LETTRE ENCYCLIQUE
DE SA SAINTETÉ LE PAPE LÉON XIII
SUR LE MARIAGE CHRÉTIEN
Aux Patriarches, Primats, Archevêques, et Evêques du monde catholique
en grâce et communion avec le Siège apostolique.
Le mystérieux dessein de la sagesse divine que Jésus-Christ, le sauveur des hommes, devait accomplir sur terre, était de restaurer divinement par Lui et en Lui le monde, atteint d'une espèce de sénilité. C'est ce que l'apôtre saint Paul exprimait en termes magnifiques lorsqu'il écrivait aux Ephésiens : Le mystère de sa volonté... c'est de restaurer dans le Christ toutes les choses qui sont au ciel et sur 1a terre (Eph. I, 9-10.).
Lorsque le Christ, Notre-Seigneur, entreprit d'exécuter l'ordre que lui avait donné son Père, il délivra le monde de sa décrépitude en imprimant aussitôt à toutes choses comme une nouvelle forme et une nouvelle beauté. Il guérit les blessures que le péché de notre premier père avait faites à la nature humaine. Il remit en grâce avec Dieu l'homme qui, par nature, était enfant de la colère. Il amena à la lumière de la vérité les esprits fatigués par de longues erreurs. Il fit renaître à toutes les vertus ceux qui étaient usés par toutes les impuretés. Ayant rendu aux hommes l'héritage de la béatitude éternelle, il leur donna, l'espérance certaine que leur corps mortel et périssable participerait un jour à l'immortalité et à la gloire céleste.
Pour rendre de si remarquables bienfaits aussi durables que l'humanité,
il constitua enfin l'Eglise dépositaire de son pouvoir. Il la chargea,
en prévision de l'avenir, de rétablir l'ordre dans la société
humaine là où il serait troublé, de relever ce qui viendrait
à tomber en ruine.
Cette restauration divine, dont Nous avons parlé, concerne principalement
et directement les hommes établis dans l'ordre surnaturel de la grâce.
Cependant les résultats précieux et salutaires qui en découlent
se sont fait largement sentir même dans l'ordre naturel. Il en est résulté,
tant pour la société universelle du genre humain que pour l'individu
en particulier, un grand perfectionnement sous tous rapports.
L'ordre chrétien des choses une fois fondé eut pour l'homme cet
heureux résultat que chacun apprit et s'accoutuma à se reposer
sur la providence paternelle de Dieu, et à espérer les secours
célestes avec la certitude de n'être pas trompé. De là
sont nées la force, la modération, la constance, l'égalité
d'âme provenant de la paix, enfin un grand nombre de vertus éclatantes
et d'œuvres excellentes.
Quant à la société familiale et à la société
civile, il est étonnant de voir à quel point elles ont gagné
en dignité, en stabilité, en honneur. L'autorité des princes
devint plus équitable et plus sainte, l'obéissance des peuples
plus volontaire et plus facile, l'union des citoyens plus étroite, le
droit de propriété plus garanti. Bref la religion chrétienne
veilla et pourvut à toutes les choses qui sont considérées
comme utiles dans l'Etat. Ainsi, selon le mot de saint Augustin, elle n'aurait
pas, semble-t-il, pu rendre la vie plus tranquille et plus heureuse, lors même
qu'elle aurait été établie dans le but unique de procurer
et de multiplier les avantages et les bienfaits de la vie présente.
Mais notre intention n'est pas d'énumérer tout ce qui a été
fait en ce genre. Nous voulons seulement parler de la société
familiale, dont le mariage est le principe et le fondement.
Tout le monde sait, Vénérables Frères, quelle est la véritable
origine du mariage. Les détracteurs de la foi chrétienne refusent
d'admettre en cette matière la doctrine constante de l'Eglise. Ils veulent,
depuis longtemps déjà, détruire la tradition de tous les
peuples et de tous les siècles. Malgré leurs efforts, ils n'ont
pu, ni éteindre, ni affaiblir la force et l'éclat de la vérité.
Nous rappelons donc des choses qui sont connues de tous et ne font doute pour
personne.
Après avoir, au sixième jour de la création, formé
l'homme du limon de la terre, et après avoir envoyé sur sa face
le souffle de vie, Dieu voulut lui adjoindre une compagne, qu'il tira merveilleusement
du flanc de l'homme endormi. En agissant ainsi, Dieu voulut, dans sa très
haute providence, que ce couple fût l'origine naturelle de tous les hommes
et qu'il servît à la propagation du genre humain et à sa
conservation dans tous les temps par une série ininterrompue de générations.
Afin de répondre plus parfaitement aux très sages desseins de
Dieu, cette union de l'homme et de la femme se présenta, dès ce
temps-là, avec deux propriétés principales et nobles entre
toutes, qui lui furent pour ainsi dire profondément imprimées
et gravées, à savoir l'unité et la perpétuité.
C'est ce que nous voyons déclaré et ouvertement confirmé
dans l'Evangile par la divine autorité de Jésus-Christ. Selon
l'affirmation qu'il fit aux Juifs et aux apôtres, le mariage, en vertu
de son institution même, ne doit exister qu'entre deux personnes, c'est-à-dire
entre l'homme et la femme : des deux il se forme comme une seule chair, et le
lien nuptial est, de par la volonté de Dieu, si intimement et si fortement
noué, qu'il n'est au pouvoir de personne de le délier ou de le
rompre. L'homme s'attachera à son épouse, et ils seront deux en
une seule chair. C'est pourquoi ils ne sont déjà plus deux, mais
une seule chair. Que l'homme ne sépare donc point ce que Dieu a uni (Matth.
XIX, 5-6).
Cette forme de mariage, si excellente et si élevée, commença
peu à peu à se corrompre et à disparaître chez les
peuples païens.
On la vit même se voiler et s'obscurcir jusque dans la race des Hébreux.
Une coutume en effet s'était établie parmi eux, qui permettait
à chaque homme d'avoir plus d'une femme. Plus tard Moïse, en raison
de la dureté de leur cœur (Matth. XIX, 8), eut la condescendance
de leur laisser la faculté de la répudiation. La voie fut ainsi
ouverte au divorce.
Quant à la société païenne, on peut à peine
croire à quelle corruption, à quelle déformation le mariage
y fut réduit, asservi qu'il était aux fluctuations des erreurs
de chaque peuple et des plus honteuses passions.
Toutes les nations oublièrent plus ou moins la notion et la véritable
origine du mariage. On promulguait partout sur cet objet des lois qui semblaient
dictées par des raisons d'Etat et n'étaient pas conformes aux
prescriptions de la nature. Des rites solennels, inventés selon le caprice
des législateurs, faisaient attribuer aux femmes, ou bien le nom honorable
d'épouse, ou bien le nom honteux de concubine. On en était même
arrivé à ce point que l'autorité des chefs de l'Etat décidait
qui pouvait se marier et qui ne le pouvait pas ; car les lois étaient,
en bien des points, contraires à l'équité et favorables
à l'injustice. En outre, la polygamie, la polyandrie, le divorce furent
cause que le lien nuptial se relâcha considérablement.
De plus il y avait une extrême perturbation dans les droits et les devoirs
mutuels des époux.
Le mari acquérait sa femme comme une propriété et la répudiait
souvent sans juste cause. Adonné à une licence indomptable et
effrénée, il se permettait impunément de fréquenter
les mauvais lieux et les courtisanes esclaves, comme si ce n'était pas
la volonté déréglée, mais la dignité compromise,
qui constituait le péché (S. Jérôme Epist. 77, 3
PL 22, 691).
Au milieu de ce déchaînement du libertinage de l'homme, rien n'était
plus misérable que la femme. Elle était abaissée à
ce point d'humiliation qu'elle était en quelque sorte considérée
comme un simple instrument destiné à assouvir la passion ou à
produire des enfants. On n'eut même pas honte de vendre et d'acheter les
femmes à marier, ainsi que l'on fait pour les choses matérielles
(Arnobius, Adversus Gentes, 4). En même temps on donnait au père
et au mari la faculté d'infliger à la femme le dernier supplice.
Sortie de tels mariages, la famille était nécessairement, ou bien
dans la main de l'Etat, ou bien à la merci du père (Dionysius
Halicarnassus, lib. II, c. 26-27). Les lois donnaient, en outre, à ce
dernier le pouvoir non seulement de conclure et de rompre à son gré
les mariages de ses enfants, mais d'exercer sur eux-mêmes le droit barbare
de vie ou de mort.
Tous ces vices, toutes ces ignominies qui déshonoraient les mariages
furent enfin supprimés et guéris par Dieu. Jésus-Christ
voulant restaurer la dignité humaine et perfectionner les lois mosaïques,
s'occupa du mariage avec une sollicitude toute particulière.
En effet, il ennoblit par sa présence les noces de Cana en Galilée,
et les rendit mémorables par le premier de ses miracles (Joan. II). Aussi
le mariage semble-t-il avoir commencé à recevoir ce jour-là,
en raison de ces circonstances, un nouveau caractère de sainteté.
Ensuite il ramena le mariage à la noblesse de sa première origine.
Il réprouva donc les mœurs des Juifs qui abusaient de la multiplicité
des épouses et de la faculté de les répudier. Il voulut
surtout que personne n'osât séparer ce que Dieu avait joint par
un lien d'union perpétuelle. C'est pourquoi, après avoir écarté
les difficultés que l'on tirait des institutions mosaïques, il formula,
en qualité de législateur suprême, cette règle sur
le mariage : Or, je vous dis que quiconque aura renvoyé sa femme hors
le cas d'adultère, et en aura pris une autre, commet un adultère,
et celui qui aura pris celle qui a été renvoyée commet
aussi un adultère (Matth. XIX, 9).
Ce qui a été décrété et établi par
l'autorité de Dieu au sujet des mariages, fut transmis oralement ou par
écrit, en termes plus explicites et plus clairs, par les apôtres,
messagers des lois divines. Il faut rapporter à leur enseignement ce
que les Saints Pères, les Conciles et la tradition universelle de l'Eglise
nous ont toujours affirmé (Conc. Trid., sess. XXIV, in principio) à
savoir que Notre-Seigneur Jésus-Christ a élevé le mariage
à la dignité de sacrement. Grâce à Lui, les époux,
revêtus et munis de la grâce céleste, fruit de ses mérites,
purent se sanctifier dans le mariage même. Dans ce mariage, image admirable
de son union mystique avec l'Eglise, il a rendu l'amour naturel plus parfait
et resserré plus étroitement, par le lien de la divine charité,
la société familiale, déjà indivisible de sa nature
(Conc. Trid., sess. XXIV, cap.1, De reformatione matrimonii.). Epoux, dit saint
Paul aux Ephésiens, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l'Eglise
et s'est livré lui-même pour elle afin de la sanctifier... Les
époux doivent aimer leurs femmes comme leur propre corps... car jamais
personne n'a haï sa chair, mais il la nourrit et la soigne comme fait le
Christ pour l'Eglise, parce que nous sommes les membres de son corps, formés
de sa chair et de ses os. C'est pourquoi l'homme quittera son père et
sa mère pour s'attacher à sa femme, et ils seront deux en une
seule chair. Ce mystère est grand ; je veux dire, par rapport au Christ
et à l'Eglise (Eph. V, 25-32).
Nous avons appris également par l'enseignement des apôtres que
Jésus-Christ a déclaré saintes et décrété
à jamais inviolables l'unité et la stabilité perpétuelle
exigées par l'origine même du mariage. A ceux qui sont unis par
le mariage, dit encore saint Paul, je prescris, ou plutôt ce n'est pas
moi, c'est le Seigneur, que la femme ne se sépare pas de son mari. Si
elle s'en sépare, qu'elle reste sans se marier, ou se réconcilie
avec son mari (I Cor. VII, 10-11). Et il ajoute : La femme est liée à
la loi, tant que vit son mari ; si son mari vient à mourir, elle est
libre (I Cor. VII, 39). Pour ces motifs le mariage est donc un grand sacrement
(Eph. V, 32), honorable en tout (Hebr. XIII, 4), saint, chaste, digne de respect
en raison des choses très hautes dont il est la figure.
Mais ce n'est pas uniquement dans ce qui vient d'être rappelé que
se trouve la chrétienne et souveraine perfection du mariage. Car en premier
lieu, la société conjugale eut désormais un but plus noble
et plus élevé qu'auparavant. Sa mission ne fut plus seulement
de pourvoir à la propagation du genre humain, mais d'engendrer les enfants
de l'Eglise, les concitoyens des saints et les serviteurs de Dieu (Eph. II,
19), afin qu'un peuple fût procréé et élevé
pour le culte et la religion du vrai Dieu et de notre Sauveur Jésus-Christ
(Catéch. Rom., c. XXVII, IV).
En second lieu, les devoirs de chacun des deux époux furent nettement
définis, leurs droits exactement fixés. Il faut qu'ils se souviennent
toujours qu'ils se doivent mutuellement le plus grand amour, une fidélité
constante, une aide prompte et assidue.
L'homme est le prince de la famille et le chef de la femme. Celle-ci cependant
est la chair de sa chair et l'os de ses os. Comme telle, elle doit être
soumise à son mari et lui obéir, non à la manière
d'une esclave, mais d'une compagne. Ainsi l'obéissance qu'elle lui rend
ne sera pas sans dignité ni sans honneur. Dans celui qui commande, ainsi
que dans celle qui obéit, puisque tous deux sont l'image, l'un du Christ,
l'autre de l'Eglise, il faut que la charité divine soit la règle
perpétuelle du devoir, car le mari est le chef de la femme comme le Christ
est le chef de l'Eglise. Mais de même que l'Eglise est soumise au Christ,
ainsi les femmes doivent être soumises à leurs maris en toutes
choses (Eph. V, 23-24).
Pour ce qui regarde les enfants, ils doivent être soumis à leurs
parents, leur obéir et les honorer par devoir de conscience. En retour,
les parents doivent appliquer toutes leurs pensées et tous leurs soins
à protéger leurs enfants et surtout les élever dans la
vertu. Pères, élevez-les (vos fils), en les corrigeant et en les
avertissant selon le Seigneur (Eph. VI, 4). On voit par là que les devoirs
des époux sont nombreux, et graves. Grâce à la vertu que
donne le sacrement, ils deviennent cependant pour les bons époux, non
seulement tolérables, mais pleins de joie.
Lorsque Jésus-Christ eut ainsi ramené le mariage à une
si grande perfection, il en remit et en confia toute la discipline à
l'Eglise. L'Eglise, en effet, exerça ce pouvoir sur les mariages des
chrétiens en tout temps et en tout lieu. Elle le fit de façon
à montrer évidemment que ce pouvoir lui appartenait en propre,
qu'il ne lui venait pas du consentement des hommes, mais qu'elle l'avait acquis
par la volonté divine de son auteur. On sait avec quel soin et quelle
vigilance elle s'occupa de maintenir la sainteté du mariage et de lui
garder son véritable caractère ; il est inutile de le démontrer.
Ainsi une décision du concile de Jérusalem a réprouvé
les amours dissolues et libres (Act. XV, 29). Saint Paul a condamné un
citoyen de Corinthe, coupable d'inceste (I Cor. V, 5). L'Eglise a toujours,
avec la même énergie, repoussé et réprimé
les efforts de ceux qui s'attaquèrent au mariage chrétien, tels
que les gnostiques, les manichéens, les montanistes, dans les premiers
temps du christianisme, et de nos jours, les mormons, les saint-simoniens, les
phalanstériens, les communistes.
Ainsi encore le droit du mariage fut établi égal entre tous et
le même pour tous, par la suppression de l'ancienne distinction entre
esclaves et hommes libres. Les droits du mari et de la femme devinrent semblables.
Comme le disait saint Jérôme, chez nous ce qui n'est pas permis
aux femmes ne l'est pas non plus aux maris et ils subissent le même joug
sous une même condition (S. Jérôme, Epist. 77 PL 22, 691).
Ces droits trouvèrent dans l'affection mutuelle et les devoirs réciproques
un affermissement solide. La dignité de la femme fut revendiquée
et garantie. Il fut défendu à l'homme de punir de mort la femme
adultère et de violer la foi jurée, pour satisfaire ses passions
et son impudicité. Et, ce qui est aussi de grande importance, l'Eglise
limita, dans la mesure voulue, le pouvoir du père de famille, afin que
la juste liberté des fils et des filles désireux de se marier
ne fût en rien diminuée. Elle décréta la nullité
des mariages entre parents et alliés à un certain degré,
afin que l'amour surnaturel des époux se répandît en un
champ plus vaste. Elle prit soin, tant qu'elle le put, d'écarter du mariage
l'erreur, la violence et la fraude. Elle voulut que la sainte pudeur de la couche
nuptiale, la sécurité des personnes, l'honneur des mariages, les
droits de la religion, fussent maintenus et sauvegardés. Enfin, elle
entoura cette institution divine de tant de force, de tant de lois prévoyantes,
que, pour tout juge impartial, l'Église, même en ce qui concerne
le mariage est la meilleure garde, la meilleure défense de la société
humaine. Sa sagesse a triomphé de la course du temps, de l'injustice
des hommes, des vicissitudes innombrables de la politique.
Par suite des efforts de l'ennemi du genre humain, il y a des hommes qui, répudiant
avec ingratitude les autres bienfaits de la Rédemption, méprisent
ou méconnaissent tout à fait la restauration opérée
et la perfection introduite dans le mariage. Ce fut la honte d'un certain nombre
d'anciens d'avoir combattu le mariage en quelques-unes de ses prérogatives.
Mais combien plus pernicieuse est la faute de ceux qui, à notre époque,
veulent modifier de fond en comble la nature du mariage qui est parfaite et
complète sous tous ses rapports et dans toutes ses parties !
La raison principale de ces attaques, c'est qu'imbus des opinions d'une fausse
philosophie et livrés à des habitudes corrompues, de nombreux
esprits ont avant tout l'horreur de la soumission et de l'obéissance.
Ils travaillent donc avec acharnement à amener, non seulement les individus,
mais encore les familles et toute la société humaine, à
mépriser orgueilleusement la souveraineté de Dieu.
Or, la source et l'origine de la famille et de la société humaine
tout entière se trouvent dans le mariage. Ils ne peuvent donc souffrir
en aucune façon qu'il soit soumis à la juridiction de l'Eglise.
Bien plus, ils s'efforcent de le dépouiller de toute sainteté
et de le faire entrer dans la petite sphère de ces choses instituées
par l'autorité humaine, régies et administrées par le droit
civil. En conséquence, ils attribuent aux chefs de l'Etat et refusent
à l'Eglise tout droit sur les mariages ; ils affirment qu'elle n'a exercé
autrefois un pouvoir de ce genre qua par concession des princes, ou par usurpation.
Ils ajoutent qu'il est temps désormais que les chefs d'Etat revendiquent
énergiquement leurs droits et se mettent à régler librement
tout ce qui concerne la matière du mariage. De là est venu ce
qu'on appelle vulgairement le mariage civil.
De là ces lois promulguées sur les cas d'empêchement de
mariage ; de là ces sentences judiciaires sur les contrats de mariage,
décidant s'ils sont valides ou non. Enfin nous voyons que tout pouvoir
de légiférer ou de juger en cette matière a été
si soigneusement enlevé à l'Église, qu'on ne tient plus
aucun compte, ni de son autorité divine, ni des lois prudentes sous l'empire
desquelles ont vécu pendant si longtemps les peuples qui reçurent
avec la sagesse chrétienne la lumière de la civilisation.
Cependant les rationalistes et tous ceux qui, professant avant tout le culte
de l'Etat-Dieu, s'efforcent par ces mauvaises doctrines de jeter le trouble
dans tous les peuples, ne peuvent échapper au reproche de fausser la
vérité.
En effet, le mariage a Dieu pour auteur. Il a été dès le
principe comme une figure de l'incarnation du Verbe de Dieu. Il y a par cela
même en lui quelque chose de sacré et de religieux, qui n'est pas
surajouté, mais inné, qu'il ne doit pas aux hommes, mais qu'il
tient de la nature. C'est pourquoi Innocent III et Honorius III, Nos prédécesseurs
ont pu, avec raison et sans témérité, affirmer que le sacrement
de mariage existe chez les fidèles et chez les infidèles. Ainsi
l'attestent les témoignages mêmes de l'antiquité, les mœurs
et les institutions des peuples qui ont été les plus civilisés
et se sont distingués par une connaissance plus parfaite du droit et
de l'équité. Il est certain que chez tous ces peuples, par l'effet
d'une perception innée et habituelle, l'idée du mariage éveillait
spontanément dans l'esprit la notion d'une chose associée à
la religion et à la sainteté. Aussi était-il d'usage chez
eux de ne point célébrer de mariage sans les cérémonies
du culte, l'autorité des Pontifes et le ministère des prêtres
; tant avaient de force, même dans les âmes privées de la
doctrine céleste, la nature des choses, le souvenir des origines et la
conscience du genre humain ! Le mariage étant donc, de lui-même,
par essence et par nature, une chose sacrée, doit être réglé
et régi, non par le pouvoir des princes, mais par la divine autorité
de l'Église, seule maîtresse des choses sacrées.
Il faut considérer ensuite la dignité du sacrement qui, en se
surajoutant au mariage chrétien, l'a rendu beaucoup plus noble. Or, par
la volonté de Jésus-Christ, l'Eglise seule peut et doit statuer
et disposer sur les sacrements. Il est donc tout à fait absurde de vouloir
faire passer aux mains de l'autorité civile la moindre parcelle de ce
pouvoir.
Enfin, le témoignage de l'histoire est ici très important et très
fort. Il montre manifestement que ce pouvoir législatif et judiciaire,
dont Nous parlons, a toujours été librement exercé par
l'Eglise, même dans les temps où il serait ridicule et insensé
d'imaginer pour cela l'assentiment ou la connivence des chefs de l'Etat. En
effet, quoi de plus incroyable et de plus absurde que de prétendre que
le Christ Notre-Seigneur ait reçu délégation du procureur
de la province ou du roi des Juifs, pour condamner l'habitude invétérée
de la polygamie et de la répudiation ! de même, que l'apôtre
saint Paul, lorsqu'il interdit les divorces et les mariages incestueux, ait
agi par permission ou par mandat tacite de Tibère, de Caligula, de Néron
! On ne pourra jamais non plus persuader à un homme sain d'esprit, que
toutes les lois de l'Eglise sur la sainteté et l'indissolubilité
du mariage, sur les unions entre esclaves et femmes libres aient été
promulguées après autorisation obtenue des empereurs romains.
Ces ennemis déclarés du nom chrétien n'avaient rien de
plus à cœur que de l'étouffer par la violence et le massacre.
Ceci est d'autant plus évident que le droit établi par l'Eglise
s'écartait parfois du droit civil, au point qu'Ignace le Martyr (Epistola
ad Polycarpum, cap. 5 PG 5, 723-724), Justin (Apolog. Maj., 15 PG 6. 349A. B),
Athenagoras (Legat. pro Christian., 32, 33 PG 6, 963-968) et Tertullien (De
coron. milit., 13 PL 2, 116), dénonçaient publiquement, comme
illicites et adultères, quelques-unes de ces unions que les lois impériales
favorisaient cependant.
Plus tard, lorsque toute la puissance eut passé aux empereurs chrétiens,
les souverains Pontifes et les évêques réunis en conciles
continuèrent toujours, avec la même liberté et la même
conscience de leur droit, à ordonner et à défendre au sujet
du mariage ce qu'ils jugeaient utile, ce qui leur semblait convenir aux différentes
époques, malgré le désaccord qui pouvait exister entre
leurs décrets et les institutions civiles. Personne n'ignore combien
de décisions, souvent contraires aux ordonnances de la législation
impériale, furent prises par les pasteurs de l'Eglise dans les conciles
de Grenade, d'Arles, de Chalcédoine, dans le deuxième de Milève
et dans les autres, au sujet des empêchements de mariages pour motifs
de vœu, différence du culte, consanguinité, crime, honnêteté
publique. Bien loin de s'attribuer le pouvoir sur le mariage chrétien,
les princes ont plutôt reconnu et proclamé qu'il appartenait, dans
sa plénitude, à l'Eglise. En effet, Honorius, Théodose
le Jeune, Justinien, n'hésitèrent pas à avouer que, dans
les matières qui se rapportent au mariage, ils n'avaient d'autre autorité
que celle de gardiens et de défenseurs des saints canons. Quant aux empêchements
de mariage, s'ils promulguèrent à ce sujet des édits, ils
en exposèrent spontanément le motif en déclarant qu'ils
le faisaient avec la permission et par l'autorité de l'Eglise. C'est
à son jugement d'ailleurs qu'ils avaient coutume de recourir ou de déférer
avec respect dans les controverses au sujet de la légitimité des
naissances, des divorces, et de toutes les questions enfin qui avaient quelque
rapport essentiel avec le lien conjugal. Il a donc été défini
à bon droit au concile de Trente qu'il est au pouvoir de l'Eglise d'établir
des empêchements dirimants (Conc. Trid., sess. XXIV, can. 4) et que les
causes matrimoniales ressortissent aux tribunaux ecclésiastiques (Ibid.,
can. 12).
Que personne non plus ne se laisse prendre à cette distinction, tant
prônée des légistes, qui sépare le contrat nuptial
du sacrement. Son but est de livrer le contrat au pouvoir et au jugement des
princes temporels, en réservant à l'Eglise le sacrement.
Cette distinction, ou, pour mieux dire, cette séparation ne saurait être
admise. Il est reconnu que, dans le mariage chrétien, le contrat ne peut
être séparé du sacrement. Il ne peut donc y avoir contrat
véritable et légitime, sans qu'il y ait, par cela même,
sacrement. En effet, Notre-Seigneur Jésus-Christ a élevé
le mariage à la dignité de sacrement ; or, le mariage c'est le
contrat lui-même, s'il est fait selon le droit.
En outre, le mariage est un sacrement, parce qu'il est un signe sacré
qui produit la grâce et offre l'image des noces mystiques du Christ avec
l'Eglise. Or, la forme et la figure de ces noces sont précisément
ce lien de parfaite union qui lie l'homme et la femme l'un à l'autre,
et qui n'est autre que le mariage lui-même. Toute union légitime
entre chrétiens est donc évidemment, en soi et par soi, sacrement.
Il n'y a rien de plus contraire à la vérité que de considérer
le sacrement comme une sorte de cérémonie additionnelle, ou un
caractère extrinsèque qui puisse au gré des hommes être
disjoint et retranché du contrat.
Donc, la raison ne prouve pas, et l'histoire, ce témoin des temps, ne
montre pas davantage que le pouvoir sur le mariage des chrétiens ait
été légitimement attribué aux chefs de l'Etat. Si
le droit d'autrui a été violé en cette matière,
personne ne dira qu'il l'a été par l'Eglise.
Plût à Dieu que les doctrines rationalistes ne fussent pas aussi
fécondes en ruines et en calamités qu'elles sont pleines de mensonge
et d'injustice. Mais on voit facilement quels maux la profanation des mariages
a produits et produira dans la société tout entière.
D'après une loi divinement établie dès l'origine, les institutions
dont Dieu et la nature ont été les auteurs, nous sont d'autant
plus utiles et salutaires qu'elles demeurent plus intégralement et plus
immuablement dans leur état primitif. Dieu, le créateur de toutes
choses, savait bien ce qu'exigeaient l'établissement et la conservation
de chacune d'elles. Il les a toutes ordonnées par sa volonté et
dans son esprit, de façon que chacune atteignît convenablement
sa fin. Mais si la témérité ou la malice des hommes veut
changer et troubler l'ordre des choses établi avec la plus admirable
providence, les institutions les plus sagement et les plus utilement disposées
deviennent nuisibles ou cessent d'être utiles, soit qu'elles aient en
se modifiant perdu leur efficacité pour le bien, soit que Dieu lui-même
veuille tirer ce châtiment de l'orgueil et de l'audace des hommes.
Or ceux qui nient le caractère sacré du mariage et qui, après
l'avoir dépouillé de toute sainteté, le mettent au rang
des choses profanes renversent les fondements de la nature. Ils s'opposent aux
desseins de la divine Providence, et détruisent, autant qu'il est en
eux, ce que Dieu a établi. Aussi n'est-il pas étonnant que ces
efforts insensés et impies produisent tant de maux si funestes au salut
des âmes et au maintien de la société.
Si l'on considère le but de l'institution divine du mariage, Dieu a voulu
évidemment mettre en lui les sources les plus fécondes du bien
et du salut publics. En effet, le mariage, qui tend à la propagation
du genre humain, a aussi pour objet de rendre la vie des époux meilleure
et plus heureuse. Il le fait de plusieurs manières : par l'assistance
mutuelle dans le support des nécessités de la vie, par un amour
constant et fidèle, par la mise en commun de tous les biens, par la grâce
céleste qui émane du sacrement.
Le mariage est aussi, pour la famille, une aide très efficace. Quand
il est selon l'ordre de la nature et conforme aux desseins de Dieu, il contribue
puissamment à maintenir la concorde entre les parents, à assurer
la bonne éducation des enfants, à régler la puissance paternelle
sur le modèle de la puissance divine, à rendre les enfants obéissants
à leurs parents et les serviteurs à leurs maîtres.
Les Etats peuvent attendre de tels mariages une race et des générations
de citoyens qui, animés de sentiments honnêtes et élevés
dans le respect et l'amour de Dieu, se considéreront comme obligés
d'obéir à ceux qui commandent justement et légitimement,
d'aimer leur prochain et de ne léser personne.
Ces résultats, si nombreux et si importants, le mariage les a réellement
procurés, aussi longtemps qu'il a conservé les qualités
de sainteté, d'unité de perpétuité d'où dépend
toute son influence féconde et salutaire. Il aurait certainement continué
à produire les mêmes effets, s'il était resté toujours
et partout sous l'autorité et sous la sauvegarde de l'Eglise, fidèle
gardienne et restauratrice de ses prérogatives. Mais on a voulu partout
substituer le droit humain au droit naturel et divin. Dès lors, la haute
conception du mariage, imprimée et comme scellée par la nature
dans l'esprit des hommes, a commencé à s'altérer. De plus
dans les mariages des chrétiens eux-mêmes, la source productrice
de ces grands bienfaits s'est beaucoup affaiblie par la malice des hommes.
Que peut-on attendre de bon de ces familles, d'où l'on veut bannir la
religion chrétienne, qui est la mère de tous les biens, qui entretient
les plus hautes vertus, qui excite et entraîne vers tout ce qui honore
une âme généreuse et élevée ?
La religion écartée et rejetée, le mariage tombe nécessairement
sous la servitude de la nature vicieuse de l'homme et des pires passions maîtresses
de son cœur : l'honnêteté naturelle ne peut pas lui fournir
une efficace protection. C'est de là que tant de maux ont découlé
non seulement dans les familles particulières, mais aussi dans les Etats.
Sans la crainte salutaire de Dieu, sans cet adoucissement aux épreuves
de la vie qu'on ne trouve nulle part autant que dans la religion chrétienne,
il arrive très souvent, comme par une pente naturelle, que les charges
et les devoirs du mariage semblent presque insupportables.
Le nombre n'est que trop grand de ceux qui, jugeant que le lien contracté
dépend de leur volonté et d'un droit purement humain, éprouvent
le désir de le rompre lorsque l'incompatibilité des caractères,
ou la discorde, ou l'infidélité d'un des époux, ou le consentement
réciproque, ou d'autres raisons les engagent à recouvrer leur
liberté.
Si la loi s'oppose à la réalisation de leurs intentions déréglées,
ils s'écrient que les lois sont injustes, inhumaines, contraires au droit
de citoyens libres. Ils en concluent qu'il faut mettre tout en œuvre pour
les annuler et les abroger et leur autoriser le divorce par une loi plus commode.
Les législateurs actuels, qui professent un attachement si tenace aux
mêmes principes de droit ne peuvent pas se défendre contre ces
tendances perverses dont nous avons parlé, lors même qu'ils le
voudraient ardemment. C'est pourquoi on en conclut qu'il faut céder aux
exigences de l'époque et que le divorce doit être autorisé.
C'est ce que l'histoire elle-même nous apprend, par exemple, à
la fin du siècle dernier. Pendant cette révolution ou plutôt
cette dissolution de la France, alors que la société s'était
sécularisée en chassant Dieu de son sein, on en vint finalement
à sanctionner le divorce par les lois. Beaucoup de gens désirent
aujourd'hui les voir remises en vigueur, parce qu'ils veulent bannir Dieu et
l'Église et les chasser de la société humaine. Ils s'imaginent
follement qu'il faut demander à de pareilles lois un remède suprême
à la corruption croissante des mœurs.
Mais il est à peine besoin de dire tout ce que le divorce renferme de
conséquences funestes.
Il rend les contrats de mariage révocables ; il amoindrit l'affection
mutuelle ; il fournit de dangereux stimulants à l'infidélité
; il compromet la conservation et l'éducation des enfants ; il offre
une occasion de dissolution à la société familiale ; il
sème des germes de discorde entre les familles ; il dégrade et
ravale la dignité de la femme, qui court le danger d'être abandonnée
après avoir servi aux passions de l'homme.
Or il n'y a rien de plus puissant pour détruire les familles et briser
la force des Etats que la corruption des mœurs. Il n'y a donc rien de plus
contraire à la prospérité des familles et des Etats que
le divorce. Né de la perversion morale des peuples, le divorce, l'expérience
l'atteste, ouvre la voie et la porte à une dépravation plus grande
encore des mœurs privées et publiques.
Ces maux paraîtront encore plus graves si l'on considère qu'une
fois la liberté du divorce accordée, il n'y aura jamais d'obstacle
assez puissant pour la contenir dans les limites déterminées et
prévues d'avance.
Grande est la force des exemples, plus grande encore est celle des passions.
Avec de pareils stimulants, il doit arriver que le désir effréné
du divorce, s'insinuant chaque jour davantage, s'empare d'un plus grand nombre
de cœurs. C'est comme une maladie qui se propage par contagion, ou comme
un fleuve qui déborde après avoir franchi ses digues.
Toutes ces choses sont évidentes par elles-mêmes. Elles deviennent
plus manifestes encore par l'évocation des souvenirs du passé.
Dès que la loi eut facilité les divorces, on vit croître
rapidement les dissentiments, les querelles, les séparations. Il en est
résulté une telle corruption que ceux mêmes qui avaient
été les défenseurs du divorce en vinrent à se repentir
de leur œuvre. S'ils n'avaient cherché à temps à y
remédier par la loi contraire, il était à craindre que
la société ne courût précipitamment à sa perte.
On rapporte que les anciens Romains virent avec horreur les premiers cas de
divorce. Mais le sentiment de l'honnêteté s'oblitéra bientôt
dans les esprits. La pudeur, modératrice de la passion, disparut. La
foi conjugale fut alors violée avec une telle licence qu'on peut admettre
comme très vraisemblable ce que nous lisons dans plusieurs écrivains,
que les femmes avaient coutume de compter leurs années, non par le changement
des consuls, mais par celui de leurs maris.
De même chez les protestants, on avait d'abord promulgué des lois
pour permettre le divorce en certains cas déterminés, vraiment
peu nombreux. Mais, on le reconnut bientôt, en raison du rapprochement
de causes semblables, le nombre s'en accrut en Allemagne, en Amérique
et ailleurs, à tel point que les gens encore sensés estimèrent
souverainement déplorable cette extrême dépravation des
mœurs et l'intolérable imprudence des lois.
Les choses ne se passèrent pas autrement dans les Etats catholiques.
Lorsqu'on y permit la rupture des mariages, la multitude des inconvénients
qui en résultèrent dépassa de beaucoup les prévisions
des législateurs. Ce fut un crime très fréquent que d'imaginer
toute espèce d'artifices et de fraudes, et au moyen de sévices,
d'injures et d'adultères, de forger des cas de divorce pour pouvoir dissoudre
impunément les liens trop lourds de l'union conjugale. L'honnêteté
publique en fut si ébranlée, que tous jugèrent qu'il fallait
travailler au plus tôt à corriger les lois.
Comment douter que les lois favorables au divorce ne dussent avoir des suites
également tristes et désastreuses, si elles étaient remises
maintenant en vigueur ? Les inventions et les décrets des hommes ne sauraient
avoir le pouvoir de changer la nature et le caractère des choses. Aussi
ceux-là comprennent bien mal le bien public, qui croient pouvoir impunément
bouleverser la condition essentielle du mariage, et qui, au mépris de
la sainteté attachée au mariage par la religion et le sacrement,
semblent vouloir l'avilir et l'abaisser au-dessous même du niveau établi
par les lois païennes. S'ils ne changent pas d'avis, les familles et la
société humaine auront donc toujours à craindre d'être
misérablement jetées dans ce conflit et ce bouleversement universels,
projetés depuis longtemps par les sectes criminelles des socialistes
et des communistes. On voit combien il est déraisonnable et absurde de
demander le salut public au divorce, qui doit plutôt amener la ruine certaine
de la société.
Il faut donc le reconnaître, l'Eglise catholique a bien mérité
de tous les peuples par le soin qu'elle a pris constamment de protéger
la sainteté et la perpétuité des mariages. On lui doit
une grande reconnaissance pour ses interventions. Elle a hautement réclamé
contre les lois civiles si défectueuses en cette matière qui ont
été promulguées depuis cent ans (Pie VI, Epist. ad episc.
Lucion., 20 mai 1793 ; Pie VII, let. encycl. du 17 fév. 1809 et constitution
du 19 juillet 1817 ; Pie VIII, let. encycl. du 29 mai 1829 ; Grégoire
XVI, constitution du 15 août 1832 ; Pie IX, alloc. du 22 sept. 1852.).
Elle a frappé d'anathème l'abominable hérésie des
protestants sur le divorce et la répudiation (Conc. Trid., sess. XXIV,
can. 5 et 7). Elle a condamné à plusieurs reprises certains cas
de dissolution de mariage adoptés par les Grecs (Concile de Florence
et instructions d'Eugène IV aux Arméniens, Benoît XIV, constitution
Etsi Pastoralis, 6 mai 1742). Elle a prononcé la nullité des mariages
conclus à cette condition qu'ils pourraient être un jour dissous.
Elle a enfin rejeté, dès le commencement, les lois impériales
qui favorisaient malheureusement le divorce et la répudiation (S. Jérôme,
Epist. 69, ad Oceanum PL 22, 657 ; S. Ambroise, Lib. 8 in cap. 16 Lucae, n.
5 PL 15, 1857 ; S. Augustin, De nuptiis, 1, 10, 11 PL 44, 420).
Chaque fois que les Pontifes suprêmes ont résisté aux princes
les plus puissants, qui demandaient avec menaces à l'Eglise, de ratifier
le fait de leur divorce, ils ont certainement lutté, non seulement pour
l'intégrité de la religion, mais aussi pour la civilisation de
l'humanité. Tous les âges admireront l'invincible fermeté
dont témoignent les décrets de Nicolas Ier contre Lothaire ; ceux
d'Urbain II et de Paschal II contre Philippe Ier, roi de France ; ceux de Célestin
III et d'Innocent III contre Alphonse de Léon et Philippe II, roi de
France ; ceux de Clément VII et de Paul III contre Henri VIII, ceux enfin
du très saint et intrépide Pie VII contre Napoléon Ier,
enorgueilli de ses succès et de la grandeur de son empire.
Si tous ceux qui gouvernent et administrent les affaires publiques avaient voulu
se conformer à la raison, à la sagesse, et agir pour le bien des
peuples, ils auraient dû maintenir intactes les saintes lois du mariage,
et profiter du concours offert par l'Eglise, pour la protection des bonnes mœurs
et la prospérité des familles, au lieu de faire soupçonner
l'Eglise d'hostilité et de l'accuser faussement et injustement d'avoir
violé le droit civil.
C'étaient d'autant plus leur devoir que l'Eglise catholique, qui ne peut
manquer à aucune de ses obligations, ni renoncer à défendre
son droit, a également pour habitude de se montrer toujours disposée
à la bonté et à l'indulgence, lorsque l'intégrité
de ses droits et la sainteté de ses devoirs ne sont pas menacées.
Elle n'a donc jamais rien décrété sur le mariage sans avoir
égard à l'état de la société et à
la situation des peuples. Elle a plus d'une fois adouci, dans la mesure du possible,
les rigueurs de ses lois, lorsqu'il y avait des causes graves et justes.
Elle n'ignore pas, et elle reconnaît, que le sacrement du mariage, ayant
pour objet la conservation et l'accroissement de la société humaine,
a des relations nécessaires et des points de contact avec les choses
humaines. Celles-ci sont bien des conséquences du mariage, mais elles
rentrent dans l'ordre civil et sont de la compétence et du ressort des
chefs de l'Etat.
Jésus-Christ, le fondateur de l'Eglise, a voulu sans aucun doute que
le pouvoir religieux fût distinct du pouvoir civil. Chacun d'eux peut,
dans sa sphère propre, agir librement et sans contrainte.
Il y a toutefois une condition. Comme le requièrent leur avantage à
tous deux et l'intérêt des hommes, l'union et la concorde doivent
régner entre eux. De plus, dans les questions qui appartiennent pour
des motifs différents à la juridiction et au jugement de l'un
et de l'autre, celui à qui les choses humaines ont été
confiées doit dépendre, comme il convient, de celui qui a la garde
des choses célestes.
Cet arrangement et cette espèce d'harmonie sont ce qu'il y a de mieux
pour les deux pouvoirs. C'est encore le moyen le plus opportun et le plus efficace
de venir en aide aux hommes, en ce qui concerne la conduite de la vie et l'espérance
du salut éternel. Ainsi que Nous l'avons démontré dans
Nos précédentes Encycliques, de même que l'intelligence
de l'homme, en s'accordant avec la foi chrétienne, s'ennoblit grandement
et devient beaucoup plus forte pour éviter et repousser les erreurs,
tandis que de son côté la foi reçoit de l'intelligence un
précieux appui (Aeterni Patris, 4 août 1879) ; de même, le
bon accord de l'autorité civile avec le pouvoir sacré de l'Eglise
assure à tous deux de grands avantages. La première y gagne en
dignité et son autorité, ayant la religion pour guide, ne sera
jamais injuste ; l'autre y trouve des moyens de protection et de défense
pour le bien public des fidèles.
D'après ces considérations, Nous exhortons de nouveau fortement,
comme déjà Nous l'avons fait en d'autres circonstances tous les
chefs d'Etat à la concorde et à l'amitié avec l'Eglise.
Nous leur tendons, en quelque sorte, la main les premiers, avec une bienveillance
paternelle. Nous leur offrons le secours de notre puissance suprême, dont
l'appui leur est à cette époque d'autant plus nécessaire
que le droit de commander, comme s'il avait reçu quelque blessure, se
trouve tout ébranlé dans l'opinion publique. En ce moment, les
esprits sont avides d'une liberté sans frein et secouent avec une abominable
audace le joug de toute autorité, même la plus légitime.
Le salut public demande donc que les deux pouvoirs associent leurs forces pour
prévenir les catastrophes qui menacent non seulement l'Eglise, mais encore
la société civile.
Tout en recommandant hautement cet accord amical des volontés, et en
priant Dieu, prince de la paix, d'inspirer à tous les hommes l'amour
de la concorde, Nous ne pouvons Nous empêcher, Vénérables
Frères, d'encourager de plus en plus, par Nos exhortations, votre activité,
Votre zèle et votre vigilance, que Nous savons être si grands.
Employez tous vos efforts, toute votre autorité, afin que, parmi les
populations confiées à vos soins, rien ne vienne altérer
ou corrompre la doctrine que Notre-Seigneur Jésus-Christ et les apôtres,
interprètes de la volonté céleste, nous ont transmise,
que l'Eglise catholique a conservée religieusement et qu'elle veut voir
pratiquée par tous les chrétiens et dans tous les temps.
Prenez grand soin à ce que les peuples reçoivent abondamment les
préceptes de la sagesse chrétienne. Qu'ils n'oublient jamais que
le mariage a été établi originairement, non par la volonté
des hommes, mais par l'autorité et la volonté de Dieu, avec cette
loi absolue qu'il ne peut exister qu'entre un seul homme et une seule femme
; que le Christ, auteur de la nouvelle alliance, a transformé en sacrement
cette institution qui était seulement réglée par la loi
naturelle, et qu'il a transmis à son Eglise le pouvoir législatif
et judiciaire sur ce qui concerne le lien conjugal. Il faut veiller attentivement
à ce que les esprits ne soient pas induits en erreur sur ce point par
les trompeuses théories des adversaires qui voudraient enlever ce pouvoir
à l'Eglise.
Tout le monde doit savoir aussi que chez les chrétiens l'union de l'homme
et de la femme, contractée en dehors du sacrement, n'a ni la validité,
ni la nature d'un vrai mariage. Fût-elle conforme aux lois civiles, elle
n'a cependant d'autre valeur que celle d'une formalité ou d'un usage
introduit par le droit civil. Mais le droit civil ne peut régler et administrer
que les choses qui, dans l'ordre civil, sont des conséquences du mariage.
Or ces conséquences ne peuvent évidemment pas se produire si leur
cause vraie et légitime, c'est-à-dire le lien nuptial, n'existe
pas.
Il est d'un très grand intérêt pour les époux de
bien connaître toutes ces choses, de s'en pénétrer et de
se les graver dans l'esprit. Ils pourront ainsi, en sûreté de conscience,
se conformer aux lois civiles sur ce point. L'Eglise même ne s'y oppose
pas, parce qu'elle veut et désire que les effets du mariage soient sauvegardées
dans toutes leurs parties, et que les enfants ne soient aucunement lésés
dans leurs intérêts.
Au milieu de la grande confusion des opinions qui s'insinuent chaque jour davantage,
il faut également savoir qu'il n'est au pouvoir de personne de rompre
le lien d'un mariage conclu et consommé entre chrétiens. Les époux
qui veulent s'engager dans les liens d'un nouveau mariage avant que la mort
n'ait rompu le premier sont donc gravement coupables, quel que soit le motif
invoqué.
Si les choses en arrivent à ce point que la vie commune ne paraisse pas
pouvoir être supportée plus longtemps, l'Eglise permet la séparation
des deux époux. Mais elle s'efforce d'en adoucir les inconvénients
en prenant tous les moyens et en employant tous les remèdes en rapport
avec la situation des époux, et elle ne néglige pas de travailler
à leur réconciliation dont jamais elle ne désespère.
Les époux pourraient facilement échapper à ces extrémités,
si, au lieu de se laisser emporter par la passion, ils s'approchaient du mariage
avec les dispositions requises après avoir mûrement pesé
les devoirs des époux et les motifs très nobles du mariage et
s'ils n'excitaient pas la colère de Dieu, en anticipant sur le mariage
par une série continuelle de fautes. Pour résumer tout en peu
de mots, la stabilité heureuse et paisible des familles sera assurée
lorsque les époux puiseront l'esprit et la vie dans la vertu de religion.
La religion rend l'âme forte et invincible. Grâce à elle,
les défauts, qui peuvent exister dans les personnes, la différence
des habitudes et des caractères, le poids des soucis maternels, l'instante
sollicitude de l'éducation des enfants, les peines inséparables
de la vie, les malheurs, sont supportés avec patience, et même
avec générosité.
Il faut aussi veiller à ce qu'on ne se décide pas facilement à
contracter mariage avec des non-catholiques. Lorsque les âmes sont en
désaccord sur la religion, il est bien difficile qu'elles soient longtemps
d'accord sur les autres points. De semblables unions fournissent l'occasion
de participer à des pratiques religieuses défendues. Elles créent
un péril pour la foi de l'époux catholique. Elles sont un empêchement
à la bonne éducation des enfants, et très souvent elles
accoutument les esprits à tenir pour équivalentes toutes les religions,
en leur faisant perdre le discernement du vrai et du faux. Ce sont autant de
raisons de les éviter.
En dernier lieu, comprenant que personne ne doit être étranger
à Notre charité, Nous recommandons, Vénérables Frères,
à votre autorité, à votre foi et à votre piété
les malheureux qui, dévorés par le feu des passions et complètement
oublieux de leur salut, vivent dans le désordre, unis par des liens illégitimes.
Appliquez donc les ressources de votre zèle à rappeler ces hommes
à leur devoir. Efforcez-vous de toute manière, soit par vous-mêmes,
soit par l'entremise des œuvres constituées par les gens de bien,
de leur faire comprendre leur tort, de les porter au repentir de leur faute
et de les disposer à contracter un mariage légitime selon le rite
catholique.
Il vous est facile de voir, Vénérables Frères, que les
enseignements et les préceptes que Nous avons jugé à propos
de vous donner par cette lettre, ne sont pas moins utiles à la conservation
de la société civile qu'au salut éternel des hommes. Plaise
à Dieu qu'ils soient acceptés par tous les esprits avec d'autant
plus d'empressement et de docilité qu'ils sont plus graves et plus importants.
A cet effet, implorons tous ensemble, par une humble et suppliante prière
le secours de la bienheureuse Vierge Marie Immaculée. Qu'elle se montre
la mère et l'auxiliaire de tous les hommes, en inclinant les esprits
à se soumettre à la foi. Prions avec la même ardeur Pierre
et Paul, princes des apôtres, vainqueurs de la superstition, semeurs de
la vérité. Que, par leur puissante protection, ils préservent
le genre humain du déluge des erreurs renaissantes.
En attendant, comme présage des faveurs célestes, et en témoignage
de Notre particulière bienveillance, Nous accordons de tout cœur,
à vous tous, Vénérables Frères, et aux peuples confiés
à Votre vigilance, la bénédiction apostolique.
Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 10 février 1880,
la deuxième année de notre pontificat.