CHAPITRE VII
Illos tuos misericordes ocula as nos converte
Tournez vers nous vos yeux plein de miséricorde.
MARIE, NOTRE GARDIENNE
Marie est tout yeux pour compatir à nos misères et les soulager
Saint Épiphane appelle la
Mère de Dieu Multocula, c'est-à-dire, celle qui est tout
yeux pour soulager nos misères ici-bas. Un jour, en
exorcisant un possédé.
on demanda au démon ce que faisait Marie : " Elle descend et elle
monte ", telle fut la réponse de l'esprit malin.
Par là, il voulait dire que
cette bonne Reine ne fait autre chose que descendre sur la terre pour apporter
des grâces aux hommes, et
monter au ciel pour présenter
nos suppliques au Seigneur et les lui faire agréer. Saint André
d'Avellin avait donc raison d'appeler la
bienheureuse Vierge la Femme d'affaires
du paradis, celle que sa miséricorde tient toujours en action, et
qui ménage des grâces à tous,
justes et pécheurs. Le Seigneur,
dit David, a les yeux ouverts sur les justes ; mais les yeux de Notre-Dame,
observe Richard de
Saint-Laurent, sont également
fixés sur les justes et sur les pécheurs. C'est, ajoute-t-il,
que les yeux de Marie sont des yeux de Mère,
et qu'une mère regarde sans
cesse son enfant, non seulement pour l'empêcher de tomber, mais encore
pour le relever, s'il tombe.
Jésus-Christ lui-même
a daigné manifester cette vérité à sainte Brigitte
; elle l'entendit un jour parler ainsi à sa glorieuse Mère
; " Ma
Mère, demandez-moi tout ce
que vous désirez ". - Tel est le langage que Jésus tient
sans cesse à Marie dans le ciel ; car il aime à
contenter cette Mère chérie
en tout ce qu'elle lui demande. - Mais que lui demande Marie ? Sainte Brigitte
l'entendit qui répondait à son
divin Fils : Je demande miséricorde
pour les misérables ; comme si elle eût dit : Mon Fils, vous
avez voulu que je sois la Mère de
miséricorde, le Refuge des
pécheurs et l'Avocate des malheureux ; et vous me dites de vous
demander ce que je veux ; mais, que
puis-je vouloir, sinon que vous
usiez de miséricorde envers les misérables ? c'est là
que je vous demande : Misericordiam peto miseris.
:" Ainsi, ô Marie, s'écrie
avec attendrissement saint Bonaventure ; vous êtes si pleine de miséricorde,
si attentive à secourir les
malheureux, que vous semblez n'avoir
aucun autre désir, aucune autre sollicitude, que de les assister."
Et, comme, entre tous les
malheureux, les pécheurs
sont les plus à plaindre, le vénérable Bède
assure que Marie est continuellement occupée à prier son
divin Fils
pour les pécheurs.
Dès le temps même que
Marie vivait sur la terre dit saint Jérôme, elle avait le
coeur si compatissant et si tendre envers les hommes,
que personne n'a jamais souffert
de ses propres peines autant que cette bonne Mère souffrait celle
des autres. Elle donna une belle
preuve de cette commisération
dont elle était pénétrée pour les peines d'autrui,
dans le trait déjà cité des noces de Cana : le vin
y étant
venu à manquer, Marie n'attendit
pas qu'on recourût à elle, remarque saint Bernardin, mais
ce fut spontanément qu'elle se chargea du
charitable office de consoler les
affligés ; et, par pure compassion pour la peine des jeunes époux,
elle intercéda auprès de son Fils, et
en obtint le miracle du changement
de l'eau en vin.
Mais, ô bienheureuse Vierge,
s'écrie ici saint Pierre Damien, depuis que vous êtes élevée
à la dignité de Reine du ciel, auriez-vous
peut-être oublié vos
pauvres serviteurs ? A Dieu ne plaise qu'on ait jamais une telle pensée
! reprend-il aussitôt ; une miséricorde telle
que celle qui règne dans
le coeur de Marie, ne saurait oublier une misère comme la nôtre.
A Marie ne s'applique pas le proverbe si
connu, que les honneurs changent
les moeurs. Cela est vrai quant aux mondains, qui ne peuvent parvenir à
quelque dignité sans
s'enorgueillir et oublier leurs
anciens amis restés pauvres ; il n'en est pas ainsi de Marie ; si
elle se réjouit de son élévatopm. c'est qu'elle
y trouve un moyen de secourir plus
efficacement les malheureux.
C'est précisément pour
ce motif que saint Bonaventure lui applique les paroles dites à
Ruth : Vos dernières bontés ont surpassé les
premières. Le saint entend
par là, comme il l'explique ensuite, que la compassion envers les
malheureux, déjà si grande en Marie, alors
qu'elle était encore ici-bas,
est encore bien plus grande aujourd'hui qu'elle règne dans les cieux.
Et il en donne la raison : " Si cette
divine Mère, dit-il, nous
témoigne maintenant, par les innombrables grâces qu'elle nous
obtient, une plus grande miséricorde, c'est
qu'elle connaît mieux nos
misères". " Oui, ajoute-t-il, autant l'éclat du soleil surpasse
celui de la lune, autant la compassion de Marie
pour nous, maintenant qu'elle est
dans la gloire, surpasse celle qu'elle nous portait ici-bas." Le saint
conclut en ces termes : "Est-il au
monde un homme qui ne jouisse de
la lumière du soleil ? de même, il n'est personne sur qui
ne tombent les rayons de la miséricorde de
Marie". Voilà pourquoi elle
est comparée au soleil ; et le docteur séraphique lui applique
ce qui est dit de cet astre : Il n'est personne qui
échappe à sa chaleur.
Cet enseignement est confirmé
par une révélation de sainte Agnès à sainte
Brigitte ; on y lit : Maintenant que notre Reine est
étroitement unie avec son
Fils dans le ciel, elle ne s'est pas dépouillée de la bonté
qui lui est naturelle ; aussi fait-elle sentir les effets de
sa tendresse à tous les hommes,s
ans en excepter les pécheurs les plus impies. Et comme le soleil
éclaire tous les corps, les terrestres
aussi bien que les célestes
; ainsi, grâce à la douceur de Marie et par son entremise,
il n'est personne au monde qui n'ait part aux
divines miséricordes, pourvu
qu'il les implore.
Au royaume de Valence, un grand criminel
avait résolu de passer chez les Turcs et d'y prendre le turban ;
il désespérait d'échapper
autrement aux coups de la justice.
Déjà même il se rendait au port pour s'embarquer lorsque,
passant devant une église, il y entra et
assista au sermon qu'y prêchait
en ce moment le Père Jérôme Lopez de la Compagnie de
Jésus. A ce sermon, qui roulait sur la
miséricorde divine, le pécheur
se convertit et se confessa au prédicateur lui-même. Celui-ci
lui demandan s'il avait conservé quelque
pratique pieuse en retour de laquelle
Dieu lui aurait fait cette grâce insigne. " La seule dévotion
que j'aie pratiquée, répondit-il, a été de
prier chaque jour la sainte Vierge
de ne pas m'abandonner".
Le même religieux rencontra
un jour à l'hôpital un autre pécheur qui ne s'était
pas confessé depuis cinquante ans ; toute sa religion
pendant cet intervalle s'était
réduite à ceci : quand il voyait une image de Marie, il la
saluait et priait la divine Mère de ne pas le laisser
mourir dans le péché
mortel. Or, il raconta que, dans une rixe avec un de ses ennemis, son épée
s'était rompue; et alors, se tournant
vers le bienheureuse Vierge, il
s'était écrié; "Hélas ! me voilà mort
et damné. Mère des pécheurs ! secourez-moi." Et, en
disant ses
mots, il s'était trouvé,
sans savoir comment, en lieu sûr. Cet homme fit une confession générale
et mourut plein de confiance.
Selon saint Bernard, Marie se fait
tout à tous ; elle ouvre à tous les hommes le sein de sa
miséricorde, afin que tous reçoivent de sa
plénitude : l'esclave, la
liberté, le malade, la santé, l'affligé des consolations,
le pécheur, la remise de ses fautes ; il n'est pas jusqu'à
Dieu qui n'en reçoive une
grande augmentation de gloire ; en un mot, il n'est personne qui ne ressente
la chaleur de ce bienfaisant
Soleil.
Et qui dans le monde pourrait ne
pas aimer cette Reine tout aimable, s'écrie saint Bonaventure ?
elle est plus belle que l'astre du jour,
plus douce que le miel ; crai trésor
de bonté, elle est tendre et affable envers tout le monde. Je vous
salue donc, ô ma Souveraine et ma
Mère, je dirai même
mon Coeur, mon Ame ! Pardonnez-moi, ô Marie, si j'ose dire que je
vous aime ; car, si je ne suis pas digne de
vous aimer, vous êtes assurément
bien digne d'être aimée de moi.
Selon une révélation
faite à sainte Gertrude, lorsqu'on adresse avec dévotion
à Marie ces paroles du Salve Regina : Eia ergo, Advocata
nostra ! illos tuos misericordes
oculos ad nos converte : "De grâce, ô notre Avocate, tournez
vers nous vos yeux miséricordieux " ; -
cette bonne Mère ne peut
s'empêcher de se rendre au désir de qui la prie ainsi.
Oui, dit saint Bernard, l'immense
miséricorde de Marie remplit tout l'univers. Et, selon saint Bonaventure,
cette Mère pleine de
tendresse, a un tel désir
de faire du bien à tout le monde, qu'elle se tient pour offensée,
non seulement par ceux qui l'outragent
positivement ; - car il est des
hommes, spécialement les joueurs, qui, dans la colère, poussent
la perversité jusqu'à blasphémer et
insulter cette douce Reine ; - mais
Marie se croit offensée aussi par ceux qui ne lui demandent jamais
aucune grâce. Ainsi, ô Marie !
ajoute saint Hildebert, vous nous
enseignez à espérer des grâces au-dessus de nos mérites,
puisque vous ne cessez de nous en
distribuer qui dépassent
de beaucoup ce que nous méritons.
Le prophète Isaïe avait
prédit que la grande oeuvre de notre rédemption, aurait pour
effet de préparer un trône où la divine miséricorde
donnerait audience à notre
misère. Quel est ce trône? " C'est Marie, répond saint
Bonaventure, car en elle, justes et pécheurs, tous les
hommes trouvent les consolations
de la miséricorde". Ensuite, il ajoute : " De même que Notre-Seigneur,
Notre-Dame est pleine de
miséricorde ; et la Mère,
non plus que le Fils, ne sait refuser sa commisération à
ceux qui l'implorent " : Dans le même sens, l'abbé
Guéric fait parler ainsi
Jésus à sa Mère : Ma Mère, je placerai en vous
le siège de mon empire ; car c'est par vous que j'accorderai les
grâces qui me seront demandées
: vous m'avez donné ce que j'ai d'humain ; je vous donnerai ce que
j'ai de divin, c'est-à-dire, la
toute-puissance, en vertu de laquelle
vous pourrez aider à se sauver ceux que vous voudrez.
Un jour que sainte Gertrude adressait
avec ferveur à la Mère de Dieu les paroles citées
plus haut : " Tournez vers nous vos yeux
miséricordieux", elle vit
tout à coup la bienheureuse Vierge, qui lui dit en montrant les
yeux de son Fils qu'elle tenait dans ses bras : "
Voici les yeux pleins de miséricorde
qui se tournent à mon gré pour sauver ceux qui m'invoquent."
Comme un pécheur fondait en
larmes devant une image de Marie, la priant de lui obtenir de Dieu son
pardon, il entendit cette auguste
Mère dire au Sauver enfant,
qu'elle portait entre ses bras : " Mon Fils, ces larmes seront-elles versées
en pure perte" ? Et il comprit que
Jésus-Christ lui pardonnait.
Comment, en effet, pourrait-il périr,
celui qui se recommande à cette clémente Reine, vu que le
Sauveur lui-même, parlant avec la
suprême autorité d'un
Dieu, a promis à sa Mère d'user pour l'amour d'elle de toute
la miséricorde qu'elle voudra envers ceux qui la
prendront pour avocate ? Ceci fut
révélé à sainte Brigitte : elle entendit Jésus-Christ
qui adressait ces paroles à Marie : " En vertu de ma
toute-puissance, je vous ai accordé,
à vous mon auguste Mère, le pouvoir de faire grâce
à tous les pécheurs qui invoqueront
pieusement le secours de votre maternelle
bonté, et de le faire de telle manière qu'il vous plaira."
Plein de confiance en considérant
ce haut crédit de Marie auprès de Dieu, et son ineffable
tendresse à notre égard, l'abbé Adam de
Perseigne lui parlait ainsi : O
Mère de miséricorde, votre bonté égale votre
puissance, et vous n'êtes pas moins indulgente envers les
pécheurs que votre intercession
est efficace. Quand pourra-t-il se faire que vous refusiez votre compassion
aux malheureux, vous qui
êtes la Mère de la
toute-puissance ? Jamais, car il vous est aussi facile d'obtenir une grâce
quelconque, que de connaître nos misères.
Rassasiez-vous donc, ô grande
Reine, s'écrie l'abbé Guéric, rassasiez-vous de la
gloire de votre divin Fils, et, sinon pour nos mérites,
du moins par compassion, laissez
tomber ici-bas, pour nous, vos pauvres serviteurs et enfants, les miettes
de votre table.
Si nos péchés nous
inspirent de la défiance, disons avec Guillaume de Paris : Ma douce
Souveraine, n'alléguez pas mes péchés contre
moi, car, contre mes péchés,
j'allègue votre miséricorde. Ah ! qu'il ne soit pas dit que
mes péchés ont pu tenir en échec votre
miséricorde ; elle peut bien
plus pour me faire absoudre, que toutes mes fautes pour me condamner.
EXEMPLE
On lit dans les Annales des Capucins,
qu'il y avait à Venise un célèbre avocat qui s'était
enrichi par des moyens frauduleux et injustes ;
de sorte qu'il vivait dans l'état
de péché. Peut-être n'avait-il autre chose de bon que
la coutume de réciter chaque jour certaine prière à
la sainte Vierge ; et cependant,
grâce à la miséricorde de Marie, cette pauvre dévotion
lui valut d'échapper à la mort éternelle. Voici
comment. Il avait eu le bonheur
de se lier d'amitié avec le Père Matthieu de Basso ; et il
lui faisait si souvent des insistances pour l'avoir
à dîner, qu'enfin le
bon religieux lui donna sa parole. En le voyant arriver, l'avocat lui dit
: "Maintenant, mon Père, je vais vous faire une
chose que vous n'avez jamais vue.
J'ai un singe admirable qui me sert comme un valet : il lave les verres,
met la table, ouvre la porte...
- Prenez garde, répondit le
père, que ce ne soit pas le singe, mais quelque chose de plus ;
veuillez le faire venir ici". On appelle le singe,
on l'appelle encore, on le cherche
partout, et le singe ne paraît point. On le trouva enfin, caché
sous un lit au rez-de-chaussée, mais
l'on ne put le faire sortir de là.
" Eh bien ! dit alors le religieux, allons nous-mêmes le trouver
". Arrivé avec l'avocat à la retraite du
singe : " Bête infernale,
lui dit-il, sors à l'instant, et je t'ordonne, au nom de Dieu, de
déclarer qui tu es ". Le prétendu singe répondit
aussitôt qu'il était
le démon. " J'attendais, ajouta-t-il, que ce pécheur laissât
passer un jour sans réciter sa prière accoutumée en
l'honneur de la divine Mère
; car Dieu m'avait donné la permission de l'étrangler la
première fois qu'il négligerait cette pratique, et de
l'emporter en enfer." Là-dessus,
le pauvre avocat se jette à genous et réclame l'assistance
du serviteur de Dieu. Celui-ci le rassure, et
commande à l'esprit malin
de quitter cette maison, sans aucun dommage. "Je te permets seulement,
ajouta-t-il, de percer le mur en
signe de ton départ ". Il
l'avait à peine dit, qu'on entendit un grand bruit, et l'on vit
une ouverture faite au mur. A plusieurs reprises,
mais toujours en vain, on essaya
de la combler avec de la chaux et des pierres ; Dieu voulut qu'elle subsistât
longtemps ; et l'on ne
parvait à la fermer qu'en
y plaçant, d'après le conseil du serviteur de Dieu, une plaque
de marbre où était fixée une figure d'ange. Quant
à notre avocat, il se convertit,
et nous avons lieu de croire qu'il persévéra jusqu'à
la mort dans ce changement de conduite.
PRIÈRE
O la plus grande et la plus sublime
de toutes les créatures, Vierge très sainte, du fond de mon
exil je vous salue, moi misérable qui,
tant de fois, me suis révolté
contre Dieu, moi qui mérite des châtiments et non des grâces,
des rigueurs et non des miséricordes. Ma
Souveraine, ce n'est pas la défiance,
qui m'inspire ce langage, votre bonté m'est connue : je sais que,
plus vous êtes grande, plus vous
vous glorifiez d'être douce
et bienfaisante ; je sais que vos immenses richesses ont du prix à
vos yeux, précisément parce qu'elles vous
permettent de venir en aide à
notre indigence ; je sais que la pauvreté même de ceux qui
vous invoquent, est un titre chez vous pour
redoubler de zèle à
les protéger, à les sauver.
C'est vous, ô ma Mère,
qui pleurâtes un Fils mort pour l'amour de moi : vos larmes, offrez-les
à Dieu, je vous en supplie, afin de
m'obtenir une vraie douleur de mes
péchés. Oh ! quelle douleur vous causèrent en ce jour
les pécheurs ; dans quelle amertume, moi
aussi, je vous plongeai par mes
crimes ! O Marie, obtenez-moi la grâce de ne plus vous affliger du
moins à l'avenir, vous et votre
Fils, en renouvelant mes ingratitudes
à votre égard. De quelle utilité me seraient vos lamermes
si je continuais de me montrer ingrat
envers vous ? Ah ! ma Reine, ne
le souffrez pas. Vous avez suppléé à toute mon indignité
; vous obtenez de Dieu tout ce que vous
voulez ; vous exaucez tous ceux
qui vous prient ; eh bien ! voici deux grâces que je vous demande
; je les attends de vous avec
assurance, je les veux : obtenez-moi
d'être fidèle à Dieu, de ne l'offenser jamais plus,
et de l'aimer le reste de ma vie autant que je l'ai
offensé.
suite
des Gloires
de Marie de Saint Alphonse-Marie de Liguori