IV Marie est aussi la Mère des pécheurs repentants
La bienheureuse Vierge n'est pas
seulement la Mère des âmes justes et innocentes ; elle nourrit
encore,
comme elle le déclarait un
jour à sainte Brigitte, des sentiments tout maternels pour les pécheurs,
pour
ceux du moins qui sont résolus
de s'amender. Oh ! quand un pécheur veut changer de vie, vient se
jeter
aux pieds de Marie il trouve cette
bonne et miséricordieuse Mère bien plus empressée
à l'embrasser et à le
secourir, qu'aucune mère
selon la chair ! C'est ce qu'écrivait Grégoire VII à
la comtesse Mathilde, qu'il
engageait à en faire l'expérience.
Ainsi, quiconque aspire à
la dignité d'enfant de cette divine Mère, doit d'abord renoncer
au péché ; après
cela, il peut espérer d'être
bien reçu par elle. Sur ces paroles des Proverbes, appliquées
à la sainte Vierge :
Ses enfants se sont levés,
Richard de Saint-Laurent observe que le mot surrexerunt, "se sont levés",
est
placé dans le texte avant
les mots filii ejus, "ses enfants", pour faire entendre qu'on ne peut être
enfant
de Marie, si l'on ne songe d'abord
à sortir du péché. En effet, suivant la remarque de
saint Pierre
Chrysologue, ne pas marcher sur
les traces de ses parents, c'est les renier ; et celui qui dans sa conduite
se met en opposition avec Marie,
celui-là déclare en fait qu'il ne veut pas être son
enfant. Marie est
humble, Marie est pure, Marie est
charitable ; et lui, il est orgueilleux, il est adonné au vice,
il hait son
prochain : qu'est-ce à dire,
sinon qu'il répudie le nom d'enfant d'une Mère si sainte
? - Les enfants de
Marie, reprend Richard, sont ceux
qui tâchent de lui ressembler par la pratique des vertus, spécialement
de la chasteté, de l'humilité,
de la douceur, de la charité.
De quel front donc prétendrait-il
à la qualité d'enfant de Marie, celui qui, par les désordres
de sa vie,
l'abreuve de déplaisirs ?
Un pécheur la priait un jour et lui disait : " Montrez que vous
êtes ma Mère. - Et
toi, lui répondit-elle, montre
que tu es mon fils " Un autre l'ayant invoquée en l'appelant Mère
de
miséricorde, elle lui dit
: " Vous autres, pécheurs, quand vous voulez que je vous aide, vous
m'appelez
Mère de miséricorde
; et puis vous ne cessez, par vos péchés, de faire de moi
une Mère de misère et de
douleur ". Celui-là est maudit
de Dieu, qui afflige sa Mère, dit le Sage. Quelle est cette mère,
demande
Richard, sinon Marie ? Ainsi Dieu
maudit ceux qui par leur mauvaise vie, ou plutôt par leur obstination,
contristent le coeur de cette bonne
Mère.
J'ai dit : " par leur obstination
" ; car lorsqu'un pécheur, quoique non encore dégagé
des liens du péché,
s'efforce néanmoins d'en
sortir, et réclame pour cela le secours de Marie, cette tendre Mère
ne laisse pas
de lui venir en aide et de le faire
rentrer en grâce avec Dieu. C'est ce que Sainte Brigitte entendit
un jour
de la bouche de Jésus-Christ
même ; il disait, en s'adressant à sa mère : Vous prêtez
cotre appui à
quiconque désire sincèrement
revenir à Dieu, et jamais vous n'en laissez aucun sans consolation.
Ainsi,
quand le pécheur s'obstine,
Marie ne peut l'aimer, mais si, se trouvant retenu dans l'esclavage de
Satan
par quelque passion violente, il
se recommande du moins à la Sainte Vierge, et la prie avec confiance
et
persévérance de le
retirer du péché, sans aucun doute cette bonne Mère
étendra vers lui sa main
puissante, elle brisera ses chaînes,
et le remettra au chemin du salut.
C'est une hérésie condamnée
par le Concile de Trente, de prétendre que toutes les prières
et toutes les
oeuvres faites en état de
péché, sont des péchés. Bien que difforme,
faute d'être accompagnée de charité,
la prière du pécheur
ne laisse pas de lui être utile, dit Saint Bernard ; elle peut du
moins l'aider à sortir du
péché. C'est que,
selon l'enseignement de saint Thomas, toute dénuée qu'elle
est de mérite, elle conserve
néanmoins la vertu de lui
attirer la grâce du pardon ; parce que la force d'impétration
de la prière ne lui
vient pas des mérites de
celui qui pries, mais de la bonté divine et des mérites et
des promesses de
Jésus-Christ, qui nous a
dit : Quiconque demande, reçoit. Il n'en est pas autrement des prières
adressées
à la Mère de Dieu.
Si celui qui prie ne mérite pas d'être exaucé, il le
sera néanmoins, en vertu des mérites
de Marie à qui il se recommande.
Aussi, saint Bernard exhorte tous
les pécheurs à prier Marie, et à le faire avec une
grande confiance ; le
pécheur est, à la
vérité, indigne d'être exaucé dit-il ; mais
les mérites de Marie lui ont valu le privilège
d'obtenir aux pécheurs toutes
les grâces qu'elle sollicite de Dieu en leur faveur. Et en cela,
ajoute le même
saint, elle ne fait que s'acquitter
du devoir d'une bonne mère : une mère qui saurait ses deux
fils divisés
par une haine mortelle, au point
d'en vouloir aux jours l'un de l'autre, pourrait-elle faire moins de mettre
tout en oeuvre pour les réconcilier
? Eh bien ! Marie est la Mère de Jésus et la Mère
de l'homme ; quand
elle voit l'homme devenu par le
péché l'ennemi de Jésus-Christ, elle ne sait le souffrir,
elle ne néglige rien
en vue de rétablir la paix
entre eux.
Tout ce que cette Reine très
clémente exige du pécheur, c'est qu'il se recommande à
elle et ait l'intention
de se corriger. Lorsqu'elle voit
à ses pieds un coupable qui implore sa miséricorde, elle
ne regarde pas aux
péchés dont il est
chargé, mais seulement à l'intention qui l'amène :
eût-il commis tous les péchés du
monde, pourvu qu'il vienne avec
une bonne volonté, cette tendre Mère ne dédaigne pas
de l'embrasser et
de guérit toutes les plaies
de son âme ; car, non contente de porter le titre de Mère
de miséricorde, elle
prétend l'être en effet,
et elle se montre telle par l'amour plein de tendresse qu'elle déploie
en faveur des
misérables. Tout cela a été
dit expressément à sainte Brigitte par la Bienheurese Vierge
elle-même en ces
termes : " Si coupable que soit
un homme, s'il revient à moi touché d'un vrai repentir, je
suis prête à
l'accueillir sans retard ; et je
ne refuse point d'appliquer le remède à ses plaies et de
les guérir, car je
m'appelle et je suis réellement
la Mère de miséricorde. "
Marie est la Mère des pécheurs
qui veulent se convertir, et elle ne peut s'empêcher de s'apitoyer
sur eux ;
elle semble même ressentir,
comme s'ils lui étaient propres, les maux des ses propres enfants.
Lorsque la
Chananéenne vint supplier
le Sauveur de délivrer sa fille, elle lui dit : Ayez pitié
de moi, Seigneur, Fils de
David, ma fille est cruellement
tourmentée par le démon. - Mais puisque que ce n'était
pas elle, mais sa
fille, qui était en proie
aux tourments, ne semble-t-il pas qu'elle dût dire, non pas : " Ayez
pitié de moi ",
mais plutôt : " Ayez pitié
de ma fille " ? - Oh ! non, c'est avec raison qu'elle a dit : Ayez pitié
de moi,
parce que toutes les douleurs des
enfants sont ressenties par leurs mère comme des douleurs personnelles.
Et voilà précisément,
assure Richard de Saint-Laurent, comment parle Marie, quand, invoquée
par un
pécheur, elle le recommande
à Dieu : Seigneur, semble-t-elle lui dire, cette pauvre âme
en état de péché
est mon enfant ; ayez donc pitié,
non pas tant d'elle que de moi, qui suis sa Mère.
Ah ! plût à Dieu que
tous les pécheurs eussent recours à cette douce Mère
! assurément tous
obtiendraient le pardon. - O Marie,
s'écrie tout émerveillé saint Bonaventure, vous recevez
dans vos bras
maternels le pécheur méprisé
de tout le monde, et vous ne l'abandonnez point que vous ne l'ayez
réconcilié avec son
Juge. La pensée du saint est que l'homme en état de péché
est haï et repoussé de tous
les êtres ; il ne l'est pas
jusqu'aux créatures inanimées, le feu, l'air, la terre, qui
ne voulussent le châtier et
venger sur lui l'honneur de leur
Maître outragé. Mais, si ce malheureux a recours à
Marie, le
repossera-t-elle ainsi ? Non, certes
; s'il vient dans le but d'être aidé à se corriger,
elle l'embrasse avec la
tendresse d'une mère, et
fait si bien, par sa puissante intercession, qu'elle le remet dans la grâce
de Dieu.
Le second livre des Rois nous a conservé
le discours adressé à David par le sage Thécuite :
" Seigneur,
j'avais deux fils ; pour mon malheur,
l'un des deux a tué l'autre, en sorte que j'ai déjà
perdu un de mes fils
; or, la justice veut maintenant
m'enlever mon autre fils, le seul qui me reste. Ayez pitié d'une
pauvre
mère ; faites que je ne demeure
pas privée à la fois de mes deux enfants ". - David eut compassion
de
cette mère affligée,
et lui accorda la grâce du coupable. Tel est, ce semble, le langage
que Marie tient à
Dieu, quand elle le voit irrité
contre un pécheur qui se recommande à elle : Mon Dieu, lui
dit-elle, j'avais
deux fils, Jésus et l'homme
; l'homme a fait mourir mon Jésus sur la croix, et maintenant votre
justice
veut condamner l'homme. Seigneur,
mon Jésus est mort, ayez compassion de moi ; et, si j'ai perdu l'un
de mes fils, ne me faites pas perdre
encore l'autre.
Oh ! non, assurément, Dieu
ne condamne pas les pécheurs qui recourent à Marie, et pour
qui elle
intercède, puisqu'il l'a
lui-même chargée de veiller sur eux comme sur ses enfants.
Voici comment le
dévot Lansperge fait parler
le Seigneur : J'ai recommandé les pécheurs à Marie
en les lui donnant pour
enfants ; aussi, dans sa sollicitude
à remplir son devoir de Mère, elle ne veut pas qu'aucun de
ceux qui lui
sont confiés, surtout s'ils
l'invoquent, vienne à périr, et elle s'efforce autant qu'il
est en elle, de me les
ramener tous. - Et Louis de Blois
dit à son tour : Il n'est pas de termes pour exprimer la bonté,
la
miséricorde, la fidélité
et la charité avec lesquelles notre Mère Marie cherche à
nous sauver, quand nous
l'appelons à notre secours.
Prosternons-nous donc devant cette
bonne Mère conclut saint Bernard, embrassons ses pieds sacrés,
et
ne la quittons pas qu'elle ne nous
ait bénis et acceptés pour ses enfants. Et qui pourrait douter
de sa
tendresse maternelle ? Quand même
elle me donnerait la mort, dit un auteur, je ne cesserais point
d'espérer en elle ; plein
de cette confiance, je désire mourir auprès de son image,
car, si j'ai ce bonheur, je
serai sauvé. Tout pécheur
qui recourt à cette Mère compatissante, doit donc lui dire
aussi :
Ma Souveraine et ma Mère,
je suis un pécheur, je mérite que vous me chassiez de votre
présence et me
traitiez en toute rigueur de justice
; néanmoins, quand même vous me rebuteriez, quand même
vous me
donneriez la mort, je ne cesserai
jamais d'avoir la confiance que vous me sauverez. Oui, je mets toute ma
confiance en vous ; que j'aie seulement
le bonheur de mourir devant une de vos images, en me
recommandant à votre miséricorde,
et je suis assuré de ne point me perdre, mais d'aller vous louer
dans le
ciel en compagnie de vos nombreux
serviteurs, qui, vous ayant invoquée au moment de la mort, on tous
été sauvés
par votre puissante intercession.
En lisant l'exemple suivant, on verra
si jamais aucun pécheur peut douter de la miséricorde et
de la
tendresse maternelle de Marie, lorsqu'il
réclame sa protection :
EXEMPLE
Vincent de Beauvais raconte que,
dans une ville d'Angleterre, un jeune homme de sang noble, nommé
Ernest, avait donné aux pauvres
tout son patrimoine, et était entré dans un monastère,
où il avait bientôt
conquis l'estime de ses supérieurs
par une vie très parfaite et spécialement par sa grande dévotion
à la
Sainte Vierge. Survint une peste
qui obligea les habitants de la ville à s'adresser aux moines et
à réclamer
le secours de leurs prières.
L'abbé commanda à Ernest d'aller se mettre en prières
devant l'autel de Marie,
et de ne pas se retirer que la Reine
du ciel ne lui eût donné une réponse. Au bout de trois
jours, Marie lui
indiqua certaines prières
que l'on devait réciter ; on le fit, et le fléau cessa. Or,
il advint qu'Ernest s'étant
ensuite refroidi dans sa dévotion
à Notre-Dame, se vit assailli de fréquentes tentations, principalement
contre la pureté ; le démon
lui suggéra même l'idée de sortir du monastère
; et, faute de s'être
recommandé à Marie,
le malheureux en vint à former le projet de s'enfuir en escaladant
le mur de clôture.
Comme donc il passait dans un corridor
vis-à-vis d'une image de Marie, il entendit la Mère de Dieu
qui lui
disait : " Mon fils, pourquoi me
quittes-tu ? " A ces mots, Ernest, interdit et confus, tomba par terre
et
répondit : " Mais Vierge
sainte, ne voyez-vous pas que je ne puis plus résister ? pourquoi
ne venez-vous
pas à mon secours ? " La
bonne Mère reprit : " Et toi, pourquoi ne m'as-tu pas invoquée
? Si tu n'avais
pas négligé de te
recommander à moi, tu n'en serais pas venu là. A l'avenir,
invoque-moi dans le péril, et
ne crains rien. ". Le jeune homme
retourna à sa cellule ; mais, les tentations revenant à la
charge, il
négligea, comme par le passé
de se recommander à Marie, et il finit par s'enfuir du couvent.
Dès lors, il se livra à
une vie criminelle, et, de péché en péché,
il en vint jusqu'à louer une auberge pour y
assassiner de nuit les voyageurs
et s'emparer de leurs dépouilles. Il égorgea ainsi entre
autres le cousin du
gouverneur de l'endroit. Celui-ci
lui fit son procès et, sur les indices qu'il put recueillir, il
le condamna à la
potence. Mais, pendant que le procès
s'instruisait, arriva à l'auberge un jeune cavalier, et aussitôt
le
scélérat de songer
à le traiter, comme d'ordinaire il traitait ses hôtes. Il
entre la nuit dans la chambre de
l'étranger pour l'assassiner,
et que voit-il ? Au lieu du cavalier, il voit sur le lit un crucifix tout
couvert de
plaies, qui, le regardant avec bonté,
lui dit : " Ne te suffit-il pas, ingrat, que je sois mort une fois pour
toi ?
veux-tu de nouveau m'oter la vie
? eh bien ! lève le bras, et tue-moi ! ". Tout hors de lui-même,
à cette
vue, Ernest fond en larmes : " Seigneur,
s'écrie-t-il en sanglotant, je me rends à vous ; puisque
vous
daignez me faire miséricorde,
je veux me convertir. "
Il quitte aussitôt l'auberge
et se dirige vers son monastère pour y faire pénitence ;
mais, rencontré en
chemin par les ministres de la justice,
il est saisi et mené au juge ; il avoue tous ses forfaits ; on le
condamne à la corde, on ne
lui donne pas même le temps de se confesser. Pendant qu'on le traînait
au
supplice, il se recommanda à
Marie ; elle lui conserva la vie, le détacha elle-même de
la potence et lui dit :
" Retournes au couvent, fait pénitence
; et, quand tu me verras à la main la sentence du pardon de tes
péchés, prépare-toi
à la mort :. Ernest rentra au monastère, raconta le tout
à l'abbé, et fit une rigoureuse
pénitence. Plusieurs années
après, il vit Marie tenant à la main l'acte de son pardon
; aussitôt, il se prépara
à la mort, et il mourut saintement.
PRIÈRE
O ma Souveraine, digne Mère
de mon Dieu, très sainte Vierge, en me voyant si méprisable
et si
souillé, je ne devrais pas
oser m'approcher de vous et vous appeler ma Mère ; mais je ne veux
pas que
mes misère me privent de
la consolation et de la confiance dont je suis pénétré
en vous donnant ce
doux nom. J'ai mérité,
il est vrai, que vous me repoussiez ; mais je vous prie de considérer
ce qu'a fait
et souffert pour moi votre divin
Fils, Jésus ; et puis, repoussez-moi si vous le pouvez. Je suis
un
misérable pécheur
; plus que les autres, j'ai outragé la Majesté divine ; mais
le mal est fait ; j'ai
recours à vous, vous pouvez
me secourir ; ô ma Mère, venez à mon aide.
Ne me dites pas que vous ne pouvez
m'aider ; car je sais que vous êtes toute-puissante, vous obtenez
de
votre Dieu tout ce que vous désirez.
Et si vous me répondez que vous ne voulez pas me secourir,
dites-moi du moins à qui
je dois m'adresser pour être soulagé dans mon excessive détresse.
Souffrez
qu'avec saint Anselme, je vous dise,
à vous et à votre divin Fils : Ou bien ayez pitié
de moi, vous mon
Rédempteur, en me pardonnant
et vous ma Mère, en intercédant pour moi ; ou apprenez-moi
à qui je
dois recourir, montrez-moi en qui
je puis trouver plus de miséricorde et avoir plus de confiance.
Ah !
certes, je ne saurais trouver personne,
ni sur la terre, ni dans le ciel, qui ait plus que vous compassion
des malheureux, et qui puisse mieux
me secourir. Vous, Jésus, vous êtes mon Père ; et vous,
Marie,
vous êtes ma Mère.
Vous aimez jusqu'aux plus misérables, et vous allez les chercher
pour les sauver. Je
suis un coupable digne de l'enfer,
le plus misérable de tous les pécheurs ; mais vous n'avez
pas besoin
d'aller me chercher, et je ne prétends
pas que vous le fassiez : je me présente à vous dans la ferme
espérance que vous ne m'abandonnerez
pas. Me voici à vos pieds : mon Jésus, pardonnez-moi ; Marie,
ma Mère, secourez-moi.
CHAPITRE II
Vita, dulcedo.
Notre vie, notre douceur.
MARIE, NOTRE VIE, NOTRE DOUCEUR
I Marie est notre vie, parce qu'elle nous obtient le pardon de nos péchés.
L'Église veut que nous appelions
Marie notre Vie. Pour bien comprendre ce titre, il faut savoir que,
comme l'âme donne la vie au
corps, ainsi la grâce de Dieu donne la vie à l'âme ;
car, sans la grâce, l'âme
peut paraître vivante, mais
en réalité elle est morte, selon ce qui est dit dans l'Apocalypse.
Ainsi Marie
rend la vie aux pécheurs,
quand, par son intercession, elle leur obtient de rentrer en grâce
avec Dieu.
L'Église applique à
Marie et lui met dans la bouche les paroles suivantes du livre des Proverbes
; Ceux
qui sont diligents à recourir
à moi dès le matin, c'est-à-dire, aussitôt qu'ils
le peuvent, me trouveront
certainement. Au lieu de : Me trouveront,
on lit dans la version de Septante : Trouveront la grâce de
Dieu. - Un peu plus loin, il est
dit : Celui qui m'aura trouvée, trouvera la vie, et recevra de Dieu
le salut
éternel. - Écoutez,
s'écrie là-dessus saint Bonaventure : honorez Marie, et vous
aurez la vie et le salut.
Au dire de saint Bernardin de Sienne,
ce qui empêcha Dieu d'anéantir l'humanité après
le péché originel,
ce fut son amour de prédilection
pour cette Fille bénie qui devait naître d'Adam. Le saint
ne doute
nullement que toutes les miséricordes
et toutes les grâces reçues par les pécheurs sous l'ancienne
loi, ne
leur aient été accordées
à la seule considération de cette bienheureuse Vierge.
Elle est donc bien fondée,
cette exhortation de saint Bernard : " Cherchons la grâce, et cherchons-la
par
l'intermédiaire de Marie
". Oui, si nous sommes assez malheureux pour avoir perdu la grâce
de Dieu,
cherchons-la ; et, afin de la recouvrer
sûrement, adressons-nous à Marie ; car, si nous avons perdu
cette
perle précieuse, Marie l'a
retrouvée ; et de là le nom d'inventrice de la grâce,
que lui donne le même saint.
Et n'est-ce pas là la vérité
si consolante pour nous qu'exprimait l'ange Gabriel, quand il disait à
la Vierge :
Ne craignez point, Marie, car vous
avez trouvé la grâce. Mais, puisque Marie n'avait jamais été
privée
de la grâce, comment le saint
archange pouvait-il dire qu'elle l'avait trouvée ? La vierge Immaculée
fut
toujours unie à Dieu, toujours
ornée de la grâce, ou plutôt toujours pleine de grâce,
comme l'archange le
fit connaître au monde, quand
il la salua en ces termes : Je vous salue, pleine de grâce, le Seigneur
est
avec vous. Ce n'est donc pas pour
elle-même que Marie a trouvé la grâce dont elle fut
toujours remplie ;
pour qui donc ? Pour ceux qui l'avaient
perdue, pour les pécheurs, répond le cardinal Hugues ; et,
commentant les paroles de saint
Gabriel, le pieux auteur ajoute : Qu'ils courent donc à Marie, les
pécheurs
qui ont perdu la grâce, et
ils la trouveront sans faute auprès d'elle ; qu'ils lui disent avec
assurance :
Auguste Dame, une chose trouvée
doit être restituée à qui l'a perdue ; vous devez donc
nous rendre la
grâce. Richard de Saint-Laurent
développe la même pensée et conclut ainsi : Si donc
nous désirons
trouver la grâce du Seigneur,
allons à Marie, qui l'a trouvée et qui la trouve toujours
; comme elle fut et
sera toujours chère à
Dieu, notre confiance en elle ne saurait être frustrée.
La sainte Vierge dit dans les Cantiques,
que Dieu l'a placée en ce monde pour être notre défense,
et qu'il
l'a établie Médiatrice
de paix entre lui et les pécheurs : " Je suis un mur et mon sein
est un asile assuré
comme une forte tour, depuis qu'il
m'a faite entremetteuse de la paix. " Saint Bernard s'appuie sur ces
paroles pour relever le courage
du pécheur : Va, dit-il, va, pauvre pécheur, à cette
Mère de miséricorde,
et montre-lui les plaies que tes
fautes ont laissées dans ton âme ; elle ne manquera pas de
solliciter ton
pardon auprès de son divin
Fils, en lui rappelant qu'elle l'a nourri de son lait ; et ce Fils qui
l'aime si
tendrement, ne manquera pas de l'exaucer.
- Et la sainte Église elle-même nous met sur les lèvres
une
oraison où elle prie le Seigneur
de nous accorder la faveur d'être aidés par la puissance secourable
des
prières de Marie à
sortir du péché : " O Dieu miséricordieux, venez en
aide à notre fragilité, afin que,
célébrant la mémoire
de la sainte Mère de Dieu, nous puissions avec l'appui de son intercession,
nous
relever de nos iniquités.
Ainsi donc saint Laurent Justinen
a raison d'appeler Marie l'Espérance des coupables, puisque seule
elle
leur obtient de Dieu le pardon de
leurs fautes. Saint Bernard fait bien de lui décerner le titre d'Échelle
des
pécheurs, puisque cette Reine
compatissante leur tend une main secourable, les retire de l'abîme
où ils
sont misérablement tombés,
et les fait remonter à Dieu. Et saint Augustin n'a pas tort de la
proclamer
notre unique Espérance, puisque
c'est par elle seule que nous espérons la rémission de tous
nos péchés.
Saint Jean Chrysostôme ne
parle pas autrement que l'illustre évêque d'Hippone : " Par
elle, dit-il, nous
obtenons le pardon de nos péchés
". Et, plein de confiance en sa médiation, il lui adresse cette
prière au
nom de tous les pécheurs
: Nous vous saluons, ô Mère de Dieu et notre Mère,
Ciel où Dieu réside, Trône
du haut duquel le Seigneur dispense
toutes ses grâces ! priez sans cesse Jésus pour nous, afin
que, par
votre entremise, nous puissions
trouver miséricorde au jour du jugement, et partager la gloire des
élus
dans l'éternité.
C'est avec raison, enfin, comme le
remarque Innocent III, que Marie est comparée à l'aurore
dans ce
passage du Cantique : Quelle est
celle-ci qui s'avance comme une aurore naissante ? Car la naissance de
Marie mit fin au règne des
cives, comme l'aurore met fin aux ombres de la nuit. Ainsi parle ce pontife.
Or, le changement opéré
autrefois dans le monde par cette bienheureuse naissance, se reproduit
dans
toute âme où naît
la dévotion à Marie : elle en bannit les ténèbres
du péché et guide ses pas dans la voie
des vertus. De là l'exclamation
de saint Germain : " O Mère de Dieu, votre protection nous donne
l'immortalité ; votre intercession,
c'est la vie. " Le même saint assure que le nom de Marie, dans la
bouche de celui qui le prononce
avec affection, est le signe de la vie, ou du moins le présage d'un
prompt
retour à la vie.
Sur les paroles du Cantique de Marie
: Voici qu'à parti de ce moment toutes les nations m'appelleront
bienheureuse, saint Bernard s'écrie
: Oui, ô ma Souveraine, vous serez proclamée bienheureuse
par tous
les hommes, parce que votre intercession
assure à tous vos serviteurs la vie de la grâce et la gloire
céleste.
En vous les pécheurs trouvent
le pardon, les justes la persévRrance, et ensuite la vie éternelle.
- Ne perds
donc pas confiance, ô pécheur,
dit le pieux Bernardin de Bustis ; ne te décourage point, quand
même tu
te serais souillé de toutes
les iniquités, mais recours avec assurance à cette glorieuse
Reine ; tu la
trouveras toujours les mains pleine
de miséricorde, et plus désireuse de te combler de ses dons,
que
toi-même de les recevoir.
Un titre encore qui convient à
Marie, selon saint André de Crète, c'est celui de Caution
ou de Gage de
notre réconciliation avec
Dieu. Et, en effet, quand les pécheurs s'adressent à Marie,
pour être réconciliés
avec Dieu, non content de leur promettre
leur pardon, Dieu leur en donne même un gage ; et ce gage
n'est autre que Marie elle-même
qu'il nous a donnée pour Avocate : tout pécheur qui se réfugie
auprès
d'elle, obtient par son entremise
le pardon de ses fautes en vertu des mérites de Jésus-Christ.
D'après la
révélation faite par
un ange à sainte Brigitte, les prophètes étaient ravis
de joie dans la prévision que,
fléchi par l'humilité
et la pureté de Marie, Dieu allait faire grâce aux pécheurs,
et recevoir dans son amitié
ceux qui auraient provoqué
sa colère.
Aucun pécheur ne doit jamais
craindre d'être repoussé par Marie, quand il implore sa pitié
; non, car elle
est une Mère de miséricorde,
et, à ce titre, elle désire sauver les plus misérables.
Marie est pour nous une
Arche du salut, dit saint Bernard
; quiconque s'y réfugie, échappera au naufrage de la damnation
éternelle.
Dans l'arche de Noé les brutes
même furent à couvert des eaux du déluge ; sous le
manteau de Marie, les
pécheurs même trouvent
le salut. Sainte Gertrude vit un jour cette clémente Reine qui tenait
son manteau
ouvert : une multitude de lions,
d'ours, de tigres et d'autres bêtes féroces, s'y étaient
réfugiés ; et, bien loin
de les chasser, Marie les retenait
autour d'elle et les caressait doucement. Cet emblême apprit à
la sainte
que Marie ne repousse pas les pécheurs,
si enfoncés soient-ils dans la fange du vice, mais qu'elle les
accueuille avec tendresse et les
met à l'abri de la mort éternelle. Entrons donc dans cette
Arche, courons
nous réfugier sous le manteau
de Marie ; elle se gardera bien de nous rejeter, elle nous sauvera
infailliblement.
EXEMPLE
Le père Bovio raconte l'admirable
conversion d'une femme de mauvaise vie nommée Hélène.
Étant
entrée un jour sans intention
dans une église, et y ayant entendu un sermon sur la dévotion
du Rosaire,
elle avait fait l'emplette d'un
chapelet en retournant chez elle ; mais le tenait caché par respect
humain.
Elle se mit néanmoins à
le réciter ; et, quoique ce fût d'abord sans décotion,
la très sainte Vierge lui fit
goûter tant de consolations
et de douceurs dans cet exercice, qu'elle ne pouvait plus s'en détacher.
Elle
conçut en même temps
une vive horreur de ses désordres, au point d'un predre le repos,
et elle se vit ainsi
comme forcée d'aller se confesser
; ce qu'elle fit avec tant de contrition, que le confesseur en était
étonné.
Après sa confession, elle
alla se prosterner au pied d'un autel de Marie, pour remercier son Avocate
; elle
y récita le Rosaire, et la
Mère de Dieu, faisant parler la statue, lui dit : " Hélène,
tu assez offensé Dieu et
moi ; désormais change de
conduite et tu auras une bonne part dans mes faveurs ". La pauvre pécheresse
toute confuse, répondit :
" Ah ! Vierge sainte, il est vrai que jusqu'ici j'ai été
une scélérate, mais vous qui
pouvez tout, aidez-moi ; je me donne
à vous, et je veux employer le reste de ma vie à faire pénitence
de
mes péchés."
Avec le secours de Marie, Hélène
distribua aux pauvres tout ce qu'elle possédait, et se livra à
une
pénitence rigoureuse. Elle
éprouva de terribles tentations, mais, sans faire autre chose que
de se
recommander à la Mère
de Dieu, elle remportait toujours la victoire. Elle alla jusqu'à
recevoir beaucoup
de grâces surnaturelles, telles
que visions, révélations, don de prophétie. Enfin,
à sa mort, qui lui fut
annoncée par Marie plusieurs
jours d'avance, la bienheureuse Vierge vint la visiter elle-même
avec son
divin Fils ; et, lorsque cette pécheresse
expira, on vit son âme, sous la forme d'une belle colombe,
s'envoler aux cieux.
PRIÈRE
Voici, ô Mère de mon
Dieu, mon unique espérance, Marie ! voici à vos pieds un
malheureux pécheur
qui implore votre pitié.
Toute l'Église et tous les fidèles vous proclament le Refuge
des pécheurs ; vous
êtes donc mon refuge, c'est
à vous de me sauver. Vous savez, vous dirai-je avec Guillaume de
Paris,
combien votre divin Fils désire
notre salut. Vous savez ce que Jésus-Christ a souffert pour me sauver
;
ô ma Mère, je vous
présente les souffrances de Jésus : le froid qu'il endura
dans l'étable de Bethléem,
les pas qu'il fit dans le voyage
d'Égypte, ses fatigues, ses sueurs, le sang qu'il répandit,
la douleur qui
le fit expirer à vos yeux
sur la croix. Montrez, en me secourant, que vous aimez ce Fils adorable,
puisque c'est au nom de votre amour
pour lui que je vous prie de me secourir. Tendez la main à un
malheureux qui est tombé,
et qui vous supplie d'avoir pitié de lui.
Si j'étais un saint, je ne
vous demanderais pas miséricorde ; mais parce que je suis un pécheur,
j'ai
recours à vous, qui êtes
la Mère des miséricordes. Je sais que votre coeur compatissant
trouve sa
consolation à aider les misérables,
quand leur obstination ne vous empêche pas de les aider ; consolez
donc votre coeur compatissant et
consolez-moi, aujourd'hui que vous avez occasion de sauver un
malheureux condamné à
l'enfer, aujourd'hui que vous pouvez m'aider, puisque je ne veux pas être
obstiné. Je me remets entre
vos mains : dites-moi ce que j'ai à faire, et obtenez-moi la force
de
l'exécuter ; je suis résolu
de faire tout ce qui est en mon pouvoir, pour rentrer dans l'amitié
de Dieu.
Je me réfugie sous votre manteau
; Jésus veut que j'aie recours à vous ; il veut que, pour
votre gloire et
pour la sienne, puisque vous êtes
ma Mère, je sois redevable de mon salut, non seulement à
son sang,
mais encore à vos prières.
C'est lui qui m'envoie auprès de vous, pour que vous me secouriez.
O
Marie, me voici, je recours à
vous, et je mets en vous ma confiance ; vous qui priez pour tant d'autres,
priez aussi, dites au moins une
parole pour moi ; dites à Dieu que vous voulez mon salut, et Dieu
me
sauvera certainement ; dites-lui
que je suis à vous, je ne vous demande pas autres chose.
suite
des Gloires
de Marie de Saint Alphonse-Marie de Liguori