui par ce quatrième mystère douloureux a écrasé la loi (Il est venu accomplir la loi), c’est le Sanhédrin qui a abaissé la loi en la mettant en dessous de la foi, parce qu’ils n’ont pas voulu conjoindre la foi avec la loi.

Pour méditer ce mystère, il faudra sûr demander à Jésus, à l’Esprit Saint, de nous faire comprendre comment l’Immaculée a accompagné Jésus jusqu’à cette disparition de leur mutuel amour sous le poids étonnant de leur mutuelle crucifixion.
Il est bien évident que ce que le démon vise, c’est l’amour.
Pendant ce spectacle extérieur terrible, le démon s’obstinait à faire disparaître l’amour surnaturel de l’homme et de la femme dans la subsistance du Messie et du Verbe, et c’est ce qu’ils ont porté : c’est ce qu’ils ont accepté.
C’est ce « oui » qui a triomphé au ciel et qui a permis précisément l’abolition du sacrifice ancien, et le sacrifice éternel du monde nouveau : le sacrifice de l’amour.
Dieu nous regarde deux fois : Gulgoleth ( Gimmel- Lamed, Gimmel- Lamed, Tav ).
A travers la croix, tout est recréé, le ciel est revenu, Dieu nous regarde à travers la croix comme si nous étions Dieu Lui-même.
Si nous portons de l’intérieur le mystère de la croix, nous devenons effectivement Dieu Lui-même par participation en notre chair.
Alors, le Règne de Dieu est au milieu de nous. Il n’y a pas d’autre voie que la Via Cruxis.
Quelqu’un qui dirait : « moi, je veux L’aimer, mais à condition de ne pas souffrir, à condition de ne pas avoir de problèmes, à condition d’être bien dans ma tête », ce n’est pas la peine qu’il pense pouvoir aller au ciel : il n’y a pas d’autre voie que la voie de la croix.
Il faudrait contempler simplement comment Marie a vécu ses trois fonctions du chemin de la croix que je vous signalais en introduction :
- Elle est devenue la mère de la croix glorieuse,
- Elle est devenue la mère de l’Eglise glorifiée, la mère du corps mystique de Jésus tout rempli de lumière, toute souffrance transformée en croix, c’est-à-dire en lumière du ciel et de la terre. Ce qui s’est passé là est vraiment extraordinaire.
- A ce moment-là, par un décret de l’amour de Dieu, d’une vision divine nouvelle sur Marie, Jésus est venu se transcrire, s’implanter en elle, comme Il voudra plus tard venir vivre dans ses élus ; Jésus est venu vivre vraiment à travers Elle comme à travers une porte sainte dans la chair surnaturelle de ses élus, et un régime d’amour nouveau a commencé, une vie nouvelle de Jésus a commencé.
C’est ce que nous verrons dans le cinquième mystère douloureux. Nous verrons comment Jésus a passé ce grand sabbat, ce samedi saint : le grand sabbat de Jésus, ce sabbat qui a commencé avec la blessure du cœur, quand le détachement a été total.
Il faudrait demander à pénétrer l’impressionnante signification de ce détachement.
Il faudrait demander aussi comment Marie a vécu le moment où Jésus a dit : « femme, voici ton fils », et à nous : « voici ta mère »…
Et celui où Jésus a lancé ce cri de soif, qu’Il a eu soif que tout se passe à l’intérieur de Marie et de nous en Marie, et comment ce cri de soif lui a donné la force de s’arracher.
Contempler cela, et contempler comment Marie a tout de suite dit ‘oui’.
Elle a été choisie pour vraiment vivre la croix dans une foi aveugle, dans une foi ardente, dans une foi universelle, dans une gratitude pour Dieu le Père, pour Dieu le Fils, pour Dieu le Saint Esprit, pour Jésus crucifié : une gratitude tellement immense qu’elle a permis à Jésus de s’arracher et de descendre dans les limbes.
Il est extraordinaire de comprendre ce « oui » nouveau de Marie : que s’est-il passé dans ce « oui » nouveau de Marie au titre de la supervenue du Saint Esprit en elle, et comme nuit totale de cette demeurance à l’intérieur de Jésus crucifié, de Jésus incarné, pour une nouvelle demeurance dans Jésus incarné. Ce qui s’est passé en Marie à ce moment-là est très fort, vraiment très fort.
Je vous signale quand même qu’entre 8 heures du soir le jeudi saint, et 3 heures de l’après-midi le lendemain, cela fait 19 heures de passion.
19, vous le savez, est le chiffre de saint Joseph.
Cela montre bien que dans cette grande montée de la passion et de la croix de Jésus, Joseph est comme l’ombre permanente de la croix de Jésus. Voilà pourquoi ce chemin de croix se termine dans le fait que Jésus veuille qu’on sache qu’Il aime son père…
Tandis qu’Il nous laisse à sa mère, Lui-même Il va à travers elle et à travers nous rejoindre son père qui est dans les lieux de la mort à la dix-neuvième heure de ce chemin de croix. Il ne faudra pas oublier cela non plus : les lieux de la mort ont été illuminés par la lumière libérante de l’amour humble mais infini de la croix. Voilà la gratitude de Jésus vis à vis de son père, la réponse de l’humilité éternelle et divine à l’humilité surnaturelle de Joseph.
A ce moment-là nous avons un père, nous avons une mère, et nous sommes nous-même fils de Dieu le Père.

Il faut aimer faire le chemin de croix. Faire le chemin de croix est important.
J’ai connu pendant toute ma vie professionnelle à Paris un groupe qui au break de chaque midi se retrouvait pour un chemin de croix … nous nous racontions les lumières que nous avions eues à chaque station, nous échangions les secrets de lumière de la croix, pour comprendre de l’intérieur ce qu’il y avait eu dans chaque station du chemin de croix. Et nous repartions travailler..
C’est beau de voir que notre travail est lié au travail de la croix, notre vie est indissociable du chemin de croix. Le chemin de croix est extraordinaire, merveilleux.
Pour que Marie non seulement ait vécu cela de manière si forte, mais en plus de cela qu’elle ait aussitôt, le jour même, institué cette tradition du chemin de croix, en repassant, en revivant chaque instant, en ramassant le sang de Jésus, en offrant encore et encore au Père ce que Jésus a vécu pour tous les élus de tous les temps, c’est que pour elle le chemin de la croix est très important.
Ce n’est pas une simple dévotion : le chemin de la croix est éternel.
Le fruit de ce mystère, le fruit que nous demandons de recevoir en cette dizaine : la grâce de la patience ; la lumière vivante et illimités de la force intérieure de Dieu dans notre âme.

Ave, Maria !

 

Jusqu’au Golgotha, jusqu’au mont Calvaire

Nous allons demander au Saint Esprit de nous aider à rentrer dans les profondeurs de ce qui s’est passé dans cette montée sur le sommet du Crâne, sur le sommet du Calvaire.