L'Imitation de Jésus-Christ
Livre deuxième - Instruction pour avancer dans la vie intérieure
12. De la sainte voie de la Croix
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Cette parole semble dure à plusieurs: Renoncez à
vous-mêmes, prenez votre Croix, et suivez Jésus.
Mais il sera bien plus dur, au dernier jour, d'entendre cette parole:
Retirez-vous de moi, maudits, allez au feu éternel !
Ceux qui écoutent maintenant volontiers la parole qui commande de
porter la Croix, et qui y obéissent, ne craindront point alors d'entendre
l'arrêt d'une éternelle condamnation.
Ce signe de la Croix sera dans le Ciel lorsque le Seigneur viendra
pour juger.
Alors tous les disciples de la Croix, qui auront imité pendant leur
vie Jésus crucifié, s'approcheront avec une grande confiance
de Jésus-Christ juge.
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Pourquoi donc craignez-vous de porter la Croix, par laquelle on arrive au
royaume du ciel ?
Dans la Croix est le salut, dans la Croix la vie, dans la Croix la protection
contre nos ennemis.
C'est de la Croix que découlent les suavités célestes.
Dans la Croix est la force de l'âme; dans la Croix la joie de l'esprit,
la consommation de la vertu, la perfection de la sainteté.
Il n'y a de salut pour l'âme et d'espérance de vie éternelle,
que dans la Croix.
Prenez donc votre Croix et suivez Jésus, et vous parviendrez à
l'éternelle félicité.
Il vous a précédé portant sa Croix et il est mort pour
vous sur la Croix afin que vous aussi vous portiez votre Croix, et que vous
aspiriez à mourir sur la Croix.
Car si vous mourez avec lui, vous vivrez aussi avec lui; et
si vous partagez ses souffrances, vous partagerez sa gloire.
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Ainsi tout est dans la Croix, et tout consiste à mourir. Il n'est
point d'autre voie qui conduise à la vie et à la véritable
paix du coeur que la voie de la Croix et d'une mortification continuelle.
Allez où vous voudrez, cherchez tout ce que vous voudrez, vous ne
trouverez pas au-dessus une voie plus élevée, au-dessous une
voie plus sûre que la voie de la sainte Croix.
Disposez de tout selon vos vues, réglez tout selon vos désirs,
et toujours vous trouverez qu'il vous faut souffrir quelque chose, que vous
le vouliez ou non; et ainsi vous trouverez toujours la Croix.
Car, ou vous sentirez de la douleur dans le corps, ou vous éprouverez
de l'amertume dans l'âme.
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Tantôt vous serez délaissé de Dieu, tantôt exercé
par le prochain, et, ce qui est plus encore, vous serez souvent à
charge à vous-même.
Vous ne trouverez à vos peines aucun remède, aucun soulagement;
mais il vous faudra souffrir aussi longtemps que Dieu le voudra.
Car Dieu veut que vous appreniez à souffrir sans consolations et que
vous vous soumettiez à lui sans réserve, et que vous deveniez
plus humble par la tribulation.
Nul n'a si avant dans son coeur la passion de Jésus-Christ que celui
qui a souffert quelque chose de semblable.
La Croix est donc toujours préparée; elle vous attend
partout.
Vous ne pouvez la fuir, quelque part que vous alliez; puisque partout où
vous irez, vous vous porterez et vous trouverez toujours vous-même.
Elevez-vous, abaissez-vous, sortez de vous-même, rentrez-y; toujours
vous trouverez la Croix; et il faut que partout vous preniez patience, si
vous voulez la paix intérieure et mériter la couronne immortelle.
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Si vous portez de bon coeur la Croix, elle-même vous portera et vous
conduira au terme désiré, où vous cesserez de souffrir;
mais ce ne sera pas en ce monde.
Si vous la portez à regret, vous en augmentez le poids, vous rendez
votre fardeau plus dur, et cependant il vous faut la porter.
Si vous rejetez une Croix, vous en trouverez certainement une autre, et
peut-être plus pesante.
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Croyez-vous échapper à ce que nul homme n'a pu éviter
? Quel saint a été dans ce monde sans croix et sans tribulation
?
Jésus-Christ lui-même, Notre-Seigneur, n'a pas été
une seule heure dans toute sa vie sans éprouver quelque souffrance:
Il fallait, dit-il, que le Christ souffrît, et qu'il
ressuscitât d'entre les morts, et qu'il entrât ainsi dans sa
gloire.
Comment donc cherchez-vous une autre voie que la voie royale de la sainte
Croix ?
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Toute la vie de Jésus-Christ n'a été qu'une croix et
un long martyre, et vous cherchez le repos et la joie !
Vous vous trompez, n'en doutez pas; vous vous trompez lamentablement si vous
cherchez autre chose que les afflictions à souffrir; car toute cette
vie mortelle est pleine de misères et environnée de croix.
Et plus un homme aura fait de progrès dans les voies spirituelles,
plus ses croix souvent seront pesantes, parce que l'amour lui rend son exil
plus douloureux.
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Cependant celui que Dieu éprouve par tant de peines n'est pas sans
consolations qui les adoucissent, parce qu'il sent s'accroître les
fruits de sa patience à porter sa Croix.
Car, lorsqu'il s'incline volontairement sous elle, l'affliction qui l'accablait
se change toute entière en une douce confiance qui le console.
Et plus la chair est affligée, brisée, plus l'esprit est
fortifié intérieurement par la grâce.
Quelquefois même le désir de souffrir pour être conforme
à Jésus crucifié lui inspire tant de force, qu'il ne
voudrait pas être exempt de tribulations et de douleur, parce qu'il
se croit d'autant plus agréable à Dieu, qu'il souffre pour
lui davantage.
Ce n'est point là la vertu de l'homme, mais la grâce de
Jésus-Christ, qui opère puissamment dans une chair infirme,
que tout ce qu'elle abhorre et fuit naturellement, elle l'embrasse et l'aime
par la ferveur de l'esprit.
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Il n'est pas selon l'homme de porter la Croix, d'aimer la Croix, de châtier
le corps, de le réduire en servitude, de fuir les honneurs, de souffrir
volontiers les outrages, de se mépriser soi-même et de souhaiter
d'être méprisé, de supporter les afflictions et les pertes,
et de ne désirer aucune prospérité dans ce monde.
Si vous ne regardez que vous, vous ne pouvez rien de tout cela.
Mais si vous vous confiez dans le Seigneur, la force vous sera donnée
d'en haut et vous aurez pouvoir sur la chair et le monde.
Vous ne craindrez pas même le démon, votre ennemi, si vous
êtes armé de la foi et marqué de la Croix de
Jésus-Christ.
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Disposez-vous donc, comme un bon et fidèle serviteur de
Jésus-Christ, à porter courageusement la Croix de votre
Maître, crucifié par amour pour vous.
Préparez-vous à souffrir mille adversités, mille traverses
dans cette misérable vie; car voilà partout ce qui vous attend,
ce que vous trouverez partout, en quelque lieu que vous vous cachiez.
Il faut qu'il en soit ainsi, et à cette foule de maux et de douleurs
il n'y a d'autre remède que de vous supporter vous-même.
Buvez avec joie le calice du Sauveur, si son amour vous est cher et si vous
désirez avoir part à sa gloire.
Laissez Dieu disposer de ses consolations; qu'il les répande comme
il lui plaira.
Pour vous, choisissez les souffrances et regardez-les comme des consolations
d'un grand prix, car toutes les souffrances du temps n'ont aucune
proportion avec la gloire future, et ne sauraient vous la mériter,
quand seul vous les supporteriez toutes.
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Lorsque vous en serez venu à trouver la souffrance douce et à
l'aimer pour Jésus-Christ, alors estimez-vous heureux, parce que vous
avez trouvé le paradis sur la terre.
Mais, tandis que la souffrance vous sera amère et que vous la fuirez,
vous vivrez dans le trouble, et la tribulation que vous fuirez vous suivra
partout.
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Si vous vous appliquez à être ce que vous devez être,
à souffrir et à mourir, bientôt vos peines
s'évanouiront et vous aurez la paix.
Quand vous auriez été ravi, avec Paul, jusqu'au troisième
ciel, vous ne seriez pas pour cela assuré de ne rien souffrir. Je
lui montrerai, dit Jésus, combien il faut qu'il souffre
pour mon nom.
Il ne vous reste donc qu'à souffrir, si vous voulez aimer Jésus
et le servir constamment.
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Plût à Dieu que vous fussiez digne de souffrir quelque chose
pour le nom de Jésus ! Quelle gloire vous serait réservée
! Quelle joie parmi tous les saints ! Quelle édification pour le prochain
!
Car tous recommandent la patience, quoique peu cependant veuillent
souffrir.
Avec quelle joie vous devriez souffrir quelque chose pour Jésus, lorsque
tant d'autres souffrent beaucoup plus pour le monde !
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Sachez et croyez fermement que votre vie doit être une mort continuelle,
et que plus on meurt à soi-même, plus on commence à vivre
pour Dieu.
Nul n'est propre à comprendre les choses du ciel, s'il ne se soumet
à supporter les adversités pour Jésus-Christ.
Rien n'est plus agréable à Dieu, rien ne vous est plus salutaire
en ce monde, que de souffrir avec joie pour Jésus-Christ; et si vous
aviez à choisir, vous devriez plutôt souhaiter d'être
affligé pour lui que d'être comblé de consolations, parce
que vous seriez alors plus semblable à Jésus-Christ et plus
conforme à tous les saints.
Car notre mérite et notre progrès dans la perfection ne consistent
point dans la douceur et l'abondance des consolations, mais plutôt
dans la force de supporter de grandes tribulations et de pesantes épreuves.
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S'il y avait eu pour l'homme quelque chose de meilleur et de plus utile que
de souffrir, Jésus-Christ nous l'aurait appris par ses paroles et
par son exemple.
Or, manifestement, il exhorte à porter sa Croix, et les disciples
qui le suivaient, et tous ceux qui voudraient le suivre, disant: Si
quelqu'un veut marcher sur mes pas, qu'il renonce à soi-même,
qu'il porte sa Croix, et qu'il me suive.
Après donc avoir tout lu, tout examiné, concluons enfin
qu'il nous faut passer par beaucoup de tribulations pour entrer dans
le royaume de Dieu.