ÉVANGILE DE SAINT MATHIEU PAR SAINT THOMAS D'AQUIN

CATANA AUREA DE SAINT THOMAS D'AQUIN SUR SAINT MATTHIEU

CHAPITRE X

vv. 1-4
LA GLOSE. Depuis la guérison de la belle-mère de Pierre jusqu'à cet endroit, les miracles opérés par Jésus-Christ sont racontés sans interruption, et ils ont tous eu lieu avant le sermon sur la montagne, ainsi que le prouve jusqu'à l'évidence la vocation de saint Matthieu qui s'y trouve comprise, car saint Matthieu a été un des douze que Jésus a élus sur la montagne pour l'apostolat. Ici l'Évangéliste reprend son récit en suivant l'ordre dans lequel les faits se sont passés, après la guérison du serviteur du centurion. " Et Jésus ayant appelé les douze disciples. " - REMI. L'Évangéliste venait de raconter que Notre-Seigneur avait engagé ses disciples à prier le Maître de la moisson d'envoyer les ouvriers dans sa moisson, et il accomplit lui-même ce qu'il les a engagés à demander. Le nombre douze en effet, est un nombre parfait ; puisqu'il vient du nombre six qui est parfait lui-même, parce qu'il se compose de ses fractions qui sont un, deux trois. Or, ce nombre six étant doublé, forme le nombre douze. LA GLOSE. Cette multiplication par deux peut signifier ou les deux préceptes de la charité ou les deux Testaments. - RABAN. Le nombre douze, composé du nombre trois multiplié par quatre, signifie que les Apôtres prêcheront la foi en la sainte Trinité dans les quatre parties du monde. Ce nombre se trouve aussi figuré par avance de plusieurs manières dans l'Ancien Testament ; dans les douze enfants de Jacob (Gn 35) ; dans les douze chefs des enfants d'Israël (Nb 1) ; dans les douze sources d'eau vive d'Hélim (Ex 15) ; dans les douze pierres précieuses qui brillaient sur le rational d'Aaron (Ex 39) ; dans les douze pains de proposition (Lv 24) ; dans les douze hommes envoyés par Moïse pour examiner la terre promise (Nb 13) ; dans les douze pierres qui servirent à élever un autel (3 R 18) ; dans les douze autres pierres qui furent retirées du Jourdain (Jos 4) ; dans les douze boeufs qui supportaient la mer d'airain (3 R 7) ; et pour le Nouveau Testament, dans les douze étoiles qui forment la couronne de l'épouse (Ap 12) ; dans les douze pierres fondamentales ; dans les douze portes de la Jérusalem céleste qui fut révélée à saint Jean (Ap 21).
S. CHRYS. (hom. 33.) Ce n'est pas seulement en leur représentant leur ministère comme une moisson prête à recueillir que le Sauveur inspire à ses Apôtres une vive confiance, mais encore en leur donnant d'exercer ce ministère avec puissance. " Et il leur donna puissance sur les esprits impurs, pour les chasser et pour guérir toutes les langueurs et toutes les infirmités. " - REMI. Nous avons ici une preuve évidente que l'accablement de cette multitude ne venait pas d'une seule cause, mais que leurs infirmités étaient nombreuses et variées, et c'est en donnant à ses disciples le pouvoir de les traiter et de les guérir que Jésus prend pitié d'elles. - S. JER. Car le Seigneur est plein de bonté et de clémence ; c'est un Maître qui n'est pas jaloux de la puissance de ses serviteurs et de ses disciples ; aussi leur donne-t-il libéralement le même pouvoir qu'il avait exercé de guérir toutes les langueurs et toutes les infirmités. Mais il y a une grande différence entre posséder et accorder aux autres ce qu'on possède soi-même, entre donner et recevoir. Tout ce que fait Jésus-Christ, c'est avec un pouvoir souverain, tandis que les Apôtres, dans toutes leurs oeuvres, sont forcés de confesser leur propre faiblesse et la puissance du Seigneur, comme lorsqu'ils disent : " Au nom de Jésus, levez-vous et marchez (Ac 3, 6 ; 20, 34.) L'Évangéliste nous donne ici le nombre des Apôtres pour en exclure comme faux apôtres ceux qui n'y sont pas compris ; c'est pour cela qu'il ajoute : " Or, voici les noms des douze Apôtres : le premier, Simon qui s'appelle Pierre, et André son frère. " Il n'appartenait qu'à celui qui pénètre le secret des cœurs d'assigner à chacun des Apôtres la place qu'il méritait. Le premier nommé, c'est Simon, et Jésus lui donne le surnom de Pierre pour le distinguer d'un autre Simon, le Chananéen, du bourg de Cana, ou Jésus changea l'eau en vin. - RAB. Le nom grec ?et???, en latin Petrus, correspond au nom syriaque Cephas, dans chacune de ces trois langues, ce nom est dérivé du mot pierre. Or, il est hors de doute que cette pierre est celle dont saint Paul a dit : " La pierre était le Christ. "
REMI. - Quelques-uns ont voulu trouver dans ce nom, qui en grec comme en latin veut dire pierre, la signification d'un mot hébreu qui selon eux signifie dissolvant, ou déchaussant, ou connaissant. Mais cette interprétation a contre elles deux raisons, qui la rendent impossible, la première, c'est que dans la langue hébraïque la lettre P n'existe pas, et qu'elle est remplacée par la lettre F : ainsi on dit Philate ou Filate pour Pilate ; la seconde, c'est l'interprétation de l'Évangéliste qui raconte que le Seigneur dit à Pierre : Tu t'appelleras Cephas, et ajoute de lui-même : " c'est-à-dire Pierre. " (Jn 1) Or Simon signifie obéissant, car il obéit à la voix d'André, et vint avec lui trouver le Christ. (Jn 1) Peut-être aussi est-ce parce qu'il se montra plein d'obéissance pour la volonté divine, et que sur une seule parole du Sauveur il se mit à sa suite. (Mt 4) Ce nom, selon quelques autres interprètes, peut encore signifier celui qui dépose son chagrin, et qui entend une chose triste. En effet, à la résurrection du Sauveur, Pierre bannit la tristesse que lui avaient causé la passion du Sauveur et son propre reniement, et il entendit avec tristesse le Sauveur lui dire : " Un autre te ceindra, et te conduira là où tu ne veux pas. "
" Et André son frère. " C'est un grand honneur pour André que cette dénomination. Pierre est désigné par sa vertu, et André par la noblesse qui lui vient d'être le frère de Pierre. Saint Marc, au contraire, ne nomme André qu'après Pierre et Jean, les deux sommités du collège des Apôtres ; et en cela différant de saint Matthieu, il les classe suivant leur dignité. - REMI. André signifie viril, car de même que le mot virilis, en latin, vient du mot vir, ainsi en grec le nom d'André vient d'a???. C'est à juste titre qu'on lui donne le nom de viril, parce qu'il a tout quitté pour suivre le Christ, et qu'il a persévéré avec courage dans la voie de ses commandements.
S. JER. L'Évangéliste nous présente les Apôtres associés deux par deux. Il joint ensemble Pierre et André, beaucoup moins unis par les liens du sang que par ceux de l'esprit ; Jacques et Jean qui abandonnèrent leur père selon la nature pour suivre leur véritable Père qui est au ciel. " Jacques, est-il dit, fils de Zébédée, et Jean son frère. " Jacques est ainsi désigné à cause d'un autre Jacques qui est fils d'Alphée. - S. CHRYS. (homél. 33.) Vous voyez que ce n'est point par rang de dignité qu'il les place, car Jean ne l'emporte pas seulement sur les autres, mais sur son frère. - REMI. Jacques veut dire supplantateur, ou celui qui supplante ; en effet non-seulement il supplanta les vices de la chair, mais encore il méprisa cette même chair jusqu'à la livrer au glaive d'Hérode (Ac 12). Jean signifie la grâce de Dieu, parce qu'il mérita d'être aimé de Dieu plus que tous les autres, et c'est ce privilège d'amour particulier qui lui valut de reposer pendant la Cène sur la poitrine du Sauveur (Jn 13). Viennent ensuite Philippe et Barthélemy : Philippe signifie l'ouverture de la lampe ou des lampes, parce qu'il s'empressa de répandre sur son frère, par le ministère de la parole, cette lumière dont le Sauveur l'avait éclairé lui-même. Barthélemi est un nom plutôt syriaque qu'hébreu ; il veut dire le fils de celui qui suspend le cours des eaux, c'est-à-dire le fils de Jésus-Christ, qui élève le cœur de ses prédicateurs au-dessus des choses de la terre et les suspend pour ainsi dire aux choses célestes, afin que plus ils pénètrent les secrets du ciel, plus aussi la rosée de leur prédication sainte puisse enivrer et pénétrer les cœurs de ceux qui les entendent.

" Thomas et Matthieu le publicain. " - S. JER. Les autres Évangélistes en réunissant les deux noms mettent d'abord celui de Matthieu, ensuite celui de Thomas, et ils suppriment cette épithète de publicain pour éviter l'apparence même de l'outrage à l'égard de saint Matthieu en rappelant son ancienne profession. Mais lui-même se place après saint Thomas, et se dit hautement publicain, pour montrer que la grâce a surabondé là où le péché avait abondé. (Rm 5). REMI. Le nom de Thomas signifie abîme ou gémeau ; en grec il revient à celui de Didyme. Thomas mérite à la fois le nom d'abîme et de Didyme, car plus ses doutes se prolongèrent, plus aussi furent profondes et sa foi dans les effets de la passion du Seigneur et la connaissance qu'il eut de sa divinité, ce qu'il prouva en s'écriant : " Mon Seigneur et mon Dieu ! " Matthieu signifie donné, car c'est par la grâce de Dieu que de publicain il devint évangéliste. " Et Jacques fils d'Alphée, et Thadée. " - RABAN. Jacques, fils d'Alphée, est celui qui dans l'Évangile et dans l'Épître aux Galates est appelé le frère du Seigneur (Mt 13, 55 ; Mc 5, 3 ; Gal 1, 19), parce que Marie épouse d'Alphée était la soeur de Marie, mère du Seigneur. Saint Jean l'appelle Marie, épouse de Cléophas, ou peut-être parce qu'Alphée portait aussi le nom de Cléophas, ou bien parce qu'après la naissance de Jacques, Marie ayant perdu Alphée, épousa Cléophas en secondes noces. - REMI. Ce n'est pas sans raison qu'il est appelé fils d'Alphée, c'est-à-dire de celui qui est juste ou savant, car non-seulement il triompha des vices de la chair, mais encore il méprisa tous les soins qu'elle réclame ; et il eut pour témoins de sa vertu les apôtres qui l'ordonnèrent évêque de l'Église de Jérusalem. L'histoire ecclésiastique raconte de lui, entre autres choses que jamais il ne mangea de viande, et qu'il ne but jamais ni vin ni bière. Il ne faisait point usage de bains, ne portait pas d'habits de lin ; nuit et jour il priait, les genoux en terre. Ses vertus étaient si éclatantes que tous unanimement l'appelaient le Juste. Thaddée est celui que saint Luc appelle Judas de Jacques, c'est-à-dire frère de Jacques. Dans son Épître que l'Église reçoit comme canonique, il s'appelle lui-même frère de Jacques. - S. AUG. (de l'acc. des Evang., 1. 2, ch. 30.) Quelques manuscrits lui donnent le mon de Lebbée ; mais qui empêche que le même homme porte simultanément deux ou trois noms différents ? - REMI. Judas signifie celui qui a confessé, parce qu'il a confessé la divinité du Fils de Dieu. - RAB. Thaddée ou Lebbée signifie sensé, ou celui qui s'applique à la culture du cœur.

" Simon le Chananéen et Judas Iscariote, qui le trahit. " - S. JER. Simon le Chananéen est celui qui est appelé Zélotés par un autre Évangéliste, parce que Chana signifie zèle. Judas Iscariote est ainsi nommé ou du bourg où il a pris naissance, ou de la tribu d'Issachar, et il semble que ce soit par une espèce de prophétie qu'il soit né pour sa condamnation ; car Issachar signifie récompense, et ce nom semble indiquer le prix de sa trahison. - REMI. Le nom d'Iscariote signifie souvenir du Seigneur, parce qu'il se mit à la suite du Sauveur ; ou bien mémorial de la mort, signification qui se rapporte au dessein prémédité de la mort du Seigneur ; ou bien suffocation, parce qu'il s'étrangla de ses propres mains. Il est à remarquer que ce nom de Judas fut porté par deux des disciples de Jésus, qui sont la figure de tous les chrétiens : Judas frère de Jacques représente tous ceux qui persévèrent dans la foi ; Judas Iscariote, ceux qui abandonnent la foi pour retourner en arrière.
LA GLOSE. Les Apôtres sont nommés deux par deux, comme témoignage d'approbation de la société conjugale prise dans le sens figuré. - S. AUG. (Cité de Dieu, 18.) Jésus les choisit donc pour disciples et donna le nom d'apôtres à ces hommes de naissance obscure, sans distinction, sans instruction, afin que lui seul fût reconnu pour l'unique auteur de ce qui paraîtrait de grand dans leur personne comme dans leurs actions. Parmi ces douze apôtres il s'en trouva un mauvais ; mais Jésus fit servir sa méchanceté même au bien, en accomplissant par elle le mystère de sa passion, et enseignant à son Église à supporter comme lui les méchants dans son sein. - RAB. Le choix de Judas pour apôtre n'est point le résultat d'une imprudence ; le Seigneur nous apprend par là combien grande est la vérité qui ne peut être affaiblie par la trahison même d'un de ses ministres. Il a voulu encore être trahi par un de ses disciples, pour vous apprendre lorsque vous serez trahi vous-même par un de vos amis, à supporter avec patience les suites de votre erreur et la perte de vos bienfaits.

vv. 5-8
LA GLOSE. Comme toute manifestation de l'Esprit, d'après l'Apôtre, est donnée pour l'utilité de l'Église, après avoir donné ce pouvoir aux Apôtres, le Sauveur les envoie pour qu'ils puissent l'exercer dans l'intérêt des hommes ; c'est ce que nous indique l'Évangéliste par ces mots : " Jésus envoya ces douze. " - S. CHRYS. (hom. 33.) Voyez comme Jésus choisit bien le moment pour leur donner cette mission, il les envoie après qu'ils l'ont vu ressusciter un mort, commander à la mer et faire d'autres prodiges semblables, et après qu'il leur a donné par ses paroles et par ses oeuvres des preuves suffisantes de sa divinité.

LA GLOSE. En les envoyant, il leur enseigne où ils devaient aller, ce qu'ils doivent dire, et ce qu'ils doivent faire. Et d'abord où doivent-ils aller ? Il leur donne les instructions suivantes : " Vous n'irez point vers les Gentils, et vous n'entrerez pas dans les villes des Samaritains ; mais allez plutôt aux brebis perdues de la maison d'Israël. " - S. JER. Ce commandement n'est pas contraire à celui qu'il leur donna plus tard : " Allez, enseignez toutes les nations, " car le premier a été donné avant, et le second après la résurrection du Sauveur. Il fallait en effet que l'Évangile fût d'abord annoncé aux Juifs, pour leur ôter cette excuse qu'ils avaient rejeté le Seigneur, parce qu'il avait envoyé ses Apôtres aux Samaritains et aux Gentils. - S. CHRYS. (hom. 33.) Une autre raison pour laquelle il les envoie d'abord vers les Juifs, c'est pour les préparer dans la Judée comme dans une arène aux combats qu'ils devaient livrer à l'univers entier, et il les excite à prendre leur vol (cf Dt 32) comme de petits oiseaux encore faibles. - S. GREG. (hom. 4 sur les Evang.) Ou bien il voulut d'abord être annoncé aux Juifs seuls, et puis ensuite aux Gentils, de manière que la prédication du Rédempteur repoussée par les siens, s'adressât ensuite aux Gentils comme à des étrangers. Il y en avait cependant parmi les Juifs qui devaient être appelés, comme il y en avait parmi les Gentils qui ne devaient avoir part ni à cette vocation, ni au bienfait de la régénération, sans toutefois mériter un jugement sévère pour le mépris qu'ils avaient fait de la prédication évangélique. - S. HIL. (can. 10 sur S. Matth.) La loi devait avoir le privilège des prémices de l'Évangile, et l'incrédulité d'Israël devait être d'autant moins excusable, que les avertissements lui avaient été prodigués avec un plus grand zèle. - S. CHRYS. (hom. 33.) Le Sauveur ne veut pas leur donner à penser qu'il nourrissait contre eux de la haine, parce qu'ils l'accablaient d'outrages et l'appelaient possédé du démon ; il s'applique donc à les rendre meilleurs, et il détourne ses disciples de toute autre occupation pour les leur envoyer comme des médecins et comme des docteurs. Il ne se contente pas de leur défendre de prêcher à d'autres qu'aux Juifs, il ne leur accorde même pas de prendre la route qui les aurait conduits chez les Gentils : " N'allez pas dans la voie qui mène aux nations. " Et parce que les Samaritains étaient les ennemis des Juifs, bien qu'ils fussent plus faciles à convertir à la foi, il ne permet pas à ses disciples de leur annoncer l'Évangile avant de l'avoir prêché aux Juifs. " Vous n'entrerez pas dans les villes des Samaritains. " - LA GLOSE. Les Samaritains étaient des Gentils que le roi d'Assyrie laissa dans la terre d'Israël après en avoir emmené les habitants en captivité. Sous la pression des dangers auxquels ils furent exposés, ils se convertirent au judaïsme (4 R 13), se soumirent à la circoncision, admirent les cinq livres de Moïse, mais rejetèrent tout le reste avec horreur, ce qui empêcha les Juifs de se mêler jamais aux Samaritains. - S. CHRYS. (hom. 33.) Jésus détourne donc ses disciples d'aller vers les Samaritains, et il les envoie aux enfants d'Israël, qu'il appelle des brebis qui périssent, et non pas des brebis qui s'éloignent d'elles-mêmes ; cherchant ainsi par tous les moyens à leur ménager le pardon et à gagner leur cœur. - S. HIL. (can. 40 sur S. Matth.) Le Sauveur les appelle des brebis ; mais ils ne s'en déchaînèrent pas moins contre lui avec la méchanceté des vipères et la férocité des loups. - S. JER. Dans le sens tropologique il nous est ordonné à nous qui portons le nom du Christ, de ne pas suivre la voie des Gentils et des hérétiques, et de ne point imiter la vie de ceux dont la religion nous sépare.

LA GLOSE. Après leur avoir appris où ils doivent aller, il leur enseigne quel doit être le sujet de leurs prédications. " Allez et prêchez, en disant que le royaume des cieux approche. " - RAB. Notre-Seigneur dit que le royaume des cieux approche, non pas sans doute par aucun mouvement extérieur des éléments, mais par la foi qui nous est donnée au Créateur invisible. C'est à juste titre que les saints sont appelés les cieux parce qu'ils possèdent Dieu par la foi et qu'ils l'aiment par la charité. - S. CHRYS. (homél. 33.) Vous voyez la sublimité de ce mystère et la dignité des Apôtres ; ce ne sont pas des choses extérieures et sensibles qu'ils doivent annoncer comme Moïse et les prophètes, mais des vérités nouvelles et tout à fait inattendues. Moïse et les prophètes avaient annoncé des biens terrestres ; les Apôtres annoncent le royaume des cieux, et tous les biens qu'ils renferment.
S. GREG. (hom. 4 sur les Evang.) Au ministère sacré de la prédication, le Sauveur ajoute le pouvoir de faire des miracles, afin que la manifestation de cette puissance ouvrît les cœurs à la foi, et qu'une prédication toute nouvelle fût accompagnée d'oeuvres d'un ordre tout nouveau. C'est pour cela qu'il leur dit : " Rendez la santé aux malades, ressuscitez les morts, guérissez les lépreux, chassez les démons. " - S. JER. Dans la crainte que personne ne voulût croire à ces hommes simples et grossiers, sans science, sans lettres, sans éloquence, qui venaient promettre le royaume des cieux, il leur donne le pouvoir d'opérer ces miracles, pour que la grandeur des prodiges fût une preuve de la grandeur des promesses. - S. HIL. (can. 10 sur S. Matth.) Le Seigneur communique toute sa puissance, toute sa vertu aux Apôtres, afin que ceux qui avaient été crées à l'image d'Adam et à la ressemblance de Dieu, reçoivent maintenant une ressemblance parfaite avec le Christ, et qu'ils puissent guérir par cette participation à la puissance divine tous les maux dont l'instinct infernal du démon avait frappé le corps d'Adam. - S. GREG. (hom. 29 sur l'Evang.) Ces miracles étaient nécessaires alors que l'Église était à son berceau, car pour que la foi pût s'accroître, il fallait la nourrir avec des prodiges. - S. CHRYS. Plus tard, ces miracles cessèrent lorsque la foi fut répandue en tous lieux, ou s'il y en eut encore, ce fut en très petit nombre. Car Dieu opère ordinairement ces prodiges lorsque le mal est arrivé à son comble, et c'est alors qu'il fait éclater sa puissance. - S. GREG. (hom. 29 sur l'Evang.) Cependant la sainte Église renouvelle tous les jours pour les âmes ces miracles extérieurs et sensibles des Apôtres, miracles d'autant plus grands qu'ils ont pour objet de rendre la vie non pas au corps, mais à l'âme. - REMI. Ces infirmes sont les âmes sans énergie, qui n'ont pas la force de mener une vie chrétienne ; les lépreux ceux qui sont couverts des souillures des oeuvres et des plaisirs de la chair ; les morts, ceux qui font des oeuvres de mort, les possédés, ceux que le démon a soumis à son empire. - S. JER. Et parce que les dons spirituels s'avilissent toujours lorsqu'ils deviennent le prix d'une récompense temporelle, Notre-Seigneur condamne cette avarice en ces termes : " Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement ; moi qui suis votre maître et votre Seigneur, je vous ai donné cette grâce sans vous la faire payer ; vous devez la donner de même. - LA GLOSE. Son but ici est de détourner Judas qui portait la bourse de se servir de cette puissance pour amasser de l'argent, et de condamner en même temps la pernicieuse hérésie des Simoniaques. - S. GREG. (homél. 29.) Car il prévoyait qu'il y en aurait pour qui les dons de l'Esprit saint seraient un objet de trafic, et qui mettraient le don des miracles au service de leur avarice. - S. CHRYS. (hom. 33). Voyez comme le Seigneur, en même temps qu'il sauvegarde la dignité des miracles, prend soin de régler la conduite de la vie en faisant voir que sans une vie réglée les miracles ne sont rien. En effet, il étouffe dans leur cœur tout sentiment d'orgueil par ces paroles : " Vous avez reçu gratuitement ; " et par ces autres : " Donnez gratuitement, " il leur commande de se garder purs de toute affection aux richesses. Ou bien en leur disant : " Vous avez reçu gratuitement, " il veut leur apprendre qu'ils ne sont pas les auteurs des bienfaits qu'ils répandent ; comme s'il leur disait : " Vous ne donnez rien de ce qui vous appartient, " vous ne l'avez reçu ni comme récompense, ni comme prix de votre travail, c'est une grâce que je vous ai accordée, donnez-la donc comme vous l'avez reçue, car jamais vous ne pourrez en trouver un prix qui réponde à sa valeur.

vv. 9-10
S. CHRYS. (hom. 33.) Après avoir défendu à ses Apôtres le trafic des choses spirituelles, le Seigneur veut arracher de leur cœur la racine de tous les maux. " Ne possédez, dit-il, ni or, ni argent. " - S. JER. Si la fin qu'ils se proposent, en prêchant l'Évangile, n'est point de recevoir une récompense pécuniaire, pourquoi auraient-ils d'ailleurs de l'or, de l'argent ou d'autre monnaie, puisque alors ce n'est plus le salut des hommes, mais l'amour de l'argent qui semblerait être le mobile de leurs prédications ? - S. CHRYS. (hom. 33.) En leur donnant ce précepte, il élève d'abord ses disciples au-dessus de tout soupçon ; en second lieu, il les affranchit de toute sollicitude pour qu'ils puissent se donner tout entiers à la parole de Dieu, et il leur enseigne enfin jusqu'où va sa puissance, car il leur dira plus tard : " Lorsque je vous ai envoyés sans sac et sans bourse, vous a-t-il manqué quelque chose ? " (Lc 22.) - S. JER. Ce n'est pas assez d'avoir coupé jusque dans sa racine l'amour des richesses représentées par l'or, l'argent et la monnaie courante, il semble vouloir retrancher jusqu'au soin des choses nécessaires à la vie. C'est qu'il veut que les Apôtres, prédicateurs de la vraie religion, qui devaient enseigner que le gouvernement de la providence divine s'étend à tout, se montrent eux-mêmes sans préoccupation pour le lendemain : et c'est pour cela qu'il ajoute : " Ni monnaie dans vos bourses. " - LA GLOSE. Il y a deux sortes de choses nécessaires : l'une qui sert à acheter le nécessaire, c'est l'argent dans la bourse ; l'autre le nécessaire lui-même, qui est ici représenté par le sac. - S. JER. Par ces paroles : " Ni sac dans la route, " le Sauveur condamne certains philosophes qu'on appelait Bactropérates, qui méprisant le monde, et comptant tout pour rien, portaient avec eux toutes leurs provisions. " Ni deux tuniques. " Ces deux tuniques dont parle le Seigneur signifient, à mon avis, deux vêtements différents. Il ne défend donc pas à ceux qui sont exposés au froid glacial de la Scythie où qui vivent sous d'autres climats rigoureux, de porter deux tuniques ; mais par la tunique il entend le vêtement, et dès lors que nous en avons un, il nous défend d'en avoir un autre en réserve, par un sentiment de crainte pour l'avenir. " Ni chaussures. " Platon lui-même a défendu de couvrir les deux extrémités du corps pour ne pas rendre trop délicats la tête et les pieds, car lorsque ces deux parties ont de la vigueur et de la fermeté, les autres parties du corps en deviennent elles-mêmes plus robustes. " Ni bâton. " Pourquoi chercher l'appui d'un bâton, nous qui avons pour soutien le Seigneur lui-même ? - REMI. Le Seigneur nous montre encore par ces paroles, qu'il rappelle les saints prédicateurs de la loi nouvelle à la dignité du premier homme, car tant qu'il posséda les trésors du ciel il ne désira point les trésors de la terre, et il n'y pensa que lorsqu'il eut perdu les richesses du ciel par son péché.
S. CHRYS. (hom. 33.) Heureux échange ! au lieu de l'or, de l'argent et d'autres choses de même nature, ils ont reçu le pouvoir de guérir les malades, de ressusciter les morts, et de faire d'autres semblables miracles. Aussi le Sauveur ne leur a pas tout d'abord fait cette défense : " Ne possédez ni or ni argent, " mais il a commencé par leur dire : " Guérissez les lépreux, chassez les démons. " On voit ici que d'hommes qu'ils étaient, le Sauveur en fait pour ainsi dire des anges, qu'il affranchit de tout soin de la vie présente pour ne leur laisser qu'une seule préoccupation, celle de la doctrine. Et encore veut-il les délivrer de cette sollicitude, lors qu'il leur dit : " Ne vous mettez pas en peine de ce que vous direz " (Lc 12, 11). C'est ainsi qu'il leur rend léger et facile ce que l'on regarde comme une tâche lourde et pénible. Car quoi de plus doux que d'être affranchi de tout soin, de toute inquiétude, surtout lorsque avec cela on n'éprouve aucun dommage, parce que Dieu est présent et que son action remplace la nôtre ? - S. JER. Comme il venait d'envoyer prêcher ses Apôtres dépouillés de tout, et sans leur rien laisser, et que la condition de ces maîtres de l'univers paraissait bien dure, il adoucit la sévérité de ces commandements en ajoutant : " Car l'ouvrier est digne de son salaire, " ce qui revient à dire : " Recevez tout ce qui vous est nécessaire pour le vêtement et pour la nourriture. " C'est ce que recommande aussi l'apôtre S. Paul : " Dès lors que nous avons la nourriture et le vêtement, soyons-en contents (1 Tm 6) ; et ailleurs : " Que celui que l'on instruit des choses de la foi fasse part de tous ses biens à celui qui l'instruit " (Ga 6) ; c'est-à-dire que les disciples qui moissonnent les biens spirituels de ceux qui les enseignent, les fassent participer à leurs biens temporels, non pour satisfaire à leur avarice, mais pour subvenir à leurs besoins.
S. CHRYS. (hom. 33.) Il était nécessaire que les Apôtres fussent nourris par leurs disciples, car ils auraient pu s'élever au-dessus de ceux qu'ils enseignaient, parce qu'ils leur donnaient tout sans en rien recevoir ; et les disciples, à leur tour, auraient pu se croire méprisés, et s'éloigner de leurs maîtres. Il ne veut pas non plus que les Apôtres rougissent de leur mission et viennent dire : " Il veut donc que nous vivions comme des mendiants ? " Il leur montre que cette nourriture leur est due, en leur donnant le nom d'ouvriers, et en appelant salaire ce qu'ils reçoivent. Les Apôtres ne devaient pas regarder comme un léger bienfait l'Évangile qu'ils annonçaient, parce que ce ministère est tout entier dans la parole ; et c'est pour cela qu'il ajoute : " L'ouvrier mérite de recevoir sa nourriture. " Ce n'est pas qu'il veuille cependant leur donner une idée exagérée de leurs travaux et de la récompense qu'ils méritent ; mais son dessein est de tracer aux Apôtres une règle de conduite, et d'apprendre à ceux qui fournissent à leurs besoins qu'ils ne font en cela que s'acquitter de ce qu'ils doivent. - S. AUG. L'Évangile n'est pas une chose vénale et on ne doit point l'annoncer pour obtenir des biens temporels. Ceux qui trafiquent ainsi de l'Évangile vendent à vil prix une chose bien précieuse. Les prédicateurs peuvent donc recevoir des peuples qu'ils évangélisent la nourriture nécessaire à leur vie, et attendre de Dieu seul la récompense de leur ministère. Ce n'est pas un salaire que les fidèles donnent à ceux que la charité porte à leur annoncer l'Évangile, c'est un subside qui leur permet de continuer leurs travaux. S. AUG. (de l'accord des Evang., liv. 2, chap. 30.) Après avoir dit à ses Apôtres : " Ne possédez point d'or, " le Sauveur ajoute immédiatement : " L'ouvrier mérite qu'on le nourrisse ; " paroles qui font connaître la raison pour laquelle il ne veut pas qu'ils aient ou qu'ils portent avec eux de l'or ou de l'argent. Ce n'est pas que l'un et l'autre ne soient nécessaires à l'entretien de la vie ; mais il veut, en les envoyant prêcher l'Évangile, que l'on comprenne bien que ce salaire leur est dû par les fidèles qu'ils allaient évangéliser, comme la solde est due à ceux qui combattent. Nous voyons encore ici que l'intention du Seigneur n'est pas de défendre à celui qui annonce l'Évangile d'avoir d'autres moyens de subsistance que les offrandes des fidèles, car alors saint Paul aurait été contre cette défense, lui qui vivait du travail de ses mains (Ac 20, 34 ; 1 Th 2, 9). Mais il leur donne simplement le pouvoir de recevoir ces offrandes comme une chose qui leur est due. Ne pas faire ce que le Seigneur commande, c'est une désobéissance formelle ; mais il est permis de ne pas user d'un pouvoir qu'il donne, et d'y renoncer comme à un droit qui nous est acquis. Le Sauveur veut donc établir que ceux qui annoncent l'Évangile ont le droit de vivre de l'Évangile, et il recommande à ses Apôtres d'être sans inquiétude lorsqu'ils ne posséderont ni ne porteront aucune des choses nécessaires à la vie, quelle que soit leur importance ; c'est pourquoi il ajoute : " ni bâton, " pour apprendre aux fidèles qu'ils doivent tout aux ministres de l'Évangile, pourvu qu'ils ne demandent rien de superflu. D'après l'évangéliste saint Marc, Notre-Seigneur leur défend de rien emporter avec eux pour le chemin, si ce n'est un bâton, et le bâton est l'emblème de ce pouvoir qu'il leur donne. Lorsque d'après saint Matthieu il défend de porter même des chaussures, il veut qu'ils soient libres de toute inquiétude, car on ne songe à s'en pourvoir que dans la crainte qu'on vienne à en manquer. Il faut entendre dans le même sens ce qu'il dit des deux tuniques ; il leur défend d'en porter d'autre que celle dont ils sont revêtus, pour se prémunir contre les nécessités du voyage, puisqu'ils ont le droit d'en recevoir au besoin. Dans saint Marc, Notre-Seigneur leur permet d'avoir pour chaussures des sandales, et cette chaussure a nécessairement une signification mystique ; comme elle laisse le pied découvert par dessus, tandis qu'elle le garantit par dessous, elle signifie que l'Évangile ne doit pas être tenu dans le secret, et qu'il ne doit pas s'appuyer sur des intérêts temporels. Il leur défend expressément dans le même endroit non-seulement de porter deux tuniques, mais même de s'en revêtir ; c'est pour les avertir de fuir toute duplicité, et d'être toujours simples dans leur conduite. Il est donc incontestable que le Seigneur a dit tout ce que les Évangélistes ont rapporté, tant au sens littéral, qu'au sens figuré ; mais qu'ils ont rapporté les uns une partie de son discours, les autres une autre. Maintenant que celui qui prétendrait que le Sauveur n'a pu, dans le même passage, parler tantôt au sens figuré, tantôt au sens propre, jette les yeux sur d'autres parties de l'Évangile, et il se convaincra que cette opinion est aussi téméraire qu'elle est peu éclairée. Car lorsque le Seigneur recommande de laisser ignorer à la main gauche ce que fait la main droite, il sera forcé de prendre dans un sens figuré les aumônes et tout ce qui fait la matière de ce commandement.

S. JER. Nous avons donné le sens historique, voyons maintenant le sens anagogique. Il est défendu aux docteurs de l'Évangile d'avoir ni or, ni argent, ni monnaie dans leur bourse. Nous voyons que l'or est souvent pris pour l'intelligence, l'argent pour la parole, la monnaie pour la voix. Or, nous ne pouvons recevoir ces trois choses de personne, si ce n'est de Dieu qui nous les donne, ni emprunter rien aux enseignements des hérétiques, des philosophes ou d'autres doctrines également perverses. - S. HIL. (can. 10 sur S. Matth.) La ceinture est une des choses nécessaires à celui qui remplit quelque office, et elle rend son action plus libre ; nous défendre d'avoir de l'argent dans nos ceintures, c'est nous défendre toute vénalité dans l'exercice de notre ministère. Nous ne devons point porter de sac pour le chemin, c'est-à-dire qu'il nous faut laisser toute préoccupation des soins matériels ; car tout trésor sur la terre ne peut que nous être funeste, parce que notre cœur sera nécessairement là où notre trésor est enfoui. Il ajoute : " Ni deux tuniques. " Il nous suffit, en effet, de nous être revêtus une fois de Jésus-Christ, et après avoir reçu l'intelligence de la vérité, nous devons rejeter les vêtements que nous présentent l'hérésie ou la loi ancienne. " Ni chaussures, " c'est-à-dire que, marchant sur une terre sainte et débarrassée d'épines et de ronces, ainsi qu'il fut dit à Moïse (Ex 3), nous ne devons couvrir nos pieds d'autre chaussure que de celle que nous avons reçue de Jésus-Christ. - S. JER. Ou bien le Seigneur nous enseigne à ne pas enchaîner nos pieds dans les liens de la mort, mais à les dépouiller de tout pour entrer dans la terre sainte, à laisser même ce bâton qui pourrait se changer en serpent ; à ne nous appuyer sur aucun secours humain, car un bâton ou une baguette ne sont jamais que des roseaux qui, pour peu qu'on les presse, se brisent et déchirent la main de ceux qui s'y appuient. - S. HIL. (can. 10.) Nous n'avons besoin, du reste, d'aucun secours étranger, nous qui avons en main le rejeton qui est sorti de la tige de Jessé (Is 11, 1).

vv. 11-15.
S. CHRYS. (hom. 33.) Le Seigneur venait de dire : " L'ouvrier est digne de son salaire ; mais son intention n'est point d'ouvrir indifféremment par ces paroles toutes les portes à ses disciples : aussi leur recommande-t-il d'user de la plus grande prudence dans le choix de ceux dont ils recevront l'hospitalité : " Dans quelque ville, leur dit-il, ou dans quelque bourg que vous entriez, demandez qui est digne de vous recevoir. " - S. JER. Les Apôtres, en entrant dans une ville nouvelle pour eux, ne pouvaient connaître celui qui se trouvait dans ces conditions. Leur choix devait donc se guider sur l'opinion générale et sur le jugement des voisins, afin que la dignité de l'Apôtre ne fût pas compromise par la mauvaise réputation de celui qui le recevrait. - S. CHRYS. (hom. 33.) Pourquoi donc alors le Sauveur s'est-il assis lui-même à la table d'un publicain (Lc 1, 27.28.29) ? C'est que ce publicain s'en était rendu digne par sa conversion. Or, cette manière d'agir ne devait pas seulement tourner à la gloire des Apôtres, mais encore leur procurer les choses nécessaires à la vie ; car si leur hôte était vraiment digne de leur choix, il devait fournir amplement à tous leurs besoins, alors surtout qu'on ne lui demanderait que le nécessaire. Remarquez comment en même temps qu'il les dépouille de tout, il leur donne tout en abondance, en leur permettant de demeurer dans la maison de ceux qu'ils évangélisaient. Car ils étaient ainsi délivrés de toute sollicitude ; et comme ils ne portaient rien avec eux, qu'ils ne demandaient que le nécessaire, et n'entraient pas indistinctement chez tout le monde, ils persuadaient plus facilement aux autres qu'ils n'étaient venus que pour les sauver. Le Seigneur voulait que ses Apôtres brillassent plus encore par leur vertu que par leurs miracles, et une marque des moins équivoques de la vertu, c'est de renoncer aux choses superflues. - S. JER. Celui que les Apôtres choisissent pour lui demander l'hospitalité ne fait pas une grâce à celui qui demeure chez lui, mais au contraire il en reçoit une faveur ; et Jésus exige qu'il soit digne, pour lui faire comprendre qu'il reçoit plutôt qu'il ne donne. - S. CHRYS. (hom. 33.) Remarquez que Notre-Seigneur ne leur accorde pas encore toute faveur, ainsi il ne leur donne pas de savoir qui est digne, et il leur commande de s'en informer. A cet ordre, il ajoute celui de ne pas aller de maison en maison : " Demeurez-y, dit-il, jusqu'à ce que vous vous en alliez ; " et cela pour ne pas contrister celui qui les a reçus, et ne pas encourir le reproche de légèreté ou de sensualité. - S. AMB. Ce n'est donc pas sans motif qu'il ordonne aux Apôtres de choisir la maison où ils devront demeurer, c'est afin de ne pas avoir ensuite de raison d'en changer ; mais les mêmes précautions ne sont pas recommandées à celui qui les reçoit, car en voulant y mettre trop de discernement, son hospitalité pourrait perdre de son prix.
" En entrant dans la maison, saluez-la en disant : Que la paix soit dans cette maison. " - LA GLOSE. C'est-à-dire, demandez la paix pour celui qui vous reçoit, afin d'assoupir en lui toute résistance contre la vérité. - S. JER. Ces paroles renferment implicitement le salut ordinaire des langues hébraïque et syriaque, car le mot à la fois hébraïque et syriaque salemalach ou salamalach répond au ?a??e des Grecs et à l'ave des Latins, et veut dire : " La paix soit avec vous. " Or voici le sens de cette recommandation : en entrant dans une maison, demandez la paix pour celui qui l'habite, et autant que vous le pourrez, apaisez les discordes qui la troublent. Si on s'obstine à vouloir la dissension, vous recevrez votre récompense pour la paix que vous aurez offerte, et ceux qui l'ont rejetée auront la guerre en partage, comme l'indique le texte sacré : " Si cette maison en est digne, votre paix viendra sur elle ; si elle n'en est pas digne, votre paix reviendra sur vous. " - REMI. Ou bien il y aura dans cette maison un prédestiné à la vie, et il mettra en pratique la parole divine qu'il a entendue, ou s'il n'y a personne qui veuille l'entendre, le prédicateur ne demeurera pas sans fruit pour cela, car la paix lui revient, lorsqu'il reçoit du Seigneur la récompense de son travail et de son zèle. - S. CHRYS. (hom. 33.) Le Seigneur recommande aux Apôtres de ne pas attendre que les autres les saluent, parce qu'ils sont eux-mêmes leurs docteurs, mais de les saluer les premiers et de les prévenir par ce témoignage d'honneur. En ajoutant : " Mais si cette maison n'est pas digne, " il leur fait voir qu'il s'agit non pas d'une simple salutation, mais d'une véritable bénédiction. - REMI. Le Seigneur veut donc que ses disciples offrent la paix en entrant dans une maison, afin que ce salut de paix les aide à reconnaître la maison ou l'hôte qui sont dignes de les recevoir. Il semble leur dire ouvertement : Offrez la paix à tous ; s'ils la reçoivent, ils prouveront qu'ils en sont dignes, s'ils la rejettent, ils s'en déclareront indignes. Quoique l'opinion générale ait dû les guider dans le choix de celui qui était digne de les recevoir, ils doivent cependant lui adresser ce salut, car il faut bien plutôt qu'on appelle les prédicateurs à cause de leur dignité, que de les voir s'introduire d'eux-mêmes sans être appelés. Or ce salut de paix renfermé dans ce peu de mots peut servir à reconnaître parfaitement si une maison ou celui qui l'habite sont dignes de leur donner l'hospitalité.
S. HIL. Les Apôtres saluent donc la maison avec un vif désir de paix, mais leurs paroles expriment plutôt la paix qu'ils ne la donnent. Quant à la paix proprement dite, qui sort des entrailles de la miséricorde, elle ne peut descendre sur cette maison qu'autant qu'elle la mérite ; si elle n'en est pas trouvée digne, le mystère de cette paix toute divine doit rester renfermé dans la conscience des Apôtres. Et ceux qui ont rejeté les préceptes du royaume des cieux n'ont plus à attendre que la malédiction éternelle que leur prédisent les apôtres en les quittant, et en secouant la poussière de leurs pieds. " Lorsque quelqu'un ne voudra point vous recevoir, ni écouter vos paroles, en sortant de cette maison ou de cette ville secouez la poussière de vos pieds. " Car lorsqu'on habite un endroit, il semble qu'on est en rapport, en communion avec lui. Mais en secouant la terre de ses pieds, on se sépare complètement du péché de cette maison, qui ne retire aucun avantage pour sa guérison des traces qu'y ont imprimées les pieds des Apôtres. - S. JER. Ils secouent la poussière de leurs pieds, en témoignage de leurs travaux, et pour attester qu'ils sont entrés dans cette ville, et que la prédication évangélique est parvenue jusqu'à ses habitants. Ou bien cette poussière secouée, signifie qu'ils ne doivent rien recevoir, pas même le nécessaire, de ceux qui rejettent l'Évangile. - RAB. Ou bien les pieds des Apôtres figurent l'oeuvre même, la marche et le progrès de la prédication apostolique. Cette poussière dont ils sont couverts est la figure de la légèreté des pensées de la terre. Les docteurs les plus éminents ne peuvent entièrement s'en garantir, lorsqu'ils se livrent avec sollicitude aux oeuvres de zèle que réclame l'utilité de ceux qu'ils enseignent ; et en traversant les routes du monde, la poussière de la terre s'attache nécessairement à leurs pieds. Pour ceux donc qui méprisent leur doctrine, les travaux, les dangers, les ennuis, les inquiétudes des docteurs de l'Évangile deviennent un sujet de condamnation. Ceux au contraire qui reçoivent leur parole savent trouver une leçon d'humilité dans les soucis et les peines que supportent pour eux ceux qui les évangélisent. Et pour faire voir que ce n'est pas une faute légère de ne pas recevoir les Apôtres, le Sauveur ajoute : " Je vous le dis en vérité, au jour du jugement, Sodome et Gomorrhe seront traitées moins rigoureusement que cette ville. " - S. JER. Car la prédication ne s'est pas fait entendre à Sodome et à Gomorrhe, tandis que cette ville l'a entendue et n'a pas voulu la recevoir. - REMI. Ou bien c'est parce que les habitants de Sodome et de Gomorrhe, au milieu des désordres où ils vivaient, exerçaient volontiers l'hospitalité, bien que ceux qu'ils ont reçus ne fussent pas des apôtres. - S. JER. Si la ville de Sodome est traitée moins rigoureusement que cette cité qui n'a pas reçu l'Évangile, il y a donc divers degrés dans les supplices des pécheurs. - REMI. Notre-Seigneur choisit ici pour exemple les villes de Sodome et de Gomorrhe, pour montrer que Dieu a surtout en horreur les péchés contre nature, péchés qui ont attiré sur le monde les eaux dans lesquelles il a été enseveli, qui ont amené la destruction de quatre villes entières, et qui tous les jours sont cause des maux incalculables qui viennent frapper les hommes.
S. HIL. Dans le sens mystique, le Seigneur nous enseigne à ne pas fréquenter les maisons, et à ne pas cultiver l'amitié des personnes qui se déclarent ennemis de Jésus-Christ ou qui ne le connaissent pas. Dans chaque ville, il nous faut donc demander qui est digne de nous recevoir, c'est-à-dire demander si l'Église est quelque part, et si Jésus-Christ a lui-même une habitation ; et une fois entrés, n'allons pas ailleurs, car cette maison et celui qui l'habite sont dignes que nous nous y arrêtions. Il devait s'en rencontrer beaucoup parmi les Juifs, dont l'attachement pour la loi serait si grand que tout en croyant en Jésus-Christ dont ils avaient vu et admiré les prodiges, ils ne pourraient cependant sortir des oeuvres de la loi. D'autres, curieux d'examiner la liberté dont Jésus-Christ est l'auteur, devaient user de feinte, en quittant la loi pour l'Évangile. Plusieurs autres enfin devaient être entraînés dans l'hérésie par la dépravation de leur intelligence, et comme tous prétendent, mais bien à tort, qu'ils sont en possession de la vérité catholique, il ne faut entrer qu'avec précaution dans cette maison qui se dit l'Église catholique.

vv. 16-18.
S. CHRYS. (hom. 34.) Après avoir banni toute sollicitude du cœur de ses disciples et les avoir armés de la puissance de faire des miracles éclatants, il leur prédit les dangers qu'ils devaient courir. Il le fait, premièrement pour les convaincre de sa divine prescience ; secondement, pour éloigner de leur esprit le soupçon que ces épreuves leur arrivent à cause de la faiblesse de leur Maître ; troisièmement, pour prévenir l'étonnement mêlé de frayeur que ces maux leur causeraient, s'ils venaient fondre sur eux à l'improviste et contre toute espérance ; quatrièmement, afin qu'étant ainsi prévenus, le spectacle de la croix ne les jetât pas dans le trouble. Comme il veut ensuite leur apprendre les lois nouvelles de ce combat, il les envoie dépouillés de tout et il veut qu'ils soient nourris par ceux qui les recevront. Il ne s'arrête pas là, mais il leur donne une nouvelle idée de sa puissance, en ajoutant : " Voici que je vous envoie comme des brebis au milieu des loups. " Remarquez que ce n'est pas seulement vers les loups qu'il les envoie, mais au milieu des loups, afin que sa puissance se manifeste avec plus d'éclat, lorsqu'on verra les brebis triompher des loups, tout en vivant au milieu d'eux, et qu'au lieu de périr sous leurs morsures répétées, elles parviendront à les changer et à les convertir. Or c'est une oeuvre bien plus grande et plus admirable de changer leurs âmes que de les mettre à mort. En s'exprimant de la sorte, il leur apprend à montrer la douceur des brebis au milieu des loups. - S. GREG. (homél. 17 sur l'Evang.) Celui qui se charge du ministère de la prédication, ne doit causer aucun mal, mais supporter celui qu'on veut lui faire. C'est par cette douceur qu'il adoucira la fureur de ceux qui se déchaînent contre lui, et que ressentant lui-même le contrecoup des afflictions des autres, il pourra guérir les blessures des pécheurs. Si quelquefois le zèle de la justice lui commande de sévir contre ceux qui lui sont soumis, il faut que l'amour et non pas la dureté soit le principe de sa colère, et que tout en maintenant au dehors les droits de la discipline outragée, il aime d'un amour paternel ceux qu'il est obligé de châtier extérieurement. Il en est beaucoup, au contraire, qui à peine revêtus de l'autorité du commandement, se montrent ardents à tourmenter leurs inférieurs, veulent imprimer la terreur du pouvoir, et paraître dominateurs ; ils oublient tout à fait qu'ils sont pères, et cette place qui leur fait un devoir de l'humilité, devient pour eux un sujet d'orgueil et de domination. Parfois peut-être ils vous flattent au dehors, mais ils exercent intérieurement leur fureur contre vous, et c'est d'eux qu'il a été dit : " Ils viennent à vous avec des vêtements de brebis, mais au dedans ce sont des loups ravissants. " Remarquons ici que nous sommes envoyés comme des brebis au milieu des loups, parce que Dieu veut que nous conservions la pureté de l'innocence, sans jamais nous rendre coupables des morsures de la méchanceté. - S. JER. Il donne le nom de loups aux Scribes et aux Pharisiens qui étaient comme les clercs de la religion juive. - S. HIL. Ces loups figurent aussi ceux qui dans leur fureur insensée devaient se déchaîner contre les Apôtres.

S. CHRYS. (hom. 34.) Ils avaient une consolation dans leurs maux, c'était la puissance de Celui qui les envoyait : aussi le Sauveur cherche-t-il à les bien convaincre avant tout de cette puissance, lorsqu'il leur dit : " Voici que je vous envoie, " c'est-à-dire : Ne soyez pas effrayés d'être envoyés au milieu des loups, car j'ai assez de puissance pour vous préserver entièrement du mal qu'ils pourraient vous faire, non-seulement en vous arrachant à leur dent meurtrière, mais en vous rendant terribles aux lions eux-mêmes. Cependant il faut que vous passiez par ces épreuves, pour faire briller dans tout son éclat votre gloire et ma puissance. Toutefois, pour que les Apôtres puissent contribuer eux-mêmes à cette gloire et qu'on ne croie pas qu'ils ont été couronnés sans mérite, il ajoute : Soyez donc prudents comme des serpents et simples comme des colombes. " - S. HIL. La prudence leur fera éviter les embûches, la simplicité les garantira du mal. Notre-Seigneur leur donne pour exemple la finesse du serpent, parce qu'il cache sa tête dans les replis de son corps afin de mettre à couvert le siége de sa vie. Ainsi devons-nous sauver au péril de tout notre corps notre tête, qui est Jésus-Christ, c'est-à-dire nous appliquer à conserver notre foi dans toute sa pureté (Ep 3, 17 ; 4, 15), dans toute son intégrité. - RAB. Le serpent a coutume aussi de se frayer un passage dans des ouvertures étroites, pour y laisser en passant son ancienne peau. C'est ainsi que le prédicateur, en traversant la voie étroite, doit se dépouiller entièrement du vieil homme. - REMI. Le Sauveur donne ici une belle leçon aux prédicateurs, en leur recommandant d'avoir la prudence du serpent ; car c'est par le serpent que le premier homme fut trompé, et il semble leur dire : Le serpent a été prudent et rusé pour tromper ; soyez prudents vous mêmes pour sauver ; il a fait l'éloge de l'arbre de la science ; exaltez vous-mêmes la puissance de la croix. - S. HIL. Le démon s'est d'abord attaqué à l'âme du sexe le plus faible, et l'a séduite par l'espérance, en lui promettant la participation à l'immortalité ; ainsi devons-nous choisir nous-mêmes l'occasion favorable (eu égard à la nature et aux dispositions d'un chacun) pour parler avec prudence, révéler l'espérance des biens éternels et prédire en toute vérité, en nous fondant sur la promesse de Dieu lui-même, ce que le démon n'a promis que par un mensonge, c'est-à-dire que ceux qui croient deviendront semblables aux anges. (Mt 22.)

S. CHRYS. (hom. 24.) De même que nous devons avoir la prudence du serpent pour éviter d'être blessés dans ce que nous avons de plus cher, ainsi devons-nous avoir la simplicité de la colombe pour ne pas opposer la vengeance à l'injustice qui nous est faite, et ne pas dresser aux autres de pernicieuses embûches. - REMI. Le Sauveur réunit ces deux vertus, car la simplicité sans la prudence peut être facilement trompée, et la prudence a ses dangers lorsqu'elle n'est pas tempérée par la simplicité.

S. JER. La simplicité des colombes nous est révélée dans la forme sous laquelle l'Esprit saint a voulu paraître, et c'est en faisant allusion à cette vertu que l'Apôtre a dit : " Soyez petits en malice. " - S. CHRYS. (hom. 34.) Quoi de plus dur en apparence que de semblables commandements ? Non-seulement il faut souffrir le mal, il n'est pas même permis de s'en troubler, ce qui est le propre de la colombe ; car la colère n'apaise pas la colère, mais la douceur seule peut l'éteindre.
RAB. Ces loups dont il vient de parler, ce sont les hommes, comme le prouvent les paroles suivantes : " Gardez-vous des hommes. " LA GLOSE. Il est donc nécessaire que vous soyez comme des serpents, c'est-à-dire pleins de finesse, car tout d'abord, suivant leur coutume, ils vous traduiront devant leurs tribunaux, et vous défendront de prêcher en mon nom ; et si vous n'obéissez, ils vous feront fouetter de verges et vous conduiront enfin devant les gouverneurs et devant les rois. - S. HIL. (can. 10 sur S. Matth.) Ce sont eux qui s'efforcent d'arracher un aveu à votre silence ou votre consentement à leurs projets.

S. CHRYS. (hom. 34.) Il est vraiment surprenant qu'en parlant de la sorte le Sauveur n'ait pas vu s'éloigner aussitôt de lui ces hommes qui n'avaient jamais quitté les bords du lac dans lequel ils jetaient leurs filets. C'est là une preuve non-seulement de leur vertu, mais de la sagesse du docteur qui les enseignait ; car à chacun des maux qu'il leur prédisait il prenait soin de joindre un adoucissement. C'est pour cela qu'il ajoute : " A cause de moi. " C'est en effet une bien grande consolation de souffrir pour Jésus-Christ. Les Apôtres n'étaient pas persécutés comme des méchants et des scélérats ; Notre-Seigneur en donne la raison : " Pour leur servir de témoignage. " - S. GREG. (hom. 31.) C'est-à-dire à ceux qui leur ont donné la mort en les persécutant ou qui n'ont pas changé eux-mêmes de vie ; car la mort des saints est un puissant secours pour les bons comme elle est un témoignage contre les méchants qui périssent sans excuse là où les élus trouvent de salutaires exemples qui les conduisent à la vie.

S. CHRYS. (hom. 34.) Ce qui les consolait dans ces paroles, ce n'est pas le désir de voir la ruine de leurs ennemis, mais la vive confiance qu'ils avaient que le Sauveur était toujours avec eux et prévoyait tout ce qui devait leur arriver. - S. HIL. (can. 10 sur S. Matth.) Ce témoignage non-seulement enlève aux persécuteurs toute excuse, mais encore ouvre aux nations le chemin de la foi en Jésus-Christ, qui leur fut prêchée jusqu'au milieu des tourments par la voix ferme et constante des confesseurs ; et c'est pour cela qu'il ajoute : " Et aux nations. "

vv. 19-20.
S. CHRYS. (hom. 34.) Aux consolations qui précèdent, le Sauveur en ajoute une non moins grande. Les Apôtres auraient pu lui dire : Comment pourrons-nous persuader les esprits au milieu de tant de persécutions ? Jésus leur commande de ne point se préoccuper de ce qu'ils auront à répondre. " Lorsqu'on vous livrera, leur dit-il, ne vous mettez point en peine comment vous leur parlerez ; ni de ce que vous leur direz. " Il distingue ici deux choses : la réponse et la forme qu'on peut lui donner ; l'une qui a pour principe la sagesse, et l'autre qui est du ressort de la parole. Or, comme c'était de lui que venaient et les paroles qu'ils devaient dire, et la sagesse qui les inspirait, les prédicateurs de l'Évangile n'avaient nullement à se préoccuper soit du fond soit de la forme de leur discours. - S. JER. Lorsque nous sommes traduits devant les juges de la terre pour la cause de Jésus-Christ, nous n'avons qu'une chose à faire : offrir pour lui notre volonté. Pour le reste, Jésus-Christ, qui lui-même habite en nous, parlera pour lui-même, et le Saint-Esprit nous prêtera son secours divin pour répondre. - S. HIL. Car si notre foi se donne tout entière à l'accomplissement des divins préceptes, Dieu de son côté lui donnera la science nécessaire pour répondre ; elle en a pour garant l'exemple d'Abraham à qui Dieu, après lui avoir demandé le sacrifice de son fils Isaac, fit trouver le bélier nécessaire au sacrifice. (Gn 22.) Aussi prend-il soin d'ajouter : " Car ce n'est pas vous qui parlez. " - REMI. Voici le sens de ces paroles : C'est vous qui marchez au combat, mais c'est moi qui en soutiens tout l'effort ; c'est vous qui prononcez les paroles, mais c'est moi-même qui parle par votre bouche. C'est ce qui faisait dire à saint Paul : " Est-ce que vous voulez faire l'expérience de Jésus-Christ qui parle par ma bouche ? " - S. CHRYS. (hom. 34.) C'est ainsi qu'il revêt les Apôtres de la dignité des prophètes qui ont parlé sous l'inspiration de l'Esprit saint. Or, ce qu'il leur dit ici : " Ne soyez pas en peine de ce que vous direz, " n'est pas contraire à ce qui est dit ailleurs : " Soyez toujours prêts à répondre pour votre défense à tous ceux qui vous demanderont raison de l'espérance qui est en vous. " Lorsque la discussion s'engage entre nous et nos amis, nous devons nous préoccuper de ce que nous répondrons ; mais devant le tribunal effrayant des persécuteurs, au milieu d'un peuple en furie, alors que nous ne voyons de tous côtés que des sujets d'effroi, Jésus-Christ vient à notre secours et nous donne la force de parler avec une sainte hardiesse et d'être inaccessible à la crainte.

vv. 21-22.
LA GLOSE. Notre-Seigneur a fait précéder la consolation, il prédit maintenant de plus grands dangers : " Le frère livrera son frère à la mort, et le père son fils, et les fils s'élèveront contre leurs parents. " - S. GREG. (hom. 35 sur les Evang.) Les peines que nous causent ceux dont l'affection et la fidélité nous paraissaient acquises, nous sont beaucoup plus sensibles que les épreuves qui nous viennent de personnes qui nous sont étrangères ; car alors, outre la douleur du corps, nous sommes déchirés par le regret de l'affection que nous avons perdue. - S. JER. C'est ce qui arrive souvent dans les persécutions, et il n'y a point à compter sur l'affection de ceux qui n'ont point la même foi.

S. CHRYS. (hom. 34.) Voici une épreuve plus terrible encore : " Et vous serez haïs de tous les hommes. " Et en effet on les poursuivait, et on voulait les chasser comme les ennemis communs du genre humain. Aussi leur présente-t-il de nouveau cette double consolation : " A cause de mon nom, " et cette autre : " Celui qui persévérera jusqu'à la fin sera sauvé. " Il en est beaucoup, en effet, qui, pleins d'ardeur dans les commencements, perdent insensiblement toute leur force ; c'est pourquoi le Sauveur demande la persévérance jusqu'à la fin. Car de quelle utilité peuvent être les semences qui donnent d'abord des fleurs, et qu'on voit ensuite se dessécher sur leur tige ? Aussi exige-t-il de ses disciples une persévérance constante. - S. JER. Le caractère propre de la vertu, ce n'est pas de commencer, c'est d'achever. - REMI. Et ce n'est pas à ceux qui commencent, mais à ceux qui persévèrent, que la récompense est donnée.

S. CHRYS. (hom. 34.) Notre-Seigneur prévient ici cette difficulté : Le Christ est l'auteur de tout ce que nous admirons dans les Apôtres ; il n'est donc pas surprenant qu'ils soient devenus ce qu'on les a vus, puisqu'ils n'avaient rien à supporter de pénible ; c'est pourquoi il ajoute que la persévérance leur est nécessaire. Car lors même qu'il les aurait arrachés aux premiers dangers, ils étaient réservés à d'autres plus grands encore, auxquels de nouveaux devaient succéder, puisqu'ils ne devaient pas vivre un instant sans avoir à redouter les piéges qu'on leur dressait, vérité qu'il leur révèle d'une manière indirecte, en leur disant : " Celui qui persévérera jusqu'à la fin sera sauvé. " - REMI. C'est-à-dire celui qui n'abandonnera pas les préceptes de la foi, qui ne faiblira pas dans les persécutions, celui-là sera sauvé, et les persécutions de la terre lui mériteront les récompenses du royaume des cieux. Remarquez que le mot fin ne signifie pas toujours la destruction d'une chose, mais quelquefois sa perfection, comme dans ce passage : " Le Christ est la fin. " (Rm 10.) On peut donc adopter ce sens : " Celui qui persévérera jusqu'à la fin, " c'est-à-dire dans le Christ. - S. AUG. (Cité de Dieu, liv. 21, chap. 25.) En effet, persévérer dans le Christ, c'est persévérer dans la foi que nous avons en lui et qui agit par la charité.

v. 23.
S. CHRYS. (hom. 35.) Après avoir prédit à ses Apôtres les épreuves terribles qui devaient leur arriver après son crucifiement, sa résurrection et son ascension, il ramène leur pensée sur des considérations moins sévères ; il ne leur fait pas un devoir d'affronter audacieusement la persécution, mais leur ordonne même de la fuir. " Lorsqu'ils vous persécuteront, fuyez. " Le Sauveur use à leur égard de cette condescendance, parce qu'ils étaient nouvellement convertis. - S. JER. Il faut rapporter ces paroles au temps où il envoyait les Apôtres prêcher l'Évangile en leur disant : " N'allez pas dans la voie des Gentils ; " c'est-à-dire qu'ils ne doivent pas craindre la persécution, mais l'éviter, c'est ce que nous voyons faire aux fidèles de la primitive Église ; la persécution s'étant élevée à Jérusalem, ils se dispersèrent dans toute la Judée (Ac 8), et c'est ainsi que la persécution devint elle-même le principe de la propagation de l'Évangile.

S. AUG (contre Faust, liv. 22, chap. 39.) Si le Sauveur leur ordonne de fuir, et si lui-même le premier leur en a donné l'exemple, ce n'est point par impuissance de défendre ses disciples, mais c'est pour enseigner à la faiblesse de l'homme à ne pas tenter Dieu, quand il est en son pouvoir de fuir le danger qu'il doit éviter. - S. AUG. (Cité de Dieu, liv. 1, chap. 23.) Il aurait pu leur conseiller de mettre fin à leurs jours pour ne pas tomber entre les mains des persécuteurs. Or, puisqu'il n'a donné ni l'ordre ni le conseil de sortir ainsi de cette vie à ceux qu'il a promis de recevoir dans les demeures éternelles qu'il est allé leur préparer ; quels que soient les exemples que puissent nous opposer les nations qui ne connaissent pas Dieu, il est évident que se donner la mort est un crime pour ceux qui croient en un seul et vrai Dieu.

S. CHRYS. (hom. 35.) Les Apôtres pouvaient lui objecter : Mais que ferons-nous si après avoir fui la persécution qui nous menace, on nous chasse encore de la contrée que nous aurons choisie ? Le Seigneur bannit cette crainte de leur cœur en ajoutant : " Je vous dis en vérité, vous n'aurez pas achevé toutes les demeures d'Israël jusqu'à ce que vienne le Fils de l'homme, " c'est-à-dire en parcourant la Palestine, vous ne devancerez pas le temps où je dois venir vous chercher et vous prendre avec moi. - RAB. Ou bien il leur prédit qu'ils ne convertiront pas à la foi par leurs prédications toutes les villes d'Israël avant la résurrection du Sauveur, et aussi avant qu'ils aient reçu le pouvoir de prêcher l'Évangile par toute la terre. - S. HIL. (can. 10 sur S. Matth.) Ou bien encore il leur conseille de fuir d'une ville dans une autre, parce que la prédication de l'Évangile, repoussée par la Judée, s'est fait entendre dans la Grèce. Elle s'est ensuite répandue dans toutes les villes de cette contrée par les persécutions multipliées des Apôtres, et de là elle s'est fixée, pour y demeurer, dans l'universalité des nations. Mais le Seigneur, voulant montrer que si les nations seraient amenées à la foi par la prédication des Apôtres, les restes d'Israël ne devraient leur conversion qu'à son avènement, il ajoute : " Vous n'achèverez pas toutes les villes, " c'est-à-dire qu'après la plénitude des nations, ce qui restera d'Israël pour consommer le nombre des saints sera réuni à l'Église par l'éclat du dernier avènement de Jésus-Christ.

S. AUG. (Lettre 180 à Honorat.) Que les serviteurs de Jésus-Christ ne craignent donc pas de faire ce qu'il a commandé ou permis, et ce qu'il a fait lui-même en fuyant en Egypte ; ils doivent donc fuir aussi de ville en ville lorsqu'ils seront l'objet particulier d'une persécution ; ceux au contraire qui ne sont pas personnellement recherchés, ne doivent pas abandonner leur Église, mais rester pour soutenir ceux de leurs frères qui n'attendent que d'eux leur subsistance. Mais lorsque le danger devient général et qu'il menace également les évêques, les clercs et les fidèles, que ceux qui doivent aux autres le secours de leur ministère n'abandonnent pas les fidèles qui ont droit de le réclamer, ou qu'ils fuient tous ensemble dans des lieux sûrs. Que ceux qui sont obligés de rester ne soient point abandonnés par ceux qui doivent subvenir à leurs besoins spirituels, mais qu'ils vivent ensemble, ou qu'ensemble ils partagent les épreuves auxquelles le père de famille veut les soumettre. - REMI. Il ne faut pas oublier d'ailleurs que si le précepte de la persévérance dans les persécutions regarde spécialement les Apôtres et les hommes courageux qui leur ont succédé, la permission de fuir est donnée à ceux qui sont faibles dans la foi. Le bon Maître a voulu ainsi condescendre à leur faiblesse, dans la crainte qu'en se présentant d'eux-mêmes au martyre, ils ne fussent exposés à renoncer à la foi au milieu des tourments ; car il vaut mieux fuir qu'apostasier. Et bien qu'en fuyant ils ne fissent pas preuve d'une foi constante et parfaite ; cependant ils avaient un grand mérite, car ils étaient prêts, en prenant la fuite, à tout quitter pour Jésus-Christ. Or, si le Sauveur ne leur avait pas accordé la permission de fuir la persécution, il y aurait eu des hommes qui les auraient déclarés indignes de la gloire du royaume des cieux.
S. JER. En prenant ces paroles dans le sens spirituel, nous pouvons dire : Lorsqu'ils nous persécuteront dans une ville, c'est-à-dire dans un livre, ou dans un texte de la sainte Écriture, fuyons vers d'autres villes, c'est-à-dire vers d'autres livres ; et quelque ami de la dispute que soit notre persécuteur, le secours du Seigneur nous arrivera avant qu'il ait remporté la victoire.

vv. 24-25.
S. CHRYS. (hom. 35.) Aux persécutions dont il vient de parler devait se joindre la diffamation et la calomnie, qui seraient pour les Apôtres le supplice le plus pénible en les atteignant jusque dans leur réputation ; il leur apporte donc pour consolation son propre exemple, et leur rappelle tout ce qu'on a osé dire de lui, consolation qui, pour eux, était sans égale. - S. HIL. En effet, le Seigneur, la lumière éternelle, le chef des croyants, le père de l'immortalité, révèle par avance à ses disciples les consolations qui adouciront un jour leurs épreuves, afin de nous faire embrasser avec ardeur comme un titre de gloire cette carrière qui nous rend les égaux du Seigneur par les souffrances. C'est pour cela qu'il ajoute : " Le disciple n'est pas au-dessus du maître, ni le serviteur, " etc. - S. CHRYS. (hom. 35.) Il faut entendre ces paroles dans ce sens : tant qu'il reste disciple et serviteur. Alors, dis-je, il n'est pas au-dessus de son maître et de son seigneur, quant à l'honneur auquel il peut aspirer. Et ne m'objectez pas ici de rares exceptions, ces paroles doivent s'entendre de ce qui arrive le plus ordinairement. - REMI. Le maître et le seigneur c'est lui-même ; par le serviteur et le disciple, il veut désigner ses Apôtres. - LA GLOSE. Telle est la leçon qu'il veut faire à ses disciples : " Ne vous irritez pas de souffrir ce que je souffre, car je suis votre Maître, et je vous enseigne ce qui doit vous être utile.

REMI. Comme cette maxime ne paraissait pas se rapporter parfaitement à ce qui précède, il leur fait connaître le but qu'il s'y est proposé en ajoutant : " S'ils ont appelé Béelzébub le père de famille, à combien plus forte raison traiteront-ils ses domestiques de la même manière. "

S. CHRYS. (hom. 35.) Il ne dit pas ses serviteurs, mais ses domestiques, les gens de sa maison, pour exprimer dans quelle intimité il est avec eux, comme il le dit ailleurs : " Je ne vous appellerai plus mes serviteurs, mais mes amis. " - REMI. Il semble leur dire par ces paroles : " Ne cherchez donc ni les honneurs de la terre, ni la gloire qui vient des hommes, vous qui me voyez racheter le monde en supportant tous les outrages et tous les opprobres. - S. CHRYS. (hom. 35.) Il ne se contente pas de dire : S'ils ont outragé le Maître, mais il spécifie l'outrage : " s'ils l'ont appelé Béelzébub. " - S. JER. Béelzébub était l'idole d'Accaron, qui est appelée dans le livre des Rois l'idole de la mouche. Béel est la même chose que Bel ou Baal, et Zébub signifie mouche. Les Juifs donnaient au prince des démons le nom de l'idole la plus impure, qu'on appelait mouche, à cause de ce qu'elle a d'immonde, car la mouche en tombant dans un parfum en détruit la bonne odeur.

vv. 26-28.
REMI. A cette première consolation, le Sauveur en ajoute une autre qui n'est pas moins grande : " Ne les craignez donc pas, " c'est-à-dire les persécuteurs. Et pourquoi ne doivent-ils pas les craindre ? " Parce qu'il n'y a rien de caché qui ne doive être découvert. " - S. JER. Comment donc alors les vices d'un si grand nombre demeurent-ils cachés pendant cette vie ? Notre-Seigneur veut parler ici du temps à venir. Lorsque le Seigneur jugera ce qui est caché dans le cœur des hommes (1 CO 4, 5), il portera la lumière dans les retraites les plus ténébreuses, et découvrira les plus secrètes pensées des cœurs. Tel est donc le sens de ces paroles : " Ne craignez ni la cruauté des persécuteurs, ni la rage des blasphémateurs, car viendra le jour du jugement qui mettra en évidence votre vertu et leur malice. - S. HIL. (can. 10 sur S. Matth.) Il leur recommande donc de ne craindre ni les menaces, ni les outrages, ni la puissance des persécuteurs, parce que le jour du jugement dévoilera le néant et la faiblesse de leurs entreprises. - S. CHRYS. (hom. 35.) Ou bien encore, au premier abord, les paroles du Sauveur présentent un sens général ; toutefois, on ne doit les entendre que de ce qui précède, dans ce sens : " S'il vous est pénible d'être en butte aux outrages, pensez que vous ne tarderez pas à être délivrés de cette épreuve. Ils vous prodigueront les noms injurieux de devins, de magiciens et de séducteurs ; mais attendez un peu, et tous vous proclameront à l'envi les sauveurs de l'univers, alors que par vos oeuvres vous en paraîtrez les bienfaiteurs, et les hommes cesseront de s'arrêter à leurs discours pour ne plus s'occuper que de la vérité des faits.

REMI. Il en est qui prétendent que Notre-Seigneur promet ici à ses disciples de révéler par eux tous les mystères cachés qui demeuraient voilés sous la lettre de la loi ; ce qui faisait dire à l'Apôtre : " Lorsqu'ils seront convertis à Jésus-Christ, le voile sera levé. " Tel serait donc le sens de ces paroles : " Pourquoi craindriez-vous vos persécuteurs, vous dont la dignité est si grande, puisque Dieu vous a choisis pour dévoiler les mystères de la loi et des prophètes. S. CHRYS. (hom. 35.) Après les avoir délivrés de toute crainte, et les avoir rendus supérieurs aux opprobres, le moment est venu de leur parler de la liberté de la prédication ; c'est ce qu'il fait, en leur disant " Ce que je vous dis dans les ténèbres, " etc. S. HIL. Nous ne lisons nulle part que le Seigneur eût pour habitude de discourir pendant la nuit, et d'enseigner sa doctrine dans les ténèbres ; si donc il s'exprime ainsi, c'est que tous ses discours sont ténèbres pour les hommes charnels, et que sa parole est comme la nuit pour les infidèles. Il faut donc prêcher ses divins enseignements avec toute la liberté de la foi et de la prédication. - REMI. Voici donc le sens de ces paroles : " Ce que je vous dis dans les ténèbres, " c'est-à-dire au milieu des Juifs incrédules, " dites-le à la lumière, " c'est-à-dire devant les fidèles ; et " ce que vous entendez à l'oreille, " c'est-à-dire ce que je vous dis en secret, " prêchez-le sur les toits, " c'est-à-dire en public et devant tout le monde. L'expression parler à l'oreille, dans le langage ordinaire, veut dire parler en secret.

RAB. Ces paroles : " Prêchez sur les toits, " sont une allusion à ce qui se fait dans la Palestine, où les toits servent d'habitation, parce qu'ils ne sont point terminés en pointe comme les nôtres, mais présentent une surface plane. Prêcher sur les toits, c'est donc prêcher publiquement, devant un grand nombre d'auditeurs. - LA GLOSE. Ou bien encore : " Ce que je vous dis dans les ténèbres, " c'est-à-dire pendant que vous êtes encore sujets à une crainte toute humaine ; " dites-le en plein jour, " c'est-à-dire avec la confiance que donne la vérité lorsque l'Esprit vous aura inondé de sa lumière ; " et ce que l'on vous dit à l'oreille, " c'est-à-dire ce que vous percevez par l'ouïe seule, " prêchez-le par les oeuvres, tandis que vous habitez sur les toits, " c'est-à-dire dans vos corps qui sont la demeure de vos âmes. - S. JER. Ou bien encore : " Ce que je vous dis dans les ténèbres, prêchez-le en plein jour, " c'est-à-dire, ce que je vous dis dans le mystère, prêchez-le à découvert ; " et ce que vous entendez à l'oreille, prêchez-le sur les toits, " c'est-à-dire ce que je vous ai enseigné dans un endroit resserré de la Judée, annoncez-le sans crainte à toutes les villes du monde entier.

S. CHRYS. (hom. 35.) Le Sauveur nous montre ici que c'est lui qui opère toutes ces oeuvres par ses Apôtres, et de beaucoup plus grandes qu'il n'en a faites lui-même, comme il le dit ailleurs : " Celui qui croit en moi fera les oeuvres que je fais, et il en fera même de plus grandes, " ce qui revient à dire : J'ai commencé par agir moi-même, mais c'est par vous que je veux accomplir ce qu'il y a de plus grand, paroles qui ne renferment pas seulement un commandement, mais une prédiction de l'avenir, et apprennent aux Apôtres qu'ils triompheront de tous les obstacles.

S. HIL. Il faut donc répandre continuellement la connaissance de Dieu, et révéler par la lumière de la prédication le profond secret de la doctrine évangélique, sans craindre nullement ceux qui n'ont de puissance que sur nos corps, et n'en ont aucune sur nos âmes ; c'est pour cela que le Sauveur ajoute : " Ne craignez pas ceux qui tuent le corps et ne peuvent tuer l'âme. - S. CHRYS. (hom. 35.) Voyez comme il les rend supérieurs à tout, en leur persuadant de mépriser non-seulement toute sollicitude, les calomnies, les périls, mais encore ce qu'il y a de plus terrible, la mort elle-même, et de tout sacrifier à la crainte de Dieu. " Craignez plutôt, ajoute-t-il, celui qui peut envoyer votre corps et votre âme dans l'enfer. "

S. JER. Le nom de géhenne ne se trouve pas dans les livres de l'ancienne loi, et c'est le Sauveur qui l'a employé le premier ; examinons à quelle occasion. Nous lisons en plusieurs endroits de l'Écriture (2 Par 24 ; 3 R 16) qu'il y avait une idole de Baal près de Jérusalem, au pied du mont Moria, là où coule la fontaine de Siloë. Cette vallée, qui forme une petite plaine, était arrosée de plusieurs ruisseaux, ombragée et pleine de charmes ; elle renfermait un bois consacré à cette idole. Le peuple d'Israël en était venu à cet excès de folie d'abandonner les parvis du temple pour venir immoler des victimes dans cette vallée, oublier au milieu de ses délices la sévérité de la vraie religion, et brûler ses enfants offerts comme victimes au démon. Ce lieu s'appelait Géhennon ou la vallée des fils d'Ennon (4 R 23, 10 ; 2 Par 16, 3 ; Jos 15, 8 ; Jr 7, 31 ; 19, 2.6). Ce nom se trouve souvent répété dans les livres des Rois, dans les Paralipomènes et dans Jérémie. Dieu y menace son peuple de remplir de cadavres ce lieu, qu'on n'appellera plus Tophet et Baal, mais Polyandrium, c'est-à-dire le tombeau des morts. Notre-Seigneur se sert donc de ce nom pour exprimer les supplices et les châtiments éternels qui attendent les pécheurs. - S. AUG. (Cité de Dieu, 13, 2.) Ces supplices ne commenceront pour le corps et pour l'âme à la fois, que lorsque l'âme sera réunie au corps d'une union qui ne pourra plus être brisée. Et cependant cet état est justement appelé la mort de l'âme, parce qu'alors elle ne vivra plus de la vie de Dieu, et la mort du corps, parce que sous le coup de cette éternelle damnation, bien que l'homme conserve le sentiment, ce sentiment n'étant plus pour son cœur la source d'aucune douceur, d'aucun repos, mais un principe de douleur et de peine, cet état mérite d'être appelé bien plutôt un état de mort qu'un état de vie. - S. CHRYS. (hom. 35.) Remarquez encore qu'il ne leur promet pas de les affranchir de la mort, mais qu'il leur conseille de la mépriser, ce qui est bien plus grand que d'en être délivré, et que dans ce même discours il imprime dans leur âme la croyance de l'immortalité.

vv. 29-31.
S. CHRYS. (hom. 35.) Après avoir banni de leur âme la crainte de la mort, le Sauveur ne veut pas que ses Apôtres pussent se croire abandonnés s'ils venaient à succomber ; il ramène de nouveau son discours sur la providence de Dieu, et leur dit : " Est-ce que deux passereaux ne se vendent pas une obole ? Et cependant pas un ne tombe à terre sans la permission de votre Père. "

S. JER. Voici le sens de ces paroles : " Si de petits animaux ne périssent pas sans la permission de Dieu, si sa providence s'étend à toutes les créatures, et si celles d'entre elles qui sont sujettes à la mort ne peuvent périr sans la volonté de Dieu, vous dont la destinée est éternelle, devriez-vous craindre que la providence vous abandonne dans le cours de cette vie ?

S. HIL. Dans le sens mystique, ce qui est vendu, c'est le corps et l'âme, et celui auquel on le vend, c'est le péché. Ceux qui vendent deux passereaux pour une obole sont ceux qui étaient nés pour prendre leur essor et s'élever jusqu'au ciel sur les ailes de la grâce, et qui se vendent pour un misérable péché. Séduits par les voluptés de cette vie, et acquis par avance aux vanités du siècle, ils se prostituent tout entiers et se vendent à ce vil prix. Or, la volonté de Dieu c'est que l'une de ces deux substances s'élève par son essor au-dessus de l'autre ; mais une loi qui a également Dieu pour auteur veut que l'autre soit plus portée à tomber qu'à s'élever. De même que s'ils avaient pris leur vol ensemble, ils n'auraient fait qu'un, et que le corps serait ainsi devenu spirituel ; de même lorsqu'ils sont tous deux vendus au péché, l'âme devient terrestre et matérielle au milieu des souillures du vice, et les deux substances n'en font plus qu'une seule que les inclinations de la chair font tomber violemment à terre.

S. JER. Ces paroles : " Tous les cheveux de votre tête sont comptés, " montrent l'immense providence de Dieu à l'égard des hommes, et sont une preuve de cet amour ineffable de notre Dieu pour lequel il n'y a rien de caché. - S. HIL. L'action de compter indique le soin que l'on prend d'une chose. - S. CHRYS. (hom. 35.) Si Notre-Seigneur s'exprime de la sorte, ce n'est pas que Dieu compte littéralement nos cheveux, mais il veut nous apprendre la connaissance parfaite que Dieu a de nos besoins, et l'étendue de sa providence pour y subvenir.

S. HIL. Ceux qui nient la résurrection de la chair se moquent de l'interprétation de l'Église, comme si nous disions que les cheveux qui ont été comptés, et qui sont tombés sous les ciseaux, doivent ressusciter. Mais le Sauveur ne dit pas : " Tous vos cheveux seront conservés, mais " seront comptés. " Cette manière de parier prouve que Dieu connaît le nombre de nos cheveux, mais non pas qu'il les conservera tous. - S. AUG. (Cité de Dieu, liv. dern. chap. 19.) On pourrait aussi faire cette question : Tous les cheveux qui ont été coupés, reviendront-ils, et s'ils doivent repousser, qui n'aurait horreur de cette difformité ? Mais dès lors que l'on comprend et que l'on admet en principe que le corps ne perdra rien de ce qui peut lui donner de la grâce et de la beauté, on doit comprendre également que ce qui serait de nature à produire une hideuse difformité viendra se joindre à la masse du corps et non pas aux membres dont la forme en serait défigurée. Ainsi, qu'un vase de terre soit réduit en poussière et qu'il soit ensuite rendu à sa première forme avec la même matière, il ne serait pas nécessaire que la partie d'argile qui formait l'anse fût rendue à l'anse elle-même, ou que ce qui en formait le fond revînt au même endroit, il faudrait seulement que le tout revînt dans le tout, c'est-à-dire la totalité de la matière dans la totalité du vase, et qu'ainsi aucune partie ne fût perdue. Si donc les cheveux coupés tant de fois devaient rendre la tête difforme, ils ne lui seront pas rendus ; car grâce à la mutabilité naturelle de la matière, ils prendront la forme de la chair pour occuper n'importe quel endroit du corps, suivant que l'exigera l'harmonie des parties qui le composent. On pourrait d'ailleurs entendre cette parole : " Pas un cheveu de votre tête ne périra, " non de la longueur, mais du nombre des cheveux ; comme paraissent l'indiquer ces paroles : " Les cheveux de votre tête sont comptés. " - S. HIL. (can. 10 sur S. Matth.) En effet, il ne serait pas digne de Dieu de compter ce qui doit périr. Aussi, afin que nous sachions bien que rien de ce qui compose notre être ne doit périr, il nous assure que nos cheveux eux-mêmes ont été comptés. Nous n'avons donc à craindre aucun danger pour nos corps, et Notre Sauveur nous confirme dans cette assurance par les paroles qui suivent : " Ne craignez pas, vous valez plus que beaucoup de passereaux. " - S. JER. Ces paroles rendent plus clair le sens de ce qui précède, c'est-à-dire qu'ils ne doivent pas craindre ceux qui ne peuvent que tuer le corps ; car si les plus petits animaux ne peuvent périr sans que Dieu le sache, combien moins l'homme que Dieu a revêtu de la sublime dignité d'apôtre ? - S. HIL. Ou bien, en leur disant qu'ils valent mieux qu'un grand nombre de passereaux, Notre-Seigneur montre qu'il préfère les fidèles qu'il a élus à la multitude des infidèles, parce que ceux-ci tombent sur la terre, tandis que ceux-là prennent leur vol vers les cieux.

REMI. Dans le sens mystique, Jésus-Christ est la tête, les Apôtres sont les cheveux ; et c'est avec raison qu'il assure que ces cheveux ont été comptés, parce que les noms des saints sont écrits dans le ciel (Jr 17, 13).

vv. 32-33.
S. CHRYS. (hom. 35.) Notre-Seigneur, en bannissant la crainte qui troublait l'âme de ses disciples, leur donne une nouvelle force par les paroles qui suivent. Non-seulement il les délivre de toute crainte. mais il leur propose de plus grandes récompenses, et leur inspire ainsi le courage de prêcher hautement et librement la vérité : " Quiconque me confessera devant les hommes, je le confesserai moi-même devant mon Père qui est dans les cieux. " - S. HIL. (can. 40 sur S. Matth.) C'est la conclusion de ce qui précède, car une fois qu'on a puisé la force dans d'aussi sublimes enseignements, on doit confesser librement et avec constance le vrai Dieu. - REMI. C'est cette confession dont l'Apôtre a dit (Rm 10) : " Il faut croire de cœur pour obtenir la justice, et confesser de bouche pour obtenir le salut. " Ainsi, ne pensez pas pouvoir être sauvé sans la confession des lèvres, car Notre-Seigneur ne dit pas seulement : " Celui qui m'aura confessé, " mais il ajoute : " Devant les hommes, " et encore : " Celui qui m'aura renoncé devant les hommes, je le renoncerai moi-même devant mon Père qui est dans les cieux. " - S. HIL. Il nous apprend par là qu'il nous rendra devant son Père le même témoignage que nous lui aurons rendu devant les hommes. - S. CHRYS. (hom. 35.) Remarquons ici que le châtiment comme la récompense sont supérieurs, l'un au mal, l'autre au bien. En effet, le Sauveur semble dire : Vous n'avez rien épargné les premiers, soit pour me confesser, soit pour me renoncer. Je n'épargnerai rien moi-même, et je serai magnifique dans la peine comme dans la récompense ; car c'est moi-même qui vous reconnaîtrai ou qui vous renoncerai. Si donc vous avez fait quelque bien sans en recevoir la récompense, ne vous en troublez pas, une récompense surabondante vous attend dans l'avenir. Si, au contraire, vous vous êtes rendu coupable sans en avoir été puni, ne vous laissez pas aller à un mépris insolent, car le châtiment vous est également réservé, à moins que vous ne changiez et que vous ne deveniez meilleurs.

RAB. Nous ferons observer que les païens eux-mêmes ne peuvent nier l'existence d'un Dieu, mais qu'ils peuvent fort bien ne pas reconnaître l'existence d'un Dieu Père et Fils. Or, le Fils reconnaîtra quelqu'un devant son Père, soit en lui donnant accès auprès de lui, et en lui disant : " Venez, les bénis de mon Père. " - REMI. Et il renoncera celui qui l'aura renoncé, en lui refusant tout accès auprès de Dieu le Père, et en le rejetant de la présence de sa divinité et de celle de son Père. - S. CHRYS. (hom. 35.) Il exige non-seulement la foi intérieure de l'âme, mais encore la confession extérieure des lèvres, afin de nous inspirer une liberté plus grande pour la prédication et un amour plus fort pour lui, en nous rendant supérieurs à tout. Or, ce n'est pas seulement à ses Apôtres, mais à tous qu'il adresse cette recommandation, car il veut inspirer ce courage non-seulement à ses Apôtres, mais encore à leurs disciples. Celui qui sera fidèle à ce commandement non-seulement enseignera publiquement avec une sainte hardiesse, mais il portera facilement la persuasion dans les cœurs, car l'observation de ce précepte en a converti un grand nombre à la doctrine des Apôtres. - RAB. Ou bien on confesse Jésus par la foi, qui opère par l'amour, en accomplissant fidèlement ses commandements ; et on le renonce lorsqu'on ne craint pas de transgresser ses préceptes.

vv. 34-36.
S. JÉR. Notre-Seigneur avait dit plus haut : " Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le en plein jour ; " il apprend ici à ses Apôtres quels seront les effets de leur prédication : " Ne pensez pas que je sois venu apporter la paix. - LA GLOSE. Ou bien ces paroles sont la suite de ce qui précède, c'est-à-dire qu'ils doivent être inaccessibles aux affections charnelles comme à la crainte de la mort. - S. CHRYS. (hom. 36.) Comment donc leur a-t-il ordonné de souhaiter la paix dans chaque maison où ils entreraient ? Comment les anges eux-mêmes ont-ils pu chanter cet hymne : " Gloire à Dieu dans les hauteurs des cieux, et paix aux hommes sur là terre ? " C'est que la paix consiste surtout à retrancher ce qui est malade, à séparer ce qui est une source de division ; c'est alors seulement qu'il sera possible d'unir le ciel avec la terre. Le médecin ne coupe-t-il pas ainsi le membre qui est incurable pour sauver le reste du corps ? C'est ce qui est arrivé à la tour de Babel, où une heureuse division vint mettre fin à une paix qui était mauvaise. (Gn 11.) C'est ainsi que saint Paul divisa ceux qui s'étaient déclarés contre lui. (Ac 23.) L'accord et la paix ne sont pas toujours une bonne chose, car on les voit régner même parmi les voleurs. Or cette guerre, ce n'est pas Jésus-Christ qui la rend nécessaire, mais bien la volonté de ses ennemis. - S. JER. En effet, à peine la foi en Jésus-Christ fut-elle annoncée, que tout l'univers s'est trouvé divisé. Dans chaque maison on trouva des croyants et des infidèles, et cette division fut la cause d'une guerre heureuse qui fit cesser une paix pernicieuse dans ses résultats.
S. CHRYS. (hom. 35.) En parlant de la sorte il veut consoler ses disciples, et il semble leur dire : " Ne vous troublez pas comme si ces événements devaient vous surprendre et tromper votre attente, car je suis venu pour apporter la guerre. " Et ce n'est pas seulement " la guerre, " mais ce qui est plus effrayant, " le glaive. " Il a voulu par la dureté même de son langage exciter leur attention, les empêcher de faiblir au milieu du danger, et prévenir ce qu'on aurait pu croire et dire que sous des expressions pleines de douceur, il avait caché les plus grandes difficultés ; car il vaut mieux éprouver la douceur dans les choses que dans les paroles. Il ne s'arrête pas à cette déclaration, il explique la nature de cette guerre et fait voir qu'elle est plus terrible même que la guerre civile : " Je suis venu séparer l'homme d'avec son père, la fille d'avec sa mère, et la belle-fille d'avec sa belle-mère. " Ainsi ce n'est pas seulement entre les amis que cet état de guerre existera, c'est entre ceux qui sont unis par les affections les plus vives et par les liens les plus étroits. Une des preuves les plus évidentes de la puissance du Christ, c'est que les Apôtres écoutèrent ces dures leçons et qu'ils les firent à leur tour recevoir et mettre en pratique.

S. CHRYS. (hom. 35.) Ce n'est pas Jésus-Christ lui-même qui opérait cette séparation, mais la malice des hommes. Cependant il s'en déclare l'auteur, d'après la manière de s'exprimer de l'Écriture, par exemple dans ce passage : " Dieu leur a donné des yeux pour ne point voir. " (Is 6 ; Rm 11.) Nous avons ici une preuve du rapport intime qui existe entre l'Ancien et le Nouveau-Testament. C'est ainsi que nous voyons les Juifs se déclarer contre leurs frères et les mettre à mort lorsqu'ils eurent fabriqué le veau d'or (Ex 32,) et lorsqu'ils eurent immolé des victimes à Beelphegor. (Nb 25.) Or pour montrer que c'est toujours le même Dieu qui sous la loi nouvelle comme sous la loi ancienne a pour agréables ces mêmes sentiments, Notre-Seigneur cite un passage de la prophétie de Michée : " L'homme aura pour ennemis ceux de sa propre maison. (Mi 7.) La société juive présentait un spectacle semblable, il y avait de vrais et de faux prophètes, et le peuple était divisé, et les familles étaient partagées ; les uns croyaient aux premiers, les autres suivaient les seconds. - S. JER. Ce passage se trouve presque mot pour mot dans le prophète Michée. Il faut observer du reste que toutes les fois que le Sauveur emprunte un témoignage à l'Ancien Testament, il importe peu s'il donne seulement le sens de ce passage, ou s'il rapporte textuellement les paroles.

S. HIL. (can. 10 sur S. Matth.) Dans le sens mystique, le glaive, qui est l'arme la plus aiguisée, est l'emblème de la souveraineté et du pouvoir judiciaire, de la sévérité et du droit de punir les coupables. Rappelons-nous donc que ce glaive figure la parole de Dieu ; il a été apporté sur la terre, c'est-à-dire que la prédication l'a fait pénétrer dans le cœur des hommes. Ce glaive a donc divisé entre eux les cinq habitants d'une même maison, trois contre deux et deux contre trois. Ces trois habitants nous les trouvons dans l'homme : c'est son corps, son âme et sa volonté. Car de même que l'âme a été unie et donnée au corps, ainsi le pouvoir d'user de l'un et de l'autre à son gré à été donné à l'homme, et c'est pour cela que Dieu a imposé des lois à la volonté, comme nous le voyons dans ceux qui sont sortis les premiers de sa main. Mais par suite du péché et de la désobéissance de notre premier père, le péché devint pour les générations suivantes le père de notre corps, l'infidélité la mère de notre âme, et la volonté adhère à l'un et à l'autre ; c'est ainsi que l'on trouve cinq habitants dans la même maison. Mais lorsque nous sommes renouvelés dans les eaux du baptême, la puissance de la parole nous sépare des péchés de notre origine, et ces retranchements qu'opère le glaive de Dieu rompent tous les liens d'affection qui nous attachaient à notre père et à notre mère. C'est ainsi qu'on voit éclater dans une même maison de sérieuses divisions ; l'homme régénéré trouve des ennemis dans ce qu'il y a de plus intime en lui, car il met toute sa joie dans la sainte nouveauté de son esprit, tandis que les restes de son ancienne origine veulent conserver ce qui faisait l'objet de leur bonheur. - S. AUG. (Quest. évang. sur S. Matth., quest. 3.) Ou bien dans un autre sens : " Je suis venu séparer l'homme d'avec son père parce qu'il renonce au démon dont il était le fils, et " la fille d'avec sa mère, " c'est-à-dire le peuple de Dieu d'avec la cité du monde, qui n'est autre que la société corrompue du genre humain, représentée dans l'Écriture tantôt par Babylone, tantôt par Sodome, tantôt par l'Égypte et sous plusieurs autres dénominations. (Ap 11, 8 ; 14, 8) " La belle-fille d'avec sa belle-mère, " c'est l'Église opposée à la synagogue qui a enfanté selon la chair le Christ, époux de l'Église. Tous sont divisés par le glaive de l'Esprit, qui est le Verbe de Dieu, " et les ennemis de l'homme sont ceux de sa maison avec lesquels il était lié par une intimité des plus étroites. - RAB. On est incapable de respecter aucun droit lorsqu'on est divisé sur le point de la foi. - LA GLOSE. On peut encore interpréter ces paroles dans ce sens : Je ne suis pas venu parmi les hommes pour donner une nouvelle force aux affections de la chair, mais pour séparer par un glaive tout spirituel ceux qu'elles retiennent étroitement unis ; c'est pour cela qu'il ajoute : " Et l'homme aura pour ennemi ceux de sa propre maison. " - S. GREG. (Moral. 3, 5.) Lorsque l'ennemi du salut, plein de ruse et de finesse, se voit chassé des cœurs vertueux, il s'adresse à ceux pour lesquels ils ont une vive affection, et leur met sur les lèvres un langage d'autant plus insinuant qu'ils sont aimés plus tendrement, et c'est ainsi qu'en même temps que la force de l'amitié pénètre au plus intime du cœur, le glaive de la persuasion franchit les retranchements de la droiture intérieure.

vv. 37-39.
S. JÉR. Après avoir dit : " Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive, et séparer l'homme d'avec son père, d'avec sa mère, d'avec sa belle-mère, " Notre-Seigneur, ne voulant pas que les sentiments naturels l'emportent jamais sur la religion, ajoute : " Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de moi. " Nous lisons dans le Cantique des Cantiques : " Il a réglé en moi la charité. " (Ct 2.) Dans toute affection nous devons conserver cet ordre. Aimez après Dieu votre père et votre mère, aimez après lui vos enfants. Mais si la nécessité vous force de mettre en présence l'amour de vos parents et de vos enfants, et que vous ne puissiez satisfaire en même temps à l'un et à l'autre, rappelez-vous qu'alors la haine pour les siens devient un véritable amour de Dieu. Il ne défend donc pas d'aimer son père ou sa mère, mais il ajoute d'une manière expressive : " plus que moi. " - S. HIL. (can. 10 sur S. Matth.) Ceux en effet qui donneront la préférence à ces affections sur l'amour de Dieu se rendront indignes de l'héritage des biens futurs.
S. CHRYS. (hom. 36.) Ne soyez pas étonné si d'ailleurs, saint Paul fait un commandement exprès d'obéir en tout à ses parents : il ne veut parler que de l'obéissance dans les choses qui ne sont pas contraires à la religion ; et c'est en effet un devoir sacré que de rendre alors à nos parents toute sorte d'honneur ; mais s'ils exigent au delà de ce qui leur est dû, il faut s'y refuser. Cette doctrine est conforme à l'Ancien Testament, où Dieu ordonne non-seulement de haïr, mais même de lapider ceux qui adoraient les idoles. (Lv 20.) Nous lisons encore dans le Deutéronome : " Celui qui dira à son père et à sa mère : Je ne vous connais pas, et à ses frères : Je vous ignore, ceux-là auront gardé votre parole. " - LA GLOSE. On voit souvent les parents aimer leurs enfants plus qu'ils n'en sont aimés ; aussi Notre-Seigneur va-t-il par degrés, et après avoir enseigné que son amour doit passer avant l'amour des parents, il enseigne naturellement qu'il doit aussi l'emporter sur l'amour des enfants, en ajoutant : " Et celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n'est pas digne de moi. " - RAB. Ce qui signifie qu'on est indigne de toute union avec Dieu quand on préfère les affections de la chair et du sang à l'amour spirituel qu'on doit avoir pour Dieu.

S. CHRYS. (hom. 36.) Ces paroles pouvaient blesser ceux dont l'amour se trouve ainsi sacrifié à l'amour de Dieu ; Notre-Seigneur, pour leur faire supporter patiemment ce sacrifice, tient un langage plus élevé. En effet, rien n'est plus intime à l'homme que son âme, et cependant si vous ne haïssez votre âme, les plus grands maux vous attendent. Et il ne vous ordonne pas seulement de haïr votre âme, mais encore de la livrer à la mort et aux supplices les plus sanglants. Ainsi nous enseigne-t-il qu'il ne suffit pas d'être prêt à subir une mort quelconque, mais qu'il faut être disposé à souffrir la mort la plus violente, la plus ignominieuse, c'est-à-dire la mort de la croix, et c'est pour cela qu'il ajoute : " Et celui qui ne prend pas sa croix. " Il ne leur a pas encore parlé de sa passion, mais de temps en temps il les prépare à recevoir ce qu'il doit plus tard leur en dire. - S. HIL. (can. 10 sur S. Matth.) Ou bien encore, ceux qui appartiennent à Jésus-Christ ont crucifié leur corps avec ses vices et ses convoitises (Ga 5), et on est indigne de Jésus-Christ quand on ne marche pas à sa suite en prenant sa croix (par laquelle nous souffrons avec lui, nous mourons avec lui, nous sommes ensevelis avec lui, nous ressuscitons avec lui), pour vivre par ce mystère de la foi dans une sainte nouveauté d'esprit. - S. GREG. (hom. 35.) Le mot croix vient d'un mot latin (cruciatus) qui signifie tourment ; or nous portons la croix du Seigneur de deux manières, ou bien en mortifiant notre corps par la privation, ou par un sentiment de compassion qui nous fait regarder comme nôtres les misères du prochain. Mais il en est quelques-uns qui font profession de mortifier leur chair, non pour plaire à Dieu, mais par un sentiment de vaine gloire ; et d'autres qui témoignent à leur prochain une compassion qui n'a rien de spirituel, mais qui est toute charnelle, et qui, loin de les porter à la vertu, favorise par ce sentiment de fausse pitié leur penchant au vice. Ils semblent porter leurs croix, mais ils ne suivent pas le Seigneur, et c'est pour cela qu'il ajoute : " Et qui me suit. "
S. CHRYS. (hom. 36.) Les commandements qu'il fait ici pouvaient paraître accablants ; il en fait donc ressortir les avantages immenses : " Celui qui conserve sa vie le perdra ; et celui qui aura perdu sa vie pour l'amour de moi, la retrouvera. " Comme s'il disait : " Non-seulement ces sacrifices que je vous impose ne vous causeront aucun tort, mais vous en recueillerez les fruits les plus précieux, tandis qu'une conduite opposée vous serait infiniment nuisible. Ici comme partout, le Sauveur prend ses inductions dans ce que les hommes désirent le plus. Pourquoi refusez-vous de faire peu de cas de votre vie ? semble-t-il leur dire. Parce que vous l'aimez. Mais c'est justement pour cela que vous devez la sacrifier, si vous voulez lui procurer les plus grands avantages. - S. REMI. L'âme ne signifie pas ici la substance même de l'âme, mais la vie présente, et tel est le sens de ces paroles : " Celui qui cherche son âme en cette vie, c'est-à-dire celui qui désire cette vie avec ses attachements et ses plaisirs, et qui cherche à la trouver toujours, parce qu'il veut la conserver toujours, la perdra, c'est-à-dire qu'il prépare son âme à la damnation éternelle. - RAB. Ou bien encore, celui qui cherche à sauver son âme pour l'éternité, n'hésitera pas à la perdre, c'est-à-dire à s'exposer à la mort. Ce qui suit est également favorable à l'un et à l'autre sens. " Et celui qui aura perdu sa vie pour moi la trouvera. " - REMI. C'est-à-dire, celui qui au temps de la persécution s'exposera, pour confesser mon nom, à perdre cette vie mortelle, ses affections et ses plaisirs, trouvera le salut éternel de son âme.
S. HIL. C'est ainsi qu'on perd sa vie en voulant la sauver, et qu'on la sauve en consentant à la perdre, car le sacrifice d'une vie qui passe si rapidement nous met en possession d'une vie qui ne finira jamais.

vv. 40-42.
S. JÉR. Notre-Seigneur, en envoyant ses disciples prêcher 1'Évangile, leur apprend à ne craindre aucun danger, et à sacrifier toutes leurs affections aux devoirs de sa religion. Déjà, il s'en est déclaré, il ne veut pas d'or, il ne veut pas d'argent dans leurs bourses : c'est une condition bien dure que celle des Évangélistes. Mais comment pourvoir aux dépenses nécessaires, à la nourriture, aux choses nécessaires à la vie ? Notre-Seigneur adoucit donc la sévérité de ses préceptes par l'espérance des promesses. " Celui qui vous reçoit, leur dit-il, me reçoit. " Ainsi chaque fidèle doit être persuadé qu'il a reçu Jésus-Christ en recevant ses Apôtres. - S. CHRYS. (hom. 36.) Ce qui précède suffisait pour produire cette persuasion dans ceux qui devaient recevoir les Apôtres. Car en voyant ces hommes héroïques qui méprisaient tout ce qui les concernait pour sauver leurs frères, qui ne les aurait accueillis avec le plus vif empressement ? Plus haut, Notre-Seigneur a menacé de punir ceux qui ne les recevraient point ; ici il promet de récompenser ceux qui les recevront. Et d'abord il leur promet cet honneur insigne de recevoir dans la personne des Apôtres Jésus-Christ et même son Père. " Et celui qui me reçoit, reçoit celui qui m'a envoyé. " Que peut-on comparer à cet honneur de recevoir Dieu le Père et le Fils ? - S. HIL. (can. 10 sur S. Matth.) Ces paroles nous apprennent en même temps son office de médiateur, car après que nous l'avons reçu, lui qui est sorti de Dieu, il nous fait entrer en communication avec Dieu lui-même, et d'après cet ordre que suit la grâce, recevoir les Apôtres, c'est recevoir Dieu, parce que le Christ est en eux, et que Dieu est dans le Christ.

S. CHRYS. (hom. 36.) A cette récompense qu'il promet il en ajoute une autre : " Celui qui reçoit un prophète au nom du prophète, recevra la récompense du prophète, et celui qui reçoit le juste, " etc. Il ne dit pas simplement : Celui qui reçoit un prophète, ou celui qui reçoit un juste, mais : Celui qui reçoit un prophète, un juste, au nom du prophète, au nom du juste, c'est-à-dire parce qu'il est prophète, parce qu'il est juste, et non pas à cause de la dignité dont il peut-être revêtu en ce monde, ou en vue de quelque autre avantage temporel. Ou bien dans un autre sens, comme il avait recommandé aux disciples de recevoir les maîtres qui les enseignent, les fidèles pouvaient lui faire secrètement cette réponse : Nous devons donc recevoir tes faux prophètes et Judas le traître ? Le Seigneur prend donc soin de leur rappeler qu'ils ne doivent pas considérer les personnes, mais les noms qu'elles portent, et qu'on ne perdra pas sa récompense parce que celui qu'on aurait reçu en serait indigne. - S. CHRYS. (hom. 30.) Notre-Seigneur dit : " Il recevra la récompense du prophète et la récompense du juste, " c'est-à-dire la récompense qui convient à celui qui reçoit le prophète ou le juste, ou celle que le prophète et le juste devront recevoir eux-mêmes. - S. GREG. (homél. 20 sur les Evang.) Il ne dit pas : C'est des mains du juste ou du prophète qu'ils recevront la récompense, mais : " la récompense du prophète et du juste ; " peut-être celui qu'ils reçoivent est-il juste, et plus il est dépouillé de tout en ce monde, plus grande aussi sera sa fermeté à défendre les intérêts de la justice. Or celui qui possède les biens de la terre et qui pourvoit aux besoins du prophète et du juste, participera au mérite de son indépendance, et partagera la récompense de justice de celui qu'il a secouru et nourri sur la terre. Cet apôtre est plein de l'esprit de prophétie, mais son corps a besoin d'aliments, et si ses forces ne sont pas réparées, il est certain que la voix lui fera défaut. Or celui qui pourvoit à la nourriture du prophète, lui donne la force de parler : il recevra donc avec le prophète la récompense du prophète, parce qu'il a subvenu à ses besoins dans l'intention de plaire à Dieu.
S. JER. Dans le sens mystique, celui qui reçoit le prophète comme prophète, et qui comprend ce qu'il lui enseigne des choses futures, partagera sa récompense. Les Juifs donc, qui ne comprenaient les prophètes que dans un sens charnel, ne recevront pas la récompense des prophètes. - REMI. Dans ce prophète et dans ce juste, quelques-uns veulent voir Notre-Seigneur Jésus-Christ, de qui Moïse a dit : " Dieu vous suscitera un prophète, " etc. (Dt 18), et qui est juste aussi d'une manière incomparable. Celui donc qui recevra le prophète et le juste au nom du prophète et du juste, recevra la récompense des mains de celui pour l'amour duquel il a fait cette action.

S. JER. Mais on pouvait lui alléguer cette excuse : Ma pauvreté me défend de donner l'hospitalité ; il la détruit en nous proposant la chose la moins coûteuse qui soit au monde, c'est-à-dire de donner de tout cœur un verre d'eau froide. " Et celui qui donnera à l'un de ces plus petits, un verre d'eau froide, etc. " Il dit un verre d'eau froide, et non d'eau chaude, de peur que s'il s'agissait d'eau chaude, on ne prétextât encore sa pauvreté et l'impossibilité de se procurer du bois pour la faire chauffer. REMI. Il ajoute : " Au plus petit, " c'est-à-dire non pas seulement aux justes ou aux prophètes, mais à l'un des plus petits et des plus misérables. - LA GLOSE. Remarquez ici comme Dieu regarde beaucoup plus à la disposition du cœur qu'à la valeur de la chose que l'on donne. Ou bien les plus petits sont ceux qui ne possèdent rien absolument en cette vie, et qui jugeront un jour le monde avec Jésus-Christ. - S. HIL. (can. 40 sur S. Matth.) Ou bien il prévoyait qu'il y en aurait plusieurs dont toute la gloire consisterait dans le nom d'apôtre qu'ils déshonoreraient par tout le reste de leur vie ; il ne veut donc pas priver de récompense l'honneur qui leur est rendu au nom de la religion, car bien qu'ils soient les plus petits de tous, c'est-à-dire les derniers des pécheurs, les services qu'on leur rend, même les plus légers, et qui sont exprimés par ce verre d'eau froide, ne seront pas perdus, car ce n'est pas aux péchés de l'homme, mais à son titre d'apôtre qu'est rendu cet honneur.