ÉVANGILE DE SAINT MATHIEU PAR SAINT THOMAS D'AQUIN

CATANA AUREA DE SAINT THOMAS D'AQUIN SUR SAINT MATTHIEU

CHAPITRE XV
vv. 1-6.
RAB. Les habitants de Génézareth et les esprits les plus simples croient en Jésus-Christ, tandis que ceux qui paraissent sages à leurs propres yeux viennent pour lui livrer combat, selon ces paroles : Vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents, et vous les avez révélées aux petits. " C'est ce que 1'Évangéliste veut exprimer lorsqu'il dit : " Alors des scribes et des pharisiens, qui étaient venus de Jérusalem s'approchèrent de Jésus. " - S. AUG. (De l'accord des Evang., 2, 49.) Saint Matthieu a disposé l'ordre de son récit de manière que ces paroles : " Alors des scribes et des pharisiens s'approchèrent, " etc., servent à la fois de transition et indiquent la suite chronologique des événements.
S. CHRYS. (hom. 52.) L'Évangéliste nous marque ici le temps pour dévoiler l'excès de leur méchanceté sans égale, car ils choisissent pour l'attaquer le moment où il vient de faire une multitude de miracles et de guérir les malades par le seul contact de la frange de sa robe. Ces scribes, ces pharisiens viennent de Jérusalem ; ce n'est pas qu'ils ne fussent disséminés dans toutes les tribus, mais ceux qui habitaient la métropole étaient pires que les autres à cause des grands honneurs qui leur étaient rendus et de l'orgueil excessif qui en était la suite. - REMI. Ils sont doublement coupables, parce qu'ils venaient de Jérusalem, la ville sainte, et parce qu'ils étaient les anciens du peuple et les docteurs de la loi et que leur intention n'était pas de consulter le Sauveur, mais de trouver à le reprendre : " Et ils lui dirent : Pourquoi vos disciples violent-ils la tradition des anciens ? " - S. JER. Étonnante folie des pharisiens et des scribes ! Ils reprochent au Fils de Dieu de ne point garder les traditions et les préceptes des hommes. - S. CHRYS. (hom. 54.) Voyez comme ils sont pris dans leurs propres paroles : ils ne demandent point pourquoi transgressent-ils la loi de Moïse, mais pourquoi violent-ils les traditions des anciens ? preuve évidente que les prêtres introduisaient un grand nombre de nouveautés, malgré cette défense de Moïse : " Vous n'ajouterez rien aux paroles que je vous dis aujourd'hui et vous n'en retrancherez rien. " C'est alors qu'ils devaient s'affranchir de ces pratiques, qu'ils se liaient par un plus grand nombre de vaines observances, parce qu'ils craignaient qu'on ne vînt leur enlever l'autorité souveraine, et qu'ils voulaient se rendre redoutables en leur qualité de législateurs.

REMI. - Quelles étaient ces traditions ? Saint Marc nous l'apprend : Les pharisiens et tous les Juifs ne mangent point qu'ils ne se lavent fréquemment les mains. " (Mc 7.) Voilà pourquoi ils adressent ce reproche aux disciples de Jésus : " Ils ne lavent pas leurs mains. " - BEDE (sur S. Matth.) Comme ils entendaient les paroles des prophètes dans un sens charnel, ils n'observaient ce précepte que Dieu donne par Isaïe : " Lavez-vous et soyez purs " qu'en lavant leurs corps, et ils avaient donc établi qu'on ne pouvait manger qu'après s'être lavé les mains. - S. JER. On doit se laver les mains, c'est-à-dire purifier les oeuvres non du corps, mais de l'âme, pour qu'elles puissent accomplir la parole de Dieu. - S. CHRYS. (hom. 52.) Les disciples mangeaient sans s'être lavé les mains, parce qu'ils rejetaient les observances superflues pour ne s'attacher qu'au nécessaire ; ils ne se croyaient obligés ni à se laver, ni à ne se pas laver les mains, et ils pratiquaient l'un et l'autre suivant les occasions. Car, comment auraient-ils pu attacher de l'importance à une semblable tradition, eux qui n'avaient même aucun souci de la nourriture qui leur était nécessaire ? - REMI. Ou bien ce que les pharisiens reprochent aux disciples du Seigneur n'est pas de manquer à l'usage reçu de se laver les mains lorsqu'il eu est besoin, mais de ne pas observer ici les coutumes inutiles, introduites par les traditions des anciens (cf. Mc 7).

S. CHRYS. (hom. 52.) Jésus-Christ n'excuse pas directement ses disciples ; mais, prenant le rôle d'accusateur, il fait voir aux scribes et aux pharisiens que ce n'est pas à ceux qui se rendent coupables de fautes énormes qu'il appartient de reprendre les fautes légères que peuvent commettre les autres. Mais il leur répondit : Pourquoi vous-mêmes violez-vous le commandement de Dieu ? " etc. Il ne dit pas que ses disciples font bien pour ne pas donner aux. Juifs occasion de les calomnier ; mais il ne les blâme pas non plus, pour ne point paraître approuver leurs traditions Il n'accuse pas non plus les anciens, ce qu'ils auraient repoussé comme un outrage, mais il reprend ceux qui sont venus le trouver, tout en blâmant indirectement les anciens qui avaient établi cette tradition. " Et vous, pourquoi violez-vous les commandements de Dieu pour votre tradition ? " - S. JER. C'est-à-dire : Comment, vous violez les Commandements de Dieu pour une tradition tout humaine, et vous reprochez à mes disciples d'attacher peu d'importance aux prescriptions des anciens pour observer les commandements de Dieu ? car Dieu a fait ce commandement : " Honore ton père et ta mère. " Cet honneur dont parle l'Écriture consiste moins en marques de déférence, de respect, que dans l'assistance et dans les secours effectifs qu'on leur donne : " Honorez les veuves qui sont vraiment veuves, " dit saint Paul (1 Tm 5), honneur qu'il faut entendre des secours qui leur sont donnés. Dieu, en faisant ce commandement, avait eu en vue les Infirmités, l'âge ou l'indigence des parents, et voulait que les enfants honorassent leurs parents en leur procurant les choses nécessaires à la vie (cf. Ex 20 ; Dt 5 ; Qo 3). - S. CHRYS. (hom. 52.) Dieu a voulu montrer combien les parents devaient être honorés par leurs enfants, en sanctionnant ce précepte par la récompense et par le châtiment. Mais Notre-Seigneur, passant sous silence la récompense promise à ceux qui honorent leurs parents, c'est-à-dire une longue vie sur la terre, s'arrête de préférence à ce qui est de nature à les effrayer, c'est-à-dire au châtiment, pour inspirer une vive crainte aux uns et convertir les autres. C'est pour cela qu'il ajoute : " Que celui qui aura outragé son père ou sa mère soit puni de mort. " Il leur prouve par là qu'ils sont vraiment dignes de mort ; car si celui qui outrage de paroles son père ou sa mère est puni de mort, combien plus méritez-vous ce châtiment, vous qui les outragez par vos actions. Et non-seulement vous manquez à l'honneur qui est dû à vos parents, mais encore vous enseignez aux autres à le leur refuser. Comment donc osez-vous accuser mes disciples, vous qui ne méritez pas même de vivre ?
Notre-Seigneur leur fait connaître la manière dont ils violent ce commandement de Dieu, en ajoutant : " Mais vous, vous dites : Quiconque aura dit à son père ou à sa mère : Tout don que j'offre de mon bien, tourne à votre profit. " - S. JER. Les scribes et les pharisiens, voulant détruire cette loi divine et providentielle, pour couvrir leur impiété sous l'apparence de la religion, enseignèrent aux enfants dénaturés que s'ils avaient l'intention de consacrer à Dieu, qui est le Père véritable, ce qui était destiné à leurs parents, ils devaient préférer ce sacrifice aux secours que leur père et leur mère avaient droit d'attendre d'eux. - LA GLOSE. Voici donc le sens de ces paroles : Ce que j'offre à Dieu vous servira aussi bien qu'à moi ; vous ne devez donc pas prendre pour votre usage ce qui m'appartient, mais permet que je l'offre à Dieu. - S. JER. Ou bien il est probable que les parents, dans la crainte d'encourir le crime de sacrilège, n'osaient prendre ce qu'ils voyaient consacré à Dieu, et qu'ils étaient réduits à la dernière pauvreté ; il arrivait ainsi que l'offrande faite par les enfants sous le prétexte du temple et de Dieu, tournait au profit des prêtres. LA GLOSE. Le sens serait donc celui-ci : Quiconque, c'est-à-dire dire vous, jeunes gens, qui aura dit (ou qui aura pu dire, ou qui dira) à son père ou à sa mère : Mon père, le don que j'offre à Dieu de mon bien, tournera à votre profit, servira à votre usage ; c'est-à-dire vous ne devez pas le prendre, pour ne pas vous rendre coupable de sacrilège. Ou bien encore, on peut dire, en suppléant à ce qui manque : Quiconque dira à son père, etc., sous-entendez, accomplira le commandement de Dieu, ou accomplira la loi, ou sera digne de la vie éternelle. - S. JER. On peut encore donner cette explication abrégée : Vous forcez les enfants de dire à leurs parents : Le don que j'allais offrir à Dieu, je l'emploie par là même à votre entretien, et il tourne à votre profit, mon père et ma mère ; mais non, il n'en est pas ainsi. - LA GLOSE. Et c'est ainsi que par suite des conseils que lui aura donnés votre avarice, ce fils n'aura aucun respect pour son père et sa mère, comme il le dit en propres termes : Et il n'honorera ni son père ni sa mère, " comme s'il disait : Voila les mauvais conseils que vous donnez aux enfants, et vous êtes cause que ce fils, plus tard, ne rendra ni à son père ni à sa mère l'honneur qu'il leur doit. C'est ainsi que ce commandement de Dieu qui fait un devoir aux enfants d'assister leurs parents, vous l'avez rendu inutile à cause de votre tradition en servant les intérêts de votre avarice. - S. AUG. (contre l'ennemi de la loi et des prophètes, 2, 1) Jésus-Christ nous montre ainsi avec évidence, que c'est la loi de Dieu même dont l'hérétique fait l'objet de ses blasphèmes, et que les Juifs ont des traditions étrangères aux livres prophétiques, et que l'Apôtre appelle des fables profanes et des contes de vieilles femmes (1 Tm 4.) - S. AUG. (cont. Faust., 16, 24.) Notre-Seigneur nous enseigne ici plusieurs choses, d'abord qu'il ne détournait pas les Juifs du Dieu qu'ils adoraient ; et que bien loin de violer lui-même ses commandements, il condamnait ceux qui se rendaient coupables de cette transgression, et qu'enfin ce n'était que par Moïse qu'il avait donné ces préceptes. - S. AUG. (Quest. évang., 1, 15.) Ou bien dans un autre sens : " Le présent que j'offre de mon bien tournera à votre profit, " c'est-à-dire : Le présent que vous offrez pour moi, vous appartiendra désormais ; paroles qui signifient que les enfants n'avaient plus besoin des sacrifices que leurs parents offraient pour eux, lorsqu'ils étaient arrivés à l'âge où ils pouvaient les offrir eux-mêmes. Parvenus à cet âge, où ils pouvaient tenir ce langage à leurs parents, les pharisiens niaient qu'ils fussent coupables de manquer à l'honneur qu'ils leur devaient.

vv. 7-11.
S. CHRYS. (hom. 52.) Le Seigneur vient de prouver aux pharisiens qu'ils n'avaient pas droit d'accuser ceux qui transgressaient la tradition des anciens, alors qu'ils violaient eux-mêmes la loi de Dieu. Il établit encore la même vérité par le témoignage du prophète : " Hypocrites, leur dit-il, Isaïe a bien prophétisé de vous. " - REM. Un hypocrite est un homme qui feint, qui simule, et qui affecte de paraître au dehors tout autre qu'il n'est au fond du cœur. C'est avec raison qu'il les appelle hypocrites, eux, qui sous prétexte d'honorer Dieu, ne cherchaient qu'à amasser les biens de la terre. - RAB. Isaïe a prévu cette hypocrisie des Juifs qui les porterait à combattre artificieusement l'Évangile ; et c'est pour cela qu'il a dit au nom du Seigneur : " Ce peuple m'honore des lèvres, " etc. - REMI. Le peuple juif paraissait s'approcher de Dieu, et l'honorer des lèvres et de la bouche ; car il se faisait gloire de n'adorer qu'un seul Dieu ; mais son cœur s'éloigna de lui, parce qu'après avoir vu tant de prodiges et de miracles, il ne voulut ni reconnaître sa divinité, ni le recevoir. - RAB. Ils l'honoraient des lèvres, lorsqu'ils disaient : " Maître, nous savons que vous êtes vrai ; " mais leur cœur était bien loin de lui, lorsqu'ils envoyèrent des hommes pour lui tendre des pièges et le surprendre dans ses discours. - La GLOSE. Ou bien ils l'honoraient en recommandant les purifications extérieures et légales, mais comme ils n'avaient point la pureté intérieure, leur cœur était loin de Dieu, et l'honneur qu'ils lui rendaient était sans fruit pour eux, comme l'ajoute le Sauveur : " Et c'est en vain qu'ils m'honorent, enseignant des maximes et des ordonnances humaines. " - RAB. Ils n'auront point de part à la récompense des vrais adorateurs, eux qui enseignent des doctrines et des préceptes purement humains, au mépris des commandements qui viennent de Dieu.
S. CHRYS. (hom. 52.) Après avoir donné un nouveau poids à l'accusation dirigée contre les pharisiens, en l'appuyant de l'autorité du prophètes sans qu'il ait pu les amener à de meilleurs sentiments, il cesse de leur parler, et il s'adresse au peuple : " Puis, ayant appelé le peuple, il leur dit : Écoutez, et comprenez bien ceci. " Comme il doit exposer à la foule une vérité élevée et pleine de sagesse, avant de l'énoncer, il prépare les esprits à la recevoir, en témoignant d'abord des égards et de la sollicitude pour ce peuple ; ce que l'Évangéliste nous indique par ces paroles : " Puis, ayant appelé le peuple. " Les circonstances sont d'ailleurs on ne peut plus favorables pour ce qu'il valeur dire ; car ce n'est qu'après avoir ressuscité des morts et triomphé des pharisiens qu'il propose sa loi pour la faire plus facilement accepter. Il ne se contente pas d'appeler la foule, mais il la rend plus attentive par ces paroles : " Entendez, et comprenez, " c'est-à-dire prêtez votre attention, et élevez votre esprit pour comprendre mes paroles. Il ne leur dit pas : Il ne faut pas faire de distinction entre les aliments, ou c'est à tort que Moïse a prescrit cette distinction ; mais, puisant ses preuves dans la nature même des choses, il parle sous forme d'avertissement et de conseil, et il dit : " Ce n'est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l'homme, " etc. La traduction de saint Jérôme porte : Qui rend commun (cf. Mc 7, 15). - S. JER. Le mot communicat est une expression particulière aux Écritures, et qui n'est point employé dans le langage ordinaire. Le peuple juif qui se vantait d'être l'héritage de Dieu, donnait le nom de nourriture commune ou impure aux viandes dont se nourrissent tous les hommes, comme la viande de porc, de lièvre, et d'autres animaux qui n'ont pas le sabot fendu, qui ne ruminent pas, et parmi les poissons, ceux qui n'ont point d'écailles. C'est dans ce sens que nous lisons dans les Actes des Apôtres (Ac 10) : " Ne regardez pas comme commun ce que Dieu a sanctifié. " Ainsi le mot commun, qui exprime ce qui est permis aux autres hommes, comme ne faisant point partie de l'héritage de Dieu, est pris ici dans le sens d'impur.
S. AUG. (cont. Faust., 6, 7.) L'Ancien Testament, qui défend certains aliments, n'est nullement en opposition avec ce que le Seigneur dit ici : " Ce n'est pas ce qui entre dans la bouche qui souille, " ni avec ces autres paroles de l'Apôtre : " Tout est pur pour ceux qui sont purs " (Tt 1), et encore : " Toute créature de Dieu est bonne. " (1 Tm 4.) Que les Manichéens, s'ils le peuvent, comprennent que l'Apôtre a voulu parler ici des substances considérées en elles-mêmes, tandis que la sainte Écriture, pour établir certaines figures qui étaient en rapport avec le temps, considère certains animaux comme impurs, non pas de leur nature, mais par la signification qui s'y trouve attachée. Ainsi, par exemple, que l'on demande si le porc et l'agneau sont purs de leur nature, il faudra répondre affirmativement, parce que " toute créature de Dieu est bonne. " Mais si on les considère sous un certain rapport significatif, l'agneau est pur, le porc ne l'est pas. Il en est de même pour les mots fou et sage : l'un et l'autre sont purs, si on les considère dans le son de la voix qui les prononce, aussi bien que dans les lettres et les syllabes qui les composent ; mais considérés dans leur signification, le nom de fou, peut recevoir la qualification d'impur, non pas dans sa nature, mais parce qu'il signifie quelque chose d'impur. Peut-être aussi que le fou est dans l'ordre des réalités ce que le porc est dans l'ordre des figures. Ainsi cet animal et ce mot latin de deux syllabes (stultus), que nous traduisons par fou, auraient une seule et même signification ; car la loi répute le porc immonde, parce qu'il ne rumine pas, ce qui tient à sa nature, et n'est point un vice en lui. Il est des hommes qui sont figurés par cet animal, et qui sont impurs par leur propre faute et non par nature, parce qu'après avoir écouté volontiers les leçons de la sagesse, ils n'y pensent plus en aucune façon. Car si après avoir reçu des enseignements utiles, vous les rappelez comme des entrailles de votre mémoire, et que vous reportiez la douceur de ce souvenir comme dans la bouche de la pensée, que faites-vous en cela, que ruminer spirituellement ? Ceux qui agissent différemment sont figurés par les animaux impurs. Or, cette multitude de choses qui nous sont proposées ou dans des expressions allégoriques, ou dans des observances figuratives, font sur les esprits raisonnables une douce et salutaire impression. Mais un grand nombre de ces choses étaient pour le peuple juif autant de préceptes qu'il devait non seulement écouter, mais encore mettre en pratique. C'était le temps où les mystères, dont Dieu réservait la révélation aux siècles qui suivirent, devaient être prophétisés non-seulement par des paroles, mais encore par des faits. Lorsque plus tard ces mystères ont été révélés par le Christ, et dans le Christ, ces observances n'ont pas été imposées comme un joug aux nations qui embrassèrent la foi, mais l'autorité de la prophétie qu'elles contenaient a conservé toute sa force. Or, je demanderai aux Manichéens si cette maxime du Seigneur : " Ce qui entre dans la bouche ne souille pas, " est vraie ou fausse ; s'ils prétendent qu'elle est fausse, pourquoi leur docteur Adimantus, qui reconnaît qu'elle vient de Jésus-Christ, s'en fait une arme pour battre en brèche l'Ancien Testament ? Si elle est vraie, comment peuvent-ils admettre contre sa déclaration que la nourriture souille l'homme ?
S. JER. Un lecteur attentif pourra nous faire cette difficulté : " Si ce qui entre dans la bouche de l'homme ne le souille pas, pourquoi ne pas manger des viandes offertes aux idoles ? Nous répondons que les aliments et toute créature de Dieu sont purs par eux-mêmes ; mais que l'invocation des idoles et des démons rend impures ces viandes immolées aux idoles pour ceux qui les mangent avec la conviction qu'ils font un acte idolâtrique, et ainsi leur conscience qui est faible, en est souillée, suivant la parole de l'Apôtre (1 Co 8). - REMI. Mais celui qui est doué d'une foi assez grande pour comprendre que ce que Dieu a créé ne peut être souillé en aucune manière, sanctifie sa nourriture par la prière et par la parole de Dieu, et il peut manger ce qu'il voudra, à moins, toutefois, que cette liberté ne devienne un scandale pour les personnes faibles, comme le fait remarquer le même Apôtre.

vv. 12-14.
S. JÉR. Une seule parole du Sauveur vient de détruire toute cette superstition des observances légales auxquelles tenaient tant les Juifs, persuadés que toute leur religion consistait à prendre telle nourriture ou à rejeter telle autre. - S. CHRYS. (hom. 52.) Les pharisiens, ayant entendu la doctrine que Jésus vient d'enseigner, n'osent plus le contredire, car il les avait fortement convaincus non-seulement en repoussant leurs accusations, mais encore en dévoilant leurs fourberies, mais ils furent scandalisés (les pharisiens et non le peuple). " Alors les disciples s'approchant lui dirent : Savez-vous bien que les pharisiens, ayant entendu ce que vous venez de dire, s'en sont scandalisés ? - S. JER. Comme le mot scandale est souvent employé dans la sainte Écriture, il nous faut expliquer en peu de mots ce qu'il signifie. Nous croyons pouvoir le définir, une pierre d'achoppement, une cause de chute ou un choc des pieds. Lors donc que nous lisons : " Quiconque aura scandalisé, " nous devons l'entendre dans ce sens : Celui qui en paroles ou en action aura été pour son frère une occasion de chute ou de ruine.

S. CHRYS. (hom. 52.) Notre-Seigneur Jésus-Christ ne cherche pas à faire disparaître le scandale des pharisiens ; au contraire, il donne un nouveau cours à ses reproches : " Toute plante que n'a pas plantée mon Père céleste sera arrachée. " Les Manichéens prétendent qu'il veut parler ici de la Loi, mais cette opinion se trouve réfutée par ce qu'il a dit plus haut ; car, s'il avait ici la Loi en vue, comment aurait-il pris plus haut la défense de la Loi en leur disant : " Pourquoi transgressez-vous la loi de Dieu, à cause de votre tradition ? Comment aurait-il pu citer à l'appui l'autorité du prophète ? Si c'est Dieu qui a fait ce commandement : " Honorez votre père et votre mère, " comment ce précepte, qui fait partie de la Loi, ne serait-il pas la plantation de Dieu ? - S. HIL. (can. 14.) Donc ces paroles : " Toute plante qui n'a pas été plantée par mon Père céleste sera arrachée, " signifient que toute tradition humaine qui sert de prétexte à la violation de la loi doit être arrachée et rejetée. - REMI. Toute fausse doctrine, toute observance superstitieuse ne peuvent avoir de durée non plus que leurs auteurs, et comme elles ne viennent pas du Père, elles seront déracinées avec eux ; celle-là seule demeurera qui a été plantée par Dieu le Père. - S. JER. Est-ce que cette plantation dont l'Apôtre a dit : " J'ai planté, Apollon a arrosé " serait aussi déracinée ? La réponse à cette question se trouve dans les paroles suivantes : " C'est Dieu qui a donné l'accroissement ". L'Apôtre ajoute encore : " Vous êtes le champ que Dieu cultive, vous êtes l'édifice que Dieu bâtit, " et dans le même verset : " Nous sommes les coopérateurs de Dieu ; " or, si nous sommes ses coopérateurs, donc lorsque Paul plante et qu'Apollon arrose, c'est Dieu qui plante et arrose avec ses coopérateurs. Ceux qui soutiennent le système de plusieurs natures différentes abusent de ce passage en disant : " Si la plantation que n'a pas faite le Père doit être arrachée, donc celle qu'il a faite ne sera jamais déracinée. " Jérémie leur répond : " Je vous ai planté comme une vigne choisie, comment êtes-vous devenus pour moi une vigne étrangère et pleine d'amertume ? " Dieu a planté, il est vrai, et personne ne peut déraciner ce qu'il a plante ; mais, comme cette plantation a ses racines dans le libre arbitre, aucun autre ne pourra la déraciner si elle ne donne son consentement. - LA GLOSE. Ou bien cette plantation signifie les docteurs de la loi et leurs disciples, qui n'avaient pas Jésus-Christ pour fondement. Le Sauveur donne la raison pour laquelle ils seront déracinés : " Laissez-le ; ce sont des aveugles qui conduisent des aveugles. " - Ils sont aveugles, c'est-à-dire privés de la lumière des commandements de Dieu, et ils sont conducteurs d'aveugles parce qu'ils entraînent les autres dans le précipice ; ils suivent eux-mêmes les sentiers de l'erreur et ils y égarent les autres. (1 Tm 3.) C'est pour cela qu'il ajoute : " Si un aveugle conduit un autre aveugle, ils tombent tous deux dans la fosse. " - S. JER. C'est le commandement que l'Apôtre avait fait à son disciple : " Fuyez celui qui est hérétique après le premier ou le second avertissement, en vous rappelant qu'un tel homme est perverti. " (Tt 3.) C'est dans le même sens que le Sauveur nous ordonne d'abandonner les docteurs de mensonge à leur volonté dépravée, convaincu qu'il était qu'on ne pouvait que difficilement les ramener à la vérité.

vv. 15-20.
REMI. Notre-Seigneur avait l'habitude de parler en paraboles. Pierre, ayant donc entendu ces paroles : " Ce n'est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l'homme, " crut que c'était une expression parabolique ou figurée, et il fit au Sauveur la question suivante : " Expliquez-nous cette parabole. " Il parlait ainsi au nom de tous ; aussi le Seigneur fait tomber le reproche à la fois sur lui et sur les autres : " Et vous aussi, vous êtes encore sans intelligence ? - S. JER. Le Sauveur fait un reproche à Pierre de regarder comme une parabole une vérité exprimée clairement, sans la moindre figure. Apprenons de là qu'on n'est pas un bon disciple lorsqu'on veut entendre avec clarté ce qui est obscur, ou regarder comme obscur ce qui est d'une clarté évidente. - S. CHRYS. (hom. 52.) Ou bien le Seigneur le reprend, parce que ce n'était pas pour dissiper ses doutes que Pierre l'interrogeait, mais parce qu'il se scandalisait comme les pharisiens. Le peuple, en effet, n'avait pas compris ce qu'avait dit le Sauveur ; mais pour les disciples, ils en avaient été scandalisés. Aussi avaient-ils voulu d'abord l'interroger comme au nom des pharisiens ; mais ils en furent empêchés par cette grande vérité qu'ils entendent sortir de la bouche de Jésus : " Toute plante que mon Père n'a pas plantée sera arrachée, " etc. Mais Pierre, dont l'ardeur éclate partout, ne peut garder le silence. Aussi Jésus le reprend vivement et motive ainsi ses reproches : " Vous ne comprenez donc pas que ce qui entre dans la bouche descend dans le ventre et est jeté ensuite au lieu secret ? "
S. JER. Il en est qui ont pris occasion de ces paroles pour reprocher au Seigneur d'avoir ignoré les lois physiques de la nutrition en pensant que tous les aliments descendent dans le ventre et sont jetés ensuite dans un lieu secret, tandis que la nourriture, soumise immédiatement à une espèce de dissolution, est distribuée dans les membres, dans les veines, dans les nerfs et jusque dans la moëlle des os. Mais ils doivent savoir aussi que lorsque les aliments ont subi, sous l'action d'un fluide délié, une opération qui les rend liquides et qu'ils ont été comme cuits et digérés dans les membres, ils descendent vers les parties inférieures du corps, que les Grecs appellent pores, et sont jetés ensuite dans un lieu secret. - S. AUG., (De la vraie relig., chap. 40.) Les aliments, après qu'ils ont été soumis à la dissolution et qu'ils ont perdu leur forme, sont distribués dans toutes les parties du corps et y deviennent des éléments réparateurs. Le mouvement vital les sépare en deux parties distinctes : l'une, parfaitement préparée, sert à développer l'admirable organisation de notre corps ; l'autre, dépouillée de tout principe nutritif, est rejetée par les canaux destinés à cet usage. Ainsi une partie, la plus grossière, est rendue à la terre pour y prendre de nouvelles formes ; une autre se sécrète et s'exhale par tous les pores du corps ; une autre enfin se répand dans toute l'économie intérieure du corps humain et devient un des principes de la génération.
S. CHRYS. En parlant de la sorte à ses disciples, Notre-Seigneur se conforme encore aux idées imparfaites du judaïsme, il dit : La nourriture ne reste pas, mais elle s'en va, bien qu'elle ne pût souiller, même en restant dans le corps. Mais ils ne pouvaient encore comprendre cette doctrine, car Moïse leur avait ordonné de se considérer comme impurs tant que la nourriture était dans leurs entrailles, et de se laver et de se purifier le soir, qui est comme le temps où la digestion est faite et où le corps se débarrasse du reste des aliments. - S. AUG. (De la Trinité, 15, 18.) Le Seigneur, sous une même dénomination, a compris deux sortes de bouches dans l'homme : la bouche du corps et la bouche de l'âme. Dans ces paroles : " Tout ce qui entre dans la bouche, " etc., il ne peut être question que de la bouche du corps, tandis que c'est de la bouche du cœur que Notre-Seigneur veut parler dans le passage suivant : " Ce qui sort de la bouche part du cœur, et c'est ce qui souille l'homme. " - S. CHRYS. (hom. 52.) Les choses qui sont au fond du cœur restent dans l'homme et le souillent non-seulement lorsqu'elles y restent, mais surtout lorsqu'elles en sortent ; c'est pour cela qu'il ajoute : " C'est du cœur que sortent les mauvaises pensées. " Il met les mauvaises pensées en première ligne, parce que c'était le vice particulier des Juifs qui lui tendaient des embûches. - S. JER. La faculté principale de l'âme n'est donc pas, comme le veut Platon, dans le cerveau, mais dans le cœur, d'après Jésus-Christ, et cette doctrine condamne l'opinion de ceux qui prétendent que les pensées nous sont suggérées par le démon et ne sont pas le fruit de notre propre volonté. Le démon peut devenir l'auxiliaire et le fauteur des mauvaises pensées, mais non pas en être l'auteur. Car bien que cet ennemi, qui se tient toujours en embuscade, puisse développer par son souffle l'étincelle de nos pensées et en produire un grand incendie, nous devons en conclure non pas qu'il scrute les secrets cachés de notre cœur, mais que sur l'apparence extérieure et d'après nos actions, il conjecture ce qui se passe au fond de notre âme. Ainsi, par exemple, s'il nous voit jeter souvent les yeux sur une femme d'un extérieur agréable, il comprend que notre cœur a été blessé par ces regards de la flèche d'un amour coupable.

LA GLOSE. Les pensées mauvaises produisent aussi les mauvaises actions et les paroles coupables défendues par la loi. C'est pour cela que Notre-Seigneur ajoute les homicides que la loi proscrit par ce commandement : " Vous ne tuerez pas ; " les adultères et les fornicateurs par cet autre : " Vous ne commettrez pas d'adultère ; " les vols, par celui-ci : " Vous ne déroberez pas ; " les faux témoignages, par cet autre : " Vous ne ferez pas de faux témoignage contre votre prochain ; " les blasphèmes enfin, par ce précepte : " Vous ne prendrez pas le nom de Dieu en vain. "
REMI. Après avoir énuméré les vices que défend la loi divine, le Seigneur ajoute avec raison : " Voilà ce qui souille l'homme, " c'est-à-dire qui le rend immonde et impur. - LA GLOSE. Et, comme pour développer cette doctrine, il a pris occasion de la méchanceté des pharisiens qui préféraient leurs traditions aux préceptes divins, il conclut en insistant sur le peu de raison de cette tradition : " Mais manger sans avoir lavé ses mains ne souille pas l'homme. " - S. CHRYS. (homélie 52.) Il ne dit pas : Manger les viandes défendues par la loi ne souille pas l'homme, pour ne point soulever de nouvelles contradictions ; il ne comprend dans sa conclusion que ce qui avait été l'objet de la discussion.

vv. 22-28.
S. JÉR. Notre-Seigneur laisse là les Juifs, les pharisiens et les calomniateurs et il se rend dans le pays de Tyr et dans celui de Sidon pour étendre ses bienfaits jusqu'aux habitants de cette contrée : " Et Jésus, étant parti de là, se retira dans le pays de Tyr et de Sidon. "
REMI. Tyr et Sidon étaient des villes habitées par des Gentils ; Tyr était la métropole des Chananéens, Sidon était situé sur les frontières de leur pays, du côté du nord. - S. CHRYS. (hom. 53.) Remarquons que c'est au moment qu'il affranchit les Juifs des observances qui leur interdisaient certaines nourritures, qu'il ouvre aux Gentils la porte de l'Évangile. C'est ainsi que Pierre reçut dans une vision l'ordre de s'affranchir de cette loi, et qu'il fut envoyé immédiatement vers le centurion Corneille (Ac 10.) Si l'on demande pourquoi le Sauveur, qui avait dit à ses disciples : " Vous n'irez pas vers les nations, " y a été lui-même, nous répondrons d'abord qu'il n'était pas soumis aux préceptes qu'il donnait à ses disciples, et, en second lieu, qu'il n'y alla point pour prêcher 1'Évangile, mais pour y chercher une retraite, puisque saint Marc nous apprend (Mc 7) qu'il désirait que personne ne le sût.
REMI. Il y alla aussi pour faire sentir les effets de sa bonté aux habitants de Tyr et de Sidon, c'est-à-dire pour délivrer du démon la fille de cette pauvre femme et confondre, par l'exemple de sa foi, la méchanceté des scribes et des pharisiens. C'est cette femme, dont l'Évangéliste dit : " Voici qu'une femme chananéenne, qui était sortie de ce pays, " etc. - S. CHRYS. (hom. 53.) Il nous fait remarquer qu'elle était Chananéenne pour nous faire voir l'efficacité de la présence de Jésus-Christ dans cette contrée. Les Chananéens, en effet, qui avaient été chassés de la Judée dans la crainte qu'ils ne vinssent à pervertir les Juifs, font ici preuve d'une plus grande sagesse en sortant de leur pays et en venant trouver Jésus-Christ. Or, cette femme, en s'approchant de Jésus, n'implore que sa miséricorde. Elle se met à crier à haute voix : " Ayez pitié de moi, Seigneur, fils de David. "

LA GLOSE. Nous voyons ici la grande foi de la Chananéenne ; elle reconnaît un Dieu dans celui qu'elle appelle son Seigneur, elle confesse en même temps son humanité en l'appelant fils de David. Elle avoue qu'elle n'a aucun droit, aucun mérite, c'est la seule miséricorde de Dieu qu'elle implore en disant : " Ayez pitié de moi, " car la douleur de la fille est la douleur de la mère. Pour toucher davantage le cœur du Seigneur, elle lui fait le tableau du malheur qui l'afflige : " Ma fille est misérablement tourmentée par le démon " paroles qui découvrent au médecin les plaies qu'il doit guérir et qui lui font connaître la grandeur et la nature du mal : sa grandeur, lorsqu'elle dit : " Elle est tourmentée misérablement ; " sa nature, lorsqu'elle ajoute : " Par le démon. "
S. CHRYS. (hom. 17 sur divers textes de S. Matth.) Voyez la sagesse de cette femme : elle n'a pas été trouver les hommes qui auraient pu la tromper ; elle n'a point eu recours à de vaines amulettes ; mais, abjurant toutes les pratiques du culte des démons, elle vient trouver le Seigneur. Elle ne s'adresse pas à Jacques, elle ne choisit pas Jean pour médiateur, elle ne vient pas trouver Pierre ; elle se couvre de la protection du repentir et accourt seule se jeter aux pieds du Sauveur. Mais quel résultat inattendu ! elle prie, elle fait retentir l'air de ses lamentations et de ses cris, et ce Dieu si bon, si tendre pour les hommes, ne lui répond pas un mot, comme le rapporte l'Évangéliste : " Et il ne lui répondit pas un mot. " - S. JER. Ce n'est point sans doute par orgueil, comme les pharisiens ; ce n'est point par arrogance, comme les scribes, mais pour ne point paraître contredire cet ordre qu'il avait donné : " Vous n'irez point vers les nations. " Il ne voulait pas donner lieu à la calomnie et il réservait aux temps qui devaient suivre sa passion et sa résurrection la parfaite conversion des Gentils. - LA GLOSE. S'il diffère de l'exaucer, s'il ne lui répond pas, c'est pour faire éclater la patience et la persévérance de cette femme. Disons encore que c'est pour donner lieu à la médiation des Apôtres et nous apprendre ainsi la nécessité de l'intercession des saints pour obtenir les grâces que nous demandons : " Et ses disciples s'approchant de lui, le priaient, " etc. - S. JER. Les disciples, qui ne connaissaient pas encore la conduite mystérieuse du Sauveur, le priaient pour cette Chananéenne, soit par un sentiment de compassion soit par le désir de se débarrasser de ses importunités.
S. AUG. (De l'acc. des Evang., 2, 49.) Il semblerait qu'il y a ici une certaine contradiction entre le récit de saint Matthieu et celui de saint Marc, qui raconte que cette femme vint trouver Notre-Seigneur dans une maison où il se trouvait alors. Or, on peut dire que saint Matthieu n'a point parlé de cette circonstance, tout en racontant le même fait ; mais comme il rapporte que les Apôtres ont dit au Seigneur : " Renvoyez-la, parce qu'elle crie après nous, " il paraît indiquer clairement que cette femme adressait ses supplications au Seigneur en marchant à sa suite. Saint Marc, de son côté, raconte que cette femme entra dans la maison où était Jésus, parce qu'il avait dit précédemment que le Sauveur était dans cette maison, tandis que saint Matthieu, en disant : " Il ne lui répondit pas, " donne à entendre ce que ni l'un ni l'autre n'ont rapporté, que Jésus sortit de la maison en gardant le silence, et ainsi tout le reste se lie parfaitement sans l'ombre même de contradiction.
S. CHRYS. (hom. 53.) Je présume que les disciples furent attristés du malheur de cette femme, cependant ils n'osèrent dire au Seigneur : " Accordez-lui cette grâce, " ils se contentent de lui dire : " Renvoyez-la. " C'est ainsi que souvent, lorsque nous voulons amener quelqu'un à notre sentiment, nous lui disons le contraire de ce que nous désirons. " Jésus leur répondit : Je ne suis envoyé qu'aux brebis de la maison d'Israël. " - S. JER. Il ne dit pas d'une manière absolue qu'il n'est pas envoyé aux Gentils, mais il déclare qu'il a été envoyé premièrement au peuple d'Israël, et, ce peuple rejetant l'Évangile qui lui était offert, c'était avec justice que Dieu en faisait part aux Gentils. REMI. Il est aussi envoyé particulièrement pour le salut des Juifs, en ce sens qu'il devait les enseigner lui-même visiblement et en personne. - S. Jér. C'est avec intention qu'il dit : " Aux brebis perdues de la maison d'Israël, " pour nous faire comprendre qu'il est ici question de cette brebis égarée dont il parle dans une autre parabole. (Lc 15.) - S. Chrys. (hom. 53.) Mais lorsque cette femme vit que les Apôtres ne pouvaient rien pour elle, elle devînt impudente de la bonne sorte et saintement hardie ; car elle n'avait osé d'abord se présenter devant lui, comme l'indiquent ces paroles des disciples : " Elle crie après nous, " et c'est au moment où il semble qu'elle va se retirer dans de mortelles angoisses, qu'elle s'approche de plus près : " Mais elle s'approcha de lui et l'adora. " - S. JER. Remarquez que cette Chananéenne commence par appeler à plusieurs reprises le Sauveur, Fils de David, puis ensuite, Seigneur, et qu'elle finit par l'adorer comme Dieu. - S. CHRYS. (hom. 53.) Aussi ne lui dit-elle pas : " Priez ou intercédez auprès de Dieu, " mais " Seigneur, secourez-moi. " Mais plus cette femme multiplie ses supplications, plus aussi Jésus multiplie ses refus. Ce n'est plus le nom de brebis, mais celui d'enfants, qu'il donne aux Juifs ; tandis qu'il ne donne à cette femme que le nom de chienne. " Et il lui répondit : Il n'est pas bon, " etc. - LA GLOSE. Les enfants, ce sont tes Juifs engendrés et nourris par la loi dans le culte d'un seul Dieu ; le pain, c'est l'Evangile, les miracles, et tout ce qui concourt à notre salut. Or, il n'est pas convenable que toutes ces grâces soient enlevées aux enfants et données aux Gentils qui sont ici désignés par les chiens, jusqu'à ce que les Juifs aient rejeté les biens qui leur sont offerts. - RAB. Les Gentils sont appelés chiens à cause de leur idolâtrie, parce que semblables aux chiens qui se nourrissent de sang et qui dévorent les cadavres, ils sont atteints d'une espèce de rage.
S. CHRYS. (hom. 53.) Admirez ici la prudence de cette femme : ni elle n'ose contredire le Sauveur, ni elle ne s'attriste des louanges qu'il donne aux autres, ni elle ne se laisse abattre par cette parole, outrageante. Mais elle répliqua : " Il est vrai, Seigneur ; mais les petits chiens mangent au moins des miettes qui tombent de la table de leur maître. " Jésus lui avait dit : " Il n'est pas juste ; " elle répond : " Il est vrai, Seigneur. " Il appelle les Juifs les enfants, elle enchérit et les appelle maîtres. Il lui a donné le nom de chienne, elle ajoute à cette qualification en rappelant ce que font les chiens, et semble dire au Sauveur : Si je suis un chien, je ne suis point étrangère. Vous me donnez le nom de chien, nourrissez-moi donc comme un chien, je ne puis m'éloigner de la table de mon Maître. - S. JER. Quel exemple de foi, de patience, d'humilité dans cette femme ; de foi, elle croit fermement que sa fille peut obtenir sa guérison ; de patience, si souvent rebutée, elle continue de prier ; d'humilité, elle se compare, non pas aux chiens, mais aux petits des chiens : " Je sais, dit-elle, que je ne suis pas digne de manger le pain des enfants, ni de recevoir une portion entière, ni de m'asseoir à table avec le père de famille ; mais je me contente des restes que l'on donne aux petits chiens, afin de m'élever par l'humilité de ces miettes jusqu'à l'honneur de m'asseoir à la table où on sert le pain tout entier. - S. CHRYS. (hom. 53.) Voici la raison du retard que Jésus mettait à l'exaucer : il savait qu'elle lui tiendrait ce langage, et il ne voulait pas qu'une si grande vertu demeurât cachée, " Alors Jésus, lui répondant, lui dit : O femme, votre foi est grande, qu'il vous soit fait comme vous le désirez. " Ne semble-t-il pas lui dire : " Votre foi mériterait d'obtenir bien davan-tage, mais en attendant, qu'il vous soit fait comme vous le désirez. " Remarquez ici la part considérable qui revient à cette femme dans la guérison de sa fille. Aussi Jésus ne lui dit pas : " Que votre fille soit guérie, " mais : " Votre foi est grande, qu'il vous soit fait comme vous le désirez, " pour vous apprendre qu'elle parlait avec simplicité, sans flatterie, et que sa prière était animée par la foi la plus vive. Or, cette parole du Sauveur est semblable à cette autre que Dieu pro-nonça au commencement du monde : Que le firmament soit fait, et il fut fait ; " car l'Évangéliste ajoute : " Et sa fille fut guérie. " Remar-quez encore qu'elle obtient elle-même ce que les Apôtres n'ont pu ob-tenir, tant la prière persévérante a de puissance ! Dieu, en effet, aime mieux que nous le prions beaucoup nous-mêmes pour nos péchés, que d'avoir recours aux prières des autres.
REMI. Nous avons encore ici un exemple de la nécessité d'instruire et de baptiser les enfants. Cette femme, en effet, ne dit pas : " Sau-vez ma fille, ou secourez-la, " mais : " Ayez pitié de moi, et secou-rez-moi. " De là est venue, dans l'Église, la coutume que les fidèles engagent leur foi pour leurs enfants, alors que ceux-ci n'ont ni l'âge ni la raison pour l'engager eux-mêmes à Dieu ; et de même que c'est par la foi de cette femme que sa fille fut guérie, de même aussi c'est par la foi des parents catholiques que les péchés sont remis à leurs enfants.
Dans le sens allégorique, cette femme est la figure de la sainte Église, formée et rassemblée de toutes les nations. Le Seigneur, en abandonnant les scribes et les pharisiens pour venir dans le pays de Tyr et de Sidon, figurait l'abandon où il devait laisser les Juifs pour porter l'Évangile aux Gentils. Cette femme a passé les frontières de son pays, de même la sainte Église a quitté ses anciennes erreurs et ses vices d'autrefois. - S. JER. Cette fille de la Chananéenne, ce sont les âmes des fidèles cruellement tourmentées par le démon, alors qu'elles étaient privées de la connaissance de leur Créateur et qu'elles adoraient des idoles de pierre. - REMI. Les enfants, ce sont les pa-triarches et les prophètes de ce temps-là ; la table figure la sainte Écriture ; les miettes, les préceptes secondaires, ou les mystères inté-rieurs dont se nourrit la sainte Église ; les croûtes de pain, les préceptes extérieurs et charnels qu'observaient les Juifs. Les miettes sont mangées sous la table, parce que l'Église se soumet avec humilité à l'accomplissement des préceptes divins. - RAB. Les petits chiens ne mangent pas les croûtes, mais les miettes du pain des enfants. Ainsi lorsque ceux qui étaient l'objet du mépris parmi les nations se convertissent à la foi, ils ne cherchent pas l'écorce de la lettre dans les saintes Écritures, mais le sens spirituel qui peut hâter leur progrès dans les bonnes œuvres.
S. JER. Quel étonnant changement s'est opéré ! Autrefois les Israélites étaient les enfants et nous étions les chiens ; mais la foi si différente dans les uns et dans les autres a changé cette dénomination. Plus tard, alors que s'accomplissait ce mystère au temps de la passion, il est dit des Juifs : " Un grand nombre de chiens dévorants m'ont entouré. " Pour nous, au contraire, nous avons entendu avec la Chananéenne cette parole : " Votre foi vous a sauvée. " - RAB. C'est à juste titre que le Sauveur déclare que cette foi est grande ; car sans avoir été ni pénétrés des enseignements de la loi, ni instruits par les oracles des prophètes, les Gentils ont obéi à la prédication des Apôtres aussitôt qu'ils ont entendu leur voix, et ont ainsi mérité la grâce du salut. Mais si le Seigneur diffère d'accorder le salut d'une âme aux pre-mières larmes de l'Église suppliante, il ne faut ni désespérer, ni cesser de demander, mais redoubler de persévérance dans la prière.
S. AUG. (Quest. évang., 1, 16 ou 17.) Le serviteur du centurion et la fille de la Chananéenne ont été guéris sans que le Seigneur soit entré dans leurs maisons, et figurent les nations, qui, sans être visitées extérieurement par Jésus-Christ, seront sauvées par sa parole. C'est à la prière du centurion et de la Chananéenne que leurs enfants sont guéris, et ils sont en cela la figure de l'Église, qui est tout à la fois pour elle-même et la mère, et les enfants ; car la réunion de tous ceux qui composent l'Église, porte le nom de mère, et chacun des membres reçoit le nom d'enfant. - S. HIL. Ou bien encore, cette femme, qui franchit les frontières de son pays, est la figure des prosélytes ; elle sort du milieu des nations, pour venir au milieu d'un peuple qui lui est étranger ; elle prie pour sa fille, c'est-à-dire pour le peuple des Gentils, soumis à la domination des esprits immondes, et comme la loi lui a fait connaître le Seigneur, elle l'appelle fils de David. - RAB. Disons encore que celui dont la conscience est souillée de la tache du péché a sa fille tourmentée cruellement par le démon ; de même celui qui empoisonne ses bonnes œuvres par le venin du péché, a également sa fille agitée par les fureurs de l'esprit impur, et ils doivent tous deux avoir recours aux prières et aux larmes, et réclamer le recours et l'intercession des saints.


vv. 29-31.
LA GLOSE. Après avoir guéri la fille de la Chananéenne, Notre-Seigneur retourne dans la Judée : " Jésus, étant sorti de là, vint le long de la mer de Galilée. " - REMI. Cette mer porte différents noms ; elle s'appelle mer de Galilée, parce qu'elle est proche de la Galilée, et mer de Tibériade, parce que la ville de Tibériade est bâtie sur ses bords.
" Et, étant monté sur la montagne, il s'y assit. " - S. CHRYS. (hom. 83.) Remarquons que tantôt le Sauveur parcourt le pays pour guérir les malades, tantôt il s'assied pour les attendre. C'est donc avec raison que l'Évangéliste ajoute : " Et de grandes troupes de peuple vinrent le trouver. " - S. JER. Le mot grec ???????, que le traducteur latin a rendu par infirmes, ne signifie pas infirmité en général, mais une infirmité particulière ; et de même qu'on appelle boiteux celui qui boite d'un pied, ainsi on appelle ?????? ou manchot celui qui est privé de l'usage d'une main. - S. CHRYS. Or, ces infirmes manifestaient leur foi de deux manières et en gravissant la montagne, et en étant convaincus qu'il leur suffisait pour être guéris d'être jetés aux. pieds de Jésus. Ils ne cherchent pas encore à toucher la frange de ses vêtements, mais ils font preuve d'une foi plus grande, comme le remarque l'Évangéliste : " Et ils les mirent à ses pieds. " Il a guéri la fille de la Chananéenne après l'avoir fait longtemps attendre, pour faire éclater la vertu de cette femme, tandis qu'il guérit immédia-tement tous ces infirmes, non pas qu'ils fussent meilleurs, mais afin de fermer la bouche aux Juifs incrédules : " Et il les guérit tous. " Le grand nombre de ceux qui étaient guéris, et la promptitude avec laquelle il les guérissait les jetaient dans l'étonnement, " de telle sorte, " dit le texte sacré, " que ces peuples étaient dans l'admiration en voyant les muets qui parlaient, " etc.
S. JER. Il ne dit rien de ceux qui étaient estropiés, parce qu'il ne pouvait exprimer leur guérison en un seul mot.
RAB. Dans le sens mystique, Notre-Seigneur, après avoir donné une figure de la conversion des Gentils dans la guérison de la fille de la Chananéenne, vient dans la Judée, parce qu'en effet, après que la plénitude des nations sera entrée dans l'Église, tout Israël sera sauvé. " (Rm 11.) - LA GLOSE. La mer, sur les bords de laquelle arrive Jésus, est la figure du trouble et de l'agitation de cette vie ; c'est la mer de Galilée, parce que les hommes passent de la pratique des vices a celle des vertus. - S. JER. Il monte sur le sommet de la montagne comme l'oiseau qui provoque ses petits encore faibles à prendre leur essor. - RAB. C'est afin d'élever l'esprit de ses auditeurs jusqu'à la méditation des vérités sublimes et célestes. Il s'assied sur le sommet, pour nous montrer qu'on ne doit chercher le repos que dans les choses du ciel. Pendant qu'il est assis sur la montagne, c'est-à-dire dans la cité des cieux, une multitude de fidèles s'approchent de lui avec un saint empressement, conduisant avec eux les muets et les aveugles, " etc., et ils les mettent aux pieds de Jésus, parce que c'est à lui seul qu'ils présentent pour être guéris ceux qui confessent leurs péchés. La manière dont il les guérit excite l'admiration de la foule, et ils rendent gloire au Dieu d'Israël ; c'est ainsi que les fidèles chantent les louanges de Dieu, lorsqu'ils voient ceux dont l'âme était languissante et ma-lade, s'enrichir des œuvres des vertus chrétiennes. - LA GLOSE. Les muets sont ceux qui ne louent jamais Dieu ; les aveugles, ceux qui ne comprennent pas les voies de la véritable vie ; les sourds, ceux qui n'obéissent pas à sa parole ; les boiteux, ceux qui ne marchent pas droit dans le chemin du devoir ; les infirmes et les estropiés, ceux qui sont comme frappés d'impuissance par les bonnes œuvres.

vv. 32-38.
S. JER. Notre Seigneur Jésus-Christ a commencé par rendre la santé aux infirmes, il nourrit maintenant ceux qu'il vient de guérir : Il réunit ses disciples et leur apprend ce qu'il va faire : " Et Jésus, " etc. Il agit ainsi pour enseigner aux maîtres, par son exemple, a communiquer leurs desseins à leurs inférieurs et à leurs disciples, et aussi pour que cet entretien rende plus éclatant le mi-racle qu'il va faire. - S. CHRYS. (hom. 54.) Cette multitude, qui n'é-tait venue que pour obtenir sa guérison, n'osait demander du pain ; mais Jésus, qui est l'ami des hommes et qui prend soin de tous, leur en donne sans attendre qu'ils en demandent : " J'ai compassion de ce peuple, leur dit-il. Et pour qu'on ne puisse pas dire qu'ils avaient apporté leur nourriture avec eux, il ajoute : " Car voilà trois jours qu'ils demeurent continuellement avec moi et ils n'ont rien à man-ger. " Quand même ils auraient eu des vivres avec eux lorsqu'ils arri-vèrent, ils étaient déjà consommés ; aussi ne fait-il pas ce miracle le premier ou le second jour, mais le troisième, alors que toutes les provisions étaient épuisées, afin que le sentiment du besoin leur fit recevoir avec un désir plus ardent le prodige qu'il allait opérer. Il fait voir qu'ils étaient venus de loin et qu'il ne leur restait plus rien en disant : " Je ne veux pas les renvoyer qu'ils n'aient mangé. " Son intention est bien de les nourrir par un nouveau miracle ; cependant il en diffère l'exécution, car il veut, par cette question et par la réponse qui doit la suivre, rendre ses disciples plus attentifs et les forcer à manifester leur foi, en lui demandant de faire une nouvelle multiplication des pains. Mais quoique Jésus-Christ eût réuni dans le premier miracle les circonstances qui devaient en rendre toujours présent le souvenir à leur esprit, comme de distribuer eux-mêmes le pain, de recueillir les restes dans les corbeilles, cependant leurs dis-positions étaient encore bien imparfaites, ainsi que le prouve la réponse qu'ils font à Jésus : " Comment pourrons-nous trouver, " etc. Cette réponse, qui indique une foi faible, met cependant à l'abri de tout soupçon le miracle qui va s'opérer. Car, afin qu'on ne puisse supposer que les provisions ont été apportées de quelque bourg voisin ; le miracle se fait dans la solitude, à une grande distance de tout endroit habité. Cependant, le Sauveur, pour élever leur âme, leur adresse une question dont la nature seule doit leur rappeler le premier miracle : " Et Jésus leur dit : Combien avez-vous de pains ? - Sept, lui dirent-ils. " Mais ils n'ajoutent pas comme la première fois : " Qu'est-ce que cela pour un si grand nombre ? " Ils avaient fait quelques progrès, quoiqu'il y eût encore bien des choses qu'ils ne pussent comprendre. Admirez toutefois leur amour pour la vérité ils ne songent pas, dans un récit dont ils sont les auteurs, à cacher leurs plus grands défauts ; car ce n'est pas une accusation ordinaire, ce n'est pas une faute légère que l'oubli si rapide d'un aussi grand prodige. Admirez encore un autre trait de leur sagesse : comme ils savent dompter le besoin de la faim, et ne se préoccupent guère des soins de la nourriture. Ils sont dans le désert et ils y restent trois jours, n'ayant seulement avec eux que sept pains. Notre-Seigneur suit la même marche que pour le premier miracle : il fait asseoir la foule sur la terre et multiplie les pains dans les mains de ses dis-ciples : " Et il ordonna à la foule de s'asseoir, " etc. - S. JER. Il est inutile de rappeler ici ce que nous avons dit plus haut ; arrêtons-nous seulement aux circonstances qui nous offrent quelque différence.
S. CHRYS. (hom. 54.) Ces deux miracles ne se terminent pas de la même manière. Ils emportent ici sept corbeilles pleines des morceaux qui étaient restés. Or, ceux qui en mangèrent étaient au nombre de quatre mille hommes, " etc. Pourquoi les restes furent-ils moins con-sidérables dans ce miracle que dans le premier, alors que ceux qui mangèrent étaient en plus petit nombre ? C'est peut-être que les cor-beilles étaient plus grandes que les paniers, ou bien le Sauveur vou-lut-il que la différence de ces deux miracles en rendît le souvenir plus facile. Voilà pourquoi dans le premier il y avait autant de paniers que de disciples, tandis que dans celui-ci il y a autant de corbeilles qu'il y avait de pains.
REMI. Dans ce récit de l'Évangile, nous devons considérer la double opération de la divinité et de l'humanité dans Jésus-Christ. La com-passion qu'il ressent pour ce peuple est une preuve qu'il a pris les sentiments de notre faible nature, et le miracle qu'il fait en multi-pliant les pains et en nourrissant cette multitude fait éclater en lui la toute-puissance divine. Ainsi se trouve renversée l'erreur d'Eutychès, qui ne voulait reconnaître en Jésus-Christ qu'une seule nature.
S. AUG. (De l'acc. des Evang., 2, 50.) Il n'est pas inutile de remar-quer ici que si l'un des Évangélistes avait raconté ce miracle sans avoir rapporté, celui de la multiplication des cinq pains, on pourrait le supposer en contradiction avec les autres. Mais comme ce sont les mêmes qui ont raconté à la fois le miracle des cinq et celui des sept pains, il n'y a plus de difficulté et il faut admettre la vérité de ces deux miracles. Nous faisons cette remarque afin que lorsque l'on trouve dans un Évangéliste un fait de la vie de Notre-Seigneur qui paraît contredire dans une de ses circonstances un fait semblable raconté par un autre Évangéliste, sans qu'on puisse les concilier, on en conclue que ces deux faits distincts ont eu lieu et que l'un a été raconté par un Évangéliste et l'autre par un autre.
LA GLOSE. Remarquons encore que Notre-Seigneur commence par guérir les infirmités et qu'il donne ensuite à manger à ceux qu'il a guéris, parce qu'en effet il faut d'abord faire disparaître les péchés de l'âme avant de la nourrir de la parole de vie. - S. HIL. (can. 13.) Ce peuple qu'il a nourri en premier lieu représentait les Juifs qui em-brassèrent la foi ; ainsi cette nouvelle multitude est une figure du peuple des Gentils, et dans ces quatre mille personnes rassemblées nous voyons représentée cette multitude innombrable réunie des quatre parties du monde. - S. JER. Nous ne comptons pas ici cinq mille personnes, mais quatre mille seulement. Le nombre quatre a toujours une signification heureuse : la pierre qui est carrée ne vacille pas, elle n'est point sujette à chanceler, et c'est pourquoi les Évangiles se trouvent consacrés par ce nombre quatre. Dans le miracle précédent, comme le chiffre de la multitude se rapproche du nombre des cinq sens, ce n'est pas le Seigneur qui paraît y faire attention, mais ses disciples ; ici, au contraire, c'est le Sauveur lui-même qui déclare qu'il a compassion de ce peuple qui depuis trois jours persévère avec lui, parce qu'en effet ils croyaient au Père, au Fils et au Saint-Esprit. - S. HIL. (can. 3.) Ou bien ils passent avec le Seigneur un temps égal à celui de sa passion ; ou bien encore, avant de recevoir le baptême, ils con-fessent qu'ils croient à sa passion et à sa résurrection ; ou bien enfin, par un mouvement de sympathique compassion, ils veulent jeûner tout le temps qu'a duré la passion du Seigneur. - RAB. Ou bien, dans un autre sens, cette circonstance nous rappelle les trois époques où, pendant toute la durée des siècles, la grâce nous est donnée ; la première avant la loi, la seconde sous la loi, la troisième sous la grâce, la quatrième s'accomplira dans le ciel dont la perspective ranime celui qui en fait le terme de tous ses efforts. - REMI. Ou bien enfin, c'est qu'en faisant pénitence des péchés qu'on a commis, on se convertit au Seigneur dans les pensées, dans les paroles et dans les actions. Le Seigneur ne voulut pas renvoyer ce peuple sans qu'il eut mangé, de peur qu'il ne tombât en défaillance dans le chemin, car c'est ainsi que les pécheurs convertis par la pénitence sont exposés a périr dans le cours de cette vie qui passe, si on les renvoie privés de la nourriture de la sainte doctrine.
LA GLOSE. Les sept pains sont les écrits du Nouveau Testament qui nous révèle et nous donne à la fois la grâce de l'Esprit saint. Ce ne sont point des pains d'orge, comme précédemment, parce que, dans le Nouveau Testament, l'aliment qui donne la vie n'est pas de même que sous la loi, enveloppé de figures, comme d'une paille qui adhère fortement. Nous n'avons point ici deux poissons, figure des deux seules personnes qui, sous la loi, recevaient l'onction sainte, le grand-prêtre et le roi, mais quelques poissons, figure des saints du Nouveau Testament, qui, arrachés aux flots du siècle, supportent les agitations de la mer et, nous ranimant par leur exemple, nous em-pêchent de défaillir dans le chemin.
S. HIL. Or, la multitude s'asseoit sur la terre, car elle n'avait pu se reposer sur aucune des œuvres de la loi, et elle tenait encore forte-ment à l'origine de son corps et à la source de ses péchés. - LA GLOSE. Ou bien on peut dire que dans le premier miracle elle s'asseoit sur le gazon pour comprimer les désirs de la chair : ici elle est assise sur la terre, car il lui est ordonné d'abandonner le monde. La mon-tagne sur laquelle le Seigneur nourrit ce peuple, c'est la hauteur du Christ. D'un côté, la terre est recouverte de gazon, parce que la hau-teur du Christ s'y trouve recouverte, pour les hommes charnels, d'es-pérance et de désirs terrestres ; ici, au contraire, tout désir charnel est éloigné, et la fermeté d'une espérance permanente soutient les convives du Nouveau Testament. Là il y a cinq mille hommes, parce que les hommes charnels sont esclaves de leurs sens ; ici, quatre mille, figure des quatre vertus qui donnent à l'âme la vie spirituelle, c'est-à-dire la tempérance, la prudence, la force, la justice. De ces quatre vertus, la première donne la connaissance de ce qu'il faut rechercher et de ce qu'il faut éviter ; la deuxième met un frein à la cupidité des plaisirs des sens ; la troisième nous donne la fermeté pour supporter toutes les épreuves de la vie ; la quatrième, qui se répand dans toutes les autres, est l'amour de Dieu et du pro-chain. De part et d'autre, les femmes et les enfants ne sont point comp-tés, car, dans l'Ancien comme dans le Nouveau Testament, ceux qui ne peuvent atteindre l'état de l'homme parfait, soit par faiblesse, soit par légèreté d'esprit, ne peuvent être admis près du Seigneur. Ces deux collations ont eu lieu sur la montagne, car les livres de l'Ancien et du Nouveau Testament nous rappellent à la fois la sublimité des préceptes divins et des récompenses célestes et proclament la grandeur et l'élévation du Christ. Quant aux mystères plus sublimes que la multitude ne peut comprendre, les Apôtres les soulèvent et les accom-plissent, et ils sont en cela la figure des cœurs parfaits que la grâce de l'Esprit aux sept dons a remplis d'intelligence. Les corbeilles sont ordinairement faites avec des joncs et des feuilles de palmier ; elles re-présentent les saints qui enfoncent la racine de leur cœur dans la source même de la vie ; semblables au jonc dans l'eau, ils ne sont point exposés à se dessécher et ils portent dans leur cœur la palme de la récompense éternelle.

v. 39.
S. CHRYS. (hom. 54.) Le Seigneur renvoie maintenant le peuple, comme il a fait après le miracle des cinq pains, et il ne prend pas pour se retirer le chemin de terre, mais il monte dans une barque pour que la foule ne puisse le suivre. " Après cela, Jésus ayant ren-voyé la foule, monta dans une barque et vint sur les confins de Mageddan. - S. AUG. (De l'acc. des Evang., 2, 51.) Saint Marc (Mc 8) dit : " dans le pays de Dalmanutha ; " mais il est évident qu'il s'agit du même lieu, car, même dans plusieurs exemplaires de saint Marc, on ne trouve que le mot Mageddan. - RAB. Mageddan est un pays situé en face de Gerasam ; il signifie fruits ou nouvelles et il est une figure de ce jardin dont il est dit : " Jardin fermé, fontaine scellée, " (Ct 4) jardin qui produit les fruits des vertus et où le nom du Seigneur est annoncé. Cette interprétation apprend aux prédicateurs qu'après avoir distribué au peuple le pain de la parole sainte, ils doivent, dans le secret de leurs cœurs, reprendre de nouvelles forces en se nourrissant des fruits des vertus.