Homélie de Père Nathan
pour la Messe de Justification de Myriam
11 octobre 2020
La méditation proposée – c’est curieux mais c’est comme ça – est de Stanley Hauerwas. C’est un méthodiste américain, actuellement titulaire de la chaire d’éthique théologique à une université de Caroline du Nord.
Etre chrétien n’est ni naturel, ni facile. Le monde obéit à ses propres mouvements, à sa vision propre des choses, avec ses propres langages qui ne sont pas les langages de l’Eglise. Et à cause de ça, nous devons nous réunir afin de proclamer la vérité avec amour (Ep 4, 15). Dimanche !, jour pour faire grandir dans la foi. Parce qu’une foi naïve, puérile, immature, est incapable d’être à la hauteur du défi lancé par le monde d’aujourd’hui. La voie chrétienne est dans un danger trop grand pour qu’on s’y risque seul. C’est pour cela que nous devons nous retrouver régulièrement pour prier, pour parler de Dieu dans un monde qui vit comme si Dieu n’existait pas. Dimanche ! Le dimanche nous devons nous adresser les uns aux autres comme des frères et sœurs qui se chérissent dans un monde qui nous rend étrangers les uns aux autres, et puis prier Dieu de nous donner ce qui nous est inaccessible par nos seuls efforts dans un monde qui nous enseigne que nous sommes autosuffisants et tout-puissants. Dans ce bas monde, ce que nous faisons le matin du dimanche est en fait une question de vie ou de mort. Que la prière commune fasse en sorte qu’on puisse prêcher ce jour-là l’Evangile avec une assurance parfaite ! (cf. Ep 6, 20).
C’est vrai que le fait de sortir de sa maison – toute la famille sort de la maison – et aller à la messe est beaucoup plus qu’une coutume, une tradition et une règle. Il y a une convocation qui est faite pour que les gens de leur voisinage viennent là et se rassemblent dans la Maison de Dieu le dimanche.
L’Eglise est nécessaire, l’Eglise c’est Jérusalem, c’est l’Epousée, c’est les prémices, c’est l’endroit où il y a une perspective, il y a un voile qui se déchire à chaque fois, parce qu’il y a une communauté, parce qu’il y a une famille, une composition de diverses familles domestiques, et à l’intérieur de ce rassemblement, parce que ce n’est pas chez nous mais parce que c’est dans l’Eglise des apôtres, il y a un voile qui s’ouvre devant nous, un horizon, et notre espérance touche quelque chose dont nous avons besoin.
L’Eglise de Jésus au milieu de notre monde d’aujourd’hui n’est pas désespérée, elle n’est pas dans un état désespéré, mais elle est quand même dans un état lancinant. Dans l’Evangile d’aujourd’hui, on voit tous les appels, tous les gestes, toutes les paroles, tous les signes, toutes les prodigieuses interpellations divines de Dieu en chacun d’entre nous pour inviter tout le monde à la Noce, et puis... : « Oh là là, j’ai pas envie ! », comme disait la chanson quand j’étais gosse : « J’veux pas y aller ! ».
Et pourtant ! Et pourtant je peux vous dire une chose, c’est que c’est un des versets des psaumes que j’aime le plus : « Ah mon Dieu, quand je pense que je suis sur la terre, je voudrais habiter la maison du Seigneur tous les jours de ma vie ! Je n’aspire qu’à une chose, c’est habiter la maison de Dieu tous les jours de ma vie ! ». C’est vrai, habiter la maison de Dieu tous les jours de ma vie ! Ecoutez, pourquoi est-ce que je dis ça ? Parce que j’aime bien respirer.
Etouffer, ce n’est pas drôle. Ramper autour de soi, de ses interrogations, de ses doutes, de ses énervements, ce n’est pas drôle de vivre comme ça, et puis c’est idiot.
Mais habiter la maison du Seigneur tous les jours de notre vie ! C’est pour ça que c’est bien aussi de faire en sorte que notre maison, ce soit la maison de Dieu. Nous intronisons notre maison pour que ce soit la maison de Dieu, que ce soit un temple de la Sainte Vierge, une chapelle, un oratoire, dans toutes les pièces de la maison. C’est un temple, c’est le qadosh du village. Ce n’est peut-être pas le Qadosh Ha Qadesh du village, mais quand je rentre chez moi, je rentre dans la Sponsalité surnaturelle, dans la Noce, dans les Sources de la grâce. Tout dans ma maison indique que je rentre dans une atmosphère, un air libre intronisé au Sacré-Cœur de Jésus. C’est une maison de prière.
Mais ce n’est pas suffisant. Ce n’est pas suffisant parce que Jésus, le Messie, le Saint-Esprit, la Très Sainte Trinité, convoquent, appellent. Nous avons une vocation, nous avons une mission surnaturelle sur la terre et dans les cieux. Nous sommes convoqués, nous sommes appelés à vivre de la grâce ensemble, à vivre des Sources de la grâce ensemble.
Il est absolument évident que sans l’Eglise le monde est perdu, l’humanité, et même la création, part dans une perdition irrattrapable.
C’est vrai, il faut que nous puissions revêtir intérieurement cette masharisation, cette caresse intérieure de l’élection. Nous avons été choisis et nous sommes bien-aimés dans cette communion des saints. Là, le Seigneur peut nous mashariser intérieurement, nous revêtir intérieurement et dilater la transVerbération immaculée de son Corps mystique tout entier. Il peut déposer les splendeurs d’une Sponsalité délicieuse toujours jaillissante, un acte pur, une introduction, une germination, une floraison, un Noël glorieux du monde nouveau. Cela, ça ne peut pas se faire dans quelqu’un qui fait son pèlerinage tout seul.
L’Eglise, c’est le joyau. L’Eglise, elle vient des plus grandes profondeurs du ciel et de l’éternité vivante de Dieu qui se penche vers nous. La première chose que le ciel et le Bon Dieu donnent, c’est l’Eglise primordiale. C’est dans l’Eglise primordiale qu’il créé : « Bereshit Bara ». C’est ce qu’explique Moïse. L’Eglise, elle n’est pas seulement messianique, elle est une attraction intrépide dans un amour enivrant, le mariage spirituel, l’union parfaite : l’Eglise, elle est unitive.
Vous savez bien que je pense souvent à cela : quand nous faisons ces prières la nuit, tout est mobilisé en nous avec l’autorité du ciel dans la terre du corps spirituel qui est le nôtre et qui s’élargit pour s’élancer et aller avec Jésus entier et vivant visiter chaque avortement. Aller visiter chaque avortement qui a été, chaque avortement qui va se produire. Venir faire cette visitation. Une procession extraordinaire, une procession universelle, une procession immaculée, une procession illuminative, immaculisante. Une procession qui ne trouve d’ailleurs devant elle strictement aucun obstacle et qui va pénétrer à l’intérieur d’un enfant parce qu’il a été avorté. Et nous allons pénétrer dans cette demeure. C’est extraordinaire de savoir que les parois de l’Eglise, c’est un enfant avorté à lui tout seul. Nous y rentrons, nous y pénétrons, parce que nous sommes chez nous.
Pourquoi ? Parce que les enfants avortés, les enfants non-nés, ces enfants-là, – mon Dieu, qu’est-ce qu’ils sont nombreux !, cela aussi, c’est une autre question, mais – chacun d’entre eux, si nous regardons bien, parce que nous finissons par les connaître, à force, si nous regardons bien, ils n’ont qu’une seule aspiration, ils n’ont qu’un seul désir, c’est que l’Eglise se tourne vers eux. Ils n’ont qu’un seul désir, c’est qu’il y ait cette procession toute entière à l’intérieur d’eux pour qu’ils deviennent le Saint-Sacrement de l’Eglise de la fin, la nourriture de la Jérusalem dernière. Ils n’ont qu’un seul désir, c’est habiter la maison du Seigneur, oui, mais surtout ils ont le désir de voir cette grande procession. C’est très clair, cela.
Alors ils attendent. Ils espèrent. Ils ont soif, ils sont altérés. Ils sont quelque part déjà dans l’action de grâce. Ils sont des saints parce qu’ils pratiquent les vertus héroïques. Ils sont d’une confiance inexplicable. Ils sont dans l’unité vivante de la Jérusalem dernière par l’espérance. Ils ont soif. Ils convoquent l’Eglise. Ils attendent et ils cherchent partout, altérés, continuellement, que les mérites de Notre-Seigneur Jésus-Christ, les mérites de Marie et des saints, viennent les visiter, surabonder et leur être appliqués pour qu’ils puissent revêtir la robe nuptiale dans la signification sponsale de leur Eglise primordiale dans laquelle ils ont dit Oui à l’existence et à l’animation immédiate de la Jérusalem dernière à travers eux. L’Eglise, c’est tout pour eux.
Et nous pourrions faire le même genre de quatrain pour les pécheurs, les pires : les adrénochrome-addicts, ces espèces d’horreurs. Quelque part au fond d’eux-mêmes – c’est sûr, c’est au fond d’eux-mêmes –, dans le fond de leur éternité rédemptrice, de leur rédemption éclatante, de leur conversion à venir, ils savent quelque part au fond d’eux qu’ils ont besoin de l’Eglise. C’est la condition sine qua non de leur respiration dans l’horreur dont ils sont les prisonniers infernaux. Il faut prier pour les pécheurs.
Et l’Eglise, elle part, elle est convoquée en procession par le cri du désespoir substantiel de ces gens-là qui sont dans une perdition irréformable, irréversible, éternelle. Il y a quelque chose au fond d’eux qui réclame, quelque part sans le savoir bien sûr, qui réclame la procession profonde de l’Eglise pour venir pénétrer et faire à l’intérieur de leur âme ce qu’ils sont bien incapables de faire : un acte d’adoration, de contrition, d’immaculation.
Dieu convoque l’Eglise à travers ce qu’il y a de plus petit, de plus déchiré. C’est pour ça que c’est un commandement de Dieu. C’est le cinquième commandement de l’Eglise et le troisième commandement de Dieu. Tu laisse tout tomber, c’est l’Eglise qui compte le dimanche, et ce n’est pas pour rien, évidemment.
Nous allons célébrer cette messe du dimanche en comprenant aussi que nous sommes convoqués par elle à l’intérieur de l’Eglise de la résurrection. Dans l’anastase, l’Eglise est présente dans une famille domestique entièrement glorifiée, glorieuse, c’est vrai, la nature humaine ressuscitée de Jésus masharisant celle de Marie, celle de la sponsalité à l’état pur, et puis aussi le sacerdoce glorifié. Ces quatre-là forment une Eglise dans l’anastase et de plus en plus nous allons voir que cette Eglise-là nous convoque aussi. Nous sommes convoqués à pénétrer à l’intérieur de l’Eglise résurrectionnelle, nous sommes convoqués, parce que c’est une Eglise de pierres vivantes qui est en même temps une Eglise maternelle, paternelle, sponsale, qui est en même temps une Eglise messianique glorieuse, qui est une Eglise incarnée, une Eglise d’une agilité, d’une subtilité !
Notre place est là, en eux, au milieu d’eux, pour que nous soyons changés en eux, transformés en eux, transsubstantiés en eux, transVerbérés, divinisés, transsurnaturalisés, transdivinisés à l’intérieur d’eux. Tout le tourbillon des transformations de la respiration normale d’un enfant de la terre se trouve là, surabondant, et aussi dans un amour pacifique avec une communion qui dilate tous les espaces des aspirations de Dieu pour nous.
Nous sommes convoqués et il faut que cette convocation soit si vivante en nous qu’elle produise comme une aspiration à l’intérieur, qui fait que tous ceux qui sont derrière nous éprouvent quelque chose de ce Ruach Ha Qadesh, de cette aspiration à l’intérieur de l’Eglise glorieuse.
Il y a un lien entre l’Eglise primordiale et l’Eglise de l’anastase. Les deux sont comme une Immaculée Conception de la Jérusalem glorieuse, et la Jérusalem glorieuse est parfaitement identique, identifiée, assimilée, à la deuxième Personne de la Très Sainte Trinité dans les Noces de l’Agneau.
Nous ne sommes sur la terre que pour toucher, vivre, percevoir, et nous dilater dans cette grâce-là.
Ah oui, je n’aspire qu’à une seule chose, c’est de vivre tous les jours dans la maison de Dieu.
Je célèbre ce matin la messe dans l’intention de prendre une petite enfant qui n’est pas née et qui a donné son nom : elle s’appelle Myriam. Alors c’est tranquillement que dans les … C’est extraordinaire, l’immaculée conception d’une enfant comme elle, la conception immaculée ! C’est le jour pour elle de sa dilatation. C’est vrai, l’âme à ce moment-là a les dimensions de l’Eglise de la fin. C’est pour ça que nous avons bien intérêt, et que nous trouvons toute notre béatitude et notre bonheur, à venir pénétrer dans cette source de vie, avec un nom si beau en plus !
Et en comptant sur elle pour qu’il se passe pour nous un petit peu ce qui est dit là dans l’épître (Philippiens 4, 12…20) – j’ai bien aimé ça – : « Quand j’étais dans la gêne, vous avez bien fait de vous montrer solidaires, parce que mon Dieu, à cause de cela, comblera tous vos besoins », c’est extraordinaire !, tous vos besoins spirituels surtout je suppose, « selon sa richesse, magnifiquement, dans le Christ Jésus ».
Quand nous rentrons comme ça à l’intérieur du cœur les uns des autres pour y donner toute notre magnificité de grâce, d’amour, de foi, cette petite-là nous le rendra magnifiquement, dans une magnanimité de vie divine, une magnanimité ! – c’est beau, il faut que je le retienne : « Selon sa richesse, magnifiquement, dans le Christ Jésus » –, pour nous combler.