ÉVANGILE DE SAINT MATHIEU PAR SAINT THOMAS D'AQUIN

CATANA AUREA DE SAINT THOMAS D'AQUIN SUR SAINT MATTHIEU

CHAPITRE IX

vv. 1-8
S. CHRYS. (hom. 30, sur S. Matth.) Notre-Seigneur Jésus-Christ a montré précédemment sa puissance par sa doctrine, lorsqu'il enseignait comme ayant autorité ; dans la guérison du lépreux qu'il guérit par ces seules paroles : " Je le veux, soyez guéri ; " dans la personne du centurion qui lui dit : " Seigneur, dites seulement une parole et mon serviteur sera guéri ; " sur la mer, dont il a enchaîné d'un seul mot la fureur, et sur les démons qui ont confessé sa divinité. Ici par une nouvelle et plus grande manifestation de sa puissance, il force ses ennemis de reconnaître qu'il est l'égal de son Père en dignité. C'est ce que nous lisons dans le passage suivant : " Et Jésus, étant monté dans une barque, traversa la mer, et vint en sa ville. " C'est dans une barque qu'il traverse le lac, bien qu'il pût le traverser à pied ; mais il ne voulait pas faire continuellement des miracles pour ne pas détruire la divine économie de son incarnation. - JEAN, évêque. Le Créateur de toutes choses, le Maître de l'univers ayant résolu de se resserrer pour nous dans les limites étroites de la chair, voulut avoir une patrie sur la terre, être citoyen d'une ville juive ; lui de qui vient toute paternité, toute parenté, voulut avoir ici-bas des parents, afin d'attirer à lui par l'amour ceux que la crainte en avait éloignés.

S. CHRYS. (hom. 30.) L'Évangéliste appelle Capharnaüm la ville du Sauveur ; car il y avait la ville où il était né, qui était Bethléem ; celle où s'étaient écoulées ses premières années, Nazareth, et la ville dont il fit ensuite son séjour ordinaire, c'est-à-dire Capharnaüm. AUG. (de l'accord des Evang., liv. 2, chap. 25.) Il serait plus difficile de concilier saint Matthieu avec saint Marc, si saint Matthieu donnait le nom de Nazareth à la ville que saint Marc appelle Capharnaüm, et que saint Matthieu appelle simplement la cité du Seigneur. On conçoit très bien, au contraire, que de même que l'empire romain, composé de contrées si diverses est quelquefois désigné par le nom de cité romaine ; ainsi la Galilée a pu être appelée la cité du Christ, parce que Nazareth en faisait partie. Par la même raison, Notre-Seigneur Jésus-Christ étant venu dans la Galilée, l'Évangéliste a fort bien pu dire qu'il était venu dans sa ville, quelle que fût la cité de la Galilée où il se trouvât, d'autant plus que Capharnaüm était de beaucoup la ville la plus célèbre de cette région et en était considérée comme la métropole. - S. JER. Ou bien il ne faut entendre par la ville du Christ que la ville de Nazareth, d'où lui est venu le nom de Nazaréen. - S. AUG. (de l'accord des Evang., liv. 2, chap. 25.) D'après cette explication, il faut admettre que saint Matthieu a omis tout ce que Jésus a fait lorsqu'il fut venu dans sa ville, jusqu'à son arrivée à Capharnaüm, et qu'il a placé ici la guérison du paralytique. C'est ce que font souvent les Évangélistes : ils omettent les faits intermédiaires et ils donnent comme faisant suite à ce qui précède le fait qu'ils racontent immédiatement, sans marquer la transition. C'est ainsi que l'Évangéliste nous dit ici : " Et on lui présentait un paralytique couché sur un lit. "

S. CHRYS. (hom. 30.) Ce paralytique n'est pas celui dont parle saint Jean (Jn 5) ; car celui-là était étendu dans la piscine, celui-ci se trouvait à Capharnaüm. Le premier n'avait personne pour le servir ; le second recevait les soins de plusieurs personnes qui l'apportèrent aux pieds de Jésus. - S. JER. On le lui présenta sur un lit, car il était impossible à cet homme de marcher. - S. CHRYS. (hom. 30.) Jésus n'exige pas toujours la foi des malades qui demandent leur guérison, par exemple, lorsqu'ils ont perdu la raison, ou que leur âme est absorbée par l'excès de la douleur ; c'est pour cela que 1'Évangéliste ajoute : " Or, Jésus voyant leur foi, " etc. - S. JER. Non pas la foi du paralytique qu'on lui présentait, mais la foi de ceux qui le lui présentaient. - S. CHRYS. (hom. 30.) Pour récompenser cette foi si grande, il fait éclater lui-même sa puissance, et par la plénitude de son pouvoir il remet les péchés au paralytique en lui disant : " Ayez confiance, mon fils, vos péchés vous sont remis. " - S. JEAN, évêque. Quel prix n'a pas auprès de Dieu la foi personnelle, puisqu'une foi étrangère en a eu un si grand à ses yeux qu'il accorde à cet homme la guérison de son âme et de son corps ? Le paralytique entend le pardon qui lui est accordé, et il se tait, aucune parole de reconnaissance ; la guérison de son corps le préoccupait beaucoup plus que celle de son âme. C'est donc avec raison que Jésus-Christ considéra la foi de ceux qui le portaient plutôt que l'insensibilité du paralytique lui-même. - S. CHRYS. (hom. 30.) On peut dire aussi que la foi de cet homme était grande, car s'il n'avait pas eu la foi, il n'aurait jamais permis qu'on le descendit par le toit, comme le rapporte un autre Évangéliste. (Mc 2 ; Lc 5.)

S. JER. Admirable humilité ! Jésus appelle son fils un homme délaissé, infirme, anéanti dans tous ses membres, et que les prêtres dédaignent de toucher. Il peut encore l'appeler justement son fils, parce qu'il lui a remis ses péchés. Nous pouvons apprendre par là que presque toutes les maladies sont la suite des péchés ; et si Jésus commence par remettre les péchés à cet homme, c'est afin que la santé lui soit plus facilement rendue lorsqu'il aura fait disparaître les causes de la maladie.
S. CHRYS. (sur S. Matth.) Les scribes, en cherchant à diffamer le Sauveur, ne firent, contre leur volonté, que mettre dans un plus grand jour le miracle qu'il avait opéré, car Jésus se servit de leur jalousie pour le rendre plus éclatant ; c'est là, en effet, un des traits de cette inépuisable sagesse, de faire servir la malice de ses ennemis à la manifestation de ses prodiges. C'est ce que l'Évangéliste rapporte en ces termes : " Et voilà que quelques scribes dirent en eux-mêmes : Cet homme blasphème. " - S. JER. Nous lisons dans le Prophète (Is 43, 25) : " C'est moi qui efface toutes vos iniquités. " D'après ces paroles, les scribes, qui ne voyaient dans Jésus qu'un homme, et qui ne comprenaient pas la portée des oracles divins, l'accusent de blasphème. Mais le Seigneur, en dévoilant leurs pensées, leur prouve qu'il est le Dieu qui seul peut connaître le secret des cœurs, et son silence semble leur dire : En vertu de la même puissance qui me fait pénétrer vos pensées, je puis remettre aux hommes leurs péchés ; comprenez par vous-mêmes ce que je puis faire pour ce paralytique. C'est ce que signifient ces paroles : " Et Jésus ayant vu leurs pensées, leur dit : Pourquoi pensez-vous du mal dans vos cœurs ? " - S. CHRYS. (hom. 30.) Jésus ne détruisit pas le soupçon qu'ils avaient, que c'était comme Dieu qu'il disait : " Vos péchés vous sont remis. " S'il n'était pas l'égal de Dieu son Père, il devait dire : Je suis loin d'avoir la puissance de remettre les péchés. Loin de là, il établit le contraire et par ses paroles, et par le prodige qu'il opère. Il ajoute donc : " Qu'est-il plus facile de dire : Vos péchés vous sont remis, ou de dire : Levez-vous et marchez ? " Plus l'âme est supérieure au corps, plus aussi la guérison de l'âme par la rémission des péchés, l'emporte sur la guérison du corps. Mais ce dernier prodige étant visible, tandis que le premier ne l'est pas, Jésus l'opère quoiqu'il soit moindre, pour rendre certain le premier qui est moins évident.
S. JER. Celui-là seul qui remettait les péchés savait s'ils étaient remis au paralytique. Mais quant à l'effet de ces paroles : " Levez-vous et marchez, " chacun pouvait en juger, celui qui se levait comme ceux qui le voyaient. Quoiqu'il appartienne à la même puissance de guérir les infirmités du corps et de l'âme ; il y a cependant une grande différence entre dire et faire. Le Sauveur fait donc un miracle extérieur comme preuve de celui qu'il opère à l'intérieur. " Or, ajoute-t-il, afin que vous sachiez que le Fils de l'homme a sur la terre ce pouvoir de remettre les péchés. " - S. CHRYS. (hom. 30.) Il ne dit pas tout d'abord au paralytique : " Je vous remets vos péchés ; " mais " Vos péchés vous sont remis. " Or, comme les scribes se récriaient, il leur révèle qu'il a une puissance plus élevée, et leur déclare " que le Fils de l'homme a le pouvoir de remettre les péchés ; " et comme preuve qu'il est égal à son Père, il ne dit pas que le Fils de l'homme a besoin d'un secours étranger pour remettre les péchés, mais qu'il a lui-même ce pouvoir.
LA GLOSE. Ces paroles : " Afin que vous sachiez " peuvent avoir été dites par Jésus-Christ, ou n'être qu'une réflexion de l'Évangéliste, comme s'il disait : " Ils doutaient qu'il pût remettre les péchés ; mais afin que vous sachiez bien que le Fils de l'homme a ce pouvoir, il dit au paralytique, " etc. Si au contraire on suppose ces paroles dans la bouche du Sauveur, voici le sens qu'on peut leur donner : " Vous doutez que je puisse remettre les péchés, mais afin que vous sachiez que le Fils de l'homme, " etc. La construction grammaticale de la phrase n'est point parfaite ; mais l'Évangéliste remplace ce qui devait suivre immédiatement et qu'il sous-entend par l'acte même que Jésus accomplit. Il dit au paralytique : " Levez-vous et emportez votre lit. " - JEAN, évêque. Afin que ce qui a été la preuve de sa maladie devienne un témoignage de sa guérison. " Et allez dans votre maison. " Vous, guéri par la foi au Christ, ne restez pas davantage au milieu de la perfidie des Juifs. - S. CHRYS. (hom. 30.) Jésus lui donne cet ordre afin que l'on ne prenne pas pour une simple apparence la guérison qu'il vient d'opérer, et c'est pour en démontrer la vérité que l'Évangéliste dit : " Il se leva et il alla dans sa maison. " Et cependant ceux qui en furent témoins se traînent encore dans des idées tout humaines. " Et le peuple voyant cela, " etc. Si leurs pensées avaient été justes et droites, est-ce qu'ils n'auraient pas dû reconnaître que Jésus était le Fils de Dieu ? Toutefois c'était déjà quelque chose que de le regarder comme supérieur à tous les hommes, et comme l'envoyé de Dieu.

S. HIL. Il y a une signification mystérieuse dans la conduite de Jésus revenant dans sa ville, après avoir été rejeté par la Judée. La cité de Dieu, c'est le peuple fidèle ; Jésus-Christ y est entré porté par une barque, c'est-à-dire par son Église. - JEAN, évêque. Il n'a pas besoin de cette barque, mais la barque a besoin de Jésus-Christ, car jamais, sans la direction qui vient du Ciel, le vaisseau de l'Église ne pourrait traverser la mer du monde et arriver au port de l'éternité. - S. HIL. La personne du paralytique est la figure de l'universalité des nations dont on demande la guérison ; ce paralytique est présenté au médecin par le ministère des anges, parce qu'il est l'oeuvre de Dieu ; il lui remet les péchés dont la loi ne pouvait le délivrer, parce que la foi seule justifie le pécheur. Il est une preuve des merveilleux effets de la résurrection, car en emportant son lit il nous apprend que notre corps sera un jour affranchi de toute infirmité. - S. JER. Dans le sens tropologique, on peut voir ici l'image d'une âme qui vit sans force au milieu de son corps, après avoir perdu toutes ses vertus, et que l'on présente au Seigneur, le docteur consommé, pour être guérie. Tout homme atteint de cette maladie doit intéresser à son état ceux qui peuvent demander à Dieu sa guérison, et à l'aide de la doctrine céleste rendre la force à ses pas chancelants. Souffrons donc que les conseillers de notre âme l'élèvent vers les choses supérieures, malgré la langueur où la retient la faiblesse de son corps mortel. - JEAN, évêque. Le Seigneur sur cette terre ne s'inquiète pas du désir des insensés, mais il a égard à la foi d'autrui ; c'est ainsi que le médecin ne s'arrête point à la volonté des malades, lorsqu'ils demandent des choses qui leur sont contraires.
RAB. Se lever, c'est arracher son âme aux désirs de la chair ; enlever son lit, c'est élever son corps des désirs de la terre jusqu'aux aspirations de l'esprit ; aller dans sa maison, c'est retourner au paradis, ou a la garde intérieure de soi-même, pour ne plus retomber dans le péché. - S. GREG. (Moral. 23, 15.) Ou bien par le lit on peut entendre les voluptés sensuelles ; on ordonne à celui qui a recouvré la santé de porter ce lit où il était couché pendant sa maladie ; car tout homme qui trouve encore son plaisir dans le vice, est comme étendu sans force au milieu des voluptés de la chair. Mais lorsqu'il est guéri, il porte ce lit, parce qu'il supporte les assauts de cette même chair, au lieu de se reposer comme auparavant dans ses désirs coupables. - S. HIL. (can. 8 sur S. Matth.) La foule, à la vue de ce miracle, fut saisie de crainte ; en effet, c'est un grand sujet d'effroi de tomber entre les mains de la mort avant que Jésus-Christ nous ait pardonné nos péchés, car sans ce pardon il n'y a point de retour possible dans notre éternelle demeure. Lorsque cette crainte vient à cesser, on rend gloire à Dieu de ce que par le moyen de son Verbe il a donné aux hommes le pouvoir de remettre les péchés, de ressusciter les corps et de rouvrir les portes du ciel.

vv. 9-13
S. CHRYS. (hom. 31.) Après avoir opéré ce miracle, Jésus ne crut pas devoir demeurer dans ce même endroit, pour ne pas donner un nouvel aliment à la jalousie des pharisiens. Imitons nous-mêmes cet exemple, et n'opposons pas de résistance obstinée à ceux qui nous dressent des embûches. C'est pour cela que l'écrivain sacré ajoute : " Et Jésus partant de là (du lieu où il avait fait le miracle) vit un homme assis au bureau des impôts et qu'on appelait Matthieu. " - S. JER. Les autres Évangélistes n'ont pas voulu, par honneur et par respect pour lui, l'appeler du nom connu de Matthieu ; ils l'ont appelé Lévi, car il portait ces deux noms. Mais quant à lui il met en pratique cette maxime de Salomon : " Le juste est son propre accusateur " (Pv 18, 17), et se fait connaître sous le nom de Matthieu comme publicain ; il apprend ainsi à ceux qui liront son Évangile, que nul ne doit désespérer de son salut, s'il veut rentrer dans les sentiers de la vertu, puisque lui-même a été changé en un instant de publicain en apôtre. LA GLOSE. Il était assis au bureau des impôts, c'est-à-dire dans une de ces maisons où l'on percevait les impôts ; car le nom qui lui est donné (teloniarius), receveur des impôts, vient du mot grec te???, qui signifie impôt.
S. CHRYS. (hom. 31 sur S. Matth.) Ce qui fait éclater encore davantage la puissance de celui qui l'appelle, c'est qu'il n'attend pas que Matthieu abandonne cette profession pleine de dangers, il l'arrache aux maux qui l'environnaient, comme Paul encore dans la fougue de ses égarements. (Ac 9.) Et il lui dit " Suivez-moi. " Vous avez vu la puissance de Dieu qui l'appelle, admirez aussi l'obéissance de celui qui est appelé. Il n'oppose aucune résistance ; il ne demande pas d'aller chez lui pour faire part de son dessein à sa famille. REM?. Il compte même pour rien le danger qu'il courait de la part de ses chefs, en quittant son emploi sans avoir réglé ses comptes. " Et se levant, il le suivit. " Il a sacrifié les gains d'une profession tout humaine ; par une juste compensation, il est devenu le dispensateur des talents du Seigneur.
S. JER. Porphyre et l'empereur Julien accusent ici, ou l'Évangéliste d'avoir menti avec peu d'habileté, ou les disciples d'avoir suivi tout aussitôt le Sauveur sans aucune réflexion, comme s'ils s'étaient rangés contre toute raison sous la conduite du premier venu qui les appelait à le suivre. Mais au contraire, n'est-il pas certain que les Apôtres avant de croire avaient été les témoins des plus grands miracles et des plus grands prodiges ? Est-ce que d'ailleurs l'éclat et la majesté de la divinité qui, toute cachée qu'elle était, resplendissait sur la figure du Sauveur, ne suffisaient pas pour attirer à lui au premier abord ceux qui le voyaient ? Car si la pierre d'aimant a, dit-on, la force d'attirer à elle le fer, quelle puissance bien plus grande n'avait pas le Seigneur de toutes les créatures pour attirer à lui tous ceux qu'il voulait.

S. CHRYS. (hom. 31 sur S. Matth.) Mais pourquoi Jésus-Christ ne l'a-t-il pas appelé en même temps que Pierre, Jean et les autres apôtres ? C'est qu'alors ses dispositions étaient encore imparfaites, et celui qui voit le fond des cœurs voulut attendre que ses nombreux miracles et l'éclat de sa réputation lui eussent rendu l'obéissance plus facile. - S. AUG. (de l'accord des Evang., liv. 2, chap. 26.) Ou bien il paraît plus probable que saint Matthieu, on parlant ici de sa vocation, rappelle un fait qu'il avait omis précédemment ; car on doit admettre qu'elle précéda le sermon sur la montagne, puisque saint Luc (Lc 6) y fait mention des douze élus auxquels il donne le nom d'apôtres. LA GLOSE. Saint Matthieu place sa vocation parmi les miracles ; ce fut en effet un grand miracle qu'un publicain devenu apôtre. - S. CHRYS. (hom. 31.) Mais pourquoi donc, à l'exception de Pierre, d'André, de Jacques, de Jean et de Matthieu, ne savons-nous pas comment et à quelle époque eut lieu la vocation des autres apôtres ? C'est que ceux que nous venons de nommer appartenaient surtout à des professions basses et obscures ; car il n'y avait rien de moins honorable alors que la profession d'un receveur d'impôts ou le métier de pêcheur.
LA GLOSE. Matthieu voulant témoigner à Jésus-Christ sa digne reconnaissance pour le céleste bienfait de sa vocation, lui prépare un grand repas dans sa maison ; et il offre ainsi les biens de la terre à celui dont il attendait les biens de l'éternité. " Et il arriva, nous dit-il, que comme Jésus était à table dans la maison. " - S. AUG. (de l'accord des Evang., liv. 2, chap. 27.) Saint Matthieu n'explique pas ici chez qui Jésus était à table ; on pourrait donc supposer que ce fait ne suit pas immédiatement celui qui précède, mais qu'il s'est passé antérieurement, et que saint Matthieu ne le raconte ici que suivant l'ordre de ses souvenirs, si d'ailleurs saint Marc et saint Luc ne nous apprenaient que c'est dans la maison de Lévi ou de Matthieu que Jésus s'est mis à table. - S. CHRYS. (hom. 31.) Matthieu, honoré de ce que Jésus-Christ daignait entrer dans sa maison, invita avec lui tous les publicains qui étaient de la même profession. " Et voici, nous dit-il, que beaucoup de publicains, " etc. - LA GLOSE. On appelle publicains ceux dont la vie se passe au milieu des embarras des affaires publiques, que l'on ne peut jamais ou presque jamais manier sans péché. Et ce fut là un magnifique présage, de voir celui qui devait être l'apôtre et le docteur des nations, dès le premier moment de sa conversion, attirer après lui dans les voies du salut la foule des pécheurs et former déjà par son exemple à la perfection ceux qu'il devait y conduire par sa parole. - S. JER. Tertullien prétend que ces publicains étaient des païens, et il appuie son sentiment sur cette parole de l'Écriture : " Il n'y aura point d'impôt en Israël, " comme si saint Matthieu lui-même n'eût pas été juif. Ajoutons que le Seigneur ne mangeait pas avec les païens ; car il évitait avec le plus grand soin de paraître détruire la loi, lui qui avait dit à ses disciples : " N'allez pas dans la voie des nations. " Or ces publicains, voyant un des leurs se convertir du péché à la justice, et obtenir ainsi la grâce du repentir, ne désespèrent plus eux-mêmes de leur salut. S. CHRYS. (hom. 31.) Ils s'approchèrent donc de notre Rédempteur, et ils furent admis non-seulement à lui parler, mais encore à manger avec lui. - Ce n'était pas seulement en discutant avec ses ennemis, en guérissant leurs malades, ou en les reprenant de leur malice, mais en mangeant avec eux qu'il ramenait bien souvent ceux qui étaient mal disposés à son égard. Il nous apprenait ainsi que chacun des instants comme chacune des actions de notre vie peut être pour nous l'occasion d'immenses avantages. Or, les pharisiens à cette vue furent indignés, et c'est d'eux que l'Évangéliste ajoute : " Ce que voyant les pharisiens, ils dirent à ses disciples : Pourquoi votre Maître mange-t-il avec des publicains ? " etc. Il est à remarquer que lorsqu'ils croient surprendre les disciples en faute, ils s'adressent à Jésus-Christ. " Voyez, lui disent-ils, vos disciples font ce qu'il n'est pas permis de faire le jour du sabbat. " Ici c'est auprès des disciples qu'ils accusent le Maître. Toute cette conduite témoignait de leur malice et du désir qu'ils avaient de séparer du Maître le cœur de ses disciples. - RAB. Ils étaient sous le coup d'une double erreur : premièrement ils se croyaient justes, eux que leur orgueil plein de faste tenait si loin de la justice ; en second lieu, ils regardaient comme coupables ceux qui renonçaient à leur vie criminelle et se rapprochaient de la vertu.
S. AUG. (de l'accord des Evang., liv. 2, chap. 27.) Saint Luc paraît raconter le même fait en termes tant soit peu différents. D'après son récit, les pharisiens disent aux disciples : " Pourquoi mangez-vous avec les publicains et avec les pécheurs ? " faisant ainsi tomber à la fois ce reproche sur Jésus-Christ et sur ses disciples. Mais en adressant ce reproche aux disciples, ne l'adressent-ils pas au Maître lui-même, dont les Apôtres faisaient profession de suivre les exemples ? La pensée est donc la même, et elle est d'autant plus certaine qu'elle est exprimée en termes différents, avec le même fond de vérité. - S. JER. Ceux qui viennent à Jésus ne persévèrent pas dans leurs habitudes criminelles, comme le disent en murmurant les scribes et les pharisiens ; mais ils sont conduits par le repentir comme le Seigneur le fait connaître par ces paroles : " Mais Jésus les ayant entendus leur dit : Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin, " etc. - RABANUS. Jésus se déclare médecin, lui qui par un traitement vraiment admirable a voulu être blessé pour nos péchés, afin de guérir les blessures de nos iniquités. Il appelle bien portants ceux qui, voulant établir leur propre justice, ne sont pas soumis à la véritable justice de Dieu. (Rm 10.) Il donne le nom de malades à ceux qui, vaincus par le sentiment de leur propre fragilité, et qui persuadés d'ailleurs que la loi est impuissante pour les justifier, se soumettent à la grâce de Dieu par le repentir.

S. CHRYS. (hom. 31.) Après avoir raisonné avec eux en suivant les principes ordinaires de la raison, il leur cite l'Écriture, et leur dit : " Allez et apprenez ce que veut dire cette parole : Je veux la miséricorde et non pas le sacrifice (Os 6, 6). " - S. JER. Il emprunte ce témoignage aux prophètes, pour condamner la sévérité des scribes et des pharisiens qui, se regardant comme justes, évitaient tout contact avec les pécheurs et les publicains. - S. CHRYS. (hom. 31.) C'est comme s'il leur disait : Pourquoi me faites-vous un crime de convertir les pécheurs ? Mais alors accusez Dieu le Père lui-même. Car je désire la conversion des pécheurs comme il la désire. C'est ainsi qu'il leur démontre que non-seulement la loi ne défend pas ce qu'ils lui reprochaient, mais qu'elle place même sa manière d'agir au-dessus du sacrifice. Car il ne dit pas : Je veux la miséricorde et le sacrifice ; mais il fait un précepte de la miséricorde, en excluant le sacrifice.
LA GLOSE. Ce n'est pas cependant que Dieu rejette le sacrifice séparé de la miséricorde ; mais il condamne ici la conduite des pharisiens qui offraient de fréquents sacrifices dans le temple pour paraître justes aux yeux du peuple, sans pratiquer les oeuvres de miséricorde, qui sont la preuve de la véritable justice. - RAB. Il leur enseigne donc à mériter par des oeuvres de miséricorde les récompenses de la miséricorde divine, et à ne pas se flatter que leurs sacrifices seront agréables à Dieu, s'ils y joignent le mépris des besoins du pauvre. C'est pourquoi il ajoute : " Allez, " c'est-à-dire quittez ces sentiments de blâme aussi téméraire qu'insensé, et qui font ressortir davantage la miséricorde. Il termine en se proposant lui-même comme exemple de la miséricorde qu'ils doivent pratiquer. " Car je ne suis pas venu, dit-il, pour appeler les justes, mais les pêcheurs. " - S. AUG. (de l'accord des Evang., liv. 2, chap. 27.) Saint Luc ajoute : " A la pénitence, " ce qui explique clairement la pensée du Sauveur, afin que personne ne croie qu'il aime les pécheurs en tant que pécheurs. D'ailleurs cette comparaison avec les malades nous fait bien connaître les desseins de Dieu ; il recherche les pécheurs comme un médecin recherche les malades, pour les délivrer de leurs iniquités, qui sont une véritable maladie, ce qui ne peut se faire que par la pénitence.
S. HIL. (can. 9 sur S. Matth.) Est-ce que le Christ n'était pas venu pour tous les hommes ? Comment donc peut-il dire qu'il n'est pas venu pour les justes ? Il était donc des hommes pour qui sa venue n'était pas nécessaire ? Non, mais c'est que personne n'est juste par la loi ; Jésus montre donc le néant de cette prétention à la justice, car les sacrifices de l'ancienne loi étant impuissants pour la justification, tous ceux qui vivaient sous la loi avaient besoin de la miséricorde. - S. CHRYS. (hom. 31 sur S. Matth.) C'est ce qui nous ferait croire à une ironie de la part de Jésus-Christ comme dans ces autres paroles de Dieu : " Voici qu'Adam est devenu comme un de nous, " car S. Paul nous déclare positivement que personne n'est juste sur la terre : " Tous ont péché, dit-il, et ont besoin de la gloire de Dieu. " (Rm 3) Par là même aussi, il calme les inquiétudes de ceux qui étaient appelés, en leur disant : " Je suis si loin d'avoir en horreur les pécheurs, que ce n'est que pour eux que je suis venu. " - RAB. Ou bien c'est parce que ceux qui étaient justes (comme Nathanaël et Jean-Baptiste) n'avaient pas besoin qu'on les appelât à la pénitence. Ou bien encore, je ne suis pas venu appeler les faux justes qui, comme les pharisiens, se glorifient de leur justice, mais ceux qui se reconnaissent pécheurs. La vocation de saint Matthieu et celle des publicains représente la vocation des Gentils qui soupiraient avec ardeur après les richesses de la terre, et qui maintenant réparent leurs forces dans la compagnie du Seigneur. L'orgueil des pharisiens est la figure de la jalousie des Juifs à la vue de la conversion des Gentils. Ou bien Matthieu signifie l'homme qui poursuit avidement les biens de la terre, et que Jésus regarde, lorsqu'il jette sur lui les yeux de la miséricorde. Le nom de Matthieu signifie donné ; celui de Lévi, choisi, car le pénitent est choisi du milieu de la masse de ceux qui se perdent et il est donné à l'Église par la grâce de Dieu. Et Jésus lui dit : " Suivez-moi. " Jésus donne cet ordre au pêcheur, ou par la prédication, ou par la voix des Écritures, ou par une inspiration intérieure.

vv. 14-17
LA GLOSE. A peine Notre-Seigneur s'est justifié de fréquenter les pécheurs et de participer à leurs repas qu'on l'attaque sur l'action de manger elle-même. " Alors, dit l'Évangéliste, les disciples de Jean vinrent le trouver, et lui dirent : Pourquoi les Pharisiens et nous, jeûnons-nous ? " etc. S. JER. Question pleine d'orgueil, et coupable vanité du jeûne ! Les disciples de Jean étaient inexcusables de s'être joints aux pharisiens que leur Maître avait si hautement condamnés, ils le savaient bien, et qui calomniaient celui qu'il avait annoncé. - S. Chrys. (hom. 31.) Cette question revient à dire : " Soit, vous agissez de la sorte comme médecin ; mais pourquoi vos disciples, laissant là le jeûne, vont-ils s'asseoir à de pareilles tables ? " Pour rendre l'accusation plus forte par la comparaison, ils se mettent en regard, eux d'abord, et puis les pharisiens. Car ces derniers jeûnaient pour obéir à la loi, comme ce pharisien qui disait : " Je jeûne deux fois dans la semaine, " et les disciples de Jean, d'après la recommandation de leur Maître. - RAB. Car Jean ne but ni vin, ni rien de ce qui peut enivrer, et le mérite de son abstinence est d'autant plus grand, qu'il n'avait aucune puissance sur la nature. Mais quant au Seigneur qui peut remettre les péchés, pourquoi s'abstiendrait-il de manger avec les pécheurs, puisqu'il peut les rendre plus justes que ceux qui font profession d'abstinence. Jésus-Christ jeûne pour vous apprendre à ne pas éluder le précepte du jeûne, et il mange avec les pécheurs, pour vous faire comprendre sa puissance et l'efficacité de sa grâce.
S. AUG. (de l'accord des Evang., liv. 2, chap. 27.) Saint Matthieu attribue cette question aux disciples de Jean ; le récit de saint Marc, au contraire (Mc 2), semblerait indiquer qu'elle fut faite par d'autres, c'est-à-dire par les convives, objectant l'exemple des disciples de Jean et des pharisiens ; ce que saint Luc (Lc 5) raconte en termes plus exprès. Si donc saint Matthieu s'exprime ainsi : " Alors les disciples de Jean s'approchèrent, " etc., c'est que ces disciples étaient présents, et que tous à l'envi faisaient autant qu'ils le pouvaient, cette objection. - S. CHRYS. (hom. 31.) Ou bien, si saint Luc place cette question dans la bouche des pharisiens, tandis que saint Matthieu l'attribue aux disciples de Jean-Baptiste, c'est que les pharisiens les avaient poussés à faire cette question, comme ils firent encore plus tard à l'égard des hérodiens. Il est à remarquer que lorsqu'il s'agit de prendre la défense des étrangers, des publicains par exemple, Notre-Seigneur, pour consoler leur âme ulcérée par le chagrin, repousse avec force les accusations dont ils sont l'objet, tandis qu'il répond avec une extrême douceur lorsque le blâme tombe sur ses disciples. Et Jésus leur dit : " Les amis de l'Époux peuvent-ils être dans le deuil pendant que l'Époux est avec eux ? " Il vient de se présenter comme médecin, ici il se donne le nom d'époux, rappelant ainsi ces paroles de Jean-Baptiste (Jn 3) : " L'époux est celui qui a l'épouse. " - S. JER. L'époux, c'est Jésus-Christ ; l'épouse, c'est l'Église. De cette union spirituelle sont nés les Apôtres, qui ne peuvent pas être dans le deuil tant qu'ils voient l'Époux dans la chambre nuptiale, et qu'ils savent qu'il est avec l'Épouse. Mais lorsque les jours des noces seront passés pour faire place au temps de la passion et de la résurrection, alors les fils de l'Époux jeûneront, comme il est dit : " Viendront des jours, " etc.
S. CHRYS. (hom. 31.) Voici le sens des paroles du Sauveur : " Le temps présent est le temps de la joie et de l'allégresse ; il ne faut pas y mêler de cause de tristesse. Car le jeûne est une chose triste, non pas précisément en elle-même, mais pour ceux dont les dispositions sont imparfaites, c'est-à-dire pour ceux qui n'ont pas encore atteint la force de la perfection spirituelle ; car il est plein de douceur pour ceux qui veulent se livrer à la contemplation de la sagesse et travailler à leur perfection. Notre-Seigneur se conforme donc à leurs idées, et il montre par là que la conduite de ses disciples était l'effet non point de la sensualité, mais d'une économie pleine de sagesse.
S. JER. Quelques-uns se fondent sur ces paroles pour conclure que l'on doit consacrer au jeûne les quarante jours qui suivent la passion, quoique les jours de la Pentecôte et la descente de l'Esprit saint qui suivent immédiatement, nous apportent de nouveaux sujets de joie. Montan, Prisca et Maximilla prennent occasion des mêmes paroles pour faire le carême après la Pentecôte, en alléguant que les fils de l'Époux doivent jeûner lorsque l'Époux a disparu. Mais la coutume de l'Église est de se disposer à la passion et à la résurrection du Seigneur par l'humiliation de la chair, et de nous préparer par le jeûne du corps à l'abondance spirituelle que les mystères tiennent pour nous en réserve.
S. CHRYS. (hom. 31). Le Sauveur appuie de nouveau sa doctrine sur des exemples empruntés à la vie ordinaire : " Personne, dit-il, ne met une pièce de drap neuf à un vieux vêtement, " etc., paroles dont voici le sens : Mes disciples ne sont pas encore assez forts, ils ont encore besoin de condescendance, l'Esprit saint ne les a pas encore renouvelés ; dans cette disposition, il ne faut point leur imposer le lourd fardeau des préceptes. En parlant de la sorte, il trace à ses apôtres la règle qu'ils devront suivre, de traiter avec douceur les disciples qui leur viendront de toutes les parties de la terre. - REMI. Par ce vieux vêtement il veut désigner ses disciples, car ils n'étaient pas encore entièrement renouvelés ; ce morceau d'étoffe forte, c'est-à-dire neuve, signifie la grâce de la nouvelle loi, c'est-à-dire la doctrine de l'Évangile, dont le jeûne est une petite partie. Il ne convenait donc pas qu'il leur imposât la loi dure et pénible du jeûne, qui aurait pu les briser par sa rigueur et leur faire perdre la foi. C'est pour cela qu'il ajoute : " Car le neuf emporte une partie du vieux. "

La GLOSE. C'est comme s'il disait : Une pièce d'étoffe, c'est-à-dire neuve, ne doit pas être cousue à un vieil habit, car souvent elle emporte tout ce qu'elle recouvre, c'est-à-dire le vêtement presque tout entier, et la déchirure est plus grande. C'est ainsi qu'en imposant un lourd fardeau à un homme encore novice, on détruit souvent le bien qui existait auparavant dans son âme.

REMI. A ces deux comparaisons, celle des noces et celle d'une pièce d'étoffe neuve et d'un vêtement usé, il en ajoute une troisième, celle des outres et du vin : " Et l'on ne met point, dit-il, du vin nouveau dans de vieilles outres, " etc. Ces vieilles outres ce sont ses disciples, qui n'étaient pas encore parfaitement renouvelés ; et le vin nouveau signifie la plénitude de l'Esprit saint et les mystères du ciel, dont les disciples n'étaient pas encore capables de pénétrer la profondeur. Mais après la résurrection, ils devinrent des outres neuves ; ils reçurent le vin nouveau lorsque l'Esprit saint vint remplir leur cœur ; ce qui fait dire à quelques-uns : " Ils sont tous pleins de vin nouveau. " - S. CHRYS. (hom. 31.) Le Sauveur nous donne ainsi la raison de tant de paroles simples et familières qu'il disait à ses apôtres, pour s'accommoder à leur faiblesse.
S. JER. Nous pouvons encore entendre par ce vêtement usé et par ces vieilles outres, les scribes et les pharisiens. Ce morceau de drap neuf et le vin nouveau sont les préceptes de l'Évangile qu'on ne peut imposer aux Juifs, dans la crainte d'une déchirure plus grande. Les Galates voulaient faire quelque chose de semblable, en mêlant les prescriptions de la loi avec celles de l'Évangile, et en mettant du vin nouveau dans de vieilles outres ; mais l'Apôtre les en reprit en ces termes : " O Galates insensés, qui vous, a fasciné l'esprit pour vous rendre ainsi rebelles à la vérité ? " Il fallait donc verser d'abord la doctrine de l'Évangile dans le cœur des Apôtres, avant d'en faire part aux scribes et aux pharisiens qui, étant corrompus par les traditions de leurs ancêtres, ne pouvaient conserver la pureté sans mélange des préceptes du Christ. Il y a, en effet, une grande différence entre la pureté d'une âme virginale qu'aucune faute antérieure n'a soufflée, et celle d'une âme qui a traîné dans la fange de toutes les passions. - LA GLOSE. Par là le Sauveur nous apprend que les Apôtres ne devaient pas être retenus captifs des anciennes observances, eux qui devaient être comme inondés des flots d'une grâce toute nouvelle.

S. AUG. (serm. du Carême). Ou bien encore, tout chrétien qui jeûne convenablement humilie son âme dans les gémissements de la prière et la mortification du corps, ou la détache des séductions de la chair sous le charme d'une sagesse toute spirituelle. Or, le Seigneur embrasse dans sa réponse ces deux espèces de jeûne. Il dit du premier qui tend à humilier notre âme : " Les fils de l'Époux ne peuvent pas être dans le deuil ; " et de celui qui offre à l'âme un aliment tout spirituel : " Personne ne met un morceau de drap neuf, " etc. Mais lorsque l'Époux nous est enlevé, c'est alors qu'il faut pleurer, et notre douleur sera véritable si nous brûlons du désir de le voir. Heureux ceux qui ont pu jouir de sa présence avant sa passion, l'interroger suivant leurs désirs, et l'écouter avec le respect qu'ils devaient à ses divines paroles. Nos pères ont désiré le voir avant sa venue, et ils ne l'ont point vu. Dieu leur avait donné une autre mission : ils devaient annoncer son avènement, mais ils ne devaient pas entendre sa parole, lorsqu'il serait descendu sur la terre. C'est en nous que se sont accomplies ces paroles du Sauveur : " Il viendra un temps où vous désirerez voir un de ces jours, et vous ne le pourrez pas. " Qui donc ne consentira à être dans le deuil ici-bas ? Qui ne dira : " Mes larmes sont devenues mon pain le jour et la nuit, pendant qu'on me dit tous les jours : Où est ton Dieu ? " C'est donc avec raison que l'Apôtre désirait d'être dégagé des liens du corps pour être avec Jésus-Christ.

S. AUG. (de l'accord des Evan g., liv. 2, chap. 12.) Saint Matthieu emploie le mot tristesse là où saint Marc et saint Luc se sont servis de l'expression jeûner, parce que le jeûne dont parle ici le Seigneur renferme l'humiliation d'une âme affligée, tandis que les dernières comparaisons ont pour objet l'autre espèce de jeûne qui consiste dans la joie de l'âme que les douceurs spirituelles tiennent comme suspendue et détachée des aliments terrestres. Notre-Seigneur nous apprend ainsi que ceux qui sont trop occupés de leur corps et qui n'ont point dépouillé le vieil homme et ses inclinations, ne sont pas capables de cette espèce de jeûne.
S. HIL. (can. 9 sur S. Matth.) Dans le sens mystique, la réponse que Notre-Seigneur fait ici, en déclarant que ses disciples ne doivent point jeûner tant qu'ils jouissent de la présence de l'Époux, nous apprend la joie dont sa présence est pour nous le principe, et nous rappelle le sacrement où il nous donne une nourriture sainte, nourriture qui ne fera défaut à personne pourvu que Jésus-Christ soit présent, c'est-à-dire qu'on le possède au dedans de soi-même. Mais lorsque l'Époux leur sera enlevé, alors ils jeûneront, car aucun de ceux qui ne croiront pas à la résurrection du Christ, ne mangera le pain de vie, puisque le sacrement où nous recevons le pain du ciel nous est donné comme gage de notre foi en la résurrection. - S. JER. Ou bien encore, c'est lorsque nos péchés ont forcé l'Époux de s'éloigner, qu'il faut recourir au jeûne et nous abandonner à la tristesse. - S. HIL. (Can. 9 sur S. Matth.) Ces exemples nous sont aussi proposés pour nous apprendre que les âmes, aussi bien que les corps affaiblis par d'anciens péchés, sont incapables de recevoir les sacrements de la grâce nouvelle.

RAB. Quoique ces diverses comparaisons n'aient qu'un même objet, elles diffèrent cependant l'une de l'autre. Le vêtement qui couvre notre corps représente les bonnes oeuvres que nous faisons extérieurement ; et le vin qui nous fortifie intérieurement signifie la ferveur de la foi et de la charité qui renouvelle l'intérieur de notre âme.

vv. 18-22
S. CHRYS. (hom. 32.) Aux enseignements Jésus-Christ fait succéder les oeuvres, ce qui devait surtout fermer la bouche aux pharisiens ; car celui qui venait demander un miracle était un chef de la synagogue, et sa douleur était grande ; cette jeune personne était sa fille unique, et dans la première fleur de l'âge, puisqu'elle n'avait que douze ans. " Comme il leur parlait de la sorte, un chef s'approcha. " S. AUG. (de l'accord des Evang., liv. 2, chap. 28.) Saint Marc et saint Luc racontent le même fait, mais en suivant un ordre différent, et ils le placent après que Jésus eut traversé le lac, en quittant le pays des Gérazéniens, où il avait chassé les démons dans un troupeau de pourceaux. Selon le récit de saint Marc, ce fait ce serait passé après que Jésus eut de nouveau traversé le lac ; mais combien de temps après ? c'est ce qu'on ne peut savoir. Cependant s'il n'y avait eu aucun intervalle, il n'y aurait pas moyen de placer ce que raconte saint Matthieu du repas qui eut lieu dans sa maison, et c'est immédiatement après que le chef de la synagogue est venu trouver Jésus. Car si ce prince s'est présenté lorsque Jésus proposait la comparaison du drap neuf et du vin nouveau, on ne doit pouvoir placer aucune action, aucune parole intermédiaire. Or, dans la narration de saint Marc, on voit où l'on pourrait intercaler d'autres faits. Saint Luc lui-même n'est pas contraire à saint Matthieu, car la manière dont il commence son récit : " Et voici qu'un homme qui s'appelait Jaïre, " n'indique pas que ce soit immédiatement après ce qui précède, mais après ce que saint Matthieu raconte en ces termes du repas qu'il prenait avec les publicains : " Pendant qu'il parlait de la sorte, un prince (c'est-à-dire Jaïre, chef de la synagogue) s'approcha, et il l'adorait en lui disant : Seigneur, ma fille vient de mourir. " Pour faire disparaître toute contradiction, il faut remarquer que les deux autres Évangélistes ne disent pas qu'elle est morte, mais sur le point de mourir, tellement qu'ils ajoutent que des envoyés vinrent apprendre au père que sa fille était morte, et qu'il n'eût point à tourmenter davantage le Seigneur. Il faut donc admettre que pour abréger, saint Matthieu s'est attaché surtout à rapporter la prière qui fut adressée au Sauveur de faire ce qu'il fit en effet, c'est-à-dire de ressusciter celle qui venait de mourir. Il ne s'est donc pas arrêté à de que le père dit à Jésus de sa fille, mais, ce qui est bien plus important, aux sentiments et aux désirs qui l'agitaient. En effet, cet homme avait tellement désespéré de l'état de sa fille, que ce qu'il désirait, c'est qu'elle fût rendue à la vie, tant il croyait peu qu'il dût retrouver vivante celle qu'il avait laissée si près de la mort. Les deux autres évangélistes ont donc rapporté les paroles de Jaïre ; saint Matthieu nous fait connaître surtout ses désirs, ses pensées. Évidemment si l'un de ces deux Évangélistes avait prêté au père ces paroles, que Jésus n'eût pas à se mettre en peine, parce que sa fille était morte, le langage que lui fait tenir saint Matthieu serait contradictoire. Mais rien ne dit que cet homme ait partagé les sentiments de ses serviteurs. Nous trouvons ici un des principes d'explication les plus importants : c'est que dans les paroles d'un homme nous ne devons chercher que ce qu'il a l'intention de dire, que la volonté dont ses paroles sont l'expression, et que ce n'est point mentir que de raconter en d'autres termes ce qu'il a voulu dire sans rapporter les expressions dont il s'est servi. - S. CHRYS. (hom. 32.) Ou bien encore, ce que ce chef de la synagogue dit de la mort de sa fille n'est qu'une manière d'exagérer son malheur. C'est l'ordinaire de tous ceux qui demandent une grâce d'amplifier les maux qu'ils souffrent, et d'ajouter à la vérité pour fléchir plus efficacement ceux dont ils implorent le secours. C'est pourquoi il dit à Jésus : " Mais venez lui imposer les mains, et elle vivra. " Voyez quelles idées grossières il avait encore sur le Sauveur. Il lui demande deux choses : et de venir en personne, et d'imposer les mains ; c'est ce que demandait ainsi Naaman au prophète Elisée. C'est qu'en effet ceux qui se trouvent dans ces dispositions imparfaites ont besoin de signes sensibles et frappants.

REMI. Admirons ici tout à la fois l'humilité et la douceur du Seigneur. A peine le centurion l'en a-t-il prié, qu'il consent à le suivre : " Alors Jésus, se levant, le suivit. " Le Sauveur instruit tout à la fois les supérieurs et ceux qui sont placés sous leur direction ; à ceux-ci il donne un exemple d'obéissance ; à ceux-là, il fait voir quelle doit être leur assiduité, leur sollicitude dans l'enseignement, et le zèle avec lequel ils doivent se transporter là où ils apprennent qu'un homme a perdu la vie de l'âme.

SUITE. " Et ses disciples marchèrent avec lui. " S. CHRYS. (hom. 32.) Suivant saint Marc et saint Luc, Jésus prit avec lui trois de ses disciples, Pierre, Jacques et Jean ; il ne choisit point Matthieu afin d'exciter en lui un désir plus vif, et aussi parce que ses dispositions étaient encore imparfaites. Il honore les premiers pour engager les autres à se rendre semblables à eux. C'était assez pour Matthieu d'être témoin de la guérison de cette femme qui souffrait d'une perte de sang : " Et voici, nous dit-il, qu'une femme qui souffrait d'une perte de sang depuis douze ans, s'approcha par derrière, et toucha la frange de son vêtement. "

S. JER. Ce n'est ni dans la maison où était le Sauveur ni dans la ville que cette femme vient le trouver (car la loi lui défendait d'habiter dans les villes) (Lv 19, 25), mais elle se présente à Jésus au milieu du chemin, et c'est ainsi qu'en allant pour guérir une femme il rend la santé à une autre. - S. CHRYS. (hom. 32,) Cette femme ne vient pas faire à Jésus-Christ un aveu public de son infirmité, elle en avait honte dans la persuasion qu'elle était impure ; car la loi considérait cette maladie comme une très-grande impureté ; c'est pourquoi elle se cache et veut se dérober à tous les regards. - REMI. Cette humilité est digne de tout éloge ; elle ne se présente pas devant le Sauveur, elle s'approche par derrière, et se juge indigne de toucher ses pieds. Ce n'est pas même son vêtement qu'elle touche, mais la frange seulement ; car le Seigneur portait une frange à son vêtement pour obéir à une prescription de la loi. (Nb 15, 38) Les pharisiens aussi portaient des franges qu'ils étalaient avec orgueil, et auxquelles ils ajoutaient des espèces d'épines. Mais les franges des vêtements du Sauveur n'avaient rien qui pût blesser, et ne pouvaient que guérir. Aussi cette femme disait en elle-même : " Si je touche seulement la frange de sa robe, je serai guérie. " Sa foi est vraiment admirable : elle a perdu tout espoir de la part des médecins qui lui ont dévoré tout son avoir, mais elle comprend qu'elle a trouvé un médecin descendu du ciel, c'est en lui qu'elle place toute son espérance, et c'est pour cela qu'elle mérita sa guérison. " Et Jésus se retournant alors, et la voyant, lui dit : Ma fille, ayez confiance : votre foi vous a guérie. " - RAB. Pourquoi donc lui recommander la confiance ? Si elle n'avait pas eu la foi, elle ne lui aurait pas demandé sa guérison. Ce qu'il exige d'elle, c'est la force et la persévérance de la foi, afin qu'elle parvienne à une guérison certaine et véritable. - S. CHRYS. (hom. 32.) Ou bien, il veut rassurer cette femme trop craintive, en lui disant : " Ayez confiance. " Il l'appelle sa fille, car la foi l'avait rendue véritablement sa fille. - S. JER. Il ne lui dit pas : Votre foi vous guérira, mais " votre foi vous a guérie ; " car vous êtes déjà guérie par cela seul que vous avez cru. - S. CHRYS. (hom. 32.) Cependant cette femme n'avait pas encore une connaissance parfaite du Sauveur, puisqu'elle croyait pouvoir se dérober à ses regards. Mais il ne permit pas qu'elle demeurât cachée, non point pour la gloire qui pourrait lui en revenir, mais dans l'intérêt de tous ceux qui étaient présents. Premièrement, il bannit la crainte du cœur de cette femme qui aurait pu se reprocher d'avoir dérobé la grâce de sa guérison ; secondement, il rectifie la pensée qu'elle avait eue de pouvoir se cacher ; troisièmement, il révèle à tous sa foi pour les porter à l'imiter. Enfin, en montrant qu'il savait tout, il nous donne une preuve non moins grande de sa divinité qu'en arrêtant cette perte de sang. " Et cette femme, continue l'Évangéliste, fut guérie à l'heure même. " - LA GLOSE. Ce fut au moment même où elle toucha le bord de sa robe, et non pas au moment qu'il se retourna vers elle, car alors elle était déjà guérie, comme les autres Évangélistes le remarquent expressément, et comme on peut le conclure des paroles mêmes du Seigneur. - S. HIL. Combien la puissance du Seigneur se montra ici admirable ! Cette puissance qui résidait dans son corps communiquait à des choses périssables la vertu de guérir, et l'opération divine s'étendait jusqu'aux franges de ses vêtements. C'est qu'en effet Dieu ne pouvait être ni circonscrit ni renfermé dans les limites étroites d'un corps, car en s'unissant à un corps mortel il n'y a point renfermé la nature de sa puissance, mais cette même puissance a élevé la fragilité de notre chair pour accomplir l'oeuvre de notre rédemption.
Dans le sens mystique, ce chef représente la loi qui vient demander à Jésus-Christ de rendre la vie au cadavre de ce peuple qu'elle lui avait préparé, et qu'elle avait nourri elle-même de l'espérance de son avènement. - RAB. Ou bien, ce prince de la synagogue représente Moïse, et il s'appelle Jaïre, c'est-à-dire qui illumine ou qui est illuminé ; car il a reçu les paroles de vie pour nous les transmettre, et éclairer ainsi les autres comme il est éclairé lui-même par l'Esprit saint. La fille du chef de la synagogue (c'est-à-dire la fille de la synagogue elle-même, âgée de douze ans, âge de la puberté) est abattue sous le poids des erreurs qui la minent, alors qu'elle devait enfanter à Dieu une famille toute spirituelle. Pendant que le Verbe de Dieu s'empresse d'aller trouver cette fille du chef de la synagogue pour sauver les enfants d'Israël, la sainte Église composée des Gentils, et dont les forces se perdaient au milieu des crimes qui se commettaient dans son sein, s'empare par sa foi de la guérison qui était destinée à d'autres. - RAB. Remarquez encore que la fille du chef de la synagogue est âgée de douze ans, et que cette femme souffre depuis douze ans de cette perte de sang, en sorte que l'une avait commencé à souffrir au moment où l'autre venait de naître : or, ce fut à peu près à la même époque que les patriarches donnèrent le jour à la synagogue, et que la multitude des nations étrangères se plongea dans les souillures de l'idolâtrie. Car la perte de sang dont il est ici question peut s'entendre de deux manières ou de la fange de l'idolâtrie, ou des plaisirs de la chair et du sang. Ainsi pendant que la synagogue avait encore toute sa force, l'Église était languissante ; mais le péché de la synagogue est devenu le salut des Gentils. Or, l'Église s'approche du Seigneur, et le touche, lorsqu'elle vient à lui par la foi.

LA GLOSE. Elle crut, elle dit, elle toucha ; car c'est par ces trois choses la foi, la parole et les oeuvres, que l'on obtient le salut. - RAB. Elle s'approcha par derrière, obéissant par avance à cette parole : " Si quelqu'un veut être mon disciple, qu'il me suive. " Ou bien c'est parce que n'ayant point vu le Seigneur revêtu d'une chair mortelle, elle est parvenue à le connaître après l'accomplissement des mystères de son incarnation : c'est pour cela qu'elle touche la frange de son vêtement ; figure en cela du peuple des Gentils qui, sans avoir vu le Fils de Dieu incarné, a reçu la parole qui lui annonçait son incarnation. En effet, on peut dire que le mystère de l'incarnation de Jésus-Christ est comme le vêtement dont la divinité était enveloppée, et la doctrine de l'incarnation comme la frange de ce vêtement. Les Gentils ne touchent pas le vêtement, mais seulement la frange, car ils n'ont point vu le Seigneur incarné, mais ils ont reçu par les Apôtres la doctrine de l'incarnation. Heureux celui qui touche par la foi, ne fût-ce même que les extrémités du Verbe ! Ce n'est pas au milieu de la ville que cette femme est guérie, mais dans le chemin où marche le Sauveur ; c'est pour cela que les Apôtres ont dit plus tard : " Parce que vous vous jugez vous-mêmes indignes de la vie éternelle, voilà que nous allons vers les Gentils. " Or, ce fut dès l'avènement du Sauveur que la Gentilité reçut les prémices du salut.

vv. 23-26
LA GLOSE. Après la guérison de l'hémorroïsse, vient la résurrection de la jeune fille que l'écrivain sacré raconte en ces termes : " Et lorsque Jésus fut arrivé dans la maison du chef de la synagogue. " - S. CHRYS. (hom. 32.) Il est à remarquer que Notre-Seigneur semble user ici de lenteur, et qu'il s'entretient avec la femme qu'il vient de guérir pour laisser à la jeune fille le temps de mourir, et rendre ainsi plus éclatant le fait de sa résurrection. Il suivit la même conduite à l'égard de Lazare, qui demeura dans le tombeau jusqu'au troisième jour. " Et lorsqu'il eut vu les joueurs de flûte et une foule qui faisait grand bruit. " Nous avons là une preuve évidente que la jeune fille était morte. - S. AMB. (sur S. Luc, 6.) En effet, c'était un usage chez les anciens de faire venir des joueurs de flûte pour exciter la douleur et faire couler les larmes aux funérailles des morts. - S. CHRYS. (hom. 32.) Mais Jésus-Christ chassa tous ces joueurs de flûte, et fit entrer les parents de la jeune fille afin que l'on ne pût attribuer à un autre sa résurrection. Avant même de la ressusciter, il relève leur courage par ces paroles : " Retirez-vous, car la jeune fille n'est pas morte, mais elle dort. " - RAB. C'est-à-dire elle est morte à vos yeux, mais pour Dieu qui peut la ressusciter, elle n'est qu'endormie dans son corps comme dans son âme. - S. CHRYS. Par ces paroles, le Sauveur apaise l'agitation intérieure de ceux qui étaient présents, et il leur montre avec quelle facilité il peut ressusciter les morts. Il tint le même langage à Lazare (Jn 11) : " Notre ami Lazare dort, " et il nous apprend ainsi à ne pas redouter la mort. Comme il devait mourir lui-même, il voulut, en rendant la vie à quelques morts, ranimer la confiance de ses disciples, et leur apprendre à supporter la mort avec courage. Car dès qu'il s'approche, la mort n'est plus qu'un sommeil. Or, en entendant ces paroles, ils se moquaient de lui, mais il ne leur en fait aucun reproche : car il voulait que cette dérision, les flûtes et toutes les autres circonstances fussent autant de preuves de la mort de cette jeune fille. Comme il arrive bien souvent que les hommes refusent de croire aux miracles lorsqu'ils sont opérés, il veut les convaincre auparavant par leurs propres aveux ; c'est ce qu'il fit encore à la mort de Lazare, lorsqu'il demanda : " Où l'avez-vous mis ? " Afin que ceux qui lui répondirent : " Venez et voyez " fussent forcés de croire que Lazare était véritablement mort, et qu'il l'a ressuscité.
S. JER. Mais ceux qui couvraient ainsi d'indignes outrages le Sauveur qui allait ressusciter cette jeune fille, n'étaient pas dignes d'assister au fait mystérieux de sa résurrection ; c'est pourquoi l'Évangéliste ajoute : " Et après qu'on eut fait sortir tout le monde, il entra, lui prit la main, et la jeune fille se leva. " - S. CHRYS. (hom. 32.) Il n'introduit pas dans son corps une âme nouvelle, mais il y fait rentrer celle qui en était sortie, et rappelle la jeune fille comme d'un sommeil, pour préparer ainsi les esprits à croire en la résurrection. Non-seulement il ressuscite cette jeune fille, mais il lui fait encore donner à manger, pour que tous soient bien convaincus que cette résurrection n'est pas une chose imaginaire, mais bien une réalité. - " Et le bruit s'en répandit dans tout le pays. - LA GLOSE. Cette circonstance fait ressortir la grandeur et la nouveauté de ce miracle, en même temps qu'elle devient une preuve évidente et irréfragable de sa vérité.
S. HIL. (can. 9 sur S. Matth.) Dans le sens mystique, Notre-Seigneur entre dans la maison du chef de la synagogue, c'est-à-dire dans la synagogue elle-même, au moment ou les cantiques de la loi font entendre en son honneur des chants funèbres. - S. JER. Jusqu'à ce jour la jeune fille repose morte dans la maison de son père, et ceux qui paraissent être les maîtres sont les joueurs de flûte qui font entendre des airs lugubres. La foule des Juifs n'est pas le peuple des croyants, c'est une foule tumultueuse. Mais lorsque la plénitude des nations sera entrée, alors tout Israël sera sauvé. (Rm 11.) - S. HIL. Afin qu'il fût bien démontré que le nombre des croyants était limité, la foule tout entière fut mise dehors. Le Sauveur aurait bien désiré qu'elle fût sauvée, mais en se moquant de ses paroles et de ses actions, elle se rendit indigne d'être témoin de la résurrection de cette jeune fille. - S. JER. " Jésus lui prit la main, et la jeune fille se leva, " car la synagogue ne peut avoir part à la résurrection avant que les mains des Juifs n'aient été purifiées du sang dont elles sont souillées. - S. HIL. Le bruit de cette résurrection se répand dans toute cette contrée ; en effet, après que Jésus a sauvé ceux qu'il avait élus, ils vont publier les bienfaits du Christ et ses oeuvres.

RAB. Dans le sens moral, la jeune fille morte dans la maison, c'est l'âme qui est morte dans ses pensées. Le Sauveur dit qu'elle n'est qu'endormie, parce que ceux qui pèchent dans la vie présente peuvent encore ressusciter par la pénitence. Les joueurs de flûte, ce sont les flatteurs qui applaudissent à celle qui est morte. - S. GREG. (Moral. 17, 25.) La foule est mise dehors avant que la jeune fille soit ressuscitée, car tant que la multitude des intérêts temporels n'est pas chassée des plus secrètes parties du cœur, l'âme qui est morte au dedans ne peut ressusciter. - RAB. Notre-Seigneur ressuscite cette jeune fille dans la maison en présence d'un petit nombre de témoins, le jeune homme en dehors de la porte de la ville, et Lazare devant un grand nombre de spectateurs, parce qu'une faute publique exige un remède public ; tandis qu'une faute légère peut être effacée par une pénitence secrète et plus douce.

vv. 27-31
S. JÉR. Ces premiers miracles qui ont pour objet la fille du prince de la synagogue et la femme malade sont suivis, par une admirable conséquence, de la guérison de deux aveugles. Il fallait, en effet, que la privation de la vue démontrât ce que la mort et la maladie venaient elles-mêmes de proclamer ; c'est pour cela qu'il est dit : " Comme Jésus sortait de ce lieu (c'est-à-dire s'éloignait de la maison de Jaïre), deux aveugles le suivirent en criant et en disant : Fils de David, ayez pitié de nous. " - S. CHRYS. (hom. 33.) C'est là un grand sujet d'accusation contre les Juifs : des hommes privés de la vue reçoivent la foi par l'ouïe seule, tandis que les Juifs, dont les yeux constataient la vérité de ces miracles, refusent d'y croire. Voyez encore le désir de ces aveugles ; ils ne se contentent pas d'approcher de Jésus, mais ils le font avec de grands cris, et en ne lui demandant qu'une seule chose, c'est qu'il ait pitié d'eux. Ils l'appellent Fils de David, parce que ce nom leur paraissait un titre d'honneur. - REMI. C'est avec raison d'ailleurs qu'ils lui donnent ce nom, car la Vierge Marie descendait de la race de David. - S. JER. Que Marcion, que les Manichéens et les autres hérétiques se rendent attentifs à ces paroles, eux qui déchirent l'Ancien Testament, et qu'ils apprennent que le Sauveur est proclamé Fils de David. Or, s'il n'est pas né dans une chair mortelle, comment peut-il être appelé Fils de David ?

S. CHRYS. (hom. 33.) Il est à remarquer que dans une foule de circonstances ce n'est qu'après qu'on l'en a prié que le Seigneur guérit les malades, car il ne veut pas laisser croire qu'il a couru après les miracles pour s'attirer de l'honneur et de la gloire. - S. JER. Et cependant, ce n'est pas dans le chemin et en passant, comme ils le pensaient, qu'il guérit ces aveugles qui le prient, mais lorsqu'il est arrivé dans la maison ; ils s'avancent pour entrer, et tout d'abord il examine leur foi, afin de les préparer à recevoir la lumière de la vraie foi. " Lorsqu'il fut entré dans la maison, ces aveugles s'approchèrent de lui, et Jésus leur dit : " Croyez-vous que je puisse faire ce que vous me demandez ? " - S. CHRYS. Il nous apprend une fois de plus à fuir la gloire que donne la multitude, car comme la maison n'était pas éloignée, il y conduit les aveugles pour les y guérir en secret. - REMI. Lui qui pouvait rendre la vue aux aveugles, ne pouvait ignorer s'ils avaient la foi ; il les interroge toutefois, afin qu'en confessant de bouche la foi qu'ils portaient dans leur cœur, ils pussent obtenir une récompense plus grande, selon ces paroles de l'Apôtre : " Il faut confesser de bouche pour obtenir le salut. " - S. CHRYS. (hom. 33.) Et ce n'est pas la seule raison ; Jésus voulait encore montrer qu'ils étaient dignes d'être guéris, et prévenir cette difficulté : que si le salut était l'oeuvre exclusive de la miséricorde, tous devaient y avoir part. Il exige encore d'eux la foi, afin de les élever plus haut ; ils l'ont appelé Fils de David, il leur apprend qu'ils doivent avoir de lui de plus hautes idées. Aussi ne leur dit-il pas : " Croyez-vous que je puisse prier mon Père ? " mais : " Croyez-vous que je puisse faire ce que vous me demandez ? " Ils lui répondent : " Oui, Seigneur. " Ils ne l'appellent plus Fils de David, ils s'élèvent plus haut et confessent sa souveraineté. Il leur imposa alors les mains, comme dit le texte sacré, et il toucha leurs yeux en leur disant : " Qu'il vous soit fait selon votre foi. " Il leur parle de la sorte pour affermir leur foi et constater en même temps que ce qu'ils venaient de dire ne leur avait pas été dicté par la flatterie. L'Évangéliste rapporte ensuite leur guérison : " Et aussitôt leurs yeux furent ouverts. " Jésus leur défend d'en parler à qui que ce soit ; et ce n'est pas une simple défense, c'est un ordre exprès accompagné de menaces sévères. " Et Jésus leur défendit fortement d'en parler, en leur disant : " Prenez bien garde que qui que ce soit ne le sache ! " Mais eux, s'en étant allés, répandirent sa réputation dans tout le pays. " - S. JER. C'est par amour pour l'humilité et pour fuir l'éclat de la vaine gloire que Jésus leur fait cette défense ; mais la reconnaissance qu'ils éprouvent d'un si grand bienfait, ne leur permet pas de garder le silence. - S. CHRYS. Ce que Notre-Seigneur dit à un autre dans une circonstance différente : " Va et annonce la gloire de Dieu " (Lc 8), n'est pas contraire à ce qui est ici raconté. Jésus veut nous apprendre à fermer la bouche à ceux qui cherchent à nous louer, en rapportant à nous seuls les louanges qu'ils nous donnent. Mais si ces louanges doivent se rapporter à Dieu, bien loin de les défendre, nous devons les exciter et les prescrire. - S. HIL. Ou bien encore le Sauveur commande à ces aveugles de se taire, parce que c'était aux Apôtres qu'était réservé l'office de la prédication.

S. GREG. (Moral., 19, 14.) Examinons ici pourquoi le Tout-Puissant, pour qui vouloir et pouvoir sont une même chose a voulu que ses miracles demeurassent cachés, et que cependant ils fussent dévoilés comme malgré lui par ceux qui venaient de recouvrer l'usage de la vue. Il veut apprendre à ses disciples qui devaient marcher à sa suite, qu'ils devaient désirer que leurs vertus demeurassent cachées aussi aux yeux des hommes, et cependant les laisser publier malgré eux dans l'intérêt de ceux qui pourraient en profiter. Ils doivent donc rechercher le secret par inclination, et laisser dévoiler leurs oeuvres par nécessité. Qu'ils aiment à se cacher pour garder plus sûrement leur âme de tout danger, et qu'ils consentent à se voir divulgués dans l'intérêt des autres.

REMI. Dans le sens allégorique, ces deux aveugles sont la figure des deux peuples, du peuple juif, et des Gentils, ou bien des deux fractions du peuple juif qui se séparèrent sous Roboam (cf. 3 R 12). Notre-Seigneur Jésus-Christ choisit dans l'un et l'autre peuple qui croyait en lui, ceux qu'il devait éclairer dans la maison, qui est son Église, car en dehors de l'unité de l'Église, personne ne peut être sauvé. Or, ceux d'entre les Juifs qui crurent en Jésus publièrent son avènement dans tout l'univers. RAB. La maison du chef de la synagogue, c'est la synagogue elle-même qui est soumise à Moïse ; la maison de Jésus, c'est la céleste Jérusalem. Pendant que le Seigneur traverse ce monde pour retourner dans sa maison, les deux aveugles se mettent à le suivre ; en effet, après la prédication de l'Évangile par les Apôtres, un grand nombre d'entre les Juifs et d'entre les Gentils se sont rangés sous sa conduite. Mais après son ascension dans les cieux, il est entré dans sa maison (c'est-à-dire dans son Église), et là, il leur a rendu l'usage de la lumière.

vv. 32-34
REMI. Par un enchaînement admirable, le Sauveur, après avoir rendu la vue aux aveugles, délie la langue d'un muet, et guérit un homme possédé du démon, et il se déclare ainsi le Dieu de toute puissance, et l'auteur des guérisons divines, selon cet oracle d'Isaïe (Is 35) : " Alors les yeux des aveugles et les oreilles des sourds seront ouverte, et la langue des muets sera déliée. " Après leur départ, dit l'Évangéliste, " on lui présenta un homme muet. " - S. JER. Le mot grec ??f?? (cophos), dans le langage ordinaire, signifie plutôt sourd que muet, mais c'est l'usage des écrivains sacrés de le prendre indifféremment dans les deux sens. - S. CHRYS. (hom. 33.) Cette infirmité n'était pas naturelle, elle venait de la malignité du démon. C'est pourquoi cet homme eut besoin d'un secours étranger pour arriver jusqu'à Jésus-Christ, et il ne put ni le prier par lui-même, n'ayant pas l'usage de la parole, ni le faire prier par d'autres, le démon tenant liée son âme aussi bien que sa langue. Aussi le Sauveur n'exige pas de lui la foi, mais il le guérit aussitôt, comme le rapporte l'écrivain sacré : " Et le démon ayant été chassé, le muet parla. " - S. HIL. (can. 9 sur S. Matth.) L'ordre naturel des choses est parfaitement observé, le démon est d'abord chassé, et le corps reprend immédiatement toutes ses fonctions.

" Et la multitude en fut dans l'admiration, et ils disaient : On n'a jamais rien vu de semblable en Israel ". - S. CHRYS. (hom. 33.) Ce n'est pas seulement parce qu'ils admiraient en lui le pouvoir de guérir qu'ils le plaçaient au-dessus de tous les autres, mais parce qu'il guérissait avec une facilité et une promptitude merveilleuse une infinité de maladies la plupart incurables. Ce qui contristait surtout les pharisiens, c'est que la multitude le proclamait supérieur non-seulement à ceux qui existaient alors, mais encore à tous ceux qui avaient jamais paru en Israel. C'est ce qui les excite en sens contraire à calomnier Jésus-Christ, comme le dit l'Évangéliste : " Les pharisiens, au contraire, disaient : C'est par le prince des démons qu'il chasse les démons. " - REMI. Les scribes et les pharisiens niaient les miracles du Sauveur autant qu'il leur était possible de le faire, et ils interprétaient en mauvaise part ceux qu'ils étaient obligés d'admettre. Ils accomplissaient ainsi cette parole du Roi-Prophète : " La multitude de vos prodiges convaincra vos ennemis de mensonge. " - S. CHRYS. (hom. 33.) Quoi de plus insensé que cette explication ? Peut-on imaginer qu'un démon chasse un autre démon ? Le démon applaudit à ses succès, mais il ne détruit pas ses oeuvres. Jésus-Christ, au contraire, ne chassait pas seulement les démons, mais il guérissait les lépreux, il ressuscitait les morts, il remettait les péchés, il prêchait le royaume de Dieu, et il amenait les hommes à son Père, ce que ne pouvait ni ne voulait faire le démon.

RAB. De même que dans le sens mystique les deux aveugles figuraient les deux peuples juif et gentil, ainsi cet homme muet et possédé est la figure du genre humain tout entier. - S. HIL. (can. 9 sur S. Matth.) Ou bien cet homme à la fois muet, sourd et possédé du démon représente le peuple des Gentils, indigne d'obtenir le salut, plongé qu'il est dans un abîme de maux, et comme enlacé dans tous les vices de la chair. - REMI. Le peuple des Gentils était muet, parce qu'il ne pouvait ouvrir la bouche pour confesser la vraie foi et publier les louanges de son Créateur, ou bien parce que, livré au culte des idoles muettes, il leur était devenu semblable. Il était possédé, parce que la mort de l'infidélité l'avait soumis à l'empire du démon. S. HIL. (can. 9 sur S. Matth.) La connaissance de Dieu ayant dissipé toutes les folles superstitions, l'homme recouvre tout à la fois l'usage de la vue, de l'ouïe, et de la parole du salut. - S. JER. De même que les aveugles reçoivent la lumière, ainsi la langue des muets se délie pour confesser celui qu'ils avaient auparavant nié. Cette foule qui est dans l'admiration, c'est la multitude des nations qui confessent la divinité du Seigneur. Les pharisiens qui le calomnient sont une figure de l'infidélité des Juifs qui persévère jusqu'à ce jour. - S. HIL. (can. 9 sur S. Matth.) L'admiration de la foule est accompagnée de cet aveu : " Jamais on n'a rien vu de semblable en Israël, " parce qu'en effet la puissance divine du Verbe sauve aujourd'hui tous ceux qui n'avaient pu recevoir aucun secours de la loi. - REMI. Dans ceux qui présentent le muet au Seigneur pour être guéri, on peut voir la figure des Apôtres et des prédicateurs qui ont offert aux yeux de la divine miséricorde le peuple des Gentils pour qu'elle lui accordât le salut. - S. AUG. (de l'accord des Evang., 2, 29.) Saint Matthieu est le seul qui raconte ce double miracle des deux aveugles et du muet. Les deux aveugles dont parlent les autres Évangélistes (Mc 10, 46 ; Lc 18, 35) ne sont pas les mêmes ; cependant le fait est semblable, et si saint Matthieu ne racontait pas ce miracle avec toutes ses circonstances, on pourrait croire que son récit est le même que celui de saint Marc et de saint Luc. Nous ne devons jamais perdre de vue qu'il se rencontre dans les Évangiles des faits qui présentent les mêmes caractères. On a une preuve certaine que ces faits sont différents lorsqu'ils sont rapportés par le même Évangéliste. Lorsque donc nous rencontrons des faits de même nature dans chacun des Évangélistes, et qu'il s'y trouve des particularités impossibles à concilier, nous devons en conclure que ce n'est pas le même fait, mais un fait semblable dans sa nature ou dans ses circonstances.

vv. 35-38
S. CHRYS. (hom. 33.) Le Seigneur voulut répondre par ses oeuvres à cette accusation des pharisiens : " C'est par le prince des démons qu'il chasse les démons. " Car lorsque le démon reçoit un outrage, il se venge non pas en faisant du bien, mais en cherchant à nuire à celui qui le déshonore. Le Seigneur tient une conduite contraire : après les injures et les outrages non-seulement il ne punit pas, il ne fait même pas de reproches ; bien plus il répand des bienfaits. C'est ce que l'Évangéliste ajoute : " Et Jésus parcourait toutes les villes et les bourgades. " C'est ainsi qu'il nous apprend à répondre à ceux qui nous accusent non par des accusations semblables, mais par des bienfaits. Celui qui, victime d'une accusation, cesse de faire le bien, montre qu'il n'agissait que pour s'attirer les louanges des hommes. Si au contraire Dieu est le principe du bien que vous faites à vos frères, quoiqu'ils entreprennent contre vous, leur conduite n'interrompra pas le cours de vos bienfaits, et votre récompense n'en sera que plus grande.
S. JER. Vous voyez qu'il prêche également l'Évangile dans les villages comme dans les villes et dans les bourgs, c'est-à-dire aux petits comme aux grands ; il ne considère pas la puissance qui vient de la noblesse, il ne voit que le salut de ceux qui croient en lui. L'Évangéliste ajoute : " Il enseignait dans leurs synagogues, accomplissant ainsi l'oeuvre que son Père lui avait confiée et satisfaisant la faim qu'il éprouvait de sauver les infidèles par sa parole. " Il enseignait dans les synagogues l'Évangile du royaume, comme le dit expressément le texte sacré : " Et il prêchait l'Évangile du royaume. " - REMI. Par cet évangile du royaume, il faut entendre l'Évangile de Dieu, car si on n'annonce que des biens temporels, ce n'est point là l'Évangile ; c'est pour cela que ce nom n'est pas donné à la loi, parce qu'elle ne promettait à ceux qui l'observaient que des biens temporels, et non ceux de l'éternité.
S. JER. Après avoir prêché l'Évangile et enseigné sa doctrine, il guérissait toutes les langueurs et toutes les infirmités, persuadant ainsi par ses oeuvres ceux que ses discours n'avaient pu persuader ; c'est ce qu'ajoute l'écrivain sacré : " Guérissant toute langueur et toute infirmité. " Ces paroles lui sont appliquées littéralement, car rien ne lui est impossible. - LA GLOSE. La langueur, ce sont les longues souffrances ; l'infirmité, les maladies les plus légères. - REMI. Remarquez qu'il guérissait intérieurement l'âme de ceux dont il guérissait extérieurement le corps, ce que les autres hommes ne peuvent faire par eux-mêmes, mais seulement par la grâce de Dieu.
S. CHRYS. (hom. 33.) La bonté de Jésus-Christ ne s'arrête pas là, il fait preuve à leur égard d'une autre sollicitude, et il ouvre sur eux les entrailles de sa miséricorde. " Et, voyant ces troupes, dit l'Évangéliste, il en eut compassion. " - REMI. Notre-Seigneur nous révèle ici les sentiments d'un bon pasteur si éloignés de ceux du mercenaire. Mais pourquoi cette compassion ? La suite nous l'apprend. - RAB. Ou bien ils étaient tourmentés par diverses erreurs ; ils étaient couchés, c'est-à-dire comme engourdis sans pouvoir se lever, et tout en ayant des pasteurs, ils étaient comme n'en ayant pas. - S. CHRYS. (hom. 33.) Le crime des princes des Juifs, c'est qu'étant les pasteurs du troupeau, ils se conduisaient à son égard comme des loups ; car non-seulement ils ne travaillaient pas à la réforme du peuple, mais encore ils nuisaient à son avancement. Le peuple dans l'admiration s'écriait : " Jamais on n'a rien vu de semblable dans Israël, " et à ce témoignage ils opposaient cette calomnie : " C'est par le prince des démons qu'il chasse les démons. "

REMI. Mais du moment que le Fils de Dieu eut regardé du ciel sur la terre pour entendre les gémissements de ceux qui étaient enchaînés (Ps 101), la moisson déjà grande devint plus considérable encore ; car jamais la multitude du genre humain ne fût parvenue à la foi, si l'auteur du salut des hommes n'eût jeté du ciel un regard de miséricorde sur la terre, et c'est pour cela que l'Évangéliste ajoute : " Alors il dit à ses disciples : " La moisson est grande, il est vrai, mais les moissonneurs sont peu nombreux. - LA GLOSE. La moisson, ce sont les hommes qui peuvent être moissonnés par les prédicateurs, séparés de la masse de perdition et conservés dans les greniers comme les grains détachés de la paille. - S. JER. La grande moisson signifie la multitude des peuples, et le petit nombre d'ouvriers, la rareté de ceux qui doivent enseigner. - REMI. Le nombre des Apôtres était bien petit en effet, en comparaison de ces vastes moissons. Or, le Sauveur exhorte ses prédicateurs, c'est-à-dire les Apôtres et leurs successeurs, à demander tous les jours que leur nombre s'augmente. " Priez donc le Maître de la moisson, qu'il envoie des ouvriers dans sa maison. - S. CHRYS. (hom. 33.) Il déclare ainsi indirectement qu'il est ce Maître dont il parle, car c'est lui-même qui est le Maître de la moisson. En effet, s'il a envoyé les Apôtres moissonner ce qu'ils n'avaient pas semé, il est évident qu'il n'a pu les envoyer recueillir la moisson d'autrui, mais ce que lui-même avait semé par les prophètes (Jn 4, 38). Mais comme ce sont les Apôtres qui sont les moissonneurs, il leur dit : " Priez donc le Maître de la moisson qu'il envoie des ouvriers en sa moisson. " Cependant il ne leur adjoignit personne. Ils restèrent douze, et il ne les multiplia qu'en ajoutant non pas à leur nombre, mais à leur puissance. REMI. Ou bien leur nombre a augmenté quand il en a désigné soixante-douze autres, et quand les prédicateurs sont devenus nombreux, l'Esprit Saint descendant sur les croyants. S. CHRYS. (hom. 33.) Le Sauveur nous apprend quel don précieux c'est que de pouvoir annoncer convenablement la parole de Dieu, en nous recommandant de prier à cet effet. Ces paroles nous rappellent les comparaisons du précurseur, l'aire, le van, la paille et le blé (Mt 3). - S. HIL. Dans le sens mystique, au moment où le salut est donné aux nations, toutes les villes, toutes les bourgades sont éclairées par l'avènement et la vertu du Christ. Le Seigneur a pitié de son peuple tourmenté par la violence tyrannique de l'esprit impur, et fatigué du lourd fardeau de la loi, car il n'avait pas encore de pasteur qui pût lui assurer la garde de l'Esprit saint. Or, le fruit de ce don céleste était on ne peut plus abondant, et sa source féconde ne pouvait être épuisée par la multitude de ceux qui venaient y participer ; car quel que soit leur nombre, sa plénitude se répand toujours de la même manière. Et comme il faut un grand nombre de ministres pour distribuer cette grâce, Notre-Seigneur ordonne de prier le Maître de la moisson d'envoyer un grand nombre de moissonneurs pour recevoir ce don de l'Esprit saint. En effet, c'est par le moyen de la prière que Dieu répand sur nous cette grâce.