CHAPITRE VIII
Et Jesum benedictum Fructum ventris tui, nobis post hoc exilium ostende.
Et après cet exil, montrez-nous Jésus, le fruit béni de vos entrailles.
MARIE, NOTRE SALUT
I
Marie préserve de l'enfer ceux qui l'honorent
Il est impossible qu'un serviteur
de Marie se damne, pourvu qu'il la serve fidèlement et qu'il se
recommende à elle. - A première vue,
cette proposition paraîtra
peut-être à quelques-uns bien hasardée ; mais je le
prierai de ne pas la condamner, avant d'avoir lu les
éclaircissements que je vais
y donner.
Quand nous disons qu'il est impossible
qu'un serviteur de la sainte Vierge se damne, cela ne s'étend point
de ceux qui se prévalent de
leur dévotion pour pécher
avec plus de sécurité. C'est donc bien à tort, ce
nous semble, que l'on nous blâme de tant exalter la
miséricorde de Marie envers
les pécheurs, sous prétexte que ces malheureux s'en autorisent
pour pécher plus librement ; car nous
disons que de tels présomptueux,
par leur téméraire confiance, se rendent dignes de châtiment,
et non de miséricorde. Ainsi, les
pécheurs, dont il est ici
question, sont ceux qui, au désir de s'amender, joignent la fidélité
à servir et à invoquer la Mère de Dieu. Pour
ceux-ci, je le soutiens, il est
moralement impossible qu'ils se perdent ; et je trouve que ce sentiment
est aussi celui du Père Crasset, et,
avant lui , de Vega, de Mendoza,
ainsi que d'autres théologiens. Mais, pour nous assurer qu'ils n'ont
point parlé au hasard, voyons quel
est sur ce point l'enseignement
des docteurs et des saints. Que l'on ne s'étonne pas, si plusieurs
de mes citations sont uniformes ; j'ai
voulu les enregistrer toutes, afin
de démontrer combien les auteurs sont d'accord sur cette question.
Selon saint Anselme, autant il est
impossible que celui-là se sauve, qui, faute de dévotion
envers Marie, n'est pas protégé par elle ;
autant il est impossible que celui-là
se damne, qui se recommande à la Vierge, et sur qui elle abaisse
ses regards avec amour. Saint
Antonin exprime la même chose
presque dans les mêmes termes, et va jusqu'à dire que les
dévots serviteurs de Marie se sauvent
nécessairement. " Comme il
est impossible, écrit-il, que ceux dont Marie détourne les
yeux de sa miséricorce, parviennent au bonheur
céleste ; ainsi ceux vers
qui elle tourne ses regards et dont elle plaide la cause, seront nécessairement
justifiés et glorifiés."
On remarquera d'abors la première
partie de cette proposition, et ceux-là trembleront, qui font peu
de cas de la dévotion à la Mère de
Dieu, ou qui l'abandonnent par négligence.
Les deux saints nous assurent qu'il est impossible de se sauver, quand
on n'est point
protégé par Marie.
- Et ils ne sont pas les seuls à l'affirmer ; écoutons le
bienheureux Albert le Grand : " Ceux qui ne sont pas vos
serviteurs, ô Marie, périront
tous". Écoutons saint Bonaventure : " Celui qui néglige le
service de Marie, mourra dans son péché. Non,
celui qui ne recourt point à
vous en cette vie, ô Vierge sainte, n'entrera point en paradis ".
- Et dans un autre endroit, le séraphique
docteur va plus loin : Non seulement,
dit-il, ceux-là ne se sauveront point dont Marie détourne
sa face, " mais il ne leur restera même
aucun espoir de salut ". Et, longtemps
avant lui, saint Ignace Martyr affirmait pareillement qu'aucun pécheur
ne peut se sauver, si ce
n'est par le secours de cette glorieuse
Vierge, dont la miséricordieuse intercession en sauve un grande
nombre qui, selon les lois de la
justice divine, seraient damnés.
Quelques-uns font difficulté d'admettre que cette pensée
soit de saint Ignace ; mais au moins, dit le
père Crassetm saint Jean
Chrysostome se l'est appropriée. Elle se trouve aussi répétée
par l'abbé Celles. Et l'Église applique dans le
même sens à Marie ces
paroles des Proverbes : Tous ceux qui ne m'aiment point, aiment la mort
éternelle ; - car, comme l'observe
Richard sur un autre passage où
Marie est comparée à un vaisseau, " la mer de ce monde engloutira
tous ceux qui se trouveront hors
de ce navire sacré ". - Enfin,
l'hérétique Écolampade lui-même regardait comme
un signe certain de réprobation le peu de dévotion
envers la Mère de Dieu ;
aussi protestait-il que jamais il ne se rendrait coupable d'une marque
de mépris envers elle.
D'un autre côté, la
bienheureuse Vierge nous parle en ces termes : Celui qui m'écoute
ne sera point confondu ; celui qui a recours à
moi et qui suit mes conseils, ne
se perdra point. Celui donc, s'écrie saint Bonaventure, qui s'attachera
à votre service, celui-là, ô grande
Reine, sera bien loin de se damner
! Non, ajoute saint Hilaire, un serviteur de Marie ne périra pas,
eût-il été dans le passé le plus grand
des pécheurs.
Voilà pourquoi le démon
fait tant d'efforts auprès des pécheurs, afin qu'après
avoir perdu la grâce de Dieu, ils perdent encore la
dévotion à Marie.
Ayant remarqué qu'Ismaël, en jouant avec Isaac, lui faisait
contracter de mauvaises habitudes, Sara voulut
qu'Abraham le congédiât,
et avec lui sa mère Agar : Chassez, lui dit-elle, cette servante
et son fils. Ce n'était point assez pour elle que le
fils fût éloigné,
si la mère n'était point renvoyée en même temps
; elle pensait bien qu'autrement, le fils continuerait de fréquenter
la
maison, ne fût-ce qu'en venant
voir sa mère. De même, c'est peu pour le démon que
Jésus soit expulsé d'une âme : pour le contenter,
il faut qu'elle bannisse aussi la
Mère de Jésus : Chasse, dit-il lui aussi, cette servante
avec son fils. Car il craint que la Mère ne ramène
le Fils par son intercession. Or,
sa crainte est fondée ; car, selon le docte Père Paciucchelli,
" un pécheur fidèle à honorer la Mère de
Dieu ne peut guère tarder
à rentrer, grâce à elle, en possession de Dieu même
".
C'est donc à bon droit que
saint Ephrem appelait la dévotion à Marie " un sauf-conduit
" pour éviter l'enfer ; et qu'il proclamait Marie
elle-même " la protectrice
des réprouvés ". En effet, on ne saurait révoquer
en doute le mot de saint Bernard, que " ni la puissance ni la
volonté de nous sauver ne
peuvent faire défaut à cette divine Mère ". La puissance
ne lui fait pas défaut, puisque, au témoignage de
saint Antonin, il est impossible
que ses prières soient rejetées. Saint Bernard affirme la
même chose : " Ses prières, dit-il, ne peuvent
jamais rester sans effet ", elle
obtient tout ce qu'elle demande. Serait-ce la volonté de nous sauver
qui manquerait à Marie ? Pas
davantage ; elle est notre Mère,
et désire notre salut plus ardemment que nous-mêmes. Si donc
tout cela est vrai, comment un
serviteur de Maire pourrait-il se
perdre ? C'est un pécheur, dira-t-on ; mais si, avec fidélité
et désir de s'amender, il se recommande à
cette bonne Mère, elle se
chargera de lui procurer les lumières nécessaires pour sortir
de son mauvais état, le repentir de ses fautes, la
persévérance dans
le bien, et enfin une bonne mort. Est-il une mère qui, pouvant arracher
son fils à la mort en toute facilité, et en
demandant seulement sa grâce
au juge, ne le ferait pas ? De toutes les mères, Marie est la plus
tendre à l'égard de ses serviteurs
dévoués ; et elle
ne délivrerait pas un de ses enfants de la mort éternelle,
alors qu'elle le peut sans aucune difficulté ? pourrions-nous le
penser ?
Ah ! pieux lecteur, si nous trouvons
en nous l'affection et la confiance à l'égard de la Reine
du ciel, remercions-en le Seigneur qui nous
as fait cette grâce, car,
selon saint Jean de Damas, il ne l'accorde qu'à ceux qu'il veut
voir sauvés. Voici les belles paroles par
lesquelles ce grand saint ranime
son espérance et la nôtre : " O Mère de Dieu, si je
mets ma confiance en vous, je serai sauvé ; si vous
daignez me protéger, je n'ai
rien à craindre, car quiconque vous est dévoué, est
par là même muni d'une armure qui lui assure la
victoire, et que Dieu accorde à
ceux-là seuls dont il veut le salut ". De là, cette belle
exclamation du savant Erasme : " Salut, ô vous la
terreur de l'enfer et l'espérance
des chrétiens ! autant vous êtes grande et puissante, autant
est assurée notre confiance en vous ".
Oh ! combien il déplaît
au démon de voir une âme persévérer dans la
dévotion à la Mère de Dieu ! On lit dans la vie du
Père Alphonse
Alvarez, grand serviteur de Marie,
que, comme il était un jour en oraison et se sentait tourmenté
par des tentations impures, le démon
lui dit : " Laisse là ta
dévotion à Marie, et je cesserai de te tenter ".
Le Seigneur a révélé
à sainte Catherine de Sienne, comme le rapporte Louis de Blois,
que, dans sa miséricorde et pour l'amour de son
Fils unique dont Marie est la Mère,
il a promis à la bienheureuse Vierge qu'aucun pécheur ne
deviendra la proie de l'enfer, s'il se
recommande à elle avec ferveur.
Le prophète David lui-même
priait Dieu de le préserver de l'enfer en considération de
son zèle pour l'honneur de Marie : Seigneur, j'ai
aimé la gloire de votre maison
... ; ne souffrez pas mon Dieu, que mon âme soit perdue et reléguée
parmi les impies. Il appelle Marie
la maison du Seigneur, parce qu'elle
est bien véritablement la demeure qu'il s'est bâtie lui-même
pour y venir habiter et y prendre son
repos lors de son Incarnation, selon
ce qui se lit au livre des Proverbes : La sagesse s'est bâti une
maison.
" Assurément non, disait le
saint Martyr Ignace, celui-là ne périra point, qui s'appliquera
à honorer la Vierge mère ". Et cette pensée est
encore appuyée par saint
Bonaventure, qui s'exprime ainsi : " Elle est grande, ô ma Souveraine,
la paix dont jouissent en cette vie ceux
qui vous aiment ; et, dans l'autre
vie, ils ne connaîtront pas la mort éternelle ". - Il n'est
jamais arrivé, nous assure le pieux Louis de
Blois, qu'un humble et zélé
serviteur de Marie se soit perdu ; cela n'arrivera jamais.
Ah ! combien de pécheurs eussent
été condamnés à jamais, ou seraient restés
dans l'obstination, si Marie n'était intervenue auprès de
son divin Fils, pour leur obtenir
miséricorde ! Ainsi parle Thomas a Kempis. Il y a plus. Au sentiment
de beaucoup de théologiens, et
notamment de saint Thomas, la Mère
de Dieu a obtenu à bien des personnes mortes en péché
mortel, que leur sentence fût suspendue,
et qu'elles revinssent à
la vie pour faire pénitence.
Entre autres exemples cités
par de graves auteurs, Flodoard, qui évrivait au Xe siècle,
raconte celui d'un diacre de Verdun nommé
Adelmar, que déjà
on croyait mort et qu'on allait ensevelir, quand il se ranima et déclara
avoir vu en enfer le cachot qui lui était destiné
; mais, ajouta-t-il, grâce
aux prières de la bienheureuse Vierge, Dieu l'avait renvoyé
dans le monde pour y faire pénitence. Au rapport
de Surius, un romain du nom d'André,
était mort dans l'impénitence, et Marie lui obtint également
la faveur de revivre pour pouvoir
mériter le pardon de ses
péchés.
Personne ne doit avoir la témérité
de s'autoriser de ces exemples ou d'autres semblables pour vivre dans le
péché sous prétexte que,
quand même il viendrait à
mourir en mauvais état, Marie le préserverait de l'enfer.
Car, s'il y aurait folie à se jeter dans un puits, avec
l'espoir d'échapper à
la mort par les soins de Marie, comme il est arrivé à quelques-uns
en pareil cas, ce serait une folie bien plus
grande encore de s'exposer au danger
de mourir dans le péché, en comptant sur le secours de Marie
pour échapper à l'enfer. Mais ces
exemples doivent servir à
ranimer notre confiance, par la pensée que, si l'intercession de
cette divine Mère a pu même exempter de la
damnation des personnes mortes en
état de péché, à plus forte raison pourra-t-elle
garantir de ce malheur ceux qui, pendant leur vie,
recourent à elle avec l'intention
de s'amender, et la servent fidèlement.
O Marie, notre Mère, nous
vous le demandons avec saint Germain, qu'en sera-t-il de nous, qui sommes
pécheurs, mais qui voulons
nous amender et recourons à
vous, ô Vie des chrétiens ? Saint Anselme nous assure, auguste
Souveraine, que celui-là ne sera point
condamné à l'enfer,
pour qui vous aurez offert à Dieu, ne fût-ce qu'une fois,
vos saintes prières. Ah ! priez donc pour nous, et nous
serons sauvés. - Nous entendons
pareillement Richard de Saint-Victor s'écrier : Qui jamais osera
me dire qu'au divin tribunal, je ne
trouverai point mon Juge favorable,
si j'ai pour défendre ma cause, la Mère de miséricorde
? - Le bienheureux Henri Suson déclarait
qu'il vous avait remis son âme
: "Si donc, ajoutait-il, le Juge veut condamner son serviteur, je demande
que la sentence passe par vos
mains ". Il espérait que,
cette sentence une fois entre vos mains miséricordieuses, vous en
empêcheriez certainement l'exécution. Je
dis et j'espère la même
chose pour moi, ô ma très sainte Reine. C'est pourquoi je
veux vous répéter sans cesse, avec saint Bonaventure
: Ma Souveraine, j'ai mis en vous
tout mon espoir ; et j'ai la ferme confiance de n'être pas perdu
à jamais, mais de me voir un jour
sauvé et tout occupé
dans le ciel à vous louer et aimer sans fin.
EXEMPLE
En 1604, dans une ville de Belgique,
se trouvaient deux jeunes étudiants qui, au lieu de s'appliquer
à l'étude, ne pensaient qu'à vivre
dans les plaisirs et la débauche.
Une nuit entre autres, ils se rendirent chez une femme de mauvaise vie
; mais l'un se retira au bout de
quelque temps ; l'autre resta. Arrivé
dans sa demeure, le premier se déshabillait pour se mettre au lit,
quand il se ressouvint de n'avoir
pas récité ce jour-là
les quelques Ave Maria qu'il avait coutume de dire en l'honneur de la sainte
Vierge. Comme il était accablé de
sommeil, cet acte religieux lui
coûtait ; néanmoins, il fit un effort sur lui-même et
s'en acquitta, quoique sans dévotion et presque en
dormant ; ensuite, il se coucha.
Dans son premier sommeil, il entend
tout à coup frapper rudement à la port; et, immédiatement
après, la porte restant fermée, il voit
devant lui son compagnon tout défiguré
et tout hideux. "Qui es-tu ?" lui dit-il. "Eh quoi ! ne me reconnais-tu
pas ?" répond le fantôme.
" Mais, comment se fait-il que tu
sois si changé ? tu ressembles à un démon ! - Ah !
plains-moi, je suis damné ! - Comment cela ? -
Sache qu'au sortir de cette maison
infâme, un démon s'est jeté sur moi et m'a étranglé.
Mon corps est demeuré au milieu de la rue, et
mon âme est en enfer. Sache
en outre que le même chatiment t'attendait ; mais la bienheureuse
Vierge t'en a préservé, grâce au faible
hommage que tu lui rends, en récitant
des Ave Maria. Heureux, si tu sais profiter de cet avis que te fait donner
par moi la Mère de
Dieu " ! Cela dit, le réprouvé
entr'ouvrit son vêtement, laissa voir les flammes et les serpents
qui le tourmentaient, et disparut.
Alors le jeune homme, fondant ne
larmes, se jeta la face contre terre pour remercier Marie, sa libératrice
; et, pendant qu'il réfléchissait
à la manière dont
il devait dorénavant régler sa vie, il entendit sonner matines
au couvent des Franciscains. A l'instant même, il s'écria
:
" C'est là que Dieu m'appelle
à faire pénitence ". Il partit sur l'heure pour aller au
couvent prier les pères de le recevoir. Ceux-ci
connaissant sa mauvaise vie, faisaient
difficulté ; mais il leur raconta, en versant un torrent de larmes
tout ce qui s'était passé ; et deux
des religieux, s'étant rendus
dans la rue indiquée, y trouvèrent en effet le cadavre de
son malheureux compagnon, noir comme un
charbon. Après cela, le protégé
de Marie fut reçu et passa le reste de sa vie dans l'exercice de
la pénitence.
La mort funeste du jeune libertin
fut encore utile à un autre jeune homme nommé Richard, qui
en avait été témoin oculaire. Il en fut si
vivement frappé, bien que
sa conduite fût déjà exemplaire, qu'il se décida,
lui aussi, à entrer chez les Récollets. Il alla dans la suite
prêcher la foi aux Indes,
et passa enfin au Japon, où il eut le bonheur de mourir martyr de
Jésus-Christ. Il fut brûlé vif.
PRIÈRE
O Marie, ô ma Mère bien-aimée,
dans quel abîme de maux ne me trouverais-je pas plongé, si
votre main miséricordieuse ne m'en
avait tant de fois préservé
! Depuis combien d'années ne serais-je pas même en enfer,
si vos prières toutes-puissantes ne m'avaient
délivré ! Mes péchés
graves m'y poussaient, la justice divine m'y avaient déjà
condamné, les démons frémissants, brûlaient
d'exécuter
la sentence ; vous êtes accourue
à mon secours, ô Mère, sans que je vous eusse même
priée, sans que je vous eusse invoquée et vous
m'avez sauvé.
O ma chère libératrice,
que pourrai-je jamais vous rendre pour un si grand bienfait, pour une si
grande charité ? Après cela, vous
avez vaincu la dureté de
mon coeur, vous m'avez amené à vous aimer et à prendre
confiance en vous. Et dans quels précipices ne
serais-je pas encore tombé
depuis, si votre main miséricordieuse ne m'avait tant de fois soutenu
dans les périls imminents que j'ai
courus !
Continuez, ô mon espérance,
continuez de me présevcer de l'enfer, et avant tout, des péchés
dansd lesquels je pourrais retomber ; ne
permettez pas que j'aille vous maudire
en enfer. Ma bien-aimée Souveraine, je vous aime ; comment votre
bonté pourrait-elle souffrir
de voir au nombre des réprouvés
un serviteur qui vous aime ? Ah ! obtenez-moi de n'être plus ingrat
envers vous et envers mon Dieu,
qui, par amour pour vous, m'a comblé
de tant de grâces. O Marie, que me dites-vous ? serai-je damné
? Je me damnerais, si je vous
abandonnais ; mais pourrai-je encore
vous abandonner ? pourrai-je encore oublier l'affection que vous m'avez
témoignée ? Après
Dieu, vous êtes l'amour de
mon âme, je ne saurais plus vivre sans vous aimer. Je vous aime,
oui, je vous aime, et j'espère vous aimer
toujours, dans le temps et dans
l'éternité, ô Créature la plus belle, la plus
sainte, la plus douce, la plus aimable, qui soit au monde !
Amen.
II
Marie secourt ses serviteurs dans le purgatoire.
Heureuses les âmes qui se dévouent
au service de cette Reine compatissante ! elle ne se borne pas à
les secourir en cette vie, sa
protection les suit dans le purgatoire,
où elle les assiste encore et les console. Ou plutôt, comme
elles éprouvent là un plus grand
secours, vu leurs souffrances et
l'impuissance où elles sont de se soulager elles-mêmes, cette
Mère de miséricorde redouble de zèle à
leur venir en aide. Selon saint
Bernardin de Sienne, dans cette prison où gémissent des âmes
épouses de Jésus-Christ, Marie est
comme souveraine maîtresse,
elle y jouit du plein pouvoir soit d'adoucir leurs perines, soit même
de les en délivrer entièrement.
D'abord, elle adoucit leurs peines.
Expliquant les paroles de l'Écriture : J'ai marché sur les
flots de la mer, le même Saint les applique à
Marie et lui fait ajouter : " Si
je marche sur les flots, c'est afin de visiter mes serviteurs et de leur
porter secours dans leurs besoins et
leurs tourments, parce que je suis
leur mère ". Les flots dont il est ici question, dit-il, sont les
peines du purgatoire, ainsi appelées parce
qu'elles sont passagères,
à la différence de celles de l'enfer, qui ne passent jamais
; de plus elles sont comparées aux flots de la mer en
raison de leur grande amertume.
Or, pendant qu'ils sont au sein de ces peines, les serviteurs de Marie
reçoivent souvent sa visite et ses
consolations. On voit donc, observe
Novarin, combien il importe d'honorer sur la terre cette excellente Riene,
puisqu'elle ne sait oublier
ses serviteurs dans les flammes
expiatrices ; il est vrai qu'elle secoure toutes les âmes qui y sont
plongées ; cependant, ses dévôt
serviteurs sont traités avec
plus d'indulgence et sont de sa part l'objet de ses soins plus empressés.
Voici en quels termes la divine Mère
s'exprimait dans une révélation à sainte Brigitte
: Je suis la Mère de toutes les âmes captives en
purgatoire ; car à toute
heure mes prières adoucissent de quelque manière les châtiment
dus aux fautes qu'elles ont commises pendant
leur vie mortelle.
Cette Mère compatissante ne
dédaigne même pas d'entrer de temps à autre dans cette
sainte prison, afin de consoler par sa présence
ses enfants affligés. C'est
ce que nous assure saint Bonaventure, en appliquant à Marie ce texte
sacré : J'ai pénétré dans les
profondeurs de l'abîme. Oh
! s'écrie saint Vincent Ferrier, combien Marie se montre prévenante
et bonne envers les âmes qui souffrent
dans le purgatoire ! par ses soins,
leur courage est continuellement relevé et leurs souffrances allégées.
Et quelle autre consolation peuvent-elles
avoir dans leurs peines, si ce n'est Marie, et l'assistance de cette Mère
de miséricorde ? Aussi
sainte Brigitte entendit un jour
le Sauveur qui disait à sa Mère : " Vous êtes ma Mère,
vous êtes la Mère de miséricorde, vous êtes la
consolation de ceux qui sont en
purgatoire ". Et, selon une révélation de la bienheureuse
Vierge elle-même à la même sainte, comme
une parole amie ranime un pauvre
malade abandonné sur son lit de douleurs, ainsi ces âmes affligées
se sentent toutes consolées, rien
qu'à entendre le nom de Marie.
Oui, reprend Novarin, le seul nom de Marie, nom d'espérance et de
salut que ces bonnes âmes
invoquent souvent du fond de leur
prison, est déjà pour elles un grand soulagement ; mais les
prières que cette tendre Mère adresse
ensuite à Dieu, dès
qu'elle s'entend invoquer par elles, sont comme une rosée céleste
qui vient les rafraîchir dans les vives ardeurs dont
elles sont consumées.
Mais Marie ne se borne pas à
consoler et à soulager ses serviteurs dans le purgatoire; souvent
encore, elle les en retire par son
intercession. Le sjour de son Assomption
glorieuse, comme Gerson l'assure, toute cette prison des âmes demeura
vide. C'est ce que
confirme Novarin : "D'après
des auteurs graves, dit-il, Marie, sur le point de monter au ciel, demanda
à son Fils la faculté d'emmener
avec elle toutes les âmes
qui se trouvaient alors en purgatoire. Depuis lors, continue Gerson, la
bienheureuse Vierge est en possession
du privilège d'en délivrer
ses pieux serviteurs. Saint Bernardin de Sienne affirme la même chose
comme indibutable : " Ce pouvoir,
ajoute-t-il, elle l'exerce tant
par ses prières que par l'application de ses mérites, et
cela en faveur de toutes les âmes, mais
principalement de celles qui lui
furent dévotes. Novarin exprime le même sentiment, à
savoir que, par les mérites de Marie, non
seulement les perines des âmes
du purgatoire sont adoucies, mais encore le temps de leur expiation est
abrégé. Une prière d'elle suffit.
Saint Pierre Damien rapporte qu'une
femme, nommé Marozie, apparut après sa mort à une
de ses amies, et lui apprit que le jour de
l'Assomption, elle avait été,
par Marie, délivrée du purgatoire avec d'autres âmes,
dont le nombre dépassait celui des habitants de
Rome. Selon Denis le Chartreux,
la même chose arrive à la fête de Noël et à
celle de Pâques ; "ces jours-là, assure-t-il, Marie descend
dans le purgatoire, accompagnée
d'une multitude d'anges, et en retire un grand nombre d'âmes". "Et,
ajoute Novarin, j'incline à penser
qu'elle fait de même à
toutes les fêtes solennelles qui se célèbrent en son
honneur ".
On connaît la promesse faite
par la Reine du ciel au pape Jean XXII, lorsqu'elle lui apparut et lui
ordonna de faire savoir à tous ceux
qui porteraient le saint Scapulaire
du Carmel, qu'ils seraient délivrés du purgatoire le premier
samedi après leur mort. C'est ce que le
Pontife lui-même déclara
par une Bulle, comme le rapporte le Père Crasset. Cette Bulle fut
confirmée par Alexandre V, Clément VII,
Pie V, Grégoire XII, et Paul
V, lequel dans un Décret de l'an 1613, s'exprime ainsi : " Le peuple
chrétien peut croire pieusement que la
bienheureuse Vierge assistera de
sa continuelle intercession, de ses mérites, de sa protection spéciale,
après leur mort, et
principalement le samedi, jour qui
lui est consacré par l'Église, les âmes des membres
de la Confrérie de Notre-Dame du Mont-Carmel,
morts en état de grâce,
pourvu qu'ils aient porté le Scapulaire en gardant la chasteté
selon leur état, et qu'ils aient récité le petit Office
de la sainte Vierge, ou, s'ils n'ont
pu le réciter, qu'ils aient observé les jeûnes de l'Église
et se soient abstenus de manger de la viande les
mercredis et les samedis, excepté
le jour de Noël ". Et, dans l'office pour la fête de Notre-Dame
du Mont-Carmel, on lit également :
Selon une croyance pieuse, la sainte
Vierge console les confrères du Mont-Carmel dans le purgatoire avec
la tendresse d'une mère, et,
par son intercession, elle ne tarde
pas à les en retirer pour les introduire dans la céleste
patrie.
Ces grâces, ces privilèges,
pourquoi ne pourrions-nous pas, nous aussi, les espérer, si nous
faisons profession d'une vraie dévotion à
cette bonne Mère ? Et si,
par un plus tendre amour, nous nous distinguons entre ses serviteurs, pourquoi
ne pourrions-nous pas
espérer même d'être
admis dans le ciel aussitôt après la mort, et sans entrer
dans le purgatoire ? Voici du moins ce que la sainte Vierge
envoya dire par le frère
Abond au bienheureux Godefroi, de l'abbaye de Viller en Brabant : " Dis
au frère Godefroi qu'il s'efforce
d'avancer dans les vertus ; par
là, il se rendra cher à mon Fils et à moi ; et, quand
son âme se séparera de son corps, je ne souffrirai
pas qu'elle aille en purgatoire,
mais je la prendrai et je l'offrirai à mon Fils ".
Enfin, si nous désirons aider
de nos suffrages les saintes âmes du purgatoire, ne manquons pas
de les recommander à la glorieuse
Vierge dans toutes nos prières
; appliquons-leur spécialement le saint Rosaire, qui leur procure
un grand soulagement, comme on le
verra par l'exemple qu'on va lire.
EXEMPLE
Le père Eusèbe Nieremberg
rapporte que, dans une ville d'Aragon, une jeune fille nommée Alexandra,
noble et d'une grande beauté,
était recherchée avec
passion par deux jeunes gens. Ceux-ci, emportés par la jalousie,
se prirent un jour de querelle, tirère l'épée et se
tuèrent l'un l'autre. Outrés
de douleur, les prents tournèrent leur ressentiment contre la pauvre
demoiselle, cause première d'un si grand
malheur, la mirent à mort
et lui coupèrent la tête, qu'ils jetèrent dans un puits.
A quelque temps de là, saint Dominique passa par la
ville, et, par une inspiration divine,
il s'approcha du puits et s'écria : " Alexandra, venez dehors ".
O prodige ! la tête de la mort apparaît,
se place sur le bord du puits, et
prie le saint de l'entendre en confession. Il l'entend ; puis, en présence
d'une foule immense attirée par
cette merveille, il lui donne la
communion. Saint Dominique lui commanda ensuite de déclarer comme
elle avait obtenu une si grande
grâce. Alexandra répondit
qu'au moment où on lui avait tranché la tête, elle
se trouvait en état de péché mortel, mais que la
bienheureuse Vierge lui avait conservé
la vie en récompense de sa dévotion à réciter
le Rosaire.
Pendant deux jours, la tête
demeura ainsi vivante sur le bord du puits, à la vue de tout le
monde, après quoi l'âme d'Alexandra s'en alla
en purgatoire. au bout de quinze
jours, elle apparut à saint Dominique belle et resplendissante comme
une étoile, et lui fit qu'un des
principaux moyens de secourir les
âmes dans les peines du Purgatoire, c'est de réciter pour
elles le rosaire, et qu'en retour, une fois
entrées en paradis, elles
intercèdent pour ceux qui leur ont appliqué cette puissante
prière. Quand elle eut fini de parler, le saint vit cette
âme bienheureuse s'élever
toute transportée de joie, vers le royaume des élus. (1)
(1) NOTE DU TRADUCTEUR : Le père
Van Ketwigh, savant dominicain dAnvers, dans son excellent ouvrage publié
en 1720 sous le
titre de Panoplia Mariana, défend
contre toute critique ce miracle de saint Dominique. Il prouve au long,
d'après les meilleures
autorités, à la tête
desquelles figure le Docteur Angélique, ce que saint Alphonse dit
brièvement au paragraphe précédent, savoir, que la
Mère de Dieu peut sauver
certains pécheurs, même quand ils sont morts en état
de damnation, en obtenant que leur jugement demeure
suspendu jusqu'à ce qu'ils
se soient dûment réconciliés avec Dieu.
PRIÈRE
O Reine du ciel et de la terre, ô
Mère du Souverain Seigneur de l'univers, ô Marie la plus grande,
la plus élevée des créatures, il est
vrai que, sur la terre, il en est
beaucoup dont vous n'êtes ni aimée ni connue ; mais, dans
le ciel, combien de millions d'anges et de
bienheureux vous aiment et vous
louent sans cesse ! Ici-bas même, combien d'âmes heureuses
brûlent d'amour pour vous, et sont toutes
éprises de votre bonté
! Ah ! puissé-je vous aimer aussi, ma très aimable Souveraine
! puissé-je ne penser qu'à vous servir, à vous
louer, à vous honorer, et
à vous gagner tous les coeurs. Vous avez gagné, par votre
beauté, le coeur d'un Dieu; vous l'avez, pour ainsi
dire, arraché du sein de
son père éternel, pour se faire homme et votre Fils ; et
moi, misérable vermisseau, je ne vous aimerais pas ?
Ah ! ma très douce Mère,
je veux vous aimer, et vous aimer beaucoup, et je veux faire tout ce qui
sera en mon pouvoir pour amener
aussi les autres à vous aimer.
Agréez donc, ô Marie, agréez le désir que j'ai
de vous aimer, et secondez mes efforts pour y parvenir.
Je sais que votre Dieu regarde d'un
oeil de complaisance ceux qui vous aiment; après sa propre gloire,
il ne désire rien tant que la
vôtre, il veut vous voir honorée
et aimée de tous. C'est de vous, ô ma Reine, que j'espère
toute ma félicité : c'est vous qui devez
m'obtenir le pardon de tous mes
péchés, et ensuite la persévérance ; c'est
vous qui devez m'assister à l'heure de ma mort ; c'est vous
qui devez me retirer du purgatoire
; c'est vous, enfin, qui devez me conduire en paradis. Toutes ces grâces,
ceux qui vous aiment les
attendent de vous, et moi aussi
je les espère, moi qui vous aime de tout mon coeur et par-dessus
toutes choses après Dieu.
suite
des Gloires
de Marie de Saint Alphonse-Marie de Liguori