ÉVANGILE DE SAINT MATHIEU PAR SAINT THOMAS D'AQUIN

CATANA AUREA DE SAINT THOMAS D'AQUIN SUR SAINT MATTHIEU

CHAPITRE XIV

vv. 1-5.
LA GLOSE. L'Évangéliste, après nous avoir raconté l'interprétation calomnieuse que les pharisiens donnaient des miracles de Jésus-Christ et comment ses concitoyens, tout en les admirant, n'avaient cependant que du mépris pour lui, rapporte l'opinion qu'Hérode avait conçue du Christ au récit des prodiges qu'il opérait : " En ce temps-là, Hérode apprit, " etc. - S. CHRYS. (hom. 49.) Ce n'est pas sans raison que l'Évangéliste désigne ici le temps d'une manière précise ; il veut vous apprendre tout à la fois l'orgueil du tyran et son indifférence. En effet, ce n'est point tout d'abord et un des premiers, mais beaucoup plus tard, qu'il apprend les prodiges opérés par le Christ ; c'est ainsi que la plupart des puissants du monde, séduits par le faste qui les environne, négligent de s'instruire des vérités du salut, parce qu'ils n'y attachent pas grande importance.

S. AUG. (de l'accord des Evang., 2, 43.) Saint Matthieu dit : " En ce temps-là, " et non pas : " Dans ce jour-là, " ou " A cette heure " ; c'est qu'en effet saint Marc, qui raconte le même fait de la même manière (Mc 6), ne suit pas le même ordre. Il le place après que Notre-Seigneur a envoyé ses disciples prêcher l'Évangile et sans faire supposer qu'il y ait une liaison rigoureuses entre ces deux faits. Saint Luc (Lc 9) suit le même ordre que saint Marc, mais sans nous forcer d'admettre que c'est l'ordre dans lequel les faits se sont passés.
S. CHRYS. (hom. 49.) Voyez quelle est la puissance de la vertu : Hérode redoute Jean-Baptiste, bien qu'il soit mort, et s'entretient de sa résurrection : " Et il dit à ses courtisans : C'est Jean-Baptiste. " - RAB. Nous pouvons juger ici combien grande était la jalousie des Juifs. Hérode, qui n'est qu'un étranger, déclare que Jean-Baptiste est peut-être ressuscité d'entre les morts, et cela sans que personne le lui ait attesté, et les Juifs ont mieux aimé croire que le Christ, dont les prophètes avaient annoncé la résurrection, avait été enlevé frauduleusement de son tombeau, plutôt que d'admettre sa résurrection, preuve que les Gentils étaient bien mieux disposés à embrasser la foi que les Juifs. - S. JER. Un interprète ecclésiastique demande ici comment Hérode a pu soupçonner que Jean était ressuscité d'entre les morts. Ce n'est point à nous de rendre raison d'une erreur qui nous est étrangère, et l'hérésie de la métempsycose ne peut s'appuyer sur ce passage pour soutenir qu'après bien des années révolues les âmes viennent animer des corps différents, puisque Notre-Seigneur avait trente ans lorsque Jean fut décapité.

RAB. Tous ceux qui croient à la résurrection des morts ont admis en même temps avec raison que les saints jouiront alors d'une puissance plus grande que celle qu'ils avaient lorsqu'ils étaient appesantis par l'infirmité de la chair. C'est pour cela qu'Hérode dit : " Et il se fait des miracles par lui. " - S. AUG. (de l'accord des Evang.) Dans saint Luc, au contraire, nous lisons : " Et Hérode dit : J'ai fait mourir Jean ; quel est donc celui-ci dont j'apprends de telles choses ? " Puisque saint Luc nous représente Hérode étant encore dans le doute, il faut admettre que ce doute fit place à la conviction dans son esprit sur ce qu'on lui avait rapporté, lorsqu'il dit à ses courtisans, d'après saint Matthieu : " Celui-ci est Jean-Baptiste ; " ou bien il faut voir dans ces paroles l'expression d'un esprit qui doute encore, car elles sont susceptibles de ces deux sens et peuvent signifier ou bien qu'Hérode était convaincu par le rapport des autres, ou qu'il doutait encore, comme saint Luc paraît l'indiquer. - REMI. Peut-être nous demandera-t-on ici pourquoi saint Matthieu s'exprime de la sorte : " En ce temps-là Hérode apprit, " etc., tandis qu'il raconte bien auparavant que ce n'est qu'après la mort d'Hérode que le Sauveur revint d'Egypte, Cette difficulté n'existe plus dès qu'on admet qu'il y eut deux Hérodes. Le premier Hérode étant mort, eut pour successeur Archélaüs, son fils, qui dix ans après fut exilé à Vienne, dans les Gaules. César-Auguste divisa alors ce royaume en quatre principautés ou tétrarchies, et en donna trois parties aux enfants d'Hérode. Cet Hérode qui fit décapiter Jean-Baptiste est donc le fils du grand Hérode sous le règne duquel naquit Notre-Seigneur, et c'est pour bien marquer cette différence que l'Évangéliste lui donne le nom de tétrarque.
LA GLOSE. L'Évangéliste ayant rapporté ce que pensait Hérode de la résurrection de Jean, sans rien dire de sa mort, revient sur ses pas pour raconter la manière dont mourut le saint précurseur. - S. CHRYS. (hom. 49.) Il n'a point donné à ce récit une très grande importance, car tout son dessein était de nous transmettre ce qui avait rapport à Jésus-Christ et rien autre chose, si ce n'est ce qui pouvait concourir au même but. Il le commence donc en ces termes : " Hérode ayant fait arrêter Jean, l'avait fait charger de chaînes. " - S. AUG. (de l'accord des Evang., 2, 44.) Saint Luc ne rapporte pas ce fait dans le même ordre, mais il le joint au récit qu'il fait du baptême de Notre-Seigneur. C'est donc la narration anticipée d'un événement qui n'arriva que longtemps après, puisqu'il le place immédiatement après les paroles de Jean-Baptiste qui nous montrent le Seigneur le van à la main. Or, d'après l'Évangéliste saint Jean, cet événement n'arriva pas aussitôt le baptême de Jésus, puisqu'il nous raconte qu'aussitôt son baptême, Jésus alla dans la Galilée, puis revint dans la Judée, y baptisa sur les bords du Jourdain, et tout cela avant que Jean fût mis en prison. Ni saint Matthieu, ni saint Marc n'ont raconté dans cet ordre la captivité de Jean-Baptiste, comme le prouvent leurs écrits, car ils rapportent que lorsque le saint précurseur fut arrêté, le Seigneur se trouvait dans la Galilée, et après avoir raconté les nombreux miracles qu'il y opéra, à l'occasion de la renommée du Christ qui parvint jusqu'aux oreilles d'Hérode, ils racontent tout ce qui a rapport à la prison et à la mort de Jean-Baptiste : Quant à la cause pour laquelle il fut jeté en prison, saint Matthieu nous la fait connaître, par ce qu'il ajoute : " A cause d'Hérodiade, épouse de son frère ; car Jean lui disait : Il ne vous est pas permis d'avoir cette femme. "
S. JER. Une ancienne histoire nous apprend que Philippe, fils du premier Hérode, et frère de celui-ci, épousa Hérodiade, fille d'Aretas, roi d'Arabie. Plus tard son beau-père, par suite de certains débats qu'il eut avec son gendre, reprit sa fille, et pour punir son premier mari la donna pour femme à Hérode, ennemi de Philippe. Or, Jean-Baptiste qui était venu dans l'esprit et la vertu d'Elie, reprit Hérode et Hérodiade de cette union criminelle avec la même autorité dont Elie avait fait preuve à l'égard d'Achab et de Jézabel (3 R 21, 14. 15. 16. 19). Il lui déclara que du vivant de son frère, il ne pouvait épouser sa femme ; et il aima mieux encourir la haine implacable du roi que de sacrifier par une basse flatterie les commandements de Dieu. - S. CHRYS. (hom. 49.) Cependant ce n'est pas à cette femme qu'il s'adresse, mais à celui qui l'a épousée, parce qu'il était le chef et le maître ; d'ailleurs il professait probablement la loi judaïque, et c'est au nom de cette loi que Jean lui défend l'adultère.
" Et il voulait le faire mourir, mais il craignait le peuple. " - S. JER. Il craignait que la réputation de Jean qui avait baptisé un grand nombre de juifs n'excitât une sédition populaire ; mais il était esclave de sa passion pour cette femme, et cette passion lui faisait perdre de vue les préceptes de la loi divine. - LA GLOSE. La crainte de Dieu réforme la volonté coupable ; la crainte des hommes l'arrête pour un instant, mais ne la change pas ; elle rend plus ardents pour le crime ceux dont elle a enchaîné quelque temps les violents désirs.

vv. 6-12.
La GLOSE. Après avoir raconté l'emprisonnement de Jean-Baptiste, l'Évangéliste nous fait le récit de sa mort : " Or, le jour de la naissance d'Hérode, " etc. - S. JER. Nous ne voyons dans 1'Écriture que Pharaon et Hérode qui aient célébré l'anniversaire de leur naissance ; il était juste qu'ils fussent unis pour la célébration de cette fête comme ils l'étaient par leur impiété.
REMI. Il faut se rappeler que non-seulement les femmes riches, mais encore les plus pauvres ont coutume d'élever leurs filles dans de si grands sentiments de pudeur, qu'elles demeurent presque invisibles pour les étrangers. Mais cette femme impudique apprit à sa fille à braver toute pudeur, et loin de lui donner des leçons de modestie, lui enseigna des danses lascives. Hérode ne fut pas moins coupable d'avoir oublié que sa maison était une maison royale et d'avoir permis à cette femme d'en faire une salle de spectacle. " Et elle plut à Hérode, " etc.
S. JER. Je ne puis excuser Hérode, d'avoir commis cet homicide malgré lui et contre sa volonté, et par respect pour son serment ; car peut-être ne l'avait-il fait que pour préparer les voies à ce meurtre affreux. Mais puisqu'il veut se justifier en alléguant son serment, l'aurait-il exécuté si on lui eût demandé la mort de son père ou de sa mère ? Il n'aurait fait aucun cas de ce serment s'il se fût agi de personnes qui le touchassent de si près ; ne devait-il pas le respecter davantage quand on lui demandait la tête d'un prophète ? - ISID. Lorsque vos promesses sont mauvaises, gardez-vous de les mettre à exécution ; la promesse qui ne peut s'accomplir que par un crime est une impiété, et on ne doit pas observer un serment par lequel on s'est imprudemment engagé à commettre le mal.

" Celle-ci ayant été instruite auparavant par sa mère dit : Donnez-moi présentement dans un bassin la tête de Jean-Baptiste. " - S. JER. Hérodiade, craignant qu'Hérode ne vint à se repentir ou ne se réconciliât avec son frère Philippe, et que les liens criminels qui l'unissaient à Hérode ne fussent rompus par une répudiation, commande à sa fille de demander immédiatement et au milieu du repas la tête de Jean. Le sang était le digne prix des pas d'une infâme danseuse.
S. CHRYS. (hom. 49). Cette fille est doublement coupable, par sa danse lascive, et pour avoir séduit Hérode à ce point qu'elle pût demander un meurtre pour récompense. Voyez quelle cruauté dans cette danseuse impudique, et quelle faiblesse dans Hérode : il se lie par un serment, et il la rend maîtresse de la demande qu'elle voudra lui faire. Lorsqu'il vit le crime qui allait résulter de cette demande, il s'attriste, dit l'Évangéliste : " Et le roi fut contristé. " Car la vertu force les méchants eux-mêmes à lui payer le tribut de leur admiration et de leurs louanges. - S. hért. Ou bien dans un autre sens, c'est la coutume des Écritures que l'écrivain sacré rapporte comme la vérité l'opinion la plus commune parmi les contemporains. Ainsi, de même que Marie elle-même appelle Joseph le père de Jésus (Lc 2, 48), ainsi l'Évangéliste nous dit qu'Hérode fut contristé, parce que telle fut l'opinion des convives. Car ce fourbe, habile à dissimuler les sentiments de son âme, cet artisan d'homicide affectait un air triste pendant que son cœur était dans la joie. " A cause du serment, " etc. Il fait servir son serment d'excuse à son crime et devient impie en se couvrant du manteau de la religion. L'Évangéliste ajoute : " Et à cause de ceux qui étaient à table avec lui. " C'est-à-dire qu'Hérode veut les rendre tous complices de son crime, et, dans un festin où préside l'impureté, leur servir des mets ensanglantés.

S. CHRYS. (hom. 49.) Mais s'il craignait d'avoir des témoins de son parjure, ne devait-il pas craindre beaucoup plus d'avoir tant de témoins de ce meurtre impie ? - REMI. C'est ainsi qu'un premier crime l'a entraîné dans un crime plus grand encore, il n'a point étouffé un désir impudique, il est tombé dans la débauche, et pour n'avoir pas mis de frein à sa passion voluptueuse, il s'est précipité dans le crime affreux de l'homicide. " Et il envoya couper la tête à Jean, " etc. - S. JER. Nous lisons dans l'histoire romaine que Flaminius, général romain, ayant près de lui, dans un festin, une courtisane qui lui disait qu'elle n'avait jamais vu d'homme décapité, commanda qu'un criminel condamné à mort fût exécuté sous ses yeux, au milieu même du banquet. Les censeurs le chassèrent du sénat pour avoir osé associer l'horreur du sang répandu aux joies d'un festin, et donné comme un spectacle agréable la mort d'un homme, bien que coupable, joignant ainsi le libertinage à l'homicide. Mais combien plus grand fut le crime d'Hérode, d'Hérodiade et de cette jeune fille qui, comme prix d'une danse lascive, demande la tête d'un prophète, pour avoir en sa puissance cette langue qui avait condamné un commerce criminel.
" Et la tête de Jean fut donnée à cette fille " - S. GREG. (Moral. 3, 5). Ce n'est pas sans un étonnement profond que je considère cet homme, rempli de l'esprit de prophétie dès le sein de sa mère (Lc 1), et qui n'en eut point de plus grand que lui parmi ceux qui sont nés des femmes, jeté en prison par les méchants, décapité pour récompenser la danse lascive d'une jeune fille, et mourant, lui d'une sainteté si éminente, pour l'amusement de gens infâmes ! Pourrions-nous penser, en effet, que cette mort ignominieuse a été la peine de quelques fautes de sa vie ? Non, Dieu n'abaisse et n'humilie ainsi ses élus sur la terre, que parce qu'il sait comment il les récompensera dans les cieux ; concluons de là ce que souffriront un jour ceux qu'il réprouve, s'il tourmente ainsi ceux qu'il aime. - S. GREG. (Moral. 29, 16). Jean-Baptiste n'a pas été mis à mort pour avoir confessé le nom du Christ, mais comme victime de la vérité et de la justice. Or, comme le Christ est la vérité, c'est pour le Christ qu'il a combattu jusqu'à la mort.
" Ses disciples vinrent ensuite, " etc. - S. JER. Nous pouvons entendre ici les disciples de Jean aussi bien que ceux du Sauveur. - RAB. Josèphe raconte que Jean fut amené chargé de chaînes au château de Machéronte, et que ce fut là qu'il fut décapité. L'histoire nous apprend d'ailleurs qu'il fut enseveli dans Sébaste, ville de Palestine, appelée autrefois Samarie.
S. CHRYS. (hom. 50.) Remarquez comment les disciples de Jean sont entrés dans une plus grande intimité avec Jésus ; ce sont eux qui viennent le trouver pour lui annoncer la mort du saint précurseur : " Et ils vinrent l'annoncer à Jésus. " Ils abandonnent tous les autres pour se réfugier auprès de Jésus-Christ, après avoir été amenés à lui peu à peu, et par la réponse qu'il leur avait faite, et par le malheur qu'ils venaient d'éprouver.

S. HIL. (can. 12.) Dans le sens mystique, Jean est la figure de la loi, parce que c'est la loi qui a prédit le Christ, et c'est en prenant son point de départ dans la loi qu'il annonçait lui-même le Christ. Hérode est le roi du peuple, et en cette qualité, il représente seul la personne et la cause de tout le peuple qui lui est soumis. Jean-Baptiste rappelait à Hérode qu'il lui était défendu d'épouser la femme de son frère ; car le peuple de la circoncision et les Gentils forment deux peuples distincts. Ces peuples sont frères et descendent de la souche commune du genre humain. Mais la loi défendait au peuple d'Israël de se mêler aux oeuvres des Gentils et d'imiter leur incrédulité, qui leur était étroitement unie comme par les liens intimes du mariage. Or, le jour de sa naissance, c'est-à-dire au milieu des joies profanes de la terre, la fille d'Hérodiade dansa ; car la volupté qui est comme la fille de l'infidélité, se mêlait à toutes les joies d'Israël avec tous les mouvements désordonnés de ses charmes séducteurs, et le peuple lui était vendu comme par un serment. En effet, les Israélites vendirent honteusement les biens ineffables de la vie éternelle en se livrant aux péchés et aux voluptés du siècle. Cette volupté, sous l'inspiration de sa mère, c'est-à-dire de l'incrédulité, a demandé qu'on lui apportât la tête de Jean-Baptiste, c'est-à-dire la gloire de la loi ; mais le peuple, convaincu du bien que renfermait la loi, ne consent pas aux exigences de la volupté sans ressentir une vive douleur du danger auquel il s'expose ; il sait qu'il n'aurait pas dû sacrifier la gloire des commandements qui lui ont été donnés, mais enchaîné par ses péchés comme par un serment, dépravé et vaincu par la crainte et par l'exemple des princes qui l'entourent, il obéit avec tristesse aux séductions de la volupté. La tête de Jean est donc apportée dans un plat à la fin des joies dissolues de ce peuple impudique. C'est toujours au détriment de la loi qu'on voit se développer et s'accroître la volupté des sens et le luxe des mondains. Cette tête passe des mains de la mère dans celles de la fille ; c'est ainsi que le peuple d'Israël, par un trait de honteuse lâcheté, livre la gloire de la loi à la débauche et à l'incrédulité. Les temps que devait durer la loi étant expirés et ensevelis avec Jean-Baptiste, ses disciples viennent annoncer au Sauveur ce qui vient d'avoir lieu, et passent ainsi de la loi à l'Évangile.

S. JER. Ou bien encore, nous voyons jusqu'à ce jour dans cette tête de Jean-Baptiste, qui était prophète, les Juifs qui ont perdu Jésus-Christ, la tête et le chef des prophètes. - RAB. C'est parmi eux que le prophète a perdu la langue et la voix. - REMI. Ou bien la décollation de Jean-Baptiste signifie la diminution, l'amoindrissement que subit sa réputation dans l'opinion des Juifs, qui s'étaient imaginés qu'il était le Christ (Lc 3, 15) ; de même que l'élévation du Seigneur sur la croix représente le progrès de la foi, et c'est dans ce sens que Jean avait dit (Jn 1) : " Il faut qu'il croisse, et moi que je diminue. "

vv. 13-14.
LA GLOSE. Le Sauveur ayant appris la mort de celui qui l'avait baptisé, se retira dans la solitude : " Jésus l'ayant appris, il monta dans une barque et se retira dans un lieu désert. " S. AUG. (de l'accord des Evang., 2, 45.) L'Évangéliste place cette retraite du Sauveur immédiatement après le martyre de Jean-Baptiste : donc ce n'est qu'après la mort du précurseur qu'est arrivé ce fait qu'il a raconté d'abord : " Hérode, troublé de ce qu'on lui apprenait de Jésus, dit : C'est Jean-Baptiste ! " On doit donc regarder comme arrivés postérieurement les faits racontés par saint Luc, que le bruit public porte jusqu'aux oreilles d'Hérode, et qui lui font demander avec inquiétude quel est celui dont il apprend de telles choses, après qu'il a fait lui-même mourir Jean-Baptiste. - S. JER. S'il se retire dans un lieu désert, ce n'est point par crainte de la mort, comme se l'imaginent quelques-uns, mais pour épargner à ses ennemis d'ajouter un second homicide au premier. Peut-être aussi voulait-il différer sa mort jusqu'à la fête de Pâques, jour où l'agneau figuratif devait être immolé, et où les portes des croyants devaient être marquées de son sang. Peut-être encore se retira-t-il pour nous donner l'exemple de ne point nous exposer avec témérité à la persécution ; car tous ne supportent pas les tourments avec la même constance qu'ils mettent à les affronter. C'est pour cela qu'il nous dit dans un autre endroit : " Lorsqu'ils vous persécuteront dans une ville, fuyez dans une autre. " (Mt 10) L'expression dont se sert l'Évangéliste est d'ailleurs parfaitement choisie ; car il ne dit pas : Il s'enfuit dans un lieu désert, mais : Il se retira, de manière qu'il se dérobe plutôt à ses persécuteurs qu'il ne les craint. Il a pu aussi, en apprenant la mort de Jean-Baptiste, se retirer dans le désert pour un autre motif, c'est-à-dire pour éprouver la foi de ceux qui croyaient en lui. - S. CHRYS. (hom. 50.) Ou bien encore, c'est qu'il voulait agir comme homme dans beaucoup de choses, le temps n'étant pas encore arrivé de dévoiler sa divinité ; c'est pour cela qu'il défend ailleurs à ses disciples de dire à personne qu'il est le Christ, tandis qu'après sa résurrection il veut qu'on le publie hautement. C'est pour le même motif qu'il ne voulut pas se retirer avant qu'on lui eût appris ce qui venait d'arriver, bien qu'il le sût parfaitement de lui-même, pour établir en toute circonstance la vérité de son incarnation, et la faire croire non-seulement par le témoignage des yeux, mais par celui des oeuvres. Or, il se retire, non pas dans une ville, mais dans le désert, et en montant dans une barque, afin que personne ne pût le suivre. Mais le peuple ne l'abandonne pas, et ne laisse pas de le suivre, sans être effrayé de ce qui est arrivé à Jean-Baptiste. " Et le peuple l'ayant su, le suivit à pied, " etc.
S. JER. Le peuple suit le Sauveur non sur des chars ou sur des bêtes de somme, mais en se soumettant aux fatigues d'un long voyage à pied, pour montrer le désir qu'il avait de s'attacher à Jésus. - S. CHRYS. (hom. 50.) Cette sainte ardeur fut aussitôt récompensée. " Lorsqu'il sortait, dit l'Évangéliste, il vit une grande multitude et il en eut compassion, et il guérit leurs malades. " L'affection de ce peuple, qui abandonnait ses demeures pour le chercher avec tant d'empressement, était bien grande ; mais ce qu'il faisait en leur faveur était bien supérieur aux efforts de leur zèle : aussi l'Évangéliste donne-t-il comme cause de ces guérisons la miséricorde. Quelle plus grande miséricorde, en effet, que celle qui guérit tous les malades qu'on lui présente, sans exiger d'eux la foi !
S. HIL. (can. 14.) Dans le sens mystique, le Verbe de Dieu, lorsque la loi a cessé d'exister, monte dans une barque pour se réunir à l'Église et se dirige vers le désert ; il rompt tout commerce avec le peuple d'Israël et passe dans les cœurs qui étaient vides de la connaissance de Dieu. Le peuple, l'ayant appris, sort de la ville pour le suivre au désert, et quitte ainsi la synagogue pour entrer dans l'Église. A cette vue, le Sauveur a pitié d'eux et guérit toutes leurs langueurs et toutes leurs infirmités, c'est-à-dire qu'il purifie les âmes et les corps plongés dans la léthargie de l'incrédulité, pour les rendre capables de comprendre la doctrine de la loi nouvelle. - RAB. Remarquons encore que c'est après qu'il s'est retiré dans le désert que la foule le suit, car il n'était adoré que par un seul peuple avant qu'il se rendît dans la solitude des nations. - S. JER. Ils abandonnent leurs villes, c'est-à-dire leurs anciennes habitudes et leurs diverses croyances. Jésus va à leur rencontre et nous apprend par là que si ce peuple avait la volonté de venir le trouver il n'en avait pas la force, et c'est pour cela qu'il sort lui-même et le prévient.

vv. 15-21.
S. CHRYS. (hom. 50.) Ce qui montre la foi de ce peuple, c'est que malgré la faim qu'il éprouve, il persévère avec le Sauveur jusqu'au soir. " Le soir étant venu, ses disciples s'approchèrent de lui et lui dirent : Ce lieu-ci est désert. " Notre-Seigneur, qui a le dessein de donner à manger à cette multitude, attend cependant qu'il en soit prié. C'est ainsi que jamais Il ne s'empresse de faire des miracles, mais qu'il attend toujours qu'on lui en fasse la demande. Mais pourquoi donc n'en est-il pas un seul dans toute cette multitude pour s'approcher de lui ? C'est par un profond sentiment de respect, et le désir ardent d'être toujours avec lui leur fait oublier le besoin de la faim. Les disciples eux-mêmes ne viennent pas lui dire : Donnez-leur à manger, car leurs dispositions étaient encore trop imparfaites ; mais ils lui représentent que le lieu est désert. Ce que les Juifs avaient regardé comme un miracle impossible dans le désert, lorsqu'ils disaient : " Est-ce qu'il pourra nous dresser une table dans le désert ? " (Ps 77) c'est ce que Jésus se propose de faire. Il conduit ce peuple dans le désert, afin que ce miracle ne laisse aucune place au doute et que personne ne puisse penser que c'est un des bourgs voisins qui a fourni le pain qu'il distribue à ce peuple. Ce lieu est désert, il est vrai, mais celui qui nourrit tout ce qui respire le remplit de sa présence, et quoique l'heure soit passée, comme le font remarquer les Apôtres, celui qui parle ici n'est pas soumis aux heures dont se composent nos journées. Bien que pour préparer ses disciples à ce miracle il eût commencé par guérir un grand nombre de malades, ils étaient encore si imparfaits qu'ils ne pouvaient soupçonner le miracle qu'il devait opérer en multipliant les pains, et c'est pour cela qu'ils lui disent : " Renvoyez le peuple, " etc. Remarquez la sagesse du divin Maître : il ne leur dit pas immédiatement : " Je les nourrirai, " car ils ne l'auraient pas cru facilement, mais il leur répond : " Il n'est pas nécessaire qu'ils s'en aillent, donnez-leur vous-mêmes à manger. " - S. JER. Il les presse ainsi de distribuer du pain à la multitude, pour que la grandeur du miracle devînt plus éclatante par l'aveu qu'ils feraient eux-mêmes qu'ils n'avaient pas de pain à lui donner.
S. AUG. (De l'accord des Evang., 2, 46.) On peut être embarrassé pour concilier la narration de saint Jean, d'après laquelle Notre-Seigneur, à la vue de toute cette multitude, demande à Philippe comment on pourrait donner à manger à tout ce peuple, avec ce que raconte ici saint Matthieu, que les disciples prièrent Notre-Seigneur de renvoyer le peuple pour qu'il pût acheter des aliments dans les villages voisins. Pour résoudre cette difficulté, il suffit de dire que c'est après ces paroles que le Seigneur, ayant vu cette grande multitude, adresse à Philippe les paroles que saint Jean rapporte et qu'ont omises saint Matthieu et les autres évangélistes. Et en général, disons qu'un évangéliste peut raconter ce qu'un autre a passé sous silence, sans qu'on doive se laisser arrêter par de semblables difficultés.
S. CHRYS. (hom. 50.) Cette réponse du Sauveur ne suffit pas pour donner aux disciples de plus hautes idées ; ils continuent de lui parler comme s'il n'était qu'un homme : " Et ils lui répondirent : Nous n'avons ici que cinq pains, " etc. Cependant les disciples nous donnent ici une preuve de leur sagesse dans le peu de souci qu'ils prennent de la nourriture. Ils étaient douze et n'avaient que cinq pains et deux poissons. Ils méprisaient les besoins du corps, et ils étaient tout entiers aux choses spirituelles. Mais comme leurs pensées se tramaient encore sur la terre, le Sauveur les amène insensiblement au miracle qu'il veut opérer : " Et il leur dit : Apportez-moi ces pains. " Pourquoi donc n'a-t-il pas tiré du néant ces pains avec lesquels il doit nourrir la foule ? C'est pour fermer la bouche à Marcion et aux Manichéens, qui soutiennent que les créatures sont complètement étrangères à Dieu, et pour montrer par ses oeuvres que toutes les choses visibles sont sorties de sa main et ont été créées par lui. C'est ainsi qu'il prouve quel est celui qui produisit les fruits et qui a dit au commencement : " Que la terre produise les plantes verdoyantes. " (Gn 1.) Le miracle qu'il va faire n'est pas moins grand, car il ne faut pas une moindre puissance pour nourrir une grande multitude avec cinq pains et quelques poissons que pour faire sortir les fruits de la terre, et du sein des eaux les reptiles et les animaux qui ont la vie et le mouvement, double création qui le proclame le Seigneur de la terre et de la mer. L'exemple des disciples nous apprend que le peu même que nous possédons nous devons aimer à le verser dans le sein des pauvres. En effet, aussitôt que le Seigneur leur ordonne d'apporter leurs cinq pains, ils obéissent sans songer à répondre : " Comment pourrons-nous apaiser notre faim ? " " Et après avoir commandé au peuple de s'asseoir sur l'herbe, il prit les cinq pains et, levant les yeux au ciel, il les bénit, " etc. Pourquoi lever les yeux au ciel et bénir ces pains ? C'était pour déclarer qu'il venait du Père et qu'il était son égal. Il prouvait qu'il était égal à son Père en agissant en tout avec puissance, et il montrait qu'il venait du Père en lui rapportant tout ce qu'il faisait et en l'invoquant avant toutes ses oeuvres. C'est comme preuve de cette double vérité que tantôt il opérait ses miracles avec puissance, tantôt il priait avant de les faire. Il faut de plus remarquer que pour les miracles moins importants il lève les yeux vers le ciel, et que pour les plus éclatants, il agit avec une puissance absolue. Ainsi, lorsqu'il ressuscite les morts, quand il met un frein à la fureur des flots, quand il juge les pensées secrètes des cœurs, quand il ouvre les yeux de l'aveugle-né, oeuvres qui ne peuvent avoir que Dieu pour auteur, nous ne le voyons pas recourir à la prière ; mais lorsqu'il multiplie les pains (miracle inférieur à ceux qui précèdent), il lève les yeux au ciel pour vous apprendre que même dans les prodiges moins importants il n'agit point par une puissance différente de celle de son Père. Il nous apprend en même temps à ne jamais prendre nos repas avant d'avoir rendu grâces à Celui qui nous donne la nourriture. Notre-Seigneur veut en outre opérer un miracle avec ces cinq pains pour amener ses disciples à croire en lui, car ils étaient encore bien faibles dans la foi. C'est pourquoi il lève les yeux vers le ciel. Car s'ils avaient déjà été témoins d'un grand nombre de miracles, ils n'en avaient pas encore vu de semblable.
S. JER. Le Sauveur rompt le pain, et le pain se multiplie. Si ces pains étaient restés entiers et qu'ils n'eussent pas été partagés par morceaux, ni multipliés en si grande quantité, jamais ils n'auraient pu rassasier une si grande multitude. Or, remarquons que c'est par l'intermédiaire des Apôtres que le peuple reçoit du Seigneur cette nourriture. " Et il les donne à ses disciples. " - S. CHRYS. (hom. 50.) Il veut en cela non-seulement leur faire honneur, mais rendre impossible et l'incrédulité, et l'oubli à l'égard d'un miracle auquel leurs mains elles-mêmes rendaient témoignage. Il permet que la multitude éprouve d'abord le besoin de la faim, que les disciples s'approchent de lui, l'interrogent et lui remettent les pains entre les mains pour multiplier les preuves de ce miracle et les circonstances qui devaient en conserver le souvenir. En ne donnant aux peuples que des pains et des poissons, et en les leur distribuant d'une manière égale, il leur enseigne l'humilité, la tempérance et la charité qui devait leur faire regarder toutes les choses comme communes entre eux. Le lieu même où il les nourrit, l'herbe sur laquelle il les fait asseoir, contiennent un enseignement, car il ne veut pas seulement apaiser leur faim, mais aussi nourrir leur âme. Or, les pains et les poissons se multipliaient entre les mains des disciples, comme l'indique la suite du récit : " Et tous en mangèrent, " etc. Le miracle ne s'arrêta pas là et la multiplication s'étendit au delà du nécessaire, de manière qu'après avoir multiplié les pains entiers, il permit qu'il restât une grande quantité de morceaux. Le Seigneur veut prouver ainsi que ce sont vraiment les restes des pains qu'il a multipliés, convaincre les absents de la vérité du miracle et montrer à tous que ce n'est pas un prodige imaginaire : " Et ils emportèrent douze paniers pleins des morceaux qui étaient restés. " - S. JER. Chacun des apôtres remplit son panier avec les restes des pains multipliés miraculeusement par le Sauveur, et ces restes prouvent que ce sont de vrais pains qu'il a multipliés. - S. CHRYS. (hom. 50.) Il voulut qu'il restât douze corbeilles pleines, afin que Judas pût aussi porter la sienne. Il fait aussi emporter ces restes par ses disciples, et non par la foule, dont les dispositions étaient moins parfaites. - S. JER. Le nombre de ceux qui furent rassasiés était de cinq mille et correspondait aux cinq pains qui furent distribués : " Or, le nombre de ceux qui mangèrent était de cinq mille hommes. " - S. CHRYS. (hom. 50.) Un trait à la louange de ce peuple, c'est que les femmes comme les hommes suivaient Jésus-Christ quand le miracle fut opéré. - S. HIL. Les pains ne se multiplient pas en d'autres pains entiers, mais aux premiers morceaux en succèdent d'autres, et le pain se multiplie soit dans l'endroit qui sert de table, soit dans les mains de ceux qui s'en nourrissent.
RAB. Saint Jean, avant de raconter ce miracle (Jn 6), nous fait observer que la Pâque était proche. Saint Matthieu et saint Marc le placent immédiatement après le martyre de Jean-Baptiste, d'où nous devons conclure que le saint Précurseur fut décapité aux approches de la fête de Pâques et que c'est l'année suivante, au retour de la même fête, que s'accomplit le mystère de la passion du Sauveur.
S. JER. Toutes les circonstances de ce miracle sont pleines de mystères. Notre-Seigneur l'opère non le matin, ni au milieu de la journée, mais le soir, lorsque le soleil de justice est couché. - REMI. Le soir signifie la mort du Sauveur, car c'est lorsque le soleil de vérité se coucha sur l'autel de la croix qu'il rassasia ceux qui étaient tourmentés par la faim. Ou bien le soir est la figure du dernier âge du monde, cet âge où le Fils de Dieu vint nourrir la multitude de ceux qui croyaient en lui. - RAB. Les disciples prient le Sauveur de renvoyer le peuple pour qu'il achète de quoi manger dans les villages voisins ; c'est le dégoût que les Juifs ont pour les Gentils, qu'ils regardent comme plus propres à chercher leur nourriture dans les écoles de philosophes que dans les divins pâturages des livres sacrés.
S. HIL. (can. 14.) Mais le Seigneur répond : " Il n'est point nécessaire qu'ils y aillent ; " il nous apprend ainsi que ceux qu'il a guéris n'ont pas besoin de se nourrir d'une doctrine vénale et qu'il n'est pas nécessaire de retourner dans la Judée pour s'y procurer des aliments. Il commande donc à ses disciples de leur donner eux-mêmes à manger. Est-ce donc qu'il ignorait qu'ils n'avaient rien à leur donner ? Mais toutes les circonstances de ce miracle demandent à être expliquées dans un sens figuré. Les Apôtres n'avaient pas encore reçu le pouvoir de consacrer et de distribuer le pain du ciel qui devait être la nourriture de la vie éternelle. Leur réponse doit être entendue dans le sens spirituel ; ils étaient réduits à n'avoir que cinq pains, c'est-à-dire les cinq livres de la loi, et deux poissons, c'est-à-dire qu'ils n'avaient d'autre nourriture que la prédication de Jean-Baptiste et des prophètes. - RAB. Ou bien par ces deux poissons il faut entendre les psaumes et les prophéties ; car l'Ancien Testament comprend ces trois choses la loi, les prophètes et les psaumes.

S. HIL. (can. 14.) Les Apôtres ne purent d'abord donner au peuple que ces trois choses qui étaient en leur possession ; mais la prédication de l'Évangile, en venant s'y ajouter, y puisa le principe de cette force divine dont les développements vont toujours croissants. Le Sauveur fait ensuite asseoir le peuple sur le gazon, ce n'est plus sur la terre qu'il se repose, mais sur le lit que lui présente la loi, et comme l'herbe repose sur la terre, chacun s'assied et se repose sur les fruits de ses oeuvres. - S. JER. Ou bien il les fait asseoir sur le gazon, et d'après un autre Évangéliste (Mc 6), par groupe, de cinquante et de cent, afin qu'après avoir foulé aux pieds les inclinations de la chair, et placé au-dessous d'eux les voluptés du siècle comme un gazon desséché, ils s'élèvent par la pénitence, représentée par le nombre cinquante, à la perfection du nombre cent. Il lève les yeux vers le ciel, pour leur apprendre à diriger leurs regards de ce côté ; il leur rompt le pain de la loi avec celui des prophètes, et leur en expose les mystères, afin que ce qui ne pouvait servir de nourriture en demeurant dans son entier, pût rassasier la multitude des nations, lorsqu'il serait divisé en plusieurs parties.
S. HIL. (can. 14.) Les pains sont remis entre les mains des Apôtres, car c'était par eux que les dons de la grâce divine devaient être distribués. Le nombre de ceux qui mangèrent fut le même que le nombre de ceux qui devaient embrasser la foi ; car nous lisons dans le livre des Actes (Ac 4), que sur la multitude presque innombrable du peuple juif, cinq mille se convertirent à la foi. - S. JER. Parmi ceux qui mangèrent de ces pains, il y eut cinq mille hommes parvenus à la plénitude de l'âge ; les femmes et les enfants, (c'est-à-dire la faiblesse du sexe et celle de l'âge), ne sont pas dignes d'être compris dans ce nombre. Aussi dans le livre des Nombres (Nb 1), les esclaves, les femmes, les enfants et le bas peuple ne sont pas compris dans le dénombrement. - RAB. Pour nourrir cette multitude affamée, le Sauveur ne créé pas de nouveaux aliments, mais il prend ceux qui étaient entre les mains de ses disciples, et il les bénit ; il nous apprenait ainsi qu'en venant dans une chair mortelle, il n'annonçait pas d'autres vérités que celles qui avaient été prédites, et il montrait que la loi et les prophètes renfermaient dans leur sein les plus grands mystères. Les disciples emportent les morceaux qui restent ; ce sont les mystères les plus secrets, qui ne peuvent être compris des esprits grossiers ; ils ne doivent pas être reçus avec négligence, mais devenir l'objet de l'étude la plus sérieuse de la part des douze Apôtres et de leurs successeurs, figurés ici par les douze paniers. Les paniers ou corbeilles servent à des usages communs, et Dieu a choisi ce qui est vil et bas aux yeux du monde, pour confondre ce qui est fort (1 CO 1). On peut voir dans ces cinq mille hommes les cinq sens du corps humain, et une figure de ceux qui, sous la livrée du monde, font un bon usage des choses extérieures.

vv. 22-33.
S. CHRYS. (hom. 50.) Notre-Seigneur, voulant livrer à un examen sérieux le miracle qu'il vient d'opérer, ordonne à ceux qui en ont été les témoins de se séparer de lui ; car en supposant que lui présent, on pût croire qu'il n'avait fait ce miracle qu'en apparence, on ne pourrait en porter le même jugement lorsqu'il aurait disparu. C'est pour cela que l'Évangéliste ajoute : " Et aussitôt Jésus obligea ses disciples d'entrer dans une barque et de le précéder. " - S. JER. Nous avons ici une preuve que c'était malgré eux que les disciples se séparaient du Sauveur, et que dans l'affection qu'ils avaient pour ce divin Maître, ils ne voulaient même pas le quitter un seul instant.
S. CHRYS. (hom. 50 et 51). Remarquons que toutes les fois que le Seigneur a opéré de grandes choses, il renvoie le peuple, et nous engeigne ainsi à ne pas rechercher la gloire qui vient des hommes, et à ne pas attirer le peuple après nous. Il nous apprend aussi à ne pas nous mêler continuellement à la multitude et à ne pas la fuir non plus toujours, mais à fréquenter tour à tour le monde et la solitude. " Après avoir renvoyé la foule, il monta seul sur la montagne, " etc. Il nous enseigne ici les avantages de la solitude, lorsque nous voulons nous entretenir avec Dieu. Jésus se rend dans le désert, et il y passe la nuit en prières, pour nous apprendre à choisir les temps et les lieux où nous pourrons nous livrer dans le calme à la prière. - S. JER. Ces paroles : " Il monta seul pour prier, " ne doivent pas être rapportées à la nature divine qui vient de rassasier cinq mille tommes avec cinq pains, mais à la nature humaine qui se retire dans la solitude en apprenant la mort de Jean-Baptiste. Ce n'est pas que nous divisions la personne du Seigneur, mais il faut admettre une distinction entre les oeuvres qui viennent de Dieu, et celles qui ne viennent que de l'homme.

S. AUG. (De l'acc. des Evang., liv. 2, chap. 47.) Il semble qu'il y ait ici contradiction entre saint Matthieu, d'après lequel Jésus, après avoir renvoyé le peuple, monte seul sur la montagne pour y prier, et saint Jean, qui rapporte qu'il était sur la montagne lorsqu'il nourrit la multitude. Mais comme saint Jean raconte qu'après ce miracle il s'enfuit sur la montagne pour ne pas être retenu par le peuple qui voulait le faire roi, il est évident qu'il était descendu de la montagne dans la plaine lorsqu'il fit distribuer les pains à la foule. Ce que dit saint Matthieu : " il monta sur la montagne pour prier, " n'est pas contraire à ce que dit saint Jean : " Lorsqu'il sut qu'ils allaient venir pour le faire roi, il s'enfuit tout seul sur la montagne. " Le désir de prier n'exclut pas l'intention qu'il avait de fuir ; au contraire, le Seigneur nous apprend ici que nous avons une raison pressante de prier lorsque nous sommes obligés de fuir. Il n'y a pas plus de contradiction entre le récit de saint Matthieu, où Notre-Seigneur ordonne d'abord à ses disciples de monter dans la barque, et congédie ensuite le peuple avant de monter seul sur la montagne pour y prier, et le récit de saint Jean, où nous lisons : " Il s'enfuit seul sur la montagne. Et lorsque le soir fut venu, ses disciples descendirent au bord de la mer, et lorsqu'ils furent montés dans la barque, " etc. Car qui ne voit que saint Matthieu raconte sommairement et par récapitulation, tandis que saint Jean ne rapporte qu'ensuite ce que firent les disciples, c'est-à-dire ce que Notre-Seigneur leur avait ordonné avant de s'enfuit sur la montagne.

S. JER. C'est avec bien de la raison que les disciples ne se séparent du Seigneur que malgré eux, et contre leur volonté, dans la crainte d'être exposés à un naufrage en son absence, car, ajoute l'Évangéliste : " Le soir étant venu, la barque était battue par les flots. " - S. CHRYS. (hom. 51.) Les disciples essuient de nouveau une tempête, mais la première fois ils avaient le Sauveur avec eux dans leur barque ; et maintenant ils sont seuls ; c'est ainsi qu'il les conduit par degrés à de plus grandes épreuves, et qu'il leur apprend à tout supporter avec courage. - S. JER. Pendant que le Seigneur est sur le sommet de la montagne, soudain un vent contraire s'élève, agite la profondeur de la mer, et met les disciples en danger, et ils sont menacés du naufrage jusqu'au moment où Jésus arrive.
S. CHRYS. (hom. 51.) Pendant toute la nuit il les laisse ballottés par les flots, il veut, par là, relever leur âme abattue par la crainte, leur inspirer un vif désir de sa personne qui le rende continuellement présent à leur souvenir. C'est pour cela qu'il ne vient pas immédiatement à leur secours ; car l'Évangéliste ajoute : " Or, à la quatrième veille de la nuit. " - S. JER. Les heures de la nuit sont divisées en trois parties d'après les veilles où l'on relevait les postes militaires établis lour la nuit, et en rapportant que le Seigneur ne vint à eux qu'à la quatrième veille, c'est nous indiquer qu'ils furent en danger toute la nuit. S. CHRYS. (hom. 51.) Il leur apprend ainsi à ne pas chercher avec trop d'empressement à échapper aux maux qui les menacent, mais supporter avec courage les épreuves qui leur arrivaient. Or, c'est justement au moment où ils espéraient être délivrés, que leur crainte est à son comble. " Et lorsqu'ils le virent marcher sur les flots, ils lurent troublés, " etc. Telle est la conduite du Seigneur lorsqu'il est sur le point de mettre fin à une épreuve. C'est alors qu'il fait naître de nouveaux dangers, et inspire de plus grandes appréhensions ; car le temps de l'épreuve ne devant pas être bien long, lorsque les combats des justes touchent à leur fin, il augmente leurs dangers pour augmenter leurs mérites ; c'est ce qu'il fit pour Abraham, dont la dernière épreuve fut l'immolation de son fils.

S. JER. Ces cris confus, ces voix sans expression sont l'indice d'une crainte excessive. Or, s'il est vrai, comme le prétendent Marcion et les Manichéens, que le Seigneur ne soit pas né d'une vierge, et qu'il n'ait qu'une apparence fantastique, comment les Apôtres craignent-ils de voir un fantôme. - S. CHRYS. (hom. 51.) Ce n'est qu'après qu'ils ont jeté ces cris que le Seigneur se révèle à ses disciples ; car plus leur frayeur avait été grande, plus aussi leur joie fut vive en le voyant au milieu d'eux. Aussitôt Jésus leur parla et leur dit : " Rassurez-vous, c'est moi ; ne craignez pas. " Cette parole dissipe leurs craintes, et ouvre leur âme à la confiance. - S. JER. Il dit : " C'est moi, " et il n'explique pas qui il est ; mais comme sa voix leur était connue, ils pouvaient le reconnaître malgré la profonde obscurité de la nuit. Ou bien encore, ils reconnurent en lui celui qu'ils savaient avoir ainsi parlé à Moïse (Ex 3) : " Voilà ce que vous direz aux enfants d'Israël : Celui qui est m'a envoyé vers vous. " Partout on retrouve la foi vive de Pierre ; c'est cette foi vive, qui dans cette circonstance comme dans toutes les autres, lui fait espérer, alors que tous les autres gardent le silence, qu'il pourra faire par la puissance du Maître ce qui lui était naturellement impossible. " Or, Pierre, prenant la parole, lui dit : " Seigneur, si c'est vous, commandez-moi d'aller à vous, " etc. Commandez-moi, et soudain les flots s'affermiront, et mon corps pesant par sa nature, deviendra léger. - S. AUG. (serm. 13 sur les par. du Seig.) Je ne le puis de moi-même, mais par votre puissance. Pierre reconnut ainsi ce qu'il avait de lui-même, et la puissance supérieure à toute faiblesse humaine que le Sauveur pouvait lui communiquer et dont il lui donnait l'assurance. - S. CHRYS. (hom. 51.) Voyez combien grande est sa ferveur, combien grande est sa foi, il ne dit pas : Demandez, priez, mais : " Ordonnez. " Il ne s'est pas borné à croire que le Christ pouvait marcher sur les flots, mais il a cru qu'il pouvait communiquer cette puissance aux autres, et il désire vivement aller le rejoindre, non point par ostentation, mais par amour pour son divin Maître. En effet, il ne dit pas : Commandez que je marche sur les eaux, mais : " Commandez que je vienne à vous. " Il est évident qu'après avoir montré par le premier miracle qu'il vient d'opérer que la mer lui est soumise, il en fait maintenant un plus grand et plus admirable encore : " Et Jésus lui dit : Venez. " Et Pierre, descendant de la barque, marchait sur l'eau pour aller à Jésus. - Que ceux qui prétendent que le corps dit Seigneur n'est pas véritable, parce qu'il a marché comme une substance aérienne et légère sur les eaux qui cèdent si facilement, expliquent comment Pierre a pu marcher sur ces mêmes eaux, bien qu'ils soient obligés de reconnaître en lui un homme véritable. - RAB. Théodore a soutenu aussi que le corps du Seigneur était sans pesanteur, et qu'il avait marché sur la mer sans peser sur elle ; mais cette opinion est contraire à la foi catholique ; car saint Denis a écrit que Notre-Seigneur marchait sur l'eau sans que ses pieds fussent mouillés, bien qu'ils fussent pesants et matériels comme tous les corps (liv. des Noms divins, chap. 1.)
S. CHRYS. (hom. 51.) Pierre, qui vient de triompher de la plus grande difficulté en marchant sur les eaux de la mer, se laisse troubler par un obstacle beaucoup moindre, par le souffle du vent. " Mais, voyant la violence du vent, " etc. Telle est la nature humaine, elle déploie souvent un courage admirable au milieu des grandes épreuves, et elle faiblit dans les circonstances ordinaires. Cette crainte qu'éprouve Pierre, montre la différence qui séparait le maître du disciple, et en même temps elle calmait la jalousie des autres Apôtres. Car s'ils furent contrariés de la demande faite par les deux frères de s'asseoir à la droite du Sauveur (Mt 20), ils l'eussent été bien davantage de la fermeté avec laquelle saint Pierre eût marché sur les eaux. Ils n'étaient pas encore remplis de l'Esprit saint, ce n'est que plus tard que devenus tout spirituels, ils accordent en toute circonstance la primauté à Pierre, et lui donnent la première place dans toutes leurs assemblées. - S. JER. Dieu laisse un peu d'action à la tentation, pour augmenter la foi de Pierre, et lui faire comprendre que ce qui l'a sauvé du danger, ce n'est point la prière qu'il lui adresse si facilement, mais la puissance divine. Sa foi était vive, mais la fragilité humaine l'entraînait dans l'abîme.
S. AUG. (serm. 13 sur les paroles du Seig.) Pierre mit donc sa confiance dans le Seigneur, et le Seigneur lui rendit le pouvoir qu'il lui avait accordé, il chancela par suite de la faiblesse de l'homme, mais il revint aussitôt au Seigneur. " Et lorsqu'il commençait à enfoncer, il s'écria, " etc. Est-ce que le Seigneur laisserait chanceler celui dont il a entendu la prière ? " Et aussitôt Jésus étendant la main, " etc.
S. CHRYS. (hom. 51.) Jésus ne commande pas aux vents de s'apaiser, mais il étend la main pour le soutenir, parce qu'il fallait que pierre fit preuve de foi. Lorsque tous nos moyens humains font défaut, c'est alors que Dieu fait paraître sa puissance. Et pour le convaincre que ce n'est pas la violence du vent, mais son peu de foi qui l'a mis en danger, il lui dit : " Homme de peu de foi, pourquoi avez-vous douté ? " Preuve que le vent n'aurait pu rien contre lui, si sa foi avait été plus ferme. Notre-Seigneur Jésus-Christ fait ici ce que fait la mère qui voit le petit oiseau sortir du nid avant d'être assez fort, et sur le point de tomber, elle le prend sur ses ailes, et le reporte dans son nid. " Et lorsqu'il fut monté dans la barque, ceux qui étaient là se jetèrent à ses pieds, en disant : Vous êtes vraiment le Fils de Dieu. " - RAB. Paroles qu'on peut entendre des matelots ou des Apôtres. - S. CHRYS. (hom. 51.) Voyez comme il les conduisait tous par degrés vers ce qui est plus élevé. Il a commandé précédemment à la mort, mais sa puissance paraît bien plus grande lorsqu'il marche sur la mer, qu'il commande à un autre d'en faire autant, et qu'il le sauve du danger qui le menace. Aussi s'empressent-ils de reconnaître sa divinité : " Vous êtes vraiment le Fils de Dieu, " ce qu'ils n'avaient pas fait auparavant. - S. JER. En voyant Jésus rendre à la mer par un seul signe le calme qu'elle ne recouvre ordinairement qu'après de violentes secousses, les matelots et les passagers le proclament le vrai I"ils de Dieu. Pourquoi donc Anus ose-t-il enseigner dans l'Église qu'il n'est qu'une créature ? -
S. AUG. (serm. 14 sur les par. du Seig.) Dans le sens mystique, la montagne, c'est l'élévation ; mais qu'y a-t-il dans l'univers de plus élevé que le ciel ? Or, notre foi connaît celui qui monte au ciel. Mais pourquoi y monte-t-il seul ? Parce que personne ne monte au ciel que celui qui est descendu du ciel (Jn 3). Lors même qu'à la fin des temps il viendra pour nous faire monter avec lui jusqu'au ciel, il y montera seul encore, car la tête avec le corps ne forment qu'un seul Christ. Maintenant le chef seul y est monté, et pour prier, parce qu'il y est monté afin d'intercéder pour nous. - S. HIL. (can. 14.) Il est seul vers le soir, figure de l'abandon où il doit être au temps de sa passion lorsque la crainte aura dispersé tous ses disciples. - S. JER. Il monta encore seul sur la montagne, parce que la foule ne peut s'élever avec lui vers les choses sublimes, avant qu'il ne l'ait enseigné près de la mer, sur le rivage. - S. AUG. (serm. 14 sur les par. du Seig.) Cependant dans le temps où le Christ prie sur la montagne, la barque est agitée sur la mer par une violente tempête, et les vagues qui la couvrent peuvent la submerger. Dans cette barque, vous devez voir l'Église, et dans cette mer agitée, le monde présent. - S. HIL. (can. 14.) Il ordonne à ses Apôtres de monter dans la barque, et de traverser le détroit pendant qu'il congédie la foule, et, après l'avoir renvoyée, il monte sur la montagne ; c'est-à-dire au sens figuré, qu'il nous commande de rester dans le sein de l'Église et de voguer sur la mer du monde jusqu'au temps où il reviendra dans la gloire pour sauver les restes d'Israël et leur pardonner leurs péchés. Après avoir renvoyé le peuple d'Israël, ou plutôt après l'avoir admis dans le royaume céleste, il s'assiera dans sa gloire et dans sa majesté en rendant à Dieu le Père d'éternelles actions de grâces. Mais en attendant, les disciples sont le jouet des vents et de la mer, et livrés à ces agitations du monde que soulève contre eux l'esprit du mal. - S. AUG. (serm. 14 sur les par. du Seig.) Lorsqu'un homme qui joint à une volonté impie une grande puissance, cherche à persécuter l'Église, c'est la mer en furie qui se soulève contre la barque du Christ. - RAB. Aussi est-ce avec raison que l'Évangéliste nous représente la barque au milieu de la mer, tandis que Jésus est seul sur la terre, car souvent l'Église gémit sous le poids de telles afflictions, que le Seigneur paraît l'avoir abandonnée pour un moment.

S. AUG. (serm. 14 sur les paroles du Seigneur.) Le Seigneur vint trouver ses disciples battus par les flots, à la quatrième veille, c'est-à-dire vers la fin de la nuit, car la veille est de trois heures et la nuit est divisée en quatre veilles. - S. HIL. La première veille fut celle de la loi ; la seconde, celle des prophètes ; la troisième, celle de l'avènement corporel du Sauveur ; la quatrième sera celle de son retour dans la gloire. - S. AUG. (serm. 14 sur les paroles du Seigneur.) Il vient à la quatrième veille de la nuit, lorsque la nuit touche à sa fin, et c'est aussi à la fin du monde, lorsque la nuit de l'iniquité aura disparu, qu'il viendra juger les vivants et les morts. Il vient les trouver d'une manière merveilleuse ; les flots se soulevaient, mais il les foulait aux pieds ; ainsi, quel que soit le soulèvement des puissances de ce monde, leur tête orgueilleuse se trouve foulée aux pieds de celui qui est notre tête. - S. HIL. (can. 14.) Lorsque le Christ reviendra à la fin des temps, il trouvera l'Église fatiguée et comme assiégée de tous côtés, et par l'esprit de l'Antéchrist, et par les agitations du monde entier. Et comme les fourberies de l'Antéchrist inspireront aux fidèles une juste défiance contre toute nouveauté, ils seront effrayés même de l'avènement du Seigneur, craignant d'être le jouet de fausses représentations et de fantômes destinés à tromper les yeux. Mais le bon Maître dissipera toutes leurs craintes en leur disant : " C'est moi, " et par la foi qu'ils auront en son avènement, il les délivrera du naufrage qui les menace. - S. AUG. (Quest. évang., liv. 1, quest. 14.) Ou bien les disciples, en croyant que c'est un fantôme, sont la figure de ceux qui se sont laissé vaincre par le démon et qui douteront de l'avènement du Christ. Pierre, au contraire, qui implore le secours du Seigneur pour ne pas être submergé, représente l'Église qui, après la dernière persécution, aura encore besoin d'être purifiée par quelques tribulations, vérité qu'exprime l'apôtre saint Paul, lorsqu'il dit : " Il ne laissera pas d'être sauvé, mais comme par le feu. " (1 Co 3.) - S. HIL. Ou bien encore Pierre qui, de tous ceux qui sont dans la barque, est le seul pour oser adresser la parole au Seigneur et lui demander l'ordre d'aller à lui sur les eaux, semble prédire les dispositions de son âme au temps de la passion, alors que s'attachant aux pas du Sauveur, il voulut le suivre jusqu'à la mort. Mais la crainte qui s'empare de lui annonce aussi la faiblesse qu'il a montrée dans cette épreuve, lorsque la crainte de la mort le porta jusqu'à renier son divin Maître. Le cri qu'il jette exprime les gémissements de sa pénitence. - RAB. Le Seigneur jeta sur lui un regard et le convertit ; il étendit la main et lui accorda le pardon de sa faute ; et c'est ainsi que ce disciple trouva le salut qui ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde. - S. HIL. Jésus n'accorda pas à Pierre le pouvoir de venir jusqu'à lui ; il se contenta de le soutenir en lui tendant la main, et en voici la raison : c'est que lui seul devait souffrir pour tous les hommes et pouvait les délivrer de leurs péchés, et il ne veut partager avec personne l'oeuvre du salut qu'il accomplit seul pour l'universalité du genre humain. - S. AUG. (serm. 13 et 14 sur les paroles du Seigneur.) Dans ce seul apôtre (c'est-à-dire dans pierre, le premier, le chef du collège apostolique et qui figure l'Église), nous sont représentées les deux classes d'hommes : les forts, lorsqu'il marche sur les eaux ; les faibles, lorsque le doute s'empare de son âme. La tempête, c'est la passion qui domine chacun de nous. Vous aimez Dieu ? Vous marchez sur la mer et vous foulez aux pieds la crainte du monde. Vous aimez le monde ? Il vous submerge. Mais lorsque votre cœur est agité par les flots des passions, si vous voulez en triompher, invoquez la divinité du Sauveur.
REMI. Le Seigneur viendra certainement à votre secours, lorsqu'après avoir apaisé les flots des tentations, il vous donnera l'espoir d'échapper au danger par la protection dont il vous couvre ; c'est ce qu'il fera aux approches de l'aurore, car, lorsque la fragilité humaine, comme assiégée par les épreuves, considère son peu de force, elle ne voit que ténèbres autour d'elle, mais si alors elle élève sa pensée vers le secours qui vient d'en haut, elle aperçoit aussitôt le lever du jour qui éclaire toute la veille du matin. - RAB. Il n'est point étonnant que le vent cesse au moment où le Seigneur monte dans la barque, car toutes les guerres s'apaisent bientôt dans tout cœur où le Seigneur est présent par sa grâce. - S. HIL. (can. 14.) Le calme que Jésus rend aux vents et à la mer est une figure de cette paix et de cette tranquillité éternelles qu'il doit rendre à 1'Église en revenant dans sa gloire. Et comme cet avènement sera beaucoup plus éclatant que le premier, tous s'écrient pleins d'admiration : " Vous êtes vraiment le Fils de Dieu, " car tous proclameront alors d'une manière absolue et publique que le Fils de Dieu descendu sur la terre non plus dans l'humilité de la chair, mais au milieu de là gloire dont il est environné dans les cieux, a rendu la paix à son Église. - S. AUG. (Quest. évang., 2, 14.) Nous voyons encore ici une figure de la manifestation éclatante qu'il fera de lui-même à ceux qui marchent ici-bas dans la foi et qui le verront alors tel qu'il est.

vv. 34-36.
REMI. L'Évangéliste nous a fait connaître précédemment l'ordre donné par le Seigneur à ses disciples de monter dans la barque et de le devancer au delà du détroit. Il continue son récit et nous apprend où ils abordèrent après cette traversée : " Et ayant traversé le lac, ils vinrent dans la terre de Génézareth.
RAB. La terre de Genezar, qui s'étend sur les bords du lac de Génézareth, tire son nom de la nature même du lieu. Ce nom vient d'un mot grec qui signifie s'engendrant à elle-même le vent, parce que la surface du lac, toujours ridée, produit une brise continuelle.

S. CHRYS. L'Évangéliste nous apprend que ce fut après une longue absence que Jésus vint dans ce pays, en ajoutant : " Et lorsqu'ils le connurent, " etc. Ils apprirent son arrivée par la renommée et non en le voyant de leurs yeux, quoique certainement par suite des grands miracles qu'il opérait dans ces contrées, un grand nombre de personnes le connaissaient de vue. Et voyez quelle est la foi de ces habitants de la terre de Génézareth : ils ne se contentent pas de la guérison de ceux qui vivent au milieu d'eux ; mais ils envoient aux villes d'alentour pour les presser d'accourir toutes au souverain médecin. - S. CHRYS. Ils ne l'entraînent plus dans leurs maisons comme auparavant et ne lui demandent plus d'imposer les mains, mais ils méritent ses faveurs par une foi plus grande : " Et ils lui présentèrent tous les malades, le priant qu'il leur permît seulement de toucher le bord de son vêtement. " Cette femme qui souffrait d'une perte de sang leur avait enseigné cette haute sagesse, qu'en touchant seulement la frange des vêtements du Christ ils seraient sauvés. On voit d'après cela que l'absence du Sauveur non-seulement ne leur fit point perdre la foi, mais au contraire la rendit plus vive, et c'est par la vertu de cette foi qu'ils furent tous sauvés : " Et tous ceux qui le touchaient étaient guéris. " - S. JER. Si nous connaissions la signification du mot Génézareth dans notre langue, nous comprendrions comment, sous cette figure des Apôtres et de leur barque, Jésus veut nous représenter l'Église qu'il fait aborder au rivage après l'avoir sauvée du naufrage et qu'il fait reposer dans le port, à l'abri de toute agitation. - RAB. Genezar signifie le principe de la naissance ; or, nous jouirons d'une tranquillité entière et parfaite quand Jésus-Christ nous rendra l'héritage du ciel et le vêtement de joie que nous avions porté autrefois. - S. HIL. Ou bien, dans un autre sens, les temps de la loi étant expirés et cinq mille hommes d'Israël entrés dans l'Église, le peuple des croyants sauvé par la foi, quoique sorti de la loi, présente au Seigneur ce qui lui reste d'infirmes et de malades, qui tous désirent toucher les franges de ses vêtements, et doivent être sauvés par la foi. Mais de même que les franges pendent du vêtement tout entier, ainsi la vertu de l'Esprit saint sortait de Jésus-Christ, et cette vertu communiquée aux Apôtres, comme sortis eux-mêmes du même corps, guérit tous ceux qui désirent s'en approcher. - S. JER. ou bien encore, par cette frange de la robe, vous pouvez entendre les plus petits commandements ; celui qui les transgresse sera appelé le plus petit dans le royaume des cieux ; ou bien encore le corps qu'il a revêtu pour nous faire parvenir jusqu'au Verbe de Dieu. - S. CHRYS. Pour nous, non-seulement nous pouvons toucher le vêtement ou la frange de Jésus-Christ, mais même son corps qu'il nous donne à manger. Or, si ceux qui touchèrent seulement la frange de son vête. ment en ressentirent une influence si salutaire, que n'éprouverons. nous pas, nous qui le recevons tout entier ?