ÉVANGILE DE SAINT MATHIEU PAR SAINT THOMAS D'AQUIN

CATANA AUREA DE SAINT THOMAS D'AQUIN SUR SAINT MATTHIEU

CHAPITRE VIII

vv. 1-4.
S. JER. Après la prédication et l'exposé de la doctrine, l'occasion se présente de faire des miracles pour confirmer par leur vertu et par leur éclat les enseignements du Sauveur. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Notre-Seigneur enseignait comme ayant autorité ; mais pour ôter toute apparence d'ostentation à cette manière d'enseigner, il la continue dans ses oeuvres miraculeuses, où il fait éclater le pouvoir qu'il avait de guérir ; c'est pourquoi l'Évangéliste dit : " Jésus étant descendu de la montagne, une grande foule de peuple le suivait. " - ORIG. Tandis que le Seigneur enseignait sur la montagne il n'avait avec lui que ses disciples auxquels il avait été donné de connaître les secrets de la céleste doctrine ; maintenant qu'il descend de la montagne, il est suivi par la foule qui n'avait pu monter avec lui, car celui qui est accablé du fardeau de ses péchés ne peut point gravir les sublimes hauteurs des mystères. Mais lorsque le Seigneur descend et s'abaisse jusqu'à l'infirmité, jusqu'à l'impuissance des autres hommes, et qu'il a pitié de leurs imperfections et de leurs faiblesses, une grande foule de peuple le suit, les uns par un sentiment de charité, la plupart attirés par sa doctrine, quelques-uns parce qu'il les guérissait et prenait soin d'eux.
HAYM. Ou bien encore, par cette montagne sur laquelle le Seigneur s'assied, il faut entendre le ciel dont il est écrit : " Le ciel est mon trône. " Lorsque le Seigneur est assis sur la montagne, ses disciples seuls s'approchent de lui, car avant qu'il se fût revêtu de notre nature fragile, Dieu n'était connu que dans la Judée. Mais lorsqu'il descendit des hauteurs de sa divinité pour prendre les faiblesses de notre humanité, les nations le suivirent en foule. Il apprend ainsi aux docteurs à suivre dans leurs prédications un genre tempéré, et à toujours annoncer la parole de Dieu de la manière qu'ils jugeront plus propre à la faire comprendre. Les docteurs montent sur la montagne lorsqu'ils enseignent aux plus parfaits les préceptes les plus sublimes, et ils en descendent lorsqu'ils développent à ceux qui sont plus faibles, les devoirs plus faciles de la vie chrétienne.

S. CHRYS. (sur S. Matth.) Parmi ceux qui ne purent gravir la montagne, se trouvait le lépreux qui ne pouvait monter, accablé sous le poids de ses péchés, car le péché de nos âmes est une véritable lèpre. Notre-Seigneur descend donc des hauteurs du ciel comme d'une montagne élevée pour guérir la lèpre de nos péchés, et le lépreux se présente à lui comme s'il attendait qu'il fût descendu ; c'est pourquoi il est dit : " Et voici qu'un lépreux venant à lui. " - ORIG. (homél. 51.) Jésus guérit lorsqu'il est descendu, et il n'opère aucun prodige sur la montagne, car toute chose a son temps sous le ciel ; il y a le temps de la doctrine, et le temps de la guérison des malades. Sur la montagne il a enseigné, il a pris soin des âmes, il a guéri les cœurs ; après ces oeuvres spirituelles, comme il est descendu des hauteurs des cieux pour sauver des hommes revêtus d'une chair mortelle, voici qu'un lépreux vient à lui et l'adore. Avant de rien demander, il l'adore, et professe ainsi les sentiments de religion qui l'animent. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Il ne demandait point sa guérison au Seigneur comme à un homme habile dans l'art de guérir, mais il l'adorait comme Dieu. Ce qui rend la prière parfaite c'est la foi et la confession que nous en faisons ; aussi le lépreux satisfait au précepte de la foi en adorant, et il accomplit l'obligation de la confession par le langage qu'il tient. " Il l'adorait en lui disant : " - ORIG. (homél. 5.) Seigneur, c'est par vous que toutes choses ont été faites ; si vous voulez, vous pouvez me guérir ; vouloir et faire sont pour vous une même chose, et toutes les oeuvres obéissent à votre volonté. Vous avez autrefois guéri de la lèpre Naaman le Syrien par le prophète Élisée, et si vous le voulez maintenant, vous pouvez aussi me guérir. - S. CHRYS. (hom. 26 sur S. Matth.) Il ne dit pas : " Si vous le demandez à Dieu, " ou bien " si vous recourez à la prière, " mais : " si vous le voulez, vous pouvez me guérir, " il ne dit pas non plus : " Seigneur, guérissez-moi, " mais il s'abandonne entièrement à lui, le proclame maître absolu, et confesse que sa puissance s'étend à toutes choses. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Au médecin spirituel, il offre une récompense spirituelle ; on reconnaît les services des médecins avec de l'argent ; c'est par la prière qu'on s'acquitte à l'égard de ce divin médecin des âmes, car nous ne pouvons rien offrir à Dieu qui soit plus digne de lui qu'une prière dictée par la foi. Lorsque le lépreux dit à Jésus : " Si vous voulez, " ce n'est pas qu'il doute que la volonté du Sauveur ne soit disposée à toute sorte de bonnes oeuvres ; mais comme la santé du corps n'est pas utile à tous, il ne savait pas si la guérison lui serait avantageuse. Il lui dit donc : " Si vous le voulez, " c'est-à-dire je crois que vous ne pouvez vouloir que ce qui est bon, mais j'ignore si ce que je demande l'est également.
S. CHRYS. (hom. 26.) Il pouvait guérir ce lépreux par le seul acte de sa volonté, ou par une seule parole ; cependant il veut y employer les mains et le toucher. " Et ayant étendu la main, il le toucha. " C'est ainsi qu'il fait voir qu'il n'est pas soumis à la loi, et que rien n'est impur pour celui qui est pur lui-même. Élisée au contraire, pour se conformer aux prescriptions de la loi, ne sortit pas de sa demeure pour toucher Naaman, il se contenta de l'envoyer se laver dans le Jourdain. Le Seigneur prouve que ce n'est pas comme serviteur, mais comme maître qu'il touche et guérit ; car sa main ne fut point souillée par l'attouchement de la lèpre, mais le corps souillé de lèpre fut purifié par le contact de cette main si pure. En effet le Sauveur n'est pas venu seulement pour guérir les corps, mais aussi pour conduire les âmes vers la véritable sagesse. De même donc qu'il ne défendait plus de manger sans s'être lavé les mains, de même il nous apprend ici que nous ne devons redouter que la lèpre de l'âme, c'est-à-dire le pêché, et que la lèpre du corps n'est en aucune façon un obstacle pour la vertu.
S. CHRYS. (sur S. Matth.) Notre-Seigneur paraît violer la lettre de la loi, mais il en respecte l'intention. La loi en effet défendait de toucher la lèpre, parce qu'il était impossible que celui qui la touchait ne fût pas atteint de la contagion. Le but de cette défense n'était donc point de mettre obstacle à la guérison du lépreux, mais de garantir de cette maladie contagieuse ceux qui seraient tentés de le toucher. Or le Sauveur en touchant la lèpre n'en fut pas atteint, au contraire il la guérit par ce contact, et par là même il nous apprend qu'il n'y a que la lèpre de l'âme qui soit à craindre. - S. JEAN DAMAS. Il n'était pas seulement Dieu, il était homme aussi, et c'est pourquoi il opérait les miracles par l'intermédiaire du toucher et de la parole, car son corps lui servait comme d'instrument pour l'accomplissement de ces actions toutes divines. - S. CHRYS. (hom. 24.) Personne encore ne l'accuse de toucher un lépreux, car l'envie ne s'était pas encore emparée de ceux qui venaient l'entendre. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) S'il l'avait guéri sans parler, qui aurait pu savoir à quelle puissance était due cette guérison ? Notre-Seigneur avait la volonté de guérir, c'était pour le lépreux ; il prononce une parole de guérison, c'est pour ceux qui sont présents : " Je le veux, soyez guéri. " - S. JER. La plupart des interprètes latins unissent ensemble, mais à tort, ces deux mots en leur donnant ce sens : " Je veux guérir ; " il faut les séparer de cette manière : Notre-Seigneur dit d'abord : " Je le veux, " puis il ajoute cette parole de commandement : " Soyez guéri. " En effet le lépreux avait dit : " Si vous le voulez ; " Notre-Seigneur lui répond : " Je le veux ; " il avait dit : " Vous pouvez me guérir ; " le Sauveur répond : " Soyez guéri. "
S. CHRYS. (hom. 26.) Nous ne voyons pas que dans les actions les plus éclatantes, le Seigneur ait jamais prononcé ce mot : " Je le veux ; " il l'emploie dans cette circonstance pour affermir l'opinion que le peuple et le lépreux avaient de sa puissance. - S. CHRYS. (homél. 26.) La nature obéit à ce commandement avec une respectueuse promptitude, comme l'indiquent les paroles suivantes : " Et aussitôt sa lèpre fut guérie ; " mais ce mot " aussitôt " ne saurait exprimer la rapidité de cette guérison. - ORIG. (homél. 5.) Le lépreux n'a point hésité à croire, sa guérison ne se fait pas attendre ; il n'a point différé de professer sa foi, il est immédiatement purifié. - S. AUG. (de l'arc. des Evang., liv, 2, chap. 19.) Saint Luc rapporte aussi la guérison de ce lépreux, mais dans un autre endroit. Il suit en cela la méthode des Évangélistes qui placent plus loin dans leur récit ce qu'ils ont omis précédemment, ou qui racontent par anticipation ce qui n'est arrivé que plus tard, suivant en cela l'inspiration divine qui leur faisait écrire de souvenir ce qu'ils avaient appris auparavant.
S. CHRYS. (hom. 26.) Après avoir opéré cette guérison, Jésus défend au lépreux d'en parler à personne. Et Jésus lui dit : " Gardez-vous de parler de ceci à personne. " Quelques-uns prétendent qu'il lui fit cette défense afin que la malignité ne pût s'emparer contre lui de cette guérison, ce qui n'a pas de sens. En effet en guérissant ce lépreux, a-t-il laissé le moindre doute sur sa guérison ? Si donc il lui défend d'en parler, c'est pour nous apprendre à éviter l'ostentation et la vaine gloire. Lors donc qu'il commande à un autre malade qu'il avait guéri de publier sa guérison, c'est pour nous enseigner que nous devons avoir une âme reconnaissante, car ce n'est pas sa propre gloire, mais celle de Dieu, qu'il lui ordonne de publier. Par l'un de ces deux infirmes, le lépreux, il nous apprend donc à fuir la vaine gloire ; par l'autre, à éviter l'ingratitude et à tout rapporter à la gloire de Dieu. - S. JER. Et en effet, quelle nécessité de publier de vive voix ce que la guérison de son corps faisait assez connaître ? - S. HIL. (can. 7 sur S. Matth.) Ou bien le silence lui est commandé parce que cette guérison ne lui est accordée qu'après qu'il l'a demandée.

" Mais allez, montrez-vous au prêtre. " - S. JER. Il l'envoie se présenter aux prêtres, premièrement pour lui faire pratiquer l'humilité par cet acte de déférence à leur égard ; secondement pour sauver les prêtres eux-mêmes, s'ils voulaient croire au Sauveur du monde, et les rendre inexcusables s'ils ne voulaient pas croire ; et en même temps pour prévenir le reproche qu'ils lui firent si souvent de violer la loi. - S. CHRYS. (homél. 26.) Il ne la violait pas toujours, de même qu'il ne l'observait pas en toute circonstance ; mais tantôt il en négligeait les prescriptions pour ouvrir la voie à la sagesse de l'avenir, tantôt il les observait pour réprimer les discours insolents des Juifs, et condescendre à leur faiblesse. C'est pour la même raison que nous voyons les apôtres garder quelquefois, et quelquefois laisser de côté les observances de la loi. - ORIG. (homél. 5.) Ou bien il envoie ce lépreux se présenter aux prêtres pour qu'ils reconnaissent que ce n'est point par la vertu ordinaire de la loi, mais par l'efficacité de la grâce, qu'il a obtenu sa guérison.
S. JER. La loi ordonnait à ceux qui avaient été guéris de la lèpre d'offrir des présents aux prêtres. C'est pour cela que Notre-Seigneur ajoute : " Et offrez le don prescrit par Moïse afin qu'il leur serve de témoignage. " - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Il ne faut pas entendre ces paroles en ce sens que Moïse ait prescrit cette offrande pour servir de témoignage aux prêtres. Notre-Seigneur dit : " Allez et offrez ce don pour qu'il leur serve de témoignage. - S. CHRYS. (hom. 26.) Le Sauveur prévoyait qu'ils ne tireraient aucun profit de ce miracle, aussi ne dit-il pas : " Pour les rendre meilleurs, " mais " pour être un témoignage " (c'est-à-dire un chef d'accusation et de preuve) que j'ai fait tout ce que je devais faire. Il a bien prévu en effet qu'ils ne réformeraient pas leur vie, il n'a pas laissé de faire ce qu'il jugeait nécessaire. Mais pour eux ils ont persévéré dans la malice qui leur était propre. Il ne dit pas non plus : " Le don que je prescris, " mais, " le don que prescrit Moïse ; " il les renvoie ainsi de temps en temps à la loi pour fermer la bouche des méchants. Il ne veut pas qu'on puisse dire qu'il a ravi aux prêtres la gloire qui leur appartenait ; il accomplit l'oeuvre de la guérison, mais il leur laisse le soin d'en constater la preuve. - ORIG. (homél, 5.) Ou bien, offrez votre présent, afin que tous ceux qui vous verront accomplir cette prescription croient au miracle de votre guérison.
S. CHRYS. (sur S. Matth.) Ou bien encore, il lui ordonne de faire l'offrande prescrite, afin que si plus tard les prêtres avaient l'intention de le chasser, il pût leur dire : " Vous avez accepté mon offrande, comme venant d'un homme parfaitement guéri ; pourquoi donc me chassez-vous aujourd'hui comme lépreux ? " - S. HIL. (can. 7 sur S. Matth.) - Ou bien encore, on peut admettre ce sens : " Que Moïse a ordonné comme témoignage pour eux, " car ce que Moïse a ordonné dans la loi, n'est pas un effet mais un témoignage.
BEDE. (Dimanche 3 après l'Epiph.) Peut-être sera-t-on surpris de ce que Notre-Seigneur paraît ici approuver le sacrifice prescrit par Moïse et que l'Église n'admet pas ; qu'on se rappelle donc que le Sauveur n'avait pas encore offert par sa passion son corps en holocauste. Or il entrait dans les desseins de Dieu que les sacrifices figuratifs fussent offerts jusqu'au temps où la divinité de celui qu'ils figuraient eût été annoncée par la prédication des Apôtres, et reconnue par la foi de tous les peuples. Or cet homme qui était non-seulement lépreux, mais d'après saint Luc tout couvert de lèpre (Lc 5), est la figure du genre humain ; car tous ont péché et ont besoin de la gloire de Dieu (Rm 3), c'est-à-dire qu'ils ont besoin que le Sauveur étende sur eux la main (par l'incarnation du Verbe de Dieu uni à la nature humaine) pour les guérir des vanités de leurs anciennes erreurs. C'est ainsi qu'après avoir été longtemps un objet d'abomination et d'horreur et rejetés hors du camp du peuple de Dieu, il leur est enfin permis d'entrer dans le temple, et de venir offrir leur corps comme une hostie vivante à celui dont le roi-prophète a dit : " Tu es prêtre pour l'éternité. " (Ps 109).
REMI. Le lépreux, au sens moral, signifie le pécheur ; car le péché rend l'âme impure et la couvre de mille plaies. Le pécheur se prosterne aux pieds de Jésus-Christ, lorsqu'il est confus des péchés qu'il a commis ; cependant il doit les confesser, et demander le remède de la pénitence, à l'exemple du lépreux qui découvre ses plaies et en la guérison. Le Seigneur étend la main lorsqu'il accorde le secours de sa divine miséricorde, qui est immédiatement suivi de la rémission des péchés. Le pécheur toutefois ne doit être réconcilié à l'Église que par le jugement du prêtre.

vv. 5-9
S. CHRYS. (sur S. Matth.) Notre-Seigneur, après avoir enseigné ses disciples sur la montagne, et guéri ce lépreux lorsqu'il fut descendu dans la plaine, vient à Capharnaüm pour y accomplir un mystère, celui de la guérison des Gentils, qui vient après celle des Juifs. - HAYM. Capharnaüm, dont le nom signifie la terre de l'abondance ou le champ de la consolation, figure l'Église formée par la réunion des Gentils. C'est elle qui est remplie de cette abondance spirituelle dont il est dit (Ps 62) : " Que mon âme soit remplie et comme rassasiée et comme engraissée ; " elle qui au milieu des tribulations de cette vie reçoit les consolations célestes dont parle le même roi-prophète : " Vos consolations ont réjoui mon âme. " (Ps 93.) C'est pour cela que l'Évangéliste nous dit : " Lorsqu'il fut entré à Capharnaüm, le centurion s'approcha de lui. "

S. AUG. (serm. 6 sur les paroles du Seign.) Ce centurion était Gentil d'origine, car déjà la Judée était occupée par les armées romaines. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Il fut le premier fruit de la foi chez les Gentils, et en comparaison de sa foi, celle des Juifs ne fut qu'incrédulité. Il n'avait pas entendu les enseignements du Sauveur, il n'avait pas été témoin de la guérison du lépreux, mais à peine l'eut-il apprise que sa foi alla bien au delà de ce qu'on lui racontait. Il était en cela la figure de ces nations qui devaient croire dans la suite sans avoir lu ni la loi ni les prophéties qui annonçaient le Christ, et sans l'avoir vu lui-même opérer des prodiges. Il s'approche donc de lui et lui fait cette prière : " Seigneur, mon serviteur est couché et malade de paralysie dans ma maison, et il souffre extrêmement. " Voyez la bonté du centurion qui se hâte plein de sollicitude pour la santé de son serviteur. Ce n'est pas un intérêt d'argent, c'est sa vie même que la mort de son serviteur semble devoir compromettre. Il ne fait aucune différence entre le maître et le serviteur ; car quoiqu'ils n'aient ni la même dignité, ni le même rang dans le monde, ils ont une même nature. Mais voyez aussi la foi de ce centurion, qui ne dit pas : " Venez et sauvez-le, " car tout en étant pour lors dans cet endroit, le Seigneur était présent en tout lieu ; admirez en même temps sa sagesse, car il ne lui dit pas : " Sauvez-le sans quitter d'ici. " Il savait en effet que sa puissance peut tout, que sa sagesse comprend tout, et que sa miséricorde est toujours prête à nous exaucer. Il se contente donc de lui exposer l'infirmité de son serviteur en lui disant : " Et il souffre extrêmement, " et il laisse le choix du remède à sa puissance miséricordieuse. On voit par là qu'il aimait son serviteur, car on s'imagine toujours que celui qu'on aime, quelque légère que soit son indisposition, est plus mal qu'il ne l'est en réalité. - RAB. Il accumule avec douleur tous ces mots : gisant, paralytique, souffrant, pour exprimer les angoisses de son âme et émouvoir le Seigneur. C'est ainsi que tous les maîtres doivent compatir aux souffrances de leurs serviteurs et en prendre soin.
S. CHRYS. (hom. 27.) Il en est qui prétendent qu'en parlant de la sorte le centurion donne la raison pour laquelle il n'a point amené son serviteur, car il n'était pas possible de transporter un homme brisé par ses souffrances et presque au dernier soupir. Pour moi je vois dans ces paroles l'indice d'une grande foi : le centurion savait qu'une parole seule suffirait pour guérir ce paralytique, et il regardait comme inutile de l'amener à Jésus. - S. HIL. (can. 7 sur S. Matth.) Au sens spirituel on doit regarder les Gentils comme des malades en ce monde, anéantis sous le poids des maladies suites de leurs péchés, à qui leurs membres languissants et sans vigueur ne permettent ni de se soutenir ni de marcher. Le mystère de leur guérison s'accomplit dans le serviteur du centurion, qui, comme nous l'avons dit suffisamment, est le chef des nations qui devaient embrasser la foi. Quel est ce chef ? Le cantique de Moïse dans le Deutéronome nous l'apprend par ces paroles : " Il a marqué les bornes des nations d'après le nombre des anges de Dieu. (Dt 32, 8) - REMI. Ou bien le centurion figure les premiers qui crurent parmi les nations et qui pratiquèrent les vertus chrétiennes dans la perfection. Car on appelle centurion celui qui commande à cent hommes, et le nombre cent est un nombre parfait. C'est donc avec raison que le centurion prie pour son serviteur, de même que les prémices des nations prièrent le Seigneur pour le salut de toute la Gentilité.
S. JER. Notre-Seigneur voyant la foi, l'humilité et la prudence du centurion, promit aussitôt d'aller lui-même guérir son serviteur. Et Jésus lui dit : " J'irai et je le guérirai. " - S. CHRYS. (hom. 27.) Jésus fait ici ce qu'il n'a jamais fait jusqu'à présent. Partout ailleurs nous le voyons suivre la volonté de ceux qui s'adressent à lui ; ici il la prévient ; il promet au centurion non-seulement de guérir, mais d'aller visiter lui-même son serviteur, voulant ainsi nous faire connaître la foi du centurion.

S. CHRYS. (sur S. Matth.) En effet, si le Sauveur ne lui avait pas dit : " J'irai et je le guérirai, " jamais le centurion n'eût répondu : " Je ne suis pas digne. " C'est aussi parce qu'il le prie pour son serviteur, que Notre-Seigneur promet d'aller le visiter, et il nous apprend ainsi à ne pas cultiver l'amitié des grands en méprisant les petits, mais à honorer également les pauvres et les riches. Nous trouvons admirable la foi du centurion qui crut que son serviteur paralytique pouvait être guéri par le Sauveur ; son humilité n'est pas moins éclatante lorsqu'il se reconnaît indigne que le Seigneur entre dans sa maison. Et le centurion lui répondit : " Seigneur, je ne suis pas digne que vous entriez sous mon toit. " - RAB. (cf. Lc 7) La conscience qu'il avait de sa vie païenne lui fit craindre que cette condescendance du Seigneur ne fût pour lui plutôt un fardeau qu'un secours ; car s'il croyait en lui, il n'avait cependant pas encore été renouvelé par les sacrements. - S. AUG. (serm. 6 sur les paroles du Seign.) En proclamant son indignité, il s'est rendu digne de voir entrer non pas dans sa maison, mais dans son cœur, le Christ Verbe de Dieu. Il n'eût point tenu un tel langage, s'il n'avait déjà porté dans son cœur celui qu'il craignait de voir entrer dans sa maison, et son bonheur eût été beaucoup moins grand si Jésus fût entré dans sa maison sans entrer dans son âme.
SEVER. Dans le sens mystique, ce toit, cette demeure, c'est le corps qui sert d'enveloppe à l'âme et qui par un dessein du ciel couvre à tous les regards la liberté de l'âme. Or Dieu ne dédaigne pas de faire sa demeure dans notre chair mortelle, ni d'entrer sous le toit de notre corps. - ORIG. (homél. 5.) Et maintenant encore lorsque de saints et vertueux prêtres entrent dans votre maison, le Seigneur y entre avec eux, et c'est lui-même que vous devez considérer dans leur personne. Et encore lorsque vous mangez le corps du Seigneur et que vous buvez son sang, c'est également le Seigneur qui entre sous votre toit ; humiliez-vous donc en sa présence, et dites : " Seigneur, je ne suis pas digne, " etc. Car lorsqu'il entre dans une âme qui est indigne de le recevoir, il n'y entre que pour sa condamnation. - S. JER. Le centurion nous fait voir la sagesse qui l'anime en pénétrant au delà de l'enveloppe du corps pour voir la divinité qu'elle recouvrait ; c'est pour cela qu'il ajoute : " Mais dites seulement une parole, et mon serviteur sera guéri. " - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Il savait qu'autour de lui se tenaient invisiblement rangés les anges pour le servir, pour accomplir chacun de ses ordres, et qu'à leur défaut, les maladies disparaissent devant ses paroles pleines de vie. - S. HIL. (can. 7 sur S. Matth.) Le centurion dit qu'une seule parole peut guérir son serviteur, parce que le salut des nations dépend tout entier de la foi, et que la vie de tous les hommes est dans l'accomplissement des préceptes du Seigneur ; aussi ajoute-t-il : " Car quoique je ne sois moi-même qu'un homme soumis au pouvoir, ayant des soldats sous moi, je dis à l'un : allez, et il va ; et à l'autre : venez, et il vient ; et à mon serviteur : faites cela, et il le fait, " - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Le centurion, sous l'inspiration de l'Esprit saint, retrace ici le mystère des relations du Père et du Fils, comme s'il disait : " Quoique je sois placé sous la puissance d'un autre, j'ai cependant le pouvoir de commander à ceux qui sont sous moi : et vous aussi, quoique soumis à votre Père en tant qu'homme, vous avez cependant le pouvoir de commander aux anges. " Sabellius, qui ne veut pas faire de distinction entre le Père et le Fils, voudrait nous donner cette explication : " Si moi, qui suis placé sous la puissance d'un autre, je puis cependant commander ; à plus forte raison, vous qui n'êtes sous la puissance de personne. " Mais le texte lui-même est contraire à cette interprétation : car le centurion ne dit pas : " Si moi qui suis un homme soumis à l'autorité, " mais : " car moi qui suis un homme soumis à la puissance d'un autre, " paroles qui prouvent qu'il a voulu faire un raisonnement non pas de disparité, mais bien de similitude entre Jésus-Christ et lui. - S. AUG. (serm. sur les paroles du Seig.) Si moi qui suis soumis à l'autorité d'un autre, j'ai le pouvoir de commander, que ne pouvez-vous pas, vous de qui relèvent toutes les puissances ? - LA GLOSE. Vous pouvez, par le ministère des anges et sans vous rendre présent, dire à la maladie de se retirer et elle se retirera ; à la santé de venir, et elle viendra.

HAYM. On peut voir dans les serviteurs du centurion les vertus naturelles qui brillaient dans un grand nombre de Gentils, ou bien les pensées bonnes et les pensées mauvaises. Aux unes nous devons dire : retirez-vous, et elles se retireront ; aux autres : venez, et elles viendront ; nous devons également commander à notre serviteur, c'est-à-dire à notre corps, de se soumettre à la volonté de Dieu.

S. AUG. (de l'accord des Evang. ; liv. 2, chap. 20.) Le récit de saint Matthieu paraît ici en opposition avec celui de saint Luc (Lc 7), où nous lisons : " Le centurion, ayant entendu parler de Jésus, lui envoya quelques-uns des anciens d'entre les Juifs, le priant de venir et de guérir son serviteur ; " et plus loin : " comme il était peu éloigné de la maison, le centurion lui envoya ses amis pour lui dire : " Seigneur, ne vous donnez pas cette peine, car je ne suis pas digne que vous entriez dans ma maison. " - S. CHRYS. (hom. 27.) Quelques interprètes pensent que ce n'est pas le même personnage dont il est question dans ces deux récits, et cette opinion ne manque pas de probabilité. En effet, les Juifs parlant de l'un, disent à Jésus : Il a construit notre Synagogue, et il aime notre nation, " tandis que le Sauveur lui-même a fait de l'autre cet éloge : " Je n'ai pas trouvé autant de foi dans Israël, " paroles qui feraient supposer qu'il était Juif. Pour moi, je pense que c'est le même dont parlent les deux Évangélistes. (cf. Jn 4, 43-54) Lorsque saint Luc raconte qu'il envoya prier Jésus de venir, il a voulu faire ressortir les bonnes dispositions des Juifs pour cet officier : car il est probable que le centurion voulant lui-même faire cette démarche en fut empêché par les Juifs qui s'empressèrent de lui dire : Nous irons nous-mêmes, et nous vous l'amènerons. Mais lorsqu'il fut débarrassé de leurs instances il envoya dire au Sauveur : " Ne pensez pas que c'est par indifférence que je ne suis pas venu en personne, c'est que je me jugeais indigne de vous recevoir dans ma maison. " Que saint Matthieu lui fasse tenir ce langage à lui-même sans l'intermédiaire de ses amis, il n'y a pas de contradiction, les deux Évangélistes expriment le vif désir de cet homme, et l'idée juste qu'il se faisait du Christ. On peut encore admettre qu'après avoir envoyé ses amis, il vint en personne exprimer les mêmes sentiments. Si saint Luc omet un détail, et saint Matthieu un autre, ils ne sont pas pour cela en contradiction, mais ils complètent réciproquement leurs récits. - S. AUG. (de l'acc. des Evange., liv. 2, chap. 20.) Saint Matthieu ne nous a pas raconté la démarche que le centurion avait faite près de Jésus par l'intermédiaire d'autres personnes, parce que son dessein était de faire ressortir sa foi (qui donne accès auprès de Dieu) et dont le Sauveur a fait ce magnifique éloge : " Je n'ai pas trouvé même dans Israël une si grande foi. " Saint Luc au contraire raconte le fait dans tous ses détails pour nous faire comprendre de quelle manière cet homme vint trouver Jésus selon le récit de saint Matthieu, qui n'a pu nous tromper. - S. CHRYS. (hom. 27.) Il n'y a point non plus de contradiction à dire d'un côté que cet homme a élevé une synagogue et de l'autre qu'il n'était pas israélite, car il peut très bien se faire que sans être Juif il eût construit une synagogue et qu'il aimât la nation juive.

vv. 10-13.
S. CHRYS. (hom. 27.) Le lépreux avait confessé la puissance de Jésus-Christ en lui disant : " Seigneur, si vous voulez, vous pouvez me guérir, " et Notre-Seigneur avait confirmé ces paroles en lui répondant : " Je le veux, soyez guéri ; " de même ici, non-seulement il ne blâme pas, mais il relève avec éloge le témoignage que le centurion vient de rendre à sa puissance. Il fait même quelque chose de plus, car l'Évangéliste, voulant faire ressortir l'étendue de cet éloge, ajoute : " Jésus, entendant ces paroles, " etc. - ORIG. Considérez la grandeur, l'excellence de ce que le Fils unique de Dieu, Dieu lui-même, daigne admirer. L'or, les richesses, les royaumes, les empires sont devant lui comme une ombre ou comme une fleur qui tombe. Aucune de ces choses n'a droit à l'admiration de Dieu par sa grandeur ou par son prix ; la foi seule a ce privilège, il l'admire, il lui rend hommage, il proclame qu'elle lui est agréable.

S. AUG (sur la Genése contre les Manich., liv. 1, chap. 8.) Mais qui avait produit en lui cette foi, si ce n'est Dieu même qui l'admirait ? Et si un autre que lui en était l'auteur, pourquoi donc admirer ce qu'il avait dû prévoir ? Si donc le Seigneur donne ces marques d'admiration, c'est pour nous apprendre à ressentir nous-mêmes ces sentiments d'admiration dont nous avons encore besoin. Pour Jésus-Christ, au contraire, ces mouvements n'étaient pas le signe d'une âme agitée, mais ils tenaient à la forme même de son enseignement. - S. CHRYS. (hom. 27.) Voilà pourquoi l'Évangéliste nous dit qu'il fut dans l'admiration en présence de tout le peuple, afin de lui donner l'exemple : " Et il dit à ceux qui le suivaient ; Je vous le dis en vérité, " etc. - S. AUG. (contre Fauste, liv. 22, chap. 74.) Il fit l'éloge de sa foi, mais il ne lui commanda pas d'abandonner la carrière des armes. - S. JER. Notre-Seigneur ne parle ici que de ceux qui vivaient alors, et non pas de tous les patriarches et de tous les prophètes des temps anciens. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) En effet, André crut en Jésus-Christ, mais à la parole de Jean qui lui disait : " Voici l'Agneau de Dieu. " Pierre crut également, mais sur le témoignage d'André ; Philippe crut aussi, mais après avoir lu les Écritures, et Nathanaël n'offrit à Jésus l'hommage de sa foi qu'après avoir reçu de lui une preuve de sa divinité. - ORIG. (hom. 25.) Jaïre, un des princes d'Israël, venant prier Jésus pour sa fille, ne lui dit pas : " Dites seulement une parole, " mais : " Venez au plus vite. " Nicodème, écoutant les divines leçons du Sauveur sur le mystère de la foi, s'écria : " Comment cela peut-il se faire ? " Marthe et Marie disent à Jésus : " Seigneur, si vous aviez été ici, mon frère ne fut pas mort, " et elles semblent douter que la puissance divine pût s'étendre à tous les lieux.

S. CHRYS. (sur S. Matth.) Si nous voulons reconnaître dans le centurion une foi plus grande que dans les Apôtres, il nous faut entendre le témoignage de Jésus-Christ en ce sens que le bien dans un homme doit se mesurer à sa position personnelle ; c'est ainsi que nous admirons une parole sage dans la bouche d'un homme sans instruction, tandis qu'elle n'aura rien d'étonnant dans celle d'un philosophe. C'est dans ce sens que Jésus a dit du centurion : " Je n'ai trouvé nulle part autant de foi dans Israël. " - S. CHRYS. En effet, la foi n'avait ni la même facilité, ni le même mérite pour un juif et pour un païen.

S. JER. Ou bien peut-être dans la personne du centurion, le Sauveur exalte la foi des Gentils au-dessus de celle d'Israël, comme paraissent l'indiquer ces paroles : " Je vous le dis en vérité, plusieurs viendront de l'Orient. " - S. AUG (serm. sur les par. du Seig.) Il ne dit pas tous, mais un grand nombre, et de l'Orient comme de l'Occident, c'est-à-dire de l'univers entier, qui est désigné par ces deux parties du monde. - HAYM. Ou bien ceux qui viennent de l'Orient sont ceux qui abandonnent le monde immédiatement après avoir été éclairés des lumières de la foi ; ceux qui viennent de l'Occident sont ceux qui ont souffert persécution pour la foi jusqu'à la mort. Ou bien encore, celui-ci vient de l'Orient parce qu'il a commencé à servir Dieu dès son enfance ; celui-là vient de l'Occident lorsqu'il se convertit à Dieu dans son extrême vieillesse. - ORIG. (hom. 5.) Mais comment Notre-Seigneur dit-il ailleurs qu'il y en a peu d'élus ? C'est qu'en effet dans chaque génération il y a un petit nombre d'élus, mais au jour où Dieu visitera le monde, lorsque les élus de toutes les générations seront réunis, le nombre en sera considérable. Et ils s'asseoiront, non pas en étendant leurs membres, mais en reposant leur âme fatiguée, non pas à des tables chargées des boissons de la terre, mais à la table des festins éternels ; ils prendront place avec Abraham, Isaac et Jacob dans le royaume des cieux, où se trouvent la lumière, l'allégresse, la gloire et la longévité de la vie éternelle. - S. JER. Comme le Dieu d'Abraham, créateur du ciel, est le Père du Christ, Abraham se trouve dans le royaume des cieux, et avec lui viendront s'asseoir les nations qui ont cru en Jésus-Christ Fils du Créateur.

S. AUG. (serm. 6 sur les par. du Seig.) En même temps que nous voyons les chrétiens appelés au festin du ciel, dont la justice est le pain, la sagesse le breuvage, nous voyons la réprobation des Juifs annoncée dans ces paroles : " Les enfants du royaume, au contraire, seront jetés dans les ténèbres extérieures ; " c'est-à-dire les Juifs qui ont reçu la loi, qui célèbrent dans leurs cérémonies figuratives les mystères futurs, et qui ne les ont point reconnus lorsqu'ils s'accomplissaient. - S. JER. Ou bien il appelle les Juifs les enfants du royaume, parce que Dieu avait autrefois régné sur eux.

S. CHRYS. (hom. 27.) Ou bien ces fils du royaume sont ceux pour qui le royaume était préparé, ce qui devait produire sur eux une plus vive impression. - S. AUG. (cont. Faust, liv. 15, chap. 24.) Si donc Moïse n'a fait connaître au peuple d'Israël d'autre Dieu que le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, et que le Christ ne leur en prêche pas d'autre, on ne peut l'accuser d'avoir détourné ce peuple du culte de son Dieu. Donc, lorsqu'il les menace d'être précipités dans les ténèbres extérieures, c'est qu'il les voyait s'éloigner eux-mêmes de leur Dieu, dans le royaume duquel il nous montre toutes les nations appelées à prendre place avec Abraham, Isaac et Jacob, en récompense de la foi qu'ils ont toujours gardée au Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. Et dans ce témoignage que leur rend le Sauveur, nous ne voyons pas qu'ils aient attendu à la mort pour se convertir à Dieu, ou qu'ils n'aient été justifiés qu'après sa passion.
S. JER. Il appelle ces ténèbres extérieures, parce que celui qui est chassé dehors par le Sauveur est abandonné par la lumière. - HAYM. Que souffre-t-on dans ces ténèbres ? Notre-Seigneur nous l'apprend dans les paroles suivantes : " Il y aura là des pleurs et des grincements de dents. " Il décrit les tourments des damnés à l'aide d'une métaphore empruntée aux souffrances du corps. En effet, les yeux atteints par la fumée versent des larmes ; de même un froid très vif donne lieu à un grincement de dents ; preuve que les réprouvés dans l'enfer auront à supporter à la fois et une chaleur intolérable, et un froid des plus aigus, selon cette parole de Job : " Ils passeront des eaux de la neige à une excessive chaleur. " - S. JER. Si les pleurs ne peuvent sortir que des yeux, si le grincement de dents prouve l'existence des os, il y aura donc résurrection véritable des corps et des mêmes membres qui auront été soumis à la mort. - RAB. Ou bien ce grincement de dents exprime un sentiment d'indignation, et ce mouvement (le repentir tardif et de colère après coup qu'éprouveront les réprouvés à la vue de leur opiniâtre persistance dans le mal. - REMI. Ou bien ces ténèbres extérieures figurent les nations étrangères, car au point de vue historique Notre-Seigneur prédit ici la ruine des Juifs, qui en punition de leur infidélité, devaient être emmenés captifs, et dispersés dans les différentes contrées de la terre. Or, comme les pleurs naissent ordinairement sous l'impression d'une ardente chaleur, et le grincement des dents sous l'action d'un froid aigu, les pleurs désignent ceux qui habiteront les contrées brûlantes de l'Inde et de l'Éthiopie, et le grincement de dents ceux qui seront exilés dans des pays plus froids comme l'Hircanie et la Scythie.

CHRYS. (hom. 27.) Les paroles du Sauveur ne sont pas un vain éloge de la foi dont il vient de faire voir la nécessité ; aussi sont-elles suivies d'un miracle que l'Évangéliste raconte ainsi : " Et Jésus dit au centurion : Allez, et qu'il vous soit fait comme vous avez cru. " - RAB. C'est-à-dire, cette grâce vous est accordée dans la mesure de votre foi. " Le mérite du maître peut seconder le mérite du serviteur non seulement sous le rapport de la foi, mais encore dans l'observance de la loi. Voilà pourquoi l'Évangéliste ajoute : " Et le serviteur fut guéri dès ce moment. " - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Admirez cette promptitude, car ce n'est pas seulement la guérison, mais la guérison imprévue, instantanée, qui fait éclater la puissance du Christ. - S. AUG. (serm. sur les par. du Seigneur.) Le Seigneur n'est pas entré dans la maison du centurion, il en était absent corporellement, et la présence seule de sa majesté a guéri le serviteur ; ainsi n'a-t-il paru sous une forme extérieure qu'au milieu du peuple juif ; il n'a point renouvelé pour les autres nations les merveilles de sa naissance virginale, de sa passion, de ses souffrances, de ses miracles, et cependant ce que le roi-prophète avait prédit s'est trouvé accompli : " Le peuple qui ne me connaissait pas m'a servi, il m'a obéi aussitôt qu'il a entendu ma voix. " Le peuple juif l'a connu et l'a crucifié, l'univers n'a fait que l'entendre et a cru en lui.

vv. 14-15.
RAB. Après avoir montré dans ce lépreux la guérison du genre humain tout entier, et dans le serviteur du centenier celle des Gentils, par une suite naturelle, saint Matthieu nous montre dans la belle-mère de Pierre la guérison de la synagogue. Le Sauveur a commencé par la guérison du serviteur, parce que la conversion des Gentils a été à la fois un plus grand miracle et une grâce plus signalée, ou parce que ce n'est qu'à la fin des siècles après que la plénitude des nations sera entrée dans l'Église, que la synagogue se convertira tout entière (cf. Rm 11, 24-26). Or, la maison de Pierre était dans Bethsaïde.

S. CHRYS. (hom. 28.) Mais pourquoi Jésus entra-t-il dans la maison de Pierre ? Je pense que c'était pour prendre quelque nourriture, comme paraissent l'indiquer les paroles suivantes : " Elle se leva et elle les servait. " Jésus s'arrêtait ainsi chez ses disciples pour leur faire honneur et rendre plus vif le désir qu'ils avaient de le suivre. Considérez ici le respect de Pierre pour Jésus-Christ, quoique sa belle-mère fût malade de la fièvre, il n'entraîna pas Jésus dans sa maison, mais il attendit qu'il eût terminé ses divines leçons et qu'il eût guéri les autres malades, car il avait appris dès le commencement à faire céder ses intérêts à ceux des autres. Aussi n'est-ce pas lui qui amène le Christ, mais le Christ qui vient de lui-même après ces paroles du centurion : " Je ne suis pas digne que vous entriez dans ma maison, " montrant ainsi toute sa bonté pour son disciple. Il ne dédaigne pas d'entrer sous le pauvre toit d'un pêcheur, pour nous apprendre à fouler aux pieds en toute circonstance l'orgueil et la vanité. Remarquez aussi que tantôt il guérit par sa seule parole, tantôt il étend simultanément la main ; c'est ce qu'il fait ici : " Et il lui toucha la main. " Il ne voulut pas toujours faire des miracles extraordinaires, et il était nécessaire de voiler quelquefois sa divinité. En touchant le corps de cette femme, non-seulement il fit cesser la fièvre, mais encore il lui rendit tout à fait la santé. Cette maladie n'étant point naturellement incurable, il manifestait sa puissance par la manière dont il la guérissait, en faisant ce que la science de la médecine ne pouvait faire, c'est-à-dire en rendant aussitôt à cette femme une santé parfaite ; c'est ce que l'Évangéliste veut nous exprimer en disant : " Elle se leva et elle les servait. " - S. JER. Nous éprouvons ordinairement après la fièvre un surcroît de lassitude, et dans les commencements de la convalescence nous ressentons encore les douleurs de la maladie. Mais la santé que rend le Seigneur revient tout entière en un moment. L'auteur sacré nous fait remarquer qu'elle se leva et qu'elle le servait : c'est une preuve tout à la fois de la puissance de Jésus-Christ et des dispositions de cette femme à son égard.
BEDE. Dans le sens mystique, la maison de Pierre figure la loi ou la circoncision ; sa belle-mère est la figure de la synagogue, qui est en quelque sorte la mère de l'Église confiée à Pierre. C'est elle qui est malade de la fièvre, de cette fièvre de jalousie dont elle brûlait en persécutant l'Église. Le Seigneur lui touche la main, en changeant ses oeuvres charnelles et en leur donnant une direction toute spirituelle. - REMI. Ou bien encore, par la belle-mère de Pierre, on peut entendre la loi, qui, selon l'Apôtre (Rm 8), était affaiblie par la chair, c'est-à-dire par le sens charnel qu'on lui donnait. Mais lorsque le Seigneur se fut rendu visible au milieu de la synagogue par le mystère de son incarnation, et qu'il eut fait voir dans ses oeuvres l'accomplissement de la loi, en même temps qu'il en donnait l'intelligence spirituelle, elle reçut bientôt tant de force de cette union avec la grâce de l'Évangile, qu'après avoir été un instrument de mort et de châtiment, elle devint comme le ministre de la vie et de la grâce (2 Cor 3, 9). RAB. Ou bien encore, toute âme qui est en lutte avec les passions de la chair, est comme travaillée par la fièvre ; mais à peine a-t-elle été touchée par la main de la miséricorde divine, elle recouvre la santé, elle réprime les désirs licencieux de la chair, et fait servir à la justice les membres qu'elle avait consacrés à l'impureté. - S. HIL. Ou bien enfin on peut voir dans la belle-mère de Pierre le vice pernicieux de l'infidélité, auquel se trouve toujours jointe la liberté de la volonté, et qui nous attache à lui comme par les liens les plus étroits. Mais aussitôt que le Seigneur entre dans la maison de Pierre c'est-à-dire dans notre corps, il guérit cette infidélité toute brûlante des ardeurs du péché, et débarrassée de l'accablante domination des vices, elle consacre la santé qu'elle recouvre au service du Seigneur.

S. AUG. (de l'accord des Evang. liv. 2, chap. 21.) A quel temps cette guérison a-t-elle eu lieu ? avant ou après quel événement ? Saint Matthieu ne le dit pas, car rien n'oblige à la placer après le récit qui la précède immédiatement. Toutefois saint Matthieu paraît raconter ici ce qu'il avait omis précédemment. En effet, saint Marc raconte cette guérison avant celle du lépreux, qu'il paraît placer après le sermon sur la montagne (dont cependant il ne parle pas). Saint Luc de son côté place la guérison de la belle-mère de Pierre après le même événement que saint Marc, et avant un discours fort long qui paraît être le même que saint Matthieu fait tenir à Jésus sur la montagne. Mais qu'importe la place qu'occupent les faits, ou l'ordre dans lequel ils sont présentés ? Qu'importe qu'un évangéliste raconte un fait qu'il avait omis précédemment, ou qu'il en fasse une narration anticipée, pourvu que ce fait ainsi placé ne contredise en rien d'autres faits racontés par lui ou par un autre ? Il n'est personne qui puisse raconter dans l'ordre où elles se sont passées, les choses qui lui sont le plus connues. Il est donc probable que chaque Évangéliste a cru devoir raconter les événements suivant l'ordre dans lequel Dieu les présentait à son souvenir. Aussi, lorsque la suite chronologique des faits ne nous paraît pas clairement marquée, nous ne devons pas nous préoccuper de l'ordre que chaque Évangéliste a cru devoir adopter dans son récit.

vv. 16-17.
S. CHRYS. (hom. 24.) La multitude de ceux qui croyaient en Jésus-Christ s'était augmentée, et malgré le temps qui les pressait, ils ne voulaient pas se séparer du Sauveur ; aussi, le soir étant venu, ils lui amènent plusieurs possédés du démon. " Sur le soir, dit l'Évangéliste, on lui présenta un grand nombre de possédés. " - S. AUG. (de l'accord des Evang, liv, 2, chap. 21.) Ces expressions : " Le soir étant venu, " indiquent assez qu'il s'agit ici du même jour, bien qu'il ne soit pas nécessaire de les entendre toujours du soir de la même journée.
REMI. Or Jésus-Christ, Fils de Dieu, auteur du salut des hommes, source et origine de toute miséricorde, appliquait à tous un remède divin. " Et il chassait les esprits par sa parole, et il guérit tous ceux qui étaient malades. " Il mettait en fuite les démons et les maladies d'un seul mot, pour montrer par ces prodiges de sa puissance qu'il était venu pour le salut du genre humain tout entier.

S. CHRYS. (hom. 28.) Considérez quelle multitude de guérisons particulières les Évangélistes passent sous silence ; ils ne font pas mention de chaque personne guérie, mais d'un seul mot ils nous mettent sous les yeux cet océan inexprimable de miracles. Et afin que la grandeur de ces prodiges ne devienne un motif de ne point admettre qu'une si grande multitude et tant de maladies aient été guéries en un instant, l'Évangéliste vous présente le Prophète appuyant de son témoignage ces faits miraculeux. Et ainsi fut accompli ce que le prophète Isaïe avait prédit : " Il a pris lui-même nos infirmités. " (cf. Is 53, 4 ; 1 P 2, 24) - RAB. Ce n'est pas sans doute pour les garder, mais pour nous en délivrer, et il s'est chargé de nos maladies afin de porter lui-même en notre place ce qui était un fardeau écrasant pour notre faiblesse. - REMI. Il s'est revêtu de l'infirmité de notre nature pour nous rendre forts et robustes, de faibles que nous étions. - S. HIL. (can. 7 sur S. Matth.) Par les souffrances qu'il a endurées dans son corps (selon les oracles des prophètes), il a fait disparaître complètement les infirmités de la faiblesse humaine. - S. CHRYS. (hom. 28.) C'est surtout des péchés que le Prophète semble avoir voulu parler. Comment donc l'Évangéliste peut-il entendre ces paroles des maladies ? C'est qu'il a voulu les appliquer à un fait historique, ou bien nous faire comprendre que la plupart des maladies ont pour cause les péchés de notre âme, et que la mort elle-même n'a point d'autre origine.

S. JER. - Remarquons que toutes ces guérisons s'opèrent non pas le matin, non pas au milieu du jour, mais vers le soir, lorsque le soleil est sur son coucher, et que le grain tombe dans la terre pour y mourir et produire des fruits en abondance. RAB. En effet, le coucher du soleil figure la passion et la mort de celui qui a dit : " Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde ; " de celui qui dans le temps de sa vie mortelle n'a enseigné qu'un très petit nombre de Juifs, mais qui après avoir détruit l'empire de la mort a promis les dons de la foi à toutes les nations répandues sur la face de la terre.

vv. 19-22.
S. CHRYS. (hom. 28.) Comme Jésus-Christ ne guérissait pas seulement les corps, mais qu'il rendait encore les âmes meilleures en leur enseignant la vraie sagesse, il a voulu montrer dans sa personne non-seulement la puissance qui guérit les maladies, mais encore l'humilité qui fuit toute ostentation ; c'est pour cela que l'Évangéliste ajoute : " Or, Jésus se voyant environné d'une grande foule de peuple, ordonna à ses disciples de passer à l'autre bord. Il agissait de la sorte pour nous enseigner la modestie dans nos actions, calmer l'envie des Juifs, et nous apprendre à ne rien faire par amour de la vaine gloire. - REMI. Ou bien il agissait ici comme homme, pour se débarrasser des importunités de la foule. Ce peuple lui était fortement attaché, plein d'admiration pour sa personne, et ne pouvait se lasser de le voir. Qui aurait pu, en effet se séparer d'un homme qui opérait de tels prodiges ? Qui n'aurait voulu contempler l'auguste simplicité de son visage et la bouche d'où sortaient de tels oracles ? Si Moïse avait le visage resplendissant de gloire (Ex 34), et saint Etienne la figure d'un ange (Ac 7), comment le souverain Maître de toutes choses n'aurait-il point paru avec la majesté qui convenait à son auguste personne, et n'est-ce pas ce que le Roi-Prophète prédisait en ces termes : " Vous surpassez en beauté tous les enfants des hommes. "

S. HIL. (Can. 7 sur S. Matth.) Le nom de disciples ne s'applique pas seulement aux douze apôtres, car nous voyons qu'outre les apôtres, Jésus eut plusieurs disciples.

S. AUG. (de l'accord des Evang. liv. 2, chap. 22.) Il est évident que le jour où Jésus ordonna à ses disciples de passer à l'autre bord ne fut pas le lendemain du jour où il avait guéri la belle-mère de Pierre, car ce jour là il se retira dans le désert, comme le racontent saint Marc et saint Luc. - S. CHRYS. (hom. 28.) Remarquez qu'il ne renvoie pas directement la foule, pour ne pas la blesser ; mais il ordonne à ses disciples d'aller au delà, en laissant au peuple l'espérance de pouvoir l'y suivre.

REMI. Mais que s'est-il passé entre l'ordre donné ici par le Sauveur et son exécution ? L'Évangéliste a pris soin de nous l'apprendre. Et voici qu'un scribe lui dit : " Maître, je vous suivrai partout où vous irez. " - S. JER. Si ce scribe, qui ne connaissait que la lettre qui tue (cf. Rm 7), avait dit : " Seigneur, je vous suivrai partout ou vous irez, " il n'eût pas été repoussé par le Sauveur ; mais comme il ne le considérait que comme un maître ordinaire, qu'il n'était lui-même qu'un homme attaché à la lettre extérieure, et n'avait pas les oreilles intérieures de l'âme, il n'a rien en lui où Jésus puisse reposer sa tête. Nous voyons aussi que ce scribe a été rejeté, parce qu'à la vue des prodiges étonnants opérés par le Sauveur, il ne voulait le suivre que pour recueillir du profit de ces oeuvres. Il désirait ce que Simon le magicien voulait plus tard acheter de saint Pierre. (Ac 8.)
S. CHRYS. (hom. 28.) Voyez aussi quel est son orgueil : il arrive, et à son langage, on voit qu'il dédaigne d'être confondu avec la foule, et qu'il veut montrer qu'il lui est supérieur. S. HIL. (can. 7 sur S. Matth.) Ou bien encore, ce scribe, qui est un des docteurs de la loi, demande à Jésus s'il doit le suivre, comme si la loi ne disait pas clairement que c'est le Christ, et qu'il a tout intérêt de marcher à sa suite. Il trahit donc l'incrédulité de son âme par cette question de défiance, car on ne doit pas interroger, mais suivre les inspirations et les enseignements de la foi.
S. CHRYS. (hom. 28.) Le Sauveur répond ici non pas à la question contenue dans ses paroles, mais à la pensée renfermée dans son âme. Et Jésus lui dit : " Les renards ont leurs tanières et les oiseaux du ciel leurs nids, mais le Fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête. " C'est-à-dire pourquoi voulez-vous me suivre dans l'espérance des richesses et des avantages du siècle, moi dont la pauvreté est si grande que je ne possède pas même un petit réduit, et que je couche sous un toit qui ne m'appartient pas. - S. CHRYS. (hom. 28.) Notre-Seigneur ne lui tient pas ce langage pour le repousser, mais pour lui reprocher sa mauvaise intention, et il lui accorderait ce qu'il demande, s'il consentait à pratiquer la pauvreté en marchant à sa suite. Mais voyez, sa malice est si grande que cette leçon ne peut le convertir et qu'il ne s'écrie pas : " Je suis prêt à vous suivre. "

S. AUG. (serm. sur les par. du Seigneur.) Ou bien encore, le Fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête dans votre foi ; les renards ont leurs tanières dans votre âme pleine de ruses ; les oiseaux du ciel ont aussi leurs nids dans votre cœur dominé par l'orgueil ; avec cet esprit de ruse et d'orgueil vous ne pouvez me suivre ; celui qui est trompeur peut-il suivre celui qui marche simplement ? - S. GREG. (Moral. 19, 1.) Ou bien, les renards sont des animaux rusés qui se cachent dans des trous ou dans des cavernes. Lorsqu'ils en sortent, ce n'est point dans les droits chemins, mais dans les sentiers détournés qu'on les voit courir ; quant aux oiseaux, leur vol est très élevé au-dessus de terre. Il faut donc entendre par les renards les démons de la ruse et de la fourberie, et par les oiseaux les démons de l'orgueil. Voici donc le sens des paroles de Jésus : Les démons de la ruse et de la vaine gloire trouvent place dans votre cœur, mais mon humilité ne peut se reposer dans une âme livrée à l'orgueil. - S. AUG. (quest. sur l'Evang.) Il est à croire que, séduit par l'éclat des miracles du Sauveur, il voulut s'attacher à lui par un motif de vaine gloire, figurée ici par les oiseaux, et qu'il a joué le personnage d'un disciple obéissant, hypocrisie qui est représentée par les renards. - RAB. Les hérétiques qui mettent toute leur confiance dans leurs subtilités sont ici figurés par les renards, et les esprits malins par les oiseaux du ciel. Les uns et les autres avaient leurs tanières et leurs nids, c'est-à-dire leur demeure dans le cœur du peuple juif.

Un autre de ses disciples lui dit : " Seigneur, permettez-moi d'aller d'abord ensevelir mon père. " - S. JER. Quelle différence entre le scribe et ce disciple ! Celui-ci l'appelle simplement maître, celui-là le reconnaît pour son Seigneur. L'un, obéissant à un sentiment de piété filiale, désire aller ensevelir son père ; l'autre promet de suivre Jésus partout, mais ce n'est pas la personne du Maître qu'il recherche, c'est le gain qu'il espère en retirer. - S. HIL. (Can. 7 sur S. Matth.) Ce disciple ne demande pas non plus s'il doit suivre Jésus ; il croit que c'est pour lui une obligation, et il demande simplement qu'il lui Soit permis d'aller ensevelir son père.

S. AUG. (serm. 7 sur les par. du Seig.) Lorsque le Seigneur prépare les hommes au ministère évangélique, il rejette toutes les excuses que suggèrent les sentiments de la nature et les sollicitudes de cette vie ; c'est ce que prouvent les paroles suivantes : " Or Jésus lui dit : Suivez-moi, et laissez les morts ensevelir leurs morts. " S. CHRYS. (hom. 28.) Gardons-nous de croire que le Sauveur nous commande de refuser à nos parents l'honneur qui leur est dû ; il nous apprend à ne rien voir de plus nécessaire que l'affaire de nos intérêts éternels, à nous y appliquer avec toute l'ardeur possible, sans le plus léger retard, quelque inévitables, quelque irrésistibles que soient les attachements qui nous retiennent. Car quoi de plus nécessaire, et aussi quoi de plus facile que d'ensevelir son père ? L'accomplissement de ce devoir ne demandait pas grand temps. Par là encore le Seigneur a voulu nous arracher à une multitude de maux, à la douleur, à l'affliction, et à tout ce qui accompagne de semblables accidents. Après les funérailles, en effet, seraient venus les débats sur le testament, le partage de la succession, et ces agitations successives auraient pu l'éloigner considérablement de la vérité. Si votre cœur se soulève encore, rappelez-vous que souvent on laisse ignorer à des malades la mort de leur père, ou de leur fils, ou de leur mère, et qu'on ne leur permet pas de les accompagner jusqu'au lieu de leur sépulture. Loin que ce soit là de la cruauté, c'est la conduite contraire qui mériterait ce reproche. Ce serait un bien plus grand mal de détourner un homme des enseignements spirituels, alors surtout que d'autres pourraient le remplacer pour rendre ces derniers devoirs ; c'est justement ce qui avait lieu ici ; c'est ce qui fait dire au Sauveur : " Laissez les morts ensevelir leurs morts. " - S. AUG. (serm. 7 sur les par. du Seig.) C'est-à-dire : votre père est mort, il y a d'autres morts qui pourront ensevelir leurs morts, car ils sont dans l'infidélité. - CHRYS. (hom. 28.) Ces paroles indiquent que celui qui était mort n'était pas un de ses disciples, mais qu'il était du nombre des infidèles. Vous admirez ce jeune homme qui, en présence d'un devoir aussi pressant, vient demander à Jésus ce qu'il faut faire, et ne veut point agir de lui-même ; mais qu'il est bien plus admirable d'avoir obéi à la défense qui lui était faite, non point par un sentiment d'ingratitude ou de négligence, mais pour ne pas interrompre une affaire plus importante ! - S. HIL. D'ailleurs, comme nous avons appris à dire au commencement de l'Oraison dominicale : " Notre Père qui êtes dans les cieux, " et que ce disciple représente tout le peuple croyant, le Seigneur lui rappelle ici qu'il n'y a pour lui qu'un Père qui est dans les cieux (Mt 23, 9), et que les droits que donne ce nom de père ne sont pas laissés au père infidèle à l'égard de son fils devenu fidèle. Il nous apprend encore à ne pas mêler à la mémoire des saints le souvenir de ceux qui sont morts dans l'infidélité, et à regarder comme morts ceux qui vivent en dehors de la vie de Dieu. Que les morts donc ensevelissent leurs morts ; car pour ceux qui sont vivants, ils doivent s'attacher au Dieu vivant par la foi qu'ils ont en lui.
S. JER. Si donc c'est aux morts à ensevelir les morts, nous devons prendre soin des vivants, et non point des morts, de peur que cette préoccupation pour les morts ne nous fasse ranger nous-mêmes parmi les morts. - S. GREG. (Moral., liv. 4, chap. 25.) On peut dire encore que les morts ensevelissent leurs morts lorsque les pécheurs se montrent favorables aux pécheurs, car en prodiguant les louanges à celui qui pêche, ils enterrent pour ainsi dire ce mort sous le poids de leurs éloges. - RAB. Cette maxime du Sauveur nous apprend aussi qu'il faut quelquefois sacrifier un bien moins important à un bien qui l'est davantage. S. AUG. (de l'accord des Evang., liv. 2, chap. 23.) S. Matthieu raconte ce fait comme étant arrivé après que Jésus eut ordonné à ses disciples de passer sur l'autre bord, tandis que saint Luc le place au moment où ils étaient en chemin ; il n'y a ici aucune contradiction, puisqu'ils étaient en chemin pour arriver au bord de la mer.

vv. 23-27.
ORIG. Notre-Seigneur Jésus-Christ ayant fait éclater sur la terre de grands et d'étonnants prodiges, passe sur la mer pour y opérer des miracles plus extraordinaires encore, et se faire ainsi reconnaître partout comme le Seigneur de la terre et de la mer. " Et après qu'il fut monté dans une barque, " dit l'Évangéliste, il fut suivi de ses disciples qui n'étaient plus des disciples faibles, mais fermes et stables dans la foi. En le suivant, ils étaient moins attachés à ses pas qu'à la sainteté de sa vie qui les attirait à lui. - S. CHRYS. (hom. 29.) Il prend ses disciples avec lui et les fait monter dans la même barque pour leur apprendre à ne pas s'effrayer au milieu des dangers, et leur enseigner à conserver toujours l'humilité au milieu des honneurs, car il permet qu'ils soient le jouet des flots, afin de prévenir la haute idée qu'ils auraient pu avoir d'eux-mêmes en voyant que Jésus les avait se tenus de préférence aux autres. Lorsqu'il opérait des prodiges éclatants, il permettait à la foule d'en être témoin ; mais lorsqu'il s'agit de se mesurer avec les tentations, avec les craintes, il ne prend avec lui que les athlètes qu'il devait former à combattre contre l'univers entier. - ORIG. Après qu'il fut entré dans la barque, il commanda à la mer de s'agiter. " Et voici, dit le texte sacré, qu'une grande tempête s'éleva sur la mer. " Cette tempête ne s'éleva pas d'elle-même, mais elle obéit à la puissance de celui qui commande et qui fait sortir les vents de ses trésors. (Ps 134). La tempête fut grande pour que le miracle le fut également ; plus les flots venaient fondre sur la barque, plus aussi l'effroi bouleversait les disciples, et leur faisait désirer d'être délivrés par la puissance du Sauveur.
S. CHRYS. (hom. 29.) Ils avaient été témoins des bienfaits que Jésus répandait si libéralement sur les autres ; mais comme nous ne jugeons pas de la même manière de ce qui se fait dans l'intérêt des autres, et de ce que l'on fait pour nous, Notre-Seigneur voulut les faire jouir de ses bienfaits par une expérience personnelle ; il permit donc cette tempête, pour que leur délivrance leur fît comprendre plus clairement ce qu'il faisait en leur faveur. Or cette tempête était la figure des tentations qu'ils devaient éprouver dans l'avenir, et dont saint Paul a dit : " Je ne veux pas vous laisser ignorer, mes frères, que nous avons été surchargés au-dessus de nos forces. " L'Évangéliste nous dit que Jésus dormait, parce qu'il voulait laisser à la crainte le temps de s'emparer de leur âme. Car si la tempête était survenue pendant qu'il était éveillé, ou ils n'auraient eu aucune crainte, ou ils n'auraient pas imploré son secours, ou ils n'auraient pas cru qu'il pût opérer un semblable miracle.
ORIG. Chose étonnante et merveilleuse ! L'Évangéliste nous montre livré au sommeil celui qui ne dort, qui ne sommeille jamais (Ps 120, 4). Son corps dormait, mais la divinité veillait, et il prouvait par là qu'il portait un corps véritable comme le nôtre, et qu'il s'en était revêtu avec toutes ses faiblesses. Il dormait donc extérieurement pour apprendre à ses apôtres à veiller, et nous apprendre à tous à éviter le sommeil de l'âme. La crainte qui les bouleversait était si grande, qu'ils avaient presque perdu la tête, qu'ils se précipitaient près de lui et qu'au lieu de lui parler avec modération et avec douceur, ils le réveillent brusquement. Et ses disciples s'approchèrent, et ils l'éveillèrent en disant : " Seigneur, sauvez-nous, nous périssons. "

S. JER. Nous voyons une figure de cet événement dans le prophète Jonas, qui, pendant que tous tremblent à la vue du danger, seul est tranquille, et dort si profondément qu'il faut le réveiller. - ORIG. Et vous les vrais disciples de Jésus-Christ, vous avez le Seigneur au milieu de vous, et vous craignez le danger ? La vie est avec vous, et la crainte de la mort vous préoccupe ? Peut-être vont-ils répondre : Nous sommes encore faibles, pusillanimes ; c'est pour cela que la crainte s'empare de nous. Aussi Jésus leur dit : " Pourquoi craignez-vous, hommes de peu de foi ? " C'est-à-dire : vous avez été témoins de ma puissance sur la terre, pourquoi doutez-vous que cette puissance s'étende aussi à la mer ? Et quand la mort elle-même viendrait fondre sur vous, ne devriez-vous pas la supporter avec courage ? Celui qui croit faiblement sera repris, celui qui ne croit pas du tout sera condamné. - S. CHRYS. (hom. 20.) Dira-t-on que réveiller Jésus ne fut pas chez eux un signe de peu de foi ? Au moins est-ce une preuve qu'ils n'avaient pas de lui une opinion convenable, car ils pensaient qu'il pourrait apaiser la mer étant éveillé, mais que cela lui serait impossible pendant son sommeil. Aussi est-ce pour cela qu'il n'opère pas ce miracle en présence de la foule, pour n'avoir pas à leur reprocher devant elle leur peu de foi ; il les prend seuls avec lui pour leur faire ce reproche et il apaise ensuite les flots soulevés. " Et se levant en même temps, il commanda aux vents et à la mer, et il se fit un grand calme.

S. JER. Cet acte de puissance doit nous faire conclure que toutes les créatures ont le sentiment de leur Créateur, car ceux qui reçoivent un commandement doivent avoir sentiment de celui qui leur commande ; nous ne partageons pas cependant l'erreur des hérétiques qui considèrent tous les êtres comme animés, mais nous disons que la majesté du Créateur rend pour ainsi dire sensibles pour lui les créatures qui demeurent insensibles pour nous. - ORIG. Il commanda donc aux vents et à la mer, et à cette grande agitation succéda un grand calme. Il est digne de celui qui est grand de faire de grandes choses, et c'est pour cela qu'après avoir troublé magnifiquement les profondeurs de la mer, il commande qu'un grand calme se fasse, afin que la joie de ses disciples égale la crainte qui les a troublés.

S. CHRYS. (hom. 29.) Ces paroles nous font voir encore que la tempête a été calmée tout d'un coup et tout entière, sans qu'il restât la moindre trace d'agitation ; chose tout à fait extraordinaire, car lorsque le soulèvement des flots s'apaise selon les lois ordinaires de la nature, ils restent encore longtemps agités, taudis qu'ici toute agitation cesse dans un instant. Ainsi Jésus-Christ accomplit en sa personne ce que le Roi-Prophète avait dit de Dieu le Père : " Il a parlé et la tempête s'est apaisée, " car d'une seule parole et par son seul commandement il a calmé la mer et mis un frein à la fureur des flots. Ceux qui étaient avec lui, à son aspect, à son sommeil, à l'usage qu'il faisait d'une barque, le regardaient seulement comme un homme ; aussi ce miracle les jette dans l'étonnement. Or les hommes furent dans l'admiration, et ils disaient : " Quel est celui-ci ? " etc. - LA GLOSE. Saint CHRYSostome traduit ainsi : " Quel est cet homme ? " En effet, à ne considérer que son sommeil et son extérieur, c'était un homme ; mais la mer et le calme qu'il y ramena montraient qu'il était Dieu. ORIG. Mais quels sont ces hommes qui furent dans l'admiration ? Ne croyez pas que cette expression désigne les Apôtres, car il n'est jamais parlé d'eux qu'en termes honorables, et ils sont toujours appelés ou apôtres ou disciples. Ceux qui étaient dans l'admiration furent donc ceux qui étaient avec le Sauveur dans la barque, et à qui cette barque appartenait. - S. JER. Si quelqu'un cependant, par esprit de contradiction, prétend que ce sont les disciples de Jésus qui furent dans l'admiration, nous répondrons que c'est à juste titre que l'Évangéliste leur donne le nom d'hommes, car ils ne connaissaient pas encore la puissance du Sauveur.
ORIG. En disant : " Quel est donc celui-ci ? " ils ne font pas une question, mais ils affirment que c'est à cet homme que les vents et la mer obéissent. " Quel est donc celui-ci ? " C'est-à-dire quelle est sa puissance, quelle est sa force, quelle est sa grandeur ? Il commande à toute créature, et elle ne transgresse pas ses ordres ; les hommes seuls lui résistent, et seront pour cela condamnés au jugement.
Dans le sens mystique, nous naviguons tous avec le Seigneur dans la barque de l'Église sur la mer orageuse du monde ; le Seigneur cependant dort d'un sommeil de miséricorde, et attend ainsi notre patience dans les maux et le repentir des pécheurs. S. HIL. (Can. 7 sur S. Matth.) Ou bien il dort, parce que notre propre sommeil l'assoupit au milieu de nous. C'est ce que Dieu permet pour nous faire espérer le secours du ciel au milieu de l'effroi que nous cause le danger, et plût à Dieu qu'une espérance même tardive nous donne l'assurance d'échapper au péril, grâce à la puissance du Christ qui veille au milieu de nous ! - ORIG. Approchons-nous donc de lui avec empressement, en lui disant avec le Prophète : " Levez-vous ; pourquoi dormez-vous, Seigneur ? " (Ps 43). Et il commandera lui-même aux vents, c'est-à-dire aux démons qui soulèvent les flots, aux princes de ce monde qui suscitent les persécutions contre les saints, et le Christ fera régner un grand calme autour du corps et de l'esprit, en rendant la paix à l'Église et la tranquillité au monde.

RAB. Ou bien encore la mer, ce sont les flots agités du monde, la barque dans laquelle monte Jésus-Christ ; c'est l'arbre de la croix à l'aide duquel les fidèles traversent cette mer du monde et parviennent à la céleste patrie comme à un port assuré. Jésus-Christ monte dans cette barque avec ses disciples, et c'est pour cela qu'il dit plus bas : " Que celui qui veut venir après moi, se renonce lui-même, qu'il porte sa croix et qu'il me suive. " Lorsque le Christ fut attaché à la croix, il se fit une grande agitation, parce que l'âme de ses disciples fut troublée par le spectacle de la passion. La barque fut couverte par les flots, car la violence de la persécution se déchaîna autour de la croix sur laquelle Jésus-Christ succomba. C'est pour cela qu'il est dit : " Et lui cependant dormait. " Son sommeil était la mort. Les disciples éveillent leur Maître, alors que, bouleversés par sa mort, ils font les voeux les plus ardents pour sa résurrection, et lui disent : " Sauvez-nous en ressuscitant, car nous périssons dans le trouble où nous a jetés votre mort. Lorsqu'il ressuscite, il leur reproche la dureté de leur cœur, comme nous le voyons ailleurs. Le Seigneur a commandé aux vents, lorsqu'il a écrasé l'orgueil du démon ; il a commandé à la mer, en dissipant la fureur insensée des Juifs ; et il s'est fait un grand calme, car la frayeur des disciples s'apaisa lorsqu'ils furent témoins de la résurrection de leur Maître. - LA GLOSE. Ou bien encore, la barque c'est l'Église de la terre, dans laquelle le Christ traverse avec les siens la mer de ce monde et apaise les flots des persécutions, digne objet de notre admiration et de notre reconnaissance.

vv. 28-34.
S. CHRYS. (hom. 29.) Les hommes ne voyaient dans Jésus-Christ que la nature humaine ; les démons vinrent proclamer sa divinité, afin que ceux qui n'avaient point écouté la voix de la mer en fureur et soudain redevenue calme, entendissent la voix des démons ; c'est l'objet des versets suivants : " Jésus étant passé à l'autre bord, dans le pays des Géraséniens, " etc. - RAB. Gérasa est une ville de l'Arabie, située au delà du Jourdain auprès du mont Galaad ; elle était habitée par la tribu de Manassès et n'était pas éloignée du lac de Tibériade, dans lequel les pourceaux furent précipités.

S. AUG. (de l'accord des Evang., liv, 2, chap. 24.) Saint Matthieu parle ici de deux possédés, saint Marc et saint Luc ne parlent que d'un seul ; cette différence s'explique en disant qu'il y en avait un des deux plus connu et plus renommé, qui affligeait davantage cette contrée et dont les habitants désiraient plus ardemment la guérison, guérison qui eut aussi plus de retentissement. - S. CHRYS. (hom. 29.) Ou bien saint Luc et saint Marc ont choisi le plus furieux pour sujet de leur récit, et ils nous retracent plus en détail ses souffrances. Saint Luc, en effet, dit qu'après avoir brisé ses liens, il était emporté dans le désert, et saint Marc qu'il se meurtrissait lui-même avec des cailloux. Cependant ils ne disent pas qu'il était seul, pour ne pas se mettre en contradiction avec saint Matthieu. Nous voyons ensuite qu'ils sortaient des tombeaux, ce qu'ils faisaient pour accréditer cette erreur pernicieuse que les âmes de ceux qui sont morts deviennent des démons. C'est par suite de cette erreur qu'un grand nombre d'aruspices égorgent des enfants pour associer leur âme à leurs criminelles opérations. C'est pour cela qu'on entend les possédés s'écrier : " Je suis l'âme d'un tel ! " Ce n'est pas l'âme de celui qui est mort qui s'exprime de la sorte, mais le démon qui emprunte sa voix pour tromper ceux qui l'entendent ; car si l'âme d'un mort pouvait entrer dans un corps étranger, à plus forte raison pourrait-elle rentrer dans celui qu'elle animait précédemment. Mais il est contraire à la raison de croire qu'une âme qui souffre des peines injustes prête son concours à celui qui les lui fait souffrir, ou qu'un homme puisse changer un être incorporel en une autre substance, c'est-à-dire une âme en la substance du démon ; car même pour les corps cela est impossible à l'homme, et il ne pourrait par exemple changer le corps d'un homme en celui d'un âne. D'ailleurs serait-il raisonnable de penser qu'une âme séparée de son corps soit comme errante sur la terre ? Les âmes des justes sont dans la maison de Dieu (Sg 3) ; de même aussi les âmes innocentes des enfants. Quant aux âmes des pécheurs, il est certain, d'après l'histoire de Lazare et du mauvais riche, qu'elles sont aussitôt enlevées de ce monde. (Lc 16.) Or comme personne n'osait amener ces possédés à Jésus-Christ, il va lui-même les trouver. L'Évangéliste nous donne une idée de leur fureur en ajoutant : " Ils étaient si furieux que personne n'osait passer, " etc. Mais ces furieux qui empêchaient les autres de passer trouvèrent à leur tour quelqu'un qui leur défendit d'aller plus loin ; ils se sentaient flagellés d'une manière invisible, et la présence seule du Christ leur causait des tourments intolérables, comme nous le voyons par ce qui suit : " Et ils se mirent à pousser des cris, en disant, " etc.
S. JER. Mais ce n'est pas là cette confession volontaire que Dieu se plaît à récompenser aussitôt, c'est la force de la nécessité qui malgré eux leur extorque cet aveu. Ainsi lorsque des esclaves ont pris la fuite, et que bien longtemps après ils se trouvent en présence de leur maître, ils ne demandent qu'une chose, c'est d'échapper au châtiment qu'ils méritent ; ainsi les démons se trouvant tout à coup devant le Seigneur qu'ils voient descendre sur la terre, croyaient qu'il était venu pour les juger. Quelques auteurs trouvent absurde de dire que les démons connaissaient le Fils de Dieu, tandis que le prince des démons ne le connaissait pas, parce que leur malice est moins grande et qu'ils ne sont que ses satellites. Est-ce que, en effet, toute la science des disciples ne doit pas être rapportée au Maître ?
S. AUG. (Cité de Dieu, chap. 21.) Dieu ne se fit connaître à eux qu'autant qu'il le voulut, et il ne le voulut qu'autant qu'il le fallait. Il ne se manifesta donc pas à leurs regards comme la vie éternelle et comme cette lumière qui éclaire les âmes pieuses, mais seulement par quelques effets temporels de sa puissance et par quelques-uns de ces signes secrets de sa puissance, qui sont sensibles pour les esprits angéliques, même pour ceux qui sont mauvais, plutôt que pour la faiblesse de notre nature. - S. JER. Cependant il faut admettre que les démons et le diable lui-même ont soupçonné qu'il était le Fils de Dieu, plus qu'ils ne l'ont connu véritablement. - S. AUG. (quest. sur l'Anc. et le Nouir. Test.) Ce cri que poussent les démons : " Qu'y a-t-il de commun entre vous et nous, Jésus, Fils de Dieu, " est plutôt l'expression d'un soupçon, que d'une connaissance certaine, car s'ils l'avaient connu, jamais ils n'auraient permis que le Dieu de gloire fût crucifié. REMI. Toutes les fois qu'ils étaient tourmentés par les effets de sa puissance, ils croyaient que c'était le Fils de Dieu ; mais lorsqu'ils le voyaient soumis à la faim, à la soif et à d'autres nécessités semblables, le doute rentrait dans leur esprit, et ils le regardaient comme un simple mortel. Remarquons aussi que les Juifs incrédules, qui osaient dire que c'était par Belzébul que le Sauveur chassait les démons, et les Ariens, qui prétendaient que c'était une simple créature, sont condamnés tout à la fois et par le jugement de Dieu et par la confession des démons qui proclament que Jésus-Christ est le Fils de Dieu. C'est avec raison qu'ils disent : " Qu'y a-t-il de commun entre vous et nous ? " etc. C'est-à-dire il n'y a rien de commun entre notre malice et votre grâce, car, d'après l'Apôtre (2 Co 6), il n'y a point d'union possible entre la lumière et les ténèbres. - S. CHRYS. (hom. 20.) Ce qui prouve que cet aveu n'était pas dicté par la flatterie, c'est qu'une douloureuse expérience les force de s'écrier : " Vous êtes venu nous tourmenter avant le temps. - S. AUG. (Cité de Dieu, chap. 23.) Peut-être regardaient-ils comme soudain ce qu'ils pensaient ne devoir leur arriver que beaucoup plus tard ; peut-être considéraient-ils comme leur perte ce qui allait arriver, d'être dévoilés et couverts de mépris, et cela avant le jour où ils entendraient l'arrêt de leur damnation éternelle. - S. JER. La présence du Sauveur est elle-même un tourment pour les démons. - S. CHRYS. (hom. 29.) Ils ne pouvaient pas dire qu'ils n'avaient commis aucune faute, car Jésus-Christ les avait surpris en flagrant délit, en se faisant un jeu de tourmenter une créature de Dieu. Aussi craignaient-ils qu'en raison de cette multitude de crimes dont ils étaient coupables, il n'attendît pas, pour les punir, la sentence suprême du dernier jugement.

S. AUG. (de l'accord des Evang, liv. 2, chap. 24.) Que les paroles des démons aient été rapportées différemment par les Évangélistes, il n'y a point à s'en inquiéter, car on peut ramener toutes ces variantes à une seule pensée, ou bien supposer même que toutes ces paroles ont été dites. On ne doit pas non plus s'étonner que dans saint Matthieu les démons parlent au pluriel, tandis que les autres Évangélistes les font parler au singulier, car ces derniers rapportent que le démon interrogé quel était son nom, répondit qu'il s'appelait légion, parce qu'en effet ils étaient plusieurs démons.

" Or il y avait non loin d'eux un nombreux troupeau de pourceaux qui paissaient. " - S. GREG. (Moral. liv, 2, chap. 6.) Le démon sait fort bien qu'il ne peut rien faire par sa propre puissance, puisque ce n'est point de lui même qu'il tient son existence comme esprit. - REMI. Ils ne demandèrent pas à entrer dans d'autres hommes, parce que celui qui les tourmentait paraissait revêtu de la nature humaine. Ils ne demandèrent pas non plus à entrer dans un troupeau de moutons, car ces animaux étaient purs d'après la loi et pouvaient être offerts dans le temple de Dieu. Parmi les animaux immondes, ils choisirent de préférence les pourceaux, parce qu'il n'y a point d'animal plus immonde. Le mot de pourceau en latin est même synonyme de couvert d'ordures, car cet animal se plaît au milieu des immondices. Comme eux aussi les démons se plaisent dans les souillures du péché. Ils ne demandèrent pas à être envoyés dans les régions de l'air, à cause de l'extrême désir qu'ils ont de nuire aux hommes.

Et il leur dit : " Allez. " - S. CHRYS. (hom. 29.) Ce n'est point à leur persuasion que Notre-Seigneur agit de la sorte, mais pour plusieurs raisons dignes de sa sagesse : d'abord il voulait montrer combien sont malfaisants et pernicieux les démons qui cherchaient à perdre ces hommes ; en second lieu il voulait nous apprendre que sans sa permission ils n'osent rien entreprendre, même contre des pourceaux ; troisièmement il faisait voir par là qu'ils auraient fait endurer à ces hommes un traitement plus cruel qu'aux pourceaux, si la divine providence n'était venue à leur secours dans leur malheur, car les démons ont bien plus de haine contre les hommes que contre les animaux. Nous avons encore ici une preuve évidente que chacun de nous est l'objet des soins de la divine Providence ; elle ne suit pas à l'égard de tous les mêmes voies, elle n'emploie pas les mêmes moyens, et c'est en cela qu'éclate surtout sa sagesse, car la Providence se révèle en procurant à chacun de nous ce qui lui est le plus utile. En outre, nous voyons aussi que non-seulement elle a soin de tous en général, mais de chacun de nous en particulier, et nous en serons convaincus en considérant ce qui serait arrivé à ces possédés qui depuis longtemps auraient été étouffés si la divine Providence n'avait veillé sur eux. Jésus leur permit encore d'envahir ce troupeau de pourceaux, pour rendre sa puissance plus sensible aux habitants de cette contrée. En effet, dans les endroits où il n'était pas encore connu, il faisait des miracles plus éclatants pour attirer les hommes à la connaissance de sa divinité. - S. JER. Ce n'est donc pas pour accéder à leur demande, qu'il leur dit : " Allez, " mais afin que la mort de ces pourceaux devint une occasion de salut pour les hommes. L'Évangéliste ajoute : " Et étant sortis (c'est-à-dire des possédés), ils entrèrent dans ces pourceaux, et aussitôt tout le troupeau courut avec impétuosité se précipiter dans la mer, et ils moururent dans les eaux. " Que le manichéen rougisse ici de son opinion ! Si les âmes des hommes et celles des bêtes ont une même substance et une même origine, comment deux mille porcs ont-ils été sacrifiés pour sauver un ou peut-être deux hommes ?
S. CHRYS. (hom. 29.) Les démons firent périr ces pourceaux, parce qu'ils n'ont point d'autre occupation que de jeter les hommes dans la tristesse et de se réjouir de leurs pertes. La grandeur du dommage augmentait la renommée de ce prodige. Bien des personnes allaient le rendre public, ceux qui avaient été guéris, ceux à qui les pourceaux appartenaient, et leurs gardiens ; c'est ce que nous lisons dans la suite du récit : " Ceux qui les gardaient s'enfuirent, et étant venus à la ville, ils racontèrent tout ceci, et ce qui était arrivé aux possédés des mauvais esprits, et aussitôt toute la ville sortit au devant de Jésus. " Mais alors qu'ils auraient dû l'adorer et admirer sa puissance, ils le renvoient loin d'eux. " Et l'ayant vu, ils le priaient de se retirer des confins de leur pays. " Remarquez la douceur de Jésus-Christ après le miracle de sa puissance. Ces hommes qu'il vient de combler de ses bienfaits le chassent loin d'eux ; il ne résiste pas et il abandonne ceux qui se jugent indignes de ses divines leçons, leur laissant pour docteurs ceux qu'il vient de délivrer de la possession des démons, et les gardiens des pourceaux. - S. JER. Ou bien on peut dire que ce n'est point par un sentiment d'orgueil, mais d'humilité, qu'ils prient Jésus de s'éloigner de leur contrée. Ils se jugent indignes de la présence de Dieu, à l'exemple de Pierre, qui disait : " Seigneur, retirez-vous de moi, car je suis un homme pécheur. "

RAB. Le mot Gerasa signifie celui qui repousse son habitant, ou bien l'étranger qui approche, c'est-à-dire la gentilité qui repousse loin d'elle le démon, et qui d'abord éloignée du Christ s'approche de lui lorsqu'après sa résurrection il la visite par ses Apôtres. - S. AMB. (Liv. 6 sur saint Luc, chap. 18.) Ces deux possédés du démon sont aussi la figure des païens, car Noé ayant eu trois enfants, Sem, Cham et Japhet, et la famille de Sem ayant seule formé le peuple de Dieu, ses deux frères sont comme la souche de la multitude des nations païennes. - S. HIL. (can. 8 sur S. Matthieu.) Voilà pourquoi les démons retenaient ces deux possédés hors de la ville, hors de la synagogue, de la loi et des prophètes ; en effet, les origines de ces deux nations étaient comme situées au milieu des demeures des défunts et des cadavres des morts, rendant le chemin de la vie présente dangereux à tous ceux qui le traversent. - RAB. Ce n'est pas sans raison que l'Évangéliste nous fait remarquer que ces deux possédés habitaient dans les tombeaux. Que sont en effet, les corps de ceux qui sont infidèles à leur Dieu, si ce n'est des tombeaux où est renfermée non pas la parole de Dieu, mais l'âme que les péchés ont mise à mort ? L'auteur sacré ajoute que personne ne pouvait passer par le chemin, parce qu'avant l'avènement du Sauveur la gentilité était en marche et dans le chemin. Ou bien encore, ces deux hommes représentent les Juifs et les païens qui n'habitaient plus dans leur maison, c'est-à-dire qui ne trouvaient plus de repos dans leur conscience, mais qui demeuraient dans des tombeaux, c'est-à-dire dans des oeuvres mortes, et personne ne pouvait plus passer par le chemin de la foi, que les attaques des Juifs rendaient impraticable.

S. HIL. (can. 8.) Ceux qui viennent au devant de Jésus figurent le concours de ceux qui se portent volontairement au devant du salut. Quant aux démons, voyant qu'ils ne peuvent plus demeurer au milieu des Gentils, ils demandent avec instance qu'on leur laisse habiter le cœur des hérétiques, et à peine s'en sont-ils emparés, que par 1'instinct qui leur est naturel, ils les précipitent dans la mer, c'est-à-dire dans les passions du monde, pour les y faire périr avec les restes de l'incrédulité. - BEDE. Ou bien, les pourceaux sont ceux qui mettent leur jouissance dans la fange du vice, car le démon n'a de pouvoir sur personne à moins qu'il ne vive de la vie des pourceaux ou s'il a quelque pouvoir, ce n'est point celui de perdre, mais d'éprouver. Ces pourceaux qui ont été précipités dans le lac sont une figure de ceux qui après que les Gentils ont été délivrés de la tyrannie des démons, ont refusé de croire en Jésus-Christ et pratiquent dans des lieux retirés leurs rites sacrilèges, aveuglés qu'ils sont et comme submergés dans les abîmes de leur curiosité. Ces gardiens des pourceaux qui s'enfuient tout en annonçant ce prodige figurent ces princes des impies qui, tout en ne voulant point se soumettre à la loi chrétienne, ne cessent cependant de célébrer avec admiration la puissance de Jésus-Christ. Ceux qui frappés d'une grande crainte, prient le Sauveur de s'éloigner, représentent la multitude retenue par la fausse douceur de ses anciennes habitudes, qui ne veut point rendre honneur à la loi chrétienne, en disant qu'il lui est impossible de l'accomplir.