Part.2 Part.3 Part.4 Part.5 Part.6

REVUE THOMISTE 1ère PARTIE

Avant-Propos
Vae mihi si non theologizavero !

Les études thomistes en France souffrent aujourd'hui - et risquent de souffrir de plus en plus dans un proche avenir - d'un déséquilibre qui découle de l'évolution différenciée des institutions vouées à l'enseignement et à la recherche, d'une part, en philosophie, d'autre part, en théologie. Je n'ai certes pas la naïveté de croire que les institutions philosophiques sont en tout point florissantes, mais elles n'en jouissent pas moins d'une solide reconnaissance sociale qui fait cruellement défaut' aux institutions théologiques. Celles-ci relèvent presque exclusivement de l'Église catholique, et la raréfaction du clergé susceptible d'être pleinement investi dans le développement des "sciences ecclésiastiques " fait peser sur elles une lourde menace. Cette précarité institutionnelle générale de la théologie, combinée avec la persistance chez certains théologiens d'une vieille méfiance à l'égard du thomisme, héritée d'une époque où le thomisme était plus un instrument de normalisation qu'une théologie vivante, aboutit au résultat suivant: l'œuvre de saint Thomas d'Aquin est en train de passer des clercs aux laïcs, ce qui signifie souvent : des théologiens aux philosophes. On a dit, non sans raison, que l'annexion des études médiévales par le catholicisme militant de la fin du XIXe siècle, dans un contexte de conflit ouvert avec la République, avait été une des principales raisons de leur exil universitaire1. Inversement, le peu d'empressement des clercs à revendiquer l'héritage thomiste et un certain étiolement de la laïcité républicaine expliquent aujourd'hui ce discret retour de saint Thomas à l'Université. Les signes ne manquent pas : non seulement h s doctrines médiévales réintègrent la Sorbonne (et autres lieux où souffle l'Esprit) mais saint Thomas investit Garnier-Flammarion, s'impose à la studiosité des agrégatifs... Ce dont on ne peut que se réjouir. Le phénomène n'est cependant pas sans poser quelques problèmes.
C'est un principe herméneutique élémentaire - l'Eglise y insiste - que, si la Bible, à travers bien des médiations créées, est ultimement l'œuvre de l'Esprit-Saint, c'est ultimement dans l'Esprit-Saint qu'il convient de la lire. L'étude scientifique menée au plan des médiations créées est on ne peut plus utile, mais elle m trouve tout son sens qu'intégrée à la lecture " inspirée ", c'est-à-dire

1. Cf. J. JOLIVET, " Les études de philosophie médiévale en France de Victor Cousin à Étienne Gilson ", dans Gli Studi di filosofia médiévale fra otto et novecento, Contributo a un bilancio storiografico, Atti del convegno internazionale, Roma, 21-23 settembre 1989, a cura di R. Imbach e A. Maierù, Roma, Edizioni di storia e letteratura, 1991, p. 1-20. RT99 (1999) 5-9

croyante et ecclésiale, qui seule permet à l'Écriture de livrer son sens plénier. Or, il en va un peu de même, mutatis mutandis, pour l'œuvre de saint Thomas. Saint Thomas, catholicae veritatis doctor, comme il se définit lui-même, est un théologien et non pas d'abord un philosophe. Il s'ensuit qu'en vertu de la précieuse connaturalité requise entre l'intention de l'auteur du texte et son lecteur, l'œuvre de saint Thomas demande à être lue, interprétée et actualisée non seulement par des philosophes mais surtout par des théologiens. D'ailleurs, les grandes doctrines philosophiques de l'Aquinate, même si elles présentent une réelle cohérence à leur plan propre, gagnent à être comprises sur l'horizon théologique qui fut celui de leur élaboration.
Certes, il ne manque pas aujourd'hui - et c'est heureux - d'universitaires laïcs qui possèdent une excellente culture théologique et sont donc capables d'intégrer la dimension théologique de l'œuvre thomasienne, même pour une lecture philosophique. Mais cette lecture compétente remplace-t-elle la lecture faite par des théologiens de métier ? Je veux dire : non seulement des techniciens de la théologie et de son histoire, mais des chrétiens qui, in medio Ecclesiae, font de la théologie leur "profession", à tous les sens du terme. Il y a en effet un climat théologal nécessaire à l'exercice authentique de la théologie. Bref, si l'on veut faire droit à la dimension théologique et sapientielle du thomisme, non pas comme une curiosité archéologique mais comme un principe herméneutique fécond, il apparaît hautement souhaitable que s'établisse, dans le respect de la diversité des approches, une étroite collaboration interdisciplinaire entre, d'une part, les théologiens thomistes de métier, engagés dans un projet d'actualisation du thomisme, et, d'autre part, les philosophes laïcs soucieux d'une intelligence intégrale de la philosophie thomasienne.
Dans cette perspective, les " écoles thomistes " traditionnelles (c'est-à-dire les institutions ecclésiastiques qui héritent d'une tradition doctrinale thomiste) n'ont pas de plus urgente besogne que d'être elles-mêmes. Elles doivent s'ouvrir, avec tout le sérieux et la compétence requis, aux méthodes, aux acquis et même aux provocations de la science universitaire appliquée au corpus thomasien, sans renoncer pour autant à la spécificité de leur approche. On leur demande surtout d'être des lieux où la théologie de saint Thomas est scrutée, enseignée, actualisée, dans le cadre d'une vie ecclésiale vouée à la quête intégrale de la sagesse chrétienne, indissociablement théologique et mystique.

À sa place, fort modeste, l'Institut Saint-Thomas d'Aquin de Toulouse s'emploie à cette tâche, et c'est pourquoi, après plusieurs colloques favorisant directement la rencontre avec les problématiques universitaires (la question de l'onto-théologie, l'histoire des doctrines thomistes au XIVe siècle), il a voulu consacrer son troisième colloque à un thème spécifiquement théologique : Saint Thomas et le sacerdoce. Ce colloque, dont la Revue thomiste est heureuse de proposer dans ce numéro l'intégralité des Actes, a été accueilli dans les beaux de l'Institut catholique de Toulouse où il s'est déroulé les 5 et 6juin 1998, sous la haute présidence de Mgr Émile Marcus. Il a réuni une cinquantaine de participants venus de toute l'Europe.
Le thème du sacerdoce, très sensible dans la théologie contemporaine, n'est peut-être pas un thème dominant dans la théologie de l'Aquinate. Les textes qui s'y réfèrent de façon tant soit peu systématique ne foisonnent pas, de sorte qu'on ne s'étonnera pas qu'ils aient été labourés en tous sens par les différents intervenants. D'inévitables répétitions, qui ont d'ailleurs l'avantage de pointer les thèmes essentiels, sont la rançon de l'acribie des recherches.
Indépendamment de l'intérêt intrinsèque du thème envisagé, ce colloque a surtout permis défaire apparaître au grand jour certaines orientations actuelles de la recherche sur la théologie de saint Thomas. Poursuivies avec patience et discernement, elles promettent d'être fructueuses. J'en retiens trois.

1°- Alors qu'on aurait pu s'attendre à une cristallisation autour des questions relatives au ministère sacerdotal, les contributions sollicitées dans la phase préparatoire du colloque se sont assez spontanément regroupées autour du thème du sacerdoce de Jésus-Christ. Il est vrai que saint Thomas n'a pas eu le temps de traiter à nouveaux frais du sacrement de l'ordre dans la Somme de théologie et qu'il n'a donc pu synthétiser certaines évolutions de sa pensée sur la question dont d'autres œuvres signalent pourtant l'existence (P. P.-M. Gy) ;par contre, le sacerdoce du Christ fait l'objet - et c'est déjà une originalité de l'Aquinate en son temps - d'une substantielle question de la IIIa Pars, question " classique ", mais dont le P.J.-P. Torrell nous propose une solide exégèse, renouvelée par la méthode historique.
Mais il y a bien davantage. La théologie thomiste contemporaine se veut davantage sapientielle et contemplative qu'apologétique. Elle est donc surtout attentive à dégager la cohérence d'ensemble du Mystère. Or, le thème du Christ Prêtre chez saint Thomas s'avère particulièrement précieux pour éclairer plusieurs domaines de la réflexion théologique. Tout d'abord, il entretient des liens étroits avec l'ensemble de la christologie et en particulier la sotériologie, ainsi que G. Remy le montre dans son étude sur sacerdoce et médiation. Saint Thomas, avec le génie de l'ordre qui le caractérise, a aussi discerné dans le sacerdoce du Christ, " source de tout sacerdoce2 ", un principe explicatif important pour les autres formes de sacerdoce Certes, le sacerdoce du Christ accomplit de façon éminente les exigences du sacerdoce comme institution naturelle (P. S.-Th. Bonino), mais surtout il est la cause et le modèle de ces deux participations différenciées que sont, d'une part, le sacerdoce ministériel et, d'autre part, le sacerdoce spirituel des fidèles. Le P. G. Emery dégage bien toute la richesse de l'approche thomasienne de ce sacerdoce spirituel, remis en lumière par le concile Vatican II. En fait, le Christ ayant, par son sacerdoce, inauguré le rite de la religion chrétienne, c'est en définitive toute la vie de l'Église, saisie sous l'angle cultuel, qui prolonge le sacerdoce du Christ. La réflexion de D. Chardonnens sur

2. Cf. IIIa, q. 22, a. 4 : " Fons totius sacerdotii. "

l'éternité du sacerdoce du Christ et l'effet eschatologique de l'eucharistie montre bien comment la vie sacramentelle ecclésiale peut être envisagée dans cette perspective.

2°- Ce colloque aura aussi largement confirmé - était-ce encore nécessaire ? - la fécondité de l'approche historico-doctrinale pour l'intelligence de l'œuvre théologique de saint Thomas. Comprendre l'enseignement de saint Thomas à la lumière de ses sources et de son contexte doctrinal est désormais la première et indispensable opération, même si elle n'est pas forcément la dernière. Cette approche implique une attention extrême au concret du texte, qui trouve un auxiliaire utile dans les méthodes de recherche informatique. Sans l'Index thomisticus, les études de ce colloque, qui portent en définitive sur une thématique textuellement assez dispersée, auraient sans doute été plus laborieuses.
L'approche historico-doctrinale est d'autant plus décisive que l'étude des sources fait de plus en plus apparaître l'œuvre thomasienne comme profondément enracinée - et défait et d'intention délibérée - dans la Tradition. Dans une lettre du 13 novembre 1931 au jeune P.M.-M. Labourdette, le P. M.-J. Lagrange exposait ainsi sa vision de l'enseignement du thomisme : " II n'est pas question de faire de saint Thomas le point de départ de controverses subtiles, mais le point d'arrivée, la synthèse splendide de tout le travail théologique qui l'a précédé3. " La première partie de cette déclaration doit être aujourd'hui sérieusement relativisée : une étude historico-doctrinale de la tradition thomiste postérieure est du plus haut intérêt pour une théologie thomiste vivante. Malgré ses indéniables misères et scléroses, l'histoire de l'" école thomiste " ne se réduit pas à une pénible séquence de chicanes picrocholines. L'étude que le P. Ch. Morerod consacre à la thématique du prêtre chez Cajetan, renouvelée par l'attention à la contestation venue de la Réforme, ou celle dans laquelle le P. M.-B. Borde reprend le problème scolastique du constitutif formel du sacerdoce du Christ selon les Salmanticenses, soulignent la vitalité d'une tradition thomiste capable non seulement d'approfondir de façon homogène, mais aussi d'actualiser en fonction des exigences de chaque époque, la doctrine du Maître.
Par contre, la seconde partie de la proposition du P. Lagrange a révélé, depuis, toute sa pertinence. Pour saint Thomas, l'exercice de la théologie ne se conçoit qu'en référence constante et vitale à la Tradition chrétienne et d'abord à l'Écriture, " âme de la théologie ", selon la belle expression de Léon XIII reprise par Vatican II (Optatam totius, n° 16). Il faut donc prendre au sérieux l'identité réelle entre l'auteur de la Somme de théologie et le Magister in sacra pagina. Ainsi, tous les intervenants du colloque s'accordent à reconnaître l'influence capitale du travail exégétique de saint Thomas - sur l'épître aux Hébreux en particulier - pour l'élaboration de sa théologie du sacerdoce dans la Somme de théologie. Les deux études consacrées au thème du sacerdoce dans les commentaires scripturaires - celle de M. Morard sur le commentaire des

3. Un Maître en théologie, Le Père Marie-Michel Labourdette o.p., RT 92 (1992), p. 55.

Psaumes et celle du P. G. Berceville sur le commentaire de l'épître aux Hébreux - témoignent de cette interaction vitale entre le labeur exégétique et la réflexion systématique. Saint Thomas est aussi un lecteur assidu des Pères, et son enseignement véhicule encore, de façon intelligente bien que parfois avec une certaine déperdition, de grands thèmes patristiques occultés par la suite, comme par exemple la doctrine des tria munera Christi, étudiée par le P. B.-D. de La Soujeole. De ce contact avec la Tradition, saint Thomas garde un sens très vif de l'unité vitale de la doctrine et de la vie chrétiennes. La nécessaire différenciation des genres littéraires - une synthèse théologique n'est pas un commentaire scripturaire - ne doit pas masquer la profonde unité sapientielle de l'œuvre de l'Aquinate. Dans son Saint Thomas, maître spirituel, le P.J.-P. Torrell a insisté sur cette unité qui invite à ne pas séparer chez saint Thomas théologie et spiritualité. Plusieurs communications l'illustrent ici.

3°- Ce caractère profondément traditionnel que la recherche récente restitue à la théologie thomasienne - malheureusement occulté par l'" exil de l'Ecriture " dans la théologie scolastique postérieure, puis par la séparation néfaste entre théologie positive et théologie spéculative - confère au thomisme une nouvelle crédibilité. L'opposition stérile -- trop cultivée en ce siècle - entre le thomisme et une théologie du " retour aux sources " (sources scripturaires, patristiques, liturgiques) conçue comme forcément antiscolastique, a vécu. L'immense effort de ressourcement chrétien de ce siècle a tout à gagner à s'exposer à la puissance intégratrice de la sagesse, métaphysique et théologique, de l'Aquinate, et contribuera en retour à préserver le thomisme des dérives rationalistes qui le guettent parfois.
En effet, non seulement la théologie thomasienne garde trace de thèmes traditionnels, mais elle s'avère capable d'intégrer et de fonder en raison et en tradition des thèmes théologiques chers à notre époque. L'étude du P. G. Emery sur le sacerdoce commun des fidèles, ou celle du P. de La Soujeole sur les tria munera, l'attestent. Bien plus, si l'on prend soin, comme le fait le P. G Narcisse dans son essai sur la question de l'ordinabilité des femmes, de remonter des conclusions particulières, souvent discutables, aux principes mêmes, la théologie thomasienne n'est pas sans ressources pour nourrir les débats théologiques les plus actuels. De même, pour la théologie du ministère sacerdotal, dont il retrace l'histoire récente et les enjeux, Mgr Émile Marcus a raison d'insister sur l'évident décalage entre le traitement explicite de la question par saint Thomas et les exigences actuelles d'une théologie des ministères, mais aussi sur la fécondité possible de certains principes théologiques fondamentaux de l'Aquinate. Ceux que notre colloque a précisément essayé de dégager.

fr. Serge-Thomas BONINO, o.p.
Directeur de la Revue thomiste

Liste des sigles et abréviations

AAS = Acta Apostolicae Sedis, Rome
BA = Bibliothèque augustinienne, Paris
CCSL = Corpus christianorum, Séries latina, Turnhout
DC = La Documentation catholique, Paris
DTC = Dictionnaire de théologie catholique, Paris
DS = Dictionnaire de spiritualité, Paris
GS = Gaudium et spes (concile Vatican II)
LG = Lumen gentium (concile Vatican II)
NRT = Nouvelle Revue théologique, Louvain
PL = Patrologia latina (J.-P. MIGNE), Paris
PG = Patrologia graeca (J.-P. MIGNE), Paris
PO = Presbyterorum ordinis (concile Vatican II)
RT = Revue thomiste, Toulouse
RSPT = Revue des sciences philosophiques et théologiques, Paris
RTAM = Recherches de théologie ancienne et médiévale, Louvain


* * *

In [I, II, III, IV] = Scriptum super Sententiis, Ed. Mandonnet, 2 t.,
Sent. Paris, 1929 (livres I et II) ; Ed. Moos, 2 t.,
Paris, 1933 et 1947 (livre III ; livre IV, d. 1-22);
Complété par l'éd. de Parme, t. VII/2

SCG = Summa contra Gentiles

Ia, Ia-IIae, IIa-IIae, = Summa theologiae : Prima Pars, Prima
IIIa, Suppl. Secundae …, Tertia Pars, Supplementum

Super Ps. ou In Ps. = In Psalmos Davidis Expositio

In Is. = Expositio super Isaiam ad litteram, Ed. leonina,
t. 28, Rome, 1974

In Matth. = Lectura super Matthaeum, Ed. Cai, Turin,
Marietti, 1951 (suivi des numéros du chapitre
Et du verset bibliques)

In Ioan. = Lectura super Ioannem, Ed. Cai, Turin, Marietti,
1952 (suivi des numéros du chapitre et du
verset bibliques)

In Rom., In 1 Cor., = Super Epistolas S. Pauli lectura, 2 t., Ed. Cai,
… In Herb. Turin, Marietti, 1953 (suivi des numéros du chapitre et du
verset bibliques)

Catena in Matth., = Catena aurea in quatuor Evangelia, 2 t., Ed. Cai,
Luc., Marc., Ioan. Turin, Marietti, 1953

Les abréviations des livres bibliques sont celles de la Bible de Jérusalem.


Saint Thomas d'Aquin et les problèmes actuels de la théologie du sacerdoce

Le thème que l'on m'a demandé de traiter dans le cadre du colloque de l'Institut Saint-Thomas d'Aquin m'a paru d'emblée relever du défi, et cela pour plusieurs raisons.

1. La première et la plus évidente tient à la complexité des deux univers qu'il s'agit de mettre en regard. Quels sont-ils ?
Tout d'abord : " saint Thomas d'Aquin ", c'est-à-dire en l'occurrence son enseignement sur le sacerdoce. Or saint Thomas, on le sait, traite relativement peu du sacerdoce, du moins selon ce qu'évoqué pour nous ce concept, à savoir le sacerdoce commun des fidèles, le sacerdoce ministériel, leur différence et leur articulation mutuelle, au bénéfice d'une bonne compréhension de l'Église et de sa mission.
Saint Thomas donne une définition générale du sacerdoce dans la Somme de théologie : " La fonction des prêtres est dite sacerdotale parce qu'ils offrent le sacrifice" (IIa-IIae, q. 85, a. 4, ad 3). Elle lui suffit pour montrer l'originalité du sacerdoce du Christ par rapport au sacerdoce lévitique et
pour en exposer les caractéristiques, ce qu'il fait dans la IIIa Pars, q. 22 :
- il établit que ce concept convient au Christ parce qu'il est médiateur entre Dieu et le peuple en tant qu'il transmet au peuple des biens divins (sacer-dos ou sacer-dans : qui donne les choses saintes) (a. 1) ;
- il indique que, dans son sacerdoce, le Christ est à la fois le prêtre et la victime (a. 2) ;
- il souligne que ce sacerdoce a pour effet l'expiation des péchés (a. 3), qu'il est la source de tout le sacerdoce (a. 4) et qu'il est éternel (a- 5).
Tout cela est évidemment fort précieux, mais si nous voulons savoir ce qu'a pensé saint Thomas de ce que nous mettons aujourd'hui sous l'expression " problèmes actuels de la théologie du sacerdoce ", il nous faut aller voir aussi, dans toute son œuvre, du côté des concepts de culte (sacrifice, oblation), d'ordre, de caractère et de grâce, et bien sûr de sacrement - sans oublier qu'à tout jamais il nous manquera ce que la

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mort lui a empêché de dire au sujet du sacrement de l'ordre, précisément sous son aspect... " sacerdotal ".
L'autre réalité qu'il s'agit de prendre en compte est elle-même immense, complexe et tourmentée puisqu'il s'agit " des problèmes actuels de la théologie du sacerdoce ". Quels sont ces problèmes ?
Il y a d'abord tous ceux qui relèvent du sacerdoce commun des fidèles. Le concile Vatican II nous a offert une admirable fresque théologique de l'Église " peuple de Dieu " qui situe l'un par rapport à l'autre " le sacerdoce commun des fidèles " et " le sacerdoce ministériel ou hiérarchique " (LG, n° 10-11, 34-38 notamment). Mais on sait combien la réception de cet enseignement fut et reste tumultueuse, avec en particulier des jeux complexes de fausse symétrie entre les " deux sacerdoces ". N'a-t-on pas été jusqu'à dénoncer l'incohérence du document à cause d'une contradiction qu'introduirait le chapitre III qui traite de la constitution hiérarchique de l'Église par rapport au chapitre II qui décrit la mise en œuvre des charismes dans le peuple de Dieu et la prise en compte du sens de la foi chez les fidèles ?
Mais " les problèmes actuels de la théologie du sacerdoce ", ce sont aussi tous ceux qui concernent le sacerdoce ministériel et dont nul n'ignore la gravité. Là encore, le Concile et les enseignements magistériels qui ont suivi ont apporté quelque clarté, mais leur réception positive et féconde en profondeur s'est avérée à maintes reprises incertaine et agitée ; elle a été marquée par de multiples crises.

2. Si j'ai parlé de défi, c'est pour une autre raison encore. Les approches théologiques du sacerdoce (du Christ, de l'Église, des ministres ordonnés) par saint Thomas, et plus largement le thomisme, sont d'une tonalité qui diffère énormément de celles qui ont cours généralement aujourd'hui. Cette hétérogénéité apparaît à plusieurs niveaux :
- hétérogénéité dans le vocabulaire : d'une part, saint Thomas enchaîne les concepts de sacerdoce, de culte, de sacrifice, d'oblation..., d'autre part, il traite de l'ordre; tandis qu'aujourd'hui, ce que nous appelons " les problèmes du sacerdoce " est de fait quasiment absorbé dans la sphère des ministères.
- hétérogénéité aussi des questions auxquelles il s'agit de répondre. Saint Thomas se trouve devant un problème " culturel " pour lui incontournable : il doit commenter, d'une part, le livre des Sentences de Pierre Lombard pour qui l'épiscopat n'est ni un ordre ni un sacrement et, d'autre part, le Pseudo-Denys, déjà interprété par saint Albert le Grand, qui attribue au contraire une importance extraordinaire aux évêques en raison de sa référence à la distinction entre " les ordres ", selon leurs activités dans la Hiérarchie céleste : purifier, illuminer, perfectionner.
- hétérogénéité surtout des problèmes qui, d'une époque à l'autre, font avancer la réflexion théologique, mais aussi en conditionnent le cours : pour saint Thomas c'est, par exemple, celui des bénéfices sans cura animarum, c'est-à-dire des ordinations ad missam. Les questions posées aujourd'hui à la théologie du sacerdoce sont légion, et surtout elles sont autres que celles auxquelles saint Thomas eut à faire face.
- hétérogénéité enfin dans la manière d'ordonnancer l'étude. Par exemple, saint Thomas n'a pas structuré son propos par la distinction entre les ordres (organicité du sacrement de l'ordre) ni la nature de la collaboration entre ordonnés du même degré (collégialité effective ou affective, pour les évêques, relations et collaborations au sein du presbyterium). Il n'avait guère de raisons de s'en préoccuper, la caractéristique essentielle des ministères étant de détenir le pouvoir d'effectuer la consécration eucharistique. Le diaconat, a fortiori, ne le préoccupe pas de ce point de vue.

À l'inverse, on est très sensible aujourd'hui, et à l'ajustement des ministères de l'évêque et des prêtres, et à leurs collaborations. Sur ce point aussi le concile Vatican II a donné le ton, dans un décret traitant de l'épiscopat (Christus Dominus) et un autre du presbytérat (Presbyterorum ordinis), la question du diaconat étant elle-même abordée de ce point de vue, notamment dans LG, n° 29 et Christus Dominus, n° 15.
Enfin, et ce n'est pas le moindre de ces écarts entre le statut de la question du sacerdoce ministériel chez le Docteur commun et chez nous aujourd'hui, son enseignement n'est que peu référé à des considérations ecclésiologiques, alors que nul aujourd'hui ne se risquerait à parler des évêques, des prêtres, non plus d'ailleurs que des diacres, en dehors d'un développement sur l'Église et sa mission.
Comment dès lors me fallait-il interpréter la question posée ?
La lecture des Actes du Colloque du centenake de la Revue thomiste m'a aidé à tracer un chemin1. Ce colloque avait pour thème " Saint Thomas au XXe siècle ", et donc ne pouvait pas ne pas donner des éclairages sur la manière d'hériter de l'Aquinate alors que, dans certains domaines au moins, il s'avère nécessaire de gérer toutes sortes de décalages.
Dans sa contribution sur " La préparation de Vatican II dans la "Revue thomiste" ", le P. de La Soujeole n'élude pas les questions que pose "la fausseté de certaines données scientifiques qui sous-tendent certaines vues de saint Thomas et son silence sur des problèmes vitaux pour nous et qu'il ignorait "; pour illustrer son propos, il retient précisément, en plus de la question générale du " renouveau ecclésiologi-

1. Cf. Saint Thomas au XXe siècle, Colloque du centenaire de la "Revue thomiste" (1893-1992), Toulouse, 25-28 mars 1993, Sous la direction du P. Serge-Thomas Bonino, Paris, Saint Paul, 1994.


que ", celle qui nous intéresse ici, à savoir la théologie des ministères ordonnés2.
J'ai retenu sa suggestion qui est non pas d'avoir en tout point à recopier saint Thomas, mais " de retrouver le maître ", c'est-à-dire " celui qui montre la vérité, toujours plus vaste que ce qu'il en a vu et qui nous apprend à la trouver". Et j'ai tenté, pour traiter mon sujet, de garder à l'esprit, en la mettant au présent, cette question : " Comment la fidélité à saint Thomas a-t-elle contribué à l'effort de renouveau qui parcourt tout notre siècle3?"
Mon exposé comportera deux parties : la première pour donner un aperçu des problèmes actuels de la théologie du sacerdoce ; la seconde pour énoncer quelques apports déterminants du thomisme à la théologie contemporaine du sacerdoce, d'abord à travers un certain nombre de notions clés ou thèmes majeurs, ensuite à travers la systématisation que permet l'œuvre de saint Thomas.


A. - LA THÉOLOGIE CONTEMPORAINE DU SACERDOCE AUX PRISES AVEC DES QUESTIONS PRESSANTES

Parmi les thèmes qui d'emblée ont paru importants aux yeux des Pères du concile Vatican II, figure incontestablement celui du sacerdoce. Alors qu'une commission préparatoire au Concile n'avait prévu à propos " du clergé " qu'une série - d'ailleurs trop longue - de questions assez pratiques allant de ses ressources jusqu'à sa sanctification, et qu'une seconde commission avait tenté de réduire les ambitions de la première, les Pères réagirent négativement; en octobre 1964, ils en vinrent à demander, sur les prêtres, un document conciliaire consistant. Se fit jour le souhait qu'il soit élaboré dans une perspective conforme à la constitution dogmatique Lumen gentium dont on achevait le vote. Le résultat fut le décret Presbyterorum ordinis dont la rédaction, réalisée dans un climat à la fois tendu et enthousiaste, devait recevoir de la part des Pères une approbation quasi unanime.
Depuis sa promulgation, le 7 décembre 1965, donc tout à fait à la fin du Concile, les théologiens du sacerdoce sont confrontés à un flot de questions, toutes urgentes et vitales. On peut dire que la réflexion théologique contemporaine sur le sacerdoce s'est déployée, depuis Vatican II, dans une sorte d'état d'urgence, et parfois de manière heurtée.

2. Cf. B.-D. de LA SOUJEOLE, " La préparation de Vatican II dans la Revue thomiste ", dans Saint Thomas au XXe siècle, p. 410-416 [p. 414].
3. Ibid., p. 410.

Ces questions trouvent progressivement leurs réponses, au rythme de leur maturation dans les instances de la vie ecclésiale, dans les apports des théologiens et les interventions du Magistère. Mais elles ne sont pas dépassées. Elles demeurent sous-jacentes à beaucoup de malaises et de crises. De plus, souvent elles " font système ".
Essayons de les identifier. Il importe à cet effet de remonter bien avant le Concile, à des événements - nous ne les évoquerons pas tous ! - dans lesquels elles s'enracinent.

1. La quête d'une théologie justifiant que les prêtres soient proches du peuple à évangéliser

Les théologiens de l'après-guerre ont d'abord été habités par le souci de montrer en quoi et comment le sacerdoce des prêtres prolonge et actualise celui du Christ unique et souverain Prêtre, tout en faisant sa place au sacerdoce des fidèles. Le titre et le plan de l'un des ouvrages du P. Joseph Lécuyer : Le Sacerdoce dans le mystère du Christ4, en témoigne, non moins que, dans un style qui tient à la fois du traité de théologie et des entretiens de " spiritualité sacerdotale ", les deux tomes de Clément Dillenschneider dont le titre : Le Christ, l'unique Prêtre, et nous ses Prêtres, est significatif5. Le P. Yves M.-J. Congar devait faire progresser considérablement cette recherche à partir de ses monumentales enquêtes : les Jalons pour une théologie du laïcat reçoivent l'imprimatur en 19526.
Mais une requête se fit jour, de plus en plus insistante, de fonder théologiquement une manière " d'exercer le sacerdoce " (ainsi parlait-on à cette époque) qui réduirait la distance entre les prêtres et ceux auxquels ils ont mission d'apporter l'Évangile.
En 1943, avait paru le livre choc des abbés Godin et Daniel, préfacé par l'abbé Guérin, aumônier général de la J.O.C. : La France pays de mission7. Les auteurs offraient un vocabulaire à tous ceux qu'habitait cette intuition que les prêtres ne pouvaient plus accomplir leur mission " en demeurant des séparés " : " Il faut désormais, écrivent-ils, des missions indigènes. " Était ainsi transposée à notre pays la problématique du " clergé indigène " qui vient de Benoît XV, que Pie XI aimait à citer (cf. son encyclique Rentra Ecclesiae), mais qui concernait les missions lointaines.

4. J. LÉCUYER, Le Sacerdoce dans le mystère du Christ, " Lex Orandi, 24 ", Paris, Cerf, 1957.
5. C. DILLENSCHNEIDER, Le Christ, l'unique Prêtre, et nous ses Prêtres : t. 1. Les fondements dogmatiques de notre spiritualité sacerdotale ; t. 2. Notre spiritualité sacerdotale, Paris, Alsatia, 1960.
6. M.-J. CONGAR, Jalons pour une théologie du laïcat, " Unam sanctam, 23 ", Paris, Cerf, 1957.
7. H. GODIN et Y. DANIEL, La France pays de mission ?, " Rencontres, 12 ", Lyon, Éditions de l'Abeille, 1943.

Concrétisant cette idée, devait émerger, après la guerre de 1939-1945, le modèle fort et prestigieux des prêtres qui partent travailler en Allemagne pendant les années d'occupation et dans le cadre notamment du Service du Travail Obligatoire (S.T.O.). Émile Poulat expliquera plus tard la manière dont se diffusa progressivement leur témoignage8. Entre temps, Gilbert Cesbron avait mis les prêtres-ouvriers sous le feu des projecteurs avec Les Saints vont en Enfer (1952)9.
Des institutions permettant l'existence de ce modèle de prêtre furent mises en place : en 1941, c'est l'ouverture à Lisieux du Séminaire de la Mission de France, et en 1944, les débuts de la Mission de Paris. Plus encore que de partager des conditions de vie, on en vient à considérer comme nécessaire au ministère de mission, du moins pour le monde ouvrier, la " communauté de destin ".
Distinctes de l'engagement des prêtres-ouvriers, d'autres " expériences " - à juste titre, on récusera l'usage de ce mot plus tard, par respect pour les ouvriers - virent le jour. L'une des plus célèbres est celle du Prado à Gerland, à partir de 1954, que Mgr Alfred Ancel, évêque auxiliaire de Lyon - qui l'a vécue lui-même - a décrite dans son ouvrage Cinq ans avec les ouvriers10.
La réponse théologique attendue vint de la part de théologiens de grand renom : Yves M.-J. Congar et Marie-Dominique Chenu, qui accompagnèrent eux-mêmes ces efforts d'un ministère sacerdotal " au plus proche ". Mais un document majeur devait fournir, et pour longtemps, l'appui théologique recherché, par la mise en valeur de la dimension consécratoire de l'ordination elle-même enracinée dans le mystère de l'Incarnation. C'est la lettre pastorale du Cardinal Suhard, Le Prêtre dans la Cité11, dont les idées ont marqué plusieurs générations de prêtres. Les plus convaincus de la possibilité d'un apostolat fécond des prêtres, y compris au fond d'une usine, là où ne se fait aucune prédication si ce n'est celle de l'exemple évangélique, là où ne se donne aucun sacrement, retinrent de ce texte ce qu'il rappelle de la dimension salvatrice de l'Incarnation. Le salut repose sur le simple fait que le Sauveur est venu en notre chair... Ne suffit-il pas, pour l'inaugurer, que le prêtre soit présent là où vivent des hommes qui ne le connaissent pas, tel Jésus à Nazareth, avant même le commencement de sa vie publique ?

8. Cf. É POULAT, Naissance des prêtres-ouvriers, " Religion et sociétés ", Paris, Casterman, 1965.
9. G. CESBRON, Les Saints vont en Enfer, Paris, Laffont, 1952.
10. Mgr Alfred ANCEL, Cinq ans avec les ouvriers, Témoignage et réflexions, " Le poids du jour", Paris, Centurion, 1963.
11. Cardinal SUHARD, Le Prêtre dans la Cité, Lettre pastorale du Carême de l'An de Grâce 1949, Paris, Éditions A. Lahure, 1949.

2. " Prêtre consacré " ou " prêtre fonctionnel " ?

En réaction à ce courant théologique dans ce qu'il put avoir de trop systématique, devait inévitablement se manifester la théorie dite " du sacerdoce comme fonction". Celle-ci honorait davantage les orientations de l'Action catholique et de la Mission ouvrière.
Pour poser un jalon chronologique, on peut ici retenir 1959, année de la parution d'une plaquette de la Mission ouvrière, Le Sacerdoce et la mission ouvrière, par le P. Michel Labourdette, o.p., à laquelle Mgr Garrone donna une préface12.
L'insistance sur la dimension fonctionnelle du sacerdoce saute aux yeux : " Le prêtre est distingué de la masse sur une fonction qui détermine pour lui un état de vie spécialisé " (n° 18) ; " Le sacerdoce sacramentel, quel que soit son degré, [...] est essentiellement une fonction hiérarchique ordonnée à l'édification de l'Église" (n° 13). Pour le P. Labourdette, donc, le prêtre, tant qu'il en a la force, est censé exercer sa fonction, et on ne voit pas très bien ce qu'il pourrait faire de mieux. La polémique pointe au n° 14 : " Ce ne sera donc pas par sa seule présence et comme par contact que le prêtre, en tant que prêtre, sanctifie; c'est proprement par son ministère, l'annonce de la parole et la mise en œuvre du culte sauveur. "
Quant aux laïcs, s'ils veulent servir l'Église autrement que comme simples baptisés, il leur faut être bénéficiaires d'un mandat de la hiérarchie.
La question posée ici à la théologie du sacerdoce est encore celle de la nature du presbytérat : " Parce qu'il est un pouvoir, [l'ordre] est ordonné à des actes dont l'objet propre est la sanctification du peuple de Dieu, l'expansion et l'épanouissement de la grâce chrétienne dans l'Église ", écrit M. Labourdette (n° 13).
Mais alors la mission pastorale des prêtres ne doit-elle rien à leur consécration? La question est vive, car elle commande non seulement les comportements des personnes, mais également les dispositifs pastoraux.

Pour respecter un certain ordre chronologique dans rémunération de ces étapes de la théologie contemporaine du sacerdoce, c'est ici qu'il convient de faire mention de la promulgation du décret sur Le ministère et la vie des prêtres, à la veille de la clôture du concile Vatican II, le 7 décembre 1965. L'événement, évidemment, est "hors série". Pour l'essentiel, ce document - qui va désormais orienter la réflexion théologique et la pratique du presbytérat - nous dit que les prêtres, à titre de collaborateurs des évêques, ont à mener " la vie apostolique " en

12. M. LABOURDETTE, Le Sacerdoce et la mission ouvrière, Une étude de la Commission théologique de la Mission ouvrière, Préface de S. Exc. Mgr Garrone, Paris, La Bonne Presse, 1959.

pratiquant " la charité pastorale ". Leur première fonction qui est d'évangéliser est indissociable de leur ministère eucharistique, et les deux sont liés à leur troisième fonction qui est d'exercer, à leur niveau d'autorité, au nom de l'évêque, " la fonction du Christ Tête et Pasteur ". La question posée à la théologie est alors d'assurer la bonne compréhension de cette présentation du " ministère sacerdotal " ou du " sacerdoce ministériel " : montrer en quoi elle est nouvelle et en quoi elle ne l'est pas, c'est-à-dire comment elle se situe dans la continuité avec les énoncés antérieurs sur le " sacerdoce ".
À noter encore que Presbyterorum ordinis s'inscrit bien dans l'ensemble des travaux conciliaires qui mirent l'accent, chacun à sa manière, sur une ecclésiologie de l'existence chrétienne, structurée en Église, essentiellement de manière sacramentelle.
Le décret conciliaire qui allait provoquer chez d'innombrables prêtres un merveilleux élan apostolique n'allait pas pour autant clore la série des questions adressées à la théologie du sacerdoce, et dont nous reprenons le cours.

3. Dès les lendemains du Concile, plusieurs vagues de " départs " : " Demain, une Église sans prêtres ?"

Les abandons du ministère presbytéral ont commencé à se multiplier avant 1968. La remise en cause généralisée de toutes les institutions et l'ébranlement des esprits qui caractérisent la crise qui devait éclater cette année-là, risquaient bien d'aggraver la situation. Ce fut le cas. Le phénomène ira s'amplifiant. Le 25 juin 1970, le communiqué de quarante-quatre prêtres français ayant décidé de quitter le ministère a l'effet d'une bombe.
En 1968, alors que débutent les réunions de " Échange et Dialogue ", Jacques Duquesne publie Demain, une Eglise sans prêtres?13 Plus encore que le livre, la présentation qu'en fait Henri Fesquet, le journaliste du Monde qui s'était taillé une belle notoriété au Concile, ravit une partie de l'opinion publique et en consterne une autre : toute une page, sous le titre général " La crise du clergé et la "nouvelle théologie" " (Le Monde du 3 mai 1968).
C'est l'époque dite de la " déclergification ", laquelle va beaucoup plus loin, faut-il le rappeler, que la seule invitation à se démarquer des modèles cléricaux de vie sacerdotale. La revue Frères du Monde, n° 61-62 (1969) intitulé " Avec les prêtres en lutte pour que change l'Église " pousse l'argument à l'extrême. Bien peu de catholiques, faut-il le préciser, se laissèrent entraîner dans ce courant. Mais une part non négligea-

13. J. DUQUESNE, Demain, une Eglise sans prêtres?, Paris, Grasset, 1968.

blé des médias lui manifestait sa faveur, et un certain trouble se répandit.
Les théologiens qui, pendant toute cette époque, réagirent à cette idée d'une Église sans prêtres en vinrent à développer des arguments massue comme celui d'Henri Denis, dans l'ouvrage collectif Prêtres, comment?: "Une Église de laïcs répandrait le christianisme dans le monde, mais ce pourrait être, à la limite, un christianisme sans Christ, une idéologie14."
Ce même discours sacrificiel se fait entendre encore de nos jours, mais dans un contexte idéologique très différent et de façon assourdie. On entend soutenir, par exemple, la thèse selon laquelle il faudrait que les prêtres meurent pour que vive l'Église comme communauté de chrétiens autonomes et responsables.

4. Les années soixante-dix : comment faut-il être prêtre pour que, l'Église tout entière annonce la Bonne Nouvelle ?

La question est ainsi posée par le P. Emmanuel Deschamps, vicaire épiscopal de la Mission de France, dans un numéro spécial de la revue Esprit, en novembre 1971, dont le titre général est significatif: " Réinventer l'Église ".
La courbure de la problématique est attribuée au fait que Presbyterorum ordinis, dans l'énumération des fonctions presbytérales, a donné la priorité à l'annonce de la Bonne Nouvelle, entre autres raisons à cause de l'urgence de la mission. Mais on a un peu oublié que le document conciliaire considère le service de l'Évangile auprès des païens comme partie intégrante du culte chrétien, en prenant appui à cet effet sur Rm 15, 16. L'intention des Pères du Concile était on ne peut plus claire. Insistant sur l'urgence du ministère d'annonce de la Parole, ils n'entendaient aucunement infirmer par là les affirmations antérieures du Magistère sur le caractère primordial de l'habilitation du prêtre à offrir sacramentellement le sacrifice eucharistique. Il importe de relire ce texte dont on n'a pas toujours mesuré l'importance :

Participant pour leur part à la fonction des Apôtres, les prêtres reçoivent de Dieu la grâce qui les fait ministres du Christ Jésus auprès des nations, assurant le service sacré de l'Évangile, pour que les nations deviennent une offrande agréable, sanctifiée par l'Esprit-Saint. En effet, l'annonce apostolique de l'Évangile convoque et rassemble le peuple de Dieu afin que tous les membres de ce peuple étant sanctifiés par

14. H. DENIS, " Le prêtre dans le monde ", dans Prêtres, comment?, Recherches des aumôniers du C.M.R. et du M.R.J.C., Paris, Les Éditions ouvrières, 1966, p. 137-190 [p. 153].

l'Esprit-Saint, ils s'offrent eux-mêmes en " victime vivante, sainte, agréable à Dieu " (Rm 12, 1)15.

Suivent logiquement des considérations sur le prêtre comme ministre de l'offrande sacramentelle du sacrifice du Christ.

5. Ministre de l'Évangile ou homme de l'autel?

En cette même année 1971, parut un rapport de la Commission internationale de théologie, intitulé Le Ministère sacerdotal16; parmi ses auteurs figurent Hans Urs von Balthasar, Mgr Carlo Colombo et le P. Le Guillou.
Il s'agit là d'un document majeur - peut-être ce qui fat écrit de plus pertinent à l'encontre de la dissociation entre ministère de la Parole et ministère de l'eucharistie, laquelle était encore prônée dans un livre paru la même année chez Fayard, Les Deux visages du prêtre17.
Il faut dépasser l'alternative Parole ou Eucharistie, dit le texte de la Commission internationale de théologie. On peut le faire en définissant le ministère sacerdotal comme le service de la puissance active, proprement eschatologique, de la Parole de Dieu - Jésus-Christ mort et ressuscité - dont les signes sensibles sont, à deux titres (différents), l'annonce du message évangélique et les gestes sacramentels.
Dans ce texte, bien entendu, est traitée la question que pose l'usage des deux vocabulaires - sacerdotal et ministériel - dans le Nouveau Testament puisque, à cette époque, on prenait appui avec emphase sur le faible emploi du vocabulaire sacerdotal quand émergèrent historiquement les ministères, pour discréditer ce que j'appellerai (en m'excusant de ce jargon) la " sacerdotéité du presbytérat ".
Il n'en fallait pas moins pour mettre en pleine lumière que le décret Presbyterorum ordinis, pour avoir donné la première place à l'annonce de la Parole parmi les fonctions ministérielles (tandis que le concile de Trente fait de l'offrande du sacrifice de la Messe la première et la plus importante fonction du prêtre), n'a aucunement oblitéré le caractère sacerdotal de ce ministère.
Une évolution théologique s'est faite cependant à cet égard. Le document de la Commission internationale de théologie le reconnaît, et il me paraît la circonscrire en posant une question d'une extrême profondeur et pertinence qui, aujourd'hui encore, devrait provoquer les théo-

15. PO, n° 2.
16. COMMISSION INTERNATIONALE DE THÉOLOGIE, Le Ministère sacerdotal, " Cogitatio fidei, 60 ", Paris, Cerf, 1971.
17. Daniel OLIVIER, Les Deux visages du prêtres, Paris, Fayard, 1971.

logiens : " Dans le concept intégral du sacerdoce, quel est l'élément essentiel?" (cf. p. 88).

6. L'unité du sacerdoce des prêtres mise en cause : " spécialisation ", " diversification ", " différentiation ", " redistribution " des ministères

On sait que le ministère sacerdotal a été exercé selon des modèles fort variés tout au long de l'histoire de l'Église, comme aussi de nos jours.
Faisons un instantané en 1957 à Paris. Il y a bien des différences entre le curé d'une grosse paroisse, le vicaire d'une paroisse populaire de la périphérie Est, un aumônier d'Action catholique spécialisée, un prêtre professeur à l'Institut catholique, un prêtre chercheur au CNRS, etc.
La différence à cette époque entre ces divers " modèles de prêtres " pouvait ne pas être que superficielle, en ce sens que les clivages entre les comportements, que ce soit au plan de la vie en société ou dans les orientations pastorales, pouvaient reposer sur des choix idéologiques. Il est clair cependant que l'homogénéité de la conception du ministère n'était pas mise en cause. Elle ne le fut pas non plus, c'est l'évidence même, par les numéros 4 et 8 de Presbyterorum ordinis où sont examinées les diverses manières d'exercer le ministère, notamment celui de la Parole, " selon les besoins des auditeurs et les charismes des prédicateurs ". En 1968, cette belle unité du ministère presbytéral est remise en cause.
1. S'exprime d'abord une quête de spécialisation des prêtres. Tout commence par la critique de ce que l'on appelle à cette époque " le prêtre généraliste ". Puis on se met à parler en 1969 de " la différenciation de la fonction sacerdotale ". Sous ce titre, et dans la revue Concilium, le P. Émile Pin, s.j., écrit : " La tâche sacerdotale apparaît comme la fusion impossible de fonctions trop variées, auxquelles aucun curriculum académique ne peut préparer. Il faut choisir, il faut se spécialiser18. " À cet effet, il suggère une méthode qui consiste à définir les tâches de l'évêque et du prêtre par soustraction de tout ce qui, dans l'Église, n'exige pas l'ordination : il ne reste que la fonction de " présidence " des communautés chrétiennes, à laquelle est liée celle de " présidence " de l'eucharistie.
La question posée à la théologie sera ici de savoir ce que c'est que cette présidence (præesse ou præsidere) et quels rapports il faut mettre entre la présidence de la communauté et celle de l'eucharistie.

18. É. PIN, " La différenciation de la fonction sacerdotale, Analyse, sociologique ", Concilium 43 (1969), p. 45-55 [p. 51].

À l'anthropologie, il faudra demander d'apporter des lumières sur le rapport entre le " métier " et la " vocation " : le prêtre est-il " Un homme sans métier?", s'interrogeait Marc Oraison en 196519. Mais est-ce le métier en tant que tel qui fait l'homme ou le métier en tant qu'il honore une " vocation " ?

2. Une problématique de " redistribution " des fonctions presbytérales (différente de la " différenciation " dont on vient de parler) allait voir le jour par la suite, par exemple sous la plume du P. Joseph Moingt, s.j., dans une série d'articles des Etudes, en avril 1970, sous le titre : " Essai sur la mutation du ministère sacerdotal ", puis en juillet, août, septembre, octobre 1973, sous le titre: "L'avenir des ministères dans l'Eglise catholique ".
La solution proposée reviendrait à faire exister parallèlement deux modèles presbytéraux. D'une part, dans la ligne de Presbyterorum ordinis serait promu le modèle du prêtre à la manière des Apôtres, avec formation longue, célibat, vie unifiée par la mission apostolique. D'autre part, verrait le jour un ministère de la maintenance spirituelle en vue de la fidélité des croyants au jour le jour, bénéficiant des mêmes prérogatives sacramentelles que les prêtres, mais pour être utilisables à un moindre degré, au titre du seul sacrement de confirmation. Influe évidemment sur des propositions de ce genre (il y en eut d'autres) la raréfaction des prêtres.
La question posée ici est de savoir s'il peut exister plusieurs sortes de " prêtres ", concrètement avec ou sans ordination, avec ou sans état de vie, dont les pouvoirs sacramentels seraient plus ou moins étendus, de façon à répondre aux besoins des fidèles.
Presbyterorum ordinis s'oppose à de telles perspectives de distribution des fonctions sacerdotales selon que l'on serait un prêtre plutôt coopérateur de l'évêque ou un prêtre plutôt desservant d'une communauté pour sa survie. Notamment parce qu'il affirme avec toute la tradition sacerdotale que les prêtres, du fait qu'ils participent à l'unique sacerdoce et à l'unique ministère du Christ (PO 7, § 1), sont conjointement ministres de la Parole de Dieu, ministres de l'eucharistie et chefs du peuple de Dieu. Ces trois fonctions forment un tout. Elles ne sont pas plus isolables l'une de l'autre, en droit, que ne le sont les trois titres christologiques du Christ, prêtre, prophète et roi, d'où elles dérivent (cf. PO, n° 2).

19. M. ORAISON, " Un homme sans métier? "Christus 12/48 (1965), p. 462-475.

7. La dispute sur la pluralité des ministères aux origines de l'Église

En 1974, paraît aux Éditions du Seuil un ouvrage collectif: Le Ministère et les ministères selon le Nouveau Testament. Parmi les quatorze auteurs, onze biblistes livrent le résultat de leur enquête sur les écrits du Nouveau Testament, pour discerner ce que furent initialement les ministères, en resituant chacun dans son contexte d'origine.
La réflexion théologique qui suit le dossier exégétique ainsi constitué produit un " choc bienfaisant ". Sous l'influence de Hans Küng commençait en effet à se répandre l'idée qu'avaient existé, à l'origine de l'Église, deux formes initiales du ministère : celle qu'il avait prise à Jérusalem, où l'Église s'était dotée d'une structure institutionnelle, et celle qu'il avait prise à Corinthe, " où la communauté avait vécu uniquement de l'apparition spontanée des charismes en son sein "20. Selon cet auteur, on s'en souvient, la première seule avait survécu, et c'est l'autre qu'il fallait retrouver.
La magistrale réfutation des quatorze exégètes et théologiens qui avaient travaillé sous la conduite de Jean Delorme eut un effet immédiat. On cessa de projeter sur les problèmes de notre époque une interprétation non fondée des données bibliques sur la naissance du ministère ordonné.

8. " Entre " les laïcs et les prêtres, des diacres !

Le 3 avril 1970, l'évêque de Carcassonne procédait à l'ordination des premiers diacres permanents français. Les questions d'ordre théologique suscitées par le retour du diaconat ont à voir inévitablement avec les deux autres ministères ordonnés. Nous retiendrons seulement ici que la manière de comprendre les rapports réciproques entre les prêtres et les laïcs s'en est trouvée assainie, la dichotomie sacerdoce-laïcat perdant soudain son aspect faussement simplificateur.

9. Souffrons-nous d'une " désidentification sacerdotale "?

Revient aussi durant toute cette période, et de façon lancinante, la question dite de l'identité du prêtre. " Qu'est-ce qu'un prêtre ? " Selon

20. Hans KÜNG, L'Église, t. 2, " Textes et études théologiques ", Paris, Desclée De Brouwer, 1968, p. ; 54-610.

celui qui interroge ou s'interroge, cette question manifeste des préoccupations diverses. Elle peut porter sur la nature précise du sacerdoce du prêtre de Jésus-Christ, mais aussi sur son rôle dans la mission de l'Église, au niveau des aspects courants de la pastorale ou de ses efforts pour porter la Bonne Nouvelle là où elle n'a que peu pénétré ou pas du tout.
Là où se sont développées toutes sortes de modalités de la collaboration entre prêtres et laïcs, cette question de l'identité du prêtre prend une acuité particulière - elle interroge sur les fonctions qui sont réservées aux prêtres et celles auxquelles des baptisés qui n'ont pas reçu l'ordination peuvent participer, ou qu'ils peuvent remplir eux-mêmes. Si l'on veut comprendre, par exemple, ce que représente le fait d'être titulaire, comme laïc, d'une lettre de mission, il faut bien connaître l'enjeu du ministère ordonné dans l'Église. Enfin, il n'est pas douteux que les transformations de l'image sociale des prêtres, plus précisément de l'image que la société leur renvoie d'eux-mêmes, jouent ici un rôle.
Un livre qui parut précisément sous le titre Qu'est-ce qu'un prêtre? dès la fin du concile Vatican II, annonça qu'" analyser, approfondir, et résoudre chacun de ces problèmes serait l'une des tâches importantes dans l'Église, dans les années à venir21 ". La suite des événements devait lui donner raison.
Un indice de cette situation nous est donné par l'insistance du pape sur l'identité christologique et ecclésiale du prêtre (cf. les exhortations apostoliques, lettres aux prêtres du Jeudi Saint, prédications aux ordinations). Pris parmi beaucoup d'autres, un texte illustre de manière particulièrement significative l'attention de Jean-Paul II à la question de l'identité du prêtre : " Qui suis-je ? Qu'attend-on de moi ? Quelle est mon identité? Telle est la question anxieuse que se pose le plus fréquemment aujourd'hui le prêtre qui n'est, certes pas, à l'abri des contrecoups de la crise de transformation qui ébranle le monde22. "
La question posée à la théologie est ici de déterminer l'axe des permanences doctrinales auquel il importe de se fier pour répondre à toutes ces questions, à travers les variations de l'expression théologique et l'évolution de la pratique de ce ministère. Y répondre a fait l'objet de centaines de livres et d'articles depuis le Concile qui a produit Presbyterorum ordinis.
Parmi ces démarches, certaines sont de type plutôt inductif. Partant des multiples efforts des prêtres pour répondre aux urgences de la mission, elles s'efforcent de vérifier que son identité selon la tradition vivante de l'Église est sauve. Ou encore, partant d'une évaluation de ce que peut être et devenir l'exercice du ministère presbytéral, elles cher-

21. R. SALAÜN et É. MARCUS, Qu'est-ce qu'un prêtre ? Paris, Seuil, 1965, p. 15.
22. JEAN-PAUL II, "Le prêtre dans la société contemporaine", Homélie à la messe d'ordination à Rio de Janeiro, le 2 juillet 1980, dans La Documentation catholique 77/n° 1791 (1980), p. 751-754 [p. 751].

chent, selon la belle expression d'Henri Denis, à " en reconnaître le fondement mystérieux qui transparaît sans cesse en filigrane23 ".
D'autres démarches sont de type déductif. Leurs auteurs estiment que le sacerdoce ne peut qu'être identique à lui-même en raison de " sa réalité ontologique constamment présente sous la diversité des situations, des lieux et des cultures24". Au fond, la " désidentification " sacerdotale viendrait de ce que l'on a perdu de vue " la valeur objective de la définition "ontologique" officielle du prêtre dans l'Église25 ".
Des dérapages se sont produits chez ceux qui, d'une manière plus spéculative ou plus empirique, se sont situés dans l'une ou l'autre de ces approches sans un souci suffisant de la fidélité au magistère de l'Église. Parmi les " inductifs ", certains, emportés par des convictions issues de leur expérience, en sont venus à renoncer aux points de repère qu'il est indispensable de garder si l'on veut que le prêtre soit bien le coopérateur des évêques, participant grâce à l'ordination au ministère du Christ Tête et Pasteur, dont Presbyterorum ordinis a parlé. Parmi les " déductifs ", certains crurent ne pas pouvoir reconnaître leur " prêtre de toujours " dans ce même Décret, et s'inscrivirent dans un courant issu de l'action de Mgr Marcel Lefèbvre qui en vint au geste que l'on sait, et dont la conséquence fut le décret d'excommunication du 1er juillet 198826.

10. Que devient le ministère du prêtre quand l'Église se dote de responsables laïcs ou religieux nombreux et qualifiés ?

Telle est présentement la question que l'on rencontre là où l'Église déploie ses plus grands efforts pour l'animation pastorale. Elle n'est pas neuve, puisqu'elle fut débattue dans le cadre de l'Assemblée plénière des évêques français, il y a vingt-cinq ans27. Mais aujourd'hui elle se pose de manière beaucoup plus réaliste, en raison de l'engagement effectif de fidèles laïcs, hommes et femmes, nombreux, dont certains participent à l'exercice de la charge ecclésiale avec une lettre de mission.
Cette question se pose en des termes sensiblement différents selon les lieux, en raison de ses interférences avec le fonctionnement des Conseils d'Église, et ce que nous désignerons ici globalement comme le " redéploiement pastoral ". Les théologiens y répondent en recourant à

23. H. DENIS, Le Prêtre de demain, " Points de repères ", Paris, Casterman, 1967, p. 139.
24. P. TOINET, L'Ordre sacerdotal et l'avenir de l'homme, " Théologie nouvelle ", Paris, Fac-éditions, 1981, p. 167.
25. Ibid., p. 164 S.
26. Cf. La Documentation catholique 85/n° 1967 (1988), p. 789.
27. Cf. Tous responsables dans l'Eglise ? Assemblée plénière de l'Épiscopat français à Lourdes, Paris, Le Centurion, 1973.

la notion de " co-responsabilité différenciée ". Mais elle ouvre sur bien d'autres recherches...
Il importe de se faire une idée de la manière dont la théologie a été assaillie de questions pressantes durant les décennies de l'après-Concile pour évaluer l'aide que l'on peut attendre du Docteur commun et du thomisme dans la suite de la réflexion contemporaine sur le sacerdoce.
Faut-il s'étonner de la gravité de " la crise contemporaine du prêtre " qui mettait " deux mille ans d'Église en question ", selon le titre de l'ouvrage du P. Gustave Martelet28? Pas vraiment, si l'on veut bien prendre en considération l'ampleur de la mutation culturelle qui l'explique pour une part déterminante. Car, ainsi que le dit le P. Congar, " Vatican II a été suivi par une mutation socio-culturelle dont l'ampleur, la radicalité, la rapidité, le caractère cosmique n'ont d'équivalent à aucune autre époque de l'histoire ". " Cette crise n'a pas été suscitée par le Concile ", affirme-t-il, même s'il faut reconnaître qu'elle est aussi venue par là " du seul fait qu'il y ait concile, discussion "29.
Cette évocation, trop sommaire, des questions posées à la théologie durant la période contemporaine nous invite à " retrouver le prêtre à sa source " (titre projeté du second volume de l'ouvrage déjà cité du P. Martelet). Comment saint Thomas d'Aquin va-t-il nous y aider ?

B. - THOMISME ET THÉOLOGIE CONTEMPORAINE DU SACERDOCE

Nous identifierons les apports déterminants du thomisme en premier lieu à travers une série de concepts clés auxquels saint Thomas eut recours ou encore de thèmes majeurs qu'il fut amené à développer pour répondre aux nécessités de la réflexion sur le sacerdoce à son époque. Nous évoquerons la possibilité qu'ouvré son œuvre de situer le sacerdoce et les problèmes qu'il pose dans une vaste fresque du mystère chrétien.

28. Cf. G. MARTELET, Deux mille ans d'Eglise en question, t. 1 : Crise de la foi, crise du prêtre, Paris, Cerf, 1984.
29. Y. CONGAR, Le Concile Vatican II, Son Église, Peuple de Dieu et Corps du Christ, ch. 4 : " Regard sur le concile Vatican II, à l'occasion du 20' anniversaire de son annonce ", Paris, Beauchesne, 1984, p. 49-72 [p. 69-70].

1. Concepts clés et thèmes majeurs

II relève du propos des spécialistes de dire dans quelle mesure la réflexion de saint Thomas constitue un apport nouveau sur les points que nous allons énumérer. De toute façon, "il fait du neuf", comme dit le P. Congar, par rapport à deux traits qui marquaient à son époque et depuis longtemps l'idée commune du sacerdoce des ministres. L'innovation est double, explique le P. Congar30 : d'abord saint Thomas met les prêtres en rapport fondamental et premier avec l'eucharistie (plutôt qu'avec le pouvoir des clés; celui-ci étant d'ailleurs assez largement conçu comme c'était le cas précédemment : le prêtre était vu surtout comme celui qui partage avec Pierre le pouvoir de faire accéder au ciel) ; ensuite, saint Thomas prend nettement appui sur des données christologiques, alors que ses devanciers aimaient situer le sacerdoce dans la continuité des modèles de l'Ancien Testament.
Quels sont donc ces concepts clés ou thèmes majeurs dont la ressaisie contribuera aux approfondissements théologiques attendus aujourd'hui, en raison même de tant de questions évoquées plus haut? Nous en retenons cinq.


La référence au pouvoir eucharistique

Saint Thomas définit le sacerdoce ministériel par rapport à l'eucharistie, donc comme pouvoir de consacrer le pain et le vin, c'est-à-dire d'en faire le corps et le sang du Christ.
Je cite ce trait en premier parce qu'il énonce, comme on a dit, " le premier article de la théologie thomiste du sacrement de l'Ordre31 ".
Il convient ici, comme l'ont fait et continuent de le faire tous les commentateurs de saint Thomas, au moins depuis le Concile, de reconnaître le décalage qu'entraîné cette position par rapport à la distinction désormais admise entre épiscopat et presbytérat. Pour saint Thomas, l'épiscopat ne diffère pas du presbytérat, il n'est pas un ordre supérieur du point de vue sacramentel puisque, pour les deux, le pouvoir de consacrer l'eucharistie est le même. La différence est à prendre par rapport au Corps mystique, l'épiscopat étant, lui, institué pour gouverner le Peuple de Dieu. Par leur " consécration ", explique saint Thomas, les évêques reçoivent les pouvoirs qui concernent leur mission de gouverner.
Encore faut-il noter que la position de saint Thomas est plus complexe qu'on ne le dit souvent. En effet, d'une part, la " dignité épisco-

30. Y. CONGAR, " Le sacerdoce du Nouveau Testament, Mission et culte ", dans Les Prêtres, Décrets Presbyterorum ordinis et Optatam totius, Textes latins et traductions françaises, Sous la direction de J. Frisque et Y. Congar, " Unam sanctam, 68 ", Paris, Cerf, 1968, p. 233-256.
31. Ibid., p. 234.

pale " (c'est à elle qu'il attribue cette différence) n'est pas exclusivement de nature juridique, et, d'autre part, le simple prêtre émarge de multiples façons à l'action des évêques sur le Corps mystique. " On peut donc, écrit Yves Congar, selon que l'on se réfère, soit à la définition formelle de l'Ordre, soit à la description des actes qu'un prêtre accomplit, estimer que saint Thomas réduit le sacerdoce au cultuel, ou lui faire patronner une vue très évangélique et apostolique de ce même sacerdoce.32 "
Définir l'ordre par le pouvoir de consacrer, tout le monde en convient, rend peu aisée la compréhension de l'organicité de ce sacrement. En revanche, est affirmée de cette manière, et profondément justifiée, l'unité de l'épiscopat et du presbytérat. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le décret de Vatican II sur le ministère et la vie des prêtres, dans lequel les citations de saint Thomas sont relativement rares, prend appui sur trois textes de la Somme de théologie concernant les prêtres en tant qu'ils sont ministres de l'eucharistie. L'intention est visiblement de montrer tout ce qu'engendré pour les évêques et les prêtres, comme collaborations en tous domaines (y compris l'évangélisation) et dans la vérité de leurs rapports hiérarchiques, le fait d'être ensemble " ministres de Celui qui, par son Esprit, exerce sans cesse pour nous, dans la liturgie [et tout I particulièrement dans l'eucharistie] sa fonction sacerdotale " (Presbyterorum ordinis, n° 5). ;


Le recours au concept de médiation

" L'office propre du prêtre, écrit saint Thomas, est d'être médiateur entre Dieu et les hommes ", ce qu'il justifie comme ceci : " D'une part, il transmet au peuple les choses divines et, d'autre part, il offre à Dieu les prières du peuple et satisfait de quelque manière à Dieu pour les péchés du peuple " (Sum. theol. IIIa, q. 22, a. 1).
Le choix de ce concept pour définir la spécificité du prêtre permet au Docteur commun d'honorer l'affirmation de 1 Tm 2, 5, qu'il cite (IIIa, q. 26, a. 1), selon laquelle " il y a un seul médiateur entre Dieu et les hommes, l'homme Jésus-Christ ", et d'ouvrir la possibilité d'attribuer à d'autres qu'à lui cette qualité de médiateur, ce qu'il ne fait pas sans nuances ni précautions. Ayant souligné que " le Christ seul est le parfait médiateur ", il ajoute : " Rien cependant n'empêche que quelques autres soient appelés, sous un certain rapport, médiateurs entre Dieu et les hommes, en tant qu'ils coopèrent à unir les hommes à Dieu de façon dispositive et subordonnée. "
II n'est certes pas indu de considérer que ces " autres " dont il parle sont les évêques et les prêtres. Telle fut en tout cas l'interprétation de maints auteurs modernes... qui hélas oublièrent les précautions et les

32. Y. CONGAR, "Le sacerdoce du Nouveau Testament... ", p. 235.

nuances du Docteur commun dans sa réponse. Il devait en résulter un inconvénient sérieux mais aussi un grand bénéfice.
L'inconvénient de la thèse du prêtre médiateur est qu'elle obscurcit la compréhension du rôle de l'Église, selon toute son amplitude et avec toutes ses composantes, dans l'accomplissement de la médiation de l'unique prêtre, partout dans le monde et tout au long du temps. Le danger est dès lors réel de ne plus voir en l'Église qu'une sorte de milieu porteur, voire la simple administration permettant aux médiateurs (donc les évêques et les prêtres) d'exercer leur office. Elle ne serait plus considérée, à la limite, comme le peuple sacerdotal que les évêques et les prêtres ont la fonction d'habiliter à l'exercice de ces prérogatives qu'énoncé LG, n° 10.
Mais cet inconvénient - qui en a entraîné d'autres33 - ne peut pas faire oublier la haute et féconde compréhension du ministère sacerdotal qu'a produite cette référence. Un exemple en est donné dans un document très riche doctrinalement et qui rejoignit admirablement les problèmes sur le sacerdoce dans les années cinquante : la célèbre lettre pastorale du Cardinal Suhard pour le Carême 194934. Le prêtre y est présenté comme " l'homme de Dieu " et " l'homme des hommes ", en ce sens qu'" il est pris d'entre les hommes en ce qui regarde les choses de Dieu ". Il est ainsi " l'homme des deux appels ", et la tension qui en résulte mesure, si l'on peut dire, la définition de ses vertus d'apôtre, notamment sa vocation prophétique. Ce même texte montre aussi que ces deux aspects du sacerdoce " trouvent leur synthèse vivante et leur conciliation la plus haute dans le sacrifice de la Messe " (p. 28).
Si ce texte est admirablement nourri de l'Écriture et des Pères, il revient à saint Thomas d'en avoir fourni le fil conducteur, comme l'indiquent les deux citations de la Somme de théologie (IIIa, q. 22, a. 1 et q. 26, a. 2) qui en ouvrent le développement le plus caractéristique (cf. p. 23).


Le caractère de l'Ordre compris comme participation au sacerdoce du Christ

Avant saint Thomas, la doctrine du caractère sacramentel s'établissait à partir du baptême. En d'autres termes, le caractère baptismal en était l'exemplaire privilégié. Le Docteur commun, on le sait, renversa cette manière de voir et définit le caractère à partir de sa réalisation la plus parfaite : le caractère sacerdotal.
Cette évolution s'est faite entre le Commentaire des Sentences et la rédaction de la Somme de théologie. Initialement, seul le caractère de l'ordre est défini à partir du sacerdoce du Christ (In IV Sent., d. 7, q. 2, ad 1). Dans la Somme, toute la doctrine du caractère s'organise à partir de l'idée de

33. Cf. R. SALAÜN et É. MARCUS, Qu'est-ce qu'un prêtre?, p. 59 s. et 88 s.
34. Cf. supra, n. 11.

" participation au sacerdoce du Christ " qui découle du Christ lui-même (IIIa, q. 63, a. 3). Le fondement du caractère de l'ordre est devenu fondement de tout caractère. C'est, semble-t-il, la réflexion de saint Thomas sur le sacerdoce du Christ qui l'a déterminé en ce sens.
Il y a là incontestablement une ligne théologique qui favorise la compréhension du rapport entre le sacerdoce commun des fidèles et le sacerdoce des ministres ordonnés, cette question dont les débats récents, évoqués plus haut, ont permis de mesurer l'importance. En effet, apparaît ainsi qu'avec leur différence " essentielle et non pas seulement de degré" "ils puissent être ordonnés l'un à l'autre" (cf. LG, n° 10). C'est citer implicitement saint Thomas que de dire " qu'ils participent, l'un comme l'autre, à l'unique sacerdoce du Christ ".


L'enracinement christologique des trois fonctions de l'ordre

On sait quelle place importante saint Thomas a donné dans sa christologie à la trilogie prêtre, prophète et roi. Elle apparaît bien dans ses commentaires de l'Écriture et imprègne sa pensée dans la Somme de théologie : " Le Christ devait être roi, prophète et prêtre ", dit-il à titre d'argument que l'on n'a pas besoin de justifier (IIIa, q. 31, a. z).
La question de savoir quel lien il établit entre, d'une part, les trois fonctions sacerdotales de sanctification, d'enseignement et de gouvernement, et, d'autre part, cette trilogie primordiale, est aujourd'hui encore objet de recherche. Celle-ci, il est vrai, n'apparaît guère à propos du sacerdoce. Là, c'est un autre principe organisateur qui retient son attention : d'une part, celui du pouvoir sacramentel que confère une consécration - et qui est immuable comme cette consécration elle-même - et, d'autre part, le pouvoir juridictionnel que confère une investiture humaine (cf. par ex., IIa-IIae, q. 39, a. 3).
Nul doute cependant qu'une lecture " compréhensive " de saint Thomas autorise à donner un enracinement christologique aux fonctions des prêtres, comme invite à le faire Presbyterorum ordinis.


L'ordre d'énumération des trois fonctions du sacerdoce ministériel

On sait le rôle important que joue cette même trilogie (ministre de la Parole, ministre de sanctification, ministre de conduite et d'animation) dans Presbyterorum ordinis pour décrire les fonctions des évêques et des prêtres. On n'a pas oublié non plus le changement très remarqué dans l'ordre traditionnel de présentation de ces fonctions. Tandis que l'exposé théologique le plus courant faisait figurer le ministère sacramentel en tête, les Pères conciliaires lui ont substitué à cette place le ministère de la Parole, pour mieux souligner l'urgence de la mission :
" Puisque nul ne peut être sauvé sans avoir d'abord cru, les prêtres, comme coopérateurs des évêques, ont pour première fonction d'annoncer l'Évangile de Dieu à tous les hommes " (PO, n° 4).
Il est remarquable qu'il soit arrivé à saint Thomas d'énumérer ces fonctions en donnant la priorité à celles qui concernent l'annonce de la Parole et la sanctification. Ainsi, dans son exposé sur la Première Décrétale (§ 1), on peut lire : " Quand il a envoyé prêcher ses disciples, notre Sauveur leur a donné trois commandements : premièrement enseigner la foi, deuxièmement donner les sacrements à ceux qui croiraient " ; texte auquel se devait de renvoyer Presbyterorum ordinis, n° 4 (n. 9).

Il faudrait examiner bien d'autres éléments concernant l'expression de saint Thomas sur le sacerdoce, et ce que nous pouvons connaître de sa pensée sur le sacrement de l'ordre, en fonction de l'intense questionnement contemporain que nous avons évoqué. Ceux que nous avons estimé devoir retenir présentent un double intérêt : ils permettent de situer le sacerdoce ministériel par rapport au Christ, montrant qu'il participe de son sacerdoce et qu'il édifie son Corps; ils permettent simultanément de le situer par rapport au sacerdoce commun des baptisés. Sont ainsi proposés les éléments d'une ecclésiologie cohérente. Le P. Congar en a établi la preuve quand il a mis en œuvre ces données du thomisme en vue d'une synthèse qu'il a qualifié, selon une expression surprenante, mais combien significative, de " plus intégrale "35.

2. Le sacerdoce dans l'économie du salut

L'œuvre de saint Thomas offre à la théologie du sacerdoce en ce temps quelques concepts clés et thèmes majeurs. Elle permet aussi de le situer de façon cohérente dans l'exposé d'ensemble du mystère du salut du monde en Jésus-Christ. Nous ne ferons que le dire, pour appeler de nos vœux de tels travaux, et ce sera notre conclusion.
Se fait jour de plus en plus, pour comprendre le sacerdoce, le besoin de prendre appui sur un exposé cohérent de la foi, en raison même de la multiplicité et de la force des interrogations sur le ministère des prêtres, comme aussi sur la vocation et la mission des membres des instituts religieux et des laïcs eux-mêmes dans l'Église. Les approches trop fractionnées suscitées par les questions pressantes du moment ne suffisent plus.
Cette requête n'est pas exempte d'éventuelles ambiguïtés, comme par exemple une recherche de sécurité qui finirait par ne plus être compa-

35. Cf. Y. CONGAR, Jalons pour une théologie du laïcat, p. 79.

tible avec la foi. Mais elle est cependant légitime. Elle s'impose même puisque la foi en quête permanente de sa propre intelligence offre la possibilité de ressaisir, dans une unité toujours plus grande, l'ensemble des données qu'elle comporte.
Parmi les possibilités du thomisme pour une telle systématisation, pourquoi ne pas compter la manière dont saint Thomas situe le sacerdoce du Christ et les participations qu'on en peut avoir dans l'économie du salut ?

Mgr Émile MARCUS,
archevêque de Toulouse.

Résumé. - II serait bien risqué de mettre en rapport immédiat avec les problèmes actuels de la théologie du sacerdoce les éléments de l'enseignement de saint Thomas qui paraissent leur correspondre. D'une part, les questions dont on débat depuis un demi-siècle dans un pays comme la France, qu'il s'agisse du sacerdoce commun des baptisés, du sacerdoce ministériel et plus encore de ce qui les spécifie et interdit de les dissocier, forment un ensemble dont il n'est pas simple de démêler les composantes et les enjeux. Il importe, par exemple, de se demander pourquoi l'enseignement du concile Vatican II sur le sacerdoce a avivé et même exacerbé les questions auxquelles il répondait de manière que l'on peut qualifier de prophétique. D'autre part, l'enseignement de saint Thomas n'est lui-même interprétable en fonction des problèmes de notre temps que si l'on tient compte de son caractère inachevé et de son champ de références et de problématiques.

Monseigneur Émile Marcus est archevêque de Toulouse depuis 1996. Il est membre de la Compagnie de Saint-Sulpice. Il a été professeur de théologie, puis supérieur du séminaire de la Mission de France, du séminaire de Saint-Sulpice à Issy-les-Moulineaux, du séminaire del'Institut catholique de Paris. Ensuite, évêque auxiliaire de Paris, puis évêque de Nantes.
Il a publié de nombreux articles sur la sacerdoce, apporté sa contribution à deux ouvrages collectifs : avec René Salaün, Qu'est-ce qu'un prêtre ? (Seuil, 196;), avec Michel Leplay et Paul Verghese, Prêtres et pasteurs (Marne, 1968). Il est aussi fauteur de l'ouvrage sur Les Prêtres, dans la collection " L'Héritage du Concile " (Desclée, 1984).

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