ÉVANGILE DE SAINT MATHIEU PAR SAINT THOMAS D'AQUIN

CATANA AUREA DE SAINT THOMAS D'AQUIN SUR SAINT MATTHIEU

CHAPITRE VII

vv. 1-2

S. AUG. (serm. sur la mont., 2, 28.) On ne peut savoir quelle intention nous porte à rechercher les biens temporels pour l'avenir, et nous pouvons les acquérir avec une intention simple ou avec duplicité de cœur. Notre-Seigneur ajoute donc très à propos : " Ne jugez pas. " - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Ou bien si l'on veut une autre liaison avec ce qui précède, jusqu'ici, Notre-Seigneur a déduit les conséquences du précepte de l'aumône, il va maintenant exposer les conséquences du précepte de la prière. Les enseignements qui suivent font en un certain sens partie de la prière, de manière que ces paroles : " Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés, " feraient suite à celles-ci : " Remettez-nous nos dettes. " - S. JER. S'il nous est défendu de juger, comment saint Paul a-t-il pu légitimement juger l'incestueux de Corinthe, et saint Pierre convaincre de mensonge Ananie et Saphire ? (Ac 4.) - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Il en est qui entendent ce passage dans ce sens que Notre-Seigneur ne nous défend pas ici de reprendre nos frères par un principe de charité, mais qu'il interdit seulement aux chrétiens de se mépriser les uns les autres par une vaine affectation de justice, de les prendre en haine et de les condamner sur de simples soupçons, en couvrant des apparences de la piété les inspirations d'une haine personnelle. - S. CHRYS. (hom. 24.) Aussi ne dit-il pas : " N'arrêtez pas celui qui pèche, " mais : " Ne jugez pas, " c'est-à-dire ne soyez pas un juge sévère : reprenez, à la bonne heure, non pas comme un ennemi qui veut se venger, mais comme un médecin qui cherche à guérir.

S. CHRYS. (sur S. Matth.) C'est afin de prévenir cette amertume dans la réprimande que les chrétiens se font entre eux, que Notre-Seigneur a dit : " Ne jugez point. " Mais quoi ! est-ce que par cela seul qu'ils se seront abstenus de cette réprimande amère ils obtiendront la rémission de leurs péchés en vertu de ces paroles : " Vous ne serez pas jugés ? " Est-ce qu'on est digne d'obtenir le pardon du mal qu'on a commis, par cela seul qu'on n'y a pas ajouté un autre mal ? Non sans doute, et notre dessein en parlant de la sorte est de faire comprendre que ces paroles du Sauveur ne nous défendent pas de juger ceux qui pêchent contre Dieu, mais ceux qui nous offensent personnellement. Car celui qui ne juge pas son prochain par suite d'une offense qu'il en a reçue, ne sera pas jugé lui-même ; Dieu lui pardonnera comme il a pardonné. - S. CHRYS. (hom. 24.) Ou bien encore, cette défense de juger ne s'étend pas à tous les péchés quels qu'ils soient, mais elle s'adresse à ces hommes qui remplis de vices sans nombre, reprennent sévèrement les autres pour les moindres fautes. C'est ainsi que saint Paul lui-même ne défend pas de juger ceux qui sont en faute, mais il reprend les disciples qui veulent juger leurs maîtres, et nous apprend par là à ne pas juger ceux qui sont au-dessus de nous.

S. HIL. (Can. 5 sur S. Matth.) Ou bien encore Dieu nous défend de nous ériger en juges de ses desseins providentiels, car de même que tout jugement parmi les hommes porte sur des points douteux, ainsi tout jugement contre Dieu a pour objet des matières pleines d'obscurité. Il veut donc éloigner de nous cette disposition et nous laisser sous la garde d'une foi inébranlable, car si dans d'autres matières le jugement téméraire est chose coupable, quand il attaque les choses de Dieu, c'est un commencement de crime. - S. AUG. (serm. sur la mont., liv. 2, chap. 23.) Ou bien enfin je pense que le Seigneur, par ces paroles, ne nous ordonne autre chose que d'interpréter en bonne part les actions dont le motif nous est inconnu. Il est des actions dont l'intention ne peut être bonne, comme les outrages à la pudeur, les blasphèmes et autres crimes semblables, Dieu nous permet de les juger. Il est au contraire des actions intermédiaires ou indifférentes que l'on peut faire avec une intention bonne ou mauvaise ; c'est une témérité de les juger, surtout pour les condamner. Il est deux circonstances où nous devons éviter le jugement téméraire : lorsque l'intention qui a dirigé telle action nous est inconnue, et quand nous ignorons ce que deviendra par la suite une personne qui nous paraît être actuellement bonne ou mauvaise. Ne blâmons donc pas des actions dont nous ne connaissons pas l'intention, et quant à celles qui sont manifestement mauvaises, ne les reprenons pas de manière à rendre impossible la guérison. On peut être étonné de ce que dit Notre-Seigneur : " Vous serez jugés selon que vous aurez jugé les autres. " Est-ce que si nous jugeons témérairement, Dieu nous jugera de la même manière ? Et si nous nous sommes servis d'une mesure injuste, Dieu nous appliquera-t-il une mesure semblable ? car ces expressions mesure et jugement ont ici, je pense, le même sens. Ces paroles signifient donc que la témérité dont vous aurez rendu les autres victimes, sera elle-même votre châtiment ; car souvent l'injustice ne nuit en rien à celui qui en est l'objet, mais elle nuit toujours à celui qui en est l'auteur. - S. AUG. (Cité de Dieu, liv. 21, chap. 2.) Comment peut-il être vrai, disent quelques-uns, que nous serons mesurés selon la mesure avec laquelle nous aurons mesuré les autres, si un péché dont la durée a été limitée est puni d'un supplice éternel ? Ils ne font point attention qu'il ne s'agit pas ici d'une mesure semblable quant à la réciprocité de la peine, en ce sens que celui qui a fait le mal souffre un mal semblable, quoique cependant on pourrait appliquer ces paroles au sujet traité alors par le Sauveur, c'est-à-dire aux jugements et aux condamnations. Donc celui qui juge et condamne injustement reçoit dans la même mesure lorsqu'il est jugé et condamné selon toute justice, quoiqu'il ne reçoive pas ce qu'il a donné ; car il s'est servi du jugement pour commettre une injustice, Dieu se sert du jugement pour lui infliger le châtiment qu'il a justement mérité.

vv. 3-5
S. AUG. (serm. sur la mont., 2, 30.) Notre-Seigneur vient de nous prémunir contre le jugement téméraire et injuste, jugement téméraire dont se rendent coupables ceux qui se prononcent légèrement et avec sévérité dans les choses incertaines, qui aiment mieux blâmer et condamner que de corriger et de ramener au bien, ce qui est toujours un effet de l'orgueil et de l'envie. Il poursuit sa pensée et ajoute : " Pourquoi voyez-vous une paille dans l'oeil de votre frère, tandis que vous ne voyez pas une poutre dans le vôtre ? " - S. JER. Le Sauveur parle ici de ceux qui, esclaves qu'ils sont du péché mortel, ne pardonnent pas à leurs frères des fautes bien plus légères. - S. AUG. (serm. sur la mont., 2, 31.) Ainsi encore votre frère pèche par colère et vous le reprenez par haine ; or entre la colère et la haine il y a la différence qui existe entre une paille et une poutre, car la haine c'est la colère invétérée. Il peut se faire qu'en vous mettant en colère contre un homme, votre intention soit de le ramener au bien, ce qui vous sera toujours impossible si vous avez pour lui de la haine.
S. CHRYS. (hom. 24.) Il en est plusieurs qui en voyant un moine porter de riches vêtements ou user d'une nourriture abondante, le blâment avec amertume, tandis qu'eux-mêmes se livrent tous les jours à la rapine ou aux excès de la table. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Ou bien encore Notre-Seigneur s'adresse ici aux docteurs, car la gravité ou la légèreté d'une faute se mesure sur la personne qui la commet, et le péché d'un simple fidèle n'est qu'une paille légère auprès du péché d'un prêtre, péché qui est ici comparé à une poutre.

S. HIL. (can. 5 sur S. Matth.) Ou bien le péché contre le Saint-Esprit consiste à nier la puissance de la vertu divine, et à refuser de reconnaître une substance éternelle en Jésus-Christ, par qui l'homme doit s'élever de nouveau jusqu'à Dieu, parce qu'étant Dieu lui-même il s'est abaissé jusqu'à se faire homme. D'après Notre-Seigneur, il y a donc autant de différence entre le péché contre le Saint-Esprit et les autres crimes, qu'entre une poutre et un fêtu de paille, et les infidèles se rendent coupables de ce péché lorsqu'ils reprochent aux autres leurs fautes extérieures, sans voir eux-mêmes le crime qui pèse sur eux, c'est-à-dire leur incrédulité aux promesses de Dieu, parce qu'ils ont l'oeil de l'âme aveugle comme si une poutre était tombée sur leurs yeux. " Ou comment pouvez-vous dire à votre frère : Laissez-moi tirer la paille de votre oeil, pendant que vous avez une poutre dans le vôtre ? " - S. CHRYS. (sur S. Matth.) C'est-à-dire de quel front osez-vous reprendre votre frère, vous qui êtes coupable de la même faute et peut-être plus coupable que lui ?

S. AUG. Lors donc que nous serons obligés de faire une réprimande, faisons-nous d'abord cette question : N'ai-je jamais commis cette faute ? et pensons alors qu'étant aussi des hommes fragiles, nous aurions pu la commettre. Si nous en avons été coupables, et que nous ayons cessé de l'être, rappelons-nous notre commune fragilité, afin que notre réprimande soit inspirée non par la haine, mais par la miséricorde. Mais si nous découvrons en nous ce même péché, abstenons-nous de tout reproche, confondons nos gémissements et excitons-nous mutuellement à de courageux efforts pour en sortir. Ce n'est du reste que rarement et lorsqu'il y a nécessité pressante qu'il faut employer les réprimandes sévères, et jamais dans des vues personnelles, mais dans l'intérêt de la gloire de Dieu.

S. CHRYS. (sur S. Matth.) Ou bien dans un autre sens : " Comment dites-vous à votre frère, " c'est-à-dire dans quelle intention ? Est-ce par charité, pour assurer son salut ? Non, car alors vous chercheriez tout d'abord à vous sauver vous-même. Ce que vous vous proposez, ce n'est donc pas de guérir les autres, mais de vous servir de la saine doctrine comme d'un manteau pour couvrir vos actions coupables ; vous recherchez auprès des hommes une vaine réputation de science, et non pas la récompense que Dieu accorde à celui qui édifie. Aussi écoutez ce que vous dit le Sauveur : " Hypocrite, enlevez plutôt la poutre de votre oeil. " - S. AUG. (serm. sur la mont.) Il n'appartient qu'à la vertu de reprendre le vice, et lorsque les méchants essaient de le faire, ils usurpent un rôle qui leur est étranger. C'est ce que font les comédiens qui cachent sous un déguisement emprunté ce qu'ils sont, et s'en servent en même temps pour paraître ce qu'ils ne sont pas.

S. CHRYS. (hom. 24 sur S. Matth.) Il est à remarquer que toutes les fois que Notre-Seigneur veut signaler un péché d'une certaine gravité, il débute par un terme de reproche. " Mauvais serviteur, dit-il ailleurs, je vous ai remis toute votre dette, " et ici : " Hypocrite jetez d'abord, " etc. On connaît mieux ce qui est en soi, que ce qui se passe chez les autres ; on voit plus facilement ce qui est grand que ce qui est petit ; et on a pour soi plus d'affection que pour son prochain. C'est pour cela que Notre-Seigneur défend à celui qui s'est rendu esclave de fautes nombreuses, de juger avec amertume les péchés des autres, alors surtout qu'ils sont légers. Ce n'est pas qu'il nous interdise la correction ou la réprimande ; mais il ne veut pas qu'en fermant les yeux sur nos propres fautes, nous poursuivions avec sévérité les fautes des autres. Commencez par examiner avec soin votre propre conduite, avant de discuter la conduite du prochain. " Et alors, ajoute Notre-Seigneur, vous songerez à ôter le fêtu de l'oeil de votre frère. "
S. AUG. (serm. sur la mont., 2, 30.) Une fois que nous aurons ôté de notre oeil la poutre de la jalousie, de la malice, de la fausseté, nous songerons à enlever la paille de l'oeil de notre frère.

v. 6.
S. AUG. (serm. sur la mont., 2, 31.) La simplicité que le Seigneur nous recommande par ce qui précède, pouvait induire quelques esprits en erreur, et leur donner à croire qu'on pèche en dissimulant quelquefois la vérité, comme en disant un mensonge ; il ajoute pour rectifier cette erreur : " Ne donnez pas les choses saintes aux chiens, et ne jetez point vos perles devant les pourceaux. "
S. CHRYS. (sur S. Matth.) Ou bien encore, le Sauveur nous avait ordonné plus haut d'aimer nos ennemis et de faire du bien à ceux mêmes qui nous ont offensé. Or les prêtres pouvaient peut-être conclure de là qu'il fallait aussi les admettre à la participation des choses divines ; il combat cette pensée en disant : " Ne donnez pas les choses saintes aux chiens, " comme s'il disait : Je vous ai commandé d'aimer vos ennemis, de les assister de vos biens temporels, mais non pas de leur distribuer indistinctement mes trésors spirituels ; car s'ils ont avec vous une commune nature, ils n'ont pas une même foi ; et si Dieu répand également les biens de la terre sur les méchants comme sur les bons, il n'en est pas de même des grâces spirituelles.

S. AUG. (serm. sur la mont.) Examinons ce que sont ici les choses saintes, les chiens, les pierres précieuses, les pourceaux. Ce qui est saint, c'est ce qu'on ne peut profaner sans crime, et ce crime, la volonté s'en rend coupable, alors même que la chose sainte reste inviolable. Les pierres précieuses sont les choses spirituelles du plus grand prix. Cependant une seule et même chose peut réunir à la fois ces deux qualités, d'être sainte et pierre précieuse ; sainte, parce qu'on doit prendre garde de la profaner ; pierre précieuse, parce qu'on doit se garder d'en mépriser la valeur.

S. CHRYS. (sur S. Matth.) Ou bien encore, les choses saintes, c'est le baptême, la grâce du corps de Jésus-Christ, et les autres trésors spirituels de même nature. Les perles sont les mystères de la vérité, car de même que les perles sont renfermées dans des coquilles, et cachées au fond de la mer, ainsi les mystères de la vérité sont cachés sous l'enveloppe des paroles et renfermés dans les profondeurs du sens de la sainte Écriture. - S. CHRYS. (hom. 24.) Pour ceux qui sont doués d'intelligence et d'une âme vertueuse, la connaissance qu'ils ont des mystères leur inspire pour eux une plus grande vénération. Ceux au contraire qui n'ont ni sentiment ni raison, ont plus de respect pour ce qu'ils ignorent.

S. AUG. (serm. sur la mont.) D'après une interprétation assez juste, les chiens sont ceux qui attaquent la vérité, et les pourceaux ceux qui la méprisent. Comme les chiens s'élancent pour déchirer leur proie, et qu'ils mettent en pièces ce qu'ils déchirent, Jésus-Christ nous dit : " Ne donnez pas les choses saintes aux chiens, " car autant qu'il dépend d'eux, ils mettraient en pièces la vérité, si elle n'était inaccessible à leurs efforts. Quant aux pourceaux, quoiqu'ils n'aient pas l'habitude de déchirer avec les dents ce qu'ils rencontrent, ils le souillent en le foulant çà et là dans la fange, et c'est pour cela que Notre-Seigneur ajoute : " Ne jetez pas vos perles devant les pourceaux. - RAB. Ou bien, les chiens sont ceux qui sont retournés à leur vomissement, et les pourceaux ceux qui n'étant pas encore convertis se vautrent dans la fange du vice. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) On peut encore dire que le chien et le porc sont des animaux immondes, mais avec cette différence que le chien l'est sous tous rapports, parce qu'il ne rumine pas et n'a pas la corne divisée en deux, tandis que le porc n'est immonde que sous un rapport, parce qu'il porte la corne fendue par le milieu, mais ne rumine pas. Aussi je pense que les chiens figurent ici les Gentils qui sont tout à fait immondes, et dans leur vie, et dans leur foi ; et les pourceaux, les hérétiques, parce qu'ils invoquent extérieurement le nom du Seigneur. Or on ne doit pas donner les choses saintes aux chiens, parce que le baptême et les autres sacrements ne doivent être administrés qu'à ceux qui font profession de la foi chrétienne. De même les mystères de la vérité figurés par les perles ne doivent être exposés qu'a ceux qui les désirent, et qui vivent d'une manière conforme à la raison. Si vous les jetez aux pourceaux, c'est-à-dire à ceux qui sont comme abrutis dans la fange des plaisirs sensuels, ils n'en comprendront pas le prix, mais les confondront avec les fables profanes, et les fouleront aux pieds par l'indignité d'une vie toute charnelle. - S. AUG. (serm. sur la mont.) On foule aux pieds ce qu'on méprise, et c'est pour cela que Notre-Seigneur ajoute : " De peur qu'ils ne les foulent aux pieds. " - LA GLOSE. Il dit : " De peur, " car ils peuvent se repentir de leur vie impure. - S. AUG. (serm. sur la mont.) " Et que s'étant retournés, ils ne vous déchirent. " Remarquez qu'il ne dit pas : " Ils ne déchirent les perles, car pour elles, elles sont foulées aux pieds ; " et lorsqu'ils se sont retournés pour entendre encore quelque vérité, ils déchirent celui dont ils ont foulé les perles aux pieds ; car comment trouver grâce devant un homme qui méprise ce qui a coûté tant de travaux et de peines ? Il est donc impossible que ceux qui enseignent de telles gens ne soient pas comme déchirés par l'indignation et la douleur.

S. CHRYS. (sur S. Matth.) Ou bien les pourceaux non-seulement foulent les perles aux pieds, par leur conduite toute charnelle, mais encore à peine convertis de quelques jours, ils déchirent ceux qui les leur ont offertes. Presque toujours on les voit se scandaliser et calomnier ceux qui les enseignent comme s'ils annonçaient de nouveaux dogmes. Les chiens aussi foulent les choses saintes aux pieds en déchirant le prédicateur de la vérité par leurs sentiments, leur manière d'agir et leurs disputes. - S. CHRYS. (hom. 24.) Remarquez la justesse de cette expression : " S'étant retournés, " car ils affectent un certain air de douceur pour se faire instruire, et déchirent ensuite ceux qui les ont enseignés. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) La défense qui nous est faite de jeter les perles aux pourceaux est pleine de sagesse, car s'il est défendu de les jeter aux pourceaux qui sont moins immondes, à plus forte raison ne doit-on pas les jeter aux chiens qui le sont bien davantage. Quant à la distribution des choses saintes, nous ne pouvons suivre la même règle de conduite, car souvent nous répandons nos bénédictions même sur des chrétiens qui vivent à la manière des bêtes (cf. Za 11, 4), non parce qu'ils les méritent, mais de peur qu'en les leur refusant nous ne les scandalisions et ne soyons la cause de leur perte.
S. AUG. (serm. sur la mont., 2, 32.) Il faut donc se garder de rien expliquer à celui qui n'est pas en état de comprendre ; car il vaut mieux le laisser chercher ce qui est caché pour lui, que de l'exposer à profaner par la haine comme le chien, ou par le mépris comme le pourceau, ce qui lui aura été découvert. De ce que l'on peut s'abstenir de dévoiler une vérité, il ne faut pas conclure qu'il soit permis de dire un mensonge, car le Seigneur, qui n'a jamais menti, a cependant cru devoir cacher quelques vérités comme le prouvent ces paroles : " J'ai beaucoup d'autres choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter maintenant. " Si quelqu'un se trouve dans l'impossibilité de comprendre les vérités saintes à cause des souillures de son âme, nous devons l'en purifier par la parole ou par les oeuvres, autant qu'il est possible. De ce que le Seigneur ait souvent enseigné des vérités qu'un grand nombre de ceux qui l'écoutaient n'ont pas voulu recevoir, par mépris ou par opposition, il ne faut pas en conclure qu'il donnait les choses saintes aux chiens, ou qu'il jetait les perles devant les pourceaux. Il parlait pour ceux qui pouvaient le comprendre, et qui entendaient ses divines leçons, et qu'il n'était pas juste d'abandonner à cause de l'indignité des autres. Ceux qui venaient pour le tenter séchaient de douleur, et trouvaient la mort dans la sagesse de ses réponses, mais il y en avait un grand nombre d'autres capables de les comprendre, et qui profitaient de cette occasion pour entendre des leçons utiles. Celui qui est en état de répondre, doit le faire lorsqu'il s'agit de choses nécessaires au salut, dans l'intérêt de ceux qui seraient tentés de désespoir parce qu'ils s'imaginent que la difficulté qu'ils proposent est insoluble. Au contraire, dans les choses vaines et dangereuses, on doit ne rien dire, mais se contenter d'expliquer pourquoi on ne peut répondre à de semblables questions.

vv. 7-8.
S. JÉR. Notre-Seigneur nous avait défendu plus haut de demander les biens temporels ; il nous apprend ici quel doit être l'objet de nos prières en nous disant : " Demandez et vous recevrez. " - S. AUG. (serm. sur la mont.) Ou bien dans un autre sens la défense qu'il nous fait de donner les choses saintes aux chiens, et de jeter les perles devant les pourceaux, aurait pu faire dire à quelqu'un de ceux qui l'entendaient, dans la conviction de son ignorance : " Pourquoi me défendez vous de donner aux chiens ce que je ne possède pas encore ? " C'est pour prévenir cette question qu'il ajoute : " Demandez et vous recevrez. "

S. CHRYS. (sur S. Matth.) Ou bien encore Notre-Seigneur vient de donner à ses disciples quelques préceptes qui ont rapport à la prière, tels que celui-ci : " Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés, " il ajoute donc très à propos : " Demandez et il vous sera donné ; " comme s'il disait : " Si vous montrez cette clémence à l'égard de vos ennemis, partout où une porte sera fermée, frappez et on vous ouvrira. " Demandez par les prières que vous ferez jour et nuit, cherchez par vos efforts et par votre travail. Ce travail sans la grâce de Dieu ne vous donnera pas la science des Écritures, et cette grâce vous ne l'aurez pas non plus sans l'application à l'étude, car le don de Dieu ne s'accorde pas à ceux qui ne font rien pour l'obtenir. Frappez donc par la prière, par les jeûnes, et par les aumônes. Car de même que celui qui frappe à une porte, non-seulement élève la voix pour se faire entendre, mais encore frappe de la main, ainsi celui qui fait des bonnes oeuvres, frappe par ces bonnes oeuvres elles-mêmes. Mais vous me direz peut-être : Ce que je demande, c'est de savoir ce que je dois faire, et la grâce de le faire ; comment donc puis-je le faire avant d'avoir reçu cette grâce ? faîtes d'abord ce que vous pouvez, afin de pouvoir plus encore ; pratiquez ce que vous savez, pour savoir encore davantage. Ou bien encore, il avait commandé plus haut à tous les chrétiens et surtout aux docteurs, d'aimer leurs ennemis ; il leur avait ensuite défendu de donner aux chiens les choses saintes sous prétexte de charité, il leur donne maintenant ce sage conseil : Priez Dieu pour vos ennemis et vous obtiendrez ce que vous demandez ; cherchez ceux qui sont morts dans leurs péchés, et vous les trouverez ; frappez à la porte de ceux qui sont dans l'erreur, et le Seigneur vous l'ouvrira. Ou bien enfin comme les préceptes qu'il a donnés plus haut dépassent les forces humaines, il élève ses disciples jusqu'à Dieu dont la grâce ne connaît rien d'impossible, en leur disant : " Demandez et vous recevrez ", de manière que ce qui surpasse les forces de l'homme soit rendu possible par la grâce de Dieu. Dieu a placé la force des autres animaux ou dans l'agilité de leur course, ou dans la rapidité de leur vol, dans leurs serres, dans leurs dents, ou dans leurs cornes ; mais il a voulu être lui-même la seule force de l'homme (cf. Ps 17, 1 ; 30, 4 ; 42, 2 ; 45, 1 ; 117, 14 ; 129, 1), afin que pressé par le sentiment de sa faiblesse, il ne pût un seul instant se passer de Dieu. - LA GLOSE. Nous demandons par la foi, nous cherchons par l'espérance, nous frappons par la charité. Vous devez d'abord demander pour avoir, puis chercher pour trouver, puis mettre en pratique ce que vous avez trouvé, afin de pouvoir entrer. - REMI. Ou bien nous demandons en priant, nous cherchons en vivant chrétiennement, nous frappons en persévérant dans le bien.
S. AUG. (serm sur la mont. 2, 33.) La demande a pour objet d'obtenir la santé de l'âme qui nous donne la force d'accomplir les commandements : la recherche se propose de trouver la vérité, et une fois qu'on a ainsi trouvé la véritable vie, on parviendra certainement à la possession du véritable bien qui nous sera ouvert aussitôt que nous frapperons. - S. AUG. (Retractat., liv. 1, chap. 16.) Je me suis appliqué à montrer en quoi diffèrent ces trois degrés de la prière. Mais il est bien plus naturel de n'y voir que la prière elle-même avec ses vives instances, car Notre-Seigneur conclut en disant : " Il donnera les biens à ceux qui les demanderont, " et non pas " à ceux qui chercheront et qui frapperont. " - S. CHRYS. (hom. 24 sur S. Matth.) En ajoutant : " Cherchez et frappez, " le Sauveur nous fait un devoir de prier avec beaucoup de force et de ferveur, car celui qui cherche rejette toute autre pensée, et il est occupé exclusivement de ce qu'il cherche ; de même celui qui frappe est animé des plus vifs désirs.

S. CHRYS. (sur S. Matth.) Les pécheurs qui entendaient ces paroles : " Demandez et vous recevrez " pouvaient dire : Elles ne s'adressent qu'à ceux qui méritent d'être exaucés ; pour nous, nous en sommes indignes. Notre-Seigneur renouvelle donc sa promesse pour rappeler aux pécheurs comme aux justes la grandeur de la miséricorde de Dieu : " Quiconque demande reçoit, " c'est-à-dire : juste ou pécheur, qu'il n'hésite pas à demander, afin qu'il soit bien prouvé que Dieu ne rejette personne, si ce n'est celui qui a douté que Dieu pût exaucer sa prière. On ne peut croire, en effet, que Dieu nous commande de faire du bien à nos ennemis et qu'il n'accomplisse pas lui-même ce devoir de charité, lui qui est la bonté par essence. - S. AUG. (Traité 44 sur S. Jean.) il est donc certain que Dieu exauce les pécheurs, car, s'il ne les exauçait pas, c'est en vain que le publicain aurait dit (Lc 11) : " Seigneur, soyez-moi propice, à moi qui suis un pécheur. " Or cependant c'est par cette confession qu'il mérita d'être justifié.

S. AUG (Liv. des Sent. Prosp.) Dieu peut exaucer, dans sa miséricorde, celui qui le prie pour les nécessités de cette vie, comme il peut aussi refuser de l'exaucer par le même principe de miséricorde. Le médecin sait mieux que le malade ce qui convient à son état. Si ce qu'il demande est l'objet d'un commandement ou d'une promesse, il obtiendra certainement ce qu'il demande, et la charité recevra ce que la vérité tient en réserve. - S. AUG. (Lettre 250 à Paulin et à Therasia). C'est un effet de la bonté de Dieu de nous refuser souvent ce que nous voulons, pour nous accorder ce que nous devrions préférer.
S. AUG. (serm. sur la mont., 2, 33.) La persévérance nous est nécessaire, si nous voulons obtenir ce que nous demandons. - S. AUG. (serm. 5 sur les paroles du Seign.) Lorsque Dieu diffère de nous exaucer, ce n'est pas qu'il nous refuse ses dons, il veut simplement en relever le prix ; les choses que nous avons longtemps désirées ont pour nous bien plus de douceur lorsque nous les obtenons ; si elles nous sont données aussitôt, elles perdent pour nous de leur prix. Demandez donc, cherchez, faites des instances ; en demandant et en cherchant, le désir que vous avez de recevoir s'accroît. Dieu tient en réserve ce qu'il ne veut pas accorder immédiatement, pour vous apprendre à désirer grandement d'aussi grandes faveurs ; c'est pour cela qu'il faut toujours prier et ne jamais cesser.

vv. 9-11.
S. AUG. Notre-Seigneur, par ces paroles : " Quel est l'homme parmi vous, " suit la même marche que précédemment, lorsqu'il a parlé des oiseaux du ciel et des lis des champs, voulant ainsi élever notre espérance de ces moindres choses à des objets plus importants. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Et de peur que le pécheur, en mesurant la distance qui sépare l'homme de Dieu et en pesant l'énormité de ses péchés, n'en vînt à perdre tout espoir d'être exaucé et à renoncer à la prière, il apporte cette comparaison d'un père et de ses enfants, afin que la considération de la bonté paternelle fasse renaître en nous l'espérance que nos péchés y détruisent. - S. CHRYS. (hom. 24.) Deux conditions sont exigées de celui qui prie : demander avec instance, demander des choses convenables, c'est-à-dire les biens spirituels, et c'est pour avoir suivi cette règle que Salomon obtint promptement ce qu'il avait demandé (3 R 3, 5.9.10).

S. CHRYS. (sur S. Matth.) Sous cette figure du pain et du poisson, le Sauveur nous apprend quelles sont les choses que nous devons demander. Le pain, c'est le Verbe qui nous donne la connaissance du Père ; la pierre, c'est tout mensonge qui devient pour l'âme une pierre de scandale. - REMI. Nous pouvons voir aussi dans le poisson toute parole qui a rapport au Christ, et dans le serpent le démon lui-même. Ou bien par le pain on peut entendre la doctrine spirituelle, et par la pierre, l'ignorance ; par le poisson, l'eau du saint baptême ; par le serpent, la fourberie du démon ou l'infidélité. - RAB. Ou bien par le pain, qui est la nourriture commune à tous les hommes, on peut entendre la chante, sans laquelle les autres vertus n'ont aucun prix. Le poisson signifie la foi qui, née de l'eau du baptême, se trouve ballottée par les flots de ce monde au milieu desquels elle ne laisse pas de vivre. Saint Luc ajoute une troisième figure, qui est l'oeuf, espérance de l'animal qui doit en sortir, et qui est ici le symbole de l'espérance chrétienne. A la charité il oppose la pierre, c'est-à-dire la dureté de la haine ; à la foi, le serpent, ou le venin de la perfidie ; à l'espérance, le scorpion, c'est-à-dire le désespoir qui blesse par derrière, comme le scorpion.

REMI. Voici donc le sens de ce passage : Si nous demandons à Dieu le Père le pain, c'est-à-dire la doctrine ou la charité, nous n'avons pas à craindre qu'il permette jamais que notre cœur se resserre ou par la froideur qu'engendrent les haines, ou par la dureté de l'âme ; et si nous lui demandons la foi, il ne nous laissera pas périr victimes du poison de l'incrédulité ; c'est pour cela qu'il ajoute : " Si vous, qui êtes mauvais, savez donner de bonnes choses à vos enfants. " - S. CHRYS. (hom. 24.) En s'exprimant ainsi, Notre-Seigneur ne déverse pas le blâme sur la nature humaine, il ne déclare pas que tout le genre humain soit mauvais, mais il veut nous montrer combien sa bonté diffère de la nôtre ; il appelle mauvaise la tendresse des pères pour leurs enfants en comparaison de celle de Dieu, tant est grand l'excès de son amour pour les hommes. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) En effet, tous les hommes paraissent mauvais si on les compare à Dieu, qui est le seul bon par essence, de même qu'à côté du soleil toute lumière n'est qu'obscurité. - S. JER. Ou bien dans la personne des Apôtres il condamne tout le genre humain dont le cœur est porté au mal dès son enfance, comme nous le lisons dans la Genèse (Gn 8). Il n'est point étonnant, du reste, qu'il appelle mauvais les hommes qui vivent dans le temps, puisque l'Apôtre nous déclare que les jours qui le composent sont mauvais.

AUG. (serm. sur la mont., 2, 33.) Ou bien il appelle mauvais les pécheurs et ceux qui aiment la vie de ce monde. Or, les biens qu'ils donnent, d'après leur manière de voir, peuvent être appelés bons parce qu'ils les tiennent pour tels ; et encore, considérés seulement dans leur nature, ces biens temporels ont une bonté réelle, puisqu'ils sont les soutiens de cette vie misérable. - S. AUG. (serm. 2 sur les paroles du Seign.) Le bien qui seul peut vous rendre bon, c'est Dieu. L'or et l'argent sont bons, non pas qu'ils puissent vous rendre bons, mais parce qu'ils vous donnent le moyen de faire le bien. Puisque donc nous sommes mauvais et que notre Père est bon, ne demeurons pas toujours dans notre malice. - S. AUG. (serm. sur la mont.) Si donc nous qui sommes mauvais nous ne laissons pas de donner ce qu'on nous demande, à combien plus forte raison devons-nous espérer que Dieu nous donnera les biens que nous lui demanderons.

S. CHRYS. (sur S. Matth.) Cependant, comme il ne nous accorde pas indifféremment tout ce que nous lui demandons, mais seulement ce qui est bon, Notre-Seigneur prend soin d'ajouter : " A combien plus forte raison donnera-t-il les biens. " Nous ne recevons de Dieu que des biens, quelle que soit l'idée que nous nous en faisons, car tout contribue au bien de ceux qui sont aimés de Dieu (Rm 8, 28).

REMI. Nous lisons dans saint Matthieu : " Il donnera les biens, " et dans saint Luc : " Il donnera le bon esprit ; " mais il n'y a pas ici de contradiction, car tous les biens que l'homme reçoit de Dieu lui sont donnés par la grâce de l'Esprit saint.

v. 12.
S. AUG. (serm. sur la mont., liv. 2, chap. 34.) Une conduite sage et réglée donne à l'homme une certaine fermeté et la force de marcher dans la voie de la sagesse, et le font parvenir jusqu'à la pureté, jusqu'à la simplicité du cœur. Notre-Seigneur conclut tous les développements qu'il vient de donner sur cette matière par ces paroles : " Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-même pour eux, " car il n'est personne qui voudrait qu'on agît à son égard avec duplicité et dissimulation.

S. CHRYS. (sur S. Matth.) On peut encore établir de cette manière la liaison avec ce qui précède. Notre-Seigneur, voulant rendre notre prière plus sainte et plus pure, nous a commandé plus haut de ne pas juger ceux qui nous ont offensés. Or, comme il s'était écarté de ce sujet pour traiter d'autres matières, il y revient et complète l'explication de ce précepte en ajoutant : " Tout ce que vous voudrez, " etc., c'est-à-dire non-seulement vous ne devrez pas juger, mais tout ce que vous voudrez que les hommes fassent pour vous, vous devez le faire pour eux ; c'est alors que vos prières pourront être exaucées. - LA GLOSE. Ou bien encore c'est l'Esprit saint qui distribue toutes les grâces spirituelles qui nous font accomplir les oeuvres de la charité. C'est pour cela que Notre-Seigneur ajoute : " Faites aux hommes tout ce que vous vous voulez qu'ils vous fassent. "

S. CHRYS. (hom. 24.) Ou bien, enfin, le Seigneur veut établir que les hommes doivent chercher près de Dieu le secours dont ils ont besoin, et faire en même temps tout ce qui dépend d'eux pour assurer le succès de leurs prières. C'est ainsi qu'après avoir dit : " Demandez et vous recevrez, " il enseigne clairement que les hommes doivent s'appliquer aux oeuvres de la charité : " Tout ce que vous voulez, " etc.

S. AUG. (serm. 5 sur les paroles du Seign.) Dieu nous avait promis de nous accorder les biens que nous lui demanderions ; or, si nous voulons qu'il nous reconnaisse pour ses mendiants, ne rejetons pas les nôtres. En effet, si on en excepte les richesses matérielles, il n'y a aucune différence entre ceux qui demandent et ceux à qui ils adressent leur prière. De quel front osez-vous donc approcher de Dieu pour le prier, vous qui ne voulez point écouter votre frère ? Aussi est-il écrit dans le livre des Proverbes : " Celui qui ferme son oreille au cri du pauvre demandera lui-même, et il ne sera pas exaucé (Pv 21). " Mais que devons-nous accorder à la prière de nos frères si nous voulons que Dieu exauce la nôtre ? Pour répondre à cette question, demandons-nous ce que nous voulons que les autres fassent pour nous-mêmes. " Faites aux hommes tout ce que vous voulez qu'on vous fasse. "
S. CHRYS. (hom. 24.) Notre-Seigneur ne dît pas seulement : " Toutes les choses, " mais il ajoute le mot " donc, " comme s'il disait : " Si vous voulez que je vous exauce, joignez cette recommandation à toutes celles qui précèdent. Et remarquez qu'il ne dit pas : " Tout ce que vous voulez que Dieu fasse pour vous, faites-le aussi pour votre prochain, car vous pourriez dire : Cela m'est impossible, " mais : " Tout ce que vous voudriez que vous fît votre frère, faites-le vous-même pour lui. "
S. AUG. (serm. sur la mont., 2, 34.) On lit dans quelques exemplaires latins : " Faites-leur du bien. " Le mot bien a été ajouté pour plus de clarté. On pouvait en effet se demander si un homme qui désirerait qu'on agît à son égard d'une manière coupable, pourrait, en s'appuyant sur cette maxime, commettre le premier l'injustice dont il désire être lui-même l'objet. Il serait absurde de penser que cet homme accomplit ce précepte. Sans l'addition de ce mot " bien, " le sens de cette maxime est complet. Car ces paroles : " Tout ce que vous voulez, " ne doivent pas être prises ici dans un sens trop général, mais dans le sens propre du mot. Or, la volonté n'existe que dans les bons ; dans les mauvais, la volonté n'est à proprement parler que la cupidité. Sans doute les Écritures ne s'expriment pas toujours de la sorte, mais il faut les entendre ainsi alors qu'elles emploient une expression tellement propre qu'elles ne permettent pas de lui en substituer une autre.

S. CYPR. (de l'Orais. Dom.) Le Verbe de Dieu, le Seigneur Jésus étant venu pour tous les hommes, a résumé comme dans un admirable abrégé tous ses commandements dans ces paroles : " Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux. " C'est pour cela qu'il ajoute : " Car c'est la loi et les prophètes. " - S. CHRYS. (sur S. Matth.) En effet, tous les commandements de la loi et des prophètes disséminés dans les saintes Écritures, sont renfermés dans ce merveilleux abrégé comme les innombrables rameaux d'un arbre sont contenus dans une seule racine. - S. GREG. (Moral. 10, 4 ; cf. Jb 2). Celui, en effet, qui pense à faire aux autres ce qu'il voudrait qu'on lui fit à lui-même s'applique à rendre le bien pour le mal, et le bien au centuple de ce qu'on lui fait. - S. CHRYS. (hom. 24 sur S. Matth.) Il est donc évident que tous nous pouvons trouver en nous-mêmes la connaissance de ce qu'il nous importe de savoir et que nous ne pouvons prétexter d'ignorance. - S. AUG. (serm. sur la mont.) Ce précepte paraît avoir pour objet l'amour du prochain et non l'amour de Dieu, quoique Notre-Seigneur dise dans un autre endroit qu'il y a deux commandements qui renferment toute la loi et les prophètes. Mais ce dernier passage porte : " Toute la loi ", ce que Notre-Seigneur ne dit pas ici pour réserver la place à l'autre commandement qui est celui de l'amour de Dieu. - S. AUG. (De la Trinité, liv. 8, chap. 34.) Ou bien encore, la sainte Écriture ne fait mention que du seul commandement de l'amour du prochain en disant : " Tout ce que vous voulez, " car celui qui aime son prochain aime nécessairement et premièrement l'amour lui-même. Or, Dieu est amour ; donc il aime Dieu lui-même par-dessus toutes choses.

v. 13-14.
S. AUG. (serm. sur la mont., 2, 35.) Le Seigneur nous a recommandé plus haut la simplicité et la pureté du cœur qui font trouver Dieu. Mais c'est le partage d'un petit nombre. Aussi va-t-il nous parler de la recherche de la sagesse ; et tout ce qui précède avait pour but de rendre l'oeil de l'âme assez pur pour rechercher et contempler cette divine sagesse, et découvrir la voie resserrée et la porte étroite dont il est dit : " Entrez par la porte étroite. "

LA GLOSE. Ou bien, quoiqu'il soit difficile de faire aux autres ce que nous voudrions qu'on nous fît à nous-mêmes, cependant c'est une condition indispensable si nous voulons entrer par la porte étroite.

S. CHRYS. (sur S. Matth.) Ou bien encore, cette troisième conséquence se rapporte au précepte du jeûne, et telle est la suite des idées : " Pour vous, lorsque vous jeûnez, parfumez votre tête ", et puis ensuite : " Entrez par la porte étroite. " Il est en effet trois inclinations qui tiennent plus particulièrement à notre nature, et qui sont étroitement unies à notre corps. La première est celle du boire et du manger, la seconde l'affection de l'homme pour la femme, la troisième l'amour du sommeil, et ces trois inclinations sont plus difficiles à retrancher de notre nature que toutes les autres passions. Aussi la mortification d'aucune passion ne sanctifie autant le corps de l'homme comme d'être chaste, de jeûner, et de persévérer dans les veilles. Notre-Seigneur a donc en vue ces trois actes de vertu et en particulier le jeûne si rigoureux, lorsqu'il dit : " Entrez par la porte étroite.
La porte de la perdition c'est le démon, et c'est par cette porte qu'on entre dans l'enfer. Jésus-Christ, au contraire, est la porte de vie, porte qui nous ouvre l'entrée du royaume des cieux. Ce qui fait donner au démon le nom de porte large, ce n'est ni l'étendue, ni la grandeur de son pouvoir, mais le débordement de son orgueil effréné qui ne connaît point de bornes. Et si le Christ nous est présenté comme la porte étroite, ce n'est pas que son pouvoir soit faible et resserré, mais parce que son humilité lui a inspiré de se raccourcir et de se renfermer dans les étroites limites du sein d'une vierge, lui que le monde entier ne peut contenir. La voie de la perdition, c'est l'iniquité quelle qu'elle soit. Cette voie est appelée large parce qu'elle n'est pas contenue dans les sages limites de la règle et de la discipline, et que ceux qui prennent cette voie font profession de poursuivre tout ce qui a pour eux de l'attrait. Au contraire, tout acte de vertu est la voie qui conduit à la vie, et on l'appelle étroite pour des raisons opposées à celles que nous venons de dire. Or remarquez qu'il faut nécessairement marcher par cette voie pour arriver à la porte, car on ne peut arriver à une véritable connaissance du Christ qu'en suivant la voie de la justice ; de même qu'on ne tombe dans les mains du démon qu'en marchant dans la voie des pécheurs. - S. GREG. (hom. 17 sur Ezéch.) Quoique la charité mette le cœur au large, elle ne détache les hommes de la terre qu'en les faisant passer par des sentiers étroits et escarpés. N'est-ce pas être à l'étroit en effet que de tout mépriser, de n'aimer qu'une seule chose, de ne pas désirer la prospérité, de ne pas craindre l'adversité ? - S. CHRYS. (homél. 24 sur S. Matth.) Mais comment le Sauveur qui bientôt nous dira : " Mon joug est doux, et mon fardeau léger, " peut-il appeler étroite et resserrée la voie qui conduit au ciel ? Pour comprendre cette douceur et cette suavité, il faut remarquer que Notre-Seigneur parle ici d'une voie et d'une porte, que ce qu'il appelle large et spacieux est aussi une voie et une porte. Ni l'une ni l'autre ne doivent toujours durer, et elles ne sont que passagères. Or la pensée qu'on ne fait que passer par les travaux et les peines pour arriver au bonheur, c'est-à-dire à la vie éternelle, ne suffit-elle pas pour adoucir toutes les souffrances de la vie ? Car si l'espérance seule d'une récompense périssable rend les tempêtes légères au matelot, et les blessures douces au combattant, à plus forte raison la vue du ciel qui nous est ouvert, et ses récompenses immortelles doivent-ils nous faire oublier les dangers qui nous menacent. D'ailleurs Notre-Seigneur n'appelle cette voie étroite que pour la rendre plus douce ; par là, en effet, il nous avertit d'être sur nos gardes, et il dirige nos désirs vers le but qu'il nous propose. N'est-il pas vrai que celui qui combat dans l'arène puise un nouveau courage quand il voit son souverain admirer ses généreux efforts ? Ne nous laissons donc pas abattre sous le poids des afflictions qui viendront fondre sur nous : la voie est étroite, mais non pas la cité. Ne cherchons pas le repos ici-bas, et ne redoutons pas de tribulations dans l'autre vie. En ajoutant : " Car il y en a peu qui la trouvent, " Notre-Seigneur fait allusion à la lâcheté d'un trop grand nombre, et il nous avertit de fixer nos regards non pas sur la prospérité de la multitude, mais sur les travaux du petit nombre.

S. JER. Notre-Seigneur tient un langage distinct en parlant de ces deux voies. Il dit qu'il en est beaucoup qui marchent par la voie large, et qu'il en est peu qui trouvent la voie étroite. En effet, nous ne cherchons pas la voie large, et nous n'avons aucune peine à la trouver ; elle se présente d'elle-même, et c'est le chemin de ceux qui s'égarent. Tous au contraire ne trouvent pas la voie qui est étroite, et ne la suivent pas aussitôt qu'ils l'ont trouvée, cor il en est beaucoup qui après avoir trouvé la voie de la vérité, se laissent séduire par les voluptés de la terre, et reviennent sur leurs pas alors qu'ils étaient au milieu de leur course.

vv. 15-20.
S. CHRYS. (sur S. Matth.) Notre-Seigneur avait ordonné précédemment à ses disciples de ne point faire parade devant les hommes de leurs jeûnes, de leurs prières, de leurs aumônes, comme font les hypocrites. Or, pour leur apprendre que toutes ces bonnes oeuvres peuvent être faites dans un esprit d'hypocrisie, il leur dit : " Gardez-vous des faux prophètes. "
S. AUG. (serm. sur la mont., 2, 36.) Ou bien après avoir dit qu'il en est peu qui trouvent la petite porte et la voie étroite, Notre-Seigneur voulant nous prémunir contre les hérétiques qui font souvent de leur petit nombre un titre de recommandation, ajoute aussitôt : " Gardez-vous des faux prophètes. "
S. CHRYS. (hom. 24.) Ou bien encore : Notre-Seigneur avait dit que la porte est étroite, et qu'il en est beaucoup qui pervertissent la voie qui doit y conduire, il ajoute donc : " Gardez-vous des faux prophètes. " Il les appelle faux prophètes pour exciter la sollicitude de ses disciples à cet égard, en leur rappelant ce qui est arrivé à leurs pères, qui ont eu à subir cette même épreuve. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Nous lisons dans un des chapitres suivants, il est vrai, que la loi et les prophètes ont prophétisé jusqu'à Jean-Baptiste, parce qu'après lui, il ne devait plus y avoir de prophétie relative au Christ. Il y a eu depuis ce temps, et il y a encore des prophètes, mais leurs prophéties n'ont point le Christ pour objet et ils interprètent simplement les prédictions anciennes relatives à Jésus-Christ ; ce sont les docteurs des Églises. Car personne ne peut interpréter le sens des prophéties, s'il ne participe lui-même à l'esprit prophétique. Le Seigneur, prévoyant donc qu'il viendrait de faux docteurs, qui enseigneraient diverses hérésies, nous prémunit contre eux en nous disant : " Gardez-vous des faux prophètes. " Ces faux prophètes ne devaient pas être des païens faciles à reconnaître, mais des séducteurs cachés sous le nom de chrétiens ; aussi ne dit-il pas : " Regardez, " mais : " Prenez garde. " En effet, quand une chose est évidente, on la regarde, c'est-à-dire qu'on la voit naturellement, si au contraire elle offre quelque incertitude, on y prend garde, c'est-à-dire qu'on l'examine avec précaution. Il nous dit encore : " Prenez garde, " parce que la plus sûre garantie du salut, est de connaître ceux que l'on doit fuir. Si Notre-Seigneur nous prémunit de la sorte, ce n'est pas que le démon puisse introduire les hérésies malgré la volonté de Dieu, il ne le peut que parce que Dieu le lui permet. Dieu veut que ses serviteurs soient soumis à l'épreuve, il leur envoie donc la tentation ; mais il ne veut pas que leur ignorance soit cause de leur perte, et c'est pour cela qu'il les avertit à l'avance. Et afin que les docteurs hérétiques ne puissent se défendre en disant : Ce n'est pas nous que le Seigneur appelle faux prophètes, mais les docteurs des Juifs et des Gentils, il ajoute expressément : " Qui viennent à vous couverts de peaux de brebis. " Les brebis sont les chrétiens, et les peaux de brebis sont les dehors de christianisme et les apparences d'une fausse religion. Or rien n'est plus contraire au bien que l'hypocrisie, car on ne peut connaître, et par conséquent on ne peut éviter le mal qui se cache sous l'apparence du bien. Et de peur que ces mêmes docteurs hérétiques ne prétendent qu'il est ici question des vrais docteurs, mais qui sont dans l'état de péché, il ajoute : " Au dedans ce sont des loups ravissants. " Or les docteurs catholiques qui deviennent esclaves de la chair lorsqu'ils succombent aux passions de la chair, ne sont pas appelés pour cela des loups ravissants, parce qu'ils ne cherchent pas à perdre les chrétiens. Il est donc évident qu'il veut parler ici des docteurs hérétiques qui prennent avec intention l'extérieur des chrétiens, pour déchirer plus facilement les fidèles sous les coups d'une séduction criminelle. C'est d'eux que l'Apôtre a dit : " Je sais qu'après mon départ il entrera parmi vous des loups ravissants qui n'épargneront pas le troupeau. "

S. CHRYS. (hom. 22 sur S. Matth.) Cependant il paraît assez vraisemblable que par ces faux prophètes Notre-Seigneur veut désigner non pas les hérétiques, mais ceux qui mènent une vie corrompue sous les dehors de la vertu ; c'est pour cela qu'il dit : " Vous les connaîtrez à leurs fruits. " Or on rencontre souvent des moeurs vertueuses chez certains hérétiques, mais jamais dans ceux dont je viens de parler. - S. AUG. (serm. sur la mont., 2, 36.) C'est donc une question des plus importantes que de bien connaître quels sont les fruits sur lesquels le Sauveur veut attirer notre attention. Plusieurs en effet prennent pour des fruits ce qui n'est que le vêtement des brebis, et c'est ainsi qu'ils se laissent tromper par les loups. Je veux parler ici des jeûnes, ou des aumônes, ou des prières qu'ils étalent devant les hommes sans autre but que de plaire à ceux qui sont frappés de la difficulté de ces oeuvres. Ce ne sont pas là les fruits qui peuvent nous aider à les reconnaître, car si ces actions sont faites dans la vérité avec une intention droite, elles sont, il est vrai, les vêtements propres aux brebis ; mais elles ne font que couvrir les coups lorsqu'elles partent d'un cœur où l'erreur règne en maître. Ce n'est pas toutefois une raison pour les brebis d'avoir horreur de ces vêtements, parce qu'ils servent quelquefois à couvrir les loups. A quels fruits donc reconnaîtrons-nous un mauvais arbre ? L'Apôtre nous l'apprend. " Les oeuvres de la chair sont évidentes, nous dit-il ; ce sont la fornication, l'impureté, " etc. (Ga 5) Le même Apôtre nous apprend à connaître les fruits du bon arbre par ce qui suit : " Les fruits de l'esprit sont la charité, la joie, la paix, " etc.
S. CHRYS. (sur S. Matth.) Les fruits que produit l'homme juste c'est aussi la confession de la foi, car celui qui en suivant l'inspiration de Dieu, fait en toute humilité une véritable confession de foi, celui-là est une brebis, tandis que celui qui fait entendre contre la vérité et contre Dieu les hurlements du blasphème, est un loup. - S. JER. Ce que Notre-Seigneur dit ici des faux prophètes qui sont tout autres dans leur conduite qu'ils ne le paraissent dans leur extérieur et leurs discours, doit s'appliquer d'une manière toute spéciale aux hérétiques qui se couvrent de la continence et du jeûne comme du vêtement de la piété, et qui portant au-dedans un esprit empoisonné par le vice séduisent les cœurs simples de leurs frères. - S. AUG. (serm. sur la mont. 2, 12.) Mais on peut savoir, en examinant leurs oeuvres, si tout cet extérieur a pour principe un désir de vaine gloire. Lorsqu'en effet, à la suite de certaines épreuves, ils se voient enlever ou refuser ce qu'ils ont obtenu ou ce qu'ils ont voulu obtenir à l'aide de ce voile trompeur, on découvre alors nécessairement si c'était un loup caché sous la peau de la brebis, ou une brebis revêtue de sa propre peau. - S. GREG. (Moral., 31, 9.) L'hypocrite est comme dominé par la paix dont jouit l'Église ; voilà pourquoi il veut paraître à nos yeux couvert du voile de la religion (cf. Jb 39). Mais qu'une persécution éclate, aussitôt les instincts féroces du loup le dépouillent de la peau de la brebis, et en persécutant le bien il montre de quelle fureur il est animé contre lui.

S. CHRYS. (hom. 24 sur S. Matth.) Il est facile de surprendre les hypocrites, car la voie qu'ils sont forcés de suivre est bien pénible. Or l'hypocrite ne choisira certainement pas de lui-même le travail et la peine. D'ailleurs, pour répondre à la prétendue impossibilité de les reconnaître, Notre-Seigneur vous apporte un exemple pris dans la nature en vous disant : " Peut-on cueillir des raisins sur des épines, ou des figues sur des ronces ? " - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Le raisin est une figure mystérieuse du Christ, car de même que la grappe par l'intermédiaire du bois de la vigne tient suspendus des grains nombreux, ainsi le Christ, par le bois de la croix retient dans une étroite union la multitude des fidèles. La figue, c'est l'Église qui retient aussi la multitude de ses enfants dans les doux embrassements de sa charité, comme la figue tient cachées une quantité considérable de graines sous une seule enveloppe. Or la figue est le signe tout à la fois de la charité par sa douceur, et de l'unité par l'union de ses graines. Le raisin est tout ensemble le symbole de la patience parce qu'il est foulé dans le pressoir ; de la joie, parce qu'il réjouit le cœur de l'homme ; de la sincérité, parce qu'il n'est pas mélangé d'eau et de la suavité par le plaisir qu'il donne. Au contraire les épines et les ronces présentent des pointes de toutes parts ; et c'est ainsi que les serviteurs du démon sont pleins d'iniquités, de quelque côté qu'on les considère. Ces ronces et ces épines ne peuvent produire aucun des fruits que demande l'Église. Notre-Seigneur ne se borne pas à cette comparaison particulière du figuier et de la vigne pour rendre sensible cette vérité, il la généralise par ces paroles : " C'est ainsi que tout arbre qui est bon porte de bons fruits, et tout arbre mauvais en porte de mauvais. "

S. AUG. (serm. sur la mont., 2, 36.) Il faut se garder ici de l'erreur des Manichéens qui prétendent que dans ces deux arbres il faut voir deux natures, l'une qui vient de Dieu, l'autre qui lui est étrangère. Nous soutenons, nous, que ces deux arbres ne peuvent servir d'appui à leur opinion, car il ne s'agit évidemment que des hommes, comme le prouvent les antécédents et les conséquents. - S. AUG. (Cité de Dieu, liv. 12, chap. 4 et 5.) Les hommes ont souvent de l'aversion pour les natures mêmes des choses, parce qu'ils les considèrent non pas en elles-mêmes, mais d'après l'utilité qu'ils peuvent en retirer. Or, toute nature ne rend gloire à son créateur qu'autant qu'on la considère en elle-même, et non pas dans l'utilité ou le désavantage qui peuvent en résulter pour nous. Les natures créées par le seul fait de leur existence ont leur manière d'être, leur beauté, un certain accord entre les différentes parties qui les composent, et par conséquent elles sont bonnes.

S. CHRYS. (hom. 24.) On pouvait objecter qu'un mauvais arbre porte sans doute de mauvais fruits, mais qu'il peut aussi en porter de bons et qu'il est ainsi difficile de le bien connaître à cause de cette double apparence ; le Seigneur prévient cette difficulté en ajoutant : " Un bon arbre ne peut produire de mauvais fruits, et un mauvais arbre n'en peut produire de bons. " - S. AUG. (serm. sur la mont.) De ces dernières paroles, les Manichéens concluent qu'une âme qui est mauvaise ne peut devenir meilleure, ni celle qui est bonne devenir mauvaise, comme si Notre-Seigneur avait dit : " Un arbre bon ne peut devenir mauvais, ni un arbre mauvais devenir bon ; " mais, au contraire, il s'est exprimé de la sorte " Un arbre bon ne peut pas produire de mauvais fruits, ni un mauvais arbre en produire de bons. " Or, l'arbre c'est l'âme, c'est-à-dire l'homme lui-même ; les fruits sont ses oeuvres. L'homme qui est mauvais ne peut donc faire de bonnes actions, ni celui qui est bon en faire de mauvaises. Si donc celui qui est mauvais veut faire de bonnes actions, qu'il commence par devenir bon lui-même. Tant qu'un homme est mauvais, il ne peut porter de bons fruits. Il peut se faire que ce qui a été de la neige ne soit plus de la neige, mais il est impossible que la neige soit chaude ; ainsi peut-il arriver que celui qui a été mauvais cesse de l'être, mais jamais en demeurant mauvais il ne peut faire le bien, et si parfois il paraît faire quelque chose d'utile, ce n'est pas à lui qu'il faut l'attribuer, mais à la divine Providence.
RAB. Cet arbre, bon ou mauvais, c'est l'homme suivant que sa volonté est bonne ou mauvaise ; les fruits, ce sont ses oeuvres, qui ne peuvent être bonnes si la volonté est mauvaise, de même qu'elles ne peuvent être mauvaises si la volonté est bonne.
S. AUG. (cont. Julien, liv. 1, chap. 3.) S'il est certain que la volonté vicieuse produit les actions mauvaises, comme un mauvais arbre produit de mauvais fruits, d'où vient à votre avis la mauvaise volonté elle-même, si ce n'est de l'ange considéré dans l'ange, et de l'homme considéré dans l'homme ? Or, qu'étaient ces deux volontés, avant qu'elles n'eussent produit le mal ? Un ouvrage digne de Dieu, deux natures bonnes et louables. C'est donc du bien que naît le mal, et on ne peut lui donner un autre principe d'existence que le bien. Je veux parler ici de la volonté mauvaise, car elle n'a été précédée ni d'aucun mal ni d'aucunes mauvaises actions, qui ne sortent que d'une volonté vicieuse comme d'un mauvais arbre. On ne peut dire cependant que la volonté mauvaise vient du bien en tant que bien, car c'est Dieu qui est essentiellement bon qui est l'auteur du bien ; mais elle est sortie d'un bien qui a été tiré du néant et non de Dieu.
S. JER. Demandons aux hérétiques qui soutiennent l'existence de deux natures opposées l'une à l'autre, et qui prétendent qu'un bon arbre ne peut produire de mauvais fruits, comment Moïse, qui était un bon arbre, a pu pécher aux eaux de la contradiction, et comment Pierre a pu nier le Sauveur dans sa Passion en disant : " Je ne connais pas cet homme, " ou bien encore comment le beau-père de Moïse, qui était un mauvais arbre et qui ne croyait pas dans le Dieu d'Israël, a pu cependant donner un bon conseil ?
S. CHRYS. (hom. 28.) Le Seigneur n'a point ordonné de châtiment contre les faux prophètes ; il les pénètre d'un effroi salutaire en les menaçant du supplice que Dieu leur réserve : " Tout arbre qui n'est pas bon, dit-il, sera coupé et jeté au feu. " Ce sont les Juifs qu'il paraît avoir en vue dans ces paroles ; c'est pourquoi il se sert des paroles de Jean-Baptiste et leur annonce dans les mêmes termes (cf. Mt 3, 10 ; Lc 9, 9) le châtiment qui les attend. Le saint précurseur, en effet, emploie les mêmes figures de hache, d'arbre et de feu qui ne s'éteint pas. Pour celui qui examine sérieusement les choses, ce sont deux peines différentes, d'être coupé et d'être brûlé. Celui qui est jeté au feu est retranché tout à fait du royaume, peine qui est la plus terrible. Il en est qui ne craignent que l'enfer ; pour moi, je déclare que la perte de cette gloire éternelle est mille fois plus amère que la peine de l'enfer. En effet, quelles souffrances, petites ou grandes, n'accepterait pas un père pour jouir de la vue d'un fils bien-aimé ? Tels doivent être nos sentiments à l'égard de cette gloire, car il n'est point de fils dont la vue soit si douce pour son père que doit l'être pour nous le repos au sein des honneurs et la dissolution du corps pour être éternellement avec Jésus-Christ (cf. Ph 1, 23). C'est un supplice intolérable que le supplice de l'enfer ; mais que l'on ajoute dix mille enfers à la suite les uns des autres, jamais ce supplice ne sera comparable à la peine d'être à jamais exclu de la gloire des bienheureux et d'être éternellement haï de Jésus-Christ.
LA GLOSE. La comparaison qu'il vient de développer amène cette conclusion, dont l'évidence ressortait déjà de tout ce qui précède : " Vous les connaîtrez donc à leurs fruits. "

vv. 21-23.
S. JÉR. Notre-Seigneur nous a commandé d'éviter ceux qui, sous les dehors de la vertu, professent des doctrines perverses ; ici, au contraire, il nous apprend à ne pas nous confier à ceux dont la doctrine est irréprochable, mais qui la détruisent par des oeuvres mauvaises. Les serviteurs de Dieu doivent nécessairement réunir ces deux choses : soutenir leurs oeuvres par leurs discours, appuyer leurs discours par leurs oeuvres. C'est pour cela qu'il ajoute : " Ce n'est pas celui qui me dit : Seigneur, " etc. - S. CHRYS. (hom. 25.) Le Sauveur paraît ici faire allusion aux Juifs, pour qui les croyances étaient tout, et que saint Paul réprimande en ces termes : " Si vous, qui vous appelez Juifs, et qui vous reposez sur la loi, " etc.

S. CHRYS. (sur S. Matth.) Ou bien encore, après nous avoir appris à reconnaître, d'après leurs fruits, les vrais et les faux prophètes, il nous enseigne ici plus clairement quels sont ces fruits qui peuvent nous servir à discerner les bons et les mauvais docteurs. - S. AUG. (serm. sur la mont., 2, 39.) Il faut prendre garde, en effet, qu'à la faveur du nom du Christ les hérétiques, ceux qui comprennent aussi mal la vérité, ou les partisans de ce monde, ne cherchent à nous tromper. C'est pour cela qu'il ajoute : " Tous ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur, " etc. Mais ici se présente une difficulté ; comment concilier avec cette maxime ces paroles de l'Apôtre : " Personne ne peut dire : Seigneur Jésus, si ce n'est dans l'Esprit saint ; " car nous ne pouvons admettre que ceux qui n'entrent pas dans le royaume des cieux aient en eux ce divin Esprit. L'Apôtre saint Paul a employé ici le mot dire dans un sens propre pour exprimer la volonté, l'intelligence de celui qui prononce ces paroles ; parce qu'en effet celui-là seul parle dans le sens vrai du mot dont la parole exprime la pensée et l'intention. Le Seigneur, au contraire, a pris le mot dire dans son sens général. Celui, en effet, qui ne veut ni ne comprend ce qu'il dit paraît aussi parler dans un certain sens. - S. JER. C'est l'ordinaire des Écritures de prendre les paroles pour les actions, et c'est dans ce sens que l'Apôtre dit : " Ils font profession de connaître Dieu, mais ils le renoncent par leurs oeuvres. "

S. AMB. (cf. 1 Cor 12) On peut dire aussi que toute vérité, quelle que soit la bouche qui la profère, vient de l'Esprit saint. - S. AUG. (serm. sur la mont.) N'allons pas croire que pour produire les fruits dont le Sauveur a parlé plus haut, il suffise de dire à Dieu : " Seigneur, Seigneur, " et d'avoir par là même l'apparence d'un bon arbre. Ces fruits consistent à faire la volonté de Dieu, comme l'indiquent les paroles suivantes : " Mais celui qui fait la volonté de mon Père, " etc. S. HIL. (can. 6 sur S. Matth.) C'est l'obéissance à la volonté de Dieu et non l'emploi répété de son nom qui nous fait trouver le chemin qui conduit au ciel. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Or, quelle est cette volonté de Dieu ? Le Seigneur nous l'enseigne lui-même lorsqu'il nous dit : " La volonté de mon Père qui m'a envoyé est que quiconque voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle. " Le mot croire comprend ici la profession extérieure et les oeuvres de la foi. Celui donc dont la foi ou dont la vie n'est pas conforme à la parole du Christ, n'entrera pas dans le royaume de Dieu. - S. CHRYS. (hom. 25 sur S. Matth.) Il ne dit pas : " Celui qui fait ma volonté, " mais : " Celui qui fait la volonté de mon Père, " car c'était ce qu'il convenait d'abord de proposer à leur faiblesse ; mais par l'une de ces vérités il insinue l'autre indirectement, la volonté du Fils n'étant pas autre que celle du Père.

S. AUG. (serm. sur la mont., 2, 40.) On peut rattacher à cette question l'avertissement suivant : Nous ne devons pas nous laisser tromper, d'abord par ceux qui, se couvrant du nom du Christ, invoquent ce nom sans en pratiquer les oeuvres ; mais nous devons encore nous défier de certains prodiges, de certains miracles tels que le Seigneur en opère en faveur des infidèles, tout en nous avertissant de ne pas nous laisser surprendre et de ne pas croire que ces miracles soient l'indice certain d'une sagesse intérieure et invisible : c'est pourquoi il ajoute : " Plusieurs me diront en ce jour-là, " etc. - S. CHRYS. (hom. 10.) Voyez comme le Sauveur se produit insensiblement en termes encore voilés. Il a complété son enseignement comme maître ; il s'annonce maintenant comme juge. Il a déclaré plus haut que le châtiment était réservé à ceux qui pèchent ; il fuit connaître maintenant celui qui doit infliger ce châtiment par ces paroles : " Plusieurs me diront en ce jour-là. "

S. CHRYS. (sur S. Matth.) C'est-à-dire alors qu'il viendra dans la majesté de son Père (cf. Lc 9, 26), alors que personne n'osera défendre le mensonge ou contredire la vérité à l'aide de discussions bruyantes ; alors que les oeuvres de tous les hommes parleront et que leurs bouches seront muettes ; alors que personne n'osera intervenir pour un autre, et que tous trembleront pour leur propre compte. Car dans ce jugement, les témoins ne seront pas les hommes enclins à la flatterie, mais les anges amis de la vérité, et le juge sera le Seigneur, la justice même. Le Sauveur a parfaitement exprimé les angoisses et l'effroi qu'éprouveront alors les hommes, en leur faisant répéter deux fois : " Seigneur, Seigneur, " car celui qui est en proie à une forte crainte ne se contente pas de dire une seule fois : " Seigneur. " - S. HIL. Ils prétendent que leur droit à la gloire leur vient de l'efficacité de leur parole, de leur esprit prophétique, du pouvoir qu'ils avaient de chasser les démons, et d'opérer d'autres prodiges semblables, et c'est pour cela qu'ils s'adjugent le royaume des Cieux par ces paroles : " Est-ce que nous n'avons pas prophétisé en votre nom ? "
S. CHRYS. (sur S. Matth.) Il en est qui croient que ce langage était un mensonge dans leur bouche, et que c'est la raison pour laquelle ils ont été rejetés. Mais on ne peut supposer qu'ils aient porté l'audace jusqu'à mentir devant leur juge ; d'ailleurs la question comme la réponse prouvent qu'ils ont réellement opéré ces prodiges. Tandis qu'ils avaient été sur la terre l'objet de l'admiration par les miracles qu'ils opéraient aux yeux de tous, ils se voient punis dans l'autre vie, et dans leur étonnement ils disent : " Seigneur, n'avons-nous pas fait beaucoup de miracles en votre nom, etc ? (cf. 1 Cor 12, 10) " Quelques auteurs prétendent que ce n'est pas dans le temps qu'ils opéraient des prodiges, mais par la suite, qu'ils se rendaient coupables d'iniquité. Mais alors que devient cette vérité que le Seigneur veut établir que sans la vertu, ni la foi, ni les miracles n'ont de valeur à ses yeux ? C'est ce que saint Paul enseigne par ces paroles : " Quand j'aurais toute la foi possible, jusqu'à transporter les montagnes, si je n'ai pas la charité, je ne suis rien. " - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Remarquez qu'ils ne disent pas : " dans l'esprit, " mais " au nom, " car s'ils prophétisent au nom du Christ, c'est dans l'esprit du démon, comme font les devins. Or le signe auquel on peut les reconnaître, c'est que les oracles du démon sont souvent faux, ce qu'on ne peut jamais dire de ceux de l'Esprit saint. Dieu a permis au démon de dire quelquefois la vérité, de manière qu'il pût donner par ce rare mélange quelque valeur à ses mensonges. Ils chassent aussi les démons au nom de Jésus-Christ, tout en ayant l'esprit même de son ennemi ; ou plutôt ils les chassent en apparence et non en réalité, les démons étant en parfaite intelligence entre eux ; ils opèrent aussi des prodiges, c'est-à-dire des miracles, sans utilité, sans nécessité, et qui ne sont pas moins nuisibles que frivoles. - S. AUG. (serm. sur la mont.) Lisez pour vous en convaincre les prodiges que les Mages d'Égypte ont opérés dans un esprit d'opposition à Moïse (Ex 7, 11.22 ; 8, 7).
S. JER. Ou bien encore : Prophétiser, faire des miracles, chasser les démons, n'est pas toujours l'effet des mérites de celui qui opère ces prodiges ; c'est à l'invocation du nom de Jésus-Christ qu'il faut les attribuer, et Dieu les permet ou pour la condamnation de ceux qui invoquent ce nom, ou pour l'utilité de ceux qui en sont témoins, car tout en méprisant ceux qui font ces miracles, ils honorent Dieu par l'invocation duquel s'opèrent d'aussi grands prodiges. Saül (1 R 10), Balaam (Nb 23), Caïphe (Jn 11), n'ont-ils pas prophétisé ? Dans les Actes des Apôtres ne voyons-nous pas les enfants de Sceva chasser les démons (Ac 19), et Judas lui-même n'a-t-il pas fait plusieurs miracles avec les autres apôtres, quand son âme était déjà ouverte à la trahison ? - S. CHRYS. (hom. 25 sur S. Matth.) Tous n'avaient pas toutes les qualités au même degré de perfection : les uns menaient il est vrai une vie pure, mais sans avoir une foi aussi grande ; pour les autres c'était le contraire. Dieu convertissait donc les premiers par les seconds et les amenait à faire profession d'une foi plus vive ; et par le don ineffable des prodiges qu'il accordait aux autres, il les appelait à devenir plus vertueux, et il leur communiquait ce pouvoir avec une grande libéralité, comme eux-mêmes le proclament : " Nous avons fait beaucoup de miracles. " Mais parce qu'ils n'ont eu que de l'ingratitude pour celui qui les avait ainsi comblés d'honneur, le Seigneur leur fait cette déclaration : " Alors je leur dirai hautement : Je ne vous ai jamais connus. " - S. JER. C'est avec intention qu'il se sert de cette expression : " Je leur dirai hautement, " car il a gardé le silence pendant bien longtemps. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Une aussi grande sévérité devait être précédée par une grande patience, pour rendre ainsi plus juste le jugement de Dieu, et plus mérité le châtiment des pécheurs. Or il faut se rappeler que Dieu ne connaît pas les pécheurs en ce sens qu'ils ne sont pas dignes d'être connus de lui ; on ne peut pas dire qu'il ne les connaît pas du tout, mais il ne les connaît pas pour siens. Dieu par sa nature connaît tous les hommes, mais il paraît ne pas connaître ceux qu'il n'aime pas, de même qu'on peut dire de ceux qui ne lui rendent pas le culte qui lui est dû, qu'ils ne le connaissent pas. - S. CHRYS. (homél. 25.) Il leur dit : " Je ne vous ai jamais connus : " non seulement au jour du jugement, mais alors même qu'ils faisaient des miracles, car il en est beaucoup qui sont pour Dieu un objet de haine dès ici-bas, et dont il se détourne avant de les punir. - S. JER. Remarquez que ces paroles " Je ne vous ai jamais connus " sont une réfutation de ceux qui prétendent que tous les hommes ont toujours vécu comme il convient à des créatures raisonnables. - S. GREG. (cf. Jb 30) Cette sentence doit nous apprendre que c'est l'humble charité et non l'éclat des miracles qui a droit à notre vénération. Aussi la sainte Église n'a-t-elle que du mépris pour les miracles des hérétiques, parce qu'elle sait qu'ils ne sont pas une marque de sainteté ; en effet la preuve de la sainteté n'est pas de faire des miracles, c'est d'aimer le prochain comme soi-même, d'avoir sur Dieu des idées vraies et des autres une opinion plus favorable que de soi-même. - S. AUG. (contre l'ennemi de la loi et des proph., liv. 2, chap. 4.) A Dieu ne plaise que nous admettions avec les Manichéens, que le Seigneur ait voulu parler des saints prophètes ; il n'est ici question que de ceux qui plus tard, après la prédication de l'Évangile, se sont imaginé qu'ils parlaient en son nom, alors qu'ils ne savaient ce qu'ils disaient. - S. HIL. (can. 6 sur S. Matth.) Les hypocrites se glorifient de la sorte comme s'ils étaient les auteurs des choses merveilleuses qu'ils disent ou qu'ils opèrent, et qu'on ne dût pas les attribuer tout entières à la puissance divine qu'ils invoquent. La lecture du saint Évangile mettra cette doctrine dans tout son jour, alors qu'on y verra le nom de Jésus-Christ tourmenter les démons. C'est donc à nous de mériter cette bienheureuse éternité, et nous devons coopérer à notre salut, en voulant le bien, en évitant le mal, et en faisant plutôt ce que demande la volonté de Dieu, que ce que réclame notre gloire personnelle. Il les repousse donc, il les rejette à cause de leurs oeuvres d'iniquité. " Retirez-vous de moi, vous qui commettez l'iniquité. " - S. JER. Comme il ne veut pas détruire le mérite du repentir il ne dit pas : Vous qui avez commis l'iniquité, mais vous qui la commettez, qui jusqu'à ce jour, jusqu'à l'heure même du jugement, conservez encore l'affection, le désir du péché, alors même que vous n'en avez plus le pouvoir.

S. CHRYS. (sur S. Matth.) En effet, la mort sépare l'âme du corps, mais elle ne change pas les dispositions de l'âme.

vv. 24-27.
S. CHRYS. (hom. 25.) Il devait s'en trouver qui tout en admirant la doctrine du Sauveur refuseraient de se déclarer ses disciples par les oeuvres ; il leur inspire donc par avance une salutaire frayeur par ces paroles : " Tout homme donc qui entend mes paroles, et les pratique, sera comparé à l'homme sage. " - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Il ne dit pas : Je tiendrai pour un homme sage celui qui entend ces paroles et les pratique, mais il sera comparé à un homme sage. Donc celui qui est comparé, c'est l'homme. A qui est-il comparé ? Au Christ. Le Christ est donc cet homme sage qui a bâti sa maison, son Église, sur la pierre, c'est-à-dire sur la force de la foi. L'insensé, c'est le démon, qui a bâti sa maison, l'assemblée des impies, sur le sable, c'est-à-dire sur la terre sans consistance de l'infidélité, ou sur les hommes charnels, qu'il a comparés au sable à cause de leur stérilité, de leur défaut d'union entre eux, de la diversité des opinions qui les divisent, comme aussi de leur multitude innombrable. La pluie, c'est la doctrine dont l'esprit de l'homme est comme arrosé ; les nuages sont les sources qui répandent la pluie. Ces nuages sont souvent poussés par l'Esprit saint comme les apôtres et les prophètes ; d'autres suivent l'impulsion du démon, ce sont les hérétiques. Les vents favorables sont les esprits qui inspirent les différentes vertus, ou bien les anges qui agissent d'une manière invisible sur les sens de l'homme pour les amener à faire le bien. Les vents mauvais sont les esprits impurs, les fleuves salutaires sont les évangélistes et les docteurs, et les fleuves dont les eaux sont désastreuses, ceux qui sont remplis de l'esprit immonde, dont toute la science consiste dans des discours sans fin, comme les philosophes et les maîtres de la science profane, du sein desquels coulent des fleuves d'une eau morte. Or l'Église que le Christ a fondée n'est ni corrompue par la pluie d'une doctrine de mensonge, ni ébranlée par le souffle du démon, ni agitée par la violence des fleuves impétueux. On ne peut pas opposer à cette doctrine que plusieurs de ceux qui sont dans l'Église s'en séparent et tombent : car tous ceux qui portent le nom de chrétiens n'appartiennent pas à Jésus-Christ, mais le Seigneur connaît ceux qui lui appartiennent (cf. 2 Tm 2, 19). Quant à la maison bâtie par le démon, la pluie de la vraie doctrine est tombée sur elle ; les vents, c'est-à-dire les anges ou les grâces spirituelles ; les fleuves, c'est-à-dire les quatre évangélistes et les autres sages sont venus fondre sur elle, et cette maison, c'est-à-dire la gentilité, est tombée pour faire place à Jésus-Christ qui s'est élevé sur ses ruines ; et sa ruine a été grande, toutes les erreurs ayant été dissipées, le mensonge confondu, et les idoles détruites sur toute la face de la terre. Celui donc qui écoute les paroles de Jésus-Christ et les met en pratique est semblable au Christ, car il bâtit sur la pierre, c'est-à-dire sur le Christ, qui est le principe de tout bien ; de manière que tout homme qui construit sur le bien de quelque nature qu'il soit, construit sur Jésus-Christ. Or de même que l'Église bâtie par Jésus-Christ ne peut être renversée, de même le chrétien dont nous parlons qui a construit sur Jésus-Christ ne peut être renversé par aucune adversité d'après ces paroles : " Qui nous séparera de la charité de Jésus-Christ. " Au contraire, celui qui entend les paroles du Sauveur et ne les met pas en pratique, est semblable au démon. Les paroles qu'on écoute sans les mettre en pratique sont bientôt séparées et dispersées, et c'est pour cela qu'on les compare au sable. Le sable, c'est toute espèce de malice, ou encore tous les biens de la terre ; or de même que la maison du démon est bientôt renversée, ainsi tombent et sont détruits ceux qui ont assis les fondements de leur édifice sur le sable. La ruine est grande si elle atteint les fondements de la foi ; elle est moins grande si on s'est rendu coupable de fornication et d'homicide, car on peut alors se relever par la pénitence, à l'exemple de David.

RAB. Ou bien cette grande ruine c'est celle à laquelle Notre-Seigneur condamne ceux qui auront écouté ses enseignements sans les pratiquer, lorsqu'il leur dira : " Allez au feu éternel. " (Mt 25) - S. JÉR. Ou bien encore, tout enseignement des hérétiques qui ne s'élève que pour tomber, est bâti sur le sable, qui est mouvant et n'est point capable de cohésion. - S. HIL. (can. 6 sur S. Matth.) Ou bien les pluies sont une figure des séductions flatteuses des voluptés qui se glissent insensiblement par toutes les fentes ouvertes, et commencent par rendre la foi moins ferme ; puis vient le choc impétueux des fleuves ou des torrents, c'est-à-dire des passions plus criminelles ; puis enfin les vents se déchaînent dans toute leur violence, c'est-à-dire que le souffle de la puissance du démon entre tout entier dans l'âme. - S. AUG. (serm. sur la mont.) Ou bien encore la pluie, lorsqu'elle est prise au figuré, en mauvaise part, représente la superstition couverte de ténèbres ; les bruits confus du monde sont comparés aux vents ; et les fleuves aux passions charnelles qui s'écoulent aussi sur la terre ; et celui qui se laisse entraîner par la prospérité, se laisse aussi briser par le malheur. Au contraire rien de tout cela n'est à craindre pour celui dont la maison est bâtie sur la pierre, c'est-à-dire qui, non content d'écouter les préceptes du Seigneur, se fait un devoir de les accomplir. Dans toutes ces circonstances on s'expose à de grands dangers lorsqu'on écoute la parole de Dieu sans la pratiquer, car on ne peut affermir dans son âme les vérités que Dieu nous fait connaître, ou les préceptes qu'il nous donne que par la pratique. Or remarquez qu'en disant : " Celui qui entend ces paroles que je viens de dire, " Jésus-Christ nous fait suffisamment entendre que ce discours comprend tous les préceptes destinés à former à la vie chrétienne, à toute perfection, de manière que ceux qui voudront en faire la règle de leur vie sont comparés avec raison à celui qui bâtit sur la pierre.

vv. 28-29.
LA GLOSE. Jésus-Christ ayant complété son enseignement, l'Évangéliste nous montre l'effet de sa doctrine sur la foule par ces paroles : " Et il arriva lorsqu'il eut achevé, " etc. - RAB. Cette dernière expression nous représente la perfection des paroles du Sauveur, et l'excellence de ses préceptes. Cette remarque faite par l'Évangéliste que les peuples étaient dans l'admiration se rapporte ou aux infidèles qui étaient dans l'étonnement, parce qu'ils ne croyaient pas aux paroles du Sauveur, ou tous ceux en général qui admiraient en lui la supériorité d'une sagesse aussi sublime. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Si les raisons que l'on présente à l'esprit de l'homme sont de nature à le satisfaire, elles obtiennent ses louanges ; si elles triomphent de lui, elles excitent son admiration, car tout ce que nous ne pouvons louer comme il le mérite, nous l'admirons. Leur admiration cependant était bien plutôt un témoignage de la gloire de Jésus-Christ que de leur foi, car s'ils avaient cru en Jésus-Christ, ils ne l'auraient pas tant admiré. En effet qu'est-ce qui excite d'ordinaire cette admiration mêlée d'étonnement ? Ce qui surpasse la puissance de celui qui agit ou qui parle : aussi ne sommes-nous pas étonnés des paroles ou des oeuvres de Dieu, car elles sont toutes inférieures à sa puissance. C'était la foule qui était dans l'admiration, c'est-à-dire le vulgaire, et non les princes du peuple, qui n'écoutaient pas avec le désir d'apprendre. Le peuple simple au contraire écoutait avec simplicité, et son silence eût été troublé par les contradictions des princes du peuple, s'ils avaient été présents ; car plus il y a de science, plus la malice est grande, celui qui s'empresse trop d'être le premier ne pouvant se contenter d'être au second rang.

S. AUG. (De l'acc. des Ev., liv. 2, chap. 19.) De ce qui est dit ici on peut conclure que l'Évangéliste veut parler de la foule des disciples, dans le grand nombre desquels il en avait choisi douze à qui il donna le nom d'Apôtres, circonstance qu'omet saint Matthieu (cf. Lc 6, 12), car Notre-Seigneur Jésus-Christ paraît n'avoir adressé qu'à ses disciples qui étaient sur la montagne ce discours que saint Matthieu insère ici et sur lequel saint Luc garde le silence. Et lorsque ensuite il fut descendu, il en tint un autre semblable sur lequel saint Matthieu se tait et que rapporte saint Luc. On peut dire aussi comme plus haut que Notre-Seigneur n'a prononcé devant les Apôtres et le reste de la foule qu'un seul et même discours que saint Matthieu et saint Luc rapportent de la même manière, quant aux vérités qu'il renferme quoique sous une forme différente. Ainsi s'explique naturellement l'admiration de la foule.
S. CHRYS. (hom. 26.) L'Évangéliste indique la cause de cette admiration : " Car il les enseignait, " etc. Si lorsque cette puissance se manifestait par des oeuvres, les scribes repoussaient le Christ loin d'eux, combien plus auraient-ils été scandalisés, alors que cette puissance ne se déclarait que par de simples paroles. Mais la foule n'éprouva pas cette impression ; car, lorsqu'une âme veut le bien, elle se laisse facilement persuader aux enseignements de la vérité. Notre-Seigneur manifestait cette puissance d'enseignement en captivant un grand nombre de ceux qui l'écoutaient, et en excitant leur admiration. Aussi le charme de ses paroles était si grand qu'ils ne voulaient pas le quitter, alors même qu'il avait cessé de parler, et c'est pourquoi ils le suivirent lorsqu'il descendit de la montagne. Ce qui les étonnait davantage dans cette puissance, c'est que Notre-Seigneur ne rapportait pas à un autre l'objet de son enseignement, comme Moïse et les prophètes, mais qu'il déclarait en toute circonstance qu'il était le souverain Maître ; en effet, il ne porte aucune loi sans cette formule : " Pour moi, je vous dis, " etc. - S. JER. C'est comme étant le Dieu et le Maître de Moïse lui-même que, dans la plénitude de sa liberté, il ajoutait à la loi ce qui devait lui donner plus de clarté, ou même qu'il la changeait dans ses prédications au peuple, ainsi que nous l'avons vu plus haut : " Il a été dit aux anciens : Pour moi, je vous dis. " Les scribes, au contraire, ne faisaient qu'enseigner ce que contenaient les écrits de Moïse et des prophètes.


S. GREG. (cf. Jb 33) (Moral., liv. 23, chap. 7.) Ou bien Jésus-Christ a eu ce privilège spécial de parler avec un pouvoir légitime, parce qu'il n'y a jamais en chez lui ni faute ni faiblesse. Pour nous, qui sommes faibles, consultons notre faiblesse pour apprendre d'elle ce que nous devons enseigner à nos frères faibles comme nous. - S. HIL. (can. 6 sur S. Matth.) Ou bien ils mesuraient l'effet de son pouvoir sur la vertu de ses paroles. - S. AUG. (serm. sur la mont.) C'est ce qui est ainsi figuré dans ces paroles des Psaumes : " J'agirai à son égard avec confiance ; les paroles du Seigneur sont des paroles chastes, de l'argent éprouvé par le feu, passé par le creuset, purifié sept fois. "
C'est ce nombre sept qui m'a donné la pensée de rapporter tous ces préceptes aux sept maximes qui forment l'exorde de ce discours, c'est-à-dire aux béatitudes. En effet, qu'un homme se mette en colère contre son frère, qu'il lui dise raca ou qu'il le traite de fou, c'est l'effet d'un grand orgueil contre lequel il n'y a qu'un remède, implorer de Dieu le pardon avec un esprit suppliant qui n'ait aucune enflure, aucun sentiment d'ostentation. " Bienheureux donc les pauvres d'esprit, parce que le royaume de Dieu leur appartient. " On se montre d'accord avec son adversaire, c'est-à-dire qu'on rend à la parole de Dieu le respect qui lui est dû en s'approchant pour ouvrir le testament du Père céleste non pas avec amertume et le désir de la chicane, mais avec la douceur qu'inspire la piété : " Bienheureux donc ceux qui sont doux parce qu'ils posséderont la terre. " Que celui qui sent l'attrait des voluptés sensuelles se révolter contre la droite volonté s'écrie : " Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de la mort de ce corps ? " (Rm 7, 24) et que par ses larmes il implore le secours de Dieu son consolateur. " Bienheureux donc ceux qui pleurent parce qu'ils seront consolés. " Que peut-on imaginer de plus dur que de triompher d'une habitude vicieuse en retranchant en soi les membres qui sont un obstacle à ce royaume des cieux, et cela sans être brisé par la douleur ; de supporter dans l'union conjugale toutes les choses qui n'ont pas le caractère de la fornication quoiqu'elles soient souverainement pénibles, de dire toujours la vérité, et de ne point l'appuyer sur des serments faits à tout propos, mais sur l'intégrité des moeurs ? Mais qui osera se dévouer à de si grands travaux, sans être enflammé de l'amour de la justice, et comme dévoré par la faim et par une soif ardente ? Bienheureux sont ceux qui ont faim et soif, parce qu'ils seront rassasiés. " Qui sera toujours prêt à supporter les outrages de ceux qui sont faibles, à donner à celui qui lui demande, à aimer ses ennemis, à faire du bien à ceux qui le haïssent, à prier pour ceux qui le persécutent, si ce n'est celui qui sera parfaitement miséricordieux ? " Bienheureux donc les miséricordieux, parce qu'ils obtiendront miséricorde. " Pour avoir l'oeil du cœur pur, il ne faut point se proposer pour fin de ses bonnes oeuvres le désir soit de plaire aux hommes, soit de pourvoir aux nécessités de la vie, ni condamner témérairement les intentions du prochain, et dans tout ce qu'on fait pour lui, il faut agir comme on voudrait qu'il agit à notre égard. " Bienheureux donc ceux qui ont le cœur pur, " etc. Il faut encore qu'à l'aide d'un cœur pur nous trouvions la voie étroite de la sagesse, que les séductions des esprits pervers veulent nous dérober. Si on parvient à les éviter, on est sûr d'arriver à la paix que donne la sagesse. " Bienheureux donc les pacifiques. " Mais soit qu'on admette cette liaison d'idées, soit qu'on en préfère un autre, c'est une obligation pour nous de mettre en pratique les préceptes que nous avons reçus du Seigneur, si nous voulons bâtir sur la pierre.