LETTRE ENCYCLIQUE
DE SA SAINTETÉ LE PAPE LÉON XIII
A ses vénérables Frères tous les patriarches, primats et archevêques du monde catholique, en grâce et en communion avec le Saint-Siège.
Vénérables frères, Salut et Bénédiction apostolique.
La Providence de Dieu, qui, par un admirable dessein d'amour, a élevé au commencement le genre humain à une participation de la nature divine; qui ensuite a rétabli dans sa dignité première l'homme délivré de la tache commune et arraché à sa perte, a apporté à ce même homme un précieux appui, afin de lui ouvrir, par un moyen surnaturel, les trésors cachés de sa divinité, de sa sagesse, de sa miséricorde.
Quoiqu'on doive comprendre dans la révélation divine des vérités
qui ne sont pas accessibles à la raison humaine, et qui, par suite, ont
été révélées à l'homme " afin
que tous puissent les connaître facilement, avec une ferme certitude,
sans aucun mélange d'erreur ", cependant cette révélation
ne peut pas être dite nécessaire d'une façon absolue, mais
parce que Dieu, dans son infinie bonté, a destiné l'homme à
une fin surnaturelle (1).
1. Conc. Vat. sess. III, cap. II De Revel.
" Cette révélation surnaturelle, selon la foi de l'Eglise
universelle, est renfermée tant dans les traditions non écrites
que dans les livres qu'on appelle saints et canoniques, parce qu'écrits
sous l'inspiration de l'Esprit-Saint, ils ont Dieu pour auteur et ont été
livrés comme tels à l'Eglise (2). "
2. Ibid.
C'est ce que celle-ci n'a cessé de penser et de professer publiquement
au sujet des livres de l'Ancien et du Nouveau Testament. On connaît des
documents anciens très importants qui indiquent que Dieu a parlé
d'abord par les prophètes, ensuite par lui-même, puis par les apôtres,
qu'il nous a aussi donné l'Ecriture qu'on appelle canonique (saint Augustin,
de civ. Dei) (3) qui n'est autre que les oracles et les paroles divines (4);
qu'elle constitue comme une lettre accordée par le Père céleste
au genre humain voyageant loin de sa patrie, et que nous ont transmise les auteurs
sacrés (5).
3. St Augustin, De civ. Dei XI, 3.
4. St Clément de Rome, 1 Ad Cor. 45 ; St Polycarpe Ad Phil. 7 ; St Irénée Contra Haereses II, 28, 2.
5. St Jean Chrysostome, In Gen. hom. 2, 2 ; St Augustin, In Ps. 30, Serm., 3, 1 ; St. Grégoire le Grand, Ad Theod. ep. IV, 31.
Cette origine montre bien quelle est l'excellence et la valeur des Ecritures
qui, ayant pour auteur Dieu lui-même, contiennent l'indication de ses
mystères les plus élevés, de ses desseins, de ses œuvres.
Il résulte de là que la partie de la théologie qui concerne
la conservation et l'interprétation de ces livres divins est fort importante
et de la plus grande utilité.
Nous avons eu à cœur de faire progresser d'autres sciences qui Nous
paraissaient très propres à l'accroissement de la gloire divine
et au salut des hommes; tel a été, de Notre part, le sujet de
fréquentes lettres et de nombreuses exhortations qui, avec l'aide de
Dieu, ne sont pas demeurées sans résultat. Nous Nous proposions
depuis longtemps de ranimer de même et de recommander cette si noble étude
des Saintes Lettres, et de la diriger d'une façon plus conforme aux nécessités
des temps actuels.
La sollicitude de Notre charge apostolique Nous engage et, en quelque sorte,
Nous pousse, non seulement à vouloir ouvrir plus sûrement et plus
largement, pour l'utilité du peuple chrétien, cette précieuse
source de la révélation catholique, mais encore à ne pas
souffrir qu'elle soit troublée en aucune de ses parties, soit par ceux
qu'excite une audace impie et qui attaquent ouvertement l'Ecriture Sainte, soit
par ceux qui suscitent à ce sujet des innovations trompeuses et imprudentes.
Nous n'ignorons pas, en effet, Vénérables Frères qu'un
certain nombre de catholiques, hommes riches en science et en talent, se consacrent
avec ardeur à défendre les Livres Saints ou à en propager
davantage la connaissance et l'intelligence. Mais, en louant à bon droit
leurs travaux et les résultats qu'ils obtiennent, Nous ne pouvons manquer
d'exhorter à remplir cette sainte tâche et à mériter
le même éloge d'autres hommes dont le talent, la science et la
piété promettent, dans cette œuvre, de magnifiques succès.
Nous souhaitons ardemment qu'un plus grand nombre de fidèles entreprennent,
comme il convient, la défense des Saintes Lettres et s'y attachent avec
constance ; Nous désirons surtout que ceux qui ont été
appelés par la grâce de Dieu dans les Ordres sacrés mettent
de jour en jour un plus grand soin et un plus grand zèle à lire,
à méditer et à expliquer les Ecritures ; rien n'est plus
conforme à leur état.
Outre l'excellence d'une telle science et l'obéissance due à la
parole de Dieu, un autre motif Nous fait surtout juger que l'étude des
Livres Saints doit être très recommandée: ce motif, c'est
l'abondance des avantages qui en découlent, et dont Nous avons pour gage
assuré la parole de l'Esprit-Saint : " Toute l'Ecriture divinement
inspirée est utile pour instruire, pour raisonner, pour toucher, pour
façonner à la justice, afin que l'homme de Dieu soit parfait,
prêt à toute bonne œuvre (1). "
1. II Tim. III, 16-17.
C'est dans ce dessein que Dieu a donné aux hommes les Ecritures ; les
exemples de Notre-Seigneur Jésus-Christ et des apôtres le montrent.
Jésus lui-même en effet, qui " s'est concilié l'autorité
par des miracles, a mérité la foi par son autorité et a
gagné la multitude par sa foi (1) ", avait coutume d'en appeler
aux Saintes Écritures en témoignage de sa mission divine.
1. St Augustin, De util. cred. XIV, 32.
Il se sert, à l'occasion, des I.ivres Saints afin de déclarer
qu'il est envoyé de Dieu et Dieu lui-même; il leur emprunte des
arguments pour instruire ses disciples et pour appuyer sa doctrine; il invoque
leurs témoignages contre les calomnies de ses ennemis, il les oppose
en réponse aux Sadducéens et aux Pharisiens, et les retourne contre
Satan lui-même qui les invoque avec impudence; il les emploie encore à
la fin de sa vie, et, une fois ressuscité, les explique à ses
disciples, jusqu'à ce qu'il monte dans la gloire de son Père.
Les apôtres se sont conformés à la parole et aux enseignements
du Maître, et quoique lui-même eût accordé que des
" signes et des miracles soient faits par leurs mains " (2), ils ont
tiré des Livres Saints un grand moyen d'action pour répandre au
loin parmi les nations la sagesse chrétienne, vaincre l'opiniâtreté
des juifs et étouffer les hérésies naissantes.
2. Actes 14, 3.
Ce fait ressort de leurs discours et en première ligne de ceux de saint
Pierre; ils les composèrent, en quelque sorte, de paroles de l'Ancien
Testament comme étant l'appui le plus ferme de la loi nouvelle. Ceci
est non moins évident d'après les Evangiles de saint Matthieu
et de saint Jean, et les épîtres que l'on appelle catholiques,
d'après surtout le témoignage de celui qui, " devant Gamaliel,
se glorifie d'avoir étudié la loi de Moïse et les Prophètes,
afin que, muni des armes spirituelles, il pût ensuite dire avec confiance
: " Les armes de notre milice n'ont rien de terrestre : c'est la puissance
de Dieu (3). "
3. St Jérôme, De stud. script. ad paulin. ép. LIII, 3.
Que tous, surtout les soldats de l'armée sacrée, comprennent donc,
d'après les exemples du Christ et des apôtres, quelle estime ils
doivent avoir de la Sainte Ecriture, avec quel zèle, avec quel respect
il leur faut, pour ainsi dire, s'approcher de cet arsenal.
En effet, ceux qui doivent répandre, soit parmi les doctes, soit parmi
les ignorants, la vérité catholique, ne trouveront nulle part
ailleurs des enseignements plus nombreux et plus étendus sur Dieu, le
bien souverain et très parfait, sur les œuvres qui mettent en lumière
sa gloire et son amour. Quant au Sauveur du genre humain, aucun texte n'est,
à son sujet, plus fécond et plus émouvant que ceux qu'on
trouve dans toute la Bible, et saint Jérôme a eu raison d'affirmer
que " l'ignorance des Écritures, c'est l'ignorance du Christ (4)
" ; là, on voit comme vivante et agissante, l'image du Fils de Dieu
; ce spectacle, d'une façon admirable, soulage les maux, exhorte à
la vertu et invite à l'amour divin.
4. In Isaiam, prol.
En ce qui concerne l'Eglise, son institution, ses caractères, sa mission,
ses dons, on trouve dans l'Ecriture tant d'indications, il y existe en sa faveur
des arguments si solides et si bien appropriés que ce même saint
Jérôme a pu dire avec beaucoup de raison : " Celui qui est
appuyé fermement sur les témoignages des Saints Livres, celui-là
est le rempart de l'Eglise (5). "
5. In Isaiam, 54:12.
Si maintenant ils cherchent des préceptes relatifs aux bonnes mœurs
et à la conduite de la vie, les hommes apostoliques rencontreront dans
la Bible de grandes et excellentes ressources, des prescriptions pleines de
sainteté, des exhortations réunissant la suavité et la
force, des exemples remarquables de toutes sortes de vertus, auxquels s'ajoutent
la promesse des récompenses éternelles et l'annonce des peines
de l'autre monde, promesse et annonce faites au nom de Dieu et en s'appuyant
sur ses paroles.
C'est cette vertu particulière aux Écritures, et très remarquable
provenant du souffle divin de l'Esprit-Saint qui donne de l'autorité
à l'orateur sacré, lui inspire une liberté de langage tout
apostolique et lui fournit une éloquence vigoureuse et convaincante.
Quiconque, en effet, porte dans son discours l'esprit et la force de la parole
divine, celui-ci , " ne parle pas seulement en langage, mais dans la vertu,
dans l'Esprit-Saint et avec une grande abondance de fruits (1). "
1. I Thess. I, 5.
Aussi on doit dire qu'ils agissent d'une façon maladroite et imprévoyante
ceux qui parlent de la religion et énoncent les préceptes divins
sans presque invoquer d'autre autorité que celles de la science et de
la sagesse humaines, s'appuyant sur leurs propres arguments plutôt que
sur les arguments divins (2).
2. Jerem. XXIII, 29.
En effet, leur éloquence, quoique brillante, est nécessairement
languissante et froide, en tant qu'elle est privée du feu de la parole
de Dieu, et elle manque de la vertu qui brille dans ce langage divin : "
Car la parole de Dieu est plus forte et plus pénétrante que tout
glaive à deux tranchants ; elle entre dans l'âme et l'esprit au
point de les fendre en quelque sorte (3). "
3. Heb. IV, 12.
D'ailleurs, les savants eux-mêmes doivent en convenir; il existe dans
les Saintes Lettres une éloquence admirablement variée, admirablement
riche et digne des plus grands objets: c'est ce que saint Augustin a compris
et a parfaitement prouvé (4), et ce que l'expérience permet de
vérifier dans les ouvrages des orateurs sacrés. Ceux-ci ont dû
surtout leur gloire à l'étude assidue et à la méditation
de la Bible, et ils en ont témoigné leur reconnaissance à
Dieu.
4. De doctr. chr. IV, 6, 7.
Connaissant à fond toutes ces richesses et en faisant un grand usage,
les saints Pères n'ont pas tari d'éloges au sujet des Saintes
Ecritures et des fruits qu'on en peut tirer.
Dans maint passage de leurs œuvres, ils appellent les Livres Saints "
le précieux trésor des doctrines célestes (5), les fontaines
du salut (6) ", les comparant à des prairies fertiles, à
de délicieux jardins dans lesquels le troupeau du Seigneur trouve une
force admirable et un grand charme (7).
5. St Jean Chrysostome, In Gen. hom. XX, 2 ; hom., LX, 3 ; St Augustin, De disc.
christ. II.
6. St Athanase, Ep. fest. XXXIX.
7. St Augustin, Serm. XXVI, 24 ; St Ambroise, In Ps. 118, Serm. XIX, 2.
Elles sont bien justes, ces paroles de saint Jérôme au clerc Népotien
: " Lis souvent les Saintes Ecritures, bien plus, ne dépose jamais
le Livre sacré : apprends ce que tu devras enseigner ; que le langage
du prêtre soit appuyé sur la lecture des Ecritures (1). "
1. St Jérôme, De vita cleric. ad Nepot.
Tel est aussi le sens de la parole de saint Grégoire le Grand qui a indiqué,
plus excellemment que personne, les devoirs des pasteurs de l'Eglise: "
Il est nécessaire, dit-il, que ceux qui s'appliquent au ministère
de la prédication ne cessent d'étudier les Saints Livres (2).
"
2. St Grégoire le Grand, Regul. past. II, 11 (al. 22) ; Moral. XVII,
26 (al. 14).
Ici, cependant, il nous plaît de rappeler l'avis de saint Augustin : "
Ce ne sera pas au dehors un vrai prédicateur de la parole de Dieu, celui
qui ne l'écoute pas au-dedans de lui-même (3). "
Saint Grégoire encore conseillait aux auteurs sacrés " qu'avant de porter la parole divine aux autres, ils s'examinent eux-mêmes, pour ne pas se négliger en s'occupant des actions d'autrui (4). "
3. St Augustin, Serm. CLXXIX, 1.
4. St Grégoire le Grand, Regul. past. III, 24 (al. 48).
D'ailleurs, cette vérité avait déjà été
mise en lumière par la parole et par l'exemple du Christ, qui commença
" à agir et à enseigner ", et la voix de l'Apôtre
l'avait proclamée, s'adressant non seulement à Timothée,
mais à tout l'Ordre des clercs, lorsqu'elle énonçait ce
précepte : Veille sur toi et sur ta doctrine avec attention, car en agissant
ainsi, tu te sauveras toi-même et tu sauveras tes auditeurs (5).
5. I Tim. 4:16
Assurément, on trouve pour sa propre sanctification et pour celle des
autres, de précieux secours dans les Saintes Lettres, ils sont très
abondants surtout dans les psaumes. Toutefois, ceux-là seuls en profiteront
qui prêteront à la divine parole non seulement un esprit docile
et attentif, mais encore une bonne volonté parfaite et une grande piété.
Ces livres, en effet, dictés par l'Esprit-Saint lui-même, contiennent
des vérités très importantes, cachées et difficiles
à interpréter en beaucoup de points; pour les comprendre et les
expliquer nous aurons donc toujours besoin de la présence de ce même
Esprit (6), c'est-à-dire de sa lumière et de sa grâce, qui,
comme les psaumes nous en avertissent longuement, doivent être implorées
par la prière humaine, accompagnée d'une vie sainte.
6. St Jérôme, In Mich. I,10.
Et c'est en ceci qu'apparaît magnifiquement la prévoyance de l'Eglise.
" Pour ne pas que ce trésor des Livres Saints, que l'Esprit-Saint
a livré aux hommes avec une souveraine libéralité, restât
négligé (7) ", elle a multiplié en tout temps les
institutions et les préceptes. Elle a décrété non
seulement qu'une grande partie des Ecritures serait lue et méditée
par tous ses ministres dans l'office quotidien, mais que ces Ecritures seraient
enseignées et interprétées par des hommes instruits dans
les cathédrales, dans les monastères, dans les couvents des réguliers,
où les études pourraient être prospères; elle a ordonné
par un rescrit que les dimanches et aux fêtes solennelles, les fidèles
seraient nourris des salutaires paroles de l'Evangile. Ainsi, grâce à
la sagesse et à la vigilance de l'Eglise l'étude des Saintes Ecritures
se maintient florissante et féconde en fruits de salut.
7. Conc. Trid. sess. V, Decret. de reform., 1.
Pour affermir Nos arguments et Nos exhortations, Nous aimons à rappeler
comment tous les hommes remarquables par la sainteté de leur vie et par
leur science des vérités divines, ont toujours cultivé
assidûment les Saintes Ecritures. Nous voyons que les plus proches disciples
des apôtres, parmi lesquels Nous citerons Clément de Rome, Ignace
d'Antioche, Polycarpe, puis les Apologistes, spécialement Justin et Irénée,
ont, dans leurs lettres et dans leurs livres tendant soit à la conservation,
soit à la propagation des dogmes divins, introduit la doctrine, la force,
la piété des Livres Saints.
Dans les écoles de catéchisme et de théologie qui furent
fondées près de beaucoup de sièges épiscopaux, et
dont les plus célèbres furent celles d'Alexandrie et d'Antioche,
l'enseignement donné ne consistait pour ainsi dire que dans la lecture,
l'explication, la défense de la parole de Dieu écrite.
De ces établissements sortirent la plupart des Pères et des écrivains
dont les études approfondies et les remarquables ouvrages se succédèrent
pendant trois siècles en si grande abondance que cette période
a été appelée l'âge d'or de l'exégèse
biblique.
Parmi ceux d'Orient, la première place revient à Origène,
homme admirable par la prompte conception de son esprit et par ses travaux non
interrompus. C'est dans ses nombreux ouvrages et dans ses immenses Hexaples,
qu'ont puisé presque tous ses successeurs.
Il faut en énumérer plusieurs, qui ont étendu les limites
de cette science : ainsi, parmi les plus éminents, Alexandrie a produit
Clément et Cyrille ; la Palestine, Eusèbe, et le second Cyrille
; la Cappadoce, Basile le Grand, Grégoire de Nazianze et Grégoire
de Nysse ; Antioche, ce Jean Chrysostome, en qui une érudition remarquable
s'unissait à la plus haute éloquence.
L'Eglise d'Occident n'a pas acquis moins de gloire. Parmi les nombreux docteurs
qui s'y sont distingués, illustres sont les noms de Tertullien et de
Cyprien, d'Hilaire et d'Ambroise, de Léon le Grand, et de Grégoire-le-Grand,
mais surtout ceux d'Augustin et de Jérôme.
L'un se montra d'une pénétration admirable dans l'interprétation
de la parole de Dieu, et d'une habileté consommée à en
tirer parti pour appuyer la vérité catholique; l'autre, possédant
une connaissance extraordinaire de la Bible et ayant fait sur les Livres Saints
de magnifiques travaux, a été honoré par l'Eglise du titre
de Docteur très grand.
Depuis cette époque jusqu'au XIe siècle, quoique ces études
n'aient pas été aussi ardemment cultivées et aussi fécondes
en résultats que précédemment, elles furent cependant florissantes,
grâce surtout au zèle des prêtres.
Ceux-ci eurent soin, en effet, ou de recueillir les ouvrages que leurs prédécesseurs
avaient laissés sur ce sujet si important, ou de les répandre
après les avoir étudiés à fond et enrichis de leurs
propres travaux; c'est ainsi qu'agirent, entre autres, Isidore de Séville,
Bède, Alcuin. Ils munirent de gloses les manuscrits sacrés, comme
Valafride Strabon et Anselme de Laon, ou travaillèrent par des procédés
nouveaux à maintenir l'intégrité des textes, comme le firent
Pierre Damien et Lanfran.
Au XIIe siècle, la plupart entreprirent avec beaucoup de succès
l'explication allégorique des Saintes Ecritures; dans ce genre, saint
Bernard se distingua facilement parmi tous les autres ; ses sermons ne s'appuient
presque que sur les Lettres divines.
Mais aussi, de nouveaux et abondants progrès furent faits grâce
à la méthode des scolastiques. Ceux-ci, bien qu'ils se soient
appliqués à faire des recherches relatives au véritable
texte de la version latine, comme le prouvent les Bibles corrigées qu'ils
ont fait paraître, mirent cependant plus de zèle encore et plus
de soin à l'interprétation et à l'explication des Livres
Saints.
Aussi savamment et aussi clairement qu'aucun de leurs prédécesseurs,
ils distinguèrent les divers sens des mots latins, établirent
la valeur de chacun au point de vue théologique, marquèrent les
différents chapitres des livres et le sujet de ces chapitres, creusèrent
la signification des paroles bibliques, expliquèrent la liaison des préceptes
entre eux. Tout le monde voit quelle lumière a été ainsi
apportée dans les points obscurs. En outre, leurs livres, soit relatifs
à la théologie, soit commentant les Saintes Ecritures elles-mêmes,
manifestent une science profonde puisée dans les Livres Sacrés.
A ce titre, saint Thomas d'Aquin a obtenu parmi eux la palme.
Mais après que Clément V, Notre prédécesseur, eut
attaché à l'Athénée de Rome et aux plus célèbres
universités des maîtres de langues orientales, ceux-ci commencèrent
à étudier la Bible, à la fois sur le manuscrit original
et sur la traduction latine. Lorsque ensuite, les monuments de la science des
Grecs nous furent rapportés, lorsque surtout l'art nouveau de l'imprimerie
eut été inventé, le culte de la Sainte Ecriture se répandit
beaucoup. Il est étonnant combien, en peu de temps, se multiplièrent
les éditions des Livres sacrés, surtout de la Vulgate; elles remplirent
le monde catholique, tellement, même à cette époque si décriée
par les ennemis de l'Eglise, les Livres divins étaient aimés et
honorés.
On ne doit pas omettre de rappeler quel grand nombre d'hommes doctes appartenant
surtout aux Ordres religieux, depuis le Concile de Vienne jusqu'au Concile de
Trente, travaillèrent à la prospérité des études
bibliques. Ceux-ci, grâce à des secours nouveaux, à leur
vaste érudition, à leur remarquable talent, non seulement accrurent
les richesses accumulées par leurs prédécesseurs, mais
préparèrent en quelque sorte la route aux savants du siècle
suivant, durant lequel, à la suite du Concile de Trente, l'époque
si prospère des Pères de l'Eglise parut en quelque sorte recommencer.
Personne, en effet, n'ignore, et il Nous est doux de le rappeler, que nos prédécesseurs,
de Pie IV à Clément VIII, ont fait en sorte que l'on publiât
de remarquables éditions des versions anciennes, de celle d'Alexandrie
et de la Vulgate. Celles qui parurent ensuite par l'ordre et sous l'autorité
de Sixte-Quint et du même Clément sont aujourd'hui d'un usage commun.
On sait qu'à cette époque furent éditées, en même
temps que d'autres versions anciennes de la Bible, les bibles polyglottes d'Anvers
et de Paris, très bien disposées pour la recherche du sens exact.
Il n'y a aucun livre des deux Testaments qui n'ait alors rencontré plus
d'un habile interprète. Il n'y a aucune question se rattachant à
ces sujets qui n'ait exercé d'une façon très fructueuse
le talent de beaucoup de savants, parmi lesquels un certain nombre, ceux surtout
qui étudièrent le plus les saints Pères, se firent un nom
remarquable.
Enfin, depuis cette époque, le zèle n'a pas fait défaut
à nos exégètes. Des hommes distingués ont bien mérité
des études bibliques et ont défendu les Saintes Lettres contre
les attaques du rationalisme, attaques tirées de la philologie et des
sciences analogues et qu'ils ont réfutées par des arguments du
même genre.
Tous ceux qui considéreront sans parti pris cette revue nous accorderont
certainement que l'Eglise n'a jamais manqué de prévoyance, qu'elle
a toujours fait couler vers ses fils les sources salutaires de la divine Ecriture,
qu'elle a toujours conservé cet appui, à la garde duquel elle
a été préposée par Dieu, qu'elle l'a fortifié
par toutes sortes de travaux, de sorte qu'elle n'a jamais eu besoin et qu'elle
n'a pas besoin encore d'y être excitée par des hommes qui lui sont
étrangers.
Le plan que Nous Nous sommes proposé demande de Nous, Vénérables
Frères, que Nous Nous entretenions avec vous de ce qui paraît le
plus utile à la bonne ordonnance de ces études. Mais il importe
d'abord de reconnaître quels hommes nous opposent des obstacles, à
quels procédés et à quelles armes ils se confient.
Auparavant, le Saint-Siège a eu surtout affaire à ceux qui, s'appuyant
sur leur jugement particulier, et répudiant les diverses traditions et
l'autorité de l'Eglise, affirmaient que l'Ecriture était l'unique
source de la révélation et le juge suprême de la foi.
Maintenant, nos adversaires principaux sont les rationalistes, qui, fils et
héritiers pour ainsi dire de ces hommes dont Nous parlons plus haut,
se fondant de même sur leur propre opinion, ont rejeté entièrement
même ces restes de foi chrétienne, encore acceptés par leurs
prédécesseurs.
Ils nient, en effet, absolument toute inspiration, ils nient l'Ecriture, et
ils proclament que tous ces objets sacrés ne sont qu'inventions et artifices
des hommes; ils regardent les Livres Saints non comme contenant le récit
exact d'événements réels, mais comme des fables ineptes,
comme des histoires mensongères. A leurs yeux, il n'y a pas de prophéties,
mais des prédictions forgées après que les événements
ont été accomplis, ou bien des pressentiments dus à des
causes naturelles; il n'existe pas de miracles vraiment dignes de ce nom, manifestations
de la puissance divine, mais des faits étonnants qui ne dépassent
nullement les forces de la nature, ou encore des prestiges et des mythes; enfin
les Evangiles et les écrits des apôtres ne sont pas écrits
par les auteurs auxquels on les attribue.
Pour appuyer de telles erreurs, grâce auxquelles ils croient pouvoir anéantir
la sainte vérité de l'Ecriture, ils invoquent les décisions
d'une nouvelle science libre; ces décisions sont d'ailleurs si incertaines
aux yeux mêmes des rationalistes, qu'ils varient et se contredisent souvent
sur les mêmes points.
Et tandis que ces hommes jugent et parlent d'une façon si impie au sujet
de Dieu, du Christ, de l'Evangile et du reste des Ecritures, il n'en manque
pas parmi eux qui veulent être regardés comme chrétiens,
comme théologiens, comme exégètes et qui, sous un nom très
honorable, voilent toute la témérité d'un esprit plein
d'insolence.
A ceux-ci viennent s'ajouter un certain nombre d'hommes qui, ayant le même
but et les aidant, cultivent d'autres sciences, et qu'une semblable hostilité
envers les vérités révélées entraînent
de même façon à attaquer la Bible. Nous ne saurions trop
déplorer l'étendue et la violence de plus en plus grande que prennent
ces attaques. Elles sont dirigées contre des hommes instruits et sérieux,
quoique ceux-ci puissent se défendre sans trop de difficultés
; mais c'est surtout contre la foule des ignorants que des ennemis acharnés
agissent par tous les procédés.
Au moyen des livres, des opuscules, des journaux, ils répandent un poison
funeste; par des réunions, par des discours, ils le font pénétrer
plus avant ; déjà ils ont tout envahi, ils possèdent de
nombreuses écoles arrachées à l'Eglise, où, dépravant
misérablement, même par la moquerie et les plaisanteries bouffonnes,
les esprits encore tendres et crédules des jeunes gens, ils les excitent
au mépris de la Sainte Ecriture.
Il y a bien là, Vénérables Frères, de quoi émouvoir
et animer le zèle commun des pasteurs, de telle sorte qu'à cette
science nouvelle, à cette science fausse (1), on oppose cette doctrine
antique et vraie que l'Eglise a reçue du Christ par l'intermédiaire
des apôtres, et que, dans un tel combat, se lèvent de toutes parts
d'habiles défenseurs de la Sainte Ecriture.
1. I Tim. VI, 20
Notre premier soin doit donc être celui-ci : que dans les Séminaires,
dans les Universités, les Lettres divines soient enseignées en
tout point comme le demandent l'importance même de cette science et les
nécessités de l'époque actuelle.
Pour cette raison, vous ne devez rien avoir plus à cœur que la prudence
dans le choix des professeurs; pour cette fonction, en effet, il importe de
désigner, non pas des hommes pris parmi la foule, mais ceux que recommandent
un grand amour et une longue pratique de la Bible, une véritable culture
scientifique, qui soient, en un mot, à la hauteur de leur mission.
Il ne faut pas mettre moins de soin à préparer ceux qui devront
prendre ensuite la place de ceux-ci. Il Nous plaît donc que, partout où
cela sera possible, on choisisse parmi les disciples qui auront parcouru d'une
façon satisfaisante le cycle des études théologiques, un
certain nombre qui s'appliqueront tout entiers à acquérir la connaissance
des Saints Livres, et auxquels on fournira la possibilité de se livrer
à des travaux plus étendus. Quand les maîtres auront été
ainsi désignés et formés, qu'ils abordent avec confiance
la tâche qui leur sera confiée, et pour qu'ils la remplissent excellemment,
pour qu'ils obtiennent les résultats auxquels on peut s'attendre, Nous
voulons leur donner quelques instructions plus développées.
Au début même des études, ils doivent examiner la nature
de l'intelligence des disciples, faire en sorte de la cultiver, de la rendre
apte en même temps à conserver intacte la doctrine des Livres Saints,
et à en saisir l'esprit. Tel est le but du Traité de l'introduction
biblique, qui fournit à l'élève le moyen de prouver l'intégrité
et l'authenticité de la Bible, d'y chercher et d'y découvrir le
vrai sens des passages, d'attaquer de front et d'extirper jusqu'à la
racine les interprétations sophistiques.
A peine est-il besoin d'indiquer combien il est important de discuter ces points
dès le début, avec ordre, d'une façon scientifique, en
recourant à la théologie ; et, en effet, toute l'étude
de l'Ecriture s'appuie sur ces bases, s'éclaire de ces lumières.
Le professeur doit s'appliquer avec un très grand soin à bien
faire connaître la partie la plus féconde de cette science, qui
concerne l'interprétation, expliquer à ses auditeurs comment ils
pourront utiliser les richesses de la parole divine pour l'avantage de la religion
et de la piété.
Certes, Nous comprenons que ni l'étendue du sujet, ni le temps dont on
dispose, ne permettent de parcourir dans les écoles tout le cercle des
Ecritures. Mais, puisqu'il est besoin de posséder une méthode
sûre pour diriger avec fruit l'interprétation, un maître
sage devra éviter à la fois le défaut de ceux qui font
étudier des passages pris çà et là dans tous les
livres, le défaut aussi de ceux qui s'arrêtent sans mesure sur
un chapitre déterminé d'un seul livre.
Si, en effet, dans la plupart des écoles, on ne peut atteindre le même
but que dans les académies supérieures, à savoir qu'un
livre ou l'autre soit expliqué d'une façon suivie et détaillée,
au moins doit-on mettre tout en œuvre afin d'arriver à ce que les
passages choisis pour l'interprétation soient étudiés d'une
façon suffisamment complète; les élèves, alléchés
en quelque sorte et instruits par cet exemple d'explication, pourront ensuite
relire et goûter le reste de la Bible pendant toute leur vie.
Le professeur, fidèle aux prescriptions de ceux qui Nous ont précédé,
devra faire usage de la version Vulgate.
C'est celle, en effet, que le Concile de Trente a désignée comme
authentique et comme devant être employée " dans les lectures
publiques, les discussions, les prédications et les explications (1)
" ; c'est celle aussi que recommande la pratique quotidienne de l'Eglise.
Nous ne voulons pas dire cependant qu'il ne faudra pas tenir compte des autres
versions que les chrétiens des premiers âges ont utilisées
avec éloges, et surtout des textes primitifs.
1. Sess. IV, Decr. de edit. et usu sacr. libr.
En effet si, pour ce qui concerne les grands points, le sens est clair d'après
les éditions hébraïque et grecque de la Vulgate, cependant,
si quelque passage ambigu ou moins clair s'y rencontre, " le recours à
la langue précédente ", suivant le conseil de saint Augustin,
sera très utile (2).
2. De doct. chr. III, 4.
Il est clair qu'il faudra apporter à cette tâche beaucoup de circonspection;
c'est, en effet, le devoir du commentateur d'indiquer, non pas ce que lui-même
pense, mais ce que pensait l'auteur qu'il explique (3).
3. St Jérôme, Ad Pammachium.
Après que la lecture aura été conduite avec soin jusqu'au
point voulu, alors ce sera le moment de scruter et d'expliquer le sens. Notre
premier conseil à ce sujet est d'observer les prescriptions communément
en usage relatives à l'interprétation, avec d'autant plus de soin
que l'attaque des adversaires est plus vive.
Il faut donc peser avec soin la valeur des mots eux-mêmes, la signification
du contexte, la similitude des passages, etc. et aussi profiter des éclaircissements
étrangers de la science qu'on nous oppose. Cependant, le maître
devra prendre garde à ne pas consacrer plus de temps et plus de soin
à ces questions qu'à l'étude des Livres divins eux-mêmes,
de peur qu'une connaissance trop étendue et trop approfondie de tels
objets n'apporte à l'esprit des jeunes gens plus de troubles que de force.
De là résulte une marche sûre à suivre dans l'étude
de l'Ecriture Sainte au point de vue théologique.
Il importe, en effet, de remarquer à ce sujet qu'aux autres causes de
difficultés qui se présentent dans l'explication de n'importe
quels auteurs anciens, s'en ajoutent quelques-unes qui sont spéciales
à l'interprétation des Livres Saints. Comme ils sont l'œuvre
de l'Esprit-Saint, les mots y cachent nombre de vérités qui surpassent
de beaucoup la force et la pénétration de la raison humaine, à
savoir les divins mystères et ce qui s'y rattache. Le sens est parfois
plus étendu et plus voilé que ne paraîtraient l'indiquer
et la lettre et les règles de l'herméneutique ; en outre, le sens
littéral cache lui-même d'autres sens qui servent soit à
éclairer les dogmes, soit à donner des règles pour la vie.
Aussi, l'on ne saurait nier que les Livres Saints sont enveloppés d'une
certaine obscurité religieuse, de sorte que nul n'en doit aborder l'étude
sans guide (1): Dieu l'a voulu ainsi (c'est l'opinion commune des saints Pères)
pour que les hommes les étudiassent avec plus d'ardeur et plus de soin,
pour que les vérités péniblement acquises pénétrassent
plus profondément leur esprit et leur cœur; pour qu'ils comprissent
surtout que Dieu a donné les Ecritures à l'Eglise afin que, dans
l'interprétation de ses paroles, celle-ci fût le guide et le maître
le plus sûr.
1. St Jérôme, Ad paulin. de studio script. Ep. LIII, 4.
Là où Dieu a mis ses dons, là doit être cherchée
la vérité. Les hommes en qui réside la succession des apôtres
expliquent les Ecritures sans aucun danger d'erreur, saint Irénée
nous l'a déjà enseigné (2). C'est sa doctrine et celle
des autres Pères qu'a adoptée le Concile du Vatican, quand, renouvelant
un décret du Concile de Trente sur l'interprétation de la parole
divine écrite, il a décidé que, " dans les choses
de la foi et des mœurs, tendant à la fixation de la doctrine chrétienne,
on doit regarder comme le sens exact de la Sainte Ecriture, celui qu'a regardé
et que regarde comme tel notre Sainte Mère l'Eglise, à qui il
appartient de juger du sens et de l'interprétation des Livres sacrés.
Il n'est donc permis à personne d'expliquer l'Ecriture d'une façon
contraire à cette signification ou encore au consentement unanime des
Pères (3). "
2. Contra haereses, IV, 26, 5.
3. Sess. III, cap. II, De Revel. ; cf. Conc. Trid., sess. IV, Decret. de edit. et usu sacr. libr.
Par cette loi pleine de sagesse, l'Eglise n'arrête et ne contrarie en
rien les recherches de la science biblique, mais elle la maintient à
l'abri de toute erreur et contribue puissamment à ses véritables
progrès. Chaque docteur, en effet, voit ouvert devant lui un vaste champ
dans lequel, en suivant une direction sûre, son zèle peut s'exercer
d'une façon remarquable et avec profit pour l'Eglise.
A la vérité, quant aux passages de la Sainte Ecriture qui attendent
encore une explication certaine et bien définie, il peut se faire, grâce
à un bienveillant dessein de la Providence de Dieu, que le jugement de
l'Eglise se trouve pour ainsi dire mûri par une étude préparatoire.
Mais, au sujet des points qui ont été déjà fixés,
le docteur peut jouer un rôle également utile, soit en les expliquant
plus clairement à la foule des fidèles, d'une façon plus
ingénieuse aux hommes instruits, soit en les défendant plus fortement
contre les adversaires de la foi.
L'interprète catholique doit donc regarder comme un devoir très
important et sacré d'expliquer dans le sens fixé les textes de
l'Ecriture dont la signification a été indiquée authentiquement
soit par les auteurs sacrés, que guidait l'inspiration de l'Esprit-Saint,
comme cela a lieu dans beaucoup de passages du Nouveau Testament, soit par l'Eglise,
assistée du même Saint-Esprit, et au moyen d'un jugement solennel,
ou par son autorité universelle et ordinaire; il lui faut se convaincre
que cette interprétation est la seule qu'on puisse approuver d'après
les lois d'une saine herméneutique (1).
1. Conc. Vat. sess. III, cap. ii, De fide.
Sur les autres points, il devra suivre les analogies de la foi et prendre comme
modèle la doctrine catholique telle qu'elle est indiquée par l'autorité
de l'Eglise. En effet, c'est le même Dieu qui est l'auteur et des Livres
sacrés, et de la doctrine dont l'Eglise a le dépôt. Il ne
peut donc arriver, assurément, qu'une signification attribuée
aux premiers et différant en quoi que ce soit de la seconde, provienne
d'une légitime interprétation.
Il résulte évidemment de là qu'on doit rejeter comme insensée
et fausse toute explication qui mettrait les auteurs sacrés en contradiction
entre eux, ou qui serait opposée à l'enseignement de l'Eglise.
Celui qui professe l'Ecriture Sainte doit aussi mériter cet éloge
qu'il possède à fond toute la théologie, qu'il connaît
parfaitement les commentaires des saints Pères, des Docteurs et des meilleurs
interprètes. Telle est la doctrine de saint Jérôme et de
saint Augustin, qui se plaint avec juste raison en ces termes : " Si toute
science, quoique peu importante et facile à acquérir, demande,
comme c'est évident, à être enseignée par un homme
docte, par un maître, quoi de plus orgueilleusement téméraire
que de ne pas vouloir connaître les Livres sacrés d'après
l'enseignement de leurs interprètes (2). " Tel a été
aussi le sentiment des autres Pères, qu'ils ont confirmé par des
exemples : " Ils expliquaient les Ecritures non d'après leur propre
opinion, mais d'après les écrits et l'autorité de leurs
prédécesseurs, parce qu'il était évident que ceux-ci
avaient reçu pour succession des apôtres les règles pour
l'interprétation des Livres sacrés (3). "
2. De util. cred. XVII, 35.
3. Rufinus Hist. eccl. II, 9.
Le témoignage des saints Pères, - " qui après les
apôtres ont été pour ainsi dire les jardiniers de la Sainte
Eglise, ses constructeurs, ses pasteurs, l'ont nourrie, l'ont fait croître
(1) " (Saint Augustin.) - a aussi une grande autorité toutes les
fois qu'ils expliquent tous d'une seule et même manière un texte
biblique, comme concernant la foi ou les mœurs : car de leur accord il
résulte clairement que selon la doctrine catholique, cette explication
est venue telle, par tradition, des apôtres.
1. St Augustin, C. Julian. II, 10, 37.
L'avis de ces mêmes Pères est aussi digne d'être pris en
très grande considération lorsqu'ils traitent des mêmes
sujets en tant que docteurs et comme donnant leur opinion particulière;
en effet, non seulement leur science de la doctrine révélée
et la multitude des connaissances nécessaires pour interpréter
les livres apostoliques les recommandent puissamment, mais encore Dieu lui-même
a prodigué les secours de ses lumières à ces hommes remarquables
par la sainteté de leur vie et par leur zèle pour la vérité.
Que l'interprète sache donc qu'il doit suivre leurs pas avec respect
et jouir de leurs travaux par un choix intelligent. Il ne lui faut cependant
pas croire que la route lui est fermée, et qu'il ne peut pas, lorsqu'un
motif raisonnable existe, aller plus loin dans ses recherches et dans ses explications.
Cela lui est permis, pourvu qu'il suive religieusement le sage précepte
donné par saint Augustin : " ne s'écarter en rien du sens
littéral et comme évident ; à moins qu'il n'ait quelque
raison qui l'empêche de s'y attacher ou qui rende nécessaire de
l'abandonner (2) ". Cette règle doit être observée
avec d'autant plus de fermeté, qu'au milieu d'une si grande ardeur d'innover
et d'une telle liberté d'opinions, il existe un plus grave danger de
se tromper.
2. De Gen. ad litt. VIII, 7, 13.
Celui qui enseigne les Ecritures se gardera aussi de négliger le sens
allégorique ou analogique attaché par les saints Pères
à certaines paroles, surtout lorsque cette signification découle
naturellement du sens littéral et s'appuie sur un grand nombre d'autorités.
L'Eglise, en effet, a reçu des apôtres ce mode d'interprétation
et l'a approuvé par son exemple, ainsi que cela ressort de la liturgie.
Ce n'est pas que les Pères aient prétendu ainsi démontrer
par eux-mêmes les dogmes de la foi, mais parce qu'ils ont expérimenté
que cette méthode était bonne pour nourrir la vertu et la piété.
L'autorité des autres interprètes catholiques est à la
vérité moindre ; cependant, puisque les études bibliques
ont fait dans l'Eglise des progrès continus, il faut rendre aux commentaires
de ces docteurs l'honneur qui leur est dû ; on peut emprunter à
leurs travaux beaucoup d'arguments propres à repousser les attaques et
à éclaircir les points difficiles.
Mais ce qui ne convient pas, c'est qu'ignorant ou méprisant les excellents
ouvrages que les nôtres nous ont laissés en grand nombre, l'interprète
leur préfère les livres des hétérodoxes; qu'au grand
péril de la sainte doctrine et trop souvent au détriment de la
foi, il y cherche l'explication de passages au sujet desquels les catholiques
ont excellemment et depuis longtemps exercé leur talent, multiplié
les travaux.
Quoique, en effet, les études des hétérodoxes, sagement
utilisées, puissent parfois aider l'interprète catholique, cependant
il importe à celui-ci de se souvenir que, d'après des preuves
nombreuses empruntées aussi aux anciens (1), le sens non défiguré
des Saintes Lettres ne se trouve nulle part en dehors de l'Eglise et ne peut
être donné par ceux qui, privés de la vraie foi, ne parviennent
pas jusqu'à la moelle des Écritures, mais en rongent seulement
l'écorce (2).
1. Cf. Clément d'Alexandrie, Strom. VII, 16 ; Origène De princ.
IV, 8 ; In lec. hom. 4, 8 ; Tertullien, De praes. 15 ; St Hilaire Pict. in Matt.
XIII, 1.
Il est surtout très désirable et très nécessaire
que la pratique de la divine Ecriture se répande à travers toute
la théologie et en devienne pour ainsi dire l'âme: telle a été,
à toutes les époques, la doctrine de tous les Pères et
des plus remarquables théologiens, doctrine qu'ils ont appuyée
par leur exemple. Ils se sont appliqués à établir et à
affermir sur les Livres Saints toutes les vérités qui sont l'objet
de la foi, et celles qui en découlent; c'est de ces livres sacrés,
comme aussi de la tradition divine, qu'ils se sont servis, afin de réfuter
les nouvelles inventions des hérétiques, de trouver la raison
d'être, l'explication, la liaison des dogmes catholiques.
Il n'y a rien là d'étonnant pour celui qui réfléchit
à la place si considérable qu'occupent les Saints Livres parmi
les sources de la révélation divine: c'est à ce point que,
sans l'étude et l'usage quotidien de ceux-ci, la théologie ne
pourrait être traitée d'une façon convenable et digne d'une
telle science. Sans doute, il est bon que les jeunes gens, dans les universités
et les Séminaires, soient exercés surtout à acquérir
l'intelligence et la science des dogmes et que, partant des articles de la foi,
ils en tirent les conséquences, par une argumentation établie
selon les règles d'une philosophie éprouvée et solide.
Cependant, le théologien sérieux et instruit ne doit pas négliger
l'interprétation des dogmes, appuyée sur l'autorité de
la Bible.
La théologie, en effet, ne tire pas ses principes des autres sciences,
mais immédiatement de Dieu par la révélation. Et aussi,
elle ne reçoit rien de ces sciences, comme lui étant supérieures,
mais elle les emploie comme étant ses inférieures et ses servantes.
(2)
2. St Grégoire le Grand, Moral. XX, 9 (al. 11).
Cette méthode d'enseignement de la science sacrée est indiquée
et recommandée par le Prince des théologiens, saint Thomas d'Aquin
(3). Celui-ci, en outre, a montré comment le théologien, comprenant
bien le caractère de la science qu'il cultive, peut défendre ses
principes, si quelqu'un les attaque: " En argumentant, si l'adversaire
accorde quelques-unes des vérités qui nous sont données
par la révélation. C'est ainsi qu'au moyen de l'autorité
de la Sainte Ecriture, nous discutons contre les hérétiques, et
au moyen d'un article de foi contre ceux qui en nient un autre. Au contraire,
si l'adversaire ne croit rien de ce qui est divinement révélé,
il ne reste plus à lui prouver les articles de foi par des raisonnements,
mais à renverser ses raisonnements, s'il en fait contre la foi (4). "
3. Summ. theol. p. I, q. I, a. 5, ad 2.
4. Ibid. a. 8.
Nous devons donc avoir soin que les jeunes gens marchent au combat convenablement
instruits des sciences bibliques, pour ne pas qu'ils frustrent nos légitimes
espérances, ni, ce qui serait plus grave, qu'ils courent sans y prendre
garde le péril de tomber dans l'erreur, trompés par les fausses
promesses des rationalistes et par le fantôme d'une érudition toute
extérieure.
Or, ils seront parfaitement prêts à la lutte, si, d'après
la méthode que Nous-même leur avons indiquée et prescrite,
ils cultivent religieusement et approfondissent l'étude de la philosophie
et de la théologie, sous la conduite du même saint Thomas. Ainsi
ils feront de grands et sûrs progrès, tant dans les sciences bibliques
que dans la partie de la théologie appelée positive.
Avoir prouvé la vérité de la doctrine catholique, avoir
expliqué et éclairci cette doctrine grâce à une interprétation
légitime et savante de la Bible, c'est beaucoup, certes : il reste cependant
un autre point à établir, aussi important que le travail nécessaire
pour y parvenir est considérable, afin que l'autorité complète
des Ecritures soit démontrée aussi solidement que possible.
Ce but ne pourra être atteint d'une façon pleine et entière
que par le magistère propre et toujours subsistant de l'Eglise, qui "
par elle-même, à cause de son admirable diffusion, de son éminente
sainteté, de sa fécondité inépuisable en toutes
sortes de biens, de son unité catholique, de sa stabilité invincible,
est un grand et perpétuel motif de crédibilité, et une
preuve irréfragable de sa divine mission ". (1)
1. Conc. Vat. sess. III, c. III, De fide.
Mais puisque ce divin et infaillible magistère de l'Eglise repose sur
l'autorité de la Sainte Ecriture, il faut donc tout d'abord affirmer
et revendiquer la croyance au moins humaine à celle-ci. De ces livres,
en effet, comme des témoins les plus éprouvés de l'antiquité,
la divinité et la mission du Christ-Dieu, l'institution de la hiérarchie
de l'Eglise, la primauté conférée à Pierre et à
ses successeurs, seront mises en évidence et sûrement établies.
Dans ce but, il sera très avantageux que plusieurs hommes appartenant
aux Ordres sacrés combattent sur ce point pour la foi et repoussent les
attaques des ennemis, que surtout ces hommes soient revêtus de l'armure
de Dieu, suivant le conseil de l'Apôtre (Eph. VI, 13-17), et accoutumés
aux combats et aux nouvelles armes employées par leurs adversaires. C'est
là un des devoirs des prêtres, et saint Chrysostome l'établit
en termes magnifiques : " Il faut employer un grand zèle, afin que
la parole de Dieu habite abondamment en nous (Col. III, 16); nous ne devons
pas, en effet, être prêts pour un seul genre de combat, variée
est la guerre, multiples sont les ennemis; ils ne se servent pas tous des mêmes
armes, et ce n'est pas d'une façon uniforme, qu'ils se proposent de lutter
avec nous. "
" Il est donc besoin que celui qui doit se mesurer avec tous connaisse
les manœuvres et les procédés de tous, que le même
manie les flèches et la fronde, qu'il soit tribun et chef de cohorte,
général et soldat, fantassin et cavalier, apte à lutter
sur mer et à renverser les remparts. Si le défenseur ne connaît
pas, en effet, toutes les manières de combattre, le diable sait faire
entrer ses ravisseurs par un seul côté, au cas où un seul
est laissé sans garde, et enlever les brebis. " (1)
1. De sacerdotio IV, 4.
Nous avons décrit plus haut les ruses des ennemis et les multiples moyens
qu'ils emploient dans l'attaque : indiquons maintenant les procédés
qu'on doit utiliser pour la défense.
C'est d'abord l'étude des anciennes langues orientales, et en même
temps de la science que l'on appelle critique. Ces deux genres de connaissances
sont aujourd'hui fort appréciés et fort estimés ; le clerc
qui les possédera d'une façon plus ou moins étendue, suivant
les pays où il se trouvera et les hommes avec lesquels il sera en rapport,
pourra mieux soutenir sa dignité et remplir sa charge. Le ministre de
Dieu doit, en effet, " se faire tout à tous (1) ", " être
toujours prêt à satisfaire celui qui lui demande la raison de l'espérance
qu'il a en lui-même " (2).
1. I Cor. IX, 22.
2. I Pierre III, 15.
Il est donc nécessaire aux professeurs d'Ecriture Sainte, et il convient
aux théologiens de connaître les langues dans lesquelles les livres
canoniques ont été primitivement écrits par les auteurs
sacrés; il serait de même excellent que les élèves
ecclésiastiques cultivent ces langues, ceux surtout qui se destinent
aux grades académiques pour la théologie.
On doit aussi avoir soin que dans toutes les académies soient établies,
comme cela a déjà eu lieu avec raison pour beaucoup d'entre elles,
des chaires où seront enseignées les langues anciennes, surtout
les langues sémitiques et les rapports de la science avec celles-ci.
Ces cours seront en première ligne à l'usage des jeunes gens désignés
pour l'étude des Saintes Lettres.
Il importe que ces mêmes professeurs d'Ecriture Sainte, pour la même
raison, soient instruits et exercés dans la science de la vraie critique
: par malheur, en effet, et pour le grand dommage de la religion, a paru un
système qui se pare du nom honorable de " haute critique ",
et dont les disciples affirment que l'origine, l'intégrité, l'autorité
de tout livre ressortent, comme ils disent, des seuls caractères intrinsèques.
Au contraire, il est évident que lorsqu'il s'agit d'une question historique,
de l'origine et de la conservation de n'importe quel ouvrage, les témoignages
historiques ont plus de valeur que tous les autres, que ce sont ceux-ci qu'il
faut rechercher et examiner avec le plus de soin.
Quant aux caractères intrinsèques, ils sont la plupart du temps
bien moins importants, de telle sorte qu'on ne peut guère les invoquer
que pour confirmer la thèse. Si l'on agit autrement, il en résultera
de grands inconvénients.
En effet, les ennemis de la religion en conserveront plus de confiance pour
attaquer et battre en brèche l'authenticité des Livres sacrés;
cette sorte de haute critique que l'on exalte arrivera enfin à ce résultat
que chacun, dans l'interprétation, s'attachera à ses goûts
et à une opinion préjudicielle. Ainsi, la lumière cherchée
au sujet des Ecritures ne se fera pas, et aucun avantage n'en résultera
pour la science, mais on verra se manifester avec évidence ce caractère
de l'erreur qui est la variété et la dissemblance des opinions.
Déjà la conduite des chefs de cette nouvelle science le prouve.
En outre, comme la plupart d'entre eux sont imbus des maximes d'une vaine philosophie
et du rationalisme, ils ne craindront pas d'écarter des Saints Livres
les prophéties, les miracles, tous les autres faits qui surpassent l'ordre
naturel. L'interprète devra lutter en second lieu contre ceux qui, abusés
par leur connaissance des sciences physiques, suivent pas à pas les auteurs
sacrés afin de pouvoir opposer l'ignorance que ceux-ci ont de tels faits
et rabaisser leurs écrits par ce motif.
Comme ces griefs portent sur des objets sensibles, ils sont d'autant plus dangereux
lorsqu'ils se répandent dans la foule, surtout parmi la jeunesse adonnée
aux lettres; dès que celle-ci aura perdu sur quelque point le respect
de la révélation divine, sa foi, relativement à tous les
autres, ne tardera pas à s'évanouir.
Or, il est trop évident, qu'autant les sciences naturelles sont propres
à manifester la gloire du Créateur gravée dans les objets
terrestres, pourvu qu'elles soient convenablement enseignées, autant
elles sont capables d'arracher de l'esprit les principes d'une saine philosophie
et de corrompre les mœurs lorsqu'elles sont introduites avec des intentions
perverses dans de jeunes esprits.
Aussi la connaissance des faits naturels sera-t-elle un secours efficace pour
celui qui enseignera l'Ecriture Sainte ; grâce à elle, en effet,
il pourra plus facilement découvrir et réfuter les sophismes de
toutes sortes dirigés contre les Livres sacrés.
Aucun désaccord réel ne peut certes exister entre la théologie
et la physique, pourvu que toutes deux se maintiennent dans leurs limites, prennent
garde, suivant la parole de saint Augustin, " de ne rien affirmer au hasard
et de ne pas prendre l'inconnu pour le connu " (1).
1. In Gen. op. imperf. IX, 30.
Si cependant elles sont en dissentiment sur un point, que doit faire le théologien
? - Suivre la règle sommairement indiquée par le même docteur.
" Quant à tout ce que nos adversaires pourront nous démontrer
au sujet de la nature, en s'appuyant sur de véritables preuves, prouvons-leur
qu'il n'y a rien de contraire à ces faits dans nos Saintes Lettres. Mais
pour ce qu'ils tireront de certains de leurs livres, et qu'ils invoqueront comme
étant en contradiction avec ces Saintes Lettres, c'est-à-dire
avec la foi catholique, montrons-leur qu'il s'agit d'hypothèses, ou que
nous ne doutons nullement de la fausseté de ces affirmations (2). "
2. De Gen. ad litt., I, 21, 41.
Pour bien nous pénétrer de la justesse de cette règle,
considérons d'abord que les écrivains sacrés, ou plus exactement
" l'esprit de Dieu, qui parlait par leur bouche, n'a pas voulu enseigner
aux hommes ces vérités concernant la constitution intime des objets
visibles, parce qu'elles ne devaient leur servir de rien pour leur salut "
(3).
3. St Augustin, Ibid. 9, 20.
Aussi ces auteurs, sans s'attacher à bien observer la nature, décrivent
quelquefois les objets et en parlent, ou par une sorte de métaphore,
ou comme le comportait le langage usité à cette époque,
il en est encore ainsi aujourd'hui, sur beaucoup de points, dans la vie quotidienne,
même parmi les hommes les plus savants. Dans le langage vulgaire, on désigne
d'abord et par le mot propre les objets qui tombent sous les sens; l'écrivain
sacré (et le Docteur angélique nous en avertit) s'est de même
attaché aux caractères sensibles (4), c'est-à-dire à
ceux que Dieu lui-même, s'adressant aux hommes, a indiqués suivant
la coutume des hommes, pour être compris d'eux.
4. Summa theol. p. I, q. LXXX, a. 1, ad 3.
Mais, de ce qu'il faut défendre vigoureusement l'Ecriture Sainte, il
ne résulte pas qu'il soit nécessaire de conserver également
tous les sens que chacun des Pères ou des interprètes qui leur
ont succédé a employés pour expliquer ces mêmes Écritures.
Ceux-ci, en effet, étant données les opinions en cours à
leur époque, n'ont peut-être pas toujours jugé d'après
la vérité au point de ne pas émettre certains principes
qui ne sont maintenant rien moins que prouvés.
Il faut donc distinguer avec soin dans leurs explications ce qu'ils donnent
comme concernant la foi ou comme lié avec elle, ce qu'ils affirment d'un
commun accord. En effet, pour ce qui n'est pas de l'essence de la foi, les saints
ont pu avoir des avis différents, ainsi que nous-mêmes ; telle
est la doctrine de saint Thomas (1).
1. In sent. II, Dist. q. i, a. 3.
Celui-ci, dans un autre passage, s'exprime avec beaucoup de sagesse en ces termes
: " Pour ce qui concerne les opinions que les philosophes ont communément
professées et qui ne sont pas contraires à notre foi, il me semble
qu'il est plus sûr de ne pas les affirmer comme des dogmes, bien que quelquefois
elles soient introduites dans le raisonnement au nom de ces philosophes, et
de ne pas les noter comme contraires à la foi, pour ne pas fournir aux
sages de ce monde l'occasion de mépriser notre doctrine (2). "
2. Opusc. X.
D'ailleurs, quoique l'interprète doive montrer que rien ne contredit
l'Ecriture bien expliquée, dans les vérités, que ceux qui
étudient les sciences physiques donnent comme certaines et appuyées
sur de fermes arguments, il ne doit pas oublier que parfois plusieurs de ces
vérités, données aussi comme certaines, ont été
ensuite mises en doute et laissées de côté. Que si les écrivains,
qui traitent des faits physiques, franchissant les limites assignées
aux sciences dont ils s'occupent, s'avancent sur le terrain de la philosophie
en émettant des opinions nuisibles, le théologien peut faire appel
aux philosophes pour réfuter celles-ci.
Nous voulons maintenant appliquer cette doctrine aux sciences du même
genre et notamment à l'histoire. On doit s'affliger, en effet, de ce
que beaucoup d'hommes qui étudient à fond les monuments de l'antiquité,
les mœurs et les institutions des peuples, et se livrent à ce sujet
à de grands travaux, ont trop souvent pour but de trouver des erreurs
dans les Livres Saints, afin d'infirmer et d'ébranler complètement
l'autorité des Écritures.
Quelques-uns agissent ainsi avec des dispositions vraiment trop hostiles, et
jugent d'une façon qui n'est pas assez impartiale. Ils ont tant de confiance
dans les livres profanes et dans les documents du passé, qu'ils les invoquent
comme s'il ne pouvait exister à ce sujet aucun soupçon d'erreur,
tandis qu'ils refusent toute créance aux Livres sacrés, à
la moindre, à la plus vaine apparence d'inexactitude, et ce même
sans aucune discussion.
A la vérité, il peut se faire que certains passages, dans l'impression
des diverses éditions, ne se trouvent pas reproduits d'une façon
absolument juste. C'est ce qui doit être étudié avec soin,
ce qui ne doit pas être admis facilement, excepté sur les points
pour lesquels le fait a été convenablement prouvé.
Il peut arriver aussi que le sens de quelques phrases demeure douteux; pour
le déterminer, les règles de l'interprétation seront d'un
grand secours ; mais il serait absolument funeste soit de limiter l'inspiration
à quelques parties des Ecritures, soit d'accorder que l'auteur sacré
lui-même s'est trompé.
On ne peut non plus tolérer la méthode de ceux qui se délivrent
de ces difficultés en n'hésitant pas à accorder que l'inspiration
divine ne s'étend qu'aux vérités concernant la foi et les
mœurs, et à rien de plus. Ils pensent à tort que, lorsqu'il
s'agit de la vérité des avis, il ne faut pas rechercher surtout
ce qu'a dit Dieu, mais examiner plutôt le motif pour lequel il a parlé
ainsi.
En effet, tous les livres entiers que l'Eglise a reçus comme sacrés
et canoniques dans toutes leurs parties, ont été écrits
sous la dictée de l'Esprit-Saint. Tant s'en faut qu'aucune erreur puisse
s'attacher à l'inspiration divine, que non seulement celle-ci par elle-même
exclut toute erreur, mais encore l'exclut et y répugne aussi nécessairement
que nécessairement Dieu, souveraine vérité, ne peut être
l'auteur d'aucune erreur.
Telle est la croyance antique et constante de l'Eglise, définie solennellement
par les Conciles de Florence et de Trente, confirmée enfin et plus expressément
exposée dans le Concile du Vatican, qui a porté ce décret
absolu : " Les livres entiers de l'Ancien et du Nouveau Testament, dans
toutes leurs parties, tels qu'ils sont énumérés par le
décret du même Concile de Trente, et tels qu'ils sont contenus
dans l'ancienne édition vulgate en latin, doivent être regardés
comme sacrés et canoniques. L'Eglise les tient pour sacrés et
canoniques non parce que, rédigés par la seule science humaine,
ils ont été ensuite approuvés par l'autorité de
ladite Eglise; non parce que seulement ils renferment la vérité
sans erreur, mais parce que, écrits sous l'inspiration du Saint-Esprit,
ils ont Dieu pour auteur (1). "
1. Sess. III, cap. II, De Revel.
On ne doit donc presque en rien se préoccuper de ce que l'Esprit-Saint
ait pris des hommes comme des instruments pour écrire, comme si quelque
opinion fausse pouvait être émise non pas certes par le premier
auteur, mais par les écrivains inspirés. En effet, lui-même
les a, par sa vertu, excités à écrire, lui-même les
a assistés tandis qu'ils écrivaient, de telle sorte qu'ils concevaient
exactement, qu'ils voulaient rapporter fidèlement et qu'ils exprimaient
avec une vérité infaillible tout ce qu'il leur ordonnait et seulement
ce qu'il leur ordonnait d'écrire.
Tel a été toujours le sentiment des saints Pères. "
Aussi, dit saint Augustin, puisque ceux-ci ont écrit ce que l'Esprit-Saint
leur a montré et leur a enjoint d'écrire, on ne doit pas dire
que lui-même n'a pas écrit; ceux-ci, comme les membres, ont mis
en œuvre ce que la tête leur dictait (2). " Saint Grégoire
le Grand s'exprime encore en ces termes: " Il est bien superflu de chercher
qui a écrit ces livres puisqu'on croit fermement que l'auteur en est
l'Esprit-Saint. Celui-là, en effet, a écrit qui a dicté
ce qu'il fallait écrire: celui-là a écrit qui a inspiré
l'œuvre. " (3)
2. De consensu Evangel. I, 35.
3. Praef. in Job, n. 2.
Il suit de là que ceux qui pensent que, dans les passages authentiques
des Livres Saints, peut être renfermée quelque idée fausse,
ceux-là assurément ou pervertissent la doctrine catholique, ou
font de Dieu lui-même l'auteur d'une erreur. Tous les Pères et
tous les docteurs ont été si fermement persuadés que les
Lettres divines, telles qu'elles nous ont été livrées par
les écrivains sacrés, sont exemptes de toute erreur, qu'ils se
sont appliqués, avec beaucoup d'ingéniosité et religieusement,
à faire concorder entre eux et à concilier les nombreux passages
qui semblaient présenter quelque contradiction ou quelque divergence.
(Et ce sont presque les mêmes qu'au nom de la science nouvelle, on nous
oppose aujourd'hui.)
Les docteurs ont été unanimes à croire que ces Livres,
et dans leur ensemble et dans leurs parties, sont également d'inspiration
divine, que Dieu lui-même a parlé par les auteurs sacrés,
et qu'il n'a rien pu énoncer d'opposé à la vérité.
On doit appliquer ici d'une façon générale les paroles
que le même saint Augustin écrivait à saint Jérôme
: " Je l'avoue, en effet, à ta charité, j'ai appris à
accorder aux seuls livres des Ecritures, que l'on appelle maintenant canoniques,
cette révérence et cet honneur de croire très fermement
qu'aucun de leurs auteurs n'a pu commettre une erreur en les écrivant.
Et si je trouvais dans ces Saintes Lettres quelque passage qui me parût
contraire à la vérité, je n'hésiterais pas à
affirmer ou que le manuscrit est défectueux ou que l'interprète
n'a pas suivi exactement le texte, ou que je ne comprends pas bien (1). "
1. Ep. LXXXII, 1, et alibi.
Mais lutter pleinement et parfaitement au moyen des sciences les plus importantes
pour établir la sainteté de la Bible, c'est là beaucoup
plus, certes, qu'il n'est juste d'attendre de la seule érudition des
théologiens. Il est donc désirable qu'ils se proposent le même
but et s'efforcent de l'atteindre, les catholiques ayant acquis quelque autorité
dans les sciences étrangères. Si la gloire que donnent de tels
talents, n'a jamais manqué à l'Eglise, grâce à un
bienfait de Dieu, certes elle ne lui fait pas non plus défaut maintenant.
Puisse cette gloire aller toujours croissant pour l'appui de la foi.
En outre, la haine de nos défenseurs s'évanouira facilement, ou
du moins, ils n'oseront plus affirmer avec tant d'assurance que la foi est ennemie
de la science, lorsqu'ils verront des hommes doctes rendre à cette foi
le plus grand honneur, avoir pour elle un vif respect.
Puisque ceux-là peuvent tant pour la religion, auxquels la Providence
a libéralement donné un heureux talent et la grâce de professer
la religion catholique, il faut qu'au milieu de cette lutte violente à
laquelle donnent lieu les sciences qui touchent en quelque façon à
la foi, chacun d'eux choisisse un groupe d'études approprié à
son intelligence, s'applique à y exceller, et repousse, non sans gloire,
les traits dirigés contre les Saintes Ecritures par une science impie.
Il Nous est doux de louer ici la conduite de certains catholiques qui, afin
que les savants puissent se livrer à de telles études et les faire
progresser, leur fournissent des secours de toutes sortes, formant des associations
auxquelles ils donnent généreusement des sommes abondantes.
C'est là un emploi de la fortune tout à fait excellent et bien
approprié aux nécessités de l'époque. Moins, en
effet, les catholiques doivent attendre de secours de l'Etat pour leurs études,
et plus il convient que la libéralité privée se montre
prompte et abondante; plus il importe que ceux auxquels Dieu a donné
des richesses, les consacrent à la conservation du trésor de la
vérité révélée.
Mais, pour que de tels travaux profitent vraiment aux sciences bibliques, les
hommes doctes doivent s'appuyer sur les principes que nous avons indiqués
plus haut. Ils doivent retenir fidèlement que Dieu, créateur et
maître de toutes choses, est, en même temps, l'auteur des Ecritures;
rien donc ne peut se trouver dans la nature, rien parmi les monuments de l'histoire,
qui soit réellement en désaccord avec celles-ci.
S'il semble y avoir quelque contradiction sur un point, il faut s'appliquer
à la faire disparaître, tantôt en recourant au sage jugement
des théologiens et des interprètes, pour montrer ce qu'a de vrai
et de vraisemblable le passage au sujet duquel on discute, tantôt en pesant
avec soin les arguments qu'on y oppose. On ne doit pas perdre pied, même
lorsqu'il réside quelque apparence de vérité dans l'opinion
contraire; en effet, puisque le vrai ne peut en aucune façon contredire
le vrai, on peut être certain qu'une erreur s'est glissée soit
dans l'interprétation des paroles sacrées, soit dans une autre
partie de la discussion; et si l'on n'aperçoit pas assez clairement l'une
de ces deux fautes, il faut attendre avant de définir le sens du texte.
De très nombreuses objections, en effet, empruntées à toutes
les sciences, se sont élevées pendant longtemps et en foule contre
les Ecritures, et se sont entièrement évanouies comme étant
sans valeur.
De même, au cours de l'interprétation, de nombreuses explications
ont été proposées au sujet de certains passages des Ecritures
ne concernant ni la foi ni les mœurs, qu'une étude approfondie a
permis depuis de comprendre d'une façon plus juste et plus claire. En
effet, le temps détruit les opinions et les inventions nouvelles, mais
la vérité demeure à jamais (1).
Aussi, comme personne ne peut se flatter de comprendre toute l'Ecriture, au
sujet de laquelle saint Augustin, il l'avouait lui-même, " ignorait
plus qu'il ne savait " (2), que chacun, s'il rencontre un passage trop
difficile pour pouvoir l'expliquer, ait la prudence et la patience demandées
par ce même docteur : " Il vaut mieux, dit celui-ci, être chargé
de signes ignorés mais utiles, que d'envelopper, en les interprétant
inutilement, sa tête dans un filet d'erreurs, après l'avoir délivrée
du joug de la soumission. " (3)
2. Ad Iamar. ep. LV, 21.
3. De doct. chr. III, 9, 18.
Si Nos conseils et Nos ordres sont suivis honnêtement et sagement par
les hommes qui se livrent à ces études subsidiaires, si dans leurs
écrits, dans leur enseignement, dans leurs travaux, ils se proposent
de réfuter les ennemis de la vérité, de prévenir
chez les jeunes gens la perte de la foi, alors enfin ils pourront se réjouir
de servir véritablement l'intérêt des Saintes Lettres, d'apporter
à la religion catholique un appui tel que l'Eglise l'attend à
bon droit de la piété et de la science de ses fils.
Voilà, Vénérables Frères, les avertissements et
les préceptes qu'inspiré par Dieu, Nous avons résolu de
vous donner en cette occasion, relativement à l'étude de l'Ecriture
Sainte. Il vous appartient maintenant de veiller à ce qu'ils soient observés
avec le respect qui convient, de telle sorte que la reconnaissance due à
Dieu pour avoir communiqué au genre humain les paroles de sa sagesse
se manifeste de plus en plus, de telle sorte aussi que cette étude produise
les fruits abondants que Nous souhaitons, surtout dans l'intérêt
de la jeunesse destinée au ministère sacré qui est Notre
vif souci et l'espoir de l'Eglise.
Employez avec ardeur votre autorité et multipliez vos exhortations, afin
que ces études demeurent en honneur et prospèrent dans les Séminaires
et dans les Universités qui dépendent de votre juridiction. Qu'elles
y fleurissent purement et d'une façon heureuse, sous la direction de
l'Eglise, suivant les salutaires enseignements et les exemples des saints Pères,
suivant l'usage de nos ancêtres ; qu'elles fassent dans le cours des temps,
de tels progrès qu'elles soient vraiment l'appui et la gloire de la vérité
catholique, et un don divin pour le salut éternel des peuples.
Nous avertissons enfin avec un paternel amour, tous les disciples et tous les
ministres de l'Eglise, de cultiver les Saintes Lettres avec un respect et une
piété très vifs. Leur intelligence, en effet, ne peut s'ouvrir
d'une façon salutaire, comme il importe, s'ils n'éloignent l'arrogance
de la science terrestre, et s'ils n'entreprennent avec ardeur l'étude
de " cette sagesse qui vient d'en haut ". Une fois initié à
cette science, éclairé et fort, lié par elle, leur esprit
aura une puissance étonnante même pour reconnaître et éviter
les erreurs de la science humaine, cueillir ses fruits solides et les rapporter
aux intérêts éternels. L'âme tendra ainsi avec plus
d'ardeur vers les avantages de la vertu et sera plus vivement animée
de l'amour divin. " Heureux ceux qui scrutent ses témoignages, qui
les recherchent de tout leur cœur ! " (1) Et maintenant, Nous appuyant
sur l'espérance du secours divin et plein de confiance en votre zèle
pastoral, Nous accordons, bien volontiers en Dieu, comme gage des faveurs célestes
et comme témoignage de Notre particulière bienveillance, la bénédiction
apostolique, à vous tous, à tout le clergé, au peuple confié
à chacun de vous.
Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 18 novembre de l'année 1893, de Notre Pontificat la seizième.
LÉON XIII
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1. Ps. XVIII, 2