II Combien
notre confiance en Marie doit être plus grande encore, parce qu'elle
est notre Mère.
Les serviteurs de Marie se plaisent
à l'appeler leur Mère ; ils ne savent même, ce semble,
l'invoquer sous
un autre titre ; jamais ils ne se
lassent de la nommer ainsi. Ce n'est pas au hasard ni sans motif, car elle
est bien réellement leur
Mère. Marie est notre Mère à tous, non pas selon la
chair, mais selon l'esprit : elle
est la Mère de nos âmes
et de notre salut.
Le péché avait dépouillé
nos âmes de la grâce divine, qui est leur vie, et les avait
livrées à la plus
déplorable des morts. Dans
l'excès de sa miséricorde et de son amour, Jésus,
notre Rédempteur, vint à
nous et nous rendit, au prix de
sa mort sur la croix, la vie que nous avions perdue : Je suis venu, a-t-il
dit
lui-même, afin que mes brebis
aient la vie, et qu'elles l'aient plus abondamment. Il dit : Plus
abondamment, car selon les théologiens,
Jésus-Christ nous apporta plus debien en nous rachetant,
qu'Adam ne nous avait causé
de mal par son péché. Ainsi, en nous réconciliant
avec Dieu, Jésus est
devenu, sous le régime de
la loi de grâce, le Père de nos âmes ; c'est là
ce qu'Isaïe avait prédit, en
l'appelant le Père du siècle
futur, le Prince de la paix. Or, si Jésus-Christ est le Père
de nos âmes, Marie
en est la Mère ; car, en
nous donnant Jésus, elle nous a donné la véritable
Vie, et, en offrant ensuite sur le
Calvaire la vie de son Fils pour
notre salut, elle nous a enfantés à la vie de la grâce.
Ce fut donc en deux circonstances,
comme nous l'aprennent les saints Pères, que Marie devint Mère
spirituelle.
Ce fut premièrement quand
elle conçut dans son sein virginal le Fils de Dieu ; tel est l'enseignement
du
bienheureux Albert le Grand ; et
saint Bernardin de Sienne nous l'explique en ces termes : Quand Marie,
instruite par l'Ange des desseins
de Dieu sur elle, donna le consentement que le Verbe éternel attendait
pour devenir son Fils, elle demanda
en même temps à Dieu, avec un amour immense, le slut du genre
humain, et elle se dévoua
tellement à l'oeuvre de notre rédemption que, comme la plus
tendre des mères,
elle nous porta tous dès
lors dans les entrailles de sa charité.
Dans le récit de la naissance
de notre Sauveur, saint Luc dit que Marie mit au monde son premier-né.
Cela fait supposer, observe un auteur,
qu'elle a eu d'autres enfants après celui-là ; mais, continue-t-il,
puisqu'il est de foi que la Vierge
n'a pas eu, selon la chair d'autres enfants que Jésus-Christ, il
s'ensuit
qu'elle a dû en avoir selon
l'esprit, et c'est nout tous. Cette explication fut révélée
par le Seigneur
lui-même à sainte Gertrude
: lisant un jour dans l'Évangile le passage en question, elle en
fut troublée ; elle
ne pouvait comprendre comment Jésus-Christ
peut s'appeler le premier-né d'une Mère dont il est le Fils
unique ; or, Dieu lui fit comprendre
que Jésus est le premier-né de Marie selon la chair, et les
autres
hommes ses puînés selon
l'esprit.
Ainsi s'entend encore ce qui est
dit de la bienheureuse Vierge dans les Cantiques : Votre sein est comme
un monceau de froment, tout environné
de lis. - Saint Ambroise commente ces paroles en disant que,
dans le sein très pur de
Marie, il n'y eut qu'un seul grain, à savoir, Jésus-Christ,
lequel est néanmoins
comparé à un morceau
de froment, parce que dans ce seul grain étaient renfermés
tous les élus, dont
Marie devait être aussi la
Mère. La même pensée est ainsi exprimée par
l'abbé Guillaume : En mettant au
monde Jésus-Christ, notre
Sauveur et notre Vie, Marie nous a tous enfantés au salut et à
la vie.
En second lieu, Marie nous a enfantés
à la grâce sur le Calvaire, lorsque, d'un coeur brisé
par la douleur,
elle offrit au Père Éternel
pour notre salut la vie de son Fils bien-aimé. Saint Augustin affirme
en effet
qu'en contribuant alors par sa charité
à faire naître les fidèles à la vie de la grâce,
Marie devint notre Mère
à tous, la Mère spirituelle
de tous les membres du corps mystique de Jésus-Christ. Et c'est
dans ce sens
qu'on applique à la bienheureuse
Vierge ces mots des Cantiques : Ils m'ont placée comme gardienne
dans
les vignes, et je n'ai pas gardé
ma propre vigne. Car, dans son désir de sauver nos âmes, Marie
consentit à sacrifier, à
livrer à la mort son propre Fils : En vue du salut d'un grand nombre
d'âmes, dit
Guillaume, elle a abandonné
son âme propre à la mort. Or, l'âme de Marie, n'était-ce
pas son Jésus ?
n'était-il pas la vie et
l'unique amour de sa Mère ? Saint Siméon avait donc raison
de prédire à cette
tendre Mère qu'un jour son
âme bénie serait transpercée d'un glaive cruel ; ce
glaive fut la lance qui perça
le côté de Jésus,
et, je le répète, Jésus était l'âme de
Marie. Eh bien ! ce fut en ce moment que, par ses
douleurs, elle nous enfanta à
la vie éternelle, et dès lors tous nous pouvons nous dire
les enfants des
douleurs de Marie. Cette Mère
très aimante fut toujours parfaitement unie à la volonté
de Dieu ; c'est
pourquoi, voyant le Père
porter l'amour enver nous jusqu'à vouloir sacrifier son Fils à
notre salut, et le
Fils nous aimer jusqu'à vouloir
mourir pour nous, elle conforma son amour envers le genre humain à
l'amour excessif du Père
et du Fils. C'est la pensée de saint Bonaventure : " Il ne faut
nullement douter,
écrit-il, que Marie n'ai
voulu, elle aussi, livrer son Fils pour le salut du genre humain, afin
que la Mère fût
de toute façon la fidèle
imitatrice du Père. "
Il est vrai que Jésus a voulu
être le seul à mourir pour la rédemption du genre humain,
et, selon
l'expression d'Isaïe, à
fouler le vin de notre salut ; néanmoins, ayant égard à
l'ardent désir qui pressait
Marie de coopérer de son
côté à ce grand ouvrage, il décida qu'elle y
prendrait part en l'offrant, lui, Jésus,
à l'autel du sacrifice, et
qu'ainsi elle deviendrait la Mère de nos âmes. Ce mystère
nous fut dévoilé par
notre Sauvuer lui-même : sur
le point d'expirer, il abaissa ses regards sur sa Mère et sur son
disciple saint
Jean, tous deux debout au pied de
sa croix, et dit d'abord à Marie : Ecce filius tuus, " voilà
votre fils ".
C'est comme s'il eût dit :
Voilà l'homme que vous venez de faire naître à la grâce
en offrant ma vie pour
son salut. S'adressant ensuite au
disciple : Ecce Mater tua, lui dit-il, " voilà votre Mère
". Par ces paroles,
remarque saint Bernardin, Jésus
donnait Marie pour mère, non pas au seul saint Jean, mais à
tous les
hommes, en raison de son amour pour
eux. Et c'est là, selon Silveira, le motif pour lequel saint Jean,
qui
rapporte lui-même ce fait
dans son Évangile, se désigne sous le nom commun de disciple
: Jésus dit au
disciple : Voilà votre Mère
; le Sauveur ne parlait donc pas à Jean, mais au disciple ; c'est-à-dire
qu'en
lui il voyait tous ceux qui, par
la foi, sont ses disciples ; et c'était à eux tous qu'il
donnait Marie pour
Mère.
Je suis la Mère du bel amour,
dit Marie. Elle parle ainsi, observe un auteur, parce que son amour pour
nos âmes les rend belles aux
yeux de Dieu, et l'engage elle-même à nous adopter avec toute
la tendresse
d'une mère. Et quelle mère,
s'écrie saint Bonaventure, quelle mère aune ses enfants et
prend soin de leur
bien-être, comme vous, ô
très douce Reine, vous nous aimez et veillez sur tous nos intérêts
? Heureux
ceux qui vivent sous la protection
d'une Mère si aimante et si puissante ! Bien qu'au temps de David
Marie ne fut pas encore née,
cependant, au dire de saint Augustin, ce prophète demandait déjà
à Dieu de
le sauver à titre d'enfant
de cette Vierge glorieuse : Sauvez, disait-il, le fils de votre Servante.
De quelle
servante ? demande ce saint Docteur,
si ce n'est de celle qui a dit : Je suis la Servante du Seigneur ? Eh !
s'écrie Bellarmin, qui aura
l'audace d'arracher les bras de Marie ses enfants, lorsqu'ils y cherchent
un asile
contre les poursuites de leurs ennemis
? Quel démon assez furieux, quelle passion assez violente pour les
vaincre, s'ils placent leur confiance
dans la protection d'une Mère si puissante ? Quand la baleine voit
son
petit exposé à périr
dans une tempête ou à être pris par les pêcheurs,
elle ouvr la bouche, dit-on, et le
reçoit dans son sein. Ce
qui est sûr, c'est qu'ainsi fait Marie : quand cette bonne Mère
voit ses enfants
exposé à de trop grand
périls par la violence des tentations, elle les cache avec amour
comme dans ses
propres entrailles, assure Novarin,
les y tient à l'abri du danger, et ne cesse de les garder jusqu'à
ce qu'elle
les ait mis en sûreté
dans le port du salut.
O Mère pleine de tendresse
! ô Mère pleine de bonté ! soyez à jamais bénie
! et béni soit à jamais le Dieu
qui vous a donnée à
nous pour Mère, et pour refuge assuré contre tous les hasards
de cette vie ! - Dans
une révélation faite
par elle-même à sainte Brigitte, la très sainte Vierge
s'est comparée à une mère qui,
voyant son fils entre les épées
de ses ennemis, n'épargnerait aucun effort pour lui sauver la vie.
C'est ainsi
que j'agis, ajouta-t-elle, et que
j'agirai toujours en faveur de mes enfants, quelque coupables qu'ils soient,
pourvu qu'ils invoquent mon secours.
Voilà donc le moyen de vaincre l'enfer, et de le vaincre à
coup sûr,
dans tous les combats qu'il nous
livre ; nous n'avons qu'à recourir à celle qui est la Mère
de Dieu et la
nôtre, en disant et en répétant
sans cesse : Je me réfugie sous votre protection, ô sainte
Mère de Dieu ! -
Combien de victoires les fidèles
n'ont-ils pas remportées sur l'enfer par cette courte, mais puissante
prière
! C'est par ce moyen qu'une grande
servante de Dieu, la soeur Marie-Crucifiée, bénédictine,
triomphait
toujours des démons.
Courage donc, ô vous qui êtes
les enfants de Marie ; et nous savons qu'elle reçoit pour ses enfants
tous
ceux qui désirent l'être
; courage et confiance ! Pouvez-vous craindre de périr, défendus
et protégés
comme vous l'êtes par une
telle Mère ? Voici ce que doit se dire, à la suite de saint
Bonaventure,
quiconque aime cette bonne Mère
et se met sous sa protection : O mon âme ! que crains-tu ? tu ne
saurais perdre la cause de ton salut
éternel, puisque la sentence est laissée à la décision
de Jésus, qui est
ton Frère, et de Marie, qui
est ta Mère. - La même pensée remplissait saint Anselme
d'une joie qu'il nous
communique en s'écriant :
O heureuse confiance ! ô refuge assuré ! La Mère de
Dieu et ma Mère ; avec
quelle certitude ne devons-nous
pas espérer, puisque l'affaire de notre salut est entre les mains
d'un Frère
si bon et d'une Mère si compatissante
!
Écoutons donc la voix de notre
Mère, qui nous appelle : Si quelqu'un est petit et faible comme
un enfant,
nous crie-t-elle, qu'il vienne à
moi. Les enfants ont toujours à la bouche le nom de leur mère
; et, dans
tous les dangers qui les menacent,
à la moindre crainte qui les saisit, on les entend aussitôt
s'écrier : Ma
mère ! ma mère ! -
Ah ! douce Marie, ah ! douce Mère, c'est là précisément
ce que vous désirez que,
comme vos enfants, nous vous appelions
à notre secours dans tous les périls, parce que vous voulez
nous
protéger et nous sauver,
ainsi que vous avec toujours fait quand vos enfants ont eu recours à
vous.
EXEMPLE
L'histoire des fondations de la Compagnie
de Jésus au royaume de Naples rapporte ce qui suit d'un jeune
gentilhomme écossais, nommé
Guillaume Elphinstone, et parent du roi Jacques. Né dans l'hérésie,
il en
suivait les fausses doctrines ;
mais, éclairé d'une lumière divine qui lui faisait
entrevoir son erreur, il vint
en France, où, grâce
surtout à l'intercession de la bienheureuse Vierge, il connut enfin
la vérité, abjura
l'hérésie, et se fit
catholique. Il passa ensuite à Rome. Là, un de ses amis,
le voyant un jour fort affligé et
en pleurs, lui en demanda la cause.
Le jeune homme répondit que, pendant la nuit, sa mère lui
était
apprue et lui avait dit : " Mon
fils, que tu es heureux d'être entré dans le sein de la véritable
Église ! pour
moi, ayant eu le malheur de mourir
dans l'hérésie, je suis à jamais perdue ! " Dès
lors, i redoubla de
ferveur dans la dévotion
à Marie, qu'il choisit pour son unique Mère ; elle lui inspira
la pensée
d'embrasser la vie religieuse, et
il en fit le voeu.
Cependant, comme il était
malade, il se rendit à Naples, espérant que le changement
d'air rétablirait sa
santé ; mais le Seigneur
voulait qu'il y mourût ; et qu'il mourût religieux. Peu après
son arrivée en cette
ville, sa maladie ayant été
jugée mortelle, il obtint des pères jésuites, à
force de prières et de larmes, son
admission dans leur Ordre ; et lorsqu'il
reçut le Viatique, il prononça ses voeux en présence
du saint
sacrement, et fut déclaré
membre de la Compagnie.
Ainsi consolé, il attendrissait
tout le monde par la vie effusion avec laquelle il remerciait Marie, sa
bonne
Mère, de l'avoir arraché
à l'hérésie, ramené dans le sein de la véritable
Église, et conduit enfin dans la
maison de Dieu, pour y mourir au
milieu des religieux, ses frères. " Oh ! s'écriait-il, quelle
gloire de mourir
environné de tous ces anges
" ! Comme on l'exhortait à prendre un peu de repos, il répondit
: " Ah ! ce
n'est pas le moment de me reposer,
maintenant que la fin de ma vie approche ". Au moment de mourir, il
dit à ceux qui étaient
présents : " Mes frères, ne voyez-vous pas ici les anges
du ciel qui m'assistent ? "
Un des religieux, l'ayant entendu
prononcer quelques mots à vois basse, lui demanda ce qu'il disait.
Il
répondit que son ange gardien
lui avait révélé qu'il n'aurait que fort peu de temps
à passer en purgatoire,
et qu'il entrerait bientôt
dans le ciel. Il reprit ensuite ses doux entretiens avec Marie, sa Mère
bien-aimée ;
et, en répétant :
" Ma Mère ! ma Mère ! " comme un enfant qui s'endort dans
les bras de sa mère, il
expira paisiblement. Peu après,
un saint religieux sut par révélation qu'il était
déjà en paradis.
PRIÈRE
O Marie, ma très sainte Mère,
comment est-il possible qu'ayant une Mère si sainte, je sois si
pervers ;
qu'ayant une Mère si embrasée
d'amour pour Dieu, je sois si attaché aux créature ; qu'ayant
une Mère
si riche de vertus, j'en sois si
dénué ? Ah ! ma très aimable Mère, il est vrai,
je ne mérite plus d'être
appelé votre enfant, je m'en
suis rendu trop indigne par ma mauvaise vie ; je serai content si vous
daignez me recevoir au nombre de
vos serviteurs ; pour être compté parmi les derniers de vos
serviteurs, bien volontiers je donnerais
tous les royaumes de a terre. Oui, je serai content, si vous
m'accordez cette grâce ; cependant,
ne me refusez pas celle de vous appeler ma Mère ; ce nom me
console, me touche le coeur, et
me rappelle l'obligation où je suis de vous aimer ; ce nom m'inspire
une grande vonfiance en vous ; quand
le souvenir de mes péchés et de la justice divine me remplit
de
terreur, je me sens fortifié
et tout rassuré par la pensée que vous êtes ma Mère.
Permettez-moi donc de
vous dire : Ma Mère, ma très
aimable Mère ! C'est ainsi que je vous appelle et veux toujours
vous
appeler. Après Dieu, vous
devez être en tout temps dans cette vallée de larmes, mon
espérance, mon
refuge et mon amour. J'espère
mourir dans ces sentiments, en remettant, à mon dernier soupir,
mon
âme entre vos mains bénies,
et en vous disant : Ma Mère Marie, Marie ma Mère ! assistez-moi,
ayez
compassion de moi, Amen.
III
Combien est grand l'amour que nous porte Marie, notre Mère.
Après avoir établi
que Marie est notre Mère, il est juste de considérer à
quel point elle nous aime.
L'amour des parents envers leurs
enfants est un amour nécessaire ; c'est pour cette raison, suivant
la
remarque de saint Thomas, que la
loi divine, qui impose aux enfants l'obligation d'aimer leurs parents,
ne
fait point aux parents un précepte
formel d'aimer leurs enfants. La nature a si profondément implanté
dans les entrailles de tout être
vivant l'amour de sa progéniture, que, comme le dit saint Ambroise,
les
bêtes même les plus
sauvages ne peuvent s'empêcher d'aimer leurs petits. On raconte même
qu'aux cris
de leurs petits, embarqués
par les chasseurs, les tigres se jettent à la met, et suivent le
vaisseau à la nage
jusqu'à ce qu'ils le rejoignent.
Si donc, nous dit notre tendre Mère Marie, si les tigres mêmes
aiment tant
leurs petits, comment pourrais-je,
moi, cesser de vous aimer, d'aimer mes enfants ? Une mère peut-elle
oublier son enfant, et perdre toute
tendresse à l'égard du fruit de ses entrailles ? mais, quand
même
elle l'oublierait, moi, je ne l'oublierai
point, disait le Seigneur à son peuple ; Marie nous dit la même
chose : Non, quand même, par
impossible, une mère oublierait son fils, il n'arrivera jamais que
je renonce
à ma tendresse envers une
âme.
Marie, est notre Mère, comme
nous l'avons dit, non par la chair, mais par l'amour : Je suis la Mère
de
belle dilection. C'est donc uniquement
en raison de sa tendresse à notre égard qu'elle est notre
Mère ; et
voilà, remarque un auteur,
pourquoi elle se glorifie d'être Mère d'amour ; nous ayant
adoptés pour ses
enfants, elle est toute amour pour
nous. Qui pourrait expliquer l'amour que Marie nous porte parmi nos
misères ? Selon le même
auteur, en assistant à la mort de Jésus-Christ, elle brûlait
d'un extrême désir de
mourir avec son divin Fils pour
l'amour de nous. Ainsi, ajoute saint Ambroise, pendant que le Fils mourait
pour nous sur la croix, la Mère
se présentait aux bourreaux, toute prête à donner également
sa vie pour
notre amour.
Mais nous nous ferons une plus juste
idée du grand amour de cette bonne Mère envers nous, si nous
en
considérons les motifs.
Le premier, c'est son immense amour
pour Dieu. Selon saint Jean, l'amour de Dieu et celui du prochain,
sont l'objet du même précepte
: C'est là un commendement que nous avons reçu de Dieu :
elui qui aime
Dieu, doit aimer aussi son frère
; aussi ces deux amours sont toujours unis, et l'un ne peut grandir sans
que l'autre grandisse d'autant.
Voyez les saints, qui aimaient Dieu si ardemment, que n'ont-ils pas fait
pour le bien du prochain ! Dans
leur désir de le sauver, ils en sont venus jusqu'à exposer
et sacrifier leur
liberté, et même leurs
jours. Leurs histoires sont pleines de traits de la plus héroïque
charité. Afin de venir
en aide aux peuplades barbares de
l'Inde, saint François Xavier gravissait en rampant des montagnes
escarpées, et allait à
travers milles dangers, trouver au fond des cavernes les malheureux qui
y vivaient
comme des bêtes sauvages,
et qu'il voulait amener à Dieu. Dans ses missions aux hérétiques
du Chablais,
saint François de Sales se
hasarda chaque jour, une année durant, à passer une rivière
en se cramponnant
des mains et des pieds sur une poutre
parfois couverte de glaçons, afin d'aller sur l'autre rive prêcher
ses
obstinés. Saint Paulin se
fit esclave, pour rendre à liberté le fils d'une pauvre veuve
; saint Fidèle de
Sigmaringen s'estima heureux de
perdre la vie en prêchant la vraie foi à un peuple hérétique.
Comment les
saints ont-ils pu pousser si loin
l'amour du prochain ? C'est qu'ils aimaient Dieu très ardemment.
Or, qui
l'a plus aimé que Marie ?
Elle a plus aimé Dieu au premier moment de sa vie, que ne l'ont
aimé tous les
saints et tous les anges dans tout
le cours de leur existence, comme nous le feront voir au long, en parlant
de ses vertus.
D'après une révélation
de la bienheureuse Vierge elle-même à la soeur Marie-Crucifiée,
le feu dont elle
brûle pour Dieu, mettrait
en cendres en un instant le ciel et la terre, et, auprès de ses
ardeurs, toutes celles
des séraphins sont comme
le souffle d'un vent frais. Si donc, parmi tous les esprits célestes,
aucun n'aime
Dieu plus que Marie, nous n'avons
ni n'auront jamais, Dieu seul excepté, qui nous aime plus que cette
tendre Mère. Quand même
on réunirait l'amour de toutes les mères pour leurs enfants,
de tous les époux
pour leurs épouses, de tous
les saints et de tous les anges pour leurs protégés, tous
ces amours
n'égaleraient point ensemble
celui que Marie porte à une seule âme. La tendresse de toutes
les mères pour
leurs enfants est une ombre en comparaison
de celui que Marie porte à chacun de nous, assure
Nieremberg ; et elle nous aime,
à elle seule, immensément plus que tous les anges et tous
les saints
ensemble.
Un autre motif pour lequel notre
sainte Mère nous aime beaucoup, c'est que nous lui fûmes donnés
pour
enfants, et recommandés par
son bien-aimé Jésus, quand, sur le point d'expirer, il lui
dit : Femme, voilà
votre Fils. Comme il a été
vu plus haut, il lui désignait ainsi tous les hommes dans la personne
de saint
Jean. Ces paroles furent les dernières
que son divin Fils lui adressa en ce monde. Trop précieuses sont
les
suprêmes recommandations d'une
personne chérie aux prises avec la mort, pour qu'on en puisse jamais
perdre la mémoire.
De plus, nous sommes des enfants
excessivement chers à Marie, parce que nous lui coûtons d'excessives
douleurs. Une mère ressent
toujours une affection spéciale pour l'enfant auquel elle n'a conservé
la vie
qu'à force de soins et de
peines. Tels sommes-nous à l'égard de Marie : pour nous faire
naître à la vie de
la grâce, il lui a fallu -
quel supplice pour son coeur ! - il lui a fallu sacrifier elle-même
la vie si précieuse
de son Jésus, et se résigner
à voir de ses yeux ce fils qui expirait dans les tourments. C'est
à ce grand
sacrifice de Marie, je le répète,
que nous sommes redevables de la vie de la grâce ; sa tendresse pour
nous, pour des enfants qui lui ont
coûté tant de peines, est donc extrême. Ainsi, ce qui
est dit du Père
éternel, à savoir,
qu'il a aimé les hommes jusqu'à livrer pour eux son Fils
unique, nous pouvons,
remarque saint Bonaventure, le dire
pareillement de Marie : elle nous a aimés, elle aussi, au point
de nous
donner son Fils unique. Et quand
nous le donna-t-elle ? Elle nous le donna,. répond le père
Nieremberg,
d'abord, quand elle lui permit d'aller
à la mort. Elle nous le donna quand, les autres manquant à
leur
devoir par haine ou par crainte,
elle pouvait bien, elle seule, défendre auprès des juges
la vie de son Fils.
Ne doit-on pas croire, en effet,
que les paroles d'une mère si sage, si tendre à l'égard
de son Fils, eussent
pu faire assez d'impression, du
moins sur Pilate, pour le dissuader de condamner à mort un homme
dont
il avait lui-même reconnu
et proclamé l'innocence ? Mais non, Marie ne voulut pas prononcer
le moindre
mot en faveur de son Fils, afin
de ne pas s'opposer à sa mort, à laquelle notre salut était
attaché.
Elle nous le donna enfin, elle nous
le donna mille et mille fois, pendant ces trois heures qu'elle passa au
pied de la croix, veillant sur l'agonie
de son Fils. Oui, autant d'instants il y eut dans ces trois heures, autant
de fois elle fit pour nous, avec
une douleur extrême et un extrême amour enver nous, le sacrifice
de son
Jésus. Et, selon saint Anselme
et saint Antonin, telle était sa constance, qu'au défaut
des bourreaux, elle
l'eût crucifié elle-même
pour obéir au Père éternel, qui voulait nous sauver
par la mort de son Fils. Et, en
effet, si Abraham eut la force de
consentir à immoler son Fils de sa propre main, nous ne devons pas
en
douter, bien plus sainte plus obéissante
qu'Abraham, Marie eût accompli le sacrifice avec plus de courage
encore.
Mais, pour revenir à notre
sujet, combien de reconnaissance ne devons-nous pas à Marie en retour
d'un
acte d'amour si généreux,
je veux dire, du douloureux sacrifice qu'elle a fait de la vie de son Fils
unique,
afin de nous voir tous sauvés
! Magnifique fut le prix dont le Seigneur récompensa le sacrifice
qu'Abraham avait voulu lui faire
de son fils Isaac : mais nous, que pouvons-nous rendre à Marie pour
nous avoir réellement sacrifié
la vie de son Jésus, Fils bien plus auguste et bien plus aimé
que le fils
d'Abraham ? Cet amour de Marie nous
impose une grande obligation de l'aimer ; car, selon la remarque
de saint Bonaventure, jamais créature
ne nous aimera à l'égal de Celle qui nous a abandonné
son unique
Fils, un Fils qui lui était
plus cher que sa propre vie.
De là pour Marie un nouveau
mortif qui la presse de nous aimer : elle considère en nous le prix
auquel
nous fûmes achetés,
la mort de Jésus-Christ. Une reine qui aurait un serviteur racheté
par son fils chéri au
prix de vingt années de prisons
et de souffrances, combien, à ce seul point de vue, n'estimerait-elle
pas ce
serviteur ! Marie sait que son Fils
est venu en ce monde à l'unique fin de nous arracher à notre
misère,
ainsi qu'il l'a déclaré
lui-même : Le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui
était perdu ; elle
sait que, pour nous racheter, il
a bien voulu donner jusqu'à son sang, et s'est fait obéissant
jusqu'à la
mort. Nous aimer peu après
cela, ce serait, de la part de Marie, faire peu de cas du sang versé
par son
Fils pour notre rançon. Il
fut révélé à la vierge sainte Élisabeth,
qu'à partir de son entrée dans le temple, la
vie de Marie fut une prière
incessante pour qu'il plût à Dieu d'envoyer sans retard son
Fils au secours du
monde perdu ; or, nous devons le
penser, elle nous aime bien plus encore, depuis qu'elle a vu son Fils
nous priser si haut, et payer si
cher notre délivrance.
Et, comme tous les hommes ont été
rachetés par Jésus-Christ, Marie les aime et ne refuse à
aucun ses
faveurs. C'est d'elle qu'il s'agit
dans ce passage de l'Apocalypse : Un grand signe parut dans le ciel : une
Femme revêtue du soleil. Elle
fut montrée ainsi à saint Jean, pour signifier que comme,
selon le psaume,
il n'est personne sur la terre qui
échappe à la chaleur du soleil, de même nul homme vivant
n'est exclu
de la tendresse de Marie. C'est
l'explication de l'Idiot : Par la chaleur du soleil, dit-il, il faut entendre
ici
l'amour de Marie. Eh ! s'écrie
saint Antonin, qui pourrait comprendre la sollicitude de cette tendre Mère
envers chacun de nous ? Elle ouvre
à tous le sein de sa miséricorde, à tous elle prodigue
ses bienfaits. Car
elle a désiré le salut
de tous les hommes et contribué au salut de tous. Il est certain,
dit saint Bernard,
qu'elle s'est vivement intéressées
au bien du genre humain tout entier. On voit par là combien est
utile la
pratique familière plusieurs
serviteurs de Marie, de prier le Seigneur qu'il leur accorde les grâces
dont la
bienheureuse Vierge lui fait pour
eux la demande. Or, cette manière de prier, est fondée en
raison,
remarque Conelius a Lapide, car
notre céleste Mère nous souhaite des biens plus excellents
que nous n'en
pouvons nous-mêmes désirer.
Et, comme l'assure le pieux Bernardin de Bustis, Marie est plus empressée
à nous combler de ses bienfaits,
à nous dispenser des grâces, que nous-mêmes à
les recevoirs. Aussi le
bienheureux Albert le Grand lui
applique-t-il ces paroles de la Sagesse : Elle prévient ceux qui
la désirent,
et elle se montre à eux la
première. Oui, Marie, elle la trouvent avant de l'avoir cherchée.
Telle est à
notre égard la tendresse
de cette bonne Mère, ajoute Richard, qu'à la première
vue de nos besoins et
avant même d'être invoquée
par nous, elle vient à notre secours.
Mais si Marie est si bonne envers
tout le monde, sans en excepter les ingrats qui l'aiment peu et qui sont
négligents à l'invoquer,
combien plus tendre sera-t-elle à l'égard de ceux qui l'aiment
sincèrement et
l'invoquent fréquemment ?
Ceux qui l'aiment la découvrent aisément, et ceux qui la
cherchent la trouve.
Oh ! s'écrie le même
bienheureux Albert, qu'il est facile à qui aime Marie de la trouver,
et de faire
l'heureuse expérience de
sa bonté, de son amour ! J'aime ceux qui m'aiment, dit-elle par
la bouche du
Sage. Or, bien que cette très
aimante Souveraine aime tous les hommes comme ses enfants, elle sait
néanmoins ceux qui l'aiment
davantage, assure Saint Bernard, et elle a pour eux des tendresses de choix.
Selon l'Idiot, quand une âme
est assez heureuse pour brûler ainsi de l'amour de Marie, celle-ci
ne se
contente pas de la chérir,
elle s'abaisse jusqu'à la servir : " Trouvez la Vierge Marie, dit-il,
c'est trouver
tous les biens, car elle aime ceux
qui l'aiment, elle sert même ceux qui la servent. "
Il est question, dans les chroniques
des Dominicains, d'un frère nommé Léodat, qui avait
coutume de se
recommander deux cent fois le jour
à cette Mère de miséricorde. Quand il fut sur le point
de mourir, il vit
tout à coup près de
son lit une reile d'une merveilleuse beauté, qui lui dit : " Léodat,
voulez-vous mourir,
et venir auprès de mon Fils
et de moi " ? Il répondit : " Mais, qui êtes-vous " ? Et la
sainte Vierge reprit : "
Je suis la Mère de miséricorde,
que vous avez tant de fois invoquée ; me voici venue pour vous prendre
avec moi, allons-nous en en paradis
". Léodat mourut ce jour-là même ; et, comme il y a
tout lieu de le
croire, il alla rejoindre Marie
au séjour des Élus.
O douce Marie ! heureux celui qui
vous aime ! - Le saint frère Jean Berchans, de la Compagnie de Jésus,
disait : " Si j'aime Marie, je suis
assuré de la persévérence, et j'obtiendrai de Dieu
tout ce que je désire ".
Aussi, le pieux jeune homme ne se
lassait pas de renouveler sa résolution de l'aimer ; il répétait
souvent
en lui-même : " Je veux aimer
Marie ! Je veux aimer Marie ! "
Oh ! combien cette bonne Mère
surpasse en amour tous ses enfants ! Qu'ils l'aiment autant qu'ils le
pourront, dis saint Ignace martyr,
jamais ils ne l'égaleront en amour.
Qu'ils l'aiment donc autant qu'un
saint Stanislas Kotska, dont la tendresse pour sa céleste Mère
était si
vive, qu'à l'entrendre seulement
parler d'elle on sentait le désir de l'aimer aussi. Il avait imaginé
des
expressions nouvelles et de nouveaux
titres pour l'honorer. Il ne commençait aucune action, sans s'être
tourné d'abord vers une image
de Marie pour demander sa bénédiction. Quand il récitait
en son honneur
l'office, le rosaire, ou d'autres
oraisons, c'était avec le sentiment, l'expression d'une personne
qui parlerait
face à face avec Marie. Entendait-il
chanter le Salve Regina, l'embrasement de son coeur colorait son
visage. Comme il allait un jour
visiter une image de la bienheureuse Vierge avec un père de la Compagnie,
celui-ci lui demanda s'il aimait
beaucoup Marie : " Mon père, répondit Stanilas, elle est
ma Mère ! Que
puis-je vous dire de plus ? " Mais,
racontait ensuite ce religieux, le saint jeune homme prononça ces
mots
d'une vois si émue, d'un
air si affectueux, d'un coeur si pénétré, qu'on eût
dit un ange qui parlait de
Marie.
Qu'ils l'aiment autant qu'un bienheureux
Herman Joseph, qui l'appelait son Épouse d'amour, Marie ayant
daigné l'honorer du nom d'Époux
; autant qu'un saint Philippe de Néri, qui était tout consolé
au seul
souvenir de Marie, et qui la nommait
ses Délices ; autant qu'un saint Bonaventure, qui, non content de
lui
donner les titre de Dame et de Mère,
osait encore, pour mieux exprimer la tendresse de son affection,
l'appeler son Coeur et son Ame.
Qu'ils l'aiment autant que ce grand
serviteur de Marie, saint Bernard : il aimait tant cette douce Mère,
qu'il
l'appelait la Ravisseuse des coeurs
: Raptrix cordium ; et, ne sachant comment lui dire l'amour dont il
brûlait pour elle : N'est-il
pas vrai, lui disait-il, que vous avez ravi mon coeur ?
Qu'ils l'appellent leur Amante, comme
un saint Bernardin de Sienne, qui allait la visiter chaque jour dans
une dévote image ; là
il épanchait son coeur dans de tendres colloques avec sa Reine bien-aimée
; et,
quand on lui demandait où
il se rendait tous les jours, il répondait qu'il allait trouver
son Amante.
Qu'ils l'aiment autant qu'un saint
Louis de Gonzague, qui brûlait continuellement d'un sigrand amour
envers Marie : rien qu'à
entendre le nom si doux de cette Mère chérie, il sentait
son coeur tout embrasé ;
la flamme qui le consumait apparaissait
à l'extérieur ; son visage en rougissait et attirait tout
les regards.
Qu'ils l'aiment autant qu'un saint
François Solano qui semblait transporter d'une sainte folie d'amour
envers Marie ; parfois, devant une
de ses images, on le voyait qui chantait en s'accompagnant d'un
instrument de musique ; il voulait,
disait-il, à l'imitation des amants du monde, donner une sérénade
à la
Reine de son coeur.
Qu'ils l'aiment comme l'ont aimée
un si grand nombre de ses serviteurs, qui croyaient n'avoir jamais assez
fait pour lui témoigner leur
amour. - Le père Jean de Trexo, de la Compagnie de Jésus,
prenait plaisir à
s'appeler esclave de Marie, et,
en signe de sa serviture, il allait souvent la visiter dans une de ses
églises ;
là, que faisait-il ? à
peine arrivé, il se livrait tellement aux tendres émotions
de son amour pour Marie qu'il
arrosait l'église de ses
larmes, puis les essuyait avec la langue et le visage, baisant mille fois
le pavé, tant il
était touché de se
trouver dans la maison de sa chère Dame. - En récompense
de sa dévotion, le père
Jacques Martinez, de la même
Compagnie, se voyait porté au ciel par les anges, en chacune des
fêtes de
Notre-Dame, pour être témoin
de la pompe avec laquelle elles s'y célèbrent. Il avait coutume
de dire : " Je
voudrais avoir tous les coeurs des
anges et des saints, afin d'aimer Marie comme ils l'aiment ; je voudrais
avoir les vies de tous les hommes,
pour les consacrer toutes à l'amour de Marie.
Qu'ils parviennent à l'aimer
autant que l'aimait Charles, fils de sainte Brigitte ; rien au monde, assurait-il,
ne le réjouissait comme de
savoir combien Marie est aimée de Dieu. " Et, disait-il encore,
si la grandeur
de Marie pouvait subir quelque amoindrissement,
de bon coeur je souffrirais n'importe quelle peine pour
lui épargner cette perte
; il y a plus : si la gloire de Marie m'appartenait, j'y renoncerais en
sa faveur,
sachant qu'elle en est incomparablement
plus digne que moi. "
(NOTE DE L'ÉDITEUR) Nous qui traduisons notre Bienheureux Père, pourquoi n'ajouterions-nous pas :
Qu'ils l'aiment autant qu'un saint
Alphonse-Marie de Liguori, fondateur de la Congrégation du très
saint
Rédempteur, lequel sera dorénavant
cité avec les Bernard, les Bonaventure, les Anselme, parmi les plus
fidèles et les plus zélés
serviteurs de cette glorieuse Vierge.
Encore enfant, il passait déjà
des heures entières dans une oraison extatique devant l'image de
la Madone.
Ce fut à ses pieds que, résolu
de quitter le monde, il déposa son épée. Il s'obligea
par voeu à réciter
chaque jour le chapelet et à
prêcher tous les samedis les gloires de Marie.
Il récitait l'Ave Maria à
tous les quarts d'heure ; il jeûnait tous les samedis et la veille
de toutes les fêtes de
la Vierge, s'abstenant alors de
toute boisson et se contentant d'un morceau de pain pour toute nourriture.
Jusque dans son extrême vieillesse
il se plaisait à appeler Marie sa Mère : " Le démon
a voulu me jeter
dans le désespoir, disait-il
au sortir d'une violente tentation ; mais ma Mère Marie m'a secouru,
je n'ai pas
offensé Dieu ".
Il aspirait à tenir après
Dieu la première place parmi ceux qui aiment la Reine du ciel ;
le nom béni de
Marie se retrouve presque à
toutes les pages de ses nombreux ouvrages, sans compter le livre des
Gloires, le plus beau peut-être
que l'ont ait composé sur ce sujet.
Enfin, il fit un précepte
spécial aux membres de son Ordre de professer un amour filial envers
la divine
Mère.
De son côté, Marie sut
bien faire éclater sa tendresse envers son cher Alphonse. Elle le
guérit subitement
d'une maladie mortelle occasionnée
par un excès de travail.
Elle lui apparaissait fréquemment
dans une grotte où il se livrait à la prière et à
la pénitence, et lui donnait
conseil sur tout ce qui concernait
la Congrégation fondée par lui.
A plusieurs reprieses, elle se montra
à lui et le ravit tandis qu'il prêchait et s'efforçait
d'animer ses
nombreux auditeurs à la confiance
envers elle.
Elle lui apparut encore deux fois
la veille de sa mort, comme il l'en avait priée tant de fois, et
changea son
agonie en une douce extase. (FIN
DE LA NOTE DE L'ÉDITEUR)
Qu'à l'exemple d'Alphonse
Rodriguez, ils désirent donner leur vie en preuve de leur amour
pour Marie ;
qu'à l'imitation du saint
religieux François Binans, et de sainte Radegonde, femme du roi
Clotaire, ils
aillent jusqu'à graver avec
une pointe de fer, l'aimable nom de Marie sur leur poitrine, ou bien que,
pour
rendre l'empreinte plus profonde
et ineffaçable, ils l'y impriment à l'aide d'un fer rouge,
comme firent
dans le transport de leur amour
ses dévots serviteurs Jean-Baptiste Archinto et Augustin d'Espinosa,
tous
deux de la Compagnie de Jésus.
En un mot, qu'ils fassent ou aspirent
à faire tout ce qui est possible à un amant désireux
de témoigner son
affection à la personne qu'il
aime : jamais ils n'arriveront à aimer Marie autant qu'elle les
aime. Gracieuse
Souveraine, s'écriait saint
Pierre Damien, je sais qu'en fait d'amour vous l'emportez sur tous ceux
qui
vous aiment ; vous nous aimez d'un
amour qui ne se laisse vaincre par aucun autre amour.
Le saint frère Alphonse Rodriguez,
de la Compagnie de Jésus, se trouvant un jour au pied d'une image
de
Marie, se sentit tellement embrasé
d'amour pour cette glorieuse Vierge, qu'il laissa échapper ces paroles
:
" Ma très aimable Mère,
je sais que vous m'aimez ; mais vous ne m'aimez pas autant que je vous
aime. "
Alors Marie, comme blessée
en son amour, lui répondit par cette image : " Que dis-tu, Alphonse
? que
dis-tu ? oh ! combien mon amour
pour toi l'emporte sur ton amour envers moi ! Il y a, sache-le bien,
moins de distance entre le ciel
et la terre, qu'entre mon amour et le tien ".
Saint Bonaventure a donc raison de
s'écrier : Heureux ceux qui aiment et servent fidèlement
cette tendre
Mère ! - Oui, heureux sont-ils,
car cette Reine généreuse ne se laisse jamais vaincre en
amour par ses
dévots serviteurs : elle
leur rend amour pour amour, dit un auteur, et, à ses faveurs passées,
elle en ajoute
toujours de nouvelles. Pareille
en cela à Jésus, notre très aimant Rédempteur,
elle leur paie au double, en
les comblant de grâces, l'amour
qu'ils ont pour elle.
J'emprunterai donc ici les amoureux
accents de saint Anselme et je m'écrierai comme lui : Que mon coeur
brûle à jamais, que
mon âme se consume tout entière pour vous, ô Jésus,
mon bien-aimé Sauveur, et ma
chère Mère Marie !
Et, puisque, sans votre grâce, je ne puis vous aimer, ô Jésus
et Marie, faites, je vous
en supplie par vos mérites,
et non par les miens, faites que je vous aime autant que vous le méritez.
O
Dieu plein d'amour pour les hommes
! vous avez pu mourir pour vos ennemis, et vous pourriez refuser, à
qui vous le demande, la grâce
de vous aimer, vous et votre sainte Mère ?
EXEMPLE
Une pauvre jeune fille chargée
de la garde d'un troupeau, aimait tendrement la Vierge Marie, raconte le
père Auriemma ; tout son
plaisir était de se rendre sur une montagne, à une petite
chapelle de
Notre-Dame ; tandis que ses brebis
paissaient à l'entour, elle se retirait dans ce sanctuaire, s'y
entretenait
avec sa Mère chérie
et lui offrait ses hommages. Voyant la petite statue de la sainte Vierge
sans
ornements, elle entreprit de lui
faire un manteau du travail de ses mains ; et un jour, ayant cueuilli
quelques fleurs dans la campagne,
elle en composa une guirlande, monta ensuite sur l'autel, et la mit sur
la
tête de la statue, en disant
: " Ma Mère ! je voudrais poser sur votre front une couronne d'or
et de pierres
; mais, parce que je suis pauvre,
recevez de moi cette pauvre couronne de fleurs, et acceptez-la en signe
de l'amour que je vous porte ".
Cette pieuse bergère ne cessait point de servir et d'honorer ainsi
sa
Dame
bien-aimée.
Voyons maintenant comment, de son
côté, la bonne Mère récompensa les visites et
l'affection de sa fille.
Il arriva que deux religieux passant
dans cette contrée, s'arrêtèrent sous un arbre pour
se remettre des
fatigues du voyage ; l'un s'endormit,
pendant que l'autre veillait, et néanmoins tous deux eurent la même
vision. Ils virent une troupe de
vierges extrêmement belles, au milieu desquelles il s'en trouvait
une qui
surpassait toutes les autres en
beauté et en majesté. L'un d'eux dit à celle-ci :
" Auguste Dame, qui
êtes-vous ? et où allez-vous
par ce chemin ? - Je suis, répondit-elle, la Mère de Dieu
; je vais avec ces
saintes vierges visiter, au hameau
voisin, une jeune bergère qui est sur le point de mourir et qui
m'a rendu
visite bien des fois. " Cela dit,
la vision disparut ; et aussitôt les deux serviteurs de Dieu s'écrièrent
en
même temps : " Allons aussi
la voir ". Ils se mirent en chemin, et trouvèrent bientôt
l'habitation où était la
mourante ; c'était une pauvre
chaumière, où, étant entrés, ils la virent
couchée sur un peu de paille. Ils la
saluèrent, et elle leur dit
: " Mes frères, priez Dieu qu'il vous fasse voir la compagnie qui
m'assiste ". Ils se
mirent à genoux, et aperçurent
Marie, qui se tenait à côté de la mourante, avec une
couronne en main, et
la consolait. Alors, les saintes
qui formaient son cortège, se mirent à chanter : et à
ces doux accents, l'âme
bénie de la pauvre fille
s'étant détachée de son corps, Marie lui posa la couronne
sur la tête, et la conduisit
avec elle en paradis.
PRIÈRE
O douce Souveraine, vous dirai-je
avec saint Bonaventure ; vous qui, par les marques de votre amour
et par vos bienfaits, ravissez les
coeurs de ceux qui vous servent, ravissez aussi mon misérable coeur,
qui désire vous aimer beaucoup.
Quoi ! auguste Mère, par votre beauté, vous avez touché
le coeur d'un
Dieu, vous l'avez attiré
du ciel dans votre sein ; et moi je vivrais sans vous aimer ? Non, certes
; et je
dis avec un autre de vos enfants
qui vous a tant aimée, le pieux Jean Berchmans : Je suis résolu
de ne
me donner aucun repos, jusqu'à
ce que je sois sûr d'avoir obtenu un amour tendre et constant pour
vous, ma Mère, qui m'avez
si tendrement aimé, lors même que j'étais ingrat envers
vous. Où en
serais-je maintenant, ô Marie
! si vous ne m'aviez pas aimé et ne m'aviez pas obtenu tant de
miséricordes ? Si donc vous
m'avez tant aimé et favorisé quand je ne vous aimais pas,
combien plus
dois-je espérer de votre
bonté maintenant que je vous aime ! Oui, je vous aime, ô ma
Mère ! et je
voudrais avoir un coeur capable
de vous aimer pour tous les malheureux qui ne vous aiment point ; je
voudrais avoir une langue capable
de vous louer autant que mille langues, pour faire connaître à
tout
le monde votre grandeur, votre sainteté,
votre miséricorde, et votre amour envers ceux qui vous
aiment.
Si j'avais des richesses, je voudrais
les employer toutes à vous honorer ; si j'avais des sujets, je
voudrais leur inspirer à
tous votre amour ; je voudrais enfin sacrifier pour votre amour et votre
gloire,
s'il le fallait, ma vie même.
Je vous aime donc, ô ma Mère ! mais, en même temps,
hélas ! je crains de
na pas vous aimer ; car j'entends
dire que l'amour rend ceux qui aiment semblable à la personne
aimée. Je dois donc croire
que je vous aime bien peu, en me voyant si loin de vous ressembler ; vous
si
pure, et moi si souillé !
vous si humble, et moi si orgueuilleux ! vous si sainte, et moi si criminel
!
Mais, ô Marie, c'est à
vous de rémédier à mes maux ; montrez-moi votre amour
en me rendant
semblable à vous. Vous êtes
assez puissante pour changer les coeurs ; prenez donc mon coeur et le
changez ; faites voir au monde de
quelle puissance vous disposez en faveur de ceux que vous aimez ;
rendez-moi saint, faites que je
sois votre digne enfant. Ainsi j'espère, ainsi soit-il.