ÉVANGILE DE SAINT MATHIEU PAR SAINT THOMAS D'AQUIN
CATANA AUREA DE SAINT THOMAS D'AQUIN SUR SAINT MATTHIEU
CHAPITRE
XIII
vv. 1-9.
S. CHRYS. (hom. 45.) Après avoir donné cette leçon à
celui qui lui avait annoncé la présence de sa mère et de
ses frères, Jésus se rend cependant à leurs désirs
et il sort de la maison. C'est ainsi qu'après avoir guéri d'abord
dans ses frères le mal de la vaine gloire, il rend ensuite à sa
mère l'honneur qui lui était dû. " Ce jour-là
même, Jésus étant sorti, " etc. - S. AUG. (De l'acc.
des Evang., 11, 41.) Cette expression : " Ce jour-là " indique
suffisamment que ce fait eut lieu immédiatement après ce qui précède
ou peu de temps après, à moins que l'on ne donne ici au mot jour
le sens qu'il a quelquefois dans l'Écriture, c'est-à-dire qu'on
le prenne pour un temps indéfini (Jn 14 ; 16, 23.25).
RAB. Non-seulement les paroles et les actions du Seigneur, mais encore ses courses
et les lieux témoins de ses prédications et de ses miracles sont
pleins d'enseignements mystérieux. Après le discours qu'il avait
prononcé dans cette maison où d'horribles blasphémateurs
l'avaient appelé possédé du démon, il sort pour
enseigner sur le bord de la mer ; il montre ainsi qu'il abandonne la Judée
pour la punir de sa perfidie et qu'il va porter le salut aux nations. En effet,
les curs des infidèles, longtemps dominés par l'orgueil
et l'incrédulité, sont comparés aux flots amers et soulevés
de l'Océan. Quant à la maison du Seigneur, qui ne sait que c'était
la Judée qui l'était devenue pour la foi ?
S. JER. Remarquons encore que le peuple ne pouvait entrer dans la maison de
Jésus, ni s'y joindre aux Apôtres pour y entendre ses mystérieuses
leçons. C'est pour cela que le Seigneur, plein de miséricorde,
sort de la maison et s'assied sur le rivage de la mer de ce siècle pour
réunir autour de lui la foule, pour lui adresser sur le rivage les enseignements
qu'elle n'était pas digne d'entendre dans l'intérieur de la maison.
" Et il s'assembla autour de lui une grande foule de peuple. " - S.
CHRYS. (hom. 45.) Ce n'est pas sans raison que l'Évangéliste rapporte
cette circonstance ; il veut nous faire remarquer l'intention expresse du Sauveur,
qui voulait réunir une grande multitude et l'avoir tout entière
devant les yeux, sans laisser une seule personne derrière lui. - S. HIL.
(can. 13.) La suite du récit nous explique pourquoi Notre-Seigneur s'assied
dans la barque, tandis que le peuple reste sur le rivage. Il allait parler en
paraboles, et, en agissant de la sorte, il nous apprend d'une manière
figurée que ceux qui sont hors de l'Église ne peuvent avoir aucune
intelligence de la parole divine. Cette barque représente l'Église,
la parole de la vie qu'elle renferme dans son sein est prêchée
à ceux qui sont au dehors ; mais, semblables au sable stérile,
ils ne peuvent la comprendre. - S. JER. Jésus est au milieu des flots,
la mer vient battre tout autour de lui ; tranquille dans sa majesté,
il fait approcher la barque du rivage, afin que le peuple, libre de toute crainte
et affranchi des épreuves qui eussent été au-dessus de
ses forces, se tienne ferme sur le rivage pour entendre de là ses paroles.
- RAB. Ou bien il monte dans cette barque et s'y assied au milieu de la mer
pour figurer que le Christ devait monter par la foi dans les âmes des
Gentils et rassembler son Église au milieu de la mer, c'est-à-dire
au milieu des peuples qui devaient le contredire. Cette foule qui se tient sur
le rivage et qui n'est ni sur la mer ni dans la barque, nous représente
ceux qui reçoivent la parole de Dieu et qui sont séparés
par la foi des flots de la mer, c'est-à-dire des réprouvés,
sans être encore pénétrés des mystères du
royaume des cieux.
" Et il leur dit beaucoup de choses en paraboles. " - S. CHRYS. (hom.
45.) Il n'avait pas suivi cette méthode dans son discours sur la montagne,
qui n'était point ainsi composé de paraboles, car il ne s'adressait
alors qu'à la multitude seule et à des esprits simples et sans
déguisement, tandis qu'il comptait ici parmi ses auditeurs des scribes
et des pharisiens. Mais ce n'est pas le seul motif pour lequel il parle en paraboles,
il veut encore donner plus de clarté à ses enseignements, les
graver plus profondément dans la mémoire en les plaçant
pour ainsi dire sous les regards. - S. JER. Remarquez que tous ses enseignements
ne sont pas en paraboles, mais une grande partie seulement, car s'il n'avait
parlé qu'en paraboles, le peuple n'en eût retiré aucun fruit
; mais en mêlant des choses claires à des choses moins évidentes,
l'intelligence des unes excite à pénétrer l'obscurité
des autres. La foule, d'ailleurs, n'est pas animée des mêmes sentiments,
mais elle est composée de volonté diverses : il lui adresse donc
un grand nombre de paraboles pour satisfaire par la diversité de l'enseignement
à la diversité des désirs et des besoins.
S. CHRYS. (hom. 45.) Il commence par la parabole qui devait rendre ses auditeurs
plus attentifs ; car, comme il devait leur parler en figures, il éveille
tout d'abord leur attention par ces paroles : " Celui qui sème sortit
pour semer. " - S. JER. Or, ce semeur qui répand sa semence, c'est
le Fils de Dieu qui est venu semer parmi les peuples la parole de son Père.
- S. CHRYS. (hom. 45.) Mais d'où a pu sortir celui qui est présent
en tous lieux, et comment est-il sorti ? Il n'est pas sorti comme on sort d'un
endroit que l'on quitte, mais il s'est rapproché de nous par son incarnation
et par la nature humaine dont il s'était revêtu. Nous ne pouvions
arriver jusqu'à lui, nos péchés étaient pour nous
un obstacle insurmontable ; il est venu jusqu'à nous. - RAB. Ou bien
il est sorti lorsque dans la personne de ses Apôtres, il a abandonné
la Judée pour aller évangéliser les Gentils. - S. JER.
Ou bien encore il était au dedans, lorsque, dans l'intérieur de
la maison il dévoilait à ses disciples les mystères du
royaume des cieux. Il sort donc de cette maison pour répandre la semence
au milieu de la foule. - S. CHRYS. (hom. 45.) Lorsque vous entendez Notre-Seigneur
vous dire : " Celui qui sème sortit pour semer, " ne regardez
pas ces deux expressions comme identiques. Le semeur sort bien souvent, et pour
d'autres motifs ; par exemple, pour labourer la terre, pour couper les mauvaises
herbes, pour arracher les épines ou pour d'autres travaux semblables.
Mais ici il sort pour semer. Et que deviendra cette semence ? Trois parties
sont perdues, une seule est conservée, non pas d'une manière égale,
mais avec quelque différence : " Et pendant qu'il sème, une
partie de la semence tomba sur le chemin. " - S. JER. Valentin se sert
de cette parabole pour établir son hérésie et appuyer son
système des trois natures : la nature spirituelle, la nature naturelle
ou animale, et la nature terrestre. Or nous voyons ici quatre espèces
différentes de terre : l'une qui est le long du chemin, l'autre qui est
un terrain pierreux, la troisième couverte d'épines, et la quatrième
qui est une bonne terre. - S. CHRYS. (hom. 45.) Mais quelle apparence de raison
dans la conduite de celui qui sèmerait au milieu des épines, sur
les pierres ou le long du chemin ? Si l'on prend la semence et la terre dans
leur sens matériel et ordinaire, ce serait folie d'agir de la sorte,
car il n'est au pouvoir ni de la pierre de devenir terre, ni du chemin de ne
pas être un chemin, ni des épines de ne pas être des épines.
Mais lorsqu'on entend la terre et la semence de la terre des âmes et de
la semence de la parole de Dieu, cette conduite est on ne peut plus louable,
car dans ce sens il est possible à la pierre de devenir une terre fertile,
au chemin de ne plus être foulé aux pieds, et aux épines
d'être arrachées. Quant au surplus de la semence qui est perdu,
la faute n'en est pas à celui qui sème, mais à la terre
qui reçoit la semence, c'est-à-dire à l'âme, car
le semeur ne fait aucune distinction entre le pauvre et le riche, entre le sage
et l'ignorant ; il s'adresse à tous, faisant de son côté
tout ce qui dépend de lui, tout en prévoyant ce qui doit arriver
et motiver ce reproche : " Qu'ai-je dû faire que je n'aie pas fait
? " Or, s'il ne dit pas clairement qu'une partie de la semence est tombée
sur les âmes négligentes qui l'ont laissé enlever, une autre
sur les riches qui l'ont étouffée, une autre sur les âmes
molles qui l'ont perdue, c'est qu'il ne veut pas blesser trop vivement les Juifs
et les jeter dans le découragement. Cette parabole apprend encore à
ses disciples à ne point négliger le ministère de la prédication,
bien qu'un grand nombre de leurs auditeurs ne laissent pas de se perdre, puisque
ce triste résultat n'a pas empêché le Seigneur qui prévoyait
toutes choses, de répandre la semence de sa parole dans les curs.
S. JER. Remarquez encore que c'est ici la première parabole que Notre-Seigneur
fait suivre de son explication, et toutes les fois qu'il explique lui-même
ses paroles, gardez-vous de les entendre autrement ou de leur donner un sens
plus ou moins étendu que l'explication donnée par le Seigneur
lui-même. - RAB. Disons quelques mots de ce que le Sauveur nous laisse
libres d'interpréter. Le chemin c'est l'âme pleine de zèle
foulée et desséchée sous les pas des mauvaises pensées
; la pierre, c'est la dureté d'une âme audacieuse ; la terre, c'est
la douceur d'une âme obéissante ; le soleil, c'est l'ardeur de
la persécution qui sévit. La profondeur de la terre, c'est la
droiture de l'âme formée par les célestes enseignements.
Nous avons déjà fait observer que les choses n'ont pas toujours
un seul et même sens dans l'interprétation allégorique.
- S. JER. Toutes les fois que Notre-Seigneur nous donne cet avertissement :
" Que celui qui a des oreilles pour entendre, qu'il entende, " nous
sommes prévenus de donner toute notre attention pour comprendre ses divines
paroles. - REMI. Les oreilles pour entendre, ce sont les oreilles de l'âme
qui doivent servir à l'intelligence et à l'accomplissement des
commandements de Dieu.
vv. 10-17.
LA GLOSE. Les disciples, remarquant qu'il y avait de l'obscurité dans
le discours que le Seigneur adressait au peuple, voulurent lui conseiller de
ne plus parler en paraboles : " Et ses disciples, s'approchant de lui,
lui dirent, " etc. - S. CHRYS. (hom. 46.) La conduite des Apôtres
est vraiment digne d'admiration ; malgré le désir qu'ils ont de
s'instruire, ils choisissent le moment pour interroger, et ils ne le font pas
publiquement, ce que saint Matthieu nous indique par ces paroles : " Alors
ses disciples s'approchant, " etc. Saint Marc est encore plus explicite,
et dit clairement qu'ils vinrent le trouver en particulier. - S. JER. On peut
se demander comment ils purent s'approcher du Seigneur, puisqu'il se trouvait
alors dans la barque. Il faut l'entendre dans ce sens qu'ils étaient
montés avec lui dans cette barque, et que c'est là qu'ils lui
demandèrent l'explication de la parabole. - REMI. L'Évangéliste
dit qu'ils s'approchèrent pour marquer qu'ils l'interrogèrent
; ou bien ils ont pu s'approcher réellement de lui, bien qu'il n'y eût
qu'une légère distance qui les en séparât.
S. CHRYS. (hom. 46.) Remarquez aussi avec quelle vive affection ils se préoccupent
du soin et des intérêts du prochain, avant de penser à ce
qui les concerne, car ils ne lui disent pas : " Pourquoi nous parlez-vous
en paraboles, " mais : " Pourquoi leur parlez-vous en paraboles ?
" " C'est, leur répond-il, que pour vous autres, il vous a
été donné de connaître les mystères du royaume
des cieux. " - REMI. Pour vous, dis-je, qui me suivez, et qui croyez en
moi. Les mystères du royaume des cieux, c'est la doctrine évangélique
; mais pour eux, c'est-à-dire pour ceux qui sont au dehors et ne veulent
pas croire en lui (les scribes, les pharisiens et tous les autres qui persévèrent
dans leur infidélité), il ne leur a pas été donné
de les comprendre. Joignons-nous donc aux disciples pour approcher du Seigneur
avec un cur pur, afin qu'il daigne nous expliquer la doctrine de I'Évangile,
selon cette parole du Deutéronome (Dt 33) : " Ceux qui se tiennent
à ses pieds recevront sa doctrine. " - S. CHRYS. (hom. 46.) En parlant
de la sorte, Notre-Seigneur n'établit pas le système de la nécessité
ou de la fatalité ; il veut simplement montrer que ceux qui n'ont pas
reçu cette faveur sont eux-mêmes la cause de tous leurs maux, et
que la connaissance des mystères divins est un don de Dieu et une grâce
qui descend du ciel. Cependant le libre arbitre n'est pas pour cela détruit,
ces paroles et celles qui suivent le prouvent évidemment. En effet, pour
ne pas jeter dans le désespoir ceux qui n'ont pas reçu cette grâce,
ou dans la négligence ceux à qui elle a été donnée,
il nous dit clairement que la raison première de ces dons vient de nous
: " Celui qui a déjà, on lui donnera encore, " etc.,
paroles dont voici le sens : Celui qui est plein d'ardeur et de zèle
recevra en abondance tous les dons de Dieu, mais s'il en est dépourvu
et qu'il ne prête en aucune manière son concours, il ne recevra
pas les dons de Dieu, et il perdra même ce qu'il a ; non pas que Dieu
le lui enlève, mais parce qu'il se rend indigne de conserver ce qu'il
possède. Si donc nous voyons un de nos frères entendre la parole
de Dieu avec négligence, et que nos efforts soient impuissants pour réveiller
son attention, gardons le silence ; car en insistant davantage, nous ne ferions
qu'accroître sa négligence. Mais pour celui qui a le désir
de s'instruire, nous l'attirons facilement, et nous ne craignons pas de prolonger
nos discours. Notre-Seigneur a bien raison de dire : " Ce qu'il paraît
avoir ; " car il ne possède pas même ce qu'il a.
REMI. Celui qui a le désir de la lecture recevra le don de l'intelligence, et celui qui n'a pas ce désir, se verra enlever jusqu'aux dons qu'il tenait de la nature. Ou bien, celui qui a la charité recevra toutes les autres vertus ; mais celui qui n'a pas la charité en sera dépouillé, parce qu'il n'y a pas de bien possible sans la charité. - S. JER. Ou bien encore, les Apôtres qui ont cru en Jésus-Christ, n'eussent-ils qu'une vertu médiocre, en recevront l'accroissement ; mais les Juifs, qui n'ont pas voulu croire en lui, bien qu'il fût le Fils de Dieu, se verront enlever même les biens naturels qu'ils paraissent avoir ; car ils ne peuvent rien comprendre avec sagesse, parce qu'ils n'ont pas en eux le principe de la sagesse. - S. HIL. (can. 13.) Ajoutons que les Juifs, n'ayant pas la foi, ont perdu la loi qu'ils avaient reçue ; car la foi chrétienne renferme tout don parfait ; dès qu'on l'a reçue, elle s'enrichit de nouveaux fruits ; mais si on la rejette, elle enlève jusqu'aux dons qu'on avait reçus précédemment.
S. CHRYS. (hom. 46.) Notre-Seigneur veut rendre encore plus claire cette vérité, et il ajoute : " Je leur parle en paraboles, parce qu'en voyant ils ne voient point. " Si cet aveuglement venait de la nature, le Sauveur aurait dû leur ouvrir les yeux ; mais comme il était volontaire, il ne dit pas simplement : Ils ne voient pas, mais " en voyant, ils ne voient pas. " Ils l'ont vu, en effet, chasser les démons, et ils ont dit : " C'est par Béelzébub qu'il chasse les démons. " (Mt 12.) Ils entendaient dire qu'il attirait tout le monde à Dieu, et ils disaient : " Cet homme ne vient pas de Dieu. " (Jn 9.) Mais comme ils affirmaient le contraire de ce qu'ils voyaient et de ce qu'ils entendaient, ils perdent la faculté de voir et d'entendre. En effet, cette faculté, ne leur a servi de rien qu'à rendre leur condamnation plus terrible. Aussi dans le commencement il ne leur parlait pas en paraboles, mais en termes clairs et sans énigme, et il ne se sert de paraboles que parce qu'ils dénaturent tout ce qu'ils voient et tout ce qu'ils entendent. - REMI. Et remarquez que non-seulement ses paroles, mais encore ses actions elles-mêmes, étaient autant de paraboles, c'est-à-dire des symboles des choses spirituelles, ce que prouvent évidemment les paroles suivantes : " Parce qu'en voyant ils ne voient point ; " car on ne peut voir les paroles, mais seulement les entendre. - S. JER. Notre-Seigneur parle ainsi de ceux qui sont sur le rivage, et qui, autant par suite de la distance qui les sépare de Jésus, que du bruit des flots, n'entendaient pas clairement ce qu'il disait.
S. CHRYS. (hom. 46.) Afin qu'ils ne pussent dire : C'est notre ennemi qui nous accuse, il leur cite le Prophète qui rend pleinement témoignage à ce qu'il vient de dire : " Et la prophétie d'Isaïe s'accomplit en eux : vous entendrez de vos oreilles, et vous ne comprendrez pas, et en voyant, vous ne verrez pas ", c'est-à-dire vous entendrez de vos oreilles des paroles, mais vous n'en comprendrez pas le sens ; vous verrez de vos yeux mon humanité, et vous ne verrez pas, c'est-à-dire vous ne comprendrez pas ma divinité. - S. CHRYS. (hom. 46.) Il leur parle de la sorte, parce qu'ils se sont privés eux-mêmes de la faculté de voir et d'entendre en fermant leurs oreilles et leurs yeux, et en laissant leur cur s'appesantir ; car leur crime n'était pas seulement de ne pas entendre, mais d'être contrariés d'entendre ; c'est pour cela qu'il ajoute : " Leur cur s'est appesanti. " - RAB. Le cur des Juifs s'est appesanti sous le poids de leur malice, et c'est la multitude de leurs péchés qui leur a fait entendre avec peine les paroles du Seigneur qu'ils recevaient avec une superbe ingratitude. - S. JER. De peur que nous ne pensions que cet appesantissement du cur et cette surdité de l'ouïe étaient un vice de la nature et non de la volonté, il prouve que c'était la suite du mauvais usage de leur liberté en ajoutant : " Et ils ont fermé les yeux. "
S. CHRYS.
(hom. 46.) Jusqu'ici il a fait voir l'étendue de leur malice et leur
éloignement affecté à l'égard de Dieu ; mais comme
son désir est de les attirer à lui, il ajoute : " Et que
s'étant convertis, je ne les guérisse, " paroles qui prouvent
que s'ils voulaient se convertir, il les guérirait. Ainsi lorsqu'on dit
d'une personne quelconque : S'il m'en avait prié, je lui aurais immédiatement
pardonné, on déclare à quelles conditions le pardon est
offert ; de même en disant : " De peur que s'étant convertis
je ne les guérisse, " Notre-Seigneur montre et qu'il leur est possible
de se convertir, et qu'en faisant pénitence ils seront sauvés.
S. AUG. (Quest. évang.). Ou bien encore, ils ont fermé les yeux
afin de ne pas voir de leurs yeux, c'est-à-dire qu'eux-mêmes ont
été cause que Dieu leur a fermé les yeux, comme le dit
un autre Évangéliste (Jn 12) : " Il a aveuglé leurs
yeux. " Est-ce de telle sorte qu'ils ne voient jamais, ou bien est-ce afin
qu'ils ne voient point en regrettant et en déplorant leur aveuglement,
de manière qu'étant profondément humiliés de cet
état, ils soient amenés à confesser leurs péchés
et à chercher Dieu avec amour ? C'est ainsi que saint Marc l'entend :
" De peur qu'ils ne viennent à se convertir, et que leurs péchés
ne leur soient pardonnés. " (Mc. 4.) Nous voyons donc clairement
que par leurs péchés ils se sont rendus indignes de comprendre,
et que cependant, par un effet de la miséricorde de Dieu, ils ont pu
connaître leurs péchés, et en obtenir le pardon par leur
conversion. Mais la manière dont saint Jean rapporte ce passage : "
Ils ne pouvaient croire, parce que, Isaïe a dit encore : Il a aveuglé
leurs yeux, et il a endurci leur cur, de peur qu'ils ne voient de leurs
yeux, et ne comprennent du cur, et qu'ils se convertissent, et que je
les guérisse, " paraît contredire cette explication, et nous
force d'entendre ces paroles : " De peur qu'ils ne voient de leurs yeux,
" non pas d'un aveuglement qui leur permettra de voir un jour, mais dans
ce sens que cet aveuglement sera perpétuel. En effet, saint Jean dit
clairement : " Afin qu'ils ne voient pas de leurs yeux, " et en ajoutant
: " C'est pour cela qu'ils ne pouvaient pas croire, " il montre assez
que cet aveuglement n'a pas eu lieu, afin que, vivement touchés de cet
état et regrettant de ne pas comprendre, ils se convertissent en faisant
pénitence (car c'est ce qu'ils ne pourraient faire sans croire tout d'abord,
puisque la foi est ce principe de leur conversion, comme la conversion est le
principe de leur guérison, et leur guérison la condition nécessaire
pour comprendre) ; mais cet Évangéliste nous déclare, au
contraire, qu'ils ont été aveuglés, de manière que
la foi leur fût impossible, puisqu'il dit ouvertement : " C'est pour
cela qu'ils ne pouvaient croire. " Or, s'il en est ainsi, qui ne prendrait
la défense des Juifs et ne proclamerait qu'ils ne sont nullement coupables
de n'avoir pas cru ? Car s'ils n'ont pas cru, c'est que Dieu a aveuglé
leurs yeux. Mais comme nous ne devons point supposer l'ombre de faute en Dieu,
il nous faut reconnaître que certains autres péchés ont
été causes de cet aveuglement qui leur a rendu la foi impossible.
Car voici comme s'exprime saint Jean : " Ils ne pouvaient croire, parce
qu'Isaïe a dit encore : Il a aveuglé leurs yeux. " C'est donc
en vain que nous nous efforçons de comprendre qu'ils ont été
aveuglés à cette fin qu'ils pussent se convertir, puisqu'au contraire
ils ne pouvaient pas se convertir parce qu'ils ne croyaient pas, et qu'ils ne
pouvaient croire parce qu'ils étaient aveugles. Toutefois on peut dire,
avec quelque apparence de raison, qu'un certain nombre de Juifs auraient pu
être guéris, mais que cependant l'excès de leur orgueil
était monté à un tel point, qu'il leur était avantageux
de ne pas croire tout d'abord. Ils ont donc été aveuglés
pour ne pas comprendre les paraboles du Seigneur ; ne les comprenant pas, ils
ne crurent pas en lui, et ne croyant pas en lui, ils le crucifièrent
avec les autres Juifs qui étaient perdus sans espoir. Mais après
la résurrection ils se convertirent, alors que profondément humiliés
du crime du déicide qu'ils avaient commis, ils aimèrent avec plus
d'ardeur celui qu'ils reconnaissaient avec joie leur avoir pardonné un
si grand crime ; car il fallait que la grandeur de leur orgueil fût abattue
par cet excès d'humiliation. Cette explication pourrait paraître
singulière si les faits ne lui donnaient raison, comme nous le lisons
expressément au livre des Actes (2, 37). La manière dont saint
Jean s'exprime : " C'est pour cela qu'ils ne pouvaient croire, parce qu'il
a aveuglé leurs yeux, afin qu'ils ne voient point, " ne lui est
pas contraire ; nous disons, en effet, qu'ils ont été aveuglés,
afin qu'ils pussent se convertir, c'est-à-dire que les paroles du Seigneur
leur furent d'abord cachées sous le voile des paraboles, afin qu'après
sa résurrection, ils fussent ramenés à lui par une pénitence
salutaire. Aveuglés d'abord par l'obscurité de ce langage, ils
ne comprirent pas les paroles du Seigneur ; ne les comprenant pas, ils ne crurent
pas en lui, et ne croyant pas en lui, ils le crucifièrent. Mais après
sa résurrection, saisis d'épouvante à la vue des miracles
qui se faisaient en son nom, ils furent touchés jusqu'au fond du cur
de l'énormité d'un si grand crime, et donnèrent les preuves
du plus humble repentir, et lorsqu'ils eurent reçu le pardon de leurs
péchés, leur obéissance fut d'autant plus grande que leur
amour était plus ardent ; mais cet aveuglement ne fût pas ainsi
pour tous le principe de leur conversion. - REMI. Cette phrase peut être
entendue en ce sens qu'à chaque membre on sous-entende la particule négative
; afin qu'ils ne voient pas de leurs yeux, qu'ils n'entendent pas de leurs oreilles,
qu'ils ne comprennent pas de leur cur, et qu'ils ne se convertissent,
et que je ne les guérisse.
LA GLOSE. Les yeux de ceux qui voient et ne veulent pas croire sont donc bien
malheureux. Mais pour vous, vos yeux sont heureux, parce qu'ils voient, et vos
oreilles, parce qu'elles entendent. " - S. JER. Si nous n'avions pas lu
plus haut que, pour exciter l'attention de ceux qui l'écoutaient, le
Sauveur avait dit : " Que celui-là entende qui a des oreilles pour
entendre, " nous aurions pu croire que ce sont les yeux et les oreilles
du corps qu'il proclame bienheureux. Mais pour moi, ces yeux sont heureux qui
peuvent connaître les mystères de Jésus-Christ, et heureuses
ces oreilles dont Isaïe a dit : " Le Seigneur m'a donné une
oreille pour l'écouter. " LA GLOSE. En effet, l'âme est véritablement
un oeil, parce qu'elle s'applique par son énergie naturelle à
l'intelligence des choses ; l'âme est aussi l'oreille parce qu'elle peut
recevoir les enseignements des autres. - S. HIL. (can. 43.) Ou bien il veut
parler ici du bonheur des Apôtres, à qui il fut donné de
voir de leurs yeux et d'entendre de leurs oreilles le salut de Dieu, que les
prophètes et les justes avaient désiré voir et entendre,
et qui ne devait être révélé que dans la plénitude
des temps, comme Notre-Seigneur le dit en termes exprès : " Car
je vous dis en vérité, que beaucoup de prophètes et de
justes ont désiré voir ce que vous voyez, et ne l'ont pas vu,
entendre ce que vous entendez, et ne l'ont point entendu.
S. JER. Ce que le Sauveur dit ici paraît contraire à ce qu'il dit
ailleurs : " Abraham a désiré voir mon jour, et il l'a vu,
et il en a été réjoui. " - RAB. Isaïe lui-même,
Michée et d'autres prophètes ont vu la gloire du Seigneur, et
c'est pour cela qu'ils ont été appelés voyants. - S. JER.
Aussi ne dit-il pas : Tous les prophètes et tous les justes, mais plusieurs,
car dans ce nombre, les uns ont pu voir, et les autres être privés
de cette faveur. Toutefois cette interprétation n'est pas sans danger,
car elle paraît établir entre les saints différents degrés
de mérite (quant à la foi qu'ils avaient en Jésus-Christ).
Abraham vit sous des emblèmes, sous des nuages obscurs ; mais vous avez
sous vos yeux et vous possédez votre Seigneur, vous l'interrogez comme
vous voulez, et vous vivez avec lui. - S. CHRYS. (hom. 46.) Ce que les Apôtres
voient et entendent, c'est sa présence, ses miracles, sa voix, sa doctrine,
et en cela il proclame leur sort préférable non-seulement à
celui des méchants, mais encore à celui des bons qui les ont précédés,
et il les déclare plus heureux que les anciens justes, parce qu'ils voient
non-seulement ce que les Juifs ne voient point, mais encore ce que les prophètes
et les justes ont désiré voir et n'ont pas vu. En effet, les anciens
justes n'ont vu le Christ que par la foi, tandis que les Apôtres le voient
de leurs yeux et sans obscurité. Admirez le parfait accord de l'Ancien
Testament avec le Nouveau. Si les prophètes avaient été
les serviteurs d'un dieu étranger ou opposé au vrai Dieu, jamais
ils n'auraient désiré voir le Christ.
vv. 18-23.
LA GLOSE. Notre-Seigneur avait déclaré plus haut qu'il n'a pas
été donné aux Juifs, mais seulement aux Apôtres,
de connaître le royaume de Dieu. Comme conséquence de ces paroles,
il leur dit : " Pour vous, écoutez donc la parabole de celui qui
sème, " vous à qui sont communiqués les mystères
du ciel.
S. AUG. (sur la Genèse, 8, 4.) Ce que l'Évangéliste raconte,
c'est-à-dire que le Seigneur a parlé de la sorte, a véritablement
eu lieu ; mais le récit du Seigneur n'a été qu'une parabole,
et dans ce genre de récit on n'exige pas que toutes les circonstances
qui le composent aient leur application littérale. - LA GLOSE. Notre-Seigneur
explique ensuite cette parabole : " Celui qui écoute la parole du
royaume et ne la comprend pas, " phrase qu'il faut entendre ainsi : "
Tout homme qui entend la parole, " c'est-à-dire ma prédication,
laquelle donne les moyens de mériter le royaume des cieux, et qui ne
comprend pas. Or, d'où vient ce défaut d'intelligence ? Le voici
: " L'esprit malin, c'est-à-dire le démon, vient, et il enlève
ce qui avait été semé dans son cur. Or, tout homme
à qui ce malheur arrive, c'est celui qui a été semé
le long du chemin. Remarquez aussi que le mot semer s'entend de différentes
manières : on dit d'une semence qu'elle a été semée,
et aussi d'un champ qu'il a été semé, et nous voyons ici
cette double signification. Dans cette phrase : " Il enlève ce qui
a été semé, " c'est de la semence qu'il est question
; dans cette autre : " Celui qui a été semé le long
du chemin, " ce n'est pas de la semence, mais du lieu où elle été
répandue, c'est-à-dire de l'homme, qui est le champ ensemencé
par la parole de Dieu.
REMI. Dans ces paroles, Notre-Seigneur nous explique ce que c'est que la semence,
c'est-à-dire la parole du royaume ou de la doctrine évangélique.
Il en est qui reçoivent la parole de Dieu sans aucune affection ; aussi
les démons enlèvent aussitôt la semence de la parole divine
répandue dans leur cur, comme une semence tombée sur un
chemin battu. " Celui qui est semé sur la pierre écoute la
parole, mais il n'a pas de racines. " En effet, la semence ou la parole
de Dieu qui tombe sur la pierre, c'est-à-dire sur un cur dur et
indompté, ne peut fructifier ; sa dureté est trop grande, son
désir du ciel trop faible, et cette excessive dureté ne lui permet
pas d'avoir de racines. - S. JER. Faites attention à cette parole : "
Il est aussitôt scandalisé. " Il y a donc une différence
entre celui que l'excès des tribulations et de la douleur force pour
ainsi dire de renier Jésus-Christ, et celui que le premier vent de la
persécution scandalise et fait tomber. - " Celui qui est semé
au milieu des épines, " etc. Ce qui a été dit autrefois
à Adam dans un sens littéral : " Tu mangeras ton pain au
milieu des ronces et des épines (Gn 2) " s'entend ici dans le sens
allégorique de tout homme qui se livre aux voluptés du siècle
et aux soins de ce monde et qui par là mange le pain céleste et
l'aliment de la vérité au milieu des épines. - RAB. C'est
avec raison que Notre-Seigneur appelle ces plaisirs des épines, parce
qu'ils déchirent l'âme avec les pointes aiguës de leurs pensées,
étouffent dans leur germe les fruits spirituels des vertus et ne leur
permettent pas de se développer. - S. JER. Cette expression : "
La séduction des richesses étouffe la parole " est aussi
élégante que vraie, car les richesses sont séduisantes,
et elles ne tiennent pas ce qu'elles ont promis. Rien de plus fragile que leur
possession ; elles portent tantôt d'un côté, tantôt
de l'autre leur faveur inconstante, ou bien elles abandonnent celui qui les
possédait, ou bien elles viennent enrichir ceux qui en étaient
dépourvus : aussi le Seigneur affirme-t-il qu'il est difficile aux riches
d'entrer dans le royaume des cieux (Mc 10, 23 ; Lc 15, 34), parce que les richesses
étouffent la parole de Dieu et amollissent la vigueur des vertus. - REMI.
Ces trois natures de terre différentes représentent tous ceux
qui peuvent entendre la parole de Dieu, mais qui ne peuvent lui faire produire
des fruits de salut, à l'exception des Gentils, qui n'ont pas même
mérité de l'entendre. " Enfin celui qui reçoit la
semence dans la bonne terre. " La bonne terre, c'est la conscience pure
des élus, l'âme des saints qui reçoit la parole de Dieu
avec joie, avec désir, avec amour, qui la conserve courageusement dans
la prospérité comme dans l'adversité, et lui fait produire
des fruits. " Et il porte du fruit, et rend cent, ou soixante, ou trente
pour un. "
S. JER. Remarquez que comme il y a trois sortes de mauvaises terres, le chemin,
la pierre et le champ couvert d'épines, il y a de même trois espèces
différentes de bonnes terres : celle qui rend cent pour un, celle qui
rend soixante, celle qui rend trente. Et ce qui fait cette différence,
ce n'est pas la nature de la terre, qui est la même d'un côté
comme de l'autre, mais la volonté. Or, dans les incrédules comme
dans ceux qui croient, c'est le cur qui reçoit la semence ; c'est
pour cela que Notre-Seigneur a dit de la première espèce de terre
: " L'esprit malin vient et enlève ce qui a été semé
dans son cur, " et des deux autres : " C'est celui qui reçoit
la parole. " Lorsqu'il en vient à la bonne terre, il dit également
: " C'est celui qui reçoit la parole. " Nous devons donc d'abord
entendre, puis comprendre, et, après avoir compris, produire les fruits
des enseignements que nous avons reçus, et rendre ou cent, ou soixante,
on trente pour un. - S. AUG. (Cité de Dieu, 2, chap. dern.) Il en est
qui entendent ce passage dans ce sens que les saints, suivant la diversité
de leurs mérites, pourront délivrer, les uns trente âmes,
les autres soixante, d'autres enfin cent, au jour du jugement, et non dans les
temps qui suivront. Or, un sage, voyant que les hommes abusaient pour faire
le mal de cette opinion et se promettaient l'impunité au jour du jugement,
parce que tous pourraient être sauvés par cette voie, leur répondit
qu'il était bien plus prudent de vivre de manière à se
trouver parmi ceux dont l'intercession devait délivrer les autres. En
effet, ils pourraient être si peu nombreux que, lorsque chacun d'eux aurait
délivré le nombre qui lui est assigné, il en restât
un plus grand nombre qui ne pourraient être sauvés par leur intercession,
et parmi ces derniers se trouveraient tous ceux qui, par une témérité
sans fondement, avaient mis toute leur confiance dans les mérites des
autres.
REMI. Celui qui prêche la foi en la sainte Trinité rend trente
pour un ; soixante pour un, celui qui recommande la perfection dans les bonnes
oeuvres, car c'est en six jours que l'oeuvre de la création fut achevée
(Gn 2) ; et cent pour un, celui qui promet la vie éternelle, car le nombre
cent passe de la gauche à la droite. Or, par la gauche, il faut entendre
la vie présente, et par la droite la vie future. Dans un autre sens,
la parole de Dieu rend trente pour un lorsqu'elle fait germer les bonnes pensées
; soixante, lorsqu'elle produit les bonnes paroles ; cent, lorsqu'elle fait
arriver jusqu'aux fruits des bonnes oeuvres.
S. AUG.
(Quest. évang., 1, 10.) Ou bien le nombre cent, c'est le fruit que produisent
les martyrs ou par la sainteté de leur vie ou par le mépris qu'ils
font de la mort ; le nombre soixante, c'est le fruit que rendent les vierges
qui, goûtant les douceurs du repos intérieur, n'ont plus à
soutenir les combats de la chair ; en effet, on donne la retraite après
l'âge de soixante ans aux soldats ou aux fonctionnaires publics ; le nombre
trente est celui des époux, car c'est l'âge de ceux qui sont appelés
à combattre, et ils ont en effet les plus rudes assauts à soutenir
pour ne pas être vaincus par leurs passions. Ou bien il faut lutter contre
l'amour des biens temporels pour lui disputer la victoire ; ou bien il faut
le tenir dompté et soumis pour réprimer avec facilité ses
moindres mouvements, lorsqu'il veut se soulever ; ou enfin, il faut l'éteindre
entièrement de manière à ce qu'il ne puisse plus exciter
la moindre émotion dans notre âme. Voilà pourquoi nous voyons
les uns affronter la mort avec courage pour la défense de la vérité,
les autres sans s'émouvoir, d'autres enfin avec joie. Ces trois degrés
de vertu correspondent aux fruits que peuvent donner les trois espèces
de terre : l'une trente, l'autre soixante, l'autre cent pour un, et il faut
au moment de la mort faire partie d'une de ces trois espèces de terre
si l'on veut sortir de cette vie dans les conditions qui assurent la récompense.
S. JER. - Ou bien encore la terre qui rend cent pour un, signifie les vierges
; celle qui rend soixante, les veuves ; celle qui rend trente ceux qui mènent
une vie chaste dans l'état du mariage. Ou bien enfin le nombre trente
est une figure du mariage, parce que ce nombre, qui s'exprime par le rapprochement
des doigts qui s'unissent par un doux embrassement, représente l'union
de l'homme et de la femme. Le nombre soixante représente les veuves qui
vivent dans les larmes et dans la tribulation (aussi le nombre soixante s'exprime
en abaissant le doigt inférieur), car leur récompense est d'autant
plus grande qu'il leur est plus difficile de résister aux séductions
de la volupté dont elles ont déjà fait l'épreuve.
Enfin, le nombre cent, pour lequel la main droite remplace la main gauche et
qui s'exprime par le cercle que forment les mêmes doigts de cette main,
représente la couronne de la virginité.
vv. 24-30.
S. CHRYS. (hom. 47 sur S. Matth.) Dans la parabole précédente,
le Seigneur s'est proposé ceux qui ne reçoivent pas la parole
de Dieu ; ici il veut parler de ceux qui reçoivent une parole de corruption,
car c'est un des artifices du démon de mêler toujours l'erreur
à la vérité : " Il leur proposa une autre parabole,
" etc. - S. JER. Notre-Seigneur agit comme un homme riche qui sert à
ses convives une table couverte de mets variés, où chacun peut
choisir dans cette variété ce qui convient à son estomac.
L'Évangéliste ne dit pas " l'autre parabole, " mais
" une autre parabole, " car s'il avait dit " l'autre, "
nous n'aurions pu en espérer une troisième, tandis qu'en disant
" une autre, " il nous fait entendre que d'autres paraboles doivent
la suivre. Il nous explique ensuite le sujet de cette parabole en disant : "
Le royaume des cieux est semblable à un homme qui sème de bon
grain, " etc. - REMI. Le royaume des cieux, c'est le Fils même de
Dieu, et le royaume est semblable à un homme qui a semé de bon
grain dans son champ. - S. CHRYS. (hom. 47.) Il nous apprend ensuite de quelle
manière le démon tend ses embûches : " Pendant que
les hommes dormaient, son ennemi vint et sema de l'ivraie au milieu du blé,
et il s'en alla. " Notre-Seigneur nous enseigne par là que l'erreur
ne vient qu'après la vérité, ce que l'expérience
ne prouve que trop. En effet, ce n'est qu'après les prophètes
que sont venus les faux prophètes ; après les Apôtres, les
faux apôtres ; après le Christ, l'Antéchrist. Si le démon
ne voit rien qu'il puisse imiter, s'il ne voit personne qu'il puisse faire tomber
dans le piége, il s'abstient de tenter ; mais comme il voit ici que l'un
rend cent pour un, l'autre soixante, l'autre trente, et qu'il n'a pu enlever
ou étouffer ce qui a pris racine, il a recours à d'autres artifices,
il mêle les erreurs à la vérité ; il leur en donne
autant qu'il peut la couleur et la ressemblance pour tromper plus facilement
ceux sur qui la séduction exerce depuis longtemps son empire. C'est pour
cela que Notre-Seigneur ne dit pas qu'il y sème une autre semence, mais
de l'ivraie, parce qu'elle a quelque ressemblance pour la forme avec le grain
de froment. Le démon fait éclater encore sa malignité en
ne répandant l'ivraie que lorsque les semailles étaient terminées,
afin de nuire davantage aux travaux du laboureur.
S. AUG.
(Quest. évang.) Il ajoute : " Lorsque les hommes dormaient. "
C'est en effet lorsque les premiers pasteurs de l'Église se laissèrent
aller à la négligence, ou bien lorsque les Apôtres se sont
endormis du sommeil de la mort, que le démon est venu et qu'il a semé
par-dessus la bonne semence ceux que le Seigneur appelle les mauvais enfants.
On peut demander avec raison s'il a voulu désigner par là les
hérétiques, ou bien les catholiques dont la vie n'est pas conforme
à leur foi. Il nous dit qu'ils ont été semés au
milieu du froment, il semble donc qu'il a voulu désigner ceux qui appartiennent
à une même communion. Cependant, comme lui-même nous déclare
que ce champ est non-seulement l'Église, mais le monde entier, on peut
très-bien voir dans cette ivraie les hérétiques qui dans
ce monde se trouvent mêlés aux justes. Ceux qui conservent la vraie
foi tout en la déshonorant par leur vie sont plutôt semblables
à la paille qu'à l'ivraie, parce que la paille a la même
origine et la même racine que le froment. Quant aux schismatiques, ils
ressemblent bien plus aux pailles brisées ou coupées que l'on
sépare de la moisson. Il ne faut pas en conclure cependant que tout hérétique
et tout schismatique soient extérieurement séparés de l'Église
; l'Église en renferme un grand nombre dans son sein qui n'attirent pas
l'attention de la multitude en défendant leurs erreurs d'une manière
éclatante. S'ils le faisaient, l'Église les retrancherait de la
communion. - Et plus bas : Lors donc que le démon en répandant
ses détestables erreurs et ses fausses doctrines eut semé de l'ivraie
au milieu du blé, c'est-à-dire eut jeté les hérésies
sur la vérité en se couvrant du nom du Christ, il se cacha avec
plus de soin et se rendit invisible ; c'est ce que Notre-Seigneur veut exprimer
par ce mot : " Et il s'en alla. " Il faut cependant admettre, comme
il l'explique lui-même, que sous le nom d'ivraie il a voulu comprendre
non pas seulement quelques scandales, mais tous les scandales et tous ceux qui
opèrent l'iniquité.
S. CHRYS. (hom. 47.) Notre-Seigneur, dans ce qui suit, nous trace avec soin
le portrait des hérétiques : " Lorsque l'herbe eut poussé
et qu'elle fut montée en épis, alors l'ivraie parut elle-même.
" Les hérétiques dissimulent d'abord leur présence,
mais lorsque leur confiance s'est accrue, qu'ils sont parvenus à se faire
écouter, et qu'ils ont fait quelques prosélytes, ils répandent
leur venin. - S. AUG. (Quest. évang.) (cf. 1 CO 2, 15). Ou bien dans
un autre sens, lorsque l'homme spirituel commence à juger toutes choses,
alors les erreurs se dessinent à ses yeux, il voit clairement que ce
qu'il a entendu, ce qui a fait l'objet de ses lectures s'éloignait de
la règle de la vérité ; mais tant qu'il n'a pas atteint
la perfection spirituelle, la vue de tant d'erreurs, de tant d'hérétiques
qui se sont couverts du nom du Christ, peut faire impression sur lui, comme
nous le voyons dans la suite de la parabole : " Alors les serviteurs du
père de famille vinrent le trouver, et lui dirent : Seigneur, n'avez-vous
pas semé de bon grain dans votre champ ? D'où vient donc qu'il
y a de l'ivraie ? " Ces serviteurs sont-ils les moissonneurs dont il sera
bientôt question ? Notre-Seigneur lui-même, dans l'explication de
la parabole, nous dit que les moissonneurs sont les anges, et comme on ne peut
dire que les anges ignoraient quel était celui qui avait semé
l'ivraie au milieu du blé, il faut entendre par ces serviteurs les fidèles
eux-mêmes ; et il n'y a rien d'étonnant s'il les désigne
en même temps comme étant la bonne semence, car une même
chose peut être représentée sous différentes figures,
suivant le rapport sous lequel on la considère ; c'est ainsi que le Sauveur
a dit de lui-même qu'il était la porte, et aussi qu'il était
le pasteur.
REMI. Ils s'approchent de Dieu, non par le mouvement du corps, mais par le cur
et par le désir de l'âme, et Notre-Seigneur leur apprend que cela
est arrivé par la malice du démon : " C'est l'homme ennemi
qui a fait cela. " - S. JER. Le démon est appelé l'homme
ennemi, parce qu'il a cessé d'être Dieu ; et c'est de lui qu'il
est écrit au psaume neuvième : " Levez-vous, Seigneur, que
l'homme ne s'affermisse pas dans sa puissance. " Aussi celui qui est placé
à la tête de l'Église ne doit pas se laisser aller au sommeil,
de peur que l'homme ennemi ne profite de sa négligence pour semer par
dessus le bon grain l'ivraie, c'est-à-dire les erreurs des hérétiques.
- S. CHRYS. (hom. 47.) Notre-Seigneur l'appelle l'homme ennemi, à cause
du mal qu'il fait aux hommes. C'est sur nous que tombent les effets de sa haine,
quoique la cause du mal qu'il nous fait soit non pas son inimitié contre
nous, mais son opposition contre Dieu. - S. AUG. (Quest. évang.) Lorsque
le serviteur de Dieu aura compris que le démon n'avait recours à
cette manoeuvre frauduleuse que parce qu'il sentait qu'il ne pouvait rien contre
la puissance d'un nom si grand, et qu'il était obligé de couvrir
ses fourberies du prestige de ce nom, il peut sentir en lui le désir
de faire disparaître de tels hommes du commerce des choses humaines, s'il
en avait le temps ; mais il consulte la justice de Dieu, pour savoir s'il doit
le faire. " Les serviteurs lui dirent Voulez-vous que nous allions l'arracher
? " - S. CHRYS. (hom. 47.) Nous pouvons admirer ici le zèle et la
charité de ces serviteurs : ils ont hâte d'aller arracher l'ivraie,
preuve de leur sollicitude pour la semence ; ils n'ont en vue qu'une chose,
ce n'est pas de faire punir qui que ce soit, mais que les semences ne soient
pas perdues. Quelle fut la réponse du Seigneur ? " Et il leur répondit
: Non. " - S. JER. Dieu veut laisser le temps au repentir, et il nous enseigne
à ne pas nous hâter de retrancher un de nos frères de la
communion des fidèles, car il peut arriver que celui-là même,
dont l'esprit est perverti par une erreur dangereuse, se convertisse et devienne
un zèle défenseur de la vérité ; c'est pour cela
qu'il ajoute : " De crainte qu'en arrachant l'ivraie, vous ne déraciniez
en même temps le froment. " S. AUG. (Quest. évang.) Cette
réponse est des plus propres à les calmer et à leur inspirer
une grande patience. Le père de famille répond de la sorte, parce
que les bons qui sont encore faibles ont besoin dans certaines circonstances
d'être mêlés aux méchants, soit afin que ce mélange
serve d'épreuve à leur vertu, ou afin que ce rapprochement soit
pour les méchants une exhortation puissante à devenir meilleurs.
Ou bien peut-être le blé est déraciné lorsqu'on arrache
l'ivraie, parce qu'il en est beaucoup qui ne sont d'abord que de l'ivraie et
qui deviennent ensuite froment. Or, si on ne les supportait avec patience lorsqu'ils
sont mauvais, on ne verrait jamais en eux ce changement admirable ; si donc
on les arrache, on déracine en même temps le froment, puisqu'ils
devaient devenir froment si on les eût épargnés. Dieu veut
donc qu'on ne les arrache pas de cette vie, car en s'efforçant de faire
périr les méchants on s'exposerait à faire périr
les bons, puisqu'ils deviendront peut-être bons ; ou à nuire aux
bons eux-mêmes puisque les méchants sont pour eux une occasion
involontaire de vertu. Ce retranchement se fera donc bien plus à propos
lorsqu'à la fin ils n'auront plus le temps de changer de vie, et que
le spectacle de leurs erreurs ne pourra plus être pour les bons une occasion
de progrès dans la vérité ; c'est pour cela qu'il ajoute
: " Laissez croître l'un et l'autre jusqu'à la moisson, "
c'est-à-dire jusqu'au jugement.
S. JER. Cette recommandation paraît en opposition avec ce précepte
: " Faites disparaître le mal du milieu de vous. " (1 CO 5.)
Car s'il nous est défendu d'arracher, et si nous devons attendre avec
patience la moisson, comment pouvons-nous en retrancher quelques-uns du milieu
de nous ? Le froment et l'ivraie (en latin lolium) se ressemblent beaucoup tant
qu'ils sont en herbe et que leur tige n'est pas encore couronnée d'épis,
et il est très difficile, pour ne pas dire impossible, de les distinguer.
Le Seigneur nous recommande donc de ne pas nous hâter de prononcer la
sentence sur ce qui est douteux, et de laisser le jugement à Dieu, qui,
au jour du jugement, rejettera de l'assemblée des saints, non pas sur
de simples conjectures, mais pour des crimes évidents. - S. AUG. (contre
la lettre de Parmen., 3, 2.) Lorsqu'un chrétien, dans le sein de l'Église,
est reconnu coupable d'un crime qui mérite anathème, et qu'on
n'a pas à craindre le schisme, qu'il soit soumis à l'anathème,
avec un sentiment de charité qui se propose, non pas de le déraciner,
mais de le corriger. S'il ne reconnaît pas sa faute, s'il n'en fait pas
pénitence, il sera mis hors de l'Église, et séparé
par sa propre volonté de la communion des fidèles. C'est pour
cela que le Seigneur, après avoir dit : " Laissez croître
l'un et l'autre jusqu'à la moisson, " en donne cette raison : "
De crainte qu'en arrachant l'ivraie, vous ne déraciniez en même
temps le froment. " Il est donc évident que, lorsqu'on n'a pas à
craindre cet inconvénient, et qu'on est tout à fait certain que
le bon grain ne court aucun danger, c'est-à-dire lorsque le crime est
connu de tous, et qu'il inspire une telle horreur qu'il ne trouve point de défenseur,
ou au moins de défenseur qui puisse devenir l'auteur d'un schisme, on
ne doit pas laisser dormir la sévérité de la discipline.
La répression du crime sera d'autant plus efficace, que les lois de la
charité auront été plus respectées ; mais si le
mal a gagné la multitude, la seule chose utile à faire, c'est
de s'affliger et de gémir. Il faut donc reprendre avec miséricorde
ce qu'on peut corriger ; et ce qui est incorrigible, il faut le supporter avec
patience, pleurer et gémir par un sentiment de charité jusqu'à
ce que Dieu lui-même se charge de reprendre et de corriger, et attendre
jusqu'à la moisson pour arracher l'ivraie et pour jeter la paille au
vent. Mais lorsqu'on peut élever la voix au milieu du peuple, il faut
atteindre la multitude des coupables par des reproches généraux,
surtout si un fléau envoyé du Ciel nous offre l'occasion favorable
de leur rappeler qu'ils ont reçu le châtiment qu'ils méritaient.
Alors le malheur qui les frappe leur fait écouter avec humilité
la parole qui leur démontre la nécessité de changer de
vie, et cette parole inspire à leurs curs affligés les gémissements
d'une confession pleine de repentir plutôt que les murmures de la résistance.
Mais alors même qu'aucune calamité ne serait venu frapper les coupables,
on peut, toutes les fois que l'occasion s'en présente, reprendre les
vices de la multitude en s'adressant à elle directement ; car de même
que les hommes s'irritent de ce qui leur est reproché en particulier,
les reproches qui sont adressés à la multitude dont ils font partie
excitent en eux des gémissements salutaires.
S. CHRYS. (hom. 47.) Le Seigneur fait cette recommandation pour défendre les meurtres ; car mettre à mort les hérétiques, ce serait donner naissance à une guerre implacable dans l'univers. Et c'est pour cela qu'il a dit : " De peur que vous n'arrachiez le blé, " c'est-à-dire si vous recourez aux armes, si vous mettez à mort les hérétiques, vos coups atteindront nécessairement un grand nombre de saints. Ce qu'il défend, ce n'est donc point de jeter en prison les hérétiques, et de s'opposer à la licence de leurs prédications, à la réunion de leurs synodes, et de rendre inutiles leurs efforts, mais de les mettre à mort. - S. AUG. (Lettre 18 à Vinc.) C'était d'abord mon sentiment qu'il ne fallait forcer personne d'embrasser l'unité du Christ, mais agir simplement par la parole, combattre par la discussion, vaincre par la raison, afin d'éviter d'avoir pour catholiques hypocrites ceux que nous avions pour hérétiques déterminés. Cependant mon opinion était combattue, si non par des raisons, du moins par des exemples contraires. En effet, la frayeur qu'inspirent ces lois promulguées par des rois qui servent le Seigneur avec crainte, produit les plus heureux effets (cf. Ps 2, 10.11). Ainsi les uns disent : C'était depuis longtemps notre volonté, mais grâces soient rendues à Dieu qui nous a fourni l'occasion favorable, et ôté tout prétexte de différer ; d'autres : Nous savions que c'était la vérité, mais nous étions retenus par je ne sais quelles habitudes ; grâces à Dieu qui a brisé nos liens ; d'autres : Nous ne savions pas que telle était la vérité et nous n'avions aucun désir de l'apprendre, mais la crainte nous a forcés d'y être attentifs et de prendre les moyens de la connaître ; grâces au Seigneur qui a secoué notre négligence avec l'aiguillon de la terreur ; d'autres encore : Nous craignions d'entrer dans l'Église, retenus par de faux bruits dont nous n'aurions pas reconnu la fausseté si nous n'y étions pas entrés, et nous n'y serions pas entrés si une contrainte salutaire ne nous eût forcés ; grâces à Dieu qui par cette sévérité a fait cesser nos hésitations et nous a fait connaître par expérience la futilité et la fausseté des bruits que des voix trompeuses répandaient sur son Église ; d'autres enfin : Nous pensions qu'il importait peu de croire en Jésus-Christ dans une religion ou dans une autre ; mais grâces au Seigneur qui a mis un terme à notre séparation et nous a enseigné que le seul culte agréable à Dieu est celui qui lui est rendu dans l'unité. Que les rois de la terre se montrent donc les serviteurs du Christ en publiant des lois en faveur de la religion du Christ. - S. AUG. (Lettre 50 au comte Bonif.) Quel est celui d'entre vous qui voudrait, je ne dis pas qu'un hérétique périsse, mais qu'il éprouvât même la moindre perte ? Cependant la maison de David ne put recouvrer la paix qu'après que son fils Absalon eut été enseveli dans la guerre impie qu'il faisait contre son père (2 R 18) ; quoique David eût recommandé avec le plus grand soin aux chefs de son armée de prendre tous les moyens pour conserver la vie à son fils et que son cur de père n'attendît que son repentir pour lui pardonner. Mais lorsqu'il fut tombé victime de sa rébellion, que resta-t-il à son père que de pleurer sa mort et de se consoler par la pensée que son royaume avait recouvré la paix ? C'est ainsi que notre mère, la sainte Église catholique, lorsqu'elle rassemble dans son sein un grand nombre de ses enfants au prix de la perte de quelques-uns, adoucit et calme la douleur de son cur maternel par le spectacle de tant de peuples affranchis et délivrés de l'erreur. Que veut donc dire ce qu'ils ne cessent de crier : N'est-on pas libre de croire ou de ne pas croire ? A qui donc le Christ a-t-il fait violence ? Quel est celui qu'il a contraint d'embrasser la vérité ? Nous leur répondons par l'exemple de l'apôtre saint Paul, qui les force de reconnaître que Jésus-Christ a usé de violence à son égard avant de l'enseigner, qu'il l'a frappé avant de le consoler. Et il est remarquable que celui que Dieu a forcé par un châtiment extérieur de se soumettre à l'Évangile a travaillé à la propagation de l'Évangile plus que ceux dont la vocation n'avait été déterminée que par une seule parole. Pourquoi donc l'Église ne forcerait-elle pas ses enfants égarés de revenir dans son sein, alors que ces mêmes enfants en ont forcé tant d'autres à périr ?
" Et au temps de la moisson, je dirai aux moissonneurs : Ramassez d'abord l'ivraie et liez-la en bottes pour la brûler. " - REMI. La moisson c'est le temps où l'on recueille, c'est-à-dire le jour du jugement où les bons seront séparés d'avec les mauvais. - S. CHRYS. (hom. 47.) Mais pourquoi dit-il : " Arrachez d'abord l'ivraie ? " C'est pour ôter aux bons toute crainte que le blé ne partage le sort de l'ivraie. - S. JER. Or, en commandant d'arracher l'ivraie pour la jeter au feu, et d'amasser le blé dans les greniers, il déclare ouvertement que les hérétiques et les hypocrites sont destinés à brûler dans les feux de l'enfer, et que les saints qu'il appelle le blé ou le bon grain seront recueillis dans les greniers, c'est-à-dire dans les demeures éternelles. - S. AUG. (Quest. évang.) On peut demander pourquoi il ne commande pas de faire une seule botte ou un seul tas de toute l'ivraie ; c'est peut-être à cause des différentes sortes d'hérétiques qui non-seulement sont séparés du bon grain, mais qui sont encore séparés entre eux. Il a donc voulu exprimer par ces bottes d'ivraie les conventicules de chaque hérésie, dont tous les membres sont unis entre eux par des liens communs. Or, ils sont liés ensemble et destinés au feu du moment qu'ils se séparent de la communion catholique et qu'ils commencent à former des Églises particulières. Mais ils ne seront jetés au feu qu'à la fin des temps, bien que depuis, longtemps ils soient réunis en bottes. Cependant s'il en était ainsi, il n'y en aurait pas un si grand nombre qui regretteraient leurs erreurs et les abjureraient pour rentrer dans l'Église catholique. Ce n'est donc qu'à la fin que les bottes seront liées, afin que leur opiniâtreté ne soit point punie sans discernement, mais que chacun d'eux soit puni d'une manière proportionnée à sa perversité.
RAB. Remarquez qu'en disant : " Il a semé du bon grain, " il nous fait connaître la bonne volonté dont les élus sont l'objet et qui est en eux ; en ajoutant : " L'ennemi vient, " etc., il nous avertit d'avoir à nous tenir sur nos gardes ; lorsque l'ivraie ayant crû, il dit : " C'est l'homme ennemi qui a fait cela, " il nous recommande la patience ; et en ajoutant plus bas : " De peur qu'en arrachant l'ivraie, " il nous donne l'exemple du discernement dont nous devons faire usage. Les paroles suivantes : " Laissez-les croître l'un et l'autre jusqu'à la moisson, " nous font un devoir de la longanimité, et il nous recommande la justice par celles qui terminent : " Liez-la en bottes pour la brûler. "
vv. 31-32.
S. CHRYS. (hom. 47.) Notre-Seigneur venait de dire que trois parties de la semence
étaient perdues et qu'une seule produisait du fruit et que dans cette
dernière la perte est encore considérable à cause de l'ivraie
qu'on a semée par dessus. Ses disciples pouvaient lui dire : Mais quels
seront donc les fidèles, et quel sera leur nombre ? Il va au-devant de
cette crainte en leur proposant la parabole du grain de sénevé
: " Il leur dit encore cette autre parabole : Le royaume des cieux est
semblable à un grain de sénevé, " etc. - S. JER. Le
royaume des cieux, c'est la prédication de 1'Évangile et la connaissance
des Écritures, qui conduisent à la vie et dont Notre-Seigneur
dit aux Juifs : " Le royaume de Dieu vous sera enlevé. " Or,
ce royaume du ciel est semblable à un grain de sénevé.
- S. AUG. (Quest. Evang., liv. 1, quest. 2.) Le grain de sénevé
figure la ferveur de la foi, à cause de la vertu qu'on lui attribue d'expulser
le poison, c'est-à-dire tous les dogmes pervers des hérétiques.
" Qu'un
homme prend et sème dans son champ. " - S. JER. Cet homme qui sème
dans son champ, c'est, d'après le sentiment le plus commun, le Sauveur
qui sème la vérité dans l'âme des fidèles.
Selon quelques autres, c'est l'homme lui-même qui sème dans son
champ, c'est-à-dire dans son cur. Or, quel est celui qui sème
en nous si ce n'est notre intelligence et notre sentiment ? Ils reçoivent
le grain de la prédication, et le nourrissant avec le suc de la foi,
ils lui donnent la force de se développer dans le champ de notre cur.
" Ce grain est la plus petite de toutes les semences. " La prédication
de l'Évangile est la plus humble de toutes les doctrines, car au premier
coup d'oeil elle n'obtient pas la croyance due à la vérité,
en prêchant un homme-Dieu, un Dieu mort, et le scandale de la croix. Rapprochez-la
des doctrines et des écrits des philosophes, de l'éclat de leur
éloquence, de leurs discours étudiés, et vous reconnaîtrez
combien la semence de 1'Évangile est inférieure aux autres semences.
S. CHRYS. (hom. 47.) Ou bien la semence de l'Évangile est la plus petite,
parce que les disciples étaient les plus faibles des hommes ; mais comme
ils avaient en eux une grande vertu, leur prédication s'est répandue
par toute la terre, comme l'indique la suite de la parabole : " Mais lorsqu'il
a crû, il est le plus grand de tous les légumes, " c'est-à-dire
de tous les dogmes. - S. AUG. (Quest. évang.) Les dogmes des sectes sont
leurs propres sentiments, c'est-à-dire les opinions dont elles sont convenues.
- S. JER. La doctrine des philosophes, lorsqu'elle se développe, ne présente
rien de piquant et n'a aucune apparence de vie, et sa nature molle et languissante
ne produit que des plantes et des herbes que l'on voit bientôt se dessécher
et périr. Au contraire, la prédication évangélique,
qui paraissait peu de chose dans ses commencements lorsqu'elle fut semée,
soit dans l'âme des fidèles, soit dans tout l'univers, n'a point
produit de simples plantes, mais s'est élevée jusqu'à la
hauteur d'un arbre, et sur les branches sont venus habiter les oiseaux du ciel,
c'est-à-dire les âmes des fidèles ou les vertus qui sont
consacrées au service de Dieu. " Et il devient un arbre, de sorte
que les oiseaux du ciel viennent se reposer sur ses branches. " Je suis
porté à croire que ces branches de l'arbre évangélique,
qui sont sorties du grain de sénevé, figurent la variété
des dogmes, sur lesquels chacun des oiseaux dont nous avons parlé vient
se reposer. Prenons donc aussi nous-mêmes les ailes de la colombe (cf.
Ps 54, 7) et élevons-nous bien haut, afin de pouvoir habiter sur les
branches de cet arbre, nous construire un nid au milieu des vérités
divines, et nous hâter de fuir la terre et de gagner le ciel.
S. HIL. (can. 43.) Ou bien encore le Seigneur se compare lui-même à ce grain de sénevé qui est d'un goût très piquant, la plus petite de toutes les semences, et dont la force augmente lorsqu'il est broyé.
S. GREG. (Moral., 19, 1.) Il est en effet ce grain de sénevé qui, après avoir été semé dans le jardin de sa sépulture, s'est élevé comme un grand arbre ; c'était un grain lorsqu'il mourut, ce fut un arbre lorsqu'il ressuscita ; c'était un grain par l'humilité de la chair, il devint un arbre par la puissance de sa majesté. - S. HIL. (can. 43.) Lorsque ce grain eut été semé dans la terre, c'est-à-dire lorsque le Sauveur fut tombé au pouvoir de la multitude, qu'il eut été livré par elle à la mort et que son corps eut été enseveli dans le tombeau comme un grain qu'on sème dans un champ, il devint plus grand que tous les légumes et surpassa de beaucoup la gloire des prophètes. La prédication des prophètes fut donnée comme une herbe salutaire au peuple d'Israël encore faible et infirme, mais aujourd'hui les oiseaux du ciel se reposent sur les branches de l'arbre. Ces branches de l'arbre, ce sont les Apôtres qui par la puissance du Christ se sont étendus sur toute la surface du monde pour lui donner un doux ombrage. C'est sur ces branches que toutes les nations de la terre viendront dans l'espérance d'y trouver la vie et un lieu de repos comme sur les branches d'un arbre, contre la violence des vents, c'est-à-dire contre les orages que soulève le souffle du démon. - S. GREG. (Moral., 19, 1.) Sur ces branches se reposent les oiseaux du ciel ; en effet, les saintes âmes qui s'élèvent au-dessus des pensées de la terre sur les ailes des vertus, se reposent des fatigues de la vie dans leurs saintes conversations et dans les consolations dont elles sont la source.
v. 33.
S. CHRYS. (hom. 47.) C'est pour établir la même vérité
que Notre-Seigneur propose la parabole du levain : " Il leur dit encore
cette autre parabole : Le royaume des cieux est semblable au levain, "
etc., c'est-à-dire : de même que le levain change et modifie une
grande quantité de farine, en lui communiquant sa saveur ; ainsi vous
changerez le monde entier. Et remarquez ici la sagesse du Sauveur ; il emprunte
ses comparaisons à des faits naturels et il montre ainsi que de même
qu'il est impossible que ces faits ne se produisent pas suivant leur nature,
ainsi en est-il du royaume des cieux. Or, il ne dit pas simplement : Le levain
qu'elle place, mais " qu'elle cache, qu'elle mêle, " paroles
dont voici le sens : C'est ainsi que vous-mêmes vous triompherez de vos
persécuteurs après vous être mêlés et confondus
avec eux. Car de même que le levain, bien qu'il soit comme perdu dans
la masse, n'est point détruit, mais communique insensiblement sa force
à toute la pâte, ainsi en sera-t-il de votre prédication.
Ne craignez donc pas les persécutions que je vous ai prédites,
car elles ne serviront qu'à vous rendre plus éclatants et à
vous faire triompher de tous vos ennemis. Notre-Seigneur prend ici les trois
mesures de farine pour une grande quantité, et il donne au nombre trois
la signification d'un nombre considérable et indéterminé.
- S. JER. La mesure dont il est ici question est une mesure en usage dans la
Palestine et qui représente un boisseau et demi. - S. AUG. (Quest. évang.,
1, 12.) Ou bien le levain c'est la charité, parce qu'elle excite et qu'elle
échauffe : la femme représente la sagesse. Ces trois mesures de
farine sont ces trois choses qui se trouvent dans l'homme et qui sont exprimées
par ces paroles : " De tout votre cur, de toute votre âme et
de tout votre esprit. " (Mt 22.) Ou bien elles représentent les
trois récoltes qui donnent : l'une cent, l'autre soixante et l'autre
trente ; ou bien les trois espèces d'hommes dont il est parlé
dans Ezéchiel : Noé, Daniel et Job (Ez 14, 14.16).
RAB. Il
dit : " Jusqu'à ce que toute la pâte soit levée, "
parce que la charité cachée dans notre âme doit s'y développer
jusqu'à ce qu'elle ait communiqué sa perfection à l'âme
tout entière, ce qui se commence dans cette vie et s'achève dans
l'autre. - S. JER. Ou bien encore cette femme qui prend du levain et le met
dans trois mesures de farine, c'est la prédication des Apôtres,
ou l'Église formée de différentes nations. Elle prend le
levain, c'est-à-dire l'intelligence des Écritures, et elle le
cache dans trois mesures de farine : l'esprit, l'âme et le corps, afin
de les ramener à l'unité, et qu'il n'y ait entre eux aucun désaccord.
Ou bien encore, nous lisons dans Platon qu'il y a trois parties dans l'âme
: la partie raisonnable, la partie irascible et la partie concupiscible ; si
donc nous avons reçu le levain évangélique des saintes
Écritures, nous devons posséder la prudence dans la partie raisonnable,
la haine contre le mal dans la partie irascible, le désir des vertus
dans la partie concupiscible, et tout cela doit être le fruit de la doctrine
évangélique que notre mère la sainte Église nous
a communiquée. Je crois devoir rapporter également l'interprétation
de quelques auteurs, d'après laquelle cette femme est aussi l'Église,
qui a mêlé la foi à trois mesures de farine, c'est-à-dire
à la croyance dans le Père, dans le Fils et dans le Saint-Esprit,
et lorsque ce précieux levain de la foi a fait fermenter toute la masse,
elle nous conduit à la connaissance non pas de trois Dieux, mais d'un
seul et même Dieu. C'est une pieuse interprétation ; mais ni les
paraboles, ni l'explication douteuse d'un discours énigmatique ne peuvent
servir d'appui et de preuve aux dogmes de la foi.
S. HIL. (can. 13.) Ou bien encore le Seigneur se compare lui-même au levain
; le levain est fait avec de la farine et il rend à la masse d'où
il est sorti la vertu qu'il en a reçue. Or, c'est ce levain qu'une femme,
la synagogue, a pris et a caché par la condamnation à mort qu'elle
a prononcée contre le Seigneur. Ce levain, mélangé avec
trois mesures de farine, c'est-à-dire mêlé dans des proportions
égales à la loi, aux prophètes, à l'Évangile,
ne fait qu'une seule chose de ces trois éléments, parce que la
propagation de l'Évangile vient accomplir les prescriptions de la loi
et les prédictions des prophètes. Je me rappelle cependant en
avoir entendu plusieurs qui interprétaient ces trois mesures de farine
de la vocation des nations sorties de Sem, de Cham et de Japhet. Mais je ne
sais si cette interprétation est fondée en raison, car quoique
toutes les nations aient été appelées à l'Évangile,
on ne peut dire que Jésus-Christ y ait été caché
; puisqu'au contraire il s'y est manifesté avec éclat ; et d'ailleurs
ce céleste levain n'a point communiqué sa vertu à toute
la masse des infidèles.
vv. 34-35.
S. CHRYS. (hom. 48.) Après avoir rapporté ces paraboles, l'Évangéliste,
voulant prouver que Notre-Seigneur n'introduisait pas en cela de nouveautés,
cite le prophète qui avait prédit ce mode d'enseignement. "
Or Jésus dit toutes ces choses, " etc. Saint Marc dit qu'il parlait
en paraboles pour se mettre à la portée de leur intelligence (Mc
4). Ne soyez donc pas surpris si, en parlant du royaume des cieux, il emprunte
les comparaisons de la semence et du levain ; il s'adressait à des hommes
ignorants et qui avaient besoin de cette méthode simple pour être
amenés à la vérité. - REMI. Le mot parabole, en
grec comme en latin, signifie comparaison qui sert à démontrer
la vérité, car elle nous découvre dans les différentes
parties de la comparaison des expressions figurées et des images de la
vérité.
S. JER.
Ce n'est pas aux disciples, mais au peuple qu'il parlait en paraboles, et encore
aujourd'hui c'est le langage que le peuple entend volontiers ; aussi l'Évangéliste
ajoute-t-il : " Et il ne leur parlait point sans paraboles. " - S.
CHRYS. (hom. 48.) Cependant il a parlé souvent au peuple sans paraboles,
mais dans cette circonstance il ne leur parla qu'en paraboles. - S. AUG. (Quest.
év.) Ou bien l'Évangéliste s'exprime ainsi, non que le
Seigneur n'ait jamais parlé dans le sens littéral, mais parce
qu'il n'a presque jamais fait de discours où il n'ait enseigné
quelque vérité sous le voile de la parabole, bien qu'il y ait
parlé en même temps dans le sens littéral ; c'est-à-dire
que souvent son discours est tout entier composé de paraboles, tandis
qu'on n'en trouve aucun qui soit tout entier dans le sens littéral. Par
discours entiers et complets, j'entends ceux que le Seigneur faisait suivant
que l'occasion se présentait, jusqu'à ce que la matière
qu'il traitait, étant terminée, il passait à un autre sujet.
On ne peut nier du reste que souvent un évangéliste présente
en un seul discours ce qu'un autre évangéliste rapporte comme
ayant été dit en plusieurs circonstances différentes, parce
qu'il s'attache dans sa narration, non pas à l'ordre historique des faits,
mais à l'ordre dans lequel ils se présentent à son souvenir.
Or, l'auteur sacré nous apprend pourquoi il parlait en paraboles : "
C'est afin que cette parole du Prophète fût accomplie. " -
S. JER. Ce témoignage est emprunté au Ps 77. Dans quelques manuscrits,
au lieu de la traduction de la Vulgate que nous avons rapportée : "
Afin que cette parole du prophète fut accomplie, " on lit : "
Cette parole du prophète Isaïe. " - REMI. Porphyre prend occasion
de là pour faire cette objection aux chrétiens : Votre Évangéliste
a poussé la sottise jusqu'à attribuer à Isaïe ce qui
se trouve dans les psaumes et à citer ce témoignage comme venant
du prophète Isaïe. - S. JER. Comme cette citation ne se trouvait
nullement dans Isaïe, j'avais d'abord pensé que des hommes instruits
avaient fait disparaître le nom du prophète. Mais je crois maintenant
que le texte portait primitivement : " Ce qui a été écrit
par le prophète Asaph. " En effet, le Ps 72, auquel est emprunté
ce témoignage, a pour titre : " Au prophète Asaph. "
Les premiers copistes n'auront pas compris ce nom d'Asaph et, croyant que c'était
une faute d'écriture, ils auront remplacé ce nom par le nom plus
connu d'Isaïe ; car il faut se rappeler que non-seulement David, mais tous
les autres dont les noms se trouvent en tête des psaumes, des hymnes et
des divins cantiques, tels qu'Asaph, Idithun, Eman, Ezarite et d'autres dont
l'Écriture fait mention, méritent le nom de prophète. Quant
à ce qui est dit de la personne du Christ : " J'ouvrirai ma bouche
en paraboles, " etc., si nous considérons attentivement ces paroles,
nous y verrons la description de la sortie d'Israël de la terre d'Égypte,
et le récit de tous les miracles qui sont contenus dans l'Exode ; d'où
nous devons conclure que tout ce qui se trouve écrit dans ce livre doit
être pris dans un sens allégorique et nous révèle
des mystères cachés. Ce sont ces vérités mystérieuses
que le Seigneur promet de dévoiler, lorsqu'il dit : " J'ouvrirai
ma bouche en paraboles. " - LA GLOSE. Ces paroles veulent dire : J'ai parlé
autrefois par les prophètes ; je parlerai maintenant moi-même en
paraboles, et je ferai sortir du trésor de mes secrets des mystères
qui s'y trouvaient cachés depuis la création du monde.
vv. 36-43.
S. CHRYS. (hom. 48.) Le Seigneur avait parlé au peuple en paraboles pour
lui donner l'occasion de l'interroger ; mais quoiqu'il leur eût dit beaucoup
de choses en paraboles, personne cependant ne lui adressait la parole. Il renvoya
donc la multitude, comme le remarque l'Évangéliste : " Alors,
ayant renvoyé le peuple, il revint dans la maison. " Aucun des scribes
ne l'y suit, ce qui prouve clairement qu'ils ne le suivaient auparavant que
pour le surprendre dans ses discours. - S. JER. Or, Jésus renvoie le
peuple et rentre dans la maison pour donner à ses disciples la facilité
de s'approcher de lui, et de lui faire en secret des questions sur ce que le
peuple ne méritait ni n'était capable d'entendre.
RAB. Dans le sens mystique, c'est après avoir congédié la foule tumultueuse des Juifs qu'il entre dans l'Église formée des nations, et c'est là qu'il expose aux fidèles les mystères du royaume des cieux : " Et alors ses disciples s'approchèrent, " etc. - S. CHRYS. (hom. 48.) Autrefois, pleins du désir d'apprendre, ils craignaient de l'interroger ; maintenant, ils le font librement et avec confiance, parce qu'il leur a dit : " Il vous a été donné de connaître les mystères du royaume des cieux. " C'est pour cela qu'ils l'interrogent en particulier, c'est-à-dire en secret et non point par un sentiment de jalousie contre la multitude qui n'avait pas reçu la même faveur. Ils laissent de côté la parabole du levain et celle du sénevé comme plus claire, et ils l'interrogent sur la parabole de l'ivraie, parce qu'elle a de l'analogie avec la parabole de la semence et qu'elle contient quelques particularités de plus. Le Seigneur leur explique donc cette parabole : " Et leur répondant, il leur dit : Celui qui sème le bon grain, c'est le Fils de l'homme. " - REMI. Notre-Seigneur s'est appelé le Fils de l'homme pour nous laisser un exemple d'humilité, ou bien parce qu'il devait se rencontrer des hérétiques qui nieraient son humanité. Ou bien encore, c'est afin que par la foi à son humanité, nous puissions nous élever jusqu'à la connaissance de sa divinité.
" Le champ, c'est le monde, " etc. - S. Chrys. (hom. 48.) Comme c'est lui-même qui sème son champ, il faut en conclure que le monde actuel lui appartient. " La bonne semence, ce sont les enfants du royaume. " - REMI. C'est-à-dire les saints et les élus qui sont mis au nombre des enfants de Dieu. - S. AUG. (Contre Fauste, 18, 7.) L'ivraie, d'après l'explication du Sauveur, ce ne sont pas quelques erreurs mêlées à la vérité des saintes Écritures (suivant l'interprétation des Manichéens), mais ce sont tous les enfants de l'esprit mauvais, c'est-à-dire les imitateurs des mensonges du démon. " L'ivraie, dit Notre-Seigneur, ce sont les enfants d'iniquité, " dénomination qui comprend tous les impies et tous les méchants. - S. AUG. (Quest. évang., liv. 6, quest. 2.) Toutes les mauvaises herbes qui se trouvent dans les moissons reçoivent le nom d'ivraie. L'ennemi qui la sème, c'est le démon. - S. CHRYS. (hom. 48.) C'est en effet une des ruses du démon de mêler toujours l'erreur à la vérité. " La moisson, c'est la fin du monde. " Notre-Seigneur dit dans un autre endroit, mais en parlant des Samaritains : " Levez vos yeux et regardez les campagnes comme elles blanchissent déjà pour la moisson. " (Jn 4.) Et ailleurs : " La moisson est grande, mais il y a peu d'ouvriers, " paroles qui signifient que le temps de la moisson est arrivé. Pourquoi donc déclare-t-il qu'elle n'aura lieu que plus tard ? C'est qu'il l'entend ici dans un autre sens. Aussi, tandis que dans les paroles qui précèdent il dit que l'un sème et que l'autre moissonne, il déclare ici que c'est le même qui sème et qui moissonne ; car lorsqu'il dit que celui qui sème n'est pas celui qui moissonne, ce n'est pas entre lui et les prophètes, mais entre les prophètes et les Apôtres qu'il veut établir une distinction, puisque c'est le Christ qui a semé lui-même par les prophètes dans la Judée et dans la Samarie. C'est donc sous deux sens différents qu'il prend dans ces deux circonstances les mots de semence et de moisson. Lorsqu'il parle d'obéissance et de soumission à la foi, il se sert du nom de moisson, parce qu'elle est le principe et la cause de toute perfection ; mais lorsqu'il est question du fruit qu'on doit retirer de la parole de Dieu, comme dans cet endroit, il appelle la moisson la consommation de toutes choses. - REMI. La moisson désigne le jour du jugement où les bons seront séparés des méchants par le ministère des Anges, ainsi qu'il le dira plus bas : " Le Fils de l'homme viendra juger le monde avec ses anges ; " et c'est pour cela qu'il dit : " Les moissonneurs sont les anges. "
" De
même que les moissonneurs ramassent l'ivraie, ainsi les anges feront disparaître
de son royaume tous les scandales. " - S. AUG. (Cité de Dieu, 9.)
Est-ce donc de ce royaume où il n'y a plus de scandales ? Non, c'est
de ce royaume qui est sur la terre, c'est-à-dire de l'Église,
qu'ils les feront disparaître. - S. AUG. (Quest. évang., 1, 10.)
L'ivraie qu'on met d'abord de côté signifie que c'est après
que les persécutions auront exercé leur empire que les bons seront
séparés des méchants ; ce sont les bons anges qui feront
cette séparation, car ils peuvent s'acquitter de cette oeuvre de justice
avec une intention droite et pure, tandis que les méchants sont incapables
d'accomplir le ministère de la miséricorde. - S. CHRYS. (hom.
48.) Ou bien on peut entendre par ce royaume l'Église du ciel, et Notre-Seigneur
nous révèle ici la double peine des réprouvés, la
privation de la gloire, par ces paroles : " Et ils enlèveront tous
les scandales de son royaume, " pour les en bannir à tout jamais,
et le supplice du feu par ces autres : " Et ils les précipiteront
dans la fournaise du feu. " - S. JER. Tous les scandales sont figurés
ici par l'ivraie ; mais en disant : " Ils enlèveront de son royaume
tous les scandales, et tous ceux qui font l'iniquité, " Notre-Seigneur
veut distinguer entre les hérétiques et les schismatiques. Ceux
qui sont une cause de scandale sont les hérétiques, ceux qui commettent
l'iniquité représentent les schismatiques. - LA GLOSE. Ou bien
dans un autre sens, il faut entendre par les scandales tous ceux qui sont pour
le prochain une occasion de chute ou de ruine, et par ceux qui commettent l'iniquité,
les pécheurs quels qu'ils soient. - RAB. Remarquez que Notre-Seigneur
dit : " Ceux qui font, " et non pas ceux qui ont fait l'iniquité
; car ce ne sont pas ceux qui font pénitence, mais ceux qui persévèrent
dans leurs péchés qui seront livrés aux supplices éternels.
S. CHRYS. (hom. 48.) Considérez ici l'amour ineffable de Dieu pour les
hommes, il est toujours prêt à répandre sur nous ses bienfaits
et il ne punit qu'à la dernière extrémité. Lorsqu'il
s'agit de semer, c'est lui-même qui sème, et lorsqu'il faut qu'il
punisse, il se décharge de ce soin sur les anges.
" C'est là qu'il y aura des pleurs et des grincements de dents.
" - REMI. Ces paroles sont une preuve de la résurrection véritable
des corps et nous y voyons annoncés la double peine de l'enfer, une excessive
chaleur et un froid des plus rigoureux. Or, de même que l'ivraie représente
tous les scandales, ainsi tous ceux dont Notre-Seigneur dit ici : " Alors
les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de leur Père, "
seront mis au nombre des enfants du royaume. Dans ce monde, la lumière
que répandent les saints brille aux yeux des hommes ; après la
consommation des siècles, les justes brilleront eux-mêmes comme
le soleil dans le royaume de leur Père. - S. CHRYS. (hom. 48.) Notre-Seigneur
ne veut pas dire que leur éclat sera tout juste égal à
l'éclat du soleil, mais il se sert de cette comparaison parce que parmi
les astres qui nous éclairent, il n'en est point qui brille d'un plus
vif éclat que le soleil. - REMI. Ces paroles : " Alors ils brilleront,
" signifient que les saints brillent sur cette terre par leurs exemples,
mais qu'ils brilleront alors comme le soleil pour la plus grande gloire de Dieu.
" Que celui-là entende qui a des oreilles pour entendre. " - RABAN. C'est-à-dire que celui qui a de l'intelligence comprenne, parce que toutes ces paroles doivent être entendues dans un sens mystérieux.
v. 44.
S. CHRYS. (hom. 48.) Les paraboles précédentes du levain et du
grain de sénevé avaient pour objet de faire ressortir la puissance
de la prédication évangélique qui a triomphé du
monde entier ; Notre-Seigneur veut faire connaître maintenant tout le
prix et la magnificence de cette sublime doctrine, et il se sert pour cela de
la parabole du trésor et de la pierre précieuse : " Le royaume
des cieux est semblable à un trésor caché dans un champ.
" La prédication de l'Évangile est cachée dans le
monde, et si vous ne vendez pas tout ce que vous possédez, vous ne pourrez
l'acheter. Il faut de plus faire ce sacrifice avec joie. " Lorsqu'un homme
le trouve, il le cache. " - S. HIL. Ce trésor se trouve sans qu'il
en coûte rien, car la prédication de l'Évangile est sans
condition ; mais il faut nécessairement acheter le droit d'user de ce
trésor et d'en devenir le possesseur ainsi que du champ qui le renferme,
car on ne peut posséder les richesses du ciel sans être disposé
à leur sacrifier les biens de la terre. - S. JER. Il cache ce trésor,
ce n'est point par un sentiment d'envie, mais il le cache dans son cur
par le désir de conserver et par la crainte de perdre ce trésor
qu'il a su préférer aux richesses qu'il possédait.
S. GREG. (hom. 12 sur les Evang.) Ou bien ce trésor caché dans
un champ, c'est le désir du ciel : le champ dans lequel il est caché,
c'est la perfection et la sainteté de la vie qui conduit au ciel. Lorsqu'un
homme a trouvé ce trésor, il le cache pour le conserver, car le
goût et le désir ardent des biens célestes ne suffisent
pas pour défendre ce trésor contre les esprits mauvais, si celui
qui le possède ne s'efforce pas de le dérober aux attaques des
louanges des hommes. En effet, la vie présente est semblable à
une route que nous parcourons pour arriver à la patrie ; mais cette route
se trouve assiégée par les esprits mauvais comme par autant de
voleurs de grand chemin. Ceux donc qui portent ce trésor à découvert
semblent vouloir devenir la proie des voleurs. Je ne veux pas dire que notre
prochain ne doive pas être témoin de nos bonnes oeuvres, mais simplement
qu'il ne faut pas dans nos actions nous proposer les louanges des hommes. Or,
le royaume des cieux est comparé aux choses de la terre, pour que notre
esprit puisse s'élever de ce qu'il connaît à ce qu'il ne
connaît pas encore, et que de l'amour qu'il donne aux choses dont il a
la connaissance, il apprenne à aimer ce qu'il ne connaît pas. "
Et dans la joie qu'il en ressent, " etc. On achète le champ avec
le prix de tous les biens qu'on a vendus, lorsqu'on renonce aux voluptés
charnelles et qu'on foule aux pieds tous les désirs terrestres par une
obéissance entière aux lois qui conduisent au ciel.
S. JER. Ou bien encore ce trésor dans lequel sont cachés tous
les trésors de la sagesse et de la science (cf. Col 2, 3), c'est ou le
Verbe Dieu qui est comme caché dans la nature humaine de Jésus-Christ,
ou bien les saintes Écritures dans lesquelles est renfermée la
connaissance du Sauveur. - S. AUG. (Quest. Evang., liv. 1, chap. 13.) Ce trésor
caché dans le champ, ce sont les deux Testaments qui se trouvent dans
l'Église ; lorsqu'un homme parvient à les atteindre par une partie
seulement de son intelligence, il comprend que ce champ renferme de grandes
richesses, il s'en va, il vend tout ce qu'il possède et il l'achète,
c'est-à-dire que par le mépris des choses temporelles il achète
le repos, afin de s'enrichir ainsi du trésor de la connaissance de Dieu.
vv. 45-46.
S. CHRYS. (hom. 48.) La prédication de l'Évangile n'est pas seulement
une source de richesses multipliées, comme l'est un trésor, mais
elle est précieuse encore comme une perle, et c'est pour cela qu'après
la parabole du trésor, Notre-Seigneur propose la parabole de la pierre
précieuse. " Le royaume des cieux est encore semblable à
un marchand qui cherche de bonnes perles. " Pour la prédication
de l'Évangile, deux choses sont nécessaires : la séparation
des affaires de la terre, et la vigilance, deux conditions qui se trouvent exprimées
dans cette comparaison du commerce. Or, la vérité est une et ne
peut être divisée en plusieurs parties ; c'est pour cela qu'il
n'est question que d'une seule pierre précieuse, et de même que
celui possède une perle d'un grand prix connaît bien sa richesse,
tandis que tous les autres l'ignorent, car cette perle est si petite qu'elle
tient tout entière dans sa main ; de même dans la prédication
de l'Évangile, ceux qui ont le bonheur de la recevoir savent quelles
richesses spirituelles ils ont acquises, richesses complètement ignorées
de ceux qui ne connaissent pas la valeur de ce trésor.
S. JER. Dans les bonnes perles, on peut voir figurés la loi et les prophètes.
Comprenez donc, Marcion, et vous autres Manichéens que la loi et ces
prophètes sont de bonnes perles. La perle qui est d'un très grand
prix, c'est la science du Sauveur, le mystère de sa passion et de sa
résurrection. Lorsque l'homme qui est dans le commerce a trouvé
cette perle, à l'exemple de l'Apôtre saint Paul il méprise
comme de la boue, pour gagner Jésus-Christ (Ph 3), tous les mystères
de la loi et des prophètes, et ces observances anciennes au milieu desquelles
il avait vécu d'une manière irréprochable. Ce n'est pas
que la découverte de cette perle précieuse détruise le
prix et la valeur de celles qu'il possédait auparavant ; mais auprès
d'elles toutes les autres sont d'un prix inférieur.
S. GREG. (hom. 12 sur les Evang.) Ou bien encore cette pierre précieuse
c'est la douceur de la vie céleste, celui qui l'a trouvée vend
pour l'acheter tout ce qu'il possède. Celui qui a pu goûter parfaitement,
autant qu'on le peut, la suavité de cette vie céleste abandonne
bien volontiers pour elle tout ce qu'il avait aimé sur la terre. Il trouve
désormais sans beauté tous les objets créés qui
l'avaient séduit par leur apparence, parce que l'éclat seul de
cette perle précieuse brille maintenant aux yeux de son âme.
S. AUG. (Quest. évang. sur S. Matth., chap. 13.) Ou bien enfin cet homme
qui cherche de belles perles et qui en trouve une de grand prix, est celui qui
recherche la compagnie des hommes vertueux pour mener avec eux une vie sainte,
et trouve le seul homme qui soit sans péché, Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Ou bien celui qui, cherchant à connaître les préceptes dont
l'observation le fera vivre saintement au milieu des hommes, trouve le précepte
de la charité fraternelle qui renferme tous les autres au témoignage
de l'Apôtre. Ou bien celui qui cherche de bonnes pensées et trouve
cette parole qui renferme toutes choses. " Au commencement était
le Verbe, " (Jn 1), Verbe qui brille de tout l'éclat de la vérité,
qui est ferme de toute la force de l'éternité, et qui, semblable
de toutes parts à lui-même, resplendit de la beauté même
de la divinité ; Verbe dans lequel il faut reconnaître un Dieu
sous l'enveloppe de chair dont il est revêtu. Quelle que soit parmi ces
trois choses ou parmi d'autres celle qui est signifiée par cette perle
précieuse, c'est nous qui en sommes le prix, et nous ne sommes libres
de l'acquérir qu'en méprisant pour obtenir cette heureuse délivrance
tout ce que nous possédons sur la terre. Car, après avoir tout
vendu, nous n'avons pas de biens d'un plus grand prix que nous-mêmes (puisque
nous n'étions pas à nous lorsque ces biens nous enlaçaient
comme autant de chaînes), et c'est nous-mêmes qu'il faut donner
pour acquérir cette perle précieuse, non pas que nous soyons d'une
valeur égale, mais parce que nous ne pouvons donner davantage.
vv. 47-50.
S. CHRYS. (hom. 48.) Notre-Seigneur, craignant que nous ne mettions toute notre
confiance dans la prédication seule, et que nous ne croyions que la foi
seule suffit pour le salut, après avoir relevé le prix de la prédication
évangélique dans les paraboles qui précèdent, en
ajoute une autre qui est effrayante : " Le royaume des cieux est encore
semblable à un filet. " - S. JER. Après que cette prophétie
de Jérémie fut accomplie : " Je vous enverrai un grand nombre
de pécheurs " (Jr 16) ; après que Pierre, André, Jacques
et Jean eurent entendu ces paroles : " Suivez-moi et je ferai de vous des
pêcheurs d'hommes, " (Mt 4) ils se firent à l'aide de l'Ancien
et du Nouveau Testament un filet entrelacé des vérités
de l'Évangile ; ils le jetèrent dans la mer de ce monde, et il
est resté tendu jusqu'à présent au milieu des flots pour
prendre dans ces gouffres amers et trompeurs tout ce qui se présente,
c'est-à-dire les hommes bons et mauvais : " Et qui prend toute sorte
de poissons. "
S. GREG. (hom. 10 sur les Evang.) Ou bien la sainte Église est comparée
à un filet parce qu'elle est confiée à des pêcheurs,
et c'est par elle que chacun de nous est tiré des flots de ce monde sur
le rivage du royaume des cieux et arraché aux abîmes de la mort
éternelle. Ce filet recueille des poissons de toute espèce, car
l'Église appelle à la rémission des péchés
les sages et les ignorants, les hommes libres et les esclaves, les riches et
les pauvres, les forts et les faibles. Ce filet, c'est-à-dire la sainte
Église, sera tout à fait rempli lorsqu'à la fin des temps
la destinée du genre humain sera consommée. C'est pour cela qu'il
est dit : " Lorsqu'il fut plein, " etc. - De même que la mer
figure le monde, ainsi le rivage de la mer représente la fin du monde.
C'est alors que les bons poissons seront recueillis dans des vaisseaux et les
mauvais jetés au loin, c'est-à-dire que les élus seront
reçus dans les tabernacles éternels, tandis que les méchants,
privés de la lumière qui éclaire le royaume intérieur,
seront traînés dans les ténèbres extérieures.
Pendant cette vie, les filets de la foi contiennent indifféremment les
bons et les mauvais, comme des poissons mêlés ensemble ; mais le
rivage fera reconnaître ceux que contenait le filet de l'Église.
- S. JER. En effet, lorsque ce filet sera tiré sur le rivage, alors on
verra comment doit s'opérer la séparation des bons avec les mauvais.
S. CHRYS. (hom. 48.) Quelle différence y a-t-il entre cette parabole
et celle de l'ivraie ? De part et d'autre, les uns sont sauvés et les
autres périssent ; mais dans la parabole de l'ivraie, c'est la perversité
des dogmes hérétiques qui est la cause de leur perte ; dans la
parabole de la semence, c'est le défaut d'attention à la parole
de Dieu, et dans celle-ci c'est la vie criminelle des hommes qui sera pour eux
un obstacle à leur salut, bien qu'ils aient été pris dans
le filet, c'est-à-dire bien qu'ils aient reçu la connaissance
de Dieu. Et ne soyez pas tenté de regarder comme un supplice peu rigoureux
pour les mauvais d'être jetés dehors, car écoutez Notre-Seigneur
qui vous fait connaître dans l'explication de cette parabole combien ce
supplice sera terrible : " Il en sera de même à la fin des
temps. Les Anges viendront et sépareront les mauvais, " etc. Il
dit ailleurs que c'est lui-même qui les séparera comme un pasteur
sépare les brebis d'avec les boucs. Ici ce sont les Anges qui font cette
séparation, comme dans la parabole de l'ivraie.
S. GRÉG. (hom. 10.) Il faut bien plutôt trembler en entendant ces
paroles, que chercher à les expliquer, car les tourments des pécheurs
y sont prédits ouvertement et personne ne peut s'excuser ici sur son
ignorance en prétextant l'obscurité du dogme des supplices éternels.
- RAB. Lorsque la fin du monde sera venue, on connaîtra les véritables
signes qui doivent servir à séparer les poissons entre eux, et
là comme dans un port, à 1'abri de toute agitation, les bons seront
placés dans les vaisseaux des célestes demeures, et les mauvais
jetés dans les flammes de l'enfer qui doivent les brûler et les
tourmenter pendant l'éternité.
vv. 51-52.
S. CHRYS. (Hom. 48.) Après que le peuple s'est retiré, le Seigneur
continue de parler à ses disciples en paraboles, parce que cette méthode
d'enseignement a ouvert leur intelligence et leur a fait comprendre les paroles
du Sauveur. Il leur demande donc : " Avez-vous compris toutes ces choses
? Ils lui répondent : Oui. " - S. JER. Il s'adresse particulièrement
aux Apôtres, car il ne veut pas seulement qu'ils entendent comme le peuple,
mais comme des hommes qui doivent un jour enseigner les autres.
S. CHRYS. Il les félicite de nouveau de ce qu'ils ont compris par les
paroles suivantes : " C'est pourquoi tout docteur tire de son trésor
des choses nouvelles et des choses anciennes. "
S. AUG. (Cité de Dieu, 20, 4.) Il ne dit pas des choses anciennes et
des choses nouvelles, ce qu'il n'eût pas manqué de faire, s'il
n'avait préféré suivre l'ordre que prescrivait le mérite
de ces choses plutôt que l'ordre des temps. Les Manichéens qui
prétendent n'être en possession que des promesses nouvelles de
Dieu, restent ensevelis dans la vétusté de la chair et introduisent
en même temps la nouveauté de l'erreur. - S. AUG. (Quest. évang.)
Notre-Seigneur a-t-il voulu expliquer ici quel est ce trésor caché
dans le champ et que l'on peut entendre des saintes Écritures composées
de l'Ancien et du Nouveau Testament ; ou bien son dessein est-il de nous apprendre
qu'on doit regarder comme un homme docte dans l'Église celui qui comprend
les anciennes Écritures, même sous la forme de paraboles, en puisant
dans les nouvelles les principes d'une bonne interprétation (puisque
le Sauveur lui-même a parlé en paraboles dans le Nouveau Testament)
? Car s'il est celui en qui toutes les Écritures reçoivent leur
accomplissement et leur manifestation, et que cependant il parle encore en paraboles
jusqu'à ce que sa passion ait déchiré le voile et qu'il
n'y ait rien de caché qui ne soit révélé, nous devons
en conclure que ce qui avait été prédit de lui si longtemps
avant sa venue sur la terre était plus que tout le reste caché
sous le voile des paraboles. Et en voulant entendre ces prédictions à
la lettre, les juifs ont refusé de devenir instruits de ce qui concerne
le royaume des cieux.
S. GRÉG. (hom. 13.) Si par ces choses nouvelles et anciennes nous entendons
les deux Testaments, nous serons forcés de ne point regarder Abraham
comme docte et instruit, lui qui connaissait sans doute les faits de l'Ancien
et du Nouveau Testament, mais qui n'en a point parlé. Nous ne pourrons
pas non plus comparer Moïse à ce docte père de famille, car
s'il a enseigné les préceptes de l'Ancien Testament, il n'a point
promulgué les vérités de la loi nouvelle. Nous devons donc
entendre que Notre-Seigneur ne parlait que de ceux qui existaient autrefois,
mais de ceux qui pouvaient faire partie de l'Église. Ce sont ces derniers
qui tirent de leur trésor des choses nouvelles et des choses anciennes
lorsque par leur vie comme par leurs paroles, ils annoncent les vérités
renfermées dans les deux Testaments. - S. HIL. (can. 14.) Jésus
parle ici à ses disciples et il les appelle scribes ou docteurs à
cause de leur science, parce qu'ils ont compris ce qu'il leur a enseigné
de nouveau et d'ancien, c'est-à-dire son Évangile, et ce qu'il
leur a expliqué de la loi. La loi et l'Évangile ont tous les deux
pour auteur le même père de famille et sortent tous les deux du
même trésor. Sous ce nom de père de famille, il établit
aussi une comparaison entre ses disciples et lui-même, parce qu'ils ont
puisé la doctrine des vérités anciennes et des vérités
nouvelles dans le trésor de l'Esprit saint.
S. JER. Ou bien il donne aux Apôtres le nom de scribes doctes et instruits,
parce qu'ils étaient comme les secrétaires du Sauveur, et qu'ils
écrivaient ses paroles et ses préceptes sur les tables de chair
du cur humain. (2 Co 3.) Riches des mystères du royaume des cieux
et des richesses du père de famille, ils tiraient du trésor de
leur doctrine des choses nouvelles et des choses anciennes, c'est-à-dire
qu'ils appuyaient toutes les vérités de l'Évangile sur
des témoignages de la loi et des prophètes. C'est pour cela que
l'épouse dit dans le Cantique des cantiques (Ct 7) : " Mon bien-aimé,
je vous ai réservé les choses nouvelles avec les choses anciennes.
" - S. GREG. (hom. 12.) Ou bien encore, la chose ancienne, c'est que le
genre humain, par suite de ses crimes, devait périr victime d'un supplice
éternel, et la chose nouvelle, c'est qu'il se convertisse et qu'il vive
d'une vie immortelle dans le royaume des cieux. Il nous a donné d'abord
comme figure du royaume le trésor trouvé et la pierre précieuse
; il nous a fait connaître ensuite les peines de l'enfer où les
méchants brûleront éternellement, et il conclut par ces
paroles : " C'est pourquoi tout scribe instruit tire de son trésor
des choses nouvelles et anciennes, paroles dont voici le sens : Celui-là
doit être regardé dans l'Église comme un prédicateur
instruit qui sait dire des choses nouvelles sur les douceurs ineffables du royaume
des cieux, et des choses anciennes sur la rigueur effrayante des supplices éternels,
afin que les châtiments épouvantent ceux qui demeurent insensibles
à l'attrait des récompenses.
vv. 53-58.
S. JER. Après ces paraboles que Notre-Seigneur avait proposées
au peuple et que les apôtres seuls avaient comprises, il vint dans sa
patrie pour y enseigner plus ouvertement. C'est ce que l'Évangéliste
rapporte en ces termes : " Lorsque Jésus eut achevé ces paraboles,
" etc. - S. AUG. (de l'accord des Evang., 2, 45.) Saint Matthieu passe
de ces discours en paraboles à un autre sujet sans indiquer qu'il suit
un ordre rigoureux d'autant plus que saint Marc (Mc 4) et saint Luc (Lc 8),
en cela différents de saint Matthieu, paraissent avoir disposé
leur narration d'une manière plus conforme à l'ordre chronologique
des faits, en plaçant après ces paraboles les deux miracles du
sommeil de Jésus dans la barque pendant la tempête et des démons
chassés, miracles que saint Matthieu a entremêlés précédemment
dans son récit.
S. CHRYS. (hom. 49.) L'Évangéliste appelle ici Nazareth sa patrie
; il n'y fit pas beaucoup de miracles, ainsi qu'il le dit plus bas, mais il
les multiplia dans Capharnaüm, où il développa en même
temps sa doctrine qui ne devait pas moins les frapper d'admiration que ses miracles.
- REMI. Il enseignait dans les synagogues où les Juifs se rassemblaient
en foule, parce qu'il était descendu du ciel sur la terre pour le salut
d'un grand nombre. - " De sorte qu'étant saisis d'étonnement,
ils disaient : D'où lui est venue cette sagesse et cette puissance ?
" La sagesse se rapporte à sa doctrine, la puissance aux miracles
qu'il opérait.
S. JER. Aveuglement inconcevable des Nazaréens, ils s'étonnent
que la sagesse possède la sagesse, et que la puissance fasse éclater
la puissance (cf. 1 Co 1, 24). La cause de leur erreur est évidente ;
ils ne voient dans Jésus que le fils d'un charpentier. - S. CHRYS. (hom.
49.) Leur aveuglement et leur folie s'étendent à tout, ils cherchent
à le rabaisser par celui qu'ils regardent comme son père ; cependant
l'histoire des temps anciens leur offrait un grand nombre d'exemples d'enfants
illustres nés de parents sans distinction : David était fils de
Jessé, simple laboureur ; Amos était fils de bergers et berger
lui-même. C'était au contraire une raison de lui témoigner
plus d'honneur, puisque, malgré sa naissance si humble, il prêchait
une doctrine si relevée, car il était évident quelle n'était
pas le résultat d'une éducation tout humaine, mais un effet de
la grâce divine. - S. AUG. (Serm. pour la Nativ. de Notre-Seign.). Le
Père du Christ est en effet ce divin charpentier qui a fait l'univers
avec tout ce qu'il renferme, qui a donné le plan de l'arche de Noé
et fait connaître à Moïse l'ordonnance du tabernacle, établi
l'arche d'alliance ; divin charpentier, dis-je qui aplanit les intelligences
raboteuses et retranche toutes les pensées orgueilleuses. - S. HIL. (can.
14.) Il était aussi le Fils de cet ouvrier qui dompte le fer par le feu,
qui dissout toute la puissance du monde dans les ardeurs de son jugement, qui
plie la matière aux usages de l'homme et qui donne à nos corps
leur forme pour que les membres puissent remplir leurs divers offices et concourir
aux oeuvres de la vie éternelle.
S. JER. Après s'être trompés sur le père de Jésus,
il n'est point surprenant qu'ils se trompent également sur ses frères
: " Est-ce que sa mère ne s'appelle pas Marie et ses frères
Jacques et Joseph ? " - S. JER. (contre Helvid.) Ceux qu'ils appellent
les frères du Seigneur sont les enfants de sa tante, Marie de Cléophas,
femme d'Alphée et mère de Jacques et de Joseph : Cette Marie était
aussi la mère de Jacques le Mineur. - S. AUG. (Quest. évang.,
quest. 17 sur S. Matth.) Il n'est pas étonnant qu'on ait appelé
frères du Seigneur tous ses parents du côté maternel, puisque
les Juifs, qui pensaient que Joseph était son père, appellent
également ses frères tous ceux qui étaient parents de Joseph.
- S. HIL. Le Seigneur se voit donc méprisé à cause de ses
parents, et quoique la sagesse de son enseignement et l'éclat de ses
miracles dussent exciter leur admiration, ils ne peuvent croire que c'est Dieu
qui agit ici dans l'homme, parce qu'ils cherchent à l'outrager en lui
rappelant le métier de son père. Au milieu donc de tant de merveilles
qu'il opérait sous leurs yeux, son humanité seule fait impression
sur eux, et ils disent : " D'où lui viennent toutes ces choses ?
"
" Et il leur était un sujet de scandale. " - S. JER. Cette
erreur des Juifs est la cause de notre salut et en même temps la condamnation
des hérétiques ; ils s'obstinaient tellement à ne voir
qu'un homme en Jésus-Christ, qu'ils le regardaient comme le fils d'un
charpentier. - S. CHRYS. (hom. 49.) Mais admirez ici la douceur de Jésus-Christ
: il ne leur dit aucune injure, mais leur répond avec la plus grande
modération : " Et Jésus leur dit : Un prophète n'est
sans honneur que dans son pays et dans sa maison. " - REMI. Il se donne
le nom de prophète et c'est le nom que Moïse lui avait donné,
lorsqu'il disait : " Dieu vous suscitera un prophète du milieu de
vos frères. " (Dt 18) Remarquons ici que ce n'est pas seulement
Jésus-Christ, le chef de tous les prophètes, mais encore Jérémie
et Daniel, et les autres prophètes qui ont reçu plus d'honneur
et de gloire parmi les étrangers qu'au milieu de leurs concitoyens. -
S. JER. En effet, il est presque dans la nature que les habitants d'un même
pays se jalousent mutuellement ; ils ne considèrent pas les oeuvres actuelles
de l'homme fait, ils ne se rappellent que les faiblesses de son enfance, comme
s'ils n'avaient point eux-mêmes passé par les mêmes degrés
pour arriver à la maturité de l'âge.
S. HIL. (can. 14.) Il déclare qu'un prophète est sans honneur
dans sa patrie, parce qu'il ne devait recevoir que des mépris dans la
Judée jusqu'au jour où il devait être condamné à
la mort de la croix, et que ce n'est qu'au milieu des fidèles qu'il a
été reconnu comme la vertu de Dieu. Il ne voulut point faire de
miracles par suite de leur incrédulité, comme le remarque l'Évangéliste
: " Et il ne fit pas là beaucoup de miracles, à cause de
leur incrédulité. " - S. JER. Ce n'est pas que leur incrédulité
rendît ces miracles impossibles, mais il ne voulait pas que ces nombreux
miracles fussent une cause de condamnation pour ses concitoyens. - S. CHRYS.
(hom. 49.) Mais puisqu'ils ne pouvaient s'empêcher d'admirer les prodiges
qu'il opérait, pourquoi ne pas les multiplier parmi eux ? C'est que le
Sauveur n'agissait point par ostentation et ne recherchait que l'utilité
des autres ; or, il ne voyait pas ici cette utilité, il néglige
donc ce qui lui est personnel pour ne pas augmenter leur culpabilité
et leur châtiment. Mais pourquoi donc en fit-il quelques-uns ? Afin de
leur ôter tout prétexte de dire : " Si vous aviez fait des
miracles, nous aurions cru. " - S. JER. On peut encore entendre ces paroles
dans un autre sens, c'est-à-dire que Jésus a été
méprisé dans sa maison et dans sa patrie (par le peuple juif),
et qu'il n'y a fait que peu de miracles, afin qu'ils ne fussent pas entièrement
inexcusables. Tous les jours, au contraire, il opère par ses Apôtres
de plus grands prodiges au milieu des nations, moins pour la guérison
des corps que pour le salut des âmes.