ÉVANGILE DE SAINT MATHIEU PAR SAINT THOMAS D'AQUIN
CATANA AUREA DE SAINT THOMAS D'AQUIN SUR SAINT MATTHIEU
CHAPITRE XI
v. 1.
RAB. Le Sauveur avait donné à ses disciples qu'il envoyait prêcher
l'Évangile les instructions nécessaires ; il accomplit maintenant
lui-même ce qu'il leur avait enseigné en allant porter aux Juifs
les prémices de sa prédication. " Après que Jésus
eut achevé de donner ces instructions à ses douze disciples, il
partit de là, " etc.
S. CHRYS. (hom. 37.) L'Évangéliste dit qu'il partit de là,
c'est-à-dire qu'ayant donné à ses Apôtres leur mission,
il s'éloigna afin de leur laisser toute latitude pour le lieu et pour
le temps où ils accompliraient ce qu'il venait de leur recommander. Car
s'il avait continué à être présent au milieu d'eux
et à guérir les malades, personne n'aurait eu recours à
ses disciples. - REMI. C'est par suite d'un dessein plein de sagesse que le
Sauveur passe de ces enseignements particuliers qui concernaient les apôtres,
à des instructions qui s'adressent à tous et qu'il fait au milieu
des cités, car il était descendu des cieux sur la terre pour éclairer
tous les hommes, et il donne en cela aux prédicateurs remplis de l'esprit
de Dieu l'exemple de s'appliquer à être utile à tous sans
distinction.
vv. 2-6.
LA GLOSE. L'Évangéliste vient d'exposer comment Notre-Seigneur,
par ses miracles et par sa doctrine, avait instruit ses disciples aussi bien
que le peuple ; il nous apprend maintenant comment ces enseignements parvinrent
jusqu'aux disciples de Jean, qui paraissaient avoir quelque jalousie contre
le Christ. " Or Jean ayant appris dans la prison, " etc.
S. GREG. (homél. 6 sur les Evang.) Il nous faut rechercher pourquoi Jean-Baptiste, prophète et plus que prophète, qui avait fait connaître le Sauveur, lorsqu'il vint se faire baptiser, en lui rendant ce témoignage : " Voici l'Agneau de Dieu, voici celui qui efface les péchés du monde, " envoie de la prison où il est enfermé ses disciples pour demander : " Êtes-vous celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? " Il semble ignorer celui qu'il a lui-même manifesté au peuple, et ne pas connaître le Sauveur qu'il a proclamé si hautement dans ses prédictions, lors de son baptême, et quand il le voyait venir à lui.
S. AMBR.
(liv. 5, sur S. Luc.) Il en est qui expliquent cette difficulté en disant
que Jean était un grand prophète qui connut le Christ, et annonça
la rémission future des péchés ; mais qu'en prédisant
sa venue comme un saint prophète, il n'avait pas cru qu'il devait être
soumis à la mort. Ce n'est donc pas sa foi qui doute, mais sa piété
; et saint Pierre lui-même partagea ce doute lorsqu'il dit au Sauveur
: " Épargnez-vous, Seigneur, cela ne vous arrivera pas. " (Mt
16, 11) - S. CHRYS. (hom. 37.) Mais cette explication n'est pas fondée,
car Jean ne pouvait pas ignorer même cette circonstance, puisque c'est
la première chose à laquelle il a rendu témoignage par
ces paroles : " Voici l'Agneau de Dieu, qui ôte les péchés
du monde. " En lui donnant le nom d'Agneau, il dévoile le mystère
de la croix, puisque ce n'est que par la croix qu'il a effacé les péchés
du monde. Comment d'ailleurs serait-il plus qu'un prophète s'il ignorait
ce que les prophètes eux-mêmes ont connu et annoncé ? En
effet Isaïe n'a-t-il pas dit (Is 53) : " Il a été conduit
à la mort comme une brebis ? "
S. GREG. (hom. 6 sur les Evang.) On peut donner à cette question une
solution différente en réfléchissant sur le temps où
ce fait s'est passé. Sur les bords du Jourdain, Jean-Baptiste a déclaré
que Jésus était le rédempteur du monde ; mais dans sa prison
il envoie demander s'il doit venir. Ce n'est pas qu'il doute que Jésus
soit le Rédempteur promis, mais il demande si celui qui est venu sur
la terre en se faisant annoncer par lui, suivra le même ordre pour descendre
dans les enfers. - S. JER. C'est pour cela qu'il ne dit pas : " Est-ce
vous qui êtes venu ? " mais : " Est-ce vous qui viendrez ? "
Et tel est le sens de ces paroles : Faites-moi savoir, à moi qui dois
descendre aux enfers, si je dois aussi vous y annoncer, ou si vous devez confier
ce ministère à un autre. - S. CHRYS. (hom. 37.) Mais comment cette
opinion même peut-elle être soutenue ? Car pourquoi Jean n'a-t-il
pas dit : " Est-ce vous qui devez venir dans les enfers ? " mais dit-il
simplement : " Qui devez venir ? " D'ailleurs n'est-il pas ridicule
qu'il ait demandé s'il devait en allant dans les enfers l'annoncer dans
ce lieu ? La vie présente seule est le temps de la grâce, et après
la mort il ne reste que le jugement et la peine ; quel besoin donc d'envoyer
un précurseur en ce lieu ? Mais encore, si les infidèles pouvaient
être sauvés par la foi après leur mort, aucun d'eux ne périrait
; car tous alors se repentiront et adoreront le Fils de Dieu, puisqu'alors tout
genou fléchira devant lui, dans le ciel, sur la terre et dans les enfers.
LA GLOSE. Remarquons que saint Jérôme et saint Grégoire n'ont pas dit que Jean-Baptiste devait annoncer la venue du Christ dans les enfers pour convertir à la foi un certain nombre de ceux qui ne croient pas en lui, mais pour consoler par l'espérance de son avènement prochain les justes qui s'y trouvaient en attendant la venue du Christ.
S. HIL. (can. 11 sur S. Matth.) Il est cependant certain que l'erreur ne s'est point mêlée à cette connaissance parfaite qu'avait saint Jean, lui qui avait annoncé comme précurseur la venue du Messie, qui comme prophète le reconnut au milieu de la foule, et comme confesseur, rendit hommage au Sauveur qui venait à lui. On ne peut admettre que la grâce de l'Esprit saint lui ait fait défaut dans la prison, alors que plus tard l'apôtre devait répandre la lumière de sa puissance sur ceux qui partageaient ses fers.
S. JER. Ce n'est point par ignorance qu'il interroge, mais de la même manière que le Sauveur demandait en quel endroit le corps de Lazare avait été déposé, afin de préparer ainsi à la foi ceux qui lui indiquaient le lieu de sa sépulture, et de les rendre témoins de la résurrection d'un mort. C'est ainsi que Jean-Baptiste, sur le point d'être mis à mort par Hérode, envoie ses disciples à Jésus-Christ, pour qu'ils aient occasion de voir ses miracles et ses prodiges, et qu'ils puissent croire en lui, et s'instruire eux-mêmes en l'interrogeant au nom de leur maître. Que les disciples de Jean aient nourri quelque sentiment d'envie contre le Christ, la question qu'ils lui ont faite précédemment le démontre suffisamment. " Pourquoi les Pharisiens et nous jeûnons-nous souvent, tandis que vos disciples ne jeûnent pas ? " (Mt 9.) - S. CHRYS. (hom. 37.) Tant que Jean-Baptiste était avec eux, il leur parlait sans cesse du Christ, c'est-à-dire qu'il leur recommandait de croire en lui ; mais sentant sa mort prochaine, il redouble de zèle, car il craint de laisser dans ses disciples un levain de dangereuse erreur, et il redoute qu'ils ne demeurent éloignés de Jésus-Christ, à l'école duquel il a voulu les renvoyer tous dès le commencement. S'il leur avait dit : Allez à lui, parce qu'il est bien au-dessus de moi, il ne les aurait pas persuadés ; ils auraient cru qu'il parlait ainsi par un profond sentiment d'humilité, et ils lui seraient restés plus attachés qu'auparavant. Que fait-il donc ? Il attend que ses disciples viennent lui rapporter eux-mêmes que le Christ fait des miracles ; et parmi eux tous il n'en envoie que deux qu'il regardait peut-être comme plus faciles à être convaincus. Il les envoie afin que sa demande ne prête à aucun soupçon et qu'ils apprennent par les faits eux-mêmes la distance qui les sépare de Jésus-Christ.
S. HIL. (can. 11 sur S. Matth.) Jean-Baptiste n'agit donc pas ici pour éclairer son ignorance, mais pour dissiper celle de ses disciples ; il les envoie considérer les oeuvres de Jésus afin de leur apprendre qu'il n'en a point annoncé un autre que lui, que ses prodiges donnent une nouvelle autorité à ses paroles, et qu'ils n'attendent pas un autre Christ que celui qui avait pour lui le témoignage des oeuvres. - S. CHRYS. (hom. 37.) Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui connaissait la pensée de Jean, ne dit pas " C'est moi ; " car cette réponse aurait indisposé ceux qui l'entendaient ; ils auraient pu penser, quand ils ne l'auraient pas dit, ce que les Juifs lui objectèrent plus tard : " Vous vous rendez donc témoignage à vous-même ? " Il veut donc les instruire à l'école de ses miracles, pour donner ainsi à sa doctrine une autorité plus éclatante et plus irrécusable ; car le témoignage des oeuvres est plus digne de foi que le témoignage des paroles. Il guérit donc sous leurs yeux des aveugles, des boiteux, et beaucoup d'autres malades, non pour l'enseignement de Jean-Baptiste, qui n'en avait pas besoin, mais pour l'instruction de ses disciples qui étaient dans le doute. " Et Jésus leur répondit : Allez, rapportez à Jean ce que vous avez entendu, et ce que vous avez vu. Les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont guéris, les sourds entendent, les morts ressuscitent, les pauvres sont évangélisés. " - S. JER. Ce dernier trait n'est pas inférieur à ceux qui précèdent ; les pauvres évangélisés sont ou les pauvres d'esprit, ou ceux qui sont pauvres des biens de la terre ; ainsi la prédication ne met aucune différence entre la noblesse et l'obscurité de la condition, entre les riches et les pauvres ; et c'est là une preuve de la rigoureuse justice du maître, et de la vérité de ce divin précepteur : tous ceux qui peuvent être sauvés sont égaux à ses yeux.
S. CHRYS. (hom. 37.) Ce qu'il ajoute : " Et heureux est celui qui ne prendra pas de moi un sujet de scandale, " tombe sur les envoyés qui étaient scandalisés à son sujet ; Notre-Seigneur ne dévoile pas leurs doutes intérieurs, il les abandonne au jugement de leur conscience, et leur adresse ce reproche indirect. - S. HIL. (can. 2 sur S. Matth.) En disant : Bienheureux celui qui ne prendra point de lui un sujet de scandale, il montre l'écueil contre lequel Jean a voulu les prémunir, car il n'a envoyé ses disciples vers le Christ que dans la crainte qu'ils ne fussent scandalisés à son sujet. - S. GREG. (hom. 6 sur les Evang.) Jésus-Christ a été pour les infidèles un grand sujet de scandale lorsqu'après tant de miracles, ils le virent expirer sur la croix ; c'est ce que saint Paul exprime lorsqu'il dit : " Nous prêchons Jésus-Christ crucifié, qui est un scandale pour les Juifs. " (1 Co 1) Que signifient donc ces paroles : Heureux est celui qui n'aura pas été scandalisé à mon sujet, si elles ne sont une déclaration manifeste de l'ignominie et des humiliations de sa mort ? N'est-ce pas comme s'il disait clairement à Jean-Baptiste : Je fais des choses admirables, mais je ne rougis pas d'en souffrir d'ignominieuses, et puisque ma mort doit suivre la vôtre, il faut que les hommes se gardent de la mépriser, après avoir admiré les prodiges que j'ai opérés ?
S. HIL. Le sens mystique nous offre encore une intelligence plus large de ce fait de la vie de Jean-Baptiste. C'est que comme prophète, et par la nature même de sa mission prophétique, il annonce que la loi est pour ainsi dire ensevelie dans sa personne. La loi, en effet, avait annoncé Jésus-Christ, prêché la rémission des péchés, promis le royaume des cieux, et Jean avait accompli toute cette oeuvre de la loi. Au moment donc où cesse la loi qui, retenue captive par les péchés du peuple, était comme chargée de chaînes, renfermée dans un cachot, et ne pouvait par conséquent reconnaître le Christ, elle envoie considérer le spectacle que présente l'Évangile, afin que l'incrédulité soit forcée de reconnaître la vérité de la doctrine dans la vérité des faits. - S. AMB. On peut voir aussi dans ces deux disciples les cieux peuples, les Juifs fidèles et les Gentils.
vv. 7-10.
S. CHRYS. (hom. 37.) C'en était assez pour les disciples de Jean, et
ils se retirèrent convaincus par les miracles opérés sous
leurs yeux que Jésus était le Christ ; mais il fallait guérir
les esprits de la multitude qui ne connaissait pas l'intention de Jean-Baptiste,
et pour qui la question de ses disciples avait soulevé plus d'une difficulté.
Car elle pouvait dire : Celui qui a rendu un si glorieux témoignage au
Christ a-t-il donc changé de sentiment et doute-t-il aujourd'hui qu'il
soit le Messie ? Est-ce par un esprit d'opposition à Jésus qu'il
lui fait adresser cette question ? La prison aurait-elle affaibli sa grande
âme ? Est-ce que les premiers témoignages n'étaient que
de vaines paroles ? - S. HIL. (can. 11 sur S. Matth.) Afin donc qu'on ne pût
appliquer à Jean-Baptiste ce qu'il venait de dire, comme si le saint
précurseur eût été scandalisé au sujet de
Jésus-Christ, l'Évangéliste ajoute : " Lorsqu'ils
s'en furent allés, Jésus commença à parler de Jean
aux peuples. " - S. CHRYS. (hom. 37.) Il attend que les disciples de Jean
soient partis, pour qu'on ne l'accuse pas de flatterie à son égard
; il redresse les idées de la multitude sans dévoiler leurs soupçons,
et en leur donnant simplement la solution de leurs difficultés, et il
fait naître des doutes dans leur âme en leur montrant qu'il connaît
les secrets de leur cur. Cependant il ne leur dit pas comme aux Juifs
: " Pourquoi pensez-vous le mal dans vos curs ? " Car s'ils
pensaient le mal, c'était par ignorance, et non par méchanceté.
Aussi ne les reprend-il pas avec sévérité, il se contente
de justifier Jean, en leur montrant qu'il n'a point perdu ses droits à
la haute opinion qu'ils avaient de lui. C'est ce qu'il fait, et par le témoignage
qu'il lui rend et par celui de la multitude elle-même, dont il invoque
non-seulement le témoignage verbal, mais le témoignage de la conduite
; c'est pour cela qu'il leur dit : " Qu'avez-vous été voir
dans le désert ? " c'est-à-dire : " Pourquoi avez vous
abandonné vos cités et vous êtes-vous réunis dans
le désert ? " Car une multitude si nombreuse ne se serait pas rendue
dans le désert avec un si grand empressement, si elle n'avait cru y rencontrer
un personnage important, extraordinaire et plus ferme qu'un rocher. - LA GLOSE.
Ce n'est pas qu'ils fussent venus alors dans le désert pour y voir Jean-Baptiste,
puisqu'il était en prison ; mais le Sauveur leur rappelle ce qu'ils avaient
fait autrefois, lorsqu'ils allaient fréquemment dans le désert
pour y voir Jean-Baptiste qui s'y trouvait encore.
S. CHRYS. (hom. 38.) Et voyez comment, sans s'arrêter à justifier
Jean-Baptiste de tout autre défaut, il éloigne de lui le reproche
de légèreté que le peuple pouvait lui faire intérieurement
en leur disant : " Est-ce un roseau agité par le vent ? " -
S. GREG. (hom. 6 sur les Evang.) Ce n'est point ici une affirmation, mais une
interrogation ; le roseau, aussitôt qu'il est effleuré par le moindre
vent, plie de l'autre côté, image de l'âme charnelle qui
plie tour à tour sous le vent de la faveur ou de la contradiction des
langues. Jean n'était donc pas un roseau agité par le vent, car
aucune vicissitude des choses humaines ne pouvait faire fléchir la droiture
de sa conduite. Voici donc le sens de ces paroles du Seigneur : - S. JER. Avez-vous
été dans le désert pour voir un homme semblable à
un roseau tour à tour agité par tous les vents, et dont l'esprit
léger douterait maintenant de celui auquel il a rendu un éclatant
témoignage ? Est-ce que peut-être l'aiguillon de l'envie l'exciterait
contre moi, est-ce qu'il poursuivrait la vaine gloire dans ses prédications
? Chercherait-il à en tirer profit ? Pourquoi désirerait-il les
richesses ? pour s'asseoir à des tables splendidement servies ? Mais
il se nourrit de sauterelles et de miel sauvage ; Est-ce pour se vêtir
avec mollesse ? son vêtement est fait avec des poils de chameau ; et c'est
pour cela que le Sauveur ajoute : " Mais qu'êtes-vous allés
voir ? un homme vêtu mollement ? " - S. CHRYS. Ou bien dans un autre
sens, en allant dans le désert, vous avez prouvé par votre empressement
que Jean n'était pas semblable à un roseau mobile. Et on ne peut
dire que Jean, ferme et inébranlable de sa nature, est devenu inconstant
en s'abandonnant à une vie de plaisirs ; car de même qu'un homme
est naturellement colère, et qu'un autre le devient par suite de longues
souffrances, ainsi il en est qui sont inconstants par nature, et d'autres qui
le deviennent en se livrant à leurs passions. Or, Jean-Baptiste n'était
pas inconstant par nature, et c'est pour cela que le Sauveur leur fait cette
question : " Êtes-vous allés voir un roseau agité par
le vent ? Ce n'est pas non plus en devenant l'esclave de la volupté qu'il
a perdu cette élévation de caractère : le désert
qu'il habitait, la prison où il est renfermé prouvent le contraire.
S'il avait voulu se vêtir avec mollesse, il n'eût pas choisi pour
habitation le désert, mais les palais des rois, car : " Ceux qui
sont vêtus mollement, sont dans la maison des rois. " - S. JER. Apprenons
ici que la vie austère et la sévérité de la prédication
doivent fuir les cours des rois et éviter les palais des hommes livrés
à la mollesse.
S. GREG. (hom. 6 sur les Evang.) Que personne ne s'imagine que la recherche
des vêtements riches et précieux puisse être exempte de pêché
; car s'il en était ainsi, Notre-Seigneur n'aurait point loué
Jean-Baptiste de porter un vêtement grossier, et saint Pierre n'aurait
pas combattu dans les femmes l'amour des vêtements somptueux par ces paroles
: " Ne recherchez pas les habits précieux. " - S. AUG. (Doct.
chrét., liv. 3, chap. 12.) Cependant, ce n'est pas dans l'usage qu'on
fait de toutes ces choses, mais dans l'excès et l'attachement immodéré
de celui qui en use que se trouve le péché. Par conséquent,
si l'on se conduit à cet égard avec plus de parcimonie que ne
le comportent les usages des personnes au milieu desquelles on vit, c'est retenue
excessive ou crainte superstitieuse ; mais si l'on dépasse en cela les
limites posées par la coutume des personnes vertueuses, c'est mauvais
signe, c'est dérèglement.
S. CHRYS. (hom. 38.) Après avoir donné comme preuve de la vertu du saint précurseur, le lieu qu'il habitait, ses vêtements, et le concours du peuple, il le leur présente comme un prophète : " Qu'êtes-vous allés voir ? un prophète ? Oui, je vous le dis, et plus qu'un prophète. - S. GREG. (hom. 6 sur les Evang.) Le ministère du prophète c'est de prédire les choses à venir, et non de les montrer ; donc Jean-Baptiste est plus qu'un prophète, car il annonçait comme présent, celui qu'il avait prédit en sa qualité de précurseur. - S. JER. C'est par là qu'il était plus grand que les autres prophètes, et aussi parce qu'aux privilèges de la dignité de prophète il joignit la gloire de baptiser son Seigneur. - S. CHRYS. (hom. 38.) Jésus fait voir ensuite en quoi il est supérieur aux autres, en ajoutant : " C'est de lui qu'il est écrit : Voici que j'envoie mon ange devant votre face. " - S. JER. Pour relever le mérite de Jean-Baptiste, il emprunte le témoignage de Malachie qui l'avait annoncé comme un ange. Or, le nom d'ange est donné ici à Jean-Baptiste, non pas qu'il ait eu avec eux une même nature, mais parce qu'il a rempli le même ministère, c'est-à-dire celui de messager, en annonçant le Sauveur qui devait venir. - S. GREG. En grec, le mot ange correspond au mot latin messager : c'est donc avec raison que celui qui venait apporter à la terre un message des cieux reçoit le nom d'ange et qu'il porte ce titre glorieux que justifient ses oeuvres. - S. CHRYS. (hom. 38.) Il montre donc en quoi Jean-Baptiste est plus grand que les prophètes, c'est parce qu'il a eu l'honneur d'être près du Christ. Ces paroles : " Devant votre face, " signifient auprès de vous. Car de même que ceux qui marchent auprès du char du roi sont les seigneurs les plus distingués de sa cour, ainsi Jean reçut un nouvel éclat de la présence du Christ. - LA GLOSE. Ajoutons enfin que les autres prophètes ont eu pour mission d'annoncer l'avènement du Christ, et Jean-Baptiste de lui préparer les voies, et c'est pour cela qu'il est écrit : " Il vous préparera la voie où vous devez marcher, " c'est-à-dire qu'il vous rendra les curs accessibles en leur prêchant la pénitence et en leur donnant le baptême.
S. HIL. (can. 11 sur S. Matth.) Dans le sens mystique, le désert est le lieu qui est privé de la présence de l'Esprit saint, et que Dieu n'habite en aucune façon. Le roseau c'est l'homme tout resplendissant de la gloire du monde, c'est-à-dire par la futilité de sa vie, mais qui ne porte en lui-même aucun fruit de vérité ; ses dehors sont agréables, mais il est nul à l'intérieur ; le moindre vent, c'est-à-dire le moindre souffle des esprits immondes l'agite, il n'a aucune consistance, aucune fermeté, aucune force intérieure. Le vêtement représente le corps dont l'âme est revêtue, que le luxe et la volupté amollissent ; les rois sont l'image des anges prévaricateurs, car ils sont les puissants du Siècle et les maîtres du monde. Ceux donc qui sont vêtus avec mollesse habitent dans la maison des rois, c'est-à-dire que ceux dont le corps est amolli et a perdu sa force au sein des voluptés deviennent l'habitation des démons. - S. GREG. (hom. 6 sur les Evang.) On peut dire encore que Jean ne fut pas vêtu avec mollesse, parce qu'il n'a point encouragé par un langage flatteur les vices des pécheurs, mais qu'il les a pressés de ses réprimandes énergiques et de ses reproches les plus sévères, jusqu'à les appeler : " Race de vipères. " (Mt 3)
v. 11.
S. CHRYS. (hom. 38.) Notre-Seigneur ne se contente pas de faire l'éloge
de Jean-Baptiste, en rappelant le témoignage que lui rend le prophète,
il fait connaître la haute opinion qu'il a personnellement de lui en disant
: " Je vous le dis en vérité, il n'y en a point eu de plus
grand, " etc. - RAB. Pourquoi semble-t-il dire, faire un éloge détaillé
de Jean-Baptiste : " Je vous le dis en vérité, entre ceux
qui sont nés des femmes, " etc. Il dit : Entre les enfants des femmes,
et non des vierges. Le mot femmes exprime dans le sens propre celles qui n'ont
plus leur virginité. Si Marie est quelquefois appelée femme dans
l'Évangile, il faut se rappeler que cette expression n'est employée
que pour désigner son sexe, comme dans ce passage : " Femme, voici
votre fils. " - S. JER. Notre-Seigneur élève donc Jean-Baptiste
au-dessus des hommes qui sont nés des femmes et de leur union avec l'homme
; mais non pas au-dessus de celui qui est né de la Vierge et de l'Esprit
saint. D'ailleurs, en disant : " Nul d'entre les enfants des femmes n'a
été plus grand que Jean-Baptiste, " il ne le place pas précisément
au-dessus des patriarches, des prophètes, et des autres hommes, mais
il les met simplement sur le même rang ; car de ce que les autres ne sont
pas plus grands que lui, il ne s'ensuit pas qu'il soit plus grand qu'eux. -
S. CHRYS. (sur S. Matth.) Mais comme la justice est si élevée,
qu'il n'y a que Dieu seul qui puisse en atteindre la perfection, je pense que
les saints, aux yeux si pénétrants du souverain juge, sont dans
un degré plus ou moins élevé les uns que les autres, et
nous devons en conclure que celui au-dessus duquel il n'y en a point de plus
grand est lui-même plus grand que tous les autres.
S. CHRYS. (hom. 38.) Mais de peur que cette surabondance de louanges n'entraînât quelque inconvénient pour les Juifs, qui avaient de Jean-Baptiste une plus haute estime que de Jésus-Christ, le Sauveur prévient toute impression fâcheuse en ajoutant : " Mais celui qui est le plus petit dans le royaume des cieux est plus grand que lui. " - S. AUG. (cont. l'advers. de la loi et des prophètes, liv. 4, chap. 5.) Les hérétiques, en raisonnant sur ce texte, veulent en conclure que Jean-Baptiste n'appartient pas au royaume des cieux, et encore moins les prophètes de ce peuple, auxquels Jean-Baptiste est supérieur. Or, ces paroles de Notre-Seigneur peuvent s'entendre de deux manières : ou bien ce royaume des cieux, c'est celui dont nous ne sommes pas encore en possession, et dont Notre-Seigneur doit dire à la fin du monde : " Venez, les bénis de mon Père, possédez le royaume, " etc., et comme les anges sont les habitants de ce royaume, le moindre d'entre eux est plus grand que le juste, qui, sur cette terre, porte un corps sujet à la corruption. Ou bien, si par le royaume des cieux il a voulu signifier 1'Église, dont tous les justes qui ont existé depuis la naissance du genre humain sont les enfants, c'est de lui-même qu'il a voulu parler, car il était au-dessous de Jean par son âge, et il lui était supérieur par son éternité divine et par sa puissance souveraine. Dans le premier sens, il faut donc diviser ainsi la phrase : " Celui qui est le plus petit dans le royaume des cieux, " et ensuite : " Est plus grand que lui ; " et dans le second sens : " Celui qui est le plus petit, " et puis : " Est plus grand que lui dans le royaume des cieux. " - S. CHRYS. (hom. 38.) " Dans le royaume des cieux, " c'est-à-dire dans toutes les choses spirituelles et célestes. Il en est qui pensent que Jésus-Christ a voulu parler ici de ses Apôtres. - S. JER. Pour nous, nous entendons tout simplement ces paroles, en ce sens, que tout homme juste qui est déjà réuni au Seigneur, est plus grand que celui qui se trouve encore au milieu des combats ; car il y a une grande différence entre celui qui a déjà reçu la couronne de la victoire, et celui qui soutient encore sur le champ de bataille tous les efforts de ses ennemis.
vv. 12-15.
LA GLOSE. Les paroles qui précèdent : " Celui qui est le
plus petit dans le royaume des cieux est plus grand que Jean-Baptiste, "
pouvaient faire penser que Jean-Baptiste était étranger au royaume
des cieux. Notre-Seigneur éloigne donc cette idée en ajoutant
: " Depuis les jours, " etc. - S. GREG. (hom. 20 sur S. Matth.) Le
royaume des cieux signifie le trône qui nous est préparé
dans le ciel, et lorsque des pécheurs souillés de quelques crimes
reviennent à Dieu par la pénitence et réforment leur conduite,
ils entrent comme pécheurs dans un lieu qui leur est étranger,
et ils ravissent avec violence le royaume des cieux.
S. JER. Si Jean-Baptiste a le premier prêché la pénitence
au peuple en ces termes : " Faites pénitence, car le royaume des
cieux approche, " il est juste que depuis ce temps le royaume des cieux
souffre violence, et que les violents seuls le ravissent. Il faut en effet que
nous nous fassions une grande violence, nous dont la naissance est toute terrestre,
pour chercher à mériter la gloire des cieux et conquérir
par notre vertu ce que nous ne pouvons tenir de notre nature. - S. HIL. (can.
11.) Ou bien dans un autre sens, Notre-Seigneur avait ordonné à
ses Apôtres d'aller vers les brebis perdues d'Israël (Mt 11), mais
leur prédication tournait au profit des publicains et des pécheurs.
C'est ainsi que le royaume des cieux souffre violence, et que les violents le
ravissent, parce que la gloire qui était due aux patriarches d'Israël,
que les prophètes avaient annoncée, et que Jésus-Christ
est venu offrir, a été enlevée et ravie par la foi des
nations. - S. CHRYS. (hom. 38.) Ou bien encore, ceux qui s'empressent de se
convertir sont ceux qui ravissent le royaume de Dieu par la foi en Jésus-Christ
; voilà pourquoi il dit : " Depuis les jours de Jean-Baptiste jusqu'à
présent. " C'est ainsi qu'il les excite et les presse de croire
en lui ; en même temps il confirme lui-même tout ce que Jean-Baptiste
avait dit précédemment. Car si toutes choses ont été
accomplies jusqu'à Jean-Baptiste, il est donc celui qui doit venir, et
c'est pour cela qu'il ajoute : " Tous les prophètes ont prophétisé
jusqu'à Jean. " - S. JER. Ce n'est pas qu'il veuille dire qu'après
Jean il n'y a plus eu de prophète, car nous lisons dans les Actes des
Apôtres (Ac 11 ; Ac 21), qu'Agabus et les quatre vierges, filles de Philippe,
prophétisèrent ; mais ces paroles signifient que toutes les prophéties
de la loi et des prophètes ont eu Jésus-Christ pour objet. Ces
paroles donc : " Ils ont prophétisé jusqu'à Jean,
" indiquent le temps où devait venir le Christ, et où Jean-Baptiste
a signalé la présence de Celui dont ils avaient prédit
la venue.
S. CHRYS. (hom. 38.) Il donne ensuite une autre explication de son avènement : " Et si vous voulez le comprendre, lui-même est cet Élie qui doit venir. " Dieu dit en effet par la bouche du prophète Malachie (Ml 4) : Je vous enverrai Élie de Thesba, et il dit de Jean-Baptiste : " J'enverrai mon ange devant vous. " - S. JER. Jean est donc appelé Élie, non pas dans le sens de quelques philosophes insensés, et de certains hérétiques qui enseignent le retour des âmes dans de nouveaux corps, mais parce qu'au témoignage de l'Évangile lui-même, il est venu dans la vertu et dans l'esprit d'Élie, et qu'il a reçu la même grâce ou la même mesure de l'Esprit saint. Ajoutez que l'austérité de la vie et la sévérité des principes sont les mêmes dans Élie et dans Jean-Baptiste : ils habitaient tous les deux le désert, tous les deux ils portaient une ceinture de poils de chameau ; le premier fut obligé de fuir, parce qu'il avait reproché à Achab et à Jésabel leur impiété, le second eut la tête tranchée parce qu'il avait condamné l'union criminelle d'Hérode et d'Hérodiade. - S. CHRYS. (hom. 38.) Le Sauveur dit avec raison : " Et si vous voulez le comprendre, " leur montrant ainsi qu'ils sont libres et qu'il exige une adhésion volontaire : or Jean est Élie, et à son tour Élie est Jean, parce que tous deux sont précurseurs. - S. JER. Ces paroles : " Lui-même est Élie, " sont mystérieuses et ont besoin d'une intelligence particulière, comme le prouve ce qu'il ajoute : " Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende. " - REMI. C'est-à-dire : Que celui qui a les oreilles du cur pour entendre ou pour comprendre, qu'il entende, qu'il comprenne, parce qu'en effet il a dit non pas que Jean-Baptiste ait été Élie en personne, mais seulement par l'esprit.
vv. 16-19.
S. HIL. (can. 11.) Tout ce discours est à la honte de l'incrédulité
; c'est l'expression d'un profond sentiment de mécontentement de ce que
ce peuple arrogant avait résisté aux divers genres d'instructions
qui lui avaient été faites. - S. CHRYS. (hom. 38.) Le Sauveur
procède avec raison par interrogation, pour montrer que rien n'a été
oublié de ce qui devait contribuer à leur salut : " A qui
comparerai-je cette génération ? " - LA GLOSE. Comme s'il
disait : Jean était un grand prophète, mais vous n'avez voulu
croire ni à sa parole ni à la mienne ; à qui donc vous
comparerai-je ? Dans ce mot de génération il comprend les Juifs,
Jean-Baptiste lui-même.
REMI. Il se fait aussitôt cette réponse : " Elle est semblable
à des enfants assis sur la place publique qui crient à leurs compagnons
: Nous avons chanté pour vous, et vous n'avez pas dansé ; nous
avons chanté des airs lugubres, et vous n'avez point témoigné
de tristesse. - S. HIL. (Can. 11.) Par ces enfants, Notre-Seigneur entend les
prophètes qui ont prêché comme des enfants dans la simplicité
de leur âme, et qui, au milieu des synagogues comme au milieu d'une place
publique, ont reproché aux Juifs de n'avoir pas conformé leurs
oeuvres extérieures aux chants qu'ils leur adressaient, et de n'avoir
pas obéi à leurs paroles ; car le mouvement de la danse doit se
conformer à la mesure du chant. Or, les prophètes ont appelé
le peuple à louer Dieu dans leurs chants, comme nous le voyons dans les
cantiques de Moïse, d'Isaïe et de David (Ex 15 ; Dt 32 ; Is 12 ; 26
; 2 R 26 ; Ps 17, etc.), etc. - S. JER. Voici donc ce qu'ils reprochent aux
Juifs : " Nous avons chanté pour vous, et vous n'avez pas dansé,
" c'est-à-dire nous vous avons excités par nos chants à
la pratique des bonnes oeuvres, et vous n'en avez rien fait ; nous avons pleuré
pour vous appeler à la pénitence, et vous n'avez pas été
plus dociles, vous avez méprisé toute espèce de prédication,
et celle qui vous exhortait à la vertu, et celle qui vous appelait à
faire pénitence de vos péchés. - REMI. Comment peut-il
dire : " A leurs compagnons ? " Est-ce que les Juifs infidèles
étaient les égaux et les compagnons des saints prophètes
? Non, mais il parle ainsi parce qu'ils étaient tous sortis d'une souche
commune. - S. JER. Les enfants sont encore ceux dont Isaïe a dit : "
Me voici, moi et mes enfants, ceux que le Seigneur m'a donnés ; "
ces enfants s'arrêtent sur la place publique où l'on fait trafic
de tout, et ils disent : " Nous avons chanté pour vous, et vous
n'avez pas dansé. " - S. CHRYS. (hom. 38.) Je vous ai donné
l'exemple d'une vie plus douce que sévère, et vous n'avez pas
été persuadés ; Jean s'est soumis à une vie austère,
et vous n'y avez pas fait plus d'attention ; il ne dit pas : Jean a suivi cette
ligne de conduite, et moi cette autre ; mais il ne sépare pas leur cause,
parce que leur intention était la même, et il ajoute : " Jean
est venu, ne mangeant, ni ne buvant, et vous avez dit : Il est possédé.
Le Fils de l'homme est venu, mangeant et buvant, " etc. - S. AUG. (cont.
Faust. liv. 16, chap. 31.) Je voudrais bien que les Manichéens me disent
ce que mangeait et ce que buvait Jésus-Christ, lui qui se disait mangeant
et buvant, en comparaison de Jean-Baptiste qui ne mangeait ni ne buvait. Car
il n'est pas dit que Jean ne buvait pas du tout, mais qu'il ne buvait ni vin
ni rien de ce qui pouvait enivrer, il ne buvait donc que de l'eau ; on ne peut
pas dire non plus qu'il ne mangeait rien absolument, mais il ne mangeait que
du miel sauvage et des sauterelles. Pourquoi donc Notre-Seigneur dit-il qu'il
ne mangeait ni ne buvait, si ce n'est parce qu'il n'usait pas des aliments ordinaires
des Juifs ? Et si le Seigneur n'en avait pas lui-même fait usage, il n'aurait
pu dire par comparaison avec Jean-Baptiste qu'il mangeait et buvait. Or, n'est-il
pas étonnant qu'on dise de celui qui mangeait des sauterelles et du miel,
qu'il ne mangeait pas, et qu'on présente comme mangeant celui qui se
contentait de pain et de légumes ?
S. CHRYS. (hom. 38.) " Le Fils de l'homme est venu, " etc., c'est-à-dire nous avons suivi, Jean et moi, des routes différentes, mais qui aboutissaient au même but, comme deux chasseurs qui poursuivent un animal par deux chemins différents pour le faire arriver sur l'un des deux. Les hommes sont généralement portés à admirer le jeûne et l'austérité de la vie ; c'est pour cela que Dieu voulut que dès son enfance Jean pratiquât ce genre de vie, pour donner ainsi par la suite plus d'autorité à ses paroles. Notre-Seigneur marcha lui-même dans cette voie lorsqu'il jeûna pendant quarante jours ; mais cependant il prit d'autres moyens pour persuader aux Juifs de croire en lui ; car il était bien-plus important que Jean-Baptiste lui rendît témoignage en marchant dans cette voie, qu'il ne l'était pour lui-même de suivre ce genre de vie. En effet, Jean ne fit éclater en lui que l'austérité de sa vie et l'amour de la justice, tandis que Jésus-Christ avait encore le témoignage des miracles. Il laissa donc Jean-Baptiste briller par le jeûne, et il suivit une voie différente en ne refusant pas de s'asseoir à la table des publicains pour manger et boire avec eux. - S. JER. Si le jeûne vous est agréable, pourquoi Jean-Baptiste ne vous plaît-il pas ? Si la vie ordinaire a pour vous plus d'attrait, pourquoi le Fils de l'homme ne peut-il vous plaire ? Pourquoi avez-vous traité l'un de possédé, et l'autre d'ivrogne et d'intempérant ?
S. CHRYS. Quelle sera donc désormais leur excuse ? c'est pour cela qu'il ajoute : " La sagesse a été justifiée par ses enfants, " c'est-à-dire : si vous n'êtes pas persuadés, vous n'avez pas, du moins, de raison de m'accuser. C'est ce que le Prophète-Roi dit de Dieu le Père : " Afin que vous soyez justifié dans vos paroles. " (Ps 50.) Quoique vous n'ayez tiré aucun profit de l'économie de la divine providence à votre égard, de son côté elle a fait tout ce qu'elle devait, de manière à ne laisser pas même l'ombre d'un doute à l'impudence et à l'ingratitude. - S. JER. La sagesse a été justifiée par ses enfants, c'est-à-dire la doctrine et la conduite de Dieu. Ou bien la conduite du Christ qui est la vertu et la sagesse de Dieu a été justifiée par les Apôtres qui sont ses enfants. - S. HIL. Or, il est lui-même la sagesse, non par les effets merveilleux qu'elle a produits en lui, mais par nature. Il en est plusieurs qui cherchent à éluder la force de ces paroles de l'Apôtre qui proclament le Christ la puissance et la sagesse de Dieu (1 Co 1), en disant que la vertu de cette sagesse et de cette puissance divine s'est montrée dans l'oeuvre de son incarnation et de sa naissance d'une Vierge ; mais pour détruire par avance cette interprétation, il a déclaré qu'il était lui-même la sagesse, montrant ainsi que ce n'étaient pas seulement les oeuvres de la sagesse, mais la sagesse elle-même qui résidait en lui ; car l'oeuvre de la vertu n'est pas la vertu elle-même, et l'effet demeure distinct de celui qui le produit. - S. AUG. (Quest. Evang., liv. 2, chap. 11.) " La sagesse a été justifiée par ses enfants, " en ce sens que les saints Apôtres comprirent que le royaume des cieux n'était point dans le boire et dans le manger, mais dans la patience à supporter les épreuves ; aussi l'abondance ne leur inspirait aucun orgueil, et la pauvreté ne pouvait les abattre. C'est ce qui faisait dire à saint Paul : " Je sais être dans l'abondance, et je sais supporter la pauvreté. " - S. HIL. On lit dans quelques exemplaires : " La sagesse a été justifiée par ses oeuvres. " La sagesse, en effet, ne cherche pas le témoignage des paroles, mais celui des oeuvres. S. CHRYS. (hom. 38.) Si cette comparaison empruntée aux enfants vous paraît vulgaire, n'en soyez pas surpris, car Jésus s'adressait à des auditeurs grossiers ; c'est ainsi qu'Ézéchiel se sert de plusieurs comparaisons en rapport avec l'intelligence des Juifs, mais qui ne convenaient nullement à la grandeur de Dieu, si toutefois l'on peut dire qu'une chose qui est utile aux hommes n'est pas digne de Dieu.
S. HIL. (can. 11.) Dans le sens mystique, la prédication elle-même de Jean-Baptiste fut impuissante pour convertir les Juifs, parce que la loi leur avait paru pénible, difficile et gênante à cause de ses prescriptions sur les aliments et sur les boissons. Elle renfermait pour ainsi dire en elle-même le péché auquel il donne le nom de démon, parce que la difficulté que présentait son observation en rendait presque inévitable la transgression. A son tour, la prédication de l'Évangile de Jésus-Christ ne leur fut pas agréable, malgré la liberté qu'elle leur rendait, en allégeant tout ce que la loi avait de difficile et d'accablant. Les publicains et les pécheurs embrassèrent la foi, mais pour les Juifs, après tant et de si grands avertissements, ils ne furent pas justifiés par la grâce, et ils furent abandonnés par la loi. C'est alors que la sagesse fut justifiée par ses enfants, c'est-à-dire par ceux qui ravissent le royaume des cieux par la justification qui vient de la foi, et en proclamant la justice des opérations de la sagesse de Dieu qui prive de ses grâces les esprits rebelles pour en faire part aux curs fidèles.
vv. 20-24.
LA GLOSE. Jusqu'ici les reproches du Sauveur s'étaient adressés
indistinctement à tous les Juifs, maintenant il les fait tomber en particulier
sur quelques villes qu'il avait évangélisées d'une manière
plus spéciale, et qui, cependant, n'avaient pas voulu se convertir. "
Alors, dit l'Évangéliste, il commença à faire des
reproches aux villes, " etc. - S. JER. Ce chapitre s'ouvre par les reproches
qu'il fait aux villes de Bethsaïde et de Capharnaüm, de ce qu'après
tant de prodiges et de miracles opérés au milieu d'elles, elles
n'ont pas fait pénitence. " Malheur à vous, Corozaïm
! malheur à vous, Bethsaïde ! " - S. CHRYS. (hom. 38.) C'est
pour vous apprendre que les habitants de ces villes n'étaient pas mauvais
par leur nature qu'il nomme la ville de Bethsaïde, qui avait donné
le jour à plusieurs d'entre les Apôtres. En effet, Philippe, et
les deux principaux couples du collège apostolique, Pierre et André,
Jacques et Jean, étaient de Bethsaïde. - S. JER. Cette expression,
" malheur, " nous montre que le Sauveur déplore le triste sort
de ces villes, de ce qu'après tant de miracles et de prodiges opérés
sous leurs yeux, elles n'ont pas fait pénitence. - RAB. Corozaïm
qui veut dire mon mystère, et Bethsaïde, la maison des fruits ou
la maison des chasseurs, sont des villes de Galilée assises sur les bords
de la mer de Galilée. Le Seigneur déplore le triste sort de ces
villes, à qui le mystère de Dieu a été révélé,
qui auraient dû produire des fruits de vertu, et dans lesquelles il avait
envoyé des chasseurs spirituels. - S. JER. Le Sauveur leur préfère
Tyr et Sidon, villes adonnées à l'idolâtrie et à
tous les vices. " Car, ajoute-t-il, si les merveilles qui ont été
opérées au milieu de vous avaient été faites au
milieu de Tyr et de Sidon, il y a longtemps qu'eues auraient fait pénitence
dans la cendre et le cilice. " - S. GREG. (Moral., 35, 2.) Le cilice signifie
la componction et l'austérité de la pénitence ; la cendre,
la poussière des morts. Tous deux sont mis en usage dans la pénitence,
afin que les pointes du cilice nous rappellent ce que nous avons fait en péchant,
et que la cendre nous fasse réfléchir sur ce que nous sommes devenus
par le jugement de Dieu. - RAB. Tyr et Sidon sont des villes de Phénicie.
Tyr veut dire angoisse, et Sidon, chasse ; elles représentent les nations
que le démon a prises comme un chasseur dans les détroits resserrés
du péché, mais que le Sauveur Jésus a délivrées
par son Évangile.
S. JER. Où donc voyons-nous que le Sauveur ait fait des miracles dans Corozaïm et dans Bethsaïde ? Nous lisons dans un des chapitres précédents : " Il parcourait toutes les villes et les villages, guérissant toutes les maladies, " etc. Il est donc à croire que Corozaïm et Bethsaïde étaient du nombre de ces villes et bourgades dans lesquelles le Sauveur avait opéré des miracles. - S. AUG. (de la persév., chap. 9.) Il n'est donc pas vrai de dire que l'Évangile n'ait pas été prêché dans les temps et dans les lieux où le Seigneur prévoyait l'inutilité de ses prédications pour tous ceux qui l'entendraient, aussi bien que pour un grand nombre de ceux qui n'ont pas voulu croire en lui, même après qu'ils l'eurent vu ressusciter des morts ; car voici le Seigneur qui nous assure que les habitants de Tyr et de Sidon eussent fait une pénitence pleine d'humilité, s'ils avaient été témoins des miracles de la puissance divine. Or, si les morts sont jugés sur ce qu'ils auraient fait s'ils avaient vécu, comme les habitants de ces villes se seraient convertis à la foi si l'Évangile leur eût été annoncé et confirmé par tant de miracles éclatants, il faudrait en conclure qu'ils seront exempts de tout châtiment ; et cependant ils seront punis au jour du jugement, d'après les paroles qui suivent : " Néanmoins je vous le dis, Tyr et Sidon seront traitées moins rigoureusement que vous. " La peine des derniers sera donc plus légère, et le châtiment des autres plus rigoureux. - S. JER. Et la raison, c'est que Tyr et Sidon ont foulé aux pieds la loi naturelle seule, tandis que ces villes, à la transgression de la loi écrite, ont joint le mépris des miracles qui ont été faits au milieu d'elles. - RAB. Nous sommes aujourd'hui témoins de l'accomplissement des paroles du Sauveur : Corozaïm et Bethsaïde ne voulurent pas croire en lui lorsqu'il les honorait de sa présence, tandis que Tyr et Sidon crurent plus tard à la prédication des Apôtres. - REMI. Capharnaüm était la métropole de la Galilée, et la ville la plus célèbre de cette province ; c'est pour cela que le Seigneur en fait une mention spéciale : " Et toi Capharnaüm, t'élèveras-tu jusqu'au ciel ? tu seras abaissée jusqu'aux enfers. " - S. JER. On peut entendre ces paroles de deux manières : ou bien tu descendras jusqu'aux enfers, parce que tu as résisté avec orgueil à mes prédications ; ou bien, parce que élevée jusqu'au ciel par le séjour que j'ai daigné faire au milieu de toi, aussi bien que par les prodiges et par les merveilles que j'ai opérés dans ton sein, tu seras condamnée à de plus grands supplices pour avoir abusé de grâces si privilégiées, en refusant de croire en moi. - REMI. Ce ne sont pas seulement les péchés de Tyr et de Sidon, mais les crimes de Sodome et de Gomorrhe qui sont légers en comparaison. Car, ajoute-t-il, si les merveilles qui ont été opérées au milieu de toi eussent été faites dans Sodome, peut-être cette ville existerait encore. - S. CHRYS. (hom. 39.) C'est ce qui rend leur accusation plus rigoureuse, car la plus forte preuve de méchanceté, c'est d'être plus mauvais non-seulement que les méchants qui existent, mais que ceux qui ont jamais existé.
S. JER. Dans la ville de Capharnaüm, qui veut dire très belle maison de plaisance, se trouve condamnée Jérusalem, à qui Ézéchiel a dit : Sodome a été trouvée juste auprès de toi. - REMI. Le Seigneur qui connaît toutes choses, s'est servi ici du mot dubitatif peut-être, pour montrer que les hommes ont reçu de lui le don du libre arbitre. Il ajoute : " C'est pourquoi je vous déclare qu'au jour du jugement le pays de Sodome sera traité moins rigoureusement que vous. " Il faut se rappeler que sous le nom d'une ville ou d'une contrée, les reproches du Seigneur s'adressent non pas aux édifices ou aux murailles des maisons, mais aux hommes qui les habitent, d'après la figure appelée métonymie, qui exprime le contenu pour le contenant. Les paroles suivantes : " La peine sera plus légère au jour du jugement, " démontrent jusqu'à l'évidence qu'il y a dans l'enfer divers degrés de peines, de même qu'il y a divers degrés de gloire dans le royaume des cieux. - S. JER. Un lecteur attentif me dira peut-être : Si les villes de Tyr, de Sidon et de Sodome auraient pu faire pénitence en entendant les prédications du Seigneur et devant l'éclat de ses miracles, elles ne sont pas coupables de n'avoir pas cru, mais la faute doit être imputée au silence de celui qui n'a pas voulu leur prêcher dans le temps où elles étaient disposées à faire pénitence. La réponse à cette difficulté est facile et claire : c'est que nous ignorons les jugements de Dieu, et les mystérieuses dispositions de sa providence. Notre-Seigneur s'était proposé de ne point sortir des frontières de la Judée, ne voulant pas fournir aux pharisiens et aux prêtres un motif ou un prétexte pour le persécuter. C'est pour cela qu'il fait cette recommandation aux Apôtres : " Vous n'irez pas dans le chemin des nations. " Or, Corozaïm et Bethsaïde sont condamnées, parce qu'elles ont refusé de croire à la parole du Seigneur lui-même présent au milieu d'elles ; Tyr et Sidon sont justifiées pour avoir cru à la parole de ses Apôtres. Pourquoi faire ici une question de temps alors que vous voyez que ceux qui croient sont sauvés ? - REMI. Voici une autre solution de cette difficulté : dans Corozaïm, il y en avait probablement plusieurs qui devaient croire, de même que dans Tyr et dans Sidon il en était plusieurs qui devaient rester dans l'incrédulité, et qui, par conséquent, n'étaient pas dignes de 1'Évangile. Notre-Seigneur a donc évangélisé les habitants de Corozaïm et de Bethsaïde, afin que ceux qui devaient croire pussent embrasser la foi ; et il ne voulut point porter la prédication de l'Évangile aux habitants de Tyr et de Sidon, dans la crainte que ceux qui refuseraient de croire, devenus plus coupables par le mépris de l'Évangile, ne fussent aussi plus rigoureusement punis.
S. AUG. (de la persévér., chap. 10.) Un controversiste catholique qui n'est pas à dédaigner explique ce passage de l'Évangile en disant que le Seigneur avait prévu que les Tyriens et les Sidoniens devaient plus tard abandonner la foi qu'ils auraient embrassée sur l'autorité des miracles opérés sous leurs yeux ; et c'est par miséricorde qu'il n'a point voulu faire de miracles au milieu d'eux, parce que en abandonnant la foi qu'ils avaient professée, ils se seraient rendus dignes de châtiments plus rigoureux que s'ils ne l'avaient jamais reçue. (Evang., chap. 12.) On peut dire encore que le Seigneur prévoit avec certitude les grâces auxquelles il a daigné attacher notre délivrance : c'est la prédestination des saints, c'est-à-dire la prescience et la préparation des grâces qui doivent infailliblement sauver ceux qui doivent l'être ; les autres, par un juste jugement de Dieu, sont laissés dans la masse de perdition, comme les habitants de Tyr et de Sidon qui auraient pu croire également s'ils avaient été témoins des nombreux miracles de Jésus-Christ ; mais comme le don de la foi ne leur a pas été accordé, les moyens de croire leur ont été refusés. On peut conclure de là qu'il y a des hommes qui ont naturellement dans leur esprit un don particulier d'intelligence qui les porterait vers la foi, s'ils voyaient des miracles ou s'ils entendaient des paroles conformes aux dispositions de leur âme ; et cependant si, par un profond jugement de Dieu, ils ne sont pas séparés de la masse de perdition par la grâce de la prédestination, ils n'entendront jamais ces paroles divines, ils ne verront jamais ces faits miraculeux qui deviendraient pour eux, s'ils en étaient témoins, des moyens assurés de parvenir à la foi. C'est dans cette masse de perdition que furent laissés les Juifs eux-mêmes qui ne purent croire aux miracles si éclatants qui furent opérés sous leurs yeux, et l'Évangile ne nous a pas caché la raison pour laquelle ils n'ont pu croire : " Bien que le Sauveur eût opéré sous leurs yeux d'aussi grands miracles, ils ne pouvaient pas croire, selon ce qu'Isaïe a dit : " Il a aveuglé leurs yeux (Is 6, 9 ; Ac 28, 18), et il a endurci leurs curs. " (Jn 12.) Les yeux des Tyriens et des Sidoniens n'étaient donc pas aveuglés de manière à ne pouvoir croire, s'ils avaient vu de semblables miracles ; mais comme ils n'étaient pas prédestinés, il ne leur servit de rien d'avoir pu croire, de même que ce n'eût pas été pour eux un obstacle de ne pouvoir croire si Dieu les eût prédestinés à recevoir la lumière de la loi malgré leur aveuglement, et s'il avait voulu leur ôter leur cur le pierre, cause de leur endurcissement.
S. AUG. (de l'accord des Evang., liv. 2, chap. 32.) Saint Luc rapporte ces mêmes paroles, en les donnant comme la suite d'un discours du Seigneur. Cet Évangéliste paraît avoir suivi dans sa narration l'ordre dans lequel ces paroles ont été dites, tandis que saint Matthieu ne suit d'autre ordre que celui de ses souvenirs. Ou bien, la manière dont saint Matthieu s'exprime : " Alors il commença à faire des reproches, " etc., devrait être entendue en ce sens que le mot " alors " indiquerait le moment précis du temps où ces paroles ont été prononcées, et non l'espace de temps plus long dans lequel on pourrait placer un grand nombre d'autres actions, ou d'autres discours du Sauveur. En admettant cette opinion, il faut admettre que ces paroles ont été dites deux fois ; car, puisque dans un seul et même Évangile on trouve répétées comme dites dans deux circonstances différentes les mêmes paroles du Seigneur, par exemple, la recommandation qu'il fait de ne pas porter de sac en voyage (Lc 9 et 10), qu'y a-t-il d'étonnant que des paroles dites deux fois par le Sauveur soient rapportées par deux Évangélistes dans l'ordre où elles ont été prononcées ? Et la raison pour laquelle cet ordre est différent, c'est justement parce que chacun d'eux rattache ces paroles au temps où elles ont été dites.
vv. 25-26.
LA GLOSE. Le Seigneur savait qu'un grand nombre douteraient de la vérité
qu'il venait de leur révéler, c'est-à-dire que les Juifs
ont rejeté le Christ, tandis que les Gentils l'ont retenu avec empressement
; il répond donc à ces doutes intérieurs : " Et Jésus,
répondant, dit ces paroles : Je vous rends gloire, mon Père, "
etc. C'est-à-dire vous qui faites les cieux, et qui laissez dans l'attachement
aux choses de la terre ceux que vous voulez. Ou bien dans le sens littéral
: - S. AUG. (serm. 9 sur les paroles du Seig.) Puisque Jésus-Christ dit
: " Je vous confesse, " lui si éloigné de tout péché,
la confession n'est donc pas toujours l'aveu des péchés, mais
quelquefois aussi l'expression de la louange. Nous confessons donc soit en louant
Dieu, soit en nous accusant nous-mêmes ; et ces mots : Je vous confesse,
signifient non pas : je m'accuse, mais : je vous loue, je vous rends gloire.
S. JER.
Que ceux qui osent calomnier le Sauveur en niant sa naissance éternelle
et en soutenant qu'il a été créé dans le temps,
entendent et méditent ces paroles. Ils appuient leur opinion sur ce qu'il
appelle ici son Père le Seigneur du ciel et de la terre. Mais s'il n'est
qu'une simple créature, et qu'une créature puisse donner le nom
de Père à son Créateur, il a fait une chose déraisonnable
en ne l'appelant pas son Maître ou son Père comme il l'appelle
le Maître et le Père du ciel et de la terre. Or il rend grâces
à Dieu de ce qu'il révèle le mystère de son avènement
aux Apôtres, mystère qu'il a laissé ignorer aux scribes
et aux pharisiens qui étaient sages et prudents à leurs propres
yeux. C'est le sens de ces paroles : " De ce que vous avez caché
aux sages, " etc. - S. AUG. (serm. 9 sur les paroles du Seig.) Sous le
nom de ces sages et de ces prudents on peut entendre les orgueilleux, comme
Notre-Seigneur l'explique lui-même, en ajoutant : " Et que vous les
avez révélés aux petits. " En effet, que veut dire
" aux petits, " si ce n'est aux humbles ? - S. GREG. (Moral. 27, 7.)
Il n'ajoute pas : vous les avez révélés aux insensés,
mais aux petits, pour nous montrer qu'il ne condamne pas la pénétration,
mais seulement l'enflure de l'esprit. S. CHRYS. (hom. 39.) Ou bien encore, en
nommant ici des sages, il n'a point voulu parler de la véritable sagesse,
mais de celle que les scribes et les pharisiens ne tenaient que de leur éloquence
; c'est pour cela qu'il ne dit pas : " Vous les avez révélés
aux insensés, " mais : " aux petits, " c'est-à-dire
aux gens sans instruction et sans éducation. C'est ainsi qu'il nous apprend
à fuir en tout l'orgueil, et à rechercher la pratique de l'humilité.
- S. HIL. (can. 11.) Les secrets et la vertu des paroles célestes demeurent
cachés pour les sages, c'est-à-dire pour ceux qui sont pleins
d'une folle présomption, et dont la sagesse n'est pas le fruit de la
prudence ; et ces mêmes secrets sont révélés aux
petits, c'est-à-dire à ceux qui sont petits en malice, et non
en intelligence. - S. CHRYS. (hom. 39.) Que ces mystères aient été
révélés aux uns, c'est un légitime sujet de joie,
mais qu'ils restent cachés pour les autres, c'est un trop juste sujet
de larmes. Aussi la joie du Sauveur vient-elle exclusivement de ce que les petits
ont connu ce que les sages ont ignoré.
S. HIL. (can. 11.) Il confirme l'équité de cette conduite par
le jugement de la volonté de son Père ; suivant ce jugement, ceux
qui refusent d'être petits devant Dieu deviennent insensés dans
leur propre sagesse ; c'est pour cela qu'il ajoute : " Oui, je vous bénis,
ô mon Père, parce qu'il vous a plu ainsi. " - S. GREG. (Moral.,
liv. 25, chap. 13.) Ces paroles renferment pour nous une leçon d'humilité,
et nous apprennent à ne pas discuter témérairement les
jugements de Dieu sur la vocation des uns, et sur la réprobation des
autres, en nous montrant qu'il ne peut y avoir d'injustice dans ce qui a plu
à celui qui est souverainement juste. - S. JER. Notre-Seigneur tient
encore ce langage affectueux à son Père, pour l'engager à
consommer l'oeuvre qu'il a commencée dans ses Apôtres. - S. CHRYS.
(hom. 39.) Ces paroles de Jésus-Christ à ses Apôtres leur
inspirèrent une plus grande vigilance ; le pouvoir qu'ils avaient reçu
de chasser les démons était de nature à leur donner une
haute idée d'eux-mêmes, il réprime donc cette idée
en leur apprenant que les faveurs qui leur ont été accordées
ne sont pas le fruit de leurs efforts, mais l'effet d'une révélation
divine. Aussi les scribes et les pharisiens, infatués de leur sagesse
et de leur prudence, sont-ils tombés victimes de leur orgueil. Si donc
ils ont mérité pour cela que les mystères de Dieu demeurent
cachés pour eux, craignez vous aussi, et appliquez-vous à rester
petits, car c'est ce qui vous a donné droit à la révélation
de ces mystères. Ces paroles : " Vous avez caché ces choses
aux sages, " doivent être entendues dans le sens de ces autres de
saint Paul : " Dieu les a livrés au sens réprouvé.
" L'intention de l'Apôtre n'est pas d'attribuer à Dieu immédiatement
cet effet, mais à ceux qui en ont posé la cause. C'est dans le
même sens qu'il faut entendre ces paroles du Sauveur " Vous avez
caché ces choses aux sages et aux prudents. " Et pourquoi ces vérités
sont-elles demeurées cachées pour eux ? Écoutez saint Paul
qui vous répond : " Parce que, s'efforçant d'établir
leur propre justice, ils ne se sont pas soumis à la justice de Dieu.
"
v. 27.
S. CHRYS. (hom. 39.) Ce que le Sauveur vient de dire : " Je vous rends
gloire, mon Père, de ce que vous avez caché ces choses aux sages,
" pouvait laisser penser qu'il rendait grâces à son Père,
comme s'il était lui-même privé de cette puissance ; il
ajoute donc pour prévenir cette idée : " Mon Père
m'a mis toutes choses entre les mains. " Que ces paroles : " Toutes
choses m'ont été données par mon Père, " ne
vous fassent soupçonner rien de naturel et d'humain ; Notre-Seigneur
ne s'en est servi que pour détruire la pensée qu'il existe deux
dieux non engendrés ; car c'est en même temps qu'il a été
engendré qu'il est devenu le Maître de toutes choses. - S. JER.
Si nous entendions ces paroles d'après nos faibles idées, il faudrait
admettre que celui qui donne cesse d'avoir au moment où celui qui reçoit
commence à posséder. Ou bien par les choses qui lui sont remises
entre les mains, il faut entendre non pas le ciel, la terre, les éléments,
et toutes les autres choses qu'il a faites et créées, mais ceux
qui, par le Fils ont accès auprès du Père. - S. HIL. (can.
11.) Ou bien encore, il s'exprime de la sorte, pour prévenir toute pensée
qu'il soit en rien inférieur à son Père. - S. AUG. (cont.
Maximin.) S'il était en quelque chose moins puissant que son Père,
il n'aurait pas à lui tout ce qu'à son Père ; mais le Père,
en engendrant son Fils, lui a donné la puissance, comme aussi par le
même acte il a donné tout ce qui fait partie de sa substance à
celui qu'il a engendré de sa propre substance.
S. HIL. (can. 11.) Ensuite, dans cette mutuelle connaissance du Père
et du Fils, il nous donne à comprendre qu'il n'y a pas autre chose dans
le Fils que dans le Père qui soit resté inconnu. " Et personne
ne connaît le Fils si ce n'est le Père, comme nul ne connaît
le Père si ce n'est le Fils. " - S. CHRYS. (hom. 39.) En disant
que seul il connaît le Père, il nous démontre indirectement
qu'il lui est consubstantiel, comme s'il disait : " Qu'y a-t-il d'étonnant
que je sois le Maître de toutes choses, alors que j'ai en moi quelque
chose de plus grand encore, c'est-à-dire que je connais mon Père,
et que j'ai avec lui une seule et même substance ? - S. HIL. Il nous enseigne
que l'identité de nature, dans l'un et dans l'autre, est renfermée
dans cette mutuelle connaissance de l'un et de l'autre, de manière que
celui qui connaît le Fils connaîtra le Père dans le Fils
; car toutes choses lui ont été données par le Père.
- S. CHRYS. (sur S. Matth.) Ces paroles : " Personne ne connaît le
Père si ce n'est le Fils, " signifient non pas que tous ignorent
le Père absolument, mais que personne ne le connaît de la même
manière qu'il le connaît lui-même, ce que l'on doit dire
du Fils également ; car il n'est pas question ici d'un Dieu inconnu,
comme le prétend Marcion.
S. AUG. (de la Trinité, liv. 1, chap. 8.) Enfin, comme la nature divine
est inséparable, il suffit quelquefois de nommer le Père seul,
ou le Fils seul, sans qu'on sépare pour cela l'Esprit de l'un et de l'autre,
Esprit qu'on appelle proprement Esprit de vérité (Jn 14, 17 ;
15, 26 ; 16, 13). - S. JER. Que l'hérétique Eunomius rougisse
donc de son orgueilleuse prétention, qu'il a lui-même du Père
et du Fils une connaissance aussi étendue que le Père et le Fils
l'ont eux-mêmes l'un de l'autre ; qu'il cherche à soutenir et à
consoler sa folle prétention, en s'appuyant sur les paroles suivantes
: " Et celui à qui le Fils aura voulu le révéler,
" toujours est-il vrai qu'autre chose est de connaître par égalité
de nature, autre chose de ne connaître que par la grâce d'une révélation.
- S. AUG. (de la Trinité, liv. 7, chap. 3.) Or, le Père se révèle
par son Fils, c'est-à-dire par son Verbe ; car si ce verbe que nous proférons,
tout passager et transitoire qu'il est, se révèle lui-même
et révèle notre propre pensée, à combien plus forte
raison le Verbe de Dieu par qui toutes choses ont été faites !
Il fait donc connaître le Père tel qu'il est, parce qu'il est lui-même
ce qu'est le Père. - S. AUG. (Quest. évang., liv. 2, chap. 1)
En prononçant ces paroles : " Personne ne connaît le Fils,
si ce n'est le Père, " il n'a pas dit : Et celui à qui le
Père aura voulu le révéler ; mais après avoir dit
: " Personne ne connaît le Père, si ce n'est le Fils, "
il ajoute : " Et celui à qui le Fils aura voulu le révéler
; " paroles qu'il ne faut pas entendre dans le sens que le Fils ne puisse
être connu autrement que par le Père. Quant au Père, il
peut être connu non-seulement par le Fils, mais encore par ceux à
qui le Fils l'aura révélé. S'il a choisi de préférence
cette manière de s'exprimer, c'est pour nous faire comprendre que le
Père et le Fils nous sont connus par la révélation du Fils,
parce qu'il est lui-même la lumière de notre intelligence. Les
paroles suivantes : Et celui à qui le Fils aura voulu le révéler,
doivent s'entendre non-seulement du Père, mais encore du Fils ; car elles
se rapportent à tout ce qui précède. C'est par son Verbe,
en effet, que le Père se fait connaître ; mais le Verbe ne révèle
pas seulement ce qu'il est chargé de faire connaître, il se révèle
encore lui-même. - S. CHRYS. (hom. 39.) Si donc il fait connaître
le Père, il se fait connaître en même temps lui-même,
mais il passe sous silence comme assez claire cette dernière vérité,
et il s'attache à la première sur laquelle il pouvait y avoir
des doutes. Il nous enseigne en même temps qu'il est tellement d'accord
avec son Père, qu'il n'est pas possible d'arriver au Père si ce
n'est par le Fils ; car ce qui scandalisait surtout les Juifs, c'est qu'il leur
paraissait en opposition avec Dieu, et il s'applique de toute manière
à détruire cette erreur.
vv. 28-30.
S. CHRYS. (hom. 39.) Le discours qui précède, et qui est plein
de l'ineffable puissance du Sauveur, avait excité dans le cur de
ses disciples un vif désir de s'unir à lui ; il les appelle maintenant
lui-même en leur disant : " Venez à moi, vous tous qui êtes
fatigués et qui êtes chargés. " - S. AUG. (serm. 10
sur les paroles du Seig.) Pourquoi tous, tant que nous sommes, nous fatiguons-nous
? C'est parce que nous sommes des hommes mortels, portant des vases de boue
(2 Co 4, 7), cause pour nous de mille anxiétés. Mais si ces vases
de chair nous tiennent à l'étroit, dilatons du moins en nous les
espaces de la charité. Car pourquoi vous dit-il : " Venez à
moi, vous tous qui êtes fatigués, " si ce n'est pour que vous
cessiez de l'être. - S. HIL. (can. 11.) Il appelle aussi à lui
ceux qui souffraient des difficultés de la loi, et qui étaient
accablés sous les lourds fardeaux du péché. - S. JER. Que
le péché soit un fardeau accablant, le prophète Zacharie
l'atteste lorsqu'il nous représente l'iniquité assise sur une
masse de plomb (Za 5) ; et le Psalmiste le confirme par son exemple (Ps 27),
quand il dit : " Mes iniquités se sont appesanties sur moi. "
S. GREG.
(Moral. 30, 12.) C'est un joug bien rude, c'est un bien dur esclavage que de
se soumettre volontairement aux choses du temps, de rechercher avec empressement
les biens de la terre, de s'efforcer de retenir ce qui nous échappe,
de vouloir se fixer sur un terrain sans consistance, de désirer les choses
passagères, et de ne pas vouloir passer avec elles. Car, tandis qu'elles
fuient toutes contre notre volonté, nous sommes profondément affectés
et accablés de leur perte, après avoir été tourmentés
du désir de les posséder.
S. CHRYS. (hom. 39.) Il ne dit pas : Que celui-ci ou celui-là vienne
à moi, mais : Venez, vous tous qui vivez dans l'anxiété,
dans la tristesse, dans le péché ; venez, non pour recevoir le
châtiment de vos péchés, mais pour en être délivrés
; venez, non pas que j'ai besoin de la gloire que vous pouvez me procurer, mais
parce que je veux votre salut ; c'est pour cela qu'il ajoute : " Et je
vous rétablirai. " Il ne dit pas simplement : Je vous sauverai,
mais ce qui est beaucoup plus je vous rétablirai, c'est-à-dire
je vous ferai jouir d'un repos complet. - RAB. Non-seulement je vous déchargerai,
mais je vous rassasierai de mes consolations intérieures. - REMI. "
Venez, " nous dit-il, non en dirigeant vos pas vers moi, mais toute votre
vie, par le mouvement de la foi et non par celui du corps ; car l'accès
que Dieu nous donne près de lui est tout spirituel. Il ajoute : "
Prenez mon joug sur vous. " - RAB. Le joug du Christ, c'est son Évangile
qui unit et associe les Juifs et les Gentils. Il nous ordonne de prendre ce
joug sur nous, c'est-à-dire de le traiter avec honneur, de peur qu'en
le mettant au-dessous de nous, c'est-à-dire en n'ayant que du mépris
pour lui, nous ne venions à le fouler sous les pieds fangeux des vices
; c'est pour cela qu'il ajoute : " Apprenez de moi. " S. AUG. (serm.
10 sur les paroles da Seig.) Apprenez de moi, non pas à créer
l'univers, à faire des miracles dans ce monde, mais apprenez que je suis
doux et humble de cur. Voulez-vous devenir grand ? commencez par les plus
petites choses. Vous proposez-vous de construire un édifice d'une hauteur
prodigieuse ? occupez-vous tout d'abord d'asseoir les fondements à une
grande profondeur ; plus l'édifice doit être élevé,
plus les fondements que l'on creuse doivent être profonds. Or, jusqu'où
doit s'élever le sommet de l'édifice que nous voulons construire
? Jusque sous les regards de Dieu.
RAB. Il nous faut donc apprendre de notre Sauveur à avoir des moeurs douces et des sentiments humbles, à ne blesser personne, à ne mépriser personne et à posséder dans le fond de notre cur les vertus dont nous pratiquons les oeuvres au dehors. - S. CHRYS. (hom. 39.) C'est pour cela que Notre-Seigneur a commencé l'exposition de ses lois divines par l'humilité, et qu'il lui promet une magnifique récompense en ajoutant : " Et vous trouverez le repos de vos âmes. " C'est là, en effet, la plus grande récompense ; car c'est ainsi que non-seulement vous deviendrez utiles aux autres, mais que vous vous procurerez à vous-mêmes le repos intérieur. Il vous donne dès maintenant cette récompense, en attendant le repos éternel qu'il vous réserve dans l'avenir. - S. CHRYS. (hom. 39.) Pour bannir tout sentiment de crainte que pourrait inspirer l'idée seule de joug et de fardeau, il s'empresse d'ajouter : " Mon joug est doux, et mon fardeau léger. " - S. HIL. (can. 11.) Il nous propose l'image souriante d'un joug suave et d'un fardeau léger, pour donner à ceux qui croiront en lui comme un pressentiment du bonheur que lui seul a vu dans le sein de son Père. - S. GREG. (Moral. 4.) Quel fardeau si lourd impose-t-il donc à nos âmes en nous commandant de fuir tout désir qui porte le trouble dans notre cur, et en nous avertissant d'éviter les sentiers si difficiles de ce monde ? - S. HIL. Qu'y a-t-il, au contraire, de plus doux que ce joug, de plus léger que ce fardeau : s'abstenir de tout crime, vouloir le bien, repousser le mal, aimer tous les hommes, n'avoir de haine pour personne, chercher à mériter les biens éternels, ne pas se laisser séduire par les choses présentes, et ne jamais faire à un autre ce qu'on ne voudrait pas souffrir soi-même ?
RAB. Mais comment le joug du Christ peut-il être plein de douceur, alors que lui-même nous dit plus haut (Mt 7) : " La voie qui conduit à la vie est étroite ? " C'est que ce sentier étroit dans le commencement, s'élargit avec le temps par les ineffables délices de la charité. - S. AUG. (serm. sur les paroles du Seig.) Disons encore que ceux qui ont pris sur eux avec courage le joug du Seigneur, ont à courir des dangers si considérables, qu'on peut dire avec vérité qu'ils ne passent jamais du travail au repos, mais toujours du repos au travail, ainsi que l'Apôtre le dit de lui-même. (2 Co 6.) Cependant l'Esprit saint était avec lui pour renouveler de jour en jour l'homme intérieur, au milieu des ruines toujours croissantes de l'homme extérieur, et grâce au repos spirituel qu'il fait goûter à l'âme, à l'abondance des délices toutes divines qu'il répand dans les curs, à l'espérance du bonheur éternel qu'il nous donne, il adoucissait pour lui toutes les rigueurs, et allégeait tous les fardeaux accablants de la vie présente. Les hommes consentent à être déchirés ou brûlés pour racheter, au prix de douleurs aiguës, non-seulement les douleurs éternelles, mais les souffrances prolongées de cette vie. Quelles tempêtes, quelles tourmentes n'ont pas affrontées les marchands pour acquérir des richesses grosses elles-mêmes d'orages ? D'ailleurs ceux qui ne les aiment pas ont à supporter les mêmes peines, et ceux qui les aiment, tout en les supportant, ne s'en trouvent pas accablés. Il en est ainsi de toutes les autres épreuves ; car l'amour rend facile et réduit presque à rien ce qu'il y a de plus terrible et de plus affreux. Combien plus sera-t-il donc vrai de dire que la charité rend facile le chemin qui conduit au vrai bonheur, lorsque la cupidité rend facile autant qu'elle le peut celui qui n'aboutit qu'à la misère ? - S. JER. Comment peut-on dire que l'Évangile est un joug plus léger que la loi, alors qu'il punit la colère et la simple convoitise, tandis que la loi n'atteint que l'homicide et l'adultère ? C'est que la loi renferme un grand nombre de préceptes dont l'Apôtre déclare ouvertement l'accomplissement impossible. La loi exige les oeuvres ; l'Evangile demande surtout la volonté, et, n'eût-elle pas son effet, elle ne perd pas sa récompense. L'Evangile nous commande ce qui nous est possible, c'est-à-dire de ne pas nourrir de mauvais désirs, ce qui dépend de notre volonté ; la loi, qui n'atteint pas la volonté, punit seulement le fait pour vous détourner de l'adultère. Supposez qu'une vierge soit outragée dans une persécution, l'Évangile la recevra comme vierge, parce que sa volonté n'a pas consenti au péché, tandis que la loi la rejettera comme ayant perdu son honneur.