SUPPLIQUE DE
L'AUTEUR à Jésus et Marie
Mon très Aimant Rédempteur
et Seigneur Jésus-Christ, moi votre misérable serviteur,
sachant combien
réjouissent votre coeur ceux
qui s'efforcent de glorifier votre très sainte Mère, que
vous aimez tant, et que
vous désirez si vivement
de voir aimée et honorée de tout le monde, j'ai formé
le dessein de publier ce
livre qui traite de ses gloires.
Or, je ne sais à qui je pourrais mieux recommander qu'à vous-même,
puisque vous avez tant à
coeur la gloire de cette auguste Mère. C'est donc à vous
que je le dédie et le
recommande. Daignez agréer
ce faible hommage de mon amour pour vous et pour votre Mère chérie
;
protégez-le ; remplissez
ceux qui le liront d'une pleine confiance et d'un amour ardent envers cette
Vierge
Immaculée, en qui vous avez
placé l'espérance et le refuge de toutes les âmes rachetées
par vous. Et,
pour récompense de mon humble
travail, je vous prie de m'accorder autant d'amour envers Marie que j'ai
voulu en allumer par cet ouvrage
dans le coeur de tous mes lecteurs.
Je m'adresse aussi à vous,
ô ma douce Souveraine et ma tendre Mère, Marie. Après
Jésus, vous le savez,
c'est en vous que j'ai mis toute
l'espérance de mon salut éternel ; car, tout mon bien, ma
conversion, ma
vocation à quitter le monde,
et toutes les autres grâces que j'ai reçues de Dieu, je m'en
reconnais
redevable à votre intercession.
Vous savez aussi que, pressé de vous voir aimée de tous les
hommes
comme vous le méritez, et
de vous donner quelque marque de ma gratitude pour les bienfaits que vous
m'avez prodigués, j'ai cherché
sans cesse, en public et en particulier, à vous faire connaître
en tous lieux
et à inspirer à tous
le goût des douces et salutaires pratiques de votre culte. J'espère
continuer ainsi
jusqu'à mon dernier souffle
; mais mon âge déjà avancé et ma santé
affaiblie m'avertissent que j'entrerai
bientôt dans l'éternité
; c'est pourquoi j'ai voulu, avant de mourir, laisser au monde ce livre,
afin qu'après
moi il continue à vous louer
et à porter aussi les autres à publier vos gloires et votre
grande bonté envers
vos dévots serviteurs. Ma
bien-aimée Reine ! j'ai la confiance que ce pauvre don, quoique
si inférieur à
votre mérite, ne laissera
pas d'être agréable à votre coeur généreux,
car c'est un don tout d'amour.
Étendez donc cette main si
douce qui m'a délivrée du monde et de l'enfer, acceptez mon
livre et
protégez-le comme une chose
qui vous appartient. Mais sachez que j'attends de vous, pour cette légère
offrande, une récompense
: faites que désormais je vous aime plus ardemment, et que chacun
de ceux
entre les mains de qui parviendra
cet ouvrage, s'embrase d'amour pour vous ; qu'il sente aussitôt croître
en lui le désir de vous aimer
et de vous voir aimer aussi des autres, et qu'en conséquence il
s'emploie de
tout coeur à publier vos
louanges et à augmenter autant qu'il le pourra chez les autres la
confiance en
votre puissante intercession. Ainsi
j'espère, ainsi soit-il.
ALPHONSE DE LIGUORI,
du Très Saint Rédempteur.
INTRODUCTION
qu'il est nécessaire de lire
Mon cher Lecteur, et mon frère
en Marie, puisque la dévotion qui m'a porté à écrire
et qui vous porte
maintenant à lire ce livre,
nous rend tous deux heureux enfants de cette bonne Mère, si vous
entendez
dire que je pouvais m'épargner
ce travail, vu qu'il existe déjà tant d'ouvrages savants
et renommés sur le
même sujet, répondez,
je vous prie, par les paroles de l'abbé Francon, dans la Bibliothèque
des Pères : «
La louange de Marie est une source
tellement abondante, que, plus on la dilate, plus elle se remplit, et,
plus on la remplit, plus elle se
dilate. » En d'autres termes, cette bienheureuse Vierge est si grande
et si
sublime, que, plus on célèbre
ses louanges, plus on trouve de nouveaux sujets de la louer. Et, selon
la
pensée de saint Augustin,
quand même tous les membres des hommes se changeraient en autant
de
langues, ces langues, si nombreuses
fussent-elles, ne sauraient la louer autant qu'elle le mérite.
J'ai vu, il est vrai, une quantité
innombrable de livres, grands et petits, qui traitent des gloires de Marie
;
mais, considérant qu'ils
sont ou fort rares ou trop volumineux ou peu conformes à mon dessein,
j'ai pris à
tâche d'extraire de tous les
auteurs que j'ai pu avoir en main, et d'exposer brièvement, comme
on le verra
dans cet ouvrage, ce qu'il y a de
plus exquis et de plus substantiel dans les sentiments des Pères
et des
théologiens. Mon désir
a été que les personnes pieuses puissent avoir à peu
de frais un livre d'un usage
facile et propre à leur inspirer
un ardent amour envers Marie ; et les prêtres, des matériaux
pour des
prédications tendant à
favoriser le progrès du culte de cette divine Mère.
On est naturellement porté
à parler souvent et à faire l'éloge des personnes
qu'on aime, afin de voir l'objet
de ses affections estimé
et loué aussi des autres ; il faut donc supposer bien faible l'amour
de ceux qui,
tout en se glorifiant d'aimer Marie,
pensent peu à parler d'elle et à la faire aimer des autres.
Bien
différente est la conduite
de ceux qui aiment véritablement cette très aimable Dame
: ils voudraient publier
ses louanges en tout lieu et la
voir aimée de tout le monde ; aussi, chaque fois qu'ils le peuvent,
soit en
public, soit en particulier, ils
tâchent de communiquer à tous les coeurs les heureuses flammes
dont ils se
sentent embrasés envers leur
bien-aimée Reine.
Pour se persuader du bien qu'on se
fait à soi-même, et qu'on procure aux peuples, en propageant
la
dévotion envers Marie, il
est bon d'entendre ce qu'en disent les docteurs. Selon saint Bonaventure,
ceux
qui s'emploient à publier
les gloires de Marie, sont assurés du paradis ; ce que confirme
Richard de
Saint-Laurent, en disant qu'honorer
la Reine des Anges est la même chose que faire l'acquisition de la
vie
éternelle ; car, ajoute-t-il,
cette Dame pleine de gratitude ne manquera pas d'honorer dans l'autre monde
ceux qui ont soin de l'honorer dans
celle-ci. Et qui d'ailleurs ignore cette promesse de Marie elle-même
à
ceux qui s'attachent à la
faire connaître et aimer sur la terre : Ceux qui me font connaître
auront la vie
éternelle. Ces paroles, la
sainte Église les applique à Marie, dans l'office de son
Immaculée Conception. -
Réjois-toi donc, mon âme,
s'écriait saint Bonaventure, qui a déployé tant de
zèle à publier les grandeurs
de Marie ; tressaille de joie en
elle ; car des biens sans nombre sont réservés à ceux
qui la glorifient. Et,
puisque les saintes Écritures,
ajoute un autre auteur, sont remplies des louanges de Marie, ne cessons
pas
de célébrer de coeur
et de bouche cette divine Mère, afin qu'un jour elle nous conduise
au royaume des
Bienheureux.
Le bienheureux Héming, évêque,
avait coutume de commencer ses sermons par les louanges de Marie.
La sainte Vierge apparut un jour
à sainte Brigitte, et lui parla ainsi : « Dites à ce
prélat qui a coutume de
commencer ses sermons par mes louanges,
que je veux lui servir de mère, que je présenterai son âme
à
Dieu, et qu'il fera une bonne mort
». En effet, il mourut saintement, en priant, et dans une paix céleste.
-
On rapporte ainsi d'un religieux
dominicain, qui terminait ses sermons en parlant de Marie, qu'elle lui
apparut au moment de sa mort, le
défendit contre les démons, le fortifia, et conduisit elle-même
dans le
ciel son âme bienheureuse.
- Le dévot Thomas a Kempis présente Marie recommandant à
son divin Fils
ceux qui publient ses kouanges,
et la fait ainsi parler : O mon Fils, ayez pitié d'une âme
qui m'a aimée et
glorifiée.
Pour ce qui concerne l'utilité
que retire le peuple de la prédication des gloires de la divine
Mère, saint
Anselme affirme que, l'auguste sein
de Marie étant la voie par laquelle le Fils de Dieu est venu ici-bas
sauver les pécheurs, il ne
peut se faire que la prédication des louanges de Marie n'amène
pas les pécheurs
à se convertir et à
se sauver. Et s'il est vrai, comme je le pense, s'il est même indubitable,
comme je le
prouverai au Chapitre Ve de cet
ouvrage, que toutes les grâces nous sont disposées uniquement
par les
mains de Marie, et que tous ceux
qui se sauvent, ne sont sauvés que par l'entremise de cette divine
Mère,
on peut dire, par une conséquence
nécessaire, que le salut de tous les hommes est attaché à
la prédication
des grandeurs de Marie, et de la
confiance en son intercession. Et c'est par ce moyen, on le sait, que saint
Bernardin de Sienne sanctifia l'Italie,
et que saint Dominique convertit tant de provinces. Saint Louis
Bertrand ne prêchait jamais
sans exhorter la dévotion envers Marie ; il en est de même
pour beaucoup
d'autres.
Le Père Paul Segneri le Jeune,
célèbre missionnaire, faisait dans toutes ses missions un
sermon sur la
dévotion à Marie,et
il l'appelait son sermon favori. Et nous qui, dans nos missions, avons
pour règle
invariable de ne jamais ommettre
le sermon sur la sainte Vierge, nous pouvons attester en toute vérité
qu'aucun discours, pour l'ordinaire,
n'excite autant la componction, et ne produit autant de fruit que le
sermon sur la miséricorde
de Marie. Je dis : " Sur la MISÉRICORDE de Marie " ; car, selon
saint
Bernard, nous louons, il est vrai,
son humilité, nous admirons sa virginité ; mais, parce que
nous sommes
de pauvres pécheurs, ce qui
nous touche et nous attire davantage, c'est d'entendre parler de sa
miséricorde ; et certes,
c'est sa miséricorde que nous embrassons le plus affectueusement,
que nous nous
rappelons le plus souvent, et que
nous invoquons le plus fréquemment.
Voilà pourquoi, dans cet ouvrage,
laissant à d'autres le soin de décrire les autres prérogatives
de Marie, je
me suis principalement attaché
à parler de sa grande miséricorde et de sa puissante intercession.
Dans ce
dessein, j'ai recueilli, autant
qu'il m'a été possible par un travail de plusieurs années,
tout ce que les saints
Pères et les auteurs le plus
célèbres ont dit de la miséricorde et de la puissance
de Marie ; et comme cette
miséricorde et cette puissance
de la bienheureuse Vierge se trouvent merveilleusement caractérisées
dans
la magnifique antienne Salve Regina,
que l'Église a elle-même approuvée et donnéee
à réciter pendant la
majeure partie de l'année
à tout le clergé, régulier et séculier, j'ai
entrepris d'expliquer cette dévote prière.
Pieux Lecteur, si vous agréez
mon travail, comme je l'espère, je vous prie de me recommander à
la sainte
Vierge, afin qu'elle me donne une
grande confiance en sa protection ; et si vous me faites la charité
de
demander pour moi cette grâce,
qui que vous soyez, je vous promets de la demander aussi pour vous. Oh
! heureux celui qui s'attache fortement,
par l'amour et la confiance, à ces deux ancres de salut, Jésus
et
Marie ! Certainement, il ne périra
point ! Disons donc, mon cher Lecteur, et répétons l'un et
l'autre du
fond de notre coeur, avec le dévot
Alphonse Rodriguez : Jésus et Marie, doux objets de mes amours !
que je souffre pour vous, que je
meure pour vous, que je soit tout à vous, et plus aucunement à
moi-même. Aimons Jésus
et Marie, et tâchons de nous sanctifier ; c'est la plus grande fortune
à laquelle
nous puissions aspirer. Adieu !
au revoir dans le paradis, aux pieds de cette tendre Mère et de
Fils si
aimant, pour les louer, les remercier,
et les aimer ensemble, en jouissant de leur douce présence pendant
toute l'éternité !
Amen.
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PRIERE A LA BIENHEUREUSE VIERGE pour obtenir
une bonne mort.
O Marie, doux refuge des malheureux
pécheurs, quand mon âme devra sortir de ce monde, je vous
en
supplie, ma très douce Mère,
par la douleur que vous ressentîtes en voyant votre Fils qui se mourrait
sur la Croix, assistez-moi alors
de votre miséricorde, Éloignez de moi les ennemis infernau,
et venez
vous-même recueillir mon âme,
pour la présenter au juge éternel. Ma souveraine, ne m'abandonnez
pas. Vous devez être, après
Jésus, mon appui dans ce moment redoutable. Priez votre Fils de
m'accorder dans sa bonté
la faveur de mourir en embrassant vos pieds, et d'exhaler mon âme
dans ses
saintes plaies, en disant : Jésus
et Marie, je vous donne mon coeur et mon âme !
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LES GLOIRE DE MARIE
CHAPITRE I
Salve Regina, Mater misericordiae !
Nous vous saluons, ô Reine, Mère de miséricorde.
MARIE, NOTRE REINE, NOTRE MÈRE
I
Combien doit être grande notre confiance en Marie, parce qu'elle est Reine de miséricorde.
L'auguste Vierge Marie ayant été
élevée à la dignité de Mère du Roi des
rois, la sainte Église a raison de
l'honorer et de voulour que tous
l'honorent du glorieux titre de Reine.
Si le Fils est Roi, dit saint Anathase,
la Mère a le droit d'être tenue pour Reine et d'en porter
le nom. Oui,
ajoute saint Bernardin de Sienne,
quand Marie consentit à être la Mère du Verbe éternel,
à l'instant même
et par ce consentement, elle mérita
et obtint la principauté de la terre, le domaine du monde, le sceptre
et
la qualité de Reine de toutes
les créatures. Et, comme l'observe Arnauld de Chartres, si par la
chair Marie
est unie si intimement à
Jésus, comment cette divine Mère serait-elle séparée
de son Fils quant à la
puissance souveraine ? Il faut donc
le reconnaître, la dignité royale n'est pas seulement commune
au Fils
et à la Mère, mais
ils n'ont qu'une seule et même royauté.
Or, si Jésus est Roi de l'univers,
c'est de l'univers aussi que Marie est Reine : " Reine du ciel, dit l'abbé
Rupert, elle commande à bon
droit à tout le royaume de son Fils ". De là cette conséquence
exprimée par
saint Bernardin de Sienne : Autant
de créatures servent Dieu, autant doivent servir Marie. LEs anges,
les
hommes et tout ce qui existe au
ciel et sur la terre, étant soumis à l'empire de Dieu, le
sont pareillement à
la domination de cette glorieuse
Vierge. De là aussi cette exclamation de l'abbé Guéric,
s'addressant à la
divine Mère : Continuez donc,
ô Marie, continuez de régner en toute sécurité
; disposez à votre gré des
biens de votre Fils ; puisque vous
êtes la Mère et l'Épouse du Roi de l'univers, vous
êtes Reine, et avez
droit à l'empire et à
la domination sur toutes les créatures.
Marie est notre Reine ; mais sachons-le
pour notre commune consolation, elle est une Reine pleine de
douceur et de clémence, toute
disposée à répandreses bienfaits sur notre misère.
C'est pourquoi, la sainte
Église veut qu'en la saluant
dans la belle prière que nous méditons, nous lui donnions
le titre de Mère de
miséricorde. Selon la remarque
du Bienheureux Albert le Grand, le nom même de Reine éveille
l'idée de
compassion, de sollicitude en faveur
des pauvres, à la différence du nom d'Impératrice,
qui signifie
sévérité et
rigueur. Et, d'après Sénèque, la vraie grandeur des
rois et des reines consiste à soulager les
malheureux. A la différence
donc des tyrans qui gouvernent dans des vues exclusivement personnelles,
les
rois doivent se proposer pour unique
fin le bien de leurs peuples. Et voilà pourquoi, dans la cérémonie
de
leur sacre, on leur oint la tête
d'huile, emblême de miséricorde ; ils sont avertis par là
que, sur le trône, ils
devront surtout nourrir, envers
leurs sujets, des sentiments de commisération et de bonté.
Il est donc dud evoir des rois de
s'appliquer principalement aux oeuvres de miséricorde, mais non
au point
d'oublier l'exercice de la justice
à l'égard des coupables, quand cela est nécessaire.
Cependant, il n'en est
pas ainsi de Marie : elle est Reine,
mais elle n'est pas Reine de justice, obligée d'office à
punir les
malfaiteurs ; elle est Reine de
miséricorde, et son unique attribution est d'avoir pitié
des pécheurs et de
leur ménager le pardon. Telle
est la raison du nom de Reine de miséricorde, sous lequel l'Église
nous
apprend à l'invoquer. J'ai
appris ces deux choses, chantait David, que la puissance appartient à
Dieu, et
que vous êtes, Seigneur, rempli
de miséricorde. Voici sur ces paroles le commentaire du célèbre
Gerson,
chancelier de Paris : La royauté
de Dieu comprend l'exercice de la justice et celui de la miséricorde
; or le
seigneur l'a partagée : il
s'est réservé à lui-même le règne de
la justice, et il a cédé à Marie le règne de
la
miséricorde, voulant que
toutes les grâces accordées aux hommes passent par les mains
de cette douce
Reine, pour être départies
à son gré. Cette explication est confirmée par saint
Thomas, dans sa préface
aux Épîtres canoniques
; quand la Bienheureuse Vierge, dit-il, conçut et enfanta le Verbe
divin, elle obtint
la moitié du règne
de Dieu, et devint Reine de miséricorde, Jésus-Christ restant
Roi de justice.
Le Père Éternel a établi
Jésus-Christ Roi de justice, et, en cette qualité, Juge universel
du monde ; c'est ce
que le Prophète célèbre
en ces termes : O Dieu, donnez votre justice au Fils du Roi. Seigneur,
ajoute ici
un savant interprète, vous
avez donné à votre Fils la justice, parce que vous avez donné
la miséricorde à
sa Mère. Avec non moins de
bonheur, saint Bonaventure paraphrase ainsi les mêmes paroles du
Psalmiste : Seigneur ! donnez votre
justice au Roi, et votre miséricorde à la Reine, sa Mère.
- Ernest,
archevêque de Prague, dit
pareillement que le Père Éternel a confié au Fils
l'office de juger et de punir et
à la Mère celui de
compatir et de soulager. A Marie peut donc s'appliquer la prophétie
du même David :
Dieu a fait couler sur votre front
une huile d'allégresse. Oui, car Dieu a en quelque sorte sacré
de ses
propres mains Marie Reine de miséricorde,
et nous a donné à nous tous, infortunés enfants d'Adam,
un
motif de vive allégresse
dans la personne de cette grande Reine que nous avons au ciel, et qui est
toute
détrempée du baume
de la miséricorde, comme dit saint Bonaventure, et toute pleine
de l'huile d'une
maternelle tendresse à notre
égard.
Le bienheureux Albert le Grand fait
intervenir ici, de la manière la plus heureuse, l'histoire de la
reine
Esther, qui fut d'ailleurs une des
figures de notre Reine Marie.
On lit au livre d'Esther, que, sous
le règne d'Assuérus, un édit fut publié qui
condamnait à la mort tous les
Juifs de ses États. Alors
MArdochée, l'un des condamnés, recommanda leur salut à
Esther, et la pria
d'intercéder pour eux auprès
du Roi, afin d'obtenir les révocations de la sentence. Au premier
abord,
Esther refusa de faire cette démarche,
craignant d'accroître par là l'indignation d'Assuérus.
Mais
Mardochée lui envoya quelqu'un,
chargé de lui faire des remontrances : elle ne devait pas, lui faisait-il
dire, songer uniquement à
sa propre sûreté, puisque le Seigneur l'avait élevée
sur le trône pour procurer le
salut de tous les Juif. Ne croyez
pas que vous puissiez vous sauver seule, parce que, dans la maison du
roi, vous tenez un rang supérieur
à tous les Juifs. Ainsi parlait Mardochée à la reine
Esther ; ainsi
pourrions-nous aussi, nous, pauvres
pécheurs, parler à notre Reine Marie, si jamais elle répugnait
à nous
obtenir de Dieu la remise de la
peine due à nos péchés : Ne pensez pas qu'il vous
soit permis de vous
sauver seule, parce que, dans la
maison du Roi, vous occupez un rang plus haut qu'aucun homme. Non,
auguste Souveraine, ne pensez pas
que Dieu vous ait élevée à la dignité de Reine
du monde, uniquement
en vue de votre bonheur ; il a voulu
aussi que cette sublime grandeur vous mît à même de
compatir plus
efficacement à nos misères
et de les soulager mieux.
Lorsqu'Assuérus vit Esther
en sa présence, il lui demanda avec amour ce qu'elle désirait.
O mon Roi,
répondit-elle, si j'ai trouvé
grâce devant vos yeux, accordez-moi le salut de mon peuple pour lequel
j'implore votre clémence.
- Assuérus l'exauça et ordonna aussitôt que la séquence
fût révoquée. Or, si
Assuérus accorda le salut
des Juifs à Esther, parce qu'il l'aimait, comment Dieu, qui aime
Marie d'un
amour immense, pourrait-il ne pas
l'exaucer lorsqu'elle le prie pour les pauvres pécheurs qui réclament
son intercession, et qu'elle lui
dit : O mon Roi et mon Dieu, si j'ai trouvé grâce devant vous,
si vous
m'aimez, accordez-moi le salut de
ces pécheurs pour lesquels j'intercède auprès de vous.
- Si vous
m'aimez !... Ah ! elle n'ignore
pas, cette divine Mère, qu''elle est la bénie, la bienheureuse,
celle qui, seule
entre tous les enfants d'Adam, a
trouvé la grâce perdue par l'homme ; elle sait qu'elle est
la Bien-Aimée
de son Seigneur, plus aimée
que tous les saints et tous les anges ensemble ; comment donc Dieu
pourrait-il ne pas l'exaucer ? Qui
ne connaît pas la force des prières de Marie auprès
de Dieu ? Une loi de
clémence sort de ses lèvres,
dit le Sage, chacune de ses prières est comme une loi aussitôt
sanctionnée
par le Seigneur, et qui garantit
un arrêt de miséricorde à tous ceux pour qui elle intercède.
- Saint Bernard
demande pourquoi l'Église
appelle Marie Reine de miséricorde, et il répond : C'est
que l'on croit qu'elle
ouvre l'abîme de la miséricorde
divine à qui elle veut, quand elle veut, et comme elle veut ; en
sorte que
nul pécheur, si criminel
soit-il, ne se perd, pourvu que Marie le protège.
Mais n'est-il pas à craindre
que Marie ne refuse de s'entremettre our certains pécheurs qui lui
paraîtront
trop souillés ? ou bien ne
devons-nous pas nous laisser intimider par la majesté et la sainteté
de cette
grande Reine ? - Oh ! non, réponds
saint Grégoire VII ; autant elle est sainte et élevée,
autant elle est
douce et miséricordieuse
envers les pécheurs qui l'invoquent avec un vrai désir de
s'amender. Les airs de
grandeur que prennent les rois et
les reines de la terre, inspirent la terreur, et sont cause que leurs sujets
craignent de paraître en leur
présence ; mais demande saint Bernard, quelle appréhension
pourrait
empêcher les malheureux d'aller
à cette Reine de miséricorde ? Elle ne laisse rien paraître
de terrible ou
d'austère en sa présence,
elle ne montre que douceur et bonté à quiconque va la trouver
; " à tous, elle
offre le lait et la laine " ; non
contente de les donner à qui les lui demande, elle les offre même
à tous ; elle
leur offre le lait de la miséricorde
pour les animer à la confiance, et la laine de sa protection pour
les
garantir des foudres de la justice
divine.
Au rapport de Suétone, quelque
faveur qu'on demandât à l'empereur Titus, il ne savait la
refuser ; parfois
même, il promettait plus qu'il
ne pouvait tenir ; et à ceux qui l'avertissaient : un prince, répondait-il,
ne
doit renvoyer mécontent aucun
de ceux qu'il a une fois admis en sa présence. Ainsi parlait Titus,
mais,
dans le fait, il lui arrivait peut-être
souvent de faire de fausses promesse ou de manquer à sa parole.
Notre
Reine, au contraire, est incapable
de nous tromper, et elle est assez puissante pour procurer tout ce qu'elle
veut à ses dévots
; elle a d'ailleurs le coeur si bon, si compatissant, assure Lansperge,
qu'elle ne saurait
renvoyer sans consolation un malheureux
qui la prie. Mais, ô Marie, s'écrie saint Bernard, comment
pourriez-vous refuser votre appui
aux misérables, quand vous êtes Reine de miséricorde
? quels sont les
sujets de la miséricorde,
sinon les misérables ? Vous êtes Reine de miséricorde,
et moi, je suis le plus
misérable de tous les pécheurs
; je tiens donc le premier rang parmi vos sujets, et vous devez prendre
soin
de moi plus que de tous les autres.
Ayez donc pitié de nous, ô Reine de miséricorde, et
pensez à nous
sauver.
Et ne dîtes pas, ô Vierge
sainte, semble ajouter saint Georges de Nicomédie ; ne dîtes
pas que la
multitude de nos péchés
vous empêche de nous secourir ; car telles sont votre puissance et
votre bonté,
qu'il n'est pas de fautes si nombreuses
qui puissent en dépasser les bornes. Rien ne résiste à
votre
puissance, parce que votre Créateur,
qui est aussi le nôtre, regarde votre gloire comme la sienne, et
croit
se faire honneur à lui-même
en honorant sa Mère ; aussi le fait-il avec une joie extrême
: on dirait qu'en
exauçant vos prières,
il acquitte une dette. Oui, une dette, car, veut dire le saint, bien que
Marie soit
infiniment obligée envers
son Fils, qui l'a choisie pour Mère, on ne peut nier qu'à
son tour il ne soit,
lui-même fort obligé
envers Marie, puisqu'elle lui a donné l'être humain. Eh bien
! pour payer en quelque
sorte à sa Mère tout
ce qu'il lui doit, Jésus se plaît à accroître
sa gloire, qui lui est si chère, et spécialement
en lui accordant toutes ses requêtes.
Quelle confiance ne devons-nous donc
pas avoir en cette auguste Reine, nous qui la savons si puissante
auprès de Dieu, et en même
temps si riche de miséricorde, que personne au monde n'est exclu
de sa
tendresse et de ses faveurs ! C'est
ce que la bienheureuse Vierge a révélé elle-même
à Sainte Brigitte : "
Je suis, lui dit-elle un jour, la
Reine du ciel et la Mère de miséricorde ; je suis la joie
des justes et la porte
par laquelle les pécheurs
ont accès auprès de Dieu. Il n'est pas de pécheur
maudit au point d'être privé
des effets de ma miséricorde
tant qu'il vit sur la terre ; car il n'en est aucun qui ne doive quelque
grâce à
mon intercession, ne fût-ce
que celle d'être moins tenté par les démons. Aucun
pécheur, ajute-t-elle, à
moins qu'il ne soit tout à
fait maudit (c'est-à-dire frappé de la malédiction
finale et irrévocable qui se
prononce contre les damnés),
aucun pécheur n'est tellement rejeté de Dieu, qu'il ne puisse,
en m'appelant
à son aide, retourner à
Dieu et obtenir miséricorde. Tout le monde, dit-elle encore, m'appelle
Mère de
miséricorde, et vraiment,
c'est la miséricorde de Dieu envers les hommes qui m'a rendue si
miséricordieuse à
leur égard. Enfin, elle conclut en ces termes : Bien malheureux
sera donc, dans la vie
future, et malheureux à jamais,
celui qui se sera damné faute de recourir à moi, comme il
le pouvait, dans
la vie présente, à
moi, si miséricordieuse envers tous les hommes, et si désireuse
de venir en aide aux
pécheurs. "
Voulons-nous donc assurer notre salut,
allons souvent, allons sans cesse nous réfugier aux pieds de cette
douce Reine, et, si la vue de nos
péchés nous épouvante et nous décourage, souvenons-nous
que Marie a
été établie
Reine de miséricorde pour sauver, par sa protection, les pécheurs
les plus coupables et les plus
désespérés
pourvu qu'ils se recommandent à elle. Ils doivent former sa couronne
dans le ciel, comme lui
lui fait entendre l'Époux
divin, en lui disant : Viens du Liban, mon Épouse ; viens du Liban,
viens, tu
seras couronnée . . . des
cavernes des lions et des montagnes qui servent de retraite aux léopards.
Quelles sont, en effet, ces retraites
de bêtes monstrueuses, sinon les malheureux pécheurs ? leurs
âmes ne
sont-elles pas réceptacles
de péchés divers, monstres les plus affreux que l'on puisse
concevoir ? - Oui, ô
Marie ! je le dis avec l'abbé
Rupert, c'est le salut de ces pauvres pécheurs qui sera votre couronne
en
paradis, couronne bien digne de
vous et la mieux appropriée à une Reine de miséricorde.
On peut lire à ce sujet l'exemple suivant.
EXEMPLE
Il est raconté dans la vie
de la soeur Catherine de Saint-Augustin, que, dans l'endroit où
habitait cette
servante de Dieu, se trouvait une
femme appelée Marie, qui avait mené une vie scandaleuse dès
sa
jeunesse, et qui, parvenue à
un âge avancé, persistait avec obstination dans ses désordres.
Chassée enfin
par les habitants, et réduite
à se retirer dans une grotte solitaire, elle y mourut consumée
par une horrible
maladie, sans secours humains et
sans sacrements. Après une telle vie et une telle mort, son cadavre
fut
enfoui comme celui d'un animal immonde.
Soeur Catherine avait coutume de recommander instamment à
Dieu les âmes de tous ceux
qui passaient à l'autre vie ; néanmoins, ayant appris la
triste fin de cette
malheureuse, elle ne songea nullement
à prier pour elle, la croyant, comme tout le monde, à jamais
perdue. Quatre ans s'étaient
écoulés, lorsqu'un jour se présenta devant elle une
âme du purgatoire, qui lui
dit : " Soeur Catherine, quel malheur
est le mien ! vous recommandez à Dieu les âmes de tous ceux
qui
meurent ; je suis la seule dont
vous n'ayez pas eu compassion ! - Et qui êtes-vous ? demanda la servante
de Dieu. - Je suis, répondit-elle,
cette pauvre Marie qui mourut dans la grotte. - Quoi ! êtes-vous
donc
sauvée ? - Oui, je suis sauvée,
grâce à la miséricorde de la sainte Vierge. - Et comment
? - Quand je me
vis près de mourir, me trouvant
ainsi abandonnée de tout le monde et chargée de tant de péchés,
je me
tournai vers la Mère de Dieu
et lui dis : " Reine du ciel, vous
êtes le refuge des pauvres
délaissés, et me voici abandonnée de tout le monde
; vous êtes mon unique
espérance, vous seule pouvez
me secourir, ayez pitié de moi ". La douce Marie m'obtint la grâce
de faire
un acte de contrition, je mourus
et je fus sauvée. Cette bonne mère m'a procuré en
outre la faveur de voir
ma peine abrégée,
en rachetant par l'intensité de mes souffrances une bonne partie
des années qu'elles
devaient durer. Il ne faut que quelques
messes pour me délivrer du purgatoire ; je vous prie de me les
faire dire, et je vous promets de
ne jamais cesser, après cela, de prier Dieu et la bienheureuse Vierge
pour
vous ". Soeur Catherine fit aussitôt
célébrer des messes pour elle, et, au bout de quelques jours,
cette âme
lui apparut de nouveau, plus brillante
que le soleil, et lui dit : " Je vous remercie, ma chère Catherine
; je
vais maintenant en paradis chanter
les miséricordes de mon Dieu et prier pour vous ".
PRIÈRE
O Marie, Mère de mon Dieu
et ma souveraine Maîtresse, tel que se présenterait à
une grande reine un
misérable tout couvert de
plaies et de souillures, tel je me présente à vous, qui êtes
la Reine du ciel et
de la terre ; du haut de ce trône
glorieux où vous êtes assise, ne dédaignez pas, je
vous en supplie,
d'abaisser vos regards sur ce pauvre
pécheur, Dieu vous a rendue riche comme vous l'êtes, pour
que
vous secouriez les pauvres, et il
vous a établie Reine de miséricorde oiyr viys nettre à
même de
soulager les misérables L
regardez-moi donc, et prenez compassion de moi ; regardez-moi et ne
m'abandonnez pas que vous ne m'ayez
changé de pécheur en saint. Je reconnais que je ne mérite
rien,
ou plutôt, en punition de
mon ingratitude, je mériterais de me voir dépouillé
de toutes les grâces qui
me sont venues du Seigneur par votre
entreprise ; heureusement, la Reine de miséricorde, ne va pas
cherchant des mérites, mais
des misères ; tout son désir est de scourir les nécessiteux
; et qui est plus
pauvre et plus nécessiteux
que moi ? O glorieuse Vierge, je sais que vous êtes la Reine du monde,
et
par conséquent ma Reine ;
je veux me consacrer à votre service d'une manière plus spéciale,
et vous
laisser disposer de moi comme il
vous plaît. Je vous dis donc avec saint Bonaventure : Gouvernez-moi,
ô ma Reine, et ne me laissez
pas à moi-même ; commandez-moi, employez-moi selon votre gré,
et
même châtiez-moim quand
je ne vous obéis point ; oh ! combien me seront salutaires les châtiments
de
votre main ! J'estime plus l'honneur
de vous servir que celui de commander à toute la terre. JE SUIS
A
VOUS, SAUVEZ-MOI. Recevez-moi au
nombre des vôtres, ô Marie, et, comme tel, pensez à
me sauver.
Non, je ne veux plus m'appartenir
à moi-même, je me donne à vous ! Et si dans le passé,
je vous ai mal
servie, ayant laissé échapper
tant d'occasions de vous honorer, je veux désormais m'unir à
vos
serviteurs les plus affectionnés
et les plus fidèles. Je ne veux pas qu'à partir de ce jour
personne vous
honore et vous aime plus que moi,
ô mon aimable Reine. Je vous le promets et cette promesse, j'espère
la tenir avec votre secours. Amen.
suite
des Gloires
de Marie de Saint Alphonse-Marie de Liguori