ÉVANGILE DE SAINT MATHIEU PAR SAINT THOMAS D'AQUIN
CATANA AUREA DE SAINT THOMAS D'AQUIN SUR SAINT MATTHIEU
CHAPITRE XIX
vv. 1-8.
S. CHRYS. (hom. 62.) Notre-Seigneur était précédemment
sorti de la Judée à cause de la jalousie de ses ennemis ; il y
revient maintenant fixer son séjour, parce que le temps de sa passion
n'était plus éloigné. Cependant il ne s'avance pas au cur
de la Judée, mais il s'arrête sur ses frontières. "
Et il arriva, dit l'auteur sacré, que lorsque Jésus eut achevé
tous ces discours, " etc. - RAB. L'Évangéliste commence donc
à raconter les actions, les enseignements de Jésus et aussi ce
qu'il eut à souffrir, d'abord au delà du Jourdain, à l'Orient,
ensuite en deçà du Jourdain, lorsqu'il vint à Jéricho,
à Bethphagé et à Jérusalem : " Et il vint aux
confins de la Judée. " - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Il agit en cela
avec justice, comme le Seigneur de tous les hommes, qui aime les uns sans délaisser
les autres. - REMI. Il faut se rappeler que tout le pays habité par les
Israélites portait le nom général de Judée, mais
que ce nom était donné d'une manière spéciale à
la partie méridionale habitée par la tribu de Juda et par celle
de Benjamin, pour la distinguer des autres pays renfermés dans la même
province, comme la Samarie, la Galilée, la Décapote et d'autres
encore.
" Et de grandes troupes le suivirent. " - S. CHRYS. (sur S. Matth.)
ils l'accompagnaient, comme de jeunes enfants conduisent leur père partant
pour un long voyage. Et le Sauveur, comme un père, qui est sur son départ,
leur laissa pour gages de sa tendresse la guérison de leurs maladies,
comme l'indique l'auteur sacré : " Et il les guérit. "
- S. CHRYS. (hom. 63.) Remarquons ici que le Seigneur ne s'applique continuellement
ni à enseigner le peuple, ni à faire des miracles, mais il fait
alternativement l'un et l'autre pour confirmer par les miracles l'autorité
de ses paroles, et montrer, par la nature de ses enseignements, l'utilité
des miracles.
ORIG. (traité 7 sur S. Matth.) Notre-Seigneur guérissait tout
ce peuple au delà du Jourdain où le baptême était
donné, car c'est vraiment dans le baptême que tous les hommes sont
délivrés de leurs infirmités spirituelles ; et s'il en
est beaucoup qui suivent Jésus-Christ comme la multitude, tous cependant
n'imitent pas la conduite de saint Matthieu, qui se leva aussitôt et quitta
tout pour suivre le Christ. - RAB. Il guérit aussi les Galiléens
sur les confins de la Judée, pour montrer qu'il comprend les Gentils
dans le pardon qu'il préparait à la Judée. - S. CHRYS.
(hom. 62.) Jésus-Christ guérissait les hommes, et les bienfaits
dont ils étaient l'objet se répandaient par eux sur une foule
d'autres, car leur guérison était pour un grand nombre une occasion
d'acquérir la connaissance de sa divinité. Ce n'était pas
toutefois pour les pharisiens, que ses miracles ne faisaient qu'endurcir comme
l'indiquent les paroles suivantes : " Et les pharisiens s'approchèrent
de lui pour le tenter, et ils lui dirent : Est-il permis à un homme de
renvoyer sa femme, " etc. - S. JER. Ils veulent le prendre dans ce dilemme
sans réplique, et le faire tomber dans le piège, quelle que soit
sa réponse : S'il dit qu'on peut renvoyer sa femme pour toute sorte de
raisons et eu prendre une autre, il se trouvera en contradiction avec sa doctrine
sur la pureté des moeurs ; s'il répond, au contraire, qu'il est
défendu de la renvoyer pour toute espèce de motifs, il sera convaincu
de sacrilège et d'opposition à la doctrine de Moïse et de
Dieu lui-même. - S. CHRYS. (Hom. 62.) Voyez comme leur méchanceté
paraît jusque dans la manière dont ils l'interrogent. Le Sauveur
avait déjà eu occasion d'expliquer ce commandement, et ils viennent
le questionner comme s'ils n'en avaient jamais parlé, s'imaginant sans
doute qu'il avait oublié ce qu'il avait pu dire. - S. CHRYS. (sur S.
Matth.) Lorsque vous voyez un homme cultiver avec soin l'amitié des médecins,
vous en concluez qu'il est atteint de quelque infirmité ; de même,
lorsque vous voyez un homme et une femme qui viennent questionner sur les moyens
de renvoyer sa femme ou son mari, concluez sûrement que cet homme, que
cette femme mènent une vie dissolue ; car la chasteté se plaît
dans les liens du mariage, mais le libertinage regarde ces liens comme un esclavage
et un supplice. Les pharisiens savaient bien qu'ils n'avaient aucune raison
valable pour renvoyer leurs femmes, si ce n'est des motifs honteux, et ils ne
laissaient pas de contracter avec l'une et avec l'autre de nouveaux engagements.
Ils n'osèrent pas demander à Jésus pour quels motifs il
était permis de renvoyer sa femme, afin de ne pas se trouver resserrés
dans les limites étroites de raisons claires et précises ; mais
ils lui demandent s'il est permis de la renvoyer pour toute espèce de
raisons, car ils savaient bien que la passion ne sait ni s'arrêter ni
se contenir dans les bornes d'un seul mariage, mais que plus on la satisfait,
plus elle s'enflamme.
ORIG. (Traité
7 sur S. Matth.) En voyant que Notre-Seigneur a voulu être ainsi tenté,
qu'aucun de ses disciples, chargé d'enseigner les autres, ne s'attriste
d'être éprouvé de la même manière, mais qu'il
considère le Sauveur, faisant à ceux qui le tentent, une réponse
pleine de religion et de piété. - S. JER. Il pèse tous
les termes de sa réponse, de manière à éviter le
piége qu'ils lui tendent, et il produit tout à la fois le témoignage
de l'Écriture et de la loi naturelle, pour mettre ainsi en comparaison
la première déclaration de Dieu avec la seconde : " Et il
leur répondit : N'avez-vous pas lu que Celui qui a créé
l'homme dès le commencement créa un seul homme et une seule femme
? " C'est ce qui est écrit au commencement de la Genèse.
Or, ces paroles : " Un seul homme et une seule femme, " prouvent qu'on
doit éviter de s'engager dans les liens d'un second mariage. En effet,
Notre-Seigneur n'a pas dit : mâle au singulier et femelle au pluriel,
ce que les Juifs avaient en vue en répudiant leur première épouse,
mais mâle et femelle, tous deux au singulier, afin qu'on ne s'engageât
dans les liens que d'un seul mariage. - RAB. C'est par un dessein salutaire
de Dieu qu'il a été établi que l'homme devrait aimer dans
la femme une partie de son propre corps et ne pas regarder comme lui étant
étrangère une chair qu'il reconnaîtrait avoir été
tirée de lui. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Or, si Dieu a créé
d'une seule et même chose l'homme et la femme pour établir entre
eux une parfaite unité, pourquoi l'homme et la femme ne naissent-ils
pas simultanément du même sein, comme il arrive pour certains oiseaux
? Parce que, bien que Dieu ait créé l'homme et la femme en vue
de la génération des enfants, cependant il est toujours l'ami
de la chasteté et l'auteur de la continence. C'est pourquoi Dieu n'a
pas suivi la même règle dans la génération humaine.
D'après cette règle, si l'homme veut se marier selon l'ordre établi
dès la création, il doit comprendre parfaitement ce qu'est l'homme
et la femme, et, s'il ne veut pas se marier, il n'y est point comme forcé
par une union qui daterait de sa naissance, et il ne devient point ainsi, en
gardant la continence, la perte d'un autre qui ne s'y croirait pas appelé.
C'est ainsi que le Seigneur, le mariage une fois contracté, défend
aux époux de se séparer l'un de l'autre, si ce n'est d'un consentement
mutuel. - S. CHRYS. (hom. 60.) Ce n'est pas seulement d'après la règle
suivie dans la création, mais d'après une loi formelle qu'il établit,
que le mariage est l'union indissoluble d'un seule avec une seule ; c'est pour
cela qu'il ajoute : " L'homme abandonnera son père et sa mère
et s'attachera à son épouse. " - S. JER. Il dit encore ici
" à son épouse, " et non " à ses épouses,
" et il ajoute expressément : " ils seront deux dans une seule
chair ; " car un des principaux avantages de l'union conjugale, c'est de
réunir deux corps en une seule chair. - LA GLOSE. Ou bien ces paroles
: " dans une seule chair " signifient l'union elle-même des
deux sexes. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Si donc parce que la femme vient de
l'homme et qu'ils sont tous deux d'une même chair, l'homme doit abandonner
son père et sa mère, on doit voir exister une plus grande affection
entre les frères et soeurs qui sortent des mêmes parents, tandis
que les époux viennent de familles différentes. Cependant l'affection
des époux est de beaucoup supérieure, parce que l'institution
divine est plus forte que la force même de la nature ; en effet, les préceptes
divins ne sont point soumis à la nature, tandis que la nature obéit
aux commandements de Dieu. D'ailleurs, les frères sortent d'une seule
et même union pour suivre des routes différentes ; l'homme et la
femme, au contraire, naissent de parents divers pour accomplir ensemble la même
destinée. L'ordre que suit la nature vient ici confirmer l'ordre établi
de Dieu ; car ce que la sève est dans les arbres, l'amour l'est dans
les hommes. Or, la sève monte de la racine pour former le corps de la
plante, et de là s'élève encore plus haut pour se transformer
en semence. C'est ainsi que les parents aiment leurs enfants et n'en sont pas
également aimés, car l'homme applique surtout son affection non
pas à aimer ceux qui lui ont donné le jour, mais aux enfants qui
naissent de son union, comme il est écrit : " L'homme abandonnera
son père et sa mère et s'attachera à son épouse.
"
S. CHRYS. (hom. 62.) Admirez la sagesse de ce divin Maître. On lui demande
: " Est-il permis ? " Il ne répond pas aussitôt : "
Il n'est pas permis, " pour ne pas les troubler et les déconcerter,
mais il appuie cette défense sur des preuves. Dieu, en effet, dès
le commencement, fit l'homme et la femme, et il ne les unit pas d'une manière
ordinaire, mais il leur ordonna d'abandonner leur père et leur mère.
Il ne se contente pas non plus de commander à l'homme d'aller trouver
la femme, il veut qu'il lui soit uni, et, par la manière dont il s'exprime,
il établit l'indivisibilité du mariage. Mais il montre encore
plus fortement combien cette union est étroite en ajoutant : " Et
ils seront deux dans une seule chair. " - S. AUG. (sur la Genèse
dans le sens litter., 9.) Ces paroles, au témoignage de l'Écriture,
ont été dites par le premier homme ; le Seigneur, cependant, les
attribue à Dieu lui-même. Nous devons donc comprendre qu'Adam,
par suite de l'extase qui avait précédé, a pu dire ces
paroles par inspiration et comme prophète. - REMI. L'Apôtre saint
Paul nous enseigne que c'est là un grand mystère en Jésus-Christ
et en son Église. (Ep 5.) En effet, Notre-Seigneur Jésus-Christ
abandonna en quelque sorte son Père, lorsqu'il descendit des cieux sur
la terre ; il abandonna sa mère, c'est-à-dire la synagogue, en
punition de son infidélité, et il s'attacha à son épouse,
c'est-à-dire à la sainte Église, et ils sont deux dans
une chair, c'est-à-dire Jésus-Christ et l'Église dans un
seul corps.
S. CHRYS. (hom. 62,) Après avoir rapporté les paroles et les faits
de la loi ancienne, Jésus les interprète lui-même avec autorité,
et il établit la loi en ces termes : " Ainsi ils ne sont plus deux,
mais une seule chair. " De même qu'on dit de ceux qui s'aiment d'un
amour spirituel, qu'ils ne font qu'une seule âme, comme l'atteste l'Écriture
: " Tous les croyants n'avaient qu'un cur et qu'une âme "
(Ac 4) ; ainsi on dit de l'homme et de la femme qui s'aiment d'un amour selon
la chair, qu'ils ne sont qu'une même chair ; or, si c'est une chose horrible
de couper ou de déchirer sa propre chair, il ne l'est pas moins de séparer
la femme de son mari. - S. AUG. (Cité de Dieu, 14, 22.) Notre-Seigneur
dit qu'ils ne font qu'un, ou bien à cause de leur union, ou à
cause de l'origine de la femme, qui a été tirée du côté
de l'homme. - S. CHRYS. (hom. 62) Enfin, il fait intervenir l'autorité
de Dieu lui-même en disant : " Que l'homme donc ne sépare
pas ce que Dieu a uni ; paroles qui démontrent que renvoyer sa femme,
c'est agir à la fois contre la nature et contre la loi : contre la nature,
en divisant une seule et même chair ; contre la loi, parce que renvoyer
sa femme, c'est rompre des liens que Dieu lui-même avait assemblés
et déclarés indissolubles. - S. JER. Dieu a formé cette
union en ne faisant qu'une chair de l'homme et de la femme ; ce n'est donc pas
à l'homme, mais à Dieu seul de la séparer ; or, l'homme
sépare, lorsqu'il renvoie sa première femme par le désir
d'en prendre une autre ; Dieu sépare, lui qui avait uni, lorsque, d'un
mutuel consentement et en vue du service de Dieu, nous avons une femme ; mais
que nous sommes comme n'en ayant pas. (1 Co 7.) - S. AUG. (contre Fauste, 19,
29.) Voilà donc les Juifs convaincus par les livres de Moïse qu'on
ne doit pas renvoyer son épouse, eux qui croyaient agir conformément
à la loi de Moïse, lorsqu'ils répudiaient leurs femmes. Nous
apprenons en même temps par le témoignage de Jésus-Christ
que Dieu a fait l'homme et la femme, et les a unis entre eux, doctrine qui condamne
les Manichéens qui nient cette vérité et se mettent ainsi
en opposition avec l'Évangile de Jésus-Christ.
S. CHRYS. (sur S. Matth.) Une déclaration aussi conforme à la
chasteté est accablante pour des fornicateurs ; ils ne peuvent rien opposer
à la raison, mais ils ne se rendent pas pour cela à la vérité.
Ils s'appuient donc de l'autorité de Moïse, comme des hommes qui
ayant une mauvaise cause à défendre ont recours à des personnages
haut placés, pour remporter par leur influence un triomphe qu'ils ne
peuvent espérer de la justice de leur cause. " Mais pourquoi donc,
lui disent-ils, Moïse a-t-il commandé, " etc. - S. JER. Ils
découvrent l'accusation calomnieuse qu'ils avaient préparée,
bien que le Sauveur n'ait point donné son propre sentiment, mais qu'il
n'ait fait que rappeler un fait de l'histoire ancienne et les commandements
de Dieu. - S. CHRYS. (hom. 62.) Si Notre-Seigneur eût été
en opposition avec l'Ancien Testament, il n'eût point pris la défense
de Moïse ; il n'aurait pas non plus montré le rapport des faits
anciens avec ce qui le concernait. Cependant l'ineffable sagesse du Sauveur
va jusqu'à justifier ses accusateurs dans sa réponse : "
Et il leur répondit : C'est à cause de la dureté de votre
cur que Moïse vous a permis, " etc. C'est ainsi qu'il justifie
MoIse de l'accusation qu'ils semblaient vouloir lui intenter, tour la faire
retomber tout entière sur leur tête. - S. AUG. (contre Fauste,
19, 29.) Quelle n'était pas en effet leur dureté, puisque l'acte
de répudiation qui offrait un moyen de séparation aux hommes justes
et prudents, ne pouvait ni les fléchir, ni ramener dans leurs curs
l'affection qui doit régner entre les époux. Mais quelle est donc
la fourberie des Manichéens, qui reprochent à Moïse d'avoir
détruit le mariage en autorisant le billet de répudiation et qui
louent Jésus-Christ d'avoir confirmé l'indissolubilité
du lien conjugal ? Dans leur opinion sacrilège, ils devraient, au contraire,
louer Moïse d'avoir séparé ce que le démon avait uni,
et blâmer Jésus-Christ d'avoir resserré des liens formés
par le démon.
S. CHRYS. (hom. 62.) Comme cette réponse pouvait produire une impression fâcheuse, le Sauveur en revient aussitôt à la loi et ajoute : " Mais au commencement, il n'en a pas été ainsi. " - S. JER. Paroles dont voici le sens : Est-ce que Dieu peut être en contradiction avec lui-même, à ce point d'établir une loi et de la détruire par un Commandement contraire ? c'est ce qu'on ne peut admettre. Mais Moïse, voyant que le désir d'épouser d'autres femmes, ou plus riches ou plus jeunes ou plus belles, était pour les premières épouses une cause de mauvais traitements et de mort, ou pour les maris de conduite licencieuse, aima mieux permettre le divorce, que de laisser persister les haines et les homicides. Remarquez encore qu'il ne dit pas : A cause de la dureté de votre cur, Dieu vous a permis, mais : " Moïse vous a permis ; " car, selon la remarque de l'Apôtre (1 Co 7, 12), c'était un conseil de l'homme et non pas un commandement de Dieu. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Aussi est-ce avec dessein qu'il dit : " Moïse vous a permis, " et non : Moïse vous a commandé ; car ce que nous commandons est l'expression d'une volonté qui persévère, tandis que ce que nous permettons, nous l'accordons malgré nous, parce que nous ne pouvons pas arrêter entièrement la mauvaise volonté des hommes. Moïse vous a donc permis de faire mal, pour vous empêcher de faire plus mal encore ; donc, en nous accordant cette permission, il ne vous a pas fait connaître ce qu'exige la justice de Dieu ; il a simplement déchargé le péché de culpabilité, de manière qu'en paraissant agir d'après votre loi, ce qui était péché cessât de l'être pour vous.
v. 9.
S. CHRYS. (hom. 62.) Après leur avoir ainsi fermé la bouche, Notre-Seigneur
établit d'autorité la loi en ces termes : " Aussi je vous
déclare que quiconque aura renvoyé son épouse, " etc.
- ORIG. On dira peut-être que Jésus, par ces paroles : " Quiconque
aura renvoyé sa femme, si ce n'est en cas d'adultère, " a
donc permis au mari de renvoyer son épouse, aussi bien que Moïse,
qui, au témoignage du Sauveur, leur a donné cette permission à
cause de la dureté de leur cur. Nous répondons que l'adultère,
crime pour lequel, selon la loi, on devait être lapidé (Jn 8, 5
; Lv 20, 20 ; Dt 22, 22), n'est point ce défaut honteux, pour lequel
Moïse permet de donner l'acte de répudiation ; car, dans le cas
d'adultère, cet acte de répudiation n'était pas nécessaire.
Peut-être Moïse a-t-il voulu désigner, par cette chose honteuse,
toute faute commise par la femme qui autorise le mari à lui donner un
acte de répudiation. Mais s'il n'est permis de renvoyer sa femme que
pour le seul crime d'adultère, que doit-on faire si une femme, innocente
de ce crime, est coupable d'un crime plus énorme, comme d'avoir empoisonné
ou mis à mort ses enfants ? Le Seigneur a tranché cette difficulté
dans un autre endroit en ces termes (Mt 5) : " Quiconque renverra sa femme,
si ce n'est pour cause d'adultère, la fait tomber dans l'adultère
en l'exposant à contracter un second mariage.
S. JER. Il n'y a donc que l'adultère qui puisse triompher de l'affection
qu'on doit à son épouse ; en effet, dès lors qu'elle a
partagé son corps avec un autre, et que par le crime de la fornication
elle s'est séparée de son mari, il ne doit point la garder, de
peur de tomber lui-même sous cette malédiction de l'Écriture
: " Celui qui retient une adultère est insensé et méchant.
" (Pv 18, 22.) - S. CHRYS. (sur S. Matth.) De même qu'un homme se
rendrait coupable de cruauté et d'injustice en renvoyant une femme chaste,
ainsi serait il insensé et inique s'il retenait une adultère,
car c'est patronner l'infamie que de dissimuler le crime d'une épouse
- S. AUG. (Des mariages adult. 2, 9) Cependant, après que le crime d'adultère
a été commis et expié, la réconciliation des époux
ne doit être ni difficile, ni regardée comme honteuse, alors que
les clefs du royaume des cieux donnent la certitude de la rémission des
péchés ; ce n'est pas sans doute que le mari doive rappeler sa
femme adultère après la séparation, mais il ne doit plus
la traiter d'adultère après qu'elle a été jugée
digne de l'union de Jésus-Christ.
S. CHRYS. (sur S. Matth.) Toute chose se détruit par les mêmes
causes qui l'ont fait naître ; or, ce n'est point l'acte du mariage, mais
la volonté des époux qui constitue l'union conjugale ; donc ce
n'est pas la séparation du corps qui la détruit, mais la séparation
de volonté. Celui donc qui se sépare de son épouse, sans
en prendre une autre, reste toujours l'époux de la première ;
car, bien qu'il en soit séparé de corps, il lui reste uni par
la volonté ; ce n'est que lorsqu'il en a pris une autre que la séparation
est complète et absolue. Aussi Notre-Seigneur ne dit pas : Celui qui
renvoie son épouse est adultère, mais : " Celui qui en prend
une autre. " - REMI. Il n'y a qu'une seule raison matérielle qui
puisse légitimer le renvoi d'une épouse : c'est l'adultère
; il n'y a qu'une seule raison spirituelle, et c'est la crainte de Dieu ; mais
il n'en est aucune qui permette de prendre une autre épouse du vivant
de celle qu'on a renvoyée. - S. JER. Il pouvait facilement arriver qu'un
homme calomniât une épouse innocente, et lui imputât un crime
imaginaire, afin de pouvoir contracter un second mariage. En permettant donc
de renvoyer la première femme, le Sauveur défend d'en prendre
une autre du vivant de la première. Et encore, comme il pouvait également
se faire qu'en vertu de la même loi, une femme donnât à son
mari un acte de répudiation, la même défense lui est faite
de prendre un second mari. Notre-Seigneur va plus loin : une femme de mauvaise
vie et qui s'est rendue coupable d'adultère ne craint pas beaucoup l'opprobre
; il est défendu à celui qui voudrait devenir son second mari
de la prendre, sous peine du crime d'adultère. " Et celui qui épouse
celle qu'un autre a renvoyée commet aussi un adultère. "
- LA GLOSE. Notre-Seigneur veut effrayer celui qui prendrait cette femme, parce
qu'une adultère ne redoute ni la honte, ni l'opprobre.
vv. 10-12.
S. JÉR. C'est un lourd fardeau qu'une épouse, s'il n'est point
permis de s'en séparer, sauf le cas d'adultère. Eh quoi ! si elle
est sujette à l'ivrognerie, à la colère, si elle est de
moeurs licencieuses, faudra-t-il donc la garder ? C'est en considérant
ce joug pesant du mariage, que les Apôtres expriment leur sentiment :
Ses disciples lui dirent : " Si la condition d'un homme est telle à
l'égard de sa femme, il n'est pas avantageux de se marier. " - S.
CHRYS. (hom. 62.) Car il est plus facile de lutter contre la concupiscence et
contre soi-même que contre une mauvaise femme. - S. CHRYS. (sur S. Matth.)
Or, le Seigneur ne répond point que cela est avantageux, au contraire,
il convient avec eux que ce n'est pas avantageux ; mais il tient compte en même
temps de l'infirmité de la chair, et il ajoute : " Tous ne comprennent
pas cette parole, " c'est-à-dire tous ne sont pas capables de cette
résolution. - S. JER. Gardons-nous de penser qu'en disant : " Ceux
à qui il a été donné, " le Sauveur ait voulu
parler du destin ou du hasard, en ce sens que ceux qui ont reçu le don
de la virginité, n'en soient redevables qu'au hasard ; car ce don est
accordé à ceux qui l'ont demandé à Dieu, qui l'ont
voulu, et qui ont fait des efforts pour l'obtenir. - S. CHRYS. (sur S. Matth.)
Si donc tous ne comprennent pas cette parole, c'est qu'ils ne veulent pas la
comprendre. La palme est offerte à tous, que celui qui désire
la gloire, ne pense pas à la fatigue, personne ne pourrait remporter
la victoire, si tous craignaient le danger. De ce qu'il en est qui ne tiennent
pas la résolution qu'ils ont prise d'être chastes, nous ne devons
pas en être plus négligents dans la pratique de cette vertu ; ainsi
ceux qui tombent sur le champ de bataille n'amortissent pas le courage des autres.
En s'exprimant de la sorte : " Ceux à qui il a été
donné, " le Sauveur nous apprend que sans le secours de la grâce,
tous nos efforts seraient inutiles. Or, ce secours de la grâce n'est jamais
refusé à ceux qui le demandent ; car le Seigneur a dit : "
Demandez et vous recevrez. " S. CHRYS. (hom. 62.) Il prouve ensuite la
possibilité de cette vertu, en ajoutant : " Il y a des eunuques,
" etc., paroles dont voici le sens : Pensez à ce que vous feriez
si vous étiez devenu eunuque par la main des hommes. Vous seriez privé
et de la volupté, et de la récompense de la chasteté. -
S. CHRYS. (sur S. Matth.) De même que l'action séparée de
la volupté ne peut constituer le péché, ainsi l'acte, sans
la volonté, ne peut être imputé à justice. La chasteté,
vraiment méritoire et glorieuse, n'est donc pas celle qui vient de l'impuissance
d'un corps incapable d'enfreindre cette vertu, mais celle qui résulte
de la résolution libre et sainte de garder la continence.
S. JER. Il établit donc trois genres d'eunuques, deux dans le sens matériel,
et le troisième dans le sens spirituel : les uns sont nés ainsi
dès le sein de leur mère ; les autres sont ceux que la captivité
a rendu tels, ou qui ont été mutilés pour le plaisir des
personnes de qualité ; les troisièmes sont ceux qui se sont faits
eunuques eux-mêmes pour le royaume des cieux, et qui, pouvant être
des hommes jouissant de la virilité, se sont faits eunuques par amour
pour Jésus-Christ ; c'est à ces derniers qu'il promet la récompense
; mais les autres, pour qui la chasteté est une nécessité
et non pas un sacrifice volontaire, n'ont rien à espérer. - S.
HIL. D'un côté nous voyons la nature dans celui qui est eunuque
de naissance, de l'autre, la nécessité dans celui qui l'est devenu
de la main des hommes, de l'autre, enfin, la volonté dans celui qui a
résolu de vivre tel, dans l'espérance du royaume des cieux. -
S. CHRYS. (sur S. Matth.) Qu'il y en ait qui soit eunuques de naissance, on
ne peut l'attribuer qu'à la création, de même que ceux qui
naissent avec six ou quatre doigts ; car si Dieu laissait la nature de chacun
des êtres créés suivre d'une manière immuable l'ordre
qu'il a établi dès le commencement, les hommes finiraient par
oublier l'opération de la toute-puissance divine. C'est pourquoi la nature
des choses contrevient de temps en temps aux lois naturelles établies,
pour rappeler sans cesse au souvenir des hommes, que Dieu est l'artisan souverain
de la nature.
S. JER. Nous pouvons donner une autre explication : Ceux qui sont eunuques dès
le sein de leur mère sont ceux qui sont d'un tempérament froid
et sans inclination pour le plaisir ; ceux qui le sont par le fait des hommes,
sont ceux que les médecins ont faits eunuques ou à qui on fait
prendre les moeurs efféminées des femmes pour servir au culte
des idoles ; ou bien ceux qui, à la persuasion des hérétiques,
simulent la chasteté pour se couvrir des dehors trompeurs de la vraie
religion. Or, aucun d'eux n'obtiendra le royaume des cieux, à l'exception
de ceux qui se sont rendus eunuques pour Jésus-Christ. C'est pour cela
que le Sauveur ajoute : " Qui peut comprendre ceci le comprenne. "
C'est-à-dire que chacun interroge ses forces pour voir s'il peut remplir
les devoirs qu'impose la virginité et la pureté. La chasteté
a des charmes naturels, elle attire à soi tout le monde, mais il faut
que chacun examine ses forces, et que celui qui peut comprendre comprenne. "
C'est la parole du Seigneur qui exhorte ses soldats, et les appelle à
conquérir la palme de la chasteté, et il leur tient ce langage
: " Que celui qui peut combattre, ne refuse pas le combat, qu'il remporte
la victoire et qu'il triomphe. " - S. CHRYS. (hom. 62.) Lorsque le Seigneur
dit qu'il en est qui se sont faits eunuques, il ne veut point parler du retranchement
d'aucun membre, mais de la mortification des pensées mauvaises ; car
celui qui se mutile lui-même est soumis à la malédiction,
parce qu'il se rend coupable du crime des homicides, donne occasion aux Manichéens
de rabaisser la créature, et qu'il imite la conduite des païens
qui se mutilent ainsi eux-mêmes ; la pensée de se retrancher un
membre ne peut venir que d'une tentation du démon. D'ailleurs, en agissant
ainsi, on n'éteint pas les feux de la concupiscence, on ne fait que les
irriter, puisque le sperme qui est en nous a d'autres sources, et surtout dans
les désirs impurs et dans la négligence de l'âme. Si l'âme
est mortifiée, elle n'a rien à craindre des mouvements naturels
de la concupiscence ; de même que cette mutilation d'un membre ne suffit
pas pour réprimer les tentations, et pour donner la paix à l'âme,
en mettant comme un frein aux pensées mauvaises.
vv. 13-15.
S. CHRYS. (sur S. Matth.) Notre-Seigneur venait de parler de la chasteté
; quelques-uns de ceux qui l'avaient écouté lui présentèrent
des enfants d'une grande pureté, car ils pensaient que le Sauveur n'avait
relevé le mérite que de la pureté du corps : " On
lui présenta alors des enfants, " etc. - ORIG. Ils savaient par
l'expérience de ses miracles que l'imposition seule de ses mains, jointe
à la prière, suffisait pour repousser tout accident funeste ;
ils lui présentent donc des enfants, dans la pensée, qu'après
que le Seigneur leur aurait communiqué, en les touchant, une vertu toute
divine, ils seraient à l'abri de tout malheur, et des attaques du démon
(cf. Ps 110, 6). - REMI. C'était une coutume chez les anciens de présenter
les petits enfants aux vieillards, pour que ces derniers pussent les bénir
de la main ou par leurs paroles, et c'est en vertu de cet usage que ces petits
enfants sont présentés au Seigneur.
S. CHRYS. (sur S. Matth.) L'homme charnel, qui ne peut se réjouir dans
le bien, l'oublie facilement, tandis qu'il ne perd jamais le souvenir du mal
qu'il a entendu. Jésus venait à peine de prendre un enfant et
de dire : " Si vous ne devenez comme cet enfant, vous n'entrerez pas dans
le royaume des cieux, " et voilà qu'aussitôt les disciples,
oubliant l'innocence de cet âge, éloignaient les enfants du Sauveur
comme indignes de s'approcher de lui. " Et comme ses disciples les repoussaient,
" etc. - S. JER. Ce n'est pas qu'ils voulussent s'opposer à ce que
Jésus les bénît de la main et de la voix, mais n'ayant pas
encore une foi très grande, ils s'imaginaient qu'en cela, semblable aux
autres hommes, le Sauveur était fatigué de l'importunité
de ceux qui lui présentaient ces enfants. - S. CHRYS. (hom. 62.) Ou bien
encore, les disciples repoussaient les enfants par égard pour la dignité
de Jésus-Christ ; mais le Seigneur, voulant les former à l'humilité
et leur apprendre à fouler aux pieds les prétentions de l'orgueil
humain, prend ces petits enfants, les tient dans ses bras, et promet le royaume
des cieux à ceux qui leur ressemblent. " Et Jésus leur dit
: Laissez les enfants, et ne les empêchez pas, " etc. - S. CHRYS.
(sur S. Matth.) Qui mériterait, en effet, d'approcher de Jésus
si on éloigne de lui la simplicité de l'enfance ? Aussi ajoute-t-il
: " Et ne les empêchez pas, " etc. ; car, s'ils doivent être
un jour des saints, pourquoi défendre aux fils d'approcher de leur père
; et s'ils doivent devenir pécheurs, pourquoi prononcer la sentence de
condamnation avant d'avoir vu leurs fautes. - S. JER. C'est avec dessein qu'il
dit : " C'est à ceux qui leur ressemblent qu'appartient le royaume
des cieux, " et non pas " à ceux-ci ; " il veut montrer
que ce n'est pas à l'âge, mais à la pureté des moeurs
qu'appartient le royaume des cieux, et que c'est à ceux qui imitent leur
innocence et leur simplicité que la récompense est promise.
" Et lorsqu'il leur eut imposé les mains, " etc. - S. CHRYS.
(sur S. Matth.) Ce passage de l'Évangile apprend à tous les parents
qu'ils doivent présenter leurs enfants aux prêtres ; car ce n'est
pas le prêtre qui leur impose alors les mains, c'est Jésus-Christ,
au nom duquel se fait cette imposition. En effet, si celui qui offre à
Dieu par la prière la nourriture qu'il va prendre, mange cette nourriture,
sanctifiée par la parole de Dieu et la prière, selon la doctrine
expresse de l'Apôtre (1 Tm 4, 5), combien plus est-il nécessaire
d'offrir les enfants à Dieu pour qu'il les sanctifie. La raison pour
laquelle nous bénissons notre nourriture avant de la prendre, c'est que
le monde tout entier est sous l'empire de l'esprit malin (1 Jn 5, 19), et que,
par conséquent, toutes les choses corporelles qui forment une grande
partie du monde créé lui sont soumises ; les enfants eux-mêmes,
lorsqu'ils viennent au monde, sont donc également sous son empire quant
à leur corps.
ORIG. Dans le sens mystique, nous appelons enfants ceux qui sont encore charnels
en Jésus-Christ, et qui ont encore besoin de lait. (1 Co 3.) Ceux au
contraire, qui professent la doctrine du Verbe, mais qui sont encore simples
et nourris d'un enseignement approprié à la faiblesse du jeune
âge, sont encore novices, ce sont eux qui présentent au Sauveur
les enfants et les petits ; mais ceux qui sont plus parfaits, c'est-à-dire
les disciples de Jésus, avant de connaître les dispositions de
la justice divine à l'égard des enfants, s'élèvent
contre ceux qui, à l'aide d'une doctrine élémentaire, présentent
à Jésus-Christ les enfants et les petits, c'est-à-dire
les moins instruits. Or, le Seigneur veut apprendre à ses disciples parvenus
à la maturité de l'âge, à condescendre à la
faiblesse des enfants et aux exigences de leur âge, et à devenir
comme des enfants pour les enfants, afin de les gagner à Jésus-Christ,
et il leur dit : " Le royaume des cieux est pour ceux qui leur ressemblent,
car lui-même, qui avait la nature de Dieu, a daigné se faire enfant
". (1 Ph 2.) Voilà donc ce qu'il nous faut considérer attentivement
afin que le désir d'une sagesse plus excellente et d'un progrès
spirituel plus avancé ne nous porte à mépriser les petits
enfants comme si nous étions au-dessus d'eux, et à les empêcher
de s'approcher de Jésus. Et comme les enfants ne sont pas capables de
suivre tous les enseignements de Jésus, il leur impose les mains, et
après leur avoir communiqué une vertu particulière par
ce divin attouchement, il les laisse comme étant encore incapables de
le suivre, à l'exemple des autres disciples plus parfaits. - REMI. Il
bénit les enfants en leur imposant les mains, pour signifier que les
humbles d'esprit sont dignes de sa grâce et de sa bénédiction.
- La GLOSE. Il leur imposa aussi les mains pour marquer que la grâce du
secours divin serait départie à ceux dont la pureté égale
l'humilité. - S. HIL. (can. 19 sur S. Matth.) Les enfants sont encore
la figure des Gentils qui ont retrouvé le salut par la foi et par ce
qu'ils ont entendu. Cependant les disciples, dans le désir qu'ils ont
de sauver d'abord le peuple d'Israël, les empêchent d'approcher.
Le Seigneur, alors, leur défend de les éloigner ; car le don du
Saint-Esprit devait être accordé aux Gentils par l'imposition des
mains et par la prière, après l'abolition des prescriptions légales.
vv. 16-22.
RAB. Ce jeune homme avait peut-être entendu dire à Notre-Seigneur
que ceux-là seuls étaient dignes d'entrer dans le royaume des
cieux, qui s'appliquent à devenir semblables aux petits enfants, mais
il veut en être plus certain, il demande donc qu'on lui explique, non
point en paraboles, mais en termes clairs, par quels moyens on peut mériter
la vie éternelle : " Alors un jeune homme s'approcha, et lui dit
: Bon maître, quel bien faut-il que je fasse, " etc. - S. JER. Celui
qui fait cette question est un jeune homme riche et plein de lui-même,
il interroge, non par le désir d'apprendre, mais pour tenter le Seigneur,
et la preuve, c'est qu'après que Jésus lui eut répondu
: " Si vous voulez entrer dans la vie, gardez les commandements, "
il demande de nouveau artificieusement, quels sont ces commandements, comme
s'il ne les avait pas lus bien des fois, ou comme si le Sauveur pouvait lui
commander des choses contraires aux préceptes divins. - S. CHRYS. (hom.
63.) Je n'hésite pas à dire que ce jeune homme était esclave
de l'avarice et de l'amour des richesses, puisque le Seigneur lui-même
lui a reproché ce vice ; mais je ne puis le regarder en aucune façon
comme un hypocrite, parce qu'il est dangereux de juger en matière incertaine,
surtout lorsqu'il s'agit d'accuser. En effet, saint Marc détruit entièrement
ce soupçon, car il rapporte que cet homme accourut, et se mit à
genoux devant Jésus pour lui faire cette question, et que Jésus,
l'ayant regardé, conçut pour lui de l'affection. Or, s'il était
venu pour le tenter, l'Évangéliste nous l'aurait fait remarquer,
comme il le fait ordinairement pour les autres, et en supposant qu'il eût
gardé le silence sur ce point, le Sauveur n'aurait pas permis que son
hypocrisie demeurât cachée, mais il lui en aurait fait des reproches
publics, ou il l'en aurait repris en secret, ce qu'il ne fait en aucune façon,
car voici la suite du récit : " Et il lui dit : Pourquoi m'appelez-vous
bon ? "
S. AUG. (de l'accord des évang., 2, 63.) Il y a, ce semble, une différence
assez grande entre ce que dit ici saint Matthieu : " Pourquoi me demandez-vous
le bien que vous devez faire ? " et celles que rapportent saint Marc et
saint Luc : " Pourquoi m'appelez-vous bon ? " La première variante
: " Pourquoi me demandez-vous le bien que vous devez faire ? " se
rapporte plus directement à cette question : " Quel bien faut-il
que je fasse ? " Car ce jeune homme y parle expressément du bien,
et en fait l'objet même de sa question, tandis qu'en disant : " Bon
maître, " il n'interroge pas encore. On peut donc admettre parfaitement
que Notre-Seigneur lui a répondu par ces deux questions : " Pourquoi
m'appelez-vous bon, et pourquoi m'interrogez-vous sur le bien que vous devez
faire ? " - S. JER. Comme ce jeune homme l'avait appelé bon maître,
mais sans reconnaître qu'il était Dieu ou le Fils de Dieu, Jésus
lui répond qu'aucun homme, quelque saint qu'il soit, n'est bon en comparaison
de Dieu, dont il est dit : " Louez le Seigneur, parce qu'il est bon (Ps
105, 1 ; 106, 1 ; 117, 1 ; 135, 1 ; 1 Parai., 16, 34 ; 5, 13 ; Dn 3, 89). "
Et c'est pour cela qu'il ajoute : " Il n'y a que Dieu seul qui soit bon.
" Mais que personne ne pense que ces paroles : " Il n'y a que Dieu
seul qui soit bon, " ne comprennent pas le Fils de Dieu dans cette bonté
qui est l'attribut de la divinité ; car nous lisons dans un autre passage
: " Le bon Pasteur donne sa vie pour ses brebis. " - S. AUG. (de la
Trinit., 1, 13.) Ou bien dans un autre sens, ce jeune homme cherchait la vie
éternelle, qui consiste dans la contemplation de Dieu, dont la claire
vision est une cause non de peine, mais de joie éternelle. Or, il ne
comprenait pas quel était celui avec lequel il parlait, et le regardait
seulement comme Fils de l'homme. Le Sauveur lui répond donc : "
Pourquoi me demandez-vous le bien qu'il faut faire, et m'appelez-vous bon maître
en ne consultant que ce qui frappe vos yeux ? " Cette forme du Fils de
l'homme apparaîtra au jour du jugement, non-seulement aux yeux des justes,
mais des impies, et cette vue sera pour eux un supplice, parce qu'elle leur
sera imposée comme châtiment. Mais il est une autre vision de cette
nature par laquelle je suis égal à Dieu, et c'est ce Dieu un dans
sa nature, Père, Fils et Saint-Esprit qui est seul bon, parce que sa
vue n'est pour personne un sujet de deuil et de gémissement, mais une
source de salut et de joie véritable. - S. JER. Le Sauveur ne refuse
pas de recevoir ce témoignage rendu à sa bonté ; il repousse
simplement l'erreur qu'il était maître sans être Dieu. -
S. CHRYS. (hom. 63.) Mais quelle utilité à lui répondre
de la sorte ? C'était pour te ramener peu à peu, lui apprendre
à se dépouiller de l'esprit de flatterie et de l'amour des biens
de la terre, et lui persuader de s'attacher à Dieu, de chercher les biens
futurs, et de s'appliquer à la connaissance de celui qui est véritablement
bon, la racine et la source de tous les biens.
ORIG. (traité 8 sur S. Matth.) Jésus-Christ, en s'exprimant de la sorte, répond encore à la question que lui faisait ce jeune homme : Quel bien faut-il que je fasse, " etc. En effet, lorsque nous nous éloignons du mal, et que nous faisons le bien, on appelle bien ce que nous faisons relativement à ce que font les autres hommes, mais considéré dans la vérité et d'après ces paroles : " Il n'y a que Dieu seul qui soit bon, " le bien que nous faisons ne peut être appelé bien. On peut encore dire que le Seigneur, sachant que l'intention de celui qui l'interrogeait n'était pas de pratiquer le bien même tout naturel, lui répond : " Pourquoi me demandez-vous quel bien vous devez faire ? " c'est-à-dire : " Pourquoi me questionner sur le bien, alors que vous n'êtes pas disposé à le pratiquer ? " il ajoute ensuite : " Si vous voulez entrer dans la vie, " etc. Remarquez qu'il parle à ce jeune homme comme s'il était hors de la vie : " Si vous voulez entrer dans la vie, " car dans un sens véritable l'homme, qui vit éloigné de celui qui a dit : " Je suis la vie " (Jn 11 et 14), est en dehors de la vie. D'ailleurs tout homme sur la terre, est seulement dans l'ombre de la vie, entouré qu'il est d'un corps périssable et mortel. Or, il entrera dans la vie en s'abstenant des oeuvres mortes, et en désirant les oeuvres de la vie. Il y a aussi des paroles de mort et des paroles de vie, des pensées de mort et des pensées de vie, etc. ; c'est pour cela que Notre-Seigneur Jésus-Christ dit à ce jeune homme : " Si vous voulez entrer dans la vie. " - S. AUG. (serm. 17 sur les par. du Seig.) Il ne lui dit pas : si vous voulez arriver à la vie éternelle, mais : " Si vous voulez entrer dans la vie, " établissant ainsi que la seule et véritable vie est la vie éternelle. Considérons ici combien cette vie éternelle est digne de nos affections, alors que nous aimons tant cette misérable vie qui doit sitôt finir.
REMI. Ces paroles sont une preuve que la loi promettait à ceux qui l'accomplissaient, non-seulement les biens temporels, mais encore la vie éternelle, et, comme ce jeune homme l'avait entendu dire, il devient attentif et demande : " Quels sont ces commandements ? " - S. CHRYS. (hom. 63.) Il fait cette question sans intention de tenter le Seigneur, mais parce qu'il pensait qu'en dehors des préceptes de la loi, il en était d'autres qui seraient pour lui un principe de vie.
REMI. Jésus
use à son égard d'une grande condescendance comme avec un malade,
et lui expose avec douceur les préceptes de la loi Jésus lui dit
: " Vous ne commettrez pas d'homicide, " etc. L'exposition abrégée
de ces préceptes se trouve dans la proposition suivante : " Et vous
aimerez votre prochain comme vous-même, " ainsi que le dit l'Apôtre
: " Celui qui aime le prochain a accompli la loi. " (Rm 16.) Si l'on
examine pourquoi Notre-Seigneur ne rappelle ici que les préceptes de
la seconde table, on reconnaîtra que c'est, sans doute, parce que ce jeune
homme s'appliquait à développer en lui l'amour de Dieu, ou bien,
parce que l'amour du prochain est un degré pour s'élever à
l'amour de Dieu. - ORIG. Ou bien peut-être, ces préceptes suffisent
pour qu'on puisse entrer dans ce que j'appellerai le commencement de la vie,
mais ils ne suffisent pas, non plus que d'autres semblables pour nous introduire
dans la partie la plus intime de la vie. Or, celui qui aura transgressé
un de ces commandements, n'entrera même pas dans le commencement de la
vie.
S. CHRYS. (hom 63.) Après que le Sauveur eut rappelé les préceptes
qui se trouvent dans la loi, ce jeune homme lui dit : " J'ai observé
tous ces commandements dès ma jeunesse ; " et il ne s'arrête
pas là, mais il interroge de nouveau le Sauveur : " Que me manque-t-il
encore ? " question qui est une preuve du vif désir dont il était
animé. - REMI. Notre-Seigneur enseigne à ceux qui veulent devenir
parfaits dans la grâce, comment ils peuvent arriver à la perfection
: Jésus lui dit : Si vous voulez être parfait, allez, vendez tout
ce que vous avez. " Faites attention à ces paroles ; il ne dit pas
" Allez, mangez tout ce que vous avez, " mais : " Allez et vendez.
" Et il ne dit pas seulement : " Vendez une partie de vos biens, "
comme firent Ananie et Saphire, mais : " Vendez tout, " et il ajoute
avec dessein : " Tout ce que vous avez. " Or, nous avons les choses
que nous possédons justement ; ce sont ces choses que nous devons vendre,
quant à celles que nous possédons injustement, nous devons les
rendre à ceux à qui nous les avons enlevées. Il ne dit
pas enfin : " Donnez-en le prix à vos parents ou aux riches qui
pourraient vous rendre en échange des biens semblables, " mais :
" Donnez-en le prix aux pauvres. " - S. AUG. (du trav. des moines,
chap. 25.) Il ne faut pas, d'ailleurs, se préoccuper dans quels monastères,
ou dans quel endroit on distribuera ce qu'on possède à ses frères
indigents, car tous les chrétiens ne forment qu'une seule société.
Toutes les fois donc, qu'un chrétien distribue aux pauvres, n'importe
dans quel endroit, les choses nécessaires à la vie, ou bien toutes
les fois qu'il reçoit n'importe de quelles mains ce qui lui est nécessaire,
il reçoit de ce qui appartient à Jésus-Christ.
RAB. Voici deux sortes de vies que le Sauveur propose aux hommes : la vie active,
à laquelle se rapporte ce précepte : " Vous ne tuerez pas,
" et tous les autres préceptes de la loi ; et la vie contemplative
que Notre-Seigneur a en vue dans ces paroles : " Si vous voulez être
parfait, " etc. La vie active appartient à la loi ancienne, et la
vie contemplative à l'Évangile ; car de même que l'Ancien
Testament a précédé le Nouveau, ainsi la vie pleine de
bonnes oeuvres doit précéder la contemplation. - S. AUG. (cont.
Faust., 5, 9.) Cependant, il n'y a pas que ceux qui, pour être parfaits,
vendent ou abandonnent tous leurs biens qui posséderont le royaume des
cieux ; le divin commerce de la charité unit à cette partie de
la milice chrétienne un grand nombre de fidèles qui se rendent
volontairement tributaires des pauvres, et à qui le Sauveur dira au dernier
jour : " J'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger. "
Loin de nous la pensée qu'ils doivent un jour être privés
de la vie éternelle comme étant étrangers aux préceptes
de l'Évangile.
S. JER. (cont. Vigilance.) Quant à ce que prétend Vigilance, qu'il
est mieux de jouir de ses biens et d'en distribuer successivement les fruits
aux pauvres, plutôt que de vendre ces biens et de leur en donner immédiatement
le prix, ce n'est pas moi, mais Dieu lui-même qui lui répondra
: " Si vous voulez être parfait, allez et vendez. " Cet état
que vous louez n'est que le deuxième ou le troisième degré,
nous l'approuvons nous mêmes, à la condition de ne pas oublier
que le premier état est préférable au second et au troisième.
- GENN. (des dogmes de l'Église., chap. 71.). C'est une chose louable
de distribuer ses biens aux pauvres avec une certaine mesure, mais il est mieux
de les leur donner tous à la fois, pour accomplir le dessein de suivre
le Sauveur, et s'affranchir de tout souci en partageant la pauvreté de
Jésus-Christ. - S. CHRYS. (hom. 63.) Comme il était ici question
des richesses de la terre, et que Notre-Seigneur exhortait ce jeune homme à
s'en dépouiller, il lui montre que la récompense qu'il accordera
sera plus grande que ce sacrifice, et le surpassera de toute la distance qui
sépare le ciel de la terre : " Et vous aurez, ajoute-t-il, un trésor
dans le ciel ; " car un trésor annonce la richesse et la durée
de la récompense.
ORIG. Si tous les commandements sont renfermés dans cette parole : "
Vous aimerez le prochain comme vous-même, " et si, d'ailleurs, celui
qui les accomplit tous est parfait, comment le Seigneur, entendant ce jeune
homme lui dire : " J'ai gardé tous ces commandements dès
ma jeunesse, " lui dit comme s'il n'avait pas encore atteint la perfection
: " Si vous voulez être parfait ? " Peut-être que ces
paroles : " Vous aimerez le prochain, " n'ont pas été
dites par le Seigneur, mais qu'elles ont été ajoutées par
quelque copiste, chose d'autant plus probable, que saint Marc et saint Luc,
qui rapportent ce même trait, ne font aucune mention de ces paroles. Voici
une autre explication : Nous lisons dans l'Évangile selon les Hébreux,
qu'après que le Seigneur eut dit ces paroles : " Allez et vendez
tout ce que vous avez, " ce jeune homme qui était riche, se gratta
la tête d'hésitation, et ne goûta point ce langage. Alors
le Seigneur lui dit : " Comment dites-vous : J'ai accompli tout ce qui
est écrit dans la loi et dans les prophètes ? Il est écrit
dans la loi : Vous aimerez le prochain comme vous-même, et voilà
qu'un grand nombre de vos frères sont couverts de haillons mal propres,
mourants de faim, tandis que votre maison regorge de richesses, et qu'il n'en
sort rien absolument pour subvenir à leur détresse. " Le
Seigneur, voulant donc convaincre et éprouver ce riche, lui dit : "
Si vous voulez être parfait, allez, vendez tout ce que vous avez, et donnez-le
aux pauvres, c'est alors que l'on verra si vous aimez le prochain comme vous-même.
Mais si la perfection consiste dans la réunion de toutes les vertus,
comment suffit-il pour devenir parfait de vendre tout ce qu'on possède,
et de le donner aux pauvres ? " Supposons un homme qui ait accompli ce
généreux sacrifice, sera-t-il aussitôt sans colère,
sans concupiscence, orné de toutes les vertus, exempt de tous les vices
? Quelque esprit sage pourra dire que celui qui a donné ses biens aux
pauvres se trouve aidé de leurs prières, et qu'il reçoit
de leur abondance spirituelle de quoi subvenir à son indigence spirituelle,
et que c'est ainsi qu'il devient parfait, tout en conservant quelques passions
qui tiennent à l'humanité. Ou bien encore, celui qui a pris la
pauvreté en échange de la richesse afin de devenir parfait, en
vertu de sa foi aux paroles de Jésus-Christ, recevra la grâce nécessaire
pour devenir sage en Jésus-Christ, juste, chaste et sans aucune passion.
Ce n'est pas, sans doute, qu'il atteindra le comble de la perfection du moment
où il aura donné ses biens aux pauvres, mais, dès ce jour,
la méditation des choses divines lui rendra peu à peu familières
toutes les vertus. On peut encore donner une autre interprétation toute
morale, en disant que les biens de chaque fidèle sont ses actes. Or,
dans ce sens, Jésus-Christ ordonne de vendre tous les biens qui sont
viciés pour quelque cause que ce soit, et de les donner à ceux
qui pourront en tirer profit, et qui sont pauvres de tout bien ; car de même
que la paix que souhaitent les Apôtres, revient à eux, lorsqu'elle
ne rencontre pas un fils de la paix (Mt 10.) ; ainsi tous les péchés
reviennent à ceux qui les ont commis lorsqu'il ne se trouve personne
qui puisse en faire sortir quelque bien. Dans ce sens, on ne peut douter que
celui qui a vendu de la sorte tous ses biens, ne soit réellement parfait.
Or, il est évident que celui qui agit de la sorte, a un trésor
dans le ciel, et qu'il est devenu lui-même un homme céleste. Il
a, en effet, dans le ciel qui lui appartient, le trésor de la gloire
de Dieu et les richesses inépuisables de la sagesse divine. Il pourra
donc suivre Jésus-Christ, puisqu'il n'en sera détourné
par aucun bien possédé injustement.
S. JER. Il en est beaucoup qui abandonnent leurs richesses et qui ne suivent pas le Seigneur. Or, cela ne suffit pas pour parvenir à la perfection ; il faut, après avoir professé un généreux mépris pour les richesses, se mettre à la suite du Sauveur ; en d'autres termes, après qu'on s'est séparé du mal, il faut encore faire le bien, parce qu'il est plus facile de faire peu de cas de sa bourse que de sa volonté. C'est pourquoi Jésus ajoute : " Puis venez, et suivez-moi ; " car c'est suivre le Seigneur et marcher sur ses traces que de l'imiter. - SUITE. " Ce jeune homme, ayant entendu ces paroles, s'en alla tout triste. " C'est cette tristesse qui conduit à la mort, et l'Évangéliste nous en fait connaître la cause : " Car il avait de grands biens, " c'est-à-dire des épines et des ronces qui étouffèrent la semence que le Seigneur avait jetée dans son cur. - S. CHRYS. (hom. 63.) Ceux qui ont peu de biens et ceux qui en possèdent en abondance n'en sont pas également esclaves, car l'accroissement des richesses, en rend le désir plus ardent et la cupidité plus vive. - S. AUG. (Lettre à Paulin et à Thérèse, 34.) Je ne sais pas comment il arrive, lorsqu'on aime les biens superflus de la terre, que ceux qu'on possède enchaînent plus étroitement que ceux qu'on désire ; car, pourquoi ce jeune homme s'en alla-t-il tout triste, si ce n'est parce qu'il avait de grands biens ? Il est bien différent, en effet, de vouloir s'incorporer, pour ainsi dire, les biens que l'on n'a pas, ou de se séparer de ces biens, lorsqu'ils font, pour ainsi dire, partie de notre corps ; car, d'un côté, on les rejette comme quelque chose d'étranger ; de l'autre, on ne s'en sépare que comme des membres qu'il faut retrancher. - ORIG. D'après le récit évangélique, ce jeune homme est digne d'éloges pour n'avoir commis ni meurtre, ni adultère, mais il est blâmable de s'être attristé des paroles de Jésus-Christ, qui l'appelait à la perfection. Il était jeune encore dans son âme, et c'est pour cela qu'il abandonna le Sauveur et s'en alla.
vv. 23-26.
LA GLOSE. Notre-Seigneur prend occasion de cet avare, dont il vient d'être
question, pour parler de tous ceux qui sont esclaves de l'avarice : " Et
Jésus dit à ses disciples : Je vous le dis en vérité,
" etc. S. CHRYS. (hom. 63.) Ce ne sont point les richesses qu'il accuse
ici, mais ceux qui s'en rendent esclaves, et il enseigne en même temps
à ses disciples, qui étaient pauvres, à ne pas rougir de
leur pauvreté. - S. HIL. (can. 19.) Ce n'est point un crime d'avoir des
richesses, mais il faut les posséder avec modération ; en effet,
comment pourra-t-on soulager les nécessités des saints (Rm 12),
si l'on ne garde pas de quoi venir à leur secours ? - RAB. Mais il y
a une grande différence entre posséder les richesses et aimer
les richesses ; or, le plus sûr est de ne pas les avoir et de ne pas les
aimer. - REMI. Aussi le Seigneur, expliquant lui-même, dans saint Marc,
le sens de ce passage déclare " qu'il est difficile à ceux
qui mettent leur confiance dans les richesses, d'entrer dans le royaume des
cieux. " Ils mettent leur confiance dans leurs richesses en y plaçant
toutes leurs espérances. - S. JER. Comme il est difficile de mépriser
et de sacrifier les richesses qu'on possède, Notre-Seigneur ne dit pas
qu'il est impossible, mais qu'il est difficile à un riche d'entrer dans
le royaume des cieux, la difficulté n'emporte pas l'impossibilité,
mais indique seulement la rareté du fait. - S. HIL. (can. 19.) C'est
une chose pleine de dangers que de vouloir s'enrichir, et l'innocence qui cherche
à accroître ses richesses, se charge d'un lourd fardeau. Dans le
service de Dieu, on ne peut acquérir les biens du monde, sans s'exposer
à contracter les vices du monde, et c'est ce qui rend difficile aux riches
l'entrée du royaume des cieux.
S. CHRYS. (hom. 63.) Après avoir déclaré qu'il était
difficile à un riche d'entrer dans le royaume des cieux, Notre-Seigneur
entreprend de prouver que cette difficulté va même jusqu'à
l'impossibilité : " Je vous le dis encore une fois, il est plus
aisé à un chameau de passer par le trou d'une aiguille, qu'à
un riche d'entrer dans le royaume des cieux. " - S. JER. D'après
ces paroles, personne, ce semble, ne pourra être sauvé. Mais si
nous lisons dans le prophète Isaïe (Is 25), comment les chameaux
de Madian et d'Epha se rendent à Jérusalem chargés de dons
et de présents, et comment ceux qui étaient courbés et
contournés sous le poids des vices, entrent par la porte de cette cité,
nous comprendrons comment ces chameaux, qui sont la figure des riches, pourront
entrer par la voie étroite et resserrée qui conduit à la
vie, après s'être déchargés du poids si lourd de
leurs péchés et de toute la dépravation des sens. - S.
CHRYS. (sur S. Matth.) Les âmes des païens sont comparées
ici à des chameaux mal conformés, et qui sont courbés sous
la bosse de l'idolâtrie, car c'est la connaissance de Dieu qui relève
les âmes. L'aiguille, c'est le Fils de Dieu, dont la première partie,
celle qui représente sa divinité, est d'une finesse extrême,
tandis que l'autre partie, qui figure son humanité, est beaucoup moins
aiguisée. Or, cette aiguille, dans toute sa longueur, est droite, et
ne présente aucune déviation, et c'est par la blessure qu'elle
a faite dans la passion, que les Gentils sont entrés dans la vie éternelle.
C'est cette aiguille qui a cousu la tunique de l'immortalité ; c'est
cette aiguille qui a cousu et uni la chair à l'esprit, c'est elle qui
a uni le peuple juif au peuple des Gentils ; c'est elle, enfin, qui a établi
des liens étroits entre les anges et les hommes. Il est donc plus facile
aux Gentils de passer par le trou de l'aiguille, qu'aux Juifs qui se croient
riches, d'entrer dans le royaume des cieux ; car si l'on ne peut arracher les
Gentils qu'avec peine au culte insensé des idoles, combien sera-t-il
plus difficile de détacher les Juifs des cérémonies du
culte du vrai Dieu, cérémonies si conformes à la raison.
- LA GLOSE. On donne encore cette autre explication, qu'il y avait à
Jérusalem une porte qu'on appelait le trou de l'aiguille, et par laquelle
un chameau ne pouvait passer qu'après avoir déposé son
fardeau et plié les genoux. C'était le symbole de cette vérité,
que les riches ne peuvent entrer dans la voie étroite qui conduit à
la vie, qu'après s'être déchargés des souillures
de leurs péchés et de leurs richesses, en cessant, du moins, de
les aimer. - S. GREG. (Moral., 35, 11.) Ou bien, sous le nom de riches, Notre-Seigneur
veut que nous entendions tout homme orgueilleux, et sous celui de chameau, ses
humiliations personnelles. Le chameau passe par le trou de l'aiguille, lorsque
notre Rédempteur a pénétré jusqu'à la mort
par la porte étroite et resserrée de ses souffrances, souffrances
qui ont été pour lui comme une aiguille, parce qu'elles ont transpercé
son corps de douleur. Or, le chameau passe par le trou d'une aiguille, plus
facilement que le riche n'entre dans le royaume des cieux, parce que si Jésus
n'avait commencé par nous donner l'exemple de l'humilité dans
sa passion, jamais notre orgueilleuse raideur n'aurait voulu s'abaisser jusqu'à
son humilité.
S. CHRYS. (hom. 63.) Ces paroles jettent le trouble dans l'âme des Apôtres
qui, cependant, menaient une vie pauvre ; mais ils sont inquiets pour le salut
des autres, et ont déjà les entrailles paternelles qui conviennent
aux docteurs et aux maîtres des nations. Ils lui disent donc : "
Qui pourra être sauvé ? " - S. AUG. (Quest. évang.,
1, 26.) Comme le nombre des riches est peu considérable en comparaison
de la multitude des pauvres, nous devons comprendre que les disciples mettaient
au nombre des riches tous ceux qui désirent les richesses. - S. CHRYS.
(hom. 63.) Notre-Seigneur montre ensuite que c'est là l'oeuvre de Dieu,
et qu'il faut à l'homme une grâce signalée pour se bien
diriger au milieu des richesses. Aussi l'Évangéliste ajoute :
" Or, Jésus, les regardant, leur dit : Cela est impossible aux hommes,
mais tout est possible à Dieu. " Il nous fait remarquer que Jésus
regarde ses disciples pour signifier que par ce regard plein de bonté,
il veut enhardir leur timidité. - REMI. Il ne faut pas, toutefois, entendre
les paroles du Sauveur, en ce sens qu'il soit possible à Dieu de faire
entrer dans le royaume des cieux un riche cupide, avare et superbe, mais qu'il
le convertira d'abord pour qu'il puisse y entrer. - S. CHRYS. (hom. 64.) Et
s'il s'exprime de la sorte, ce n'est pas pour que vous vous découragiez
et que vous vous arrêtiez comme devant une impossibilité ; mais
afin, qu'étant bien convaincu de la grandeur de l'entreprise, vous franchissiez
cet obstacle en recourant à Dieu par la prière.
vv. 27-30.
ORIG. (traité 9 sur S. Matth.) Pierre avait entendu ces paroles du Sauveur
: " Si vous voulez être parfait, allez, vendez tout ce que vous avez,
et donnez-en le prix aux pauvres. " Il vit ensuite ce jeune homme s'en
aller tout triste, et combien il était difficile pour un riche d'entrer
dans le royaume des cieux. Il interroge donc le Sauveur avec confiance, comme
un homme qui a consommé une oeuvre difficile ; car si son frère
et lui ont quitté des choses de peu d'importance, Dieu ne les a pas estimées
de la sorte, mais il a considéré la perfection de l'amour qui
a été le principe de leur détachement, et qui leur aurait
fait sacrifier les plus grandes richesses, s'ils les avaient possédées.
Aussi je pense que c'est en se fondant plutôt sur les sentiments de son
cur que sur la valeur des choses qu'il a quittées, que Pierre s'adresse
au Sauveur avec tant de confiance : " Alors Pierre, prenant la parole,
lui dit : Voilà que nous avons tout quitté. "
S. CHRYS. (hom. 63.) Quelles sont donc toutes ces choses, ô bienheureux
Pierre ! une ligne, un filet, une barque. Il dit : " Nous avons tout quitté,
" en parlant de ces choses, non pas, sans doute, pour en rehausser le prix,
mais pour inspirer de la confiance au pauvre peuple qui l'entend. Car le Seigneur
ayant dit : " Si vous voulez être parfait, vendez tout ce que vous
avez, " etc., les pauvres pouvaient répondre : Mais quoi, nous ne
possédons rien, nous ne pouvons donc être parfaits ? Or, Pierre
fait cette question, afin que vous qui êtes pauvre vous ne vous croyiez
ici inférieur en rien à ceux qui sont riches ; car celui qui avait
reçu les clefs du royaume des cieux, espère avec confiance les
autres biens que le ciel renferme, et c'est au nom de l'univers tout entier
qu'il interroge son divin Maître. Or, considérez comme il répond
avec précision aux deux conditions exigées par Jésus-Christ.
Le Sauveur a demandé deux choses à ce riche, de donner aux pauvres
tout ce qu'il avait, et de le suivre ; c'est pourquoi Pierre ajoute : "
Et nous vous avons suivi. " - ORIG. C'est-à-dire, d'après
la révélation que le Père a faite à Pierre, que
Jésus était son Fils, nous vous avons suivi, vous qui êtes
la justice, la sanctification et toute vertu semblable. Il demande donc comme
un athlète qui est vainqueur, quel sera le prix du combat.
S. JER.
Comme en effet il ne suffit pas de tout abandonner, Pierre ajoute ce qui est
le caractère propre de la perfection : " Et nous vous avons suivi.
" Nous avons fait ce que vous avez ordonné ; quelle sera donc notre
récompense ? C'est ce que signifient ces paroles : " Que nous sera-t-il
donc donné ? " Or, Jésus leur dit : " Je vous le dis
en vérité, que pour vous qui m'avez suivi, " etc. - S. JER.
Il ne dit pas : " Pour vous qui avez quitté toutes choses, "
car c'est ce qu'a fait le philosophe Cratès, et beaucoup d'autres qui
ont méprisé les richesses ; mais : " Pour vous qui m'avez
suivi, " ce qui est le caractère propre des Apôtres et des
vrais fidèles. - S. HIL. (can. 20.) Les Apôtres ont suivi Jésus-Christ
dans la régénération, c'est-à-dire dans les eaux
du baptême et dans la sanctification que donne la foi ; c'est cette régénération
que les Apôtres ont suivi et que la loi n'avait pu leur donner. - S. JER.
Ces paroles du Sauveur peuvent encore recevoir cet autre sens : " Vous
qui m'avez suivi, vous serez assis au jour de la régénération,
" c'est-à-dire lorsque les morts ressusciteront incorruptibles du
sein de la corruption (1 Co 15), vous serez assis sur les trônes des juges
pour condamner les douze tribus d'Israël, parce que, témoins de
votre foi, elles ont refusé d'en être les imitateurs. - S. AUG.
(Cité de Dieu, 20, 5.) Car votre corps sera régénéré
par le don de l'incorruptibilité, comme votre âme sera régénérée
par la foi. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Les Juifs auraient pu dire au jour du
jugement : " Seigneur, en vous voyant revêtu d'une chair mortelle,
nous n'avons pu vous reconnaître pour le Fils de Dieu. Et qui, parmi les
hommes, pouvait voir ce trésor caché dans la terre, ce soleil
couvert de nuages ? " Mais les disciples répondront : " Et
nous-mêmes, nous étions des hommes du peuple, sans instruction
; vous, au contraire, vous étiez des prêtres et des scribes ; mais
notre volonté droite a été comme une lampe qui a éclairé
notre grossière ignorance, tandis que votre malice a été
comme un nuage qui a couvert de ténèbres toute votre science.
S. CHRYS. (hom. 64.) Il ne dit pas : Pour juger les nations de l'univers, mais
: " Pour juger les tribus d'Israël, " parce que les Juifs et
les Apôtres avaient été élevés suivant les
mêmes lois et sous les mêmes institutions. Aussi lorsque les Juifs
viendront dire : Nous avons refusé de croire au Christ, parce que la
loi le défendait, on leur opposera les disciples de Jésus, qui
ont reçu et observé la même loi. Mais on dira peut-être
: Quelle si grande récompense leur a-t-il promise, s'ils ne doivent recevoir
que ce que la reine du Midi et les Ninivites recevront eux-mêmes ? Il
leur a déjà promis et il leur promettra encore d'autres récompenses
bien plus magnifiques, mais ici-même il indique que ce qui leur est destiné
est bien supérieur à ce que recevront les Ninivites. En parlant
de ces derniers, il dit simplement qu'ils se lèveront contre cette génération
pour la condamner, mais lorsqu'il s'agit des Apôtres, il s'exprime en
ces termes : " Lorsque le Fils de l'homme siégera sur le trône
de sa gloire, vous serez assis vous-mêmes sur douze trônes, "
etc. Il est donc certain qu'ils partageront et sa royauté et sa gloire.
C'est cet honneur et cette gloire qui sont figurés ici par les trônes.
Or, comment s'est accomplie cette promesse ? Est-ce que Judas siégera
aussi avec les autres Apôtres ? Non, assurément, car voici la loi
que le Seigneur a établie par le prophète Jérémie
: " Je me déclarerai en faveur d'une nation ou d'un royaume pour
l'établir et pour l'affermir, mais si ce royaume ou cette nation pêche
devant mes yeux, je me repentirai aussi du bien que j'avais résolu de
lui faire ; " c'est-à-dire : S'ils se rendent indignes de mes promesses,
je me garderai bien de les accomplir. Or, Judas s'est rendu indigne de l'honneur
qui lui avait été promis. Aussi n'est-ce pas sans conditions que
le Sauveur fait cette promesse à ses disciples ; car il ne dit pas d'une
manière absolue : " Vous serez assis, " mais il fait précéder
ces paroles de celles-ci : " Vous qui m'avez suivi, " paroles qui
excluaient Judas, et qui attiraient à lui ceux qui devaient plus tard
marcher à sa suite ; car ce n'était ni aux disciples seuls, ni
à Judas, qui s'en était déjà rendu indigne, que
Notre-Seigneur les adressait.
S. HIL. (can. 20.) Jésus-Christ, en plaçant ses Apôtres
sur douze trônes pour juger les douze tribus d'Israël, les associe
à la gloire des douze patriarches, et nous devons conclure de ce passage
que Jésus doit juger un jour, assisté de ses disciples. Aussi
dit-il aux Juifs dans un autre endroit : " C'est pourquoi ils seront vos
juges. " (Mt 12 ; Lc 11.) Nous ne devons pas croire, toutefois, que ces
douze hommes seront les seuls qui jugeront avec lui, parce qu'il est question
de douze trônes sur lesquels ils seront assis ; le nombre douze représente
ici la multitude de tous ceux qui seront associés à ce jugement,
parce qu'il est composé des deux parties du nombre sept, qui signifie
souvent l'universalité des choses ; en effet, ses deux parties, trois
et quatre, multipliées l'une par l'autre, donnent le nombre douze. D'ailleurs,
l'apôtre saint Mathias ayant été élu pour remplacer
le traître Judas, il s'ensuivrait donc que l'apôtre saint Paul,
qui a travaillé plus que les autres, ne trouverait plus de siége
pour juger, lui qui nous déclare qu'il doit un jour faire partie du nombre
des juges avec les autres saints : " Ignorez-vous que nous jugerons les
anges ? " - S. AUG. (de la pénit.). Il faut donc placer au nombre
de ceux qui jugeront alors avec Jésus-Christ, tous ceux qui ont abandonné
leurs biens et suivi le Seigneur. - S. GREG. (Moral., 10, 37.) Tout homme, en
effet, qui pressé par l'aiguillon de l'amour divin, aura sacrifié
tout ce qu'il possédait, parviendra au faîte de la puissance judiciaire,
et exercera les fonctions de juge avec le juge souverain, parce qu'il a embrassé
ici-bas les rudes privations de la pauvreté volontaire.
S. AUG. (Cité de Dieu, 20, 5.) Il faut entendre de la même manière
le nombre douze, appliqué à ceux qui doivent être jugés,
car de ce que le Sauveur dit : " Pour juger les douze tribus d'Israël,
" il ne s'ensuit pas que la tribu de Lévi ne sera pas soumise à
ce jugement, ou que le peuple juif seul sera jugé à l'exclusion
des autres peuples. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Ou bien encore, par ces paroles
: " Au temps de la régénération, " Notre-Seigneur
a voulu exprimer ces premiers temps du christianisme qui suivirent immédiatement
son ascension ; car les hommes furent alors régénérés
par le baptême, et c'était le temps où lui-même était
assis sûr le trône de sa majesté. Et remarquez que ces paroles
s'appliquent, non pas au jour du jugement dernier, mais à la vocation
de tous les peuples, car le Sauveur ne dit pas : " Lorsque le Fils de l'homme
viendra, assis sur le trône de sa majesté, mais au temps de la
régénération, lorsqu'il s'assiera sur le trône de
sa majesté. C'est ce qui arriva lorsque les mitions commencèrent
à croire en Jésus-Christ, selon ces paroles du Roi-Prophète
: " Le Seigneur régnera sur les nations, le Seigneur est assis sur
son trône qui est saint. " (Ps 46.) Alors aussi les Apôtres
furent assis sur leurs douze trônes, c'est-à-dire dans le cur
de tous les chrétiens ; car tout chrétien qui reçoit la
parole de Pierre, devient le siége de Pierre, et il en est ainsi de tous
les autres Apôtres. Or, les Apôtres sont assis sur douze trônes
distincts, suivant la différence des dispositions des âmes et des
curs que Dieu seul connaît. Car le peuple chrétien est divisé
en douze tribus comme le peuple juif, de manière que certaines âmes
appartiennent à la tribu de Ruben, d'autres âmes aux autres tribus,
suivant la différence de leurs vertus. En effet, toutes les vertus ne
sont pas au même degré dans tous les hommes, mais tel excelle dans
celle-ci, et tel autre dans celle-là. Les Apôtres jugeront donc
les douze tribus d'Israël, c'est-à-dire tout le peuple juif, sur
ce chef que leur prédication a été reçue par toutes
les nations. L'universalité des chrétiens forme les douze trônes
des Apôtres, mais l'unique trône de Jésus-Christ. En effet,
toutes les vertus sont comme le siége unique de Jésus-Christ ;
car il est le seul qui soit également parfait dans toutes les vertus.
Parmi les Apôtres, chacun d'eux excelle aussi dans une vertu spéciale
: Pierre dans la foi, Jean dans l'innocence. Pierre se repose donc dans la foi
comme sur un trône, Jean, dans l'innocence, et ainsi des autres Apôtres.
Les paroles suivantes montrent que Jésus-Christ voulait aussi parler
de la récompense que les Apôtres devaient recevoir en ce monde
: " Et quiconque aura quitté pour mon nom sa maison ou ses frères,
" etc. ; car s'ils reçoivent le centuple en ce monde ; il est certain
que le Sauveur leur promettait une récompense même pour cette vie.
- S. CHRYS. (hom. 64.) Ou bien, il ne promet à ses disciples que les
biens à venir, parce qu'ils étaient supérieurs aux promesses
terrestres, et ne cherchaient rien des biens de la vie présente que le
Seigneur promet aux autres hommes. - ORIG. Ou bien dans un autre sens, celui
qui aura abandonné tous ses biens, et qui aura suivi Jésus-Christ,
recevra, lui aussi, tout ce qui a été promis à Pierre ;
mais si son sacrifice n'a pas été entier, et qu'il n'ait abandonné
que ce qui est ici mentionné d'une manière spéciale, il
recevra dès ici-bas une récompense bien supérieure à
ce qu'il a quitté, et aura pour héritage la vie éternelle.
S. JER. Il en est quelques-uns qui ont pris occasion de ces paroles pour avancer
qu'après la résurrection il y aurait une durée de mille
ans, pendant laquelle nous recevrons le centuple de tout ce que nous avons sacrifié
sur la terre, centuple qui sera suivi de la vie éternelle. Ils ne comprenaient
pas qu'en supposant que cette promesse fût digne relativement à
tout le reste, elle serait une honte en ce qui concerne les épouses,
car celui qui en aurait sacrifié une, devrait, d'après cette opinion,
en recevoir cent dans la vie future. Voici donc le sens de ces paroles : Celui
qui aura abandonné pour Jésus-Christ les biens temporels, recevra
les biens spirituels, qui seront aux premiers, en valeur et en mérite,
ce qu'est le nombre cent comparé à un nombre de beaucoup inférieur.
- ORIG. Même dès cette vie pour les frères selon la chair
qu'il a quittés, il trouvera un grand nombre de frères selon la
foi, il aura pour pères tous les évêques et les prêtres,
et pour enfants tous ceux qui sont dans l'âge de l'enfance. Il aura encore
pour frères les anges, et pour soeurs toutes les vierges qui ont consacré
leur virginité au Seigneur, aussi bien celles qui vivent encore sur la
terre, que celles qui jouissent déjà dans le ciel de la vie éternelle.
Les champs et les maisons, ce sont les demeures multipliées qui sont
préparées dans le repos du paradis et dans la cité de Dieu
; et ce qui est au-dessus de toutes ces récompenses, ils recevront la
vie éternelle. - S. AUG. (Cité de Dieu, 20, 8.) L'Apôtre
saint Paul, expliquant en quelque manière ces paroles : " Il recevra
le centuple, " dit : " Nous sommes comme n'ayant rien, et nous possédons
toutes choses ; " car le nombre cent est employé quelquefois comme
nombre universel et indéterminé. - S. JER. Ces autres paroles
: " Celui qui abandonnera, " etc. se rapportent à ces autres
: " Je suis venu séparer l'homme d'avec son père, "
etc. Ceux donc qui, pour la foi chrétienne, et pour la prédication
de l'Évangile, auront méprisé toutes les richesses et les
voluptés de la terre, ceux-là recevront le centuple, et posséderont
la vie éternelle. - S. CHRYS. (hom. 63.) Lorsque Notre-Seigneur dit :
" Celui qui aura quitté sa femme, " il ne veut pas dissoudre
d'une manière absolue le lien du mariage, mais il veut que nous sacrifiions
toutes les affections au sentiment de la foi. Il fait ici, d'ailleurs, une allusion
indirecte aux temps de persécution, où on devait voir des pères
entraîner leurs enfants dans l'impiété. Or, s'ils en viennent
à cet excès, il ne faut plus les considérer comme des pères.
RAB. Comme il en est beaucoup qui ne poursuivent pas la carrière de la
vertu avec la même ferveur qu'ils avaient en y entrant, mais qui se laissent
aller à la tiédeur, ou qui ne sont pas longtemps sans faire de
lourdes chutes, le Sauveur ajoute : " Plusieurs qui étaient les
premiers seront les derniers, et plusieurs qui avaient été les
derniers seront les premiers. " - ORIG. Il exhorte par là ceux qui
ont fait tout récemment profession d'obéir à la parole
de Dieu, à se hâter de s'élever jusqu'à la perfection,
en n'imitant point ceux qui paraissent avoir vieilli et s'être affaiblis
dans la foi. Ces paroles peuvent aussi servir à humilier ceux qui se
glorifient uniquement d'avoir été élevés dans le
sein de la religion par des parents chrétiens, et à inspirer de
la confiance à ceux qui ont été tout nouvellement initiés
aux vérités de la foi. D'après une autre signification,
les premiers sont les Israélites qui par leur incrédulité
sont devenus les derniers, tandis que les Gentils qui étaient les derniers
sont devenus les premiers. C'est avec dessein que le Sauveur emploie l'expression
" plusieurs, " et non pas " tous. " Car tous les premiers
ne seront pas les derniers, et réciproquement tous les derniers ne seront
pas les premiers. Enfin, il est un grand nombre d'hommes qui, inférieurs
aux anges, et comme les derniers par leur nature, sont devenus supérieurs
à quelques-uns des anges par leur vie tout angélique, tandis que
bien des anges, qui étaient les premiers par leur nature, sont devenus
les derniers par leur faute. - REMI. On peut encore rapporter d'une manière
toute spéciale ces paroles à la tristesse qu'éprouva ce
jeune homme riche ; il paraissait être le premier par l'accomplissement
fidèle des préceptes de la loi, mais il devint le dernier en préférant
à Dieu les richesses de la terre. Les saints Apôtres paraissaient,
au contraire, être les derniers, mais en abandonnant tout par l'effet
de la grâce et de l'humilité, ils sont devenus les premiers. Enfin,
il en est un grand nombre qui, après avoir fait preuve d'un grand zèle
pour les bonnes oeuvres, en abandonnent tout à fait la pratique, et deviennent
les derniers après avoir été les premiers.