14. Arrivée
de Thomas.
- Visite au tombeau de la sainte Vierge, qu'on trouve vide.
- Départ des apôtres.
Les apôtres, étant revenus, prirent un peu de nourriture et allèrent se reposer.
Ils dormaient hors de la maison dans des hangars. La servante de Marie, qui
était restée à la maison pour faire des arrangements, et d'autres femmes qui
l'avaient aidée, dormirent dans la pièce située derrière le foyer d'ou la
servante avait tout enlevé pendant la mise au tombeau, de sorte qu'elle ressemblait
à une petite chapelle où les apôtres, plus tard, prièrent et offrirent le
saint sacrifice.
Ce soir, je vis encore les apôtres prier et pleurer dans la première pièce.
Les femmes étaient allées se reposer. Je vis alors l'apôtre Thomas, en habits
de voyage, arriver avec deux compagnons devant la porte de la maison et frapper
pour se faire ouvrir. Il vint avec lui un disciple, appelé Jonathan, qui était
parent de la sainte Famille. Son autre compagnon était un homme très simple,
du pays où habitait le plus éloigné des trois rois, et que j'appelle toujours
Partherme, parce que je ne sais pas retenir exactement les noms. Thomas l'avait
emmené de là avec lui, et il était à son égard comme le plus docile des serviteurs.
Elle reconnut ce disciple par une relique de lui qui se trouvait près d'elle
sans désignation de celui auquel elle appartenait. Elle dit de lui, le 26
juillet 1821 : Jonathan ou Jonadab était de la tribu de Benjamin et des environs
de Samarie. Il fut tour à tour près de saint Pierre, près de saint Paul, qui
le trouvait trop lent, et de saint Jean. Il vint de fort loin avec saint Thomas
pour assister à la mort de Marie.
Un disciple ouvrit la porte ; Thomas entra avec Jonathan dans la salle où
étaient les apôtres, et dit à son serviteur de rester assis devant la porte.
Ce digne homme faisait tout ce qu'on lui ordonnait : il s'assit tranquillement.
Combien ils furent affligés en apprenant qu'ils arrivaient trop tard ! Les
disciples leur lavèrent les pieds et leur présentèrent quelques rafraîchissements.
Pendant ce temps les femmes s'étaient levées, et, quand elles se furent retirées,
on conduisit Thomas et Jonathan à la place où la sainte Vierge était morte.
Ils se prosternèrent et arrosèrent la terre de leurs larmes. Thomas pria encore
longtemps, agenouillé devant le petit autel de Marie. Sa douleur était singulièrement
touchante ; je pleure encore lorsque j'y pense. Quand les apôtres eurent terminé
leurs prières, qu'ils n'avaient pas interrompues, tous allèrent souhaiter
la bienvenue aux nouveaux arrivés. Ils firent relever Thomas et Jonathan qui
étaient agenouillés, les embrassèrent et les conduisirent dans la salle antérieure
de la maison, où ils leur donnèrent à manger du pain et du miel. Ils prièrent
encore ensemble et s'embrassèrent les uns les autres.
Mais Thomas et Jonathan désiraient se rendre au tombeau de la sainte Vierge.
Alors les apôtres allumèrent des flambeaux, qu'on assujettit à des perches,
et allèrent avec eux au tombeau en passant par le chemin de la Croix. Ils
parlaient peu, s'arrêtaient quelques moments aux pierres des stations, et
méditaient sur la voie douloureuse du Sauveur et sur la compassion de sa Mère,
qui avait élevé ces pierres commémoratives et les avait si souvent arrosées
de ses larmes. Arrivés à la grotte du tombeau, ils s'agenouillèrent tous ;
mais Thomas et Jonathan se précipitèrent vers l'entrée du caveau, et Jean
les suivit. Deux disciples écartèrent les branches des arbrisseaux qui étaient
devant la porte : ils entrèrent, et s'agenouillèrent avec une crainte respectueuse
devant la couche sépulcrale de la sainte Vierge. Alors Jean s'approcha du
cercueil, qui faisait un peu saillie au-dessus de la fosse, détacha les bandes
qui l'entouraient, et enleva le couvercle. Puis ils approchèrent la lumière
du cercueil, et furent saisis d'un profond étonnement lorsqu'ils ne virent
devant eux que les linceuls vides, conservant encore la forme du saint corps.
Ils étaient séparés à la place du visage et de la poitrine ; les bandelettes
qui avaient entouré les bras étaient déliées, mais le corps glorifié de Marie
n'était plus sur la terre. Ils levèrent les yeux et les bras vers le ciel
comme s'ils eussent vu le saint corps enlevé à ce moment même, et Jean cria
à l'entrée du caveau : " Venez et voyez, elle n'est plus ici ". Alors ils
entrèrent deux par deux dans l'étroit caveau, et virent avec étonnement les
linges vides étendus sous leurs yeux. Étant sortis, tous s'agenouillèrent
à terre, regardèrent le ciel en levant les bras, prièrent, pleurèrent et louèrent
le Seigneur et sa mère, leur chère et tendre mère, lui adressant, comme des
enfants fidèles, les douces paroles d'amour que l'Esprit saint mettait sur
leurs lèvres. Alors ils se souvinrent de cette nuée lumineuse qu'après les
funérailles ils avaient vue descendre vers le tombeau et remonter au ciel.
Jean retira respectueusement du cercueil les linceuls de la sainte Vierge,
les plia, les roula, les prit avec lui ; puis il remit le couvercle et l'assujettit
de nouveau avec les bandes d'étoffe. Ils quittèrent ensuite le caveau, dont
l'entrée resta masquée par le massif de verdure. Priant et chantant des psaumes,
ils revinrent à la maison par le chemin de la Croix ; puis ils se rendirent
tous dans la pièce qu'avait habitée Marie. Jean déposa respectueusement les
linceuls sur la petite table qui était devant l'oratoire de la sainte Vierge.
Thomas et les autres prièrent encore à la place où elle avait rendu le dernier
soupir. Pierre se retira à part comme pour méditer ; peut-être faisait-il
sa préparation, car je vis ensuite dresser l'autel devant l'oratoire de Marie
où était la croix, et Pierre célébrer un service solennel. Les autres, rangés
derrière lui, priaient et chantaient alternativement. Les saintes femmes se
tenaient plus en arrière prés des portes et de la partie postérieure du foyer.
Le serviteur de Thomas, cet homme si simple qui l'avait accompagné depuis
la contrée lointaine où il avait été, avait un extérieur singulier. Il avait
de petits yeux, le front comprimé, le nez épaté et les pommettes saillantes.
Son teint était plus basané que celui des gens de ce pays. Il avait reçu le
baptême ; du reste, il était comme un enfant ignorant et docile. Il faisait
tout ce qu'on lui ordonnait, restait où on le plaçait, regardait ce qu'on
lui montrait, et souriait à tout le monde. Il restait assis là où Thomas lui
avait dit de s'asseoir ; et quand il voyait pleurer Thomas, il pleurait aussi.
Cet homme resta toujours avec Thomas ; il pouvait porter de lourds fardeaux,
et je l'ai vu soulever des pierres énormes quand Thomas construisit une chapelle.
Après la mort de la sainte Vierge, je vis souvent les apôtres et les disciples
se réunir et se raconter mutuellement leurs voyages et ce qui leur était arrivé.
J'ai entendu tout ce qu'ils disaient ; cela me reviendra en mémoire, si c'est
la volonté de Dieu.
(Le 20 août 1800 et 1821.) Après divers exercices de dévotion, les disciples
présents se firent leurs adieux presque tous et retournèrent à leurs travaux.
Il n'y avait plus dans la maison que les apôtres, Jonathan et le serviteur
de Thomas. Mais ils devaient tous partir quand ils auraient terminé leur travail.
Ils travaillaient tous à enlever les mauvaises herbes et les pierres sur le
chemin de la Croix de Marie, et à l'orner convenablement avec de beaux arbrisseaux,
des plantes et des fleurs de toute espèce. Ils firent tout cela en priant
et en chantant des cantiques ; on ne peut exprimer combien cela était touchant
à voir. C'était comme un service divin célébré par l'amour en deuil : c'était
à la fois imposant et aimable. Ils ornaient, comme des enfants affectueux,
la trace des pas de leur mère, qui était aussi la mère de leur Dieu, la trace
des pas avec lesquels elle avait mesuré, pleine d'une pieuse compassion, la
voie douloureuse qu'avait suivie son divin Fils en allant à la mort pour nous
racheter.
Ils fermèrent entièrement l'entrée du tombeau de Marie, en tassant fortement
la terre autour des arbrisseaux qu'ils avaient plantés devant. Ils nettoyèrent
et ornèrent le jardin qui était en avant du tombeau, creusèrent un chemin
sur le derrière du monticule qui le surmontait jusqu'à la paroi postérieure
du caveau, et pratiquèrent une ouverture dans le rocher pour qu'on pût voir
la couche sépulcrale où avait reposé le corps de la très sainte Mère que le
Rédempteur mourant sur la croix avait léguée à eux tous et à l'Église dans
la personne de Jean. Ah ! c'étaient des enfants reconnaissants, fidèles au
quatrième commandement ; ils vivront longtemps sur la terre, eux et leur amour
! ils érigèrent aussi une espèce de chapelle, en forme de tente, au-dessus
du tombeau. Ils y tendirent une tente formée de tapis, qu'ils entourèrent
et couvrirent avec des claies en branches tressées. Ils y élevèrent un petit
autel, formé d'une large table de pierre supportée par une autre pierre. Derrière
cet autel ils suspendirent une tapisserie sur laquelle une image de la sainte
Vierge, d'un travail fort simple, était brodée ou tissée. Elle était représentée
dans son habit de fête, et l'on avait employé pour cela différentes couleurs,
brune, bleue et rouge. Quand tout cela fut fini, il y eut là un service où
tous prièrent agenouillés et les mains levées vers le ciel. La pièce qu'avait
habitée Marie dans la maison fut érigée en église. La servante de Marie et
quelques autres femmes continuèrent à y résider, et on laissa deux disciples,
dont l'un avait été berger au delà du Jourdain, pour donner les secours spirituels
aux fidèles qui habitaient alentour. Bientôt après, les apôtres se séparèrent.
Barthélémy, Simon, Thaddée, Philippe et Matthieu partirent les premiers pour
se rendre aux lieux où ils avaient à exercer leur ministère, après avoir fait
à leurs frères de touchants adieux. Les autres, à l'exception de Jean qui
resta encore quelque temps, partirent ensemble pour la Palestine, où ils se
séparèrent de nouveau. Il y avait là plusieurs disciples ; quelques femmes
partirent aussi en même temps d'Éphèse pour Jérusalem. Marie, mère de Marc,
fit beaucoup pour les fidèles qui se trouvaient dans ce pays. Elle avait fondé
une communauté d'environ vingt femmes, qui menaient à quelques égards la vie
religieuse : cinq d'entre elles habitaient près d'elle dans sa maison. Les
disciples s'y rassemblaient habituellement. La communauté chrétienne possédait
encore l'église voisine de la piscine de Bethesda, etc.
(Le 22 août) Jean seul est encore dans la maison. Tous les autres sont partis.
J'ai vu Jean, conformément à la volonté de la sainte Vierge, distribuer ses
vêtements à sa servante et à une autre femme qui venait souvent l'aider. Il
s'y trouvait quelques objets venant des trois rois. Je vis deux longs vêtements
blancs, plusieurs voiles, des couvertures et des tapis. Je vis aussi ce vêtement
de dessus rave qu'elle avait porté à Cana et sur le chemin de la Croix, et
dont je possède une petite parcelle. Il en vint quelque chose à l'Église.
Ainsi l'on fit un ornement sacerdotal pour l'Eglise de Bethesda avec la belle
robe nuptiale bleu céleste, parfilée d'or et semée de roses. Il y en a encore
des reliques à Rome. Je les vois, mais je ne sais pas si on les connaît. Marie
a porté cet habit lorsqu'elle était fiancée, mais elle ne le mit jamais depuis.
Toutes ces choses se faisaient silencieusement et comme en secret, mais sans
qu'il y eût rien de cet empressement inquiet si commun de nos jours. La persécution
n'avait pas encore donné naissance à l'espionnage, et la paix n'était pas
troublée.
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