Chemin de la perfection de Ste Thérèse d'Avila
Ou page par page : 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73
CHAPITRE 63
Explication de ces paroles du Paternoster : " Dimitte nobis debita nostra ".
1 Notre précieux Maître, voyant que cet
aliment nous rend tout facile pourvu qu'il n'y ait pas de notre faute, et que
nous pouvons très bien accomplir ce que nous avons dit au Père
: " que votre volonté se fasse en nous ", demande maintenant
à son Père de nous pardonner, puisque nous pardonnons : "
Seigneur, pardonnez-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui
nous ont offensés. "
2 Remarquez, mes soeurs, qu'il ne dit pas " comme nous pardonnerons "
; et cela, pour que vous compreniez que celui qui demande un don aussi grand
que le précédent, et a déjà remis à Dieu
sa volonté, doit avoir pardonné ; c'est pourquoi il dit : "
comme nous pardonnons ". Ainsi, quiconque aura dit sincèrement au
Seigneur : " Fiat voluntas tua ", doit avoir déjà tout
pardonné, ou du moins en avoir l'intention. Vous voyez ici pourquoi les
saints se réjouissaient dans les injures et les persécutions :
elles leur donnaient quelque chose à offrir au Seigneur quand ils lui
adressaient une prière. Que fera une pécheresse comme moi qui
a tant à se faire pardonner ? Voilà assurément, mes soeurs,
de quoi nous donner beaucoup à réfléchir, car c'est une
affaire très grave et d'une grande importance, que le Seigneur nous pardonne
nos fautes - fautes qui auraient mérité le feu éternel
- en échange de quelque chose d'aussi insignifiant que le pardon que
nous accordons pour des choses qui ne sont ni des offenses, ni rien du tout.
Mais comment pourrait-on offenser en paroles ou en actes quelqu'un qui, comme
moi, mériterait d'être malmenée par les démons pour
l'éternité ? Il n'est que juste que je sois maltraitée
en ce monde ! C'est pourquoi, mon Seigneur, je n'ai rien à vous offrir
quand je vous demande de pardonner mes offenses. Que votre Fils me pardonne,
car personne ne m'a fait tort, et ainsi je n'ai rien à pardonner pour
votre amour ; mais prenez mon désir, Seigneur, car il me semble que je
pardonnerais n'importe quoi pour que vous, vous me pardonniez, ou pour accomplir
votre volonté sans condition aucune. Mais si l'occasion s'en présentait,
et si j'étais condamnée sans raison, je ne sais pas ce que je
ferais ; pour le moment, je me vois si coupable à vos yeux que tout ce
que je pourrais souffrir me semble peu de chose en comparaison de ce que je
mérite, bien que ceux qui ne savent pas, comme vous, qui je suis, pensent
que j'ai été outragée. Ainsi, ô mon Père,
c'est gratuitement que vous devez me pardonner ; votre miséricorde a
ici une belle occasion de s'exercer. Soyez béni, vous qui me supportez
malgré ma pauvreté ; votre Fils Très Saint a demandé
au nom de tous ; quant à moi, je suis si dépourvue que je ne puis
me compter dans le nombre.
3 Mais, Seigneur, s'il y avait des personnes dans mon cas, et qui n'aient pas
mieux compris ce point que moi ? S'il y en a, je les supplie en votre nom d'y
penser et de ne faire aucun cas de ces soi-disant affronts, car en s'arrêtant
à ces points d'honneur, elles ressemblent à des enfants qui bâtissent
des maisons avec des brins de paille. O mon Dieu ! que ne comprenons-nous, mes
soeurs, ce que c'est que l'honneur, et en quoi consiste sa perte ? Ce n'est
pas à vous que je fais allusion pour l'instant - ce serait fort malheureux
si vous n'aviez pas encore compris cette vérité mais à
moi, au temps où je me flattais d'avoir le sens de l'honneur sans savoir
ce que c'était, ni où je me laissais mener par la routine et par
les oui-dire. Comme tout m'offensait alors facilement, et comme j'en ai honte
aujourd'hui ! Pourtant, je n'étais pas parmi les plus susceptibles en
cette matière mais, comme les autres, je me trompais quant au point principal,
car je ne me souciais pas et ne faisais aucun cas de l'honneur qui a quelque
utilité, et qui est profitable pour l'âme. Oh ! qu'il a dit vrai
celui qui a déclaré qu'honneur et profit ne peuvent aller de pair
312 ; je ne sais s'il l'a dit à ce sujet ; mais cela est vrai au pied
de la lettre, car le profit de l'âme et ce que le monde appelle honneur
ne peuvent jamais aller ensemble. O mon Dieu ! comme le monde marche à
l'envers ! Béni soit le Seigneur qui nous en a retirées ! Plaise
à Sa Majesté que ce mal soit toujours aussi loin de cette maison
qu'il l'est maintenant ! Dieu nous préserve des monastères où
il existe des points d'honneur ! Jamais Dieu n'y est très honoré.