ÉVANGILE DE SAINT MATHIEU PAR SAINT THOMAS D'AQUIN

CATANA AUREA DE SAINT THOMAS D'AQUIN SUR SAINT MATTHIEU

CHAPITRE IV

vv. 1, 2.
S. CHRYS. (sur S. Matth.) Après avoir été baptisé dans l'eau par Jean-Baptiste, le Sauveur est conduit par l'Esprit dans le désert, pour y être baptisé dans le feu de la tentation (cf. Is 4, 4). Alors, dit l'Évangéliste, " Jésus fut conduit par l'Esprit dans le désert. " Alors, c'est-à-dire aussitôt que le Père eut fait entendre cette voix du haut du ciel : " Celui-ci est mon Fils bien-aimé. " - S. CHRYS. (hom. 13 sur S. Matth.) Qui que vous soyez, qui après le baptême vous trouvez en butte à de plus fortes tentations, ne vous en troublez point. Ce n'est pas pour rester oisif, mais pour combattre que Dieu nous a revêtus d'une armure divine. Il ne défend pas à la tentation d'approcher de vous, pour vous apprendre premièrement que vous êtes devenu beaucoup plus fort ; secondement pour que la grandeur des grâces que vous avez reçues ne soit pas pour vous un principe d'orgueil ; troisièmement pour faire connaître par expérience au démon que vous avez rompu entièrement avec lui ; quatrièmement pour augmenter la force dont vous êtes revêtu ; cinquièmement pour vous donner une juste idée du trésor qui vous est confié (cf. 2 Co 4, 7), car le démon ne viendrait pas pour vous tenter, s'il ne vous voyait élevé à une plus grande dignité. - S. HIL. (Can. 3 sur S. Matth.) C'est contre ceux qui ont été sanctifiés que le démon dirige ses plus violents efforts, car la victoire qu'il désire le plus ardemment est celle qu'il peut remporter sur les Saints.
S. GREG. (hom. 13 sur les Evang.) Il en est qui n'osent décider quel fut l'esprit qui conduisit Jésus dans le désert, à cause de cette circonstance que l'Évangéliste rapporte plus loin : " Le démon le transporta dans la cité sainte. " Mais il est hors de doute, et c'est le seul sens convenable, que Jésus fut conduit par l'Esprit saint, c'est-à-dire que son propre esprit le conduisit dans le désert, où le malin esprit devait venir pour le tenter. - S. AUG. (de la Trinité, chap. 13) - Pourquoi s'est-il rendu accessible à la tentation ? pour nous aider comme médiateur à triompher des tentations, non seulement par la puissance de son secours, mais encore par l'efficacité de son exemple. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Il ne fut pas conduit dans le désert comme un inférieur qui obéit au commandement de son supérieur. En effet, on n'est pas seulement conduit lorsqu'on marche sous les ordres d'un autre, mais lorsqu'on se détermine par quelque sage raison qu'il apporte ; c'est ainsi que nous lisons qu'André trouva Simon son frère, et qu'il le conduisit à Jésus. - S. JER, (sur S. Matth.) Il n'est conduit ni par force, ni par violence, mais par le désir qu'il a de combattre. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Le démon vient trouver les hommes pour les tenter ; mais comme il ne pouvait marcher le premier contre le Christ, c'est le Christ qui s'avance contre lui, c'est pour cela qu'il est dit : " Afin qu'il fût tenté par le diable. " - S. GREG. (hom. 16 sur les Evang.) La tentation nous attaque en trois manières, par la suggestion, par la délectation, par le consentement. Lorsque nous sommes tentés, nous tombons presque toujours dans le consentement ou dans la délectation, parce que nous tirons notre origine du péché de la chair, et que nous portons en nous-même la cause des combats que nous avons à soutenir ; tandis que le Dieu incarné dans le sein d'une vierge, étant venu dans le monde sans péché, ne portait en lui aucun principe de lutte intérieure. Il a donc pu être tenté par la suggestion ; mais la délectation du péché n'a eu aucune prise sur son âme, et tous les efforts du démon dans cette tentation se bornèrent à l'extérieur, sans aller plus avant.
S. CHRYS. (hom. 13.) Le démon redouble surtout ses tentations à l'égard de ceux qu'il voit seuls ; c'est ainsi qu'au commencement il a tenté la femme qu'il trouvait éloignée de son mari ; et la présence de Jésus-Christ qu'il voit seul dans le désert, devient également pour lui une occasion de le tenter. - LA GLOSE. Ce désert s'étend entre Jérusalem et Jéricho ; il était habité par des voleurs, et on l'appelait Dammaïm, c'est-à-dire désert du sang, à cause des meurtres qu'y commettaient ces brigands. Aussi lisons-nous que cet homme qui descendait de Jérusalem à Jéricho tomba entre les mains des voleurs. Cet homme représentait Adam qui fut vaincu par les démons. Il convenait donc que le démon fût vaincu à son tour par le Christ dans ce même endroit où existait une figure de son triomphe sur l'humanité.
S. CHRYS. (sur S. Matth.) Jésus-Christ n'est pas le seul qui soit conduit dans le désert par l'Esprit ; il en est ainsi de tous les enfants de Dieu que l'Esprit saint dirige. Ils ne peuvent supporter de rester inactifs, car l'Esprit saint les presse d'entreprendre quelque œuvre importante, et pour le démon, une de ces œuvres, c'est de se retirer dans le désert, car on n'y voit aucune de ces injustices qui font sa joie. Tout vrai bien d'ailleurs se trouve en dehors de la chair et du monde, parce qu'il n'est pas conforme à la volonté de la chair et du monde. C'est donc dans ce désert que se retirent tous les enfants de Dieu pour être éprouvés par la tentation. Si, par exemple, vous avez résolu de ne pas vous marier, c'est l'Esprit saint qui vous a conduit dans le désert, c'est-à-dire, au delà des limites de la chair et du sang, pour y être tenté par la concupiscence de la chair. Car comment celui qui se trouve continuellement avec sa femme pourrait-il ressentir les atteintes de la concupiscence ? Sachons donc que les enfants de Dieu ne sont tentés par le démon que lorsqu'ils se retirent dans le désert. Au contraire, les enfants du diable, placés au milieu du monde et sous l'empire de la chair, sont tous les jours brisés et se soumettent à l'esclavage. Ainsi un homme vertueux est marié, il ne se livre pas à la fornication, mais sa femme lui suffit ; un homme vicieux au contraire n'en est pas content, et se rend coupable d'infidélité envers son épouse ; et il en est ainsi de tous les autres devoirs. Les fils du démon ne vont donc pas au-devant de lui pour être tentés, car qu'est-il nécessaire de combattre pour celui qui ne désire pas la victoire ? Au contraire, les plus illustres des enfants de Dieu franchissent les limites de la chair pour marcher contre le démon, parce qu'ils aspirent à la gloire du triomphe. C'est pour cela que le Christ vint dans ce désert à la rencontre du démon afin d'y être tenté par lui.
S. CHRYS. (hom. 12.) Notre-Seigneur commence par jeûner, sans avoir besoin du jeûne, mais pour nous apprendre quelle est son excellence, quel bouclier il nous offre contre les traits du démon, et aussi qu'après le baptême, nous devons nous appliquer non pas aux plaisirs, mais à la mortification des sens. - S. CHRYS. (Sur S. Matth.) Il jeûna quarante jours et quarante nuits pour fixer lui-même la durée du jeûne quadragésimal : " Après qu'il eut jeûné quarante jours et quarante nuits, " dit l'Évangéliste. - S. CHRYS. (hom. 13.) Il ne prolongea pas son jeûne au delà du jeûne de Moïse et d'Élie (cf. Ex 24, 18 ; 34, 28 ; Dt 9, 9.18 ; 3 R 19, 8), pour ne pas faire douter de la vérité de son incarnation.
S. GRÉG. (hom. 16.) L'auteur de toutes choses ne prit absolument aucune nourriture pendant quarante jours et quarante nuits ; nous donc aussi, autant que nos forces nous le permettent, mortifions notre chair par l'abstinence pendant le temps du Carême. Le nombre quarante est ici consacré, parce qu'il est formé par le nombre dix répété quatre fois, et que la perfection du Décalogue trouve son accomplissement dans les quatre livres du saint Évangile. Ou bien, c'est parce que notre corps est composé de quatre éléments, et que la concupiscence, dont il est la source, nous met en opposition avec les dix commandements de Dieu.
Or, puisque les désirs de la chair nous portent à transgresser les commandements du Décalogue, il est bien juste de mortifier cette chair pendant quarante jours. On peut dire encore que, comme autrefois le Seigneur exigeait la dixième partie des biens de la terre, nous nous efforçons de lui offrir la dixième partie des jours de l'année. En effet, du premier dimanche de Carême à la fête de Pâques, on compte six semaines, c'est-à-dire quarante-deux jours, et trente-six seulement, si l'on supprime les six dimanches qui sont exempts de la loi du jeûne. Or l'année étant composée de trois cent soixante-cinq jours, en consacrant trente-six de ces jours à la pénitence, nous offrons à Dieu la dixième partie des jours de l'année. - S. AUG. (liv. des LXXXIII, quaest. 8.) Ou bien, dans un autre sens, toute la sagesse consiste à connaître le Créateur et la créature. Le Créateur c'est la Trinité, le Père, le Fils et le Saint-Esprit ; la créature est en partie invisible, comme l'âme, dans laquelle le nombre trois est consacré par le triple commandement qui nous est fait d'aimer Dieu de tout notre cœur, de toute notre âme, de tout notre esprit ; elle est en partie visible comme le corps, auquel convient le nombre quatre, à cause des quatre prophéties qu'il renferme, le chaud et le froid, l'humide et le sec. Le nombre dix, qui rappelle le Décalogue et résume toute la morale, étant multiplié par le nombre quatre qui est le nombre spécial et distinct du corps, parce que le corps est chargé de la direction des choses extérieures, forme le nombre quarante. Or les parties égales de ce nombre font cinquante. En effet, les nombres un, deux, quatre, cinq, huit, dix et vingt, qui sont les parties du nombre quarante, additionnés ensemble, donnent cinquante. Ainsi donc le temps des gémissements et de la douleur est figuré par le nombre quarante, et le temps de la félicité et de la joie par le nombre cinquante, qui s'écoule entre la fête de Pâques et celle de la Pentecôte. - S. AUG. (serm. pour le Carême.) De ce que le Christ a voulu jeûner immédiatement après son baptême, il ne faut pas en conclure qu'il nous ait imposé par là l'obligation rigoureuse de jeûner aussitôt que nous avons reçu le baptême. C'est lorsque le démon nous livre de plus violentes attaques, qu'il faut recourir au jeûne, afin que le corps s'exerce aux combats de la mortification et que l'âme puisse remporter la victoire par ses humiliations.
S. CHRYS. (sur S. Matth.) Le Seigneur connaissait le dessein que le démon avait de le tenter ; en effet le démon avait appris la naissance du Christ par l'apparition des anges, par le rapport des bergers, par les recherches des Mages et par la déclaration de Jean-Baptiste. Le Seigneur s'avança donc contre lui, non comme Dieu, mais comme homme, ou plutôt comme Dieu et homme, car il n'est pas dans la nature de l'homme de ne point éprouver la faim pendant quarante jours, comme il n'est pas dans la nature de Dieu d'être jamais soumis à la nécessité de la faim. Il eut faim, pour ne pas rendre la divinité trop évidente, car le démon aurait ainsi perdu tout espoir de le tenter, et lui-même l'occasion d'en triompher ; c'est pour cela qu'il est dit : " Après cela il eut faim. " - S. HIL. Ce ne fut pas pendant les quarante jours qu'il eut faim, mais seulement lorsqu'ils furent écoulés. Lors donc que le Seigneur éprouva le besoin de la faim, ce ne fut pas l'effet naturel du jeûne, mais parce qu'il abandonna en ce moment la nature humaine à sa faiblesse, car c'est par la faiblesse de la chair et non par la force divine que l'enfer devait être vaincu. Ainsi nous est figurée la faim mystérieuse qu'il devait avoir du salut des hommes, lorsque, les quarante jours qu'il passa sur la terre après sa résurrection étant écoulés, il porta dans les cieux à son Père ce présent si désiré de l'humanité qu'il s'était unie.

vv. 3-4.
S. CHRYS. (sur S. Matth.) Le diable qui avait désespéré de triompher du Sauveur en le voyant jeûner pendant quarante jours, reprit quelque espoir en le voyant éprouver le besoin de la faim ; aussi le texte sacré ajoute : " Et le tentateur s'approchant. " Si donc après avoir jeûné, le démon vous tente, ne dites pas : J'ai perdu le fruit de mon jeûne, car si le jeûne ne vous a pas servi a éviter la tentation, il vous donnera les forces nécessaires pour en triompher. - S. GREG. (hom. 16.) En étudiant ici l'ordre et la suite de la tentation du Sauveur, nous verrons quelle puissance nous y est acquise à nous-mêmes contre nos propres tentations. L'antique ennemi du genre humain tenta le premier homme par la sensualité en lui persuadant de manger du fruit défendu, par la vaine gloire en lui faisant cette promesse : " Vous serez comme des dieux ; " par l'avarice en lui disant : " Vous saurez le bien et le mal ; car l'avarice n'a pas seulement l'argent pour objet, mais encore la grandeur, l'élévation, lorsqu'on les désire et qu'on les recherche avec excès. Le démon fut vaincu cette fois par le second Adam, et par les mêmes moyens qui l'avaient rendu victorieux du premier. Il tenta le Sauveur par la sensualité en lui disant : " Dites que ces pierres se changent en pains ; " par la vaine gloire lorsqu'il lui dit : " Si vous êtes le Fils de Dieu, jetez-vous en bas. " Il le tenta par l'attrait de l'avarice et le désir des honneurs, lorsqu'il lui dit en lui montrant tous les royaumes de la terre : " Je vous donnerai toutes ces choses. "
S. AMB. (sur S. Luc.) Le démon commence par ce qui l'avait autrefois rendu victorieux du premier homme, c'est-à-dire par la sensualité : " Si vous êtes le Fils de Dieu, " lui dit-il, " commandez à ces pierres de se changer en pains ? " Que signifie cet exorde : que le démon savait que le Fils de Dieu devait venir sur la terre, mais qu'il ne croyait pas qu'il dût venir dans l'infirmité de la chair. Il le sonde et le tente tout à la fois, il fait profession de croire en Dieu et en même temps il se joue de l'homme. - S. HIL. (can. 3 sur S. Matth.) Il choisit pour le tenter une œuvre qui pût lui faire reconnaître Dieu dans la puissance qui changerait les pierres en pains, et lui permît en même temps de se moquer de la patience de l'homme maintenant soumise à la faim, par le plaisir qu'il trouverait dans la nourriture. - S. JER. Mais, ô Satan, tu es pris entre ces deux termes opposés : s'il ne lui faut que commander pour changer ces pierres en pain, c'est bien inutilement que tu veux tenter Celui qui est revêtu d'une si grande puissance ; et si cela lui est impossible, pourquoi soupçonner qu'il peut être le Fils de Dieu ? - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Le démon aveuglait auparavant tous les hommes, Jésus-Christ l'aveugle invisiblement à son tour. Il remarque que le Sauveur a faim après quarante jours, et il semble ne pas comprendre pourquoi il n'avait pas eu faim pendant ces quarante jours. Il doute qu'il puisse être le Fils de Dieu, et il ne voit pas qu'un puissant athlète peut descendre jusqu'à faire des choses ordinaires, tandis que celui qui est faible ne peut jamais s'élever jusqu'aux actions qui exigent de la force. Ce jeûne si prolongé sans que le Sauveur eût faim, devait être pour le démon une preuve plus évidente de sa Divinité que la faim qu'il éprouve ensuite ne devait lui faire conclure qu'il n'était qu'un homme. Mais vous me direz peut-être : Élie et Moïse ont bien jeûné pendant quarante jours, et cependant ils n'étaient que des hommes. Oui, sans doute, ils jeûnaient, mais ils souffraient du jeûne, tandis que Jésus-Christ n'éprouva aucun sentiment de la faim pendant ces quarante jours, mais seulement après. Avoir faim et supporter la faim, l'homme le peut par la patience ; mais il n'appartient qu'à la nature divine de ne pas éprouver le sentiment de la faim.
S. JER. Le dessein du Christ était de vaincre par l'humilité. - S. REMI. (Serm. 1 pour le Carême.) Aussi ce n'est point par la puissance divine, mais par les témoignages de la loi, que Jésus triomphe de son adversaire. Notre humanité s'en trouve plus honorée, et le démon plus sévèrement puni, car cet ennemi du genre humain se trouve vaincu non seulement par la force de Dieu, mais par la faiblesse de l'homme. Aussi entendez la réponse du Sauveur : " Il est écrit : l'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. " - S. GREG. (hom. 16.) Le Seigneur tenté par le démon ne lui oppose que les préceptes de la sainte Écriture ; il aurait pu refouler le tentateur jusque dans les abîmes, il aime mieux ne pas faire éclater sa puissance. Il voulait nous enseigner par son exemple, lorsque nous sommes en butte aux persécutions des méchants, à ouvrir notre âme au désir de les instruire, plutôt qu'au désir de la vengeance.
S. CHRYS. (sur S. Matth.) Il ne dit pas : " Je ne vis pas seulement de pain, " pour ne point paraître parler de lui-même, mais " l'homme ne vit pas seulement de pain, " afin de donner lieu au démon de se dire : " S'il est le Fils de Dieu, il cache sa divinité et ne veut pas laisser éclater sa puissance ; s'il est homme, il dissimule habilement son impuissance. " - RAB. Ces paroles sont tirées du Deutéronome (Dt 8, 3). Ainsi celui qui ne se nourrit pas de la parole de Dieu ne vit pas en réalité, car l'âme ne peut pas plus vivre sans la parole de Dieu, que le corps sans le pain matériel. Or on dit qu'une parole sort de la bouche de Dieu, lorsqu'il nous fait connaître sa volonté par le témoignage des Écritures.

vv. 5-7.
S. CHRYS. (sur S. Matth.) D'après la réponse que venait de faire Jésus-Christ, le démon n'avait pu savoir au juste si le Christ était vraiment Dieu ou homme ; il le met donc en face d'une autre tentation en se disant à lui-même : Celui-ci dont la faim n'a pu triompher, s'il n'est pas le Fils de Dieu, est au moins un saint. Les saints en effet peuvent se rendre supérieurs à la faim ; mais après avoir triomphé des nécessités du corps, ils succombent à la tentation de la vaine gloire. C'est pourquoi le démon voulut soumettre le Sauveur à cette tentation : " Alors, dit l'Évangéliste, le démon le transporta dans la ville sainte. " - S. JER. Ce transport de Jésus par le démon n'est pas le résultat de la faiblesse du Seigneur, mais de l'orgueil de son ennemi, qui prenait une action toute volontaire du Sauveur pour un effet de la nécessité. - RAB. Jérusalem était appelée la cité sainte, à cause du temple, du Saint des saints, et parce qu'on y adorait un seul Dieu selon la loi de Moïse. - REMI. On voit par là que les fidèles peuvent être tentés jusque dans les lieux consacrés à Dieu.
S. GRÉG. (hom. 16.) Lorsque nous entendons dire que le Fils de Dieu a été transporté par le démon dans la cité sainte, nos oreilles frémissent d'effroi. Cependant le démon est le chef de tous les méchants ; et qu'y a-t-il d'étonnant que le Sauveur ait permis au démon de le transporter sur une montagne, lui qui a bien permis aux membres du démon de le crucifier ? - LA GLOSE. Le démon conduit toujours sur les lieux élevés, il nous fait monter sur les sommets de l'orgueil, afin de nous précipiter de ces hauteurs. Voilà pourquoi il est dit : " Et il le plaça sur le haut du temple. " - REMI. Le pinacle était le lieu où s'asseyaient les docteurs. Or le temple n'avait pas de toit élevé en pente comme nos maisons, mais il était plat et surmonté d'une terrasse, comme le sont en général les habitations de la Palestine. Le temple avait trois étages, et à chaque étage un pinacle ; il y en avait même un sur le pavé. Que ce soit sur le pinacle du pavé ou sur celui d'un des étages que le démon ait placé Jésus, peu importe : ce qu'il y a de certain c'est qu'il l'a placé sur une élévation d'où l'on pouvait se précipiter. - LA GLOSE. Remarquons que toutes ces circonstances ont dû se passer d'une manière visible, car il y a ici échange de paroles ; il est donc vraisemblable que le démon s'était rendu sensible sous une forme humaine. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Vous demanderez peut-être comment le démon a pu placer corporellement le Sauveur sur le haut du temple, aux yeux de tous. On peut répondre que le démon le transportait d'une manière visible, et que lui-même, à l'insu du démon, se rendait invisible à tous les regards.

LA GLOSE. - Il le plaça sur le pinacle pour le tenter de vaine gloire, parce qu'il avait fait tomber dans ce piège de la vaine gloire beaucoup de ceux qui étaient assis dans la chaire des docteurs. Il crut pouvoir séduire de la même manière Jésus dès qu'il serait placé dans la chaire de l'enseignement ; il lui dit donc : " Si vous êtes le Fils de Dieu, jetez-vous en bas. " S. JER. En effet, dans toutes les tentations, le démon n'a qu'un but : c'est de découvrir s'il est le Fils de Dieu. Il dit : " Jetez-vous en bas, " parce que la voix du démon, qui désire toujours la chute des hommes, peut bien les persuader, mais ne peut jamais les précipiter elle-même. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Mais comment par cette proposition pouvait-il connaître s'il était le Fils de Dieu ou non : car voler par les airs n'est point proprement une œuvre divine, attendu que cette œuvre n'est utile à personne. Que quelqu'un, sur les instances qu'on lui fait, prenne son essor dans les airs, c'est uniquement par ostentation qu'il agit, et c'est une œuvre qui vient plutôt du démon que de Dieu. Si donc il suffit à l'homme sage être ce qu'il est, sans qu'il lui soit nécessaire de paraître ce qu'il n'est pas, combien moins sera-t-il nécessaire au Fils de Dieu de se découvrir, lui dont personne ne pourra jamais connaître la grandeur réelle ?
S. AMB. (sur S. Luc.) Comme Satan se transfigure en ange de lumière, et qu'il se sert des saintes Écritures elles-mêmes pour tendre des pièges aux fidèles (cf. 2 Co 11, 14), il a recours ici aux témoignages des Livres saints et il dit : " Il est écrit qu'il a ordonné à ses anges d'avoir soin de vous. " - S. JER. Nous lisons ce passage dans le psaume quatre-vingt dixième, mais il n'y est pas question du Christ, c'est une prophétie qui a rapport à l'homme juste : l'interprétation du démon est donc vicieuse. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) En réalité, le Fils de Dieu n'est pas porté par les mains des anges, mais c'est bien plutôt lui qui porte les anges, ou s'il permet que les anges le portent dans leurs mains, ce n'est point par faiblesse, pour ne point heurter son pied contre la pierre ; c'est pour recevoir l'honneur qui lui est dû comme le maître des anges. O Satan, tu as lu que le Fils de Dieu est porté dans les mains des anges, et tu n'as pas lu ce qui suit, qu'il foule aux pieds l'aspic et le basilic. Mais il cite par orgueil cette première partie du texte et il se tait sur la seconde par un sentiment de fourberie. - S. CHRYS. (hom. 13 sur S. Matth.) Remarquez encore comme Notre Seigneur cite toujours convenablement l'Écriture sainte, tandis que le démon en fait le plus mauvais usage, car ces paroles : " Il a ordonné à ses anges, " etc. ne conseillent à personne de se jeter et de se précipiter en bas. - LA GLOSE. Voici comme il faut expliquer ce passage. L'Écriture dit de tout homme juste que Dieu a commandé à ses anges, c'est-à-dire aux esprits qui lui servent de ministres, de le prendre dans leurs mains, en d'autres termes de l'entourer de leur protection, et de le garder pour qu'il ne heurte pas le pied, c'est-à-dire la bonne disposition de son âme, contre la pierre, figure ici de l'ancienne loi écrite sur des tables de pierre. On peut voir aussi dans cette pierre toute occasion de péché ou de ruine.
RAB. Remarquons que notre Sauveur, qui avait permis au démon de le porter sur le pinacle du temple, refusa d'obéir au commandement qu'il lui faisait d'en descendre. Il nous apprenait ainsi par son exemple à obéir à celui qui nous commande de monter la voie étroite de la vérité, mais à ne point écouter celui qui voudrait nous faire descendre des hauteurs de la vérité et des vertus pour nous précipiter dans l'abîme de l'erreur et des vices. - S. JER. Il brise sur le vrai bouclier des Écritures ces flèches trompeuses que le démon a voulu, mais en vain, tirer des Écritures elles-mêmes. " Jésus lui dit : Il est écrit de nouveau : Vous ne tenterez pas le Seigneur votre Dieu. " - S. HIL. En réprimant ainsi tous les efforts du démon, il atteste qu'il est le Dieu souverain maître de toutes choses. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Il ne dit pas : " Vous ne me tenterez pas, moi qui suis votre Dieu, mais " vous ne tenterez pas le Seigneur votre Dieu, " ce que pouvait dire tout homme tenté du démon, car qui tente l'homme de Dieu tente Dieu lui-même. - RAB. Ou bien encore, tout en le regardant comme un homme, il lui conseillait d'essayer par quelque prodige sa puissance auprès de Dieu. - S. AUG. (contre Faust., liv. XXII, chap. 36.) La saine doctrine veut qu'un homme qui a d'autres moyens d'action ne tente pas le Seigneur son Dieu. - S. JER. Il est à remarquer que le Sauveur ne tire les témoignages dont il a besoin que du Deutéronome, pour faire ressortir la signification mystérieuse de cette loi promulguée une seconde fois par Moïse.

vv. 7-11.
S. CHRYS. (sur S. Matth.) Le démon, que la seconde réponse du Sauveur avait laissé dans l'incertitude, en vient à la troisième tentation. Le Christ avait brisé les filets de la sensualité, il avait passé par-dessus les pièges de la vaine gloire ; il lui tend ceux de l'avarice. " Le diable, dit l'auteur sacré, le prit de nouveau, et le transporta sur une montagne très élevée. Le démon, qui avait parcouru toute la terre, connaissait quelle était de toutes les montagnes la plus élevée, et d'où, par conséquent, on pouvait découvrir une plus grande étendue de terre : c'est pour cela que l'Évangéliste ajoute : " Et il lui montra tous les royaumes de la terre et toute leur gloire. " Il les lui montra non pas en ce sens qu'il distinguât parfaitement les limites de ces royaumes, leurs villes, leurs habitants, l'or et l'argent qu'ils possédaient, mais simplement les parties de la terre où étaient situés ces royaumes, ces villes, comme si du sommet d'une haute montagne, je vous disais en vous indiquant du doigt un point de l'horizon : C'est là que se trouve Rome, ou Alexandrie, vous ne verriez pas les villes elles-mêmes, mais simplement la direction dans laquelle elles sont situées. C'est ainsi que le démon pouvait en montrant du doigt les différentes parties de la terre, exposer au Christ l'état et la gloire de chacun des royaumes qui s'y trouvaient situés ; car on montre réellement ce que l'on cherche à faire comprendre. - ORIG. (hom. 30 sur S. Luc.) Ou bien dans un autre sens, il n'est pas probable que le démon lui ait montré les royaumes du monde, celui des Perses, par exemple, puis celui des Indiens, puis celui des Mèdes ; mais il lui montra son royaume à lui, c'est-à-dire comment il dominait sur le monde, comment les uns étaient gouvernés par l'avarice, les autres par la fornication, etc. - REMI. La gloire de ces royaumes, c'est leur or, leur argent, leurs pierres précieuses, leurs biens temporels. - RAB. Le démon montra toutes ces choses au Christ, non pas qu'il ait pu étendre sa vue au-delà des limites ordinaires, ou de découvrir des choses inconnues ; mais en déroulant sous ses yeux, comme un digne objet de ses désirs, cette vanité des pompes du monde qu'il aimait lui-même, il voulait aussi lui en inspirer l'amour. - LA GLOSE. Jésus ne voit pas ainsi que nous toutes ces choses avec l'œil de la concupiscence, mais comme les médecins voient les maladies sans en être atteints eux-mêmes.

SUITE. " Et il lui dit : Je vous donnerai toutes ces choses. " Dans son arrogance et dans son orgueil, il se vante de faire ce qui dépasse son pouvoir, car il ne peut disposer de tous les royaumes, puisque nous savons qu'un grand nombre de Saints ont reçu la royauté des mains de Dieu lui-même. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Tout ce qui dans le monde est le fruit de l'iniquité, comme les richesses acquises par le vol ou par le parjure, c'est le démon qui le donne : il ne peut donc pas donner les richesses a tous ceux qu'il veut, mais seulement à ceux qui veulent les recevoir de sa main. - REMI. Quelle étrange folie dans le démon : il promet les royaumes de la terre à celui qui donne à ses fidèles le royaume du ciel, et la gloire du monde à celui qui est le souverain dispensateur de la gloire éternelle !

S. AMB. (sur S. Luc.) L'ambition porte avec elle un danger personnel : pour commander aux autres l'ambitieux se rend d'abord esclave, il se courbe sous l'autorité d'un autre pour obtenir l'honneur qu'il désire, et pour satisfaire l'ambition qu'il a de monter au premier rang, il descend aux dernières bassesses : aussi voyez comme le démon ajoute : " Si en vous prosternant vous m'adorez. " - LA GLOSE. Voilà bien l'antique orgueil du démon : de même qu'au commencement il voulut se rendre semblable à Dieu, ainsi voulait-il maintenant usurper les honneurs divins. " Si en vous prosternant vous m'adorez. " Donc celui qui veut adorer le démon tombe auparavant de tout son poids sur la terre.

SUITE. " Alors Jésus lui dit : Retire toi, Satan. " - S. CHRYS. (sur S. Matth.) C'est ainsi qu'il met fin à la tentation, et défend au démon d'aller plus avant. - S. JER. On ne peut admettre, avec plusieurs interprètes que Satan et Pierre aient été frappés de la même sentence de condamnation. Jésus dit à Pierre : " Va derrière moi Satan, " c'est-à-dire suis moi, toi qui te montres opposé à ma volonté ; tandis qu'il dit à Satan : " Retire-toi, Satan, " sans qu'il ajoute : " derrière moi, " pour laisser sous-entendre : " Va dans le feu éternel, qui t'a été préparé à toi et à tes anges. - REMI. Ou bien, en admettant la variante de certains exemplaires : " Retire-toi derrière, " c'est-à-dire souviens-toi, rappelle-toi dans quel état de gloire tu as été créé et dans quel abîme de misère tu es tombé. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Remarquez que lorsque Notre-Seigneur eut à supporter cette tentation injurieuse pour lui : " Si vous êtes le Fils de Dieu, jetez-vous en bas, " il ne s'en émeut pas, il ne fait pas de reproche au démon. Mais maintenant que ce malheureux esprit s'arroge l'honneur qui n'est dû qu'à Dieu, le Sauveur est indigné, et il le repousse par ces paroles : " Retire-toi, Satan. " Ainsi nous apprend-il à supporter avec courage les injures qui nous sont personnelles, mais à ne pas entendre sans indignation les outrages qui s'adressent à Dieu même ; car si c'est un acte louable de souffrir patiemment les injures qui nous concernent, c'est une impiété de voir d'un œil indifférent celles qui osent s'attaquer à Dieu.
S. JER. Le Démon a dit au Sauveur : " Si en vous prosternant, vous m'adorez, " et il apprend au contraire que c'est à lui à l'adorer comme son Seigneur et son Dieu. - S. AUG. (contre les discours des Ariens, chap. XXIX.) " Il est écrit : Vous adorerez le Seigneur votre Dieu, et vous ne servirez que lui seul. " Notre unique Seigneur et Dieu c'est la sainte Trinité, à laquelle nous devons à juste titre l'hommage et comme la servitude de notre religion. - S. AUG. (Cité de Dieu, liv. X, chap. 2.) Par cette servitude il faut entendre le culte qui est du à Dieu, car c'est par ce mot de servitude que les traducteurs ont rendu le mot latria latrie, toutes les fois qu'il se rencontre dans les saintes Écritures, tandis que ces rapports de subordination qui sont dus aux hommes et que saint Paul recommande lorsqu'il dit aux esclaves d'être soumis à leurs maîtres, s'expriment en grec par le mot dulie (d???a).

S. CHRYS. (sur S. Matth.) Comme on doit raisonnablement le penser, le démon se retira non par obéissance au commandement du Christ, mais parce que la divinité du Sauveur et l'Esprit saint qui étaient en lui le repoussèrent au loin. " Alors le démon le laissa. " Dieu le permit ainsi pour notre consolation, car le démon ne tente les fidèles serviteurs de Dieu, qu'autant que le Christ le lui permet, et non pas autant qu'il le veut. S'il lui accorde de nous tenter légèrement, il se bâte de le repousser pour ménager notre faible nature.
S. AUG. (Cité de Dieu, liv. IX, chap. 20.) Après la tentation, les saints anges que les esprits immondes redoutent viennent offrir leurs services au Seigneur, et par là les démons connaissaient plus clairement quelle était sa grandeur. " Et les anges s'approchèrent de Jésus, dit l'Évangéliste, et ils le servaient. " - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Il ne dit pas : " Les anges descendirent, " car ils étaient toujours sur la terre pour le servir, ils s'étaient retirés un instant, sur l'ordre du Seigneur, pour laisser agir le démon contre Jésus-Christ ; car il n'aurait pas osé s'approcher de lui, s'il l'avait vu entouré de ses anges. Dans quelles actions les anges lui prêtaient leur ministère ? Nous ne pouvons le savoir. Était-ce pour la guérison des malades, ou pour la conversion des pécheurs, ou pour mettre les démons en fuite, toutes choses qu'il fait par ses anges, bien qu'il paraisse les faire immédiatement lui-même ? Ce qui est hors de doute, c'est qu'en le servant ils ne venaient pas au secours de sa faiblesse, mais qu'ils honoraient sa puissance, car il n'est pas dit qu'ils l'aidaient, mais qu'ils le servaient. - S. GREG. (hom. 15.) Nous avons ici une preuve des deux natures réunies en une seule personne : l'homme qui est tenté par le démon, et tout à la fois le Dieu qui est servi par les anges. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Exposons rapidement le sens caché des tentations. Le jeûne c'est l'abstention du mal, la faim en est le désir, le pain en est l'usage. Celui qui approprie le péché à son usage, change la pierre en pain. Qu'il réponde donc à cet esprit séducteur que l'homme ne vit pas seulement de pain mais encore de l'observance des commandements de Dieu. Quand un chrétien vient à s'enorgueillir de sa prétendue sainteté, il est transporté sur le haut du temple, et lorsqu'il se persuade avoir atteint le sommet de la perfection, il est placé sur le pinacle du temple : cette tentation succède à la première, car la victoire que l'on remporte sur une tentation fait qu'on s'en glorifie et devient une cause de vaine ostentation. Remarquez aussi que Jésus-Christ embrasse de lui-même le jeûne, tandis que c'est le démon qui le place au-dessus du temple. A son exemple, observez volontairement les règles de l'abstinence chrétienne, mais ne vous laissez pas aller à la pensée que vous êtes parvenu au faite de la sainteté. Fuyez l'élévation du cœur et vous échapperez à votre ruine. Quant au transport sur la montagne, il figure les efforts que nous faisons pour nous élever jusqu'aux richesses, jusqu'à la gloire de ce monde, efforts qui ont pour cause l'orgueil du cœur. Lorsque vous voulez devenir riche et monter ainsi sur la montagne, vous pensez aussitôt aux moyens d'acquérir les richesses et les honneurs, et c'est afin que le prince de ce monde vous montre la gloire de son royaume. En troisième lieu, il vous fait connaître le chemin que vous devez prendre pour y arriver : c'est de le servir sans tenir aucun compte de vos devoirs envers Dieu. - S. HIL. (can. 3 sur S. Matth.) Dès que nous sommes vainqueurs du démon et que nous lui avons écrasé la tête sous nos pieds, nous voyons par cet exemple que les services des anges et les secours des vertus célestes ne nous feront pas défaut.

S. AUG. Saint Luc ne raconte pas ces tentations dans le même ordre ; on ne sait donc pas quelle fut la première. Le démon commença-t-il par montrer au Sauveur tous les royaumes du monde, et l'a-t-il transporté ensuite sur le pinacle du temple, ou bien est-ce le contraire qui est arrivé ? peu importe, dès lors qu'il est certain que ces tentations ont en lieu toutes les trois. - LA GLOSE. Le récit de saint Luc paraît cependant plus historique, et on peut dire alors que saint Matthieu a suivi l'ordre dans lequel ces tentations ont en lieu pour Adam.

vv. 12-16.
RAB. Saint Matthieu, après avoir raconté le jeûne de quarante jours, les tentations du Christ, le ministère que les anges remplissaient près de lui, ajoute aussitôt : " Jésus ayant appris que Jean avait été arrêté. " - S. CHRYS. (sur S. Matth.) sans aucun doute par la permission de Dieu, car personne ne peut rien entreprendre contre l'homme juste, que Dieu lui-même ne le lui ait abandonné. Il est dit qu'il se retira dans la Galilée, c'est-à-dire qu'il partit de la Judée, voulant réserver sa passion pour un temps plus opportun, et nous apprendre en même temps par son exemple qu'il nous était permis de fuir devant le danger. - S. CHRYS. (Hom. 14 sur S. Matth.) Car on n'est pas coupable pour ne pas se jeter de soi-même dans le danger, mais pour manquer de courage lorsqu'on y est tombé. Il se retire de la Judée pour calmer l'envie des Juifs, accomplir une prophétie, et rechercher les moyens de prendre dans ses filets les futurs docteurs du monde qui habitaient la Galilée. Voyez encore, il doit aller chez les Gentils, mais il y est forcé par les Juifs, car c'est en jetant dans les fers son précurseur qu'ils forcent Jésus de passer dans la Galilée des nations. - LA GLOSE. D'après le récit de saint Luc, il vint à Nazareth où il avait été élevé, et là il entra dans la Synagogue où il lut et dit plusieurs choses qui portèrent les Juifs à vouloir le précipiter du haut de la montagne. C'est alors qu'il vint demeurer à Capharnaüm comme l'indique le récit de saint Matthieu : " Après avoir quitté la ville de Nazareth, il vint habiter Capharnaüm. " - S. JER. Nazareth est un bourg de la Galilée près de la montagne du Thabor ; Capharnaüm est une ville située dans la Galilée des Gentils, auprès du lac de Génésareth, et c'est pour cela qu'elle est appelée ville maritime. - LA GLOSE. Il ajoute : Sur les frontières de Zabulon et de Nephtali, parce que c'est là qu'avait eu lieu la première captivité des Hébreux sous les Assyriens. La première prédication de l'Évangile se fait donc dans les régions qui les premières avaient oublié la loi, pour se répandre de là comme d'un lieu également à portée des deux peuples, sur les Gentils et sur les Juifs. - REMI. Il abandonne une ville, Nazareth, pour aller éclairer un plus grand nombre d'âmes par ses prédications et par ses miracles, et il apprend ainsi par son exemple aux ministres de l'Évangile à prêcher la parole divine dans les temps et dans les lieux où elle doit être utile à un plus grand nombre.
SUITE. " Afin que cette parole du prophète fût accomplie : La terre de Zabulon et la terre de Nephtali, etc. " Dans le prophète Isaïe on lit : " Au commencement Dieu a soulagé la terre de Zabulon et la terre de Nephtali, et à la fin, sa main s'est appesantie sur la Galilée des nations qui est le long de la mer, au delà du Jourdain. - S. JER. Ce pays, selon le prophète, fut dans les premiers temps déchargé du poids de ses péchés ; car c'est au milieu de ces deux tribus que le Sauveur prêcha d'abord son Évangile ; mais leur foi fut comme appesantie parce qu'un grand nombre de Juifs persistèrent dans leur incrédulité. Cette mer dont parle ici l'Évangéliste, n'est autre que le lac de Génézareth, qui est formé par les eaux du Jourdain. Sur ses bords sont situées Capharnaüm, Tibériade, Bethsaïde et Corozaim, villes dans lesquelles surtout Jésus-Christ annonça l'Évangile. D'après les Hébreux convertis au christianisme, ces deux tribus de Zabulon et de Nephtali furent emmenées captives par les Assyriens, et le pays qu'elles habitaient, la Galilée, rendue déserte, fut soulagée du poids de leurs péchés, selon l'expression du prophète. Plus tard, les autres tribus qui habitaient au delà du Jourdain et dans la Samarie eurent le même sort, et c'est pour cela, remarquent ces mêmes auteurs, que l'Écriture dit ici que le peuple de cette contrée a été le premier réduit en captivité, et que le premier aussi il vit la lumière que Jésus-Christ répandait par ses prédications. Oui bien, selon les Nazaréens, la venue du Christ délivra d'abord la terre de Zabulon et de Nephtali des erreurs des Pharisiens, et plus tard, grâce au zèle apostolique de saint Paul, la prédication fut surchargée, c'est-à-dire multipliée sur les frontières des nations. LA GLOSE. Dans cette phrase de l'Évangile, tous ces divers nominatifs se rapportent à un seul et même verbe, de manière à présenter ce sens : " La terre de Zabulon et la terre de Nephtali, qui est le chemin de la mer et qui est au delà du Jourdain (c'est-à-dire le peuple de la Galilée des nations, qui marchait dans les ténèbres), a vu une grande lumière, " etc.
S. JÉR. (sur Isaïe). Remarquez qu'il y a deux Galilées, la Galilée des Juifs, et celle des Gentils. La Galilée fut divisée sous le règne de Salomon, qui donna vingt villes de cette province à Hiram, roi de Tyr, et cette partie fut appelée Galilée des nations, l'autre Galilée des Juifs. On peut lire aussi : " Au delà du Jourdain, de la Galilée des nations, " de sorte que le peuple qui était assis ou qui marchait dans les ténèbres vit une lumière qui n'était pas faible comme celle des prophètes, mais la grande lumière de celui qui a dit de lui-même dans l'Évangile : " Je suis la lumière du monde. "

SUITE. " La lumière s'est levée sur ceux qui étaient assis dans la région de l'ombre de la mort. " Il y a cette différence, je crois, entre la mort et l'ombre de la mort, que la mort est le partage de ceux qui sont descendus aux enfers avec leurs œuvres, tandis que l'ombre de la mort est l'état de ceux qui sont aussi dans le péché, mais qui n'ont pas encore quitté cette vie et qui peuvent, s'ils le veulent, faire pénitence. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) On peut dire aussi que les Gentils étaient assis dans l'ombre de la mort, parce qu'ils adoraient les idoles et les démons, tandis que les Juifs qui faisaient les œuvres de la loi n'étaient que dans les ténèbres, parce que la justice de Dieu ne leur était pas encore clairement révélée. S. CHRYS. (hom. 10 Sur S. Matth.) Il faut bien comprendre qu'il n'est pas ici question de lumière ou de ténèbres sensibles ; c'est pour cela que l'Évangéliste appelle cette lumière une grande lumière, et ailleurs la vraie lumière (cf. Jn 5, 9), de même que pour désigner les ténèbres, il emploie cette expression d'ombre de la mort. Voulant ensuite nous montrer que ce n'est pas en cherchant eux-mêmes Dieu qu'ils l'ont trouvé, mais que Dieu s'est manifesté à leurs regards, il dit que la lumière s'est levée et a brillé sur eux. En effet, ils n'ont pas couru les premiers au devant de la lumière, car avant la venue de Jésus-Christ les hommes étaient plongés dans des maux extrêmes, ils ne marchaient pas dans les ténèbres, mais ils y étaient assis, signe évident qu'ils n'espéraient pas de délivrance. Ils ne savaient plus de quel côté marcher ; enveloppés tout entiers par les ténèbres, ils ne pouvaient plus même se tenir debout, et se voyaient forcés de s'asseoir. Les ténèbres désignent ici l'erreur et l'impiété.
REMI. - Dans le sens allégorique, Jean et les autres prophètes sont la voix qui précède le Verbe. Lorsque le prophète eut cessé de parler, et qu'il fût jeté dans les fers, le Verbe parait pour accomplir ce qu'avait annoncé la voix, c'est-à-dire le prophète. Et il se retira dans la Galilée, c'est-à-dire de la figure pour aller vers la vérité, ou bien dans la Galilée, c'est-à-dire dans l'Église, car c'est en elle seule que l'on peut passer du vice à la vertu. Nazareth veut dire fleur, Capharnaüm, la ville très-belle. Il quitte la fleur des figures qui annonçait les fruits de l'Évangile, et il vient dans l'Église embellie des vertus du Christ. Elle est appelée maritime parce qu'elle est placée sur les flots, et qu'elle est tous les jours battue par les tempêtes des persécutions. Elle est située sur les confins de Nephtali et de Zabulon, c'est-à-dire qu'elle est commune aux Juifs et aux Gentils. Zabulon signifie maison de la force, parce que les apôtres, qui ont été choisis parmi les Juifs, ont été remplis de force ; Nephtali veut dire dilatation, parce que l'Église, composée de Gentils, s'est étendue par toute la terre. - S. AUG. (de l'Acc. des Evang. liv. II, chap. 17.) Saint Jean l'Évangéliste, avant le voyage de Jésus en Galilée place la vocation de Pierre, d'André, de Nathan et le miracle de Cana en Galilée, toutes choses dont ne parlent par les autres Évangélistes, qui mêlent à leur narration le retour de Jésus en Galilée, Il faut en conclure qu'il s'est écoulé quelques jours pendant lesquels arrivèrent les faits que saint Jean intercale dans son récit.

REMI. - Mais il faut examiner avec soin comment saint Jean a pu dire que le Sauveur avait été dans la Galilée avant que saint Jean-Baptiste eût été mis en prison ; car c'est après le changement de l'eau en vin, après le séjour de Jésus à Capharnaüm, après son retour à Jérusalem, que, d'après le récit de saint Jean, il revint dans la Judée, et qu'il y baptisait. Or, à cette époque Jean-Baptiste n'était pas encore incarcéré. Ici au contraire, comme dans saint Marc, nous lisons que Jésus se retira en Galilée après que Jean-Baptiste fut arrêté. Il n'y a toutefois aucune contradiction. Car saint Jean l'Évangéliste raconte le premier voyage du Sauveur dans la Galilée, voyage qui eut lieu avant l'incarcération de Jean-Baptiste. Ailleurs il fait mention en ces termes d'un second voyage dans la même contrée : " Jésus quitta la Judée, et revint de nouveau dans la Galilée, " et c'est de ce second voyage seulement qui eut lieu après que Jean-Baptiste eût été jeté en prison, que les autres Évangélistes font mention. - EUSEBE. (Hist. ecclés., liv. III, chap. 18.) En effet, nous savons par la tradition que saint Jean l'Évangéliste prêcha de vive voix l'Évangile presque jusqu'à la fin de sa vie sans avoir absolument rien écrit. Lorsqu'il eut pris connaissance des trois premières Évangiles, il en approuva l'exactitude et la vérité, mais il y remarqua quelques lacunes, surtout dans la première année de la prédication du Sauveur. Il est certain, en effet, que les trois premiers Évangélistes rapportent exclusivement les événements qui ont en lieu l'année où Jean-Baptiste fut jeté en prison ou mis à mort. Car saint Matthieu et saint Marc, après la tentation du Christ, ajoutent aussitôt : " Jésus apprenant que Jean avait été mis en prison, etc. " Saint Luc avant de raconter aucune action de la vie du Christ, dit tout d'abord qu'Hérode fit jeter Jean-Baptiste en prison. Saint Jean fut donc prié d'écrire les faits de la vie du Sauveur qui avaient précédé l'emprisonnement de Jean-Baptiste, et c'est pour cela que nous lisons dans son Évangile : " Tel fut le premier miracle de Jésus. "

v. 17.
S. CHRYS. (sur S. Matth.) Celui-là seul a le droit de prêcher la justice chrétienne qui peut résister à ses appétits sensuels, mépriser les biens de ce monde, étouffer tout désir de vaine gloire. Aussi l'Évangéliste écrit-il avec raison : " Depuis ce temps, " c'est-à-dire après qu'il eût triomphé de la tentation de la faim dans le désert, méprisé les séductions de la cupidité sur la montagne, repoussé la vaine gloire sur le pinacle du temple. Ou bien, " depuis ce temps là, " c'est-à-dire depuis que Jean-Baptiste fut mis en prison, Jésus commença le cours de ses prédications ; car s'il l'eût commencé alors que Jean continuait encore ses prédications, il eût amoindri la réputation de son précurseur et détruit l'utilité de la doctrine de Jean par la comparaison qu'on en aurait fait avec la sienne. C'est ainsi que le soleil éclipse la beauté de l'étoile du matin, lorsqu'il la rencontre sur l'horizon. S. CHRYS. (Hom. 14 sur S. Matth.) Jésus n'a point prêché avant que Jean-Baptiste fût mis en prison, pour ne pas diviser la multitude. C'est pour une raison semblable que Jean ne fit pas de miracle (cf. Jn 10, 41), pour laisser au Sauveur le moyen d'attirer tous les hommes à lui. - RAB. Il nous apprend par là à ne jamais mépriser la parole d'un inférieur, ce qui a fait dire à l'apôtre : " Si une révélation est faite à un autre de ceux qui sont assis parmi vous, que celui qui parlait auparavant se taise. "

S. CHRYS. (sur S. Matth.) Jésus fait paraître sa sagesse dans la manière dont il commence le cours de ses prédications ; il ne détruit point la doctrine prêchée par Jean-Baptiste, mais il l'appuie et montre la vérité de son témoignage. - S. JER. C'est en cela qu'il prouve qu'il est le Fils de ce même Dieu dont Jean avait été le prophète, et c'est pour cela qu'il dit : " Faites pénitence. " - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Ce n'est point tout d'abord la justice qui fait le sujet de ses prédications, tous la connaissent ; mais c'est la pénitence dont tous avaient besoin. Quel est donc celui qui a osé dire : " Je veux être bon, et je ne le puis ? " Est-ce que la pénitence ne redresse pas la volonté ? Si la crainte des maux dont on vous menace ne peut vous amener à la pénitence, laissez-vous conduire, du moins, par l'attrait des biens qui vous sont promis, écoutez en effet ce qui suit : " Le royaume des cieux, est proche, " c'est-à-dire le bonheur du royaume des cieux comme s'il disait : Préparez-vous par la pénitence, car le temps de la récompense éternelle est proche. " - REMI. Remarquez qu'il ne dit pas le royaume des Chananéens ou des Jébuséens, mais le royaume des cieux : la loi promettait des biens purement temporels, le Seigneur promet un royaume éternel.

S. CHRYS. (homel. 14. sur S. Matth.) Considérez aussi, que dans cette première prédication, il ne dit rien ouvertement de lui-même, ce qui était convenable pour le moment, car le peuple n'avait pas encore de sa personne l'opinion qu'il devait en avoir. Ce premier discours ne renferme non plus aucun reproche, aucune menace, comme ceux de saint Jean lorsqu'il leur parlait de cognée, d'arbre coupé et de choses semblables ; Jésus ne propose en commençant que des vérités douces, il annonce, il promet son royaume.
S. JER. Dans le sens mystique, le Christ ne commence ses prédications qu'après l'emprisonnement de saint Jean, parce que l'Évangile doit commencer à paraître, alors que la loi a cessé d'exister.

vv. 18-22
S. CHRYS. (sur S. Matth.) Avant de rien faire, avant de rien dire, Jésus-Christ appelle ses Apôtres, car il veut qu'aucune de ses paroles, qu'aucune de ses actions ne soit cachée pour eux ; et qu'ils puissent dire plus tard avec confiance : " Nous ne pouvons point taire ce que nous avons vu et entendu. " C'est ce que veut exprimer l'Évangéliste : " Jésus, marchant sur les bords de la mer de Galilée. " - REMI. La mer de Galilée n'est autre que le lac de Génésareth, la mer de Tibériade est le lac des Salines. - LA GLOSE. C'est avec raison que Jésus va sur les bords de la mer, puisqu'il veut y prendre des pécheurs dans ses filets. Le texte ajoute : " Il vit deux frères ; Simon, appelé Pierre, et André son frère. - REMI. Il les vit plutôt des yeux de l'esprit que des yeux du corps, et c'est leurs cœurs qui étaient l'objet de ses regards. - S. CHRYS. (homél. 19 sur S. Matth.) Il les surprend alors qu'il vient les appeler, au milieu de leurs occupations, parce qu'il veut nous apprendre, que pour le suivre, il faut quitter toute autre affaire. C'est pour cela qu'il est dit : " Qu'ils jetaient alors leurs filets dans la mer. " C'était en effet, une des occupations de leur état, comme l'Évangéliste le remarque : " Car ils étaient pécheurs. "

S. AUG. (serm. pour les calendes de janv.) (cf. 1 Co 1). Il ne choisit ni des rois, ni des sénateurs, ni des philosophes, ni des orateurs, mais des plébéiens, des pauvres, des pêcheurs sans instruction. - S. AUG. (Traité VII sur S. Jean.) S'il avait choisi des savants, peut-être auraient-ils dit qu'ils étaient choisis en considération de leur science. Mais Notre-Seigneur Jésus-Christ qui a voulu briser l'orgueil des superbes, n'a point cherché à prendre des pêcheurs par des orateurs, mais c'est par des pêcheurs qu'il a gagné des empereurs. Cyprien est un grand orateur, mais nous voyons avant lui Pierre qui n'était que pêcheur. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Leur profession était aussi un symbole de leur dignité future, car de même que le pêcheur lorsqu'il jette ses filets dans l'eau, ignore quels poissons il va prendre, ainsi le prédicateur lorsqu'il jette sur le peuple qui l'écoute le filet de la parole divine, ignore quels sont ceux qui vont venir à Dieu, c'est Dieu lui-même qui excite ceux qui doivent embrasser sa doctrine.

REMI. Le Seigneur parle de ces pêcheurs par la bouche du prophète Jérémie (Jr 16), en ces termes : " Je vous enverrai mes pêcheurs, et ils vous prendront dans leurs filets. " C'est pour cela que l'Évangéliste ajoute ici ces paroles de Notre-Seigneur : " Venez à ma suite. " - LA GLOSE. Venez, non pas tant en me suivant extérieurement, qu'en m'aimant, et en m'imitant, et je vous ferai pêcheurs d'hommes. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) C'est-à-dire docteurs ; et c'est avec le filet de la parole de Dieu que vous devez prendre et retirer les hommes de ce monde si fécond en tempêtes et en naufrages, où les hommes ne marchent pas, mais sont entraînés avec violence, parce que le démon se sert de l'attrait du plaisir pour les précipiter dans cet abîme de maux, ou les hommes se dévorent les uns les autres, comme on voit dans la. mer les plus petits poissons dévorés par les grands ; prenez-les donc afin de les faire vivre sur la terre, lorsqu'ils seront devenus les membres du corps de Jésus-Christ.

S. GREG. (homél. sur les Evang.) Ni Pierre ni André, n'avaient vu Jésus-Christ opérer des miracles ; ils ne l'avaient pas entendu parler des récompenses éternelles, et cependant, sur le seul commandement qu'il leur fait, ils abandonnent tout ce qu'ils paraissent posséder : " Aussitôt, ils quittèrent leurs filets, et le suivirent. " Ce qu'il faut apprécier ici, c'est plutôt la disposition de leur âme que l'importance de ce qu'ils abandonnent. C'est beaucoup laisser que de ne se réserver rien, c est beaucoup abandonner que de renoncer non seulement à ce qu'on possède, mais à tout ce qu'on pourrait désirer encore. Pour suivre Jésus-Christ, ils abandonnent donc réellement tout ce qu'ils auraient pu désirer, en ne s'attachant pas à lui. Le Seigneur se contente de nos biens extérieurs, quelque peu considérables qu'ils soient ; il regarde moins à la grandeur des biens qu'on lui offre qu'à la générosité du sentiment qui les lui sacrifie. Le royaume de Dieu est d'un prix inestimable, il vaut tout ce que vous avez.

S. CHRYS. (sur S. Matth.) Ces disciples ont suivi Jésus-Christ, non pour l'honneur attaché au titre de docteur, mais pour les fruits qu'ils espéraient produire, car ils savaient combien est précieuse l'âme de l'homme, combien Dieu désire son salut, et quelle en est la récompense. - S. CHRYS. (homél. 14 sur S. Matth.) Ils ajoutèrent donc foi à de si magnifiques promesses, et ils crurent qu'ils prendraient les autres dans les mêmes fileta de cette parole qui les avaient pris eux-mêmes. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Pleins de ces désirs, ils abandonnèrent tout pour suivre Jésus-Christ et nous apprirent par ce sacrifice qu'on ne peut à la fois posséder les choses de la terre, et parvenir à la possession parfaite des biens célestes. - LA GLOSE. Ces disciples nous offrent donc le premier exemple du renoncement aux biens de la terre pour l'amour de Jésus-Christ. Le fait suivant nous donnera l'exemple du sacrifice fait à Dieu des affections de la chair. Nous lisons en effet : " Et de là s'avançant, il vit deux autres frères. " Remarquez qu'il les appelle deux par deux, comme plus tard nous lisons qu'il les envoie prêcher deux à deux. - S. GREG. (homél. 17 sur les Evang.) Il nous enseigne par là d'une manière implicite que celui qui n'a pas la charité fraternelle ne doit pas se charger du ministère de la prédication, car il y a deux préceptes de la charité, et il faut au moins deux personnes pour qu'elle puisse s'exercer. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) C'est avec raison que Jésus a fait reposer les fondements de son Église sur la charité fraternelle, afin que la sève sortant avec abondance de cette racine pût se répandre dans toutes les branches. Et ce n'est pas seulement ici la charité produite par la grâce, mais l'affection naturelle pour que la charité reçoive ce double et ferme appui de la nature et de la grâce ; voilà pourquoi l'Évangéliste dit qu'ils étaient frères. C'est ainsi que Dieu avait agi dans l'Ancien Testament en posant les bases de l'ancienne loi sur les deux frères Moise et Aaron. Or, comme la grâce est plus abondante dans le Nouveau Testament que dans l'Ancien, Dieu fait reposer les fondements de la société chrétienne sur deux sentiments de cette nature, tandis que le premier peuple ne reposait que sur un seul. " Il vit Jacques, " fils de Zébédée, dit l'Évangéliste, et Jean son frère, raccommodant leurs filets, " c'était un signe de très-grande pauvreté, car s'ils étaient obligés de raccommoder leurs vieux filets, c'est qu'ils ne pouvaient en acheter de neufs. Nous avons encore ici une preuve de leur amour filial ; dans leur pauvreté, ils n'abandonnent pas leur père, mais ils l'emmènent avec eux dans leur barque, non pour les aider dans leur travail, mais pour consoler eux-mêmes sa vieillesse par leur présence. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Tout annonce ici une vertu éminente, supporter facilement la pauvreté, vivre d'un travail honnête, être unis intimement par l'amour de la vertu, avoir leur père avec eux, et subvenir à ses besoins. - S. CHRYS. (homél. 14 Sur S. Matth.) Devons-nous estimer que les premiers furent plus actifs que les derniers dans le ministère de la prédication, parce que les uns jettent leurs filets à la mer, tandis que les autres les raccommodent ? nous n'oserions le dire, Jésus-Christ seul connaît la différence qui peut exister entre eux.
Peut-être les uns nous sont-ils représentés jetant leurs filets à cause de Pierre qui prêche l'Évangile, mais sans le laisser par écrit, tandis que nous voyons les autres réparer leurs filets en figure de Jean qui a composé son Évangile.

SUITE. " Et il les appela. " Ils étaient concitoyens d'une même ville, l'amitié les unissait, ils avaient la même profession, ils s'aimaient comme des frères, et Jésus ne voulut pas que, réunis en tant de points, ils fussent séparés dans leur vocation. - S. CHRYS. (homél. 14 sur S. Matth.) En les appelant, il ne leur promit rien comme aux premiers, car l'obéissance leur avait ouvert la voie. Ils avaient d'ailleurs entendu parler souvent de lui, à cause des liens du sang et de l'amitié qui les unissaient entre eux.

SUITE. " Aussitôt, ayant laissé là leurs filets, ils le suivirent. " - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Celui qui veut suivre Jésus-Christ doit renoncer à trois choses : aux œuvres de la chair qui sont figurées par les filets des pêcheurs ; aux biens de ce monde dont la barque est le symbole ; aux affections de la famille signifiées par le père des deux apôtres. Ils laissent donc une barque, pour devenir les pilotes du vaisseau de l'Église ; ils laissent leurs filets, car ils ne veulent plus apporter de poissons dans les villes de la terre, mais conduire les hommes dans la cité des cieux ; ils laissent un père, pour devenir eux-mêmes les pères spirituels du monde entier. - S. HIL. (Cant. 3 sur S. Matth.) En renonçant à leur profession et au foyer paternel, ils nous apprennent que pour suivre Jésus-Christ, il faut être libre des sollicitudes de cette vie, aussi bien que des habitudes de la vie de famille.

REMI. Dans le sens mystique, la mer figure le monde à cause de l'amertume de ses eaux et de l'agitation de ses flots ; le mot Galilée signifie mouvement rapide ou roue, et il exprime le cours rapide des choses humaines. Jésus a marché sur les bords de la mer, lorsqu'il est venu à nous par son incarnation, car ce n'est pas la chair du péché, mais la ressemblance (cf. Rm 8, 3) de cette chair qu'il a prise dans le sein de la Vierge. Les deux frères désignent les deux peuples qui tous les deux ont Dieu pour créateur et pour père ; et ce Dieu les vit, lorsqu'il tourna vers eux les regards de sa miséricorde. En effet, Pierre, qui signifie celui qui connaît et qui est appelé Simon, c'est-à-dire celui qui obéit, est la figure du peuple juif qui puisa dans la loi la connaissance de Dieu, et obéit à ses préceptes. André veut dire fort ou d'un aspect agréable, et il représente la gentilité qui persévère courageusement dans la foi aussitôt qu'elle a reçu la connaissance de Dieu. Dieu appela ces peuples lorsqu'il envoya ses prédicateurs dans le monde, en leur disant : " Venez à ma suite, " c'est-à-dire laissez celui qui vous trompe, pour suivre celui qui vous a créé. Dans l'un comme dans l'autre peuple, Dieu choisit des pêcheurs d'hommes, c'est-à-dire des prédicateurs qui, laissant leur barque, figure des désirs de la chair, et leurs filets, c'est-à-dire les convoitises du siècle, ont suivi aussitôt le Sauveur. Jacques représente aussi le peuple juif qui a supplanté le démon et ruiné son empire par la connaissance du vrai Dieu. Jean est la figure du peuple païen qui doit uniquement son salut à la grâce. Zébédée, que ses enfants abandonnent, et dont le nom signifie celui qui fuit, celui qui tombe, représente le monde qui passe, et le démon précipité du haut des cieux. Pierre et André, qui jettent leurs filets dans la mer, figurent aussi ceux qui dès leurs premières années jettent loin de la barque de leur corps les filets de la concupiscence charnelle pour suivre le Seigneur. Jacques et Jean qui raccommodent leurs filets représentent ceux qui avant d'être punis des fautes qu'ils ont commises, viennent à Jésus-Christ pour recouvrer ce qu'ils avaient perdu. - RAB. Les deux barques figurent les deux Églises, l'Église de la circoncision, et l'Église de la gentilité. Tout fidèle aussi peut devenir Simon par son obéissance à Dieu ; Pierre, par la connaissance et l'aveu de son péché ; André, par son courage dans les épreuves ; Jacques, par son zèle à détruire et supplanter le mal. - LA GLOSE. Jean vient ensuite pour que tout soit attribué à la grâce. Il n'est question ici que de la vocation de quatre apôtres comme figure des prédicateurs qui seront appelés des quatre parties du monde. - S. HIL. On peut y voir aussi une figure des quatre Évangélistes.

REMI. Ou bien encore dans ces quatre apôtres nous pouvons voir une figure des quatre vertus principales, dans Pierre la prudence, à cause de la connaissance qu'il a de Dieu, dans André la justice, à cause de l'énergie de ses actes, dans Jacques la force, parce qu'il supplante le diable, et dans son frère Jean la tempérance, comme effet de la grâce divine.

S. AUG. (De l'accord des Evang., liv. II, chap. 17.) On peut-être surpris de ce que saint Jean rapporte que c'est sur les bords du Jourdain, et non dans la Galilée qu'André a suivi le Sauveur avec un autre dont il tait le nom, et que ce n'est que par la suite que ce dernier reçut de lui le nom de Pierre. Les trois autres Évangélistes s'accordent assez sur la vocation des apôtres qui eut lieu au moment où ils pêchaient, du moins saint Matthieu et saint Marc, car saint Luc ne nomme pas André, laissant toutefois supposer qu'il était dans la même barque. Il y a encore ici une différence ; d'après le récit de saint Luc, le Seigneur n'adresse qu'à Pierre ces paroles : " Dès ce moment vous serez pêcheur d'hommes, " tandis que d'après saint Matthieu et saint Marc, Jésus les aurait dites à tous les deux. Mais elles ont pu très bien être dites d'abord à Pierre seulement, comme le rapporte saint Luc, et plus tard à tous les deux, ainsi que le racontent les cieux autres Évangélistes. Ce que nous avons dit du récit de saint Jean, demande toute notre attention, car il y a dans ce récit de grandes différences pour le temps, pour les lieux, et pour la vocation elle-même des Apôtres. Il faut donc entendre que Pierre et André ne attachèrent pas au Seigneur pour ne plus s'en séparer, du jour où ils le virent sur les bords du Jourdain ; ils connurent simplement alors qui il était, et ils retournèrent à leurs occupations pleins d'admiration pour sa personne. Peut-être aussi saint Matthieu récapitule en cet endroit ce qu'il avait omis, car sans marquer aucune distinction de temps, il dit : " Or Jésus marchant sur le bord de la mer. " On peut demander encore pourquoi les apôtres sont appelés deux par deux, d'après le récit de saint Matthieu et de saint Marc, tandis que saint Luc rapporte que Jacques et Jean ont été appelés comme les compagnons de Pierre et pour venir à son aide (cf. Lc 5, 6), et qu'ils ont suivi Jésus-Christ après avoir ramené leurs barques à bord. Il faut donc admettre que le fait raconté par saint Luc s'est passé en premier lieu, et qu'alors les Apôtres ont repris leurs occupations ordinaires, la pêche des poissons. Jésus en effet n'avait pas encore dit à Pierre cette parole : " Qu'il ne prendrait plus jamais de poissons, " puisqu'il en prit encore après la résurrection, mais seulement qu'il prendrait des hommes. Ce que racontent saint Matthieu et saint Marc n'eut lieu que plus tard, et les Apôtres en ramenant alors leurs barques à bord pour le suivre, n'avaient pas la pensée de reprendre leurs occupations, mais celle d'obéir au Seigneur qui leur commandait de le suivre.
S. CHRYS. (sur S. Matth.) Avant d'aller combattre l'ennemi, un roi songe tout d'abord à réunir son armée, et c'est avec elle qu'il entre en campagne. C'est ainsi que notre Seigneur avant d'entreprendre la guerre contre le démon rassemble tout d'abord ses apôtres, et commence ensuite à prêcher l'Évangile : c'est ce qu'indique le texte sacré : " Et Jésus allait par toute la Galilée. " - REMI. Les docteurs trouvent ici le modèle qu'ils doivent imiter, il est dit de Jésus qu'il parcourait toute la Galilée, pour leur apprendre à fuir l'oisiveté. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Ces peuples étaient trop faibles pour venir trouver le médecin, ce médecin dévoué allait donc de toutes parts chercher ces malades atteints d'infirmités mortelles. Le Seigneur parcourait toutes les contrées, mais les pasteurs qui ne sont préposés qu'à la garde d'un seul pays, doivent au moins parcourir en détail toutes les infirmités du peuple qui leur est confié, afin de pouvoir appliquer à chacune d'elles le remède qui lui convient, et que l'Église tient en réserve.

REMI. Ces paroles : " Par toute la Galilée, " apprennent aux pasteurs à ne jamais faire acception de personnes ; les paroles suivantes : " En enseignant " à ne point parcourir la terre sans produire de fruits, et ces autres : " Dans les synagogues " de préférer l'utilité du plus grand nombre à l'intérêt de quelques-uns seulement. - S. CHRYS. (Hom. 14 sur S. Matth.) Jésus entre dans les synagogues des Juifs, et il y répand les paroles de la doctrine céleste. Il veut que les paroles du Maître parviennent aux oreilles d'un plus grand nombre, afin que leurs cœurs soient excités à embrasser raisonnablement la foi, ou que par un aveuglement inexcusable ils rejettent à leur grand préjudice une doctrine aussi salutaire. Car l'Évangile est une vive lumière, qu'on ne peut sans crime cacher sous le boisseau, ce que Jésus a expressément défendu. Par là aussi il faisait voir qu'il ne venait pas se mettre en opposition avec Dieu, qu'il n'était pas un apôtre d'erreurs, mais qu'il était en parfaite harmonie avec son Père.

REMI. Les paroles suivantes : " Prêchant l'Évangile du royaume, " nous enseignent qu'il ne faut prêcher ni erreurs ni fables mensongères. Les deux termes : " Enseignant et prêchant, " ne sont pas synonymes ; enseigner a pour objet les choses présentes ; prêcher, les choses futures ; Notre-Seigneur enseignait les commandements qu'il fallait observer actuellement, et il prêchait les promesses futures. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Ou bien, il enseignait les vertus naturelles que la raison nous fait connaître, la chasteté, l'humilité et autres vertus semblables, qui sont des biens réels au jugement de tous. S'il faut en faire la matière de l'enseignement, ce n'est point tant pour les faire connaître, que pour en réveiller le désir dans les cœurs ; car sous l'action prédominante des plaisirs de la chair, la science de la justice naturelle tombe en oubli et s'endort en quelque sorte au rond des cœurs. Or, lorsque celui qui enseigne, condamne ces inclinations charnelles, sa parole ne donne pas de nouvelles connaissances, elle rappelle celles qu'on avait oubliées. Il prêchait l'Évangile en annonçant des biens dont les anciens n'avaient jamais entendu parler clairement, tels que le bonheur du ciel, la résurrection des morts et l'autres vérités semblables. Ou bien il enseignait en montrant que les prophéties s'accomplissaient en lui, et il prêchait l'Évangile en faisant connaître les biens futurs dont il devait nous mettre en possession.

REMI. Les paroles qui suivent : " Guérissant toutes les langueurs et toutes les infirmités parmi le peuple, " apprennent aux prédicateurs que leur enseignement doit s'appuyer sur leurs vertus ; la langueur exprime ici les maladies de l'âme, l'infirmité celles du corps. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Ou bien la langueur figure certaines passions de l'âme, comme l'avarice, l'impureté, et autres de ce genre ; l'infirmité serait la figure de l'infidélité, qui est le mal de ceux qui sont infirmes dans la foi. Ou bien les langueurs sont les maladies plus graves du corps, et les infirmités les plus légères. Or Jésus guérissait les maladies du corps par sa puissance divine, et celles de l'âme par ses pieux entretiens. Il enseigne d'abord, et puis il guérit, et cela pour deux raisons : d'abord pour commencer par le plus nécessaire, car les pieux entretiens édifient l'âme, ce que ne font pas les miracles ; en second lieu parce que la doctrine s'appuie sur les miracles et non pas les miracles sur la doctrine.

S. CHRYS. (hom. 14 sur S. Matth.) Il est à remarquer que toutes les fois que Dieu promulgue une loi, il opère des miracles, et les donne comme gages de sa puissance à ceux qui doivent recevoir sa loi. Avant de créer l'homme il avait tiré le monde du néant, et ce n'est qu'après ce miracle de sa puissance qu'il lui intime ses ordres dans le paradis. Avant de donner sa loi à Noé, il le rend témoin de grands prodiges ; avant de promulguer la loi ancienne, il opère également des miracles aux yeux des Juifs. C'est ainsi qu'au moment de promulguer cette loi nouvelle et sublime, il en confirme la vérité par l'autorité des miracles. Comme le royaume qu'il prêchait était invisible, il le rend manifeste par des prodiges extérieurs et sensibles.

LA GLOSE. Les prédicateurs doivent avoir un bon témoignage du dehors, autrement le mépris de leur personne rejaillit sur leur enseignement, voilà pourquoi l'Évangéliste ajoute : " Et sa réputation se répandit par toute la Syrie. " RAB. La Syrie s'étend de l'Euphrate à la Grande Mer, et de la Cappadoce à l'Égypte, et elle comprend la province de Palestine habitée par les Juifs.
S. CHRYS. (hom. 14 sur S. Matth.) Remarquez la réserve de l'Évangéliste, qui sans parler de chaque guérison en particulier se contente de les renfermer toutes, quelque nombreuses qu'elles soient, dans ces expressions si courtes : " Et ils lui présentèrent tous ceux qui étaient malades. " - REMI. Nous devons entendre par là toutes les infirmités si variées, mais les plus légères. Lorsqu'il ajoute : " Et tous ceux qui étaient malades et affligés de diverses sortes de maux, " il veut parler de ceux que l'Évangéliste spécifie plus bas : " Les possédés, les lunatiques, etc. " - LA GLOSE, La langueur est une maladie chronique, et la douleur est une maladie aigue, comme une douleur de côté ou autre de cette nature ; ceux qu'il appelle possédés sont ceux qui étaient tourmentés par le démon. - REMI. Les lunatiques sont ainsi appelés, parce qu'ils sont plus souffrants à l'époque de la croissance et de la décroissance de la lune. - S. JER. Les démons avaient observé cette influence de la lune, et en prenaient occasion de blasphémer l'ouvrage de Dieu et de faire remonter jusqu'à lui ce blasphème. - S. AUG. (Cité de Dieu, chap. 6.) Les démons sont attirés par des attraits conformes à leur nature, à faire leur habitation dans la créature qui n'est pas leur œuvre, mais œuvre de Dieu. Ils ne sont pas attirés comme les animaux par des appétits sensuels, mais comme les esprits par des signes ou chacun d'eux trouve son plaisir. - RAB. Les paralytiques sont ceux dont la force corporelle est comme dissoute, car le mot grec se traduit en latin par dissolutio, dissolution.

SUITE. " Et il les guérit. " - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Dans d'autres endroits nous lisons : " Il en guérit beaucoup : " ici l'Évangéliste dit simplement : " Et il les guérit, " pour marquer qu'il les guérit tous sans exception, comme ferait un nouveau médecin, qui, à son arrivée dans une ville prendrait soin de tous ceux qu'on lui présenterait pour établir sa réputation. - S. CHRYS. (hom. 14 sur S. Matth.) Il n'exige d'aucun d'eux la foi, parce qu'il n'avait pas encore donné de preuves de sa puissance. D'ailleurs en venant de si loin, et en apportant leurs malades, ils avaient témoigné une foi assez grande.

SUITE. " Et une grande multitude de peuple le suivait. " - RAB. On peut la diviser en quatre classes ; les disciples qui le suivent attirés par ses divines leçons, d'autres par les guérisons qu'il opère, ceux-ci par sa réputation et par un motif de curiosité pour voir si ce que l'on disait de lui était vrai, ceux-là par l'envie, et par le désir de le prendre en faute sur quelque point et de l'accuser. Au sens mystique, la Syrie veut dire superbe ; la Galilée inconstante ou la roue, c'est-à-dire le démon et le monde dominé par l'orgueil, et toujours porté à rouler dans les choses basses. La prédication y fait connaître le nom du Christ. Les possédés du démon ce sont les idolâtres ; les lunatiques, ceux qui sont inconstants, les paralytiques, les paresseux et les dissolus. - LA GLOSE La multitude qui suit le Seigneur appartient à l'Église, qui dans un sens spirituel est tout à la fois la Galilée qui passe du vice à la vertu, la Décapole, à cause des dix commandements qu'elle doit observer ; Jérusalem et la Judée, parce qu'elle reçoit la double lumière de la vision de paix et de la confession de la foi. Elle est située au delà du Jourdain parce qu'après avoir traversé les eaux du baptême, elle entre dans la terre promise. - Ou bien cette multitude qui suit le Seigneur vient de la Galilée, c'est-à-dire de l'inconstance du monde, de la Décapole, région qui comprenait dix villes, et qui figure les transgresseurs du Décalogue ; de Jérusalem, parce qu'ils étaient retenus par les douceurs d'une paix innocente, de la Judée, c'est-à-dire d'une doctrine diabolique ; et d'au delà du Jourdain parce qu'ils vivaient auparavant au sein de l'idolâtrie, et que ce n'est qu'en traversant les eaux du baptême qu'ils sont arrivés jusqu'à Jésus-Christ.