Chemin de la perfection de Ste Thérèse d'Avila
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CHAPITRE 4
Traite
de trois choses très importantes pour la vie spirituelle.
1 Il semble audacieux d'imaginer que je puisse contribuer à atteindre
ce but. Je mets ma confiance, ô mon Seigneur, en vos servantes ici rassemblées,
car je sais qu'elles ne veulent ni ne prétendent rien d'autre que de
vous contenter ; pour vous elles ont abandonné le peu qu'elles avaient,
et elles auraient voulu avoir beaucoup plus pour vous en faire don. Car vous,
ô mon Créateur, vous n'êtes pas ingrat, et je n'ai aucun
motif de penser que vous donnerez moins qu'il ne vous est demandé, vous
accorderez plutôt beaucoup plus ; vous n'avez pas non plus, Seigneur de
mon âme, abhorré les femmes lorsque vous viviez dans ce monde,
au contraire, vous les avez toujours favorisées et traitées avec
beaucoup de miséricorde, et vous avez trouvé en elles autant d'amour
et plus de foi que chez les hommes ; L'une d'entre elles - dont nous portons
l'habit - fut votre Très Sainte Mère, et ses mérites nous
valent de mériter ce que nous avons démérité par
nos péchés. N'est-il pas suffisant, Seigneur, que le monde nous
tienne à l'écart... [Les points de suspension indiquent quelques
mots illisibles], que nous ne fassions rien qui vaille pour vous en public,
et que nous n'osions parler de quelques vérités que nous pleurons
en secret ? faudrait-il encore que vous n'écoutiez pas une aussi juste
requête ? Je ne puis le croire, Seigneur, de votre bonté et de
votre justice car vous êtes un juge juste, vous n'êtes pas comme
les juges du monde qui, étant fils d'Adam et, enfin, tous des hommes,
tiennent pour suspecte n'importe quelle vertu de femme. Oui, ô mon Roi,
il arrivera un jour où tous seront connus. Je ne parle pas pour moi,
car le monde connaît déjà ma misère- et je me réjouis
qu'elle soit notoire - mais, je le vois, les temps sont tels qu'il me semble
irraisonnable de rejeter des esprits vertueux et forts, même si ce sont
des esprits de femmes, Quand nous vous demanderons des honneurs, des richesses
ou quoi que ce soit qui sente le monde, ô mon Seigneur, ne nous écoutez
pas ; mais lorsqu'il s'agit de l'honneur de votre Fils, pourquoi n'écouteriez-vous
pas, Père Éternel, celles qui, pour vous, perdraient mille honneurs
et mille vies ? Et non à cause de nos mérites, Seigneur, car nous
n'en avons aucun, mais à cause du Sang et des mérites de votre
Fils.
2 O Père Éternel, tant de coups de fouet, tant d'injures, tant
de si terribles tourments ne peuvent être oubliés ! Comment donc,
ô mon Créateur, des entrailles aussi aimantes que les vôtres
peuvent-elles tolérer que ce que votre Fils a réalisé avec
un si brûlant amour pour vous contenter davantage - ne lui aviez-vous
pas ordonné de nous aimer ? - soit tellement méprisé ?
Les hérétiques ne bafouent-ils pas aujourd'hui le Saint-Sacrement,
ne le privent-ils pas de sa demeure et ne détruisent-ils pas ses églises
? Si encore il avait failli à quelque chose pour vous contenter ! mais
il a tout accompli parfaitement. N'a-t-il pas suffi, ô Père Éternel,
qu'il n'eût pas même où reposer sa tête durant sa vie
sur la terre, et qu'il vécût dans un perpétuel tourment
? Faut-il, maintenant, qu'on le prive des refuges où il convie ses amis
? car il connaît leur faiblesse, et il sait que pour supporter leurs travaux
ils ont besoin de se nourrir d'un tel mets. N'avait-il pas déjà
payé suffisamment, trop même, pour le péché d'Adam
? Chaque fois que nous retombons dans le péché, est-ce encore
à cet Agneau si doux à le payer pour nous ? Ne le permettez pas,
ô mon Empereur, que Votre Majesté s'apaise ! Ne regardez pas nos
péchés, mais considérez que votre Très Saint Fils
nous a rachetés et songez à ses mérites, à ceux
de votre Mère ainsi qu'à ceux de tant de saints martyrs morts
pour vous.
3 Hélas, pauvre de moi, Seigneur ! comment ai-je osé vous adresser
cette requête au nom de toutes ? Quelle mauvaise médiatrice vous
avez choisie, mes filles, pour mériter d'être écoutées
et pour présenter votre demande ! Ce souverain Juge, en la voyant si
téméraire, ne va-t-il pas s'indigner davantage ? Ce serait avec
raison et avec justice. Mais considérez, ô mon Empereur, que vous
êtes un Dieu de miséricorde, exercez-la envers cette pauvre pécheresse,
ce vermisseau qui s'enhardit tellement devant vous. Voyez, ô mon Seigneur,
mes désirs et les larmes avec lesquelles je vous supplie ; pour l'amour
de vous-même oubliez mes oeuvres, ayez pitié de tant d'âmes
qui se perdent et protégez votre Église. Ne permettez plus, Seigneur,
que la chrétienté pâtisse davantage ; faites la lumière
au milieu de ces ténèbres.
4 Je vous demande à toutes, mes soeurs, pour l'amour de Dieu, de recommander
à Sa Majesté cette pauvre créature si téméraire
afin qu'il lui accorde l'humilité. Et si un jour vos prières,
vos désirs, vos disciplines et vos jeûnes n'avaient pas pour fin
ce que je viens de dire, croyez que vous ne faites ni n'accomplissez le but
pour lequel vous avez été réunies ici. Que le Seigneur
ne permette jamais que cela sorte de votre mémoire, pour l'amour de Sa
Majesté.