ÉVANGILE DE SAINT MATHIEU PAR SAINT THOMAS D'AQUIN
CATANA AUREA DE SAINT THOMAS D'AQUIN SUR SAINT MATTHIEU
CHAPITRE V
vv. 1-3.
S. CHRYS. (sur S. Matth.) Tout artisan, quelle que soit sa profession, voit
avec joie ce qui lui donne l'occasion d'exercer son art. Ainsi le charpentier,
à la vue d'un arbre de bonne qualité, désire 1e couper
pour l'employer à ses travaux ; de même le prêtre, en voyant
une assemblée nombreuse, se réjouit dans son âme, et il
est heureux de pouvoir lui enseigner des vérités utiles. C'est
ainsi que le spectacle de cette grande multitude de peuple donna lieu au Seigneur
de lui adresser ses divins enseignements : " Jésus voyant cette
foule, monta sur la montagne. " - S. AUG. (de l'acc. des Ev., 1, 19.) On
peut dire aussi qu'il voulut éviter cette grande multitude et qu'il se
retira sur cette montagne pour s'entretenir avec ses seuls disciples. - S. CHRYS.
(hom. 5 sur S. Matth.) Il s'asseoit non au milieu des villes et des places publiques,
mais sur une montagne et dans la solitude, et il nous apprend ainsi à
ne rien faire par ostentation et à fuir les réunions tumultueuses,
surtout lorsque nous devons traiter de choses d'une haute importance. - REMI.
Nous voyons dans l'Évangile que Notre-Seigneur avait trois lieux particuliers
de retraite, la barque, la montagne et le désert, et qu'il se retirait
dans l'une ou l'autre de ces retraites, lorsqu'il était accablé
par la foule.
S. JER. Quelques-uns de nos frères croient dans leur simplicité
que Notre-Seigneur a tenu ce discours sur la montagne des Oliviers, ce qui ne
peut être, car ce qui précède et ce qui suit nous montre
clairement que cette montagne est située dans la Galilée, et nous
pensons que c'est le mont Thabor, ou quelque autre montagne élevée.
S. CHRYS. (sur S. Matth.) Il monte sur cette montagne, d'abord pour accomplir
cette prophétie d'Isaïe : " Montez sur le sommet de la montagne
; " ensuite pour nous apprendre qu'il faut habiter le sommet des vertus
spirituelles pour être digne d'enseigner ou d'écouter les oracles
de la justice de Dieu, car si l'on reste habituellement dans la vallée,
on ne peut parler du haut de la montagne ; si vous restez sur la terre, parlez
des choses de la terre ; si vous voulez parler du ciel, élevez-vous jusqu'au
ciel. Ou bien il monte sur la montagne pour nous avertir que tout homme qui
veut pénétrer les mystères de la vérité,
doit monter sur cette montagne de l'Église dont le prophète a
dit : " La montagne de Dieu est une montagne fertile " (Ps 67, 16).
S. HIL. (can. 4 sur S. Matth.) Ou bien encore, il monte sur la montagne, parce
que c'est des hauteurs de la majesté qu'il occupe avec son Père
qu'il nous impose les célestes enseignements de la vie chrétienne.
S. AUG. (serm. 7 sur la mont. liv. 1, chap. 1.) Ou bien enfin il monte sur la
montagne, pour nous faire comprendre que les commandements que Dieu avait donnés
par les prophètes au peuple juif, peuple qu'il fallait retenir par la
crainte, étaient moins parfaits que les lois qu'il allait donner par
son Fils à un peuple qu'il voulait affranchir par l'amour.
" Et lorsqu'il fut assis, ses disciples s'approchèrent de lui. " S. JER. Il parle assis et non debout, parce qu'ils étaient incapables de le comprendre clans l'éclat de sa majesté. - S. AUG. (serm. sur la mont.) (ou bien, il parle étant assis, parce que sa dignité de docteur et de maître l'exigeait. Ses disciples s'approchèrent de lui ; c'est ainsi que ceux dont le cur était plus près de l'accomplissement de ses préceptes, se trouvaient aussi plus rapprochés corporellement de sa personne. - RAB. Dans le sens mystique, le Seigneur assis est la figure de son incarnation, car s'il ne s'était pas incarné, le genre humain n'aurait pu approcher de lui. - S. AUG. (de l'acc. des Evang., 1, 19.) Il paraît surprenant que saint Matthieu prête ce discours au Sauveur assis sur la montagne, tandis que saint Luc (Lc 7, 17) le lui fait tenir lorsqu'il était debout dans la plaine. Cette diversité dans leur récit est une preuve qu'il s'agit de deux discours différents ; car qui s'oppose à ce que Notre-Seigneur ait répété ici ce qu'il avait dit précédemment et qu'il fasse de nouveau des actions qu'il avait déjà faites auparavant ? On peut dire encore que le Sauveur était sur le point le plus élevé de la montagne avec ses seuls disciples, quand il choisit parmi eux ses douze apôtres. Il descendit ensuite avec eux non de la montagne, mais de cette hauteur dans une espèce de plaine, c'est-à-dire sur un plateau situé sur le flanc de la montagne, et qui pouvait contenir un grand nombre de personnes ; il attendit dans ce lieu que la multitude se fût rassemblée autour de lui ; puis s'étant assis, ses disciples se rapprochèrent et, là devant eux et en présence du peuple il aurait fait ce discours que saint Matthieu et saint Luc racontent d'une manière différente, mais dont la substance est absolument la même.
S. GREG.
(Moral., 4, 5.) Avant que le Sauveur formule sur la montagne ces sublimes et
admirables préceptes, l'Évangéliste les fait précéder
de ces paroles : " Ouvrant sa bouche, il les enseignait. " Lui qui
avait autrefois ouvert la bouche des prophètes. - REMI. Toutes les fois
qu'il est dit que le Seigneur ouvrit la bouche, il faut nous rendre attentifs,
car ce préambule annonce de grandes choses. S. AUG. (serm. sur la mont.)
Ou bien peut-être ces mots : " ouvrant la bouche, " nous avertissent
que le discours qui va suivre sera plus long que d'habitude. - S. CHRYS. (hom.
15) Ou enfin ces paroles nous apprennent que le Seigneur enseignait tantôt
en ouvrant la bouche, tantôt en faisant entendre la voix non moins instructive
de ses uvres.
S. AUG. (serm. sur la mont.) Si on veut étudier ce discours dans un esprit
de religion et de prudence, on y trouvera la règle parfaite de la vie
chrétienne pour la direction des murs. Aussi Notre-Seigneur le
conclut en disant : " Tout homme qui écoute les paroles que je viens
de dire et les met en pratique sera comparé à un homme sage. "
S. AUG. (Cité de Dieu, 19, 1.) La philosophie ne peut avoir d'autre raison
d'être que la fin du bien lui-même. Or la fin du bien, c'est de
nous rendre heureux, et c'est pour cela que Jésus-Christ commence son
discours par la promesse de la béatitude : " Bienheureux les pauvres
d'esprit. " - S. AUG. (serm. sur la mont., 1, 2.) La présomption
d'esprit est un signe d'orgueil et d'arrogance. Or, on dit souvent des orgueilleux
qu'ils ont un esprit étendu ; c'est avec raison, Car esprit est synonyme
de vent, et qui ne sait qu'on dit aussi des orgueilleux qu'ils sont enflés,
comme s'ils étaient gonflés par le vent. C'est pour cela qu'il
faut entendre ici par pauvres d'esprit, les humbles qui craignent Dieu et qui
n'ont pas cet esprit qui enfle. - S. CHRYS. (homél. 15.) Ou bien le mot
esprit signifie ici orgueil et volonté. Que des hommes soient humiliés
malgré eux et par la force des circonstances, il n'y a ni mérite
ni gloire ; aussi Notre-Seigneur ne proclame bienheureux que ceux qui s'humilient
par le choix de leur volonté. Il veut ici couper et arracher jusqu'aux
dernières racines de l'orgueil, comme étant lui-même la
racine et la source de tous les maux. Il lui oppose l'humilité comme
un fondement inébranlable sur lequel on lient bâtir avec solidité,
tandis que si elle vient à crouler, tous les biens que vous aurez amassés
tombent avec elle. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Notre-Seigneur dit ouvertement
: " Bienheureux les pauvres d'esprit, et il désigne par là
les âmes humbles qui demandent toujours à Dieu l'aumône de
sa grâce. Aussi on lit dans le grec : " Bienheureux les mendiants
ou les nécessiteux. " Il en est plusieurs, en effet, qui sont naturellement
humbles, mais qui ne le sont point par un principe de foi, parce qu'ils n'implorent
pas le secours de Dieu. Le Sauveur ne veut parler ici que de ceux qui sont humbles
en vertu de la foi. - S. CHRYS. (homél. 15.) Peut-être ici par
les pauvres d'esprit, Notre-Seigneur entend-il ceux qui sont saisis de crainte
et qui tremblent en présence des commandements de Dieu, comme Dieu le
recommande par le prophète Isaïe. Mais qu'ont-ils de plus que ceux
qui sont simplement humbles ? Ils possèdent la vertu d'humilité
à un plus haut degré. - S. AUG. Que les orgueilleux désirent
les royaumes de la terre, le royaume des cieux est pour les humbles. - S. CHRYS.
(Sur S. Matth.) De même, en effet, que tous les vices conduisent à
l'enfer, mais principalement l'orgueil, aussi toutes les vertus nous conduisent
aux cieux, mais surtout l'humilité, car c'est une des récompenses
propres à l'humilité que celui qui s'humilie soit élevé.
- S. JER. Ou bien encore les pauvres d'esprit sont ceux qui par l'inspiration
de l'Esprit saint embrassent la pauvreté volontaire. - S. AMB. (des Offices,
liv. 1, chap. 16.) Au jugement de Dieu, le bonheur commence là où
au jugement des hommes on ne trouve que misère et affliction. - LA GLOSE.
C'est avec justice que les richesses du ciel sont ici promises à ceux
qui sont pauvres dans la vie présente.
v. 4.
S. AMB. (sur S. Luc, liv. 9, Tit. des béatit.) Lorsque je serai parvenu
à me contenter de la médiocrité, à être exempt
de toutes sortes de maux, j'aurai encore à établir la règle
dans mes murs. Que me servirait-il de renoncer aux biens de la terre,
si je ne pratique pas la douceur ? Aussi le Sauveur ajoute-t-il : " Bienheureux
ceux qui sont doux. " - S. AUG. (Serm. sur la mont., liv 1, chap. 3.) Les
hommes doux sont ceux qui cèdent devant les injustes dont ils sont victimes,
qui ne font pas de résistance au mal, mais triomphent du mal par le bien.
- S. AMB. (sur S. Luc, liv. 4.) Modérez donc les mouvements de votre
âme, pour ne pas vous mettre en colère, ou du moins pour ne pas
vous livrer à une colère coupable. Il est beau de soumettre à
la raison les saillies du cur, et il ne faut pas moins de vertu pour contenir
la colère qui est souvent l'indice d'une âme énergique,
que pour ne pas la ressentir du tout, ce qui ordinairement est le propre d'un
caractère sans vigueur.
S. AUG. (serm. sur la mont.) Que ceux qui ne connaissent pas la douceur, se
querellent et soient en contestation pour les choses de la terre et du temps,
mais " bienheureux ceux qui sont doux, parce qu'ils posséderont
la terre, " d'où on ne pourra les arracher, cette terre dont il
est dît au psaume 141 : " Mon partage est dans la terre des vivants,
c'est-à-dire dans un héritage permanent, éternel, où
l'âme se repose par une sainte affection, comme dans le lieu qui lui est
propre, de même que le corps se repose dans la terre, et où elle
s'y nourrit de son aliment comme le corps se nourrit de la terre ; cet héritage
est le repos et la vie des saints. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Ou bien cette
terre, suivant l'opinion de quelques-uns est la terre des morts tant qu'elle
reste dans l'état actuel, parce qu'elle est assujettie à la vanité,
mais lorsqu'elle sera délivrée de la corruption, elle deviendra
la terre des vivants et les mortels la recevront comme un héritage libre
des atteintes de la mort. J'ai lu une autre explication, d'après laquelle
le ciel que doivent habiter les saints est appelé terre des vivants,
en ce sens que c'est le ciel par rapport à la région inférieure,
et la terre comparativement au ciel supérieur. D'autres prétendent
que cette terre c'est notre corps ; tant qu'il est soumis à la mort,
c'est la terre des morts, mais il sera la terre des vivants, lorsqu'il deviendra
semblable au corps glorieux de Jésus-Christ.
S. HIL. (Can. 4 sur S. Matth.) Ou bien Notre-Seigneur promet à ceux qui
sont doux l'héritage de la terre, c'est-à-dire l'héritage
de ce corps qu'il a choisi lui-même pour y habiter ; et puisque c'est
à cause de la douceur de notre âme que le Christ habite en nous,
il nous revêtira aussi de cet éclat dont son corps glorieux sera
environné (Ph 3, 21).
S. CHRYS. (hom. 15.) Ou bien encore, le Christ mêle ici les promesses
temporelles aux promesses spirituelles. Celui qui fait profession de douceur
passe aux yeux du monde pour perdre tout ce qu'il possède. Jésus-Christ
lui promet donc ici le contraire en l'assurant que celui qui est doux possède
en sûreté ce qui lui appartient, tandis que celui qui est arrogant
perd bien souvent et son âme et l'héritage de ses pères.
Or, le Sauveur emprunte ici pour les mêler à son discours ces paroles
du Roi prophète : " Ceux qui sont doux auront la terre en héritage.
"
LA GLOSE. Les hommes doux qui ont su se posséder eux-mêmes, posséderont
plus tard l'héritage du Père céleste. Or, c'est une plus
grande récompense de posséder cette terre que d'avoir simplement
le royaume des cieux, car que de choses nous perdons dès que nous les
avons.
v. 5.
S. AMB. (sur S. Luc.) Lorsque vous aurez acquis la pauvreté d'esprit
et la douceur, souvenez-vous que vous êtes pécheurs, et pleurez
vos péchés ; c'est la troisième des béatitudes :
" Bienheureux ceux qui pleurent. " Il est juste, en effet, que la
troisième bénédiction soit pour celui qui pleure ses péchés,
puisque c'est la Trinité qui les pardonne. - S. HIL. (Can. 4 sur S. Matth.)
Ceux dont il est ici question ne sont pas ceux qui pleurent les pertes, les
injures ou les dommages qu'ils ont soufferts, mais ceux qui pleurent leurs péchés
passés. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Ceux qui pleurent leurs propres péchés
sont heureux, mais d'un bonheur limité ; beaucoup plus heureux sont ceux
qui pleurent les péchés des autres, et tels devraient être
tous ceux qui sont les maîtres et les docteurs de leurs frères.
- S. JER. Les morts qu'il faut ici pleurer ne sont pas ceux qui ont payé
le tribut à la commune loi de la nature, mais ceux qui sont comme ensevelis
dans leurs péchés et dans leurs vices. C'est ainsi que Samuel
pleura Saül (1 R 16) et saint Paul ceux qui n'avaient pas fait pénitence
de leurs impuretés (cf. Ep 2, 15 ; Rm 6, 2 ; 1 P 2, 24).
S. CHRYS. (sur S. Matth.) La consolation de ceux qui pleurent, c'est que leurs
larmes cessent de couler, et voilà pourquoi ceux qui pleurent leurs péchés
seront consolés par le pardon que Dieu leur accordera. - S. CHRYS. (homél.
15.) Bien que ce pardon dût leur suffire, Dieu ne borne pas sa récompense
à la rémission des péchés, mais il répand
sur eux l'abondance de ses consolations, ici-bas et dans la vie future, car
les récompenses divines surpassent toujours beaucoup les travaux qui
les ont méritées.
S. CHRYS. (sur S. Matth.) Quant à ceux qui pleurent les péchés
des autres, ils seront aussi consolés ; car lorsqu'ils verront dans l'autre
vie se dérouler devant eux les desseins de la Providence divine, et qu'ils
comprendront que ceux qui ont péri n'appartenaient pas à Dieu,
dont la main ne se laisse jamais ravir ce qu'elle tient, ils cesseront de les
pleurer, et trouveront leur joie dans leur propre bonheur. - S. AUG. (serm.
sur la mont.) Le deuil c'est la tristesse que nous fait éprouver la perte
de ceux qui nous sont chers ; or ceux qui se convertissent à Dieu perdent
ce qui leur était cher dans le monde, leurs joies changent alors de nature
et d'objet ; mais tant que l'amour des choses éternelles ne vit pas dans
leur cur, il est comme blessé par je ne sais quelle tristesse.
Ils seront donc consolés par l'Esprit saint qui s'appelle pour cela Paraclet,
c'est-à-dire consolateur, et qui au moment où ils perdent une
joie passagère, les enrichit d'une joie éternelle, qu'expriment
ces paroles : " Ils seront consolés. "
LA GLOSE. Par ce deuil on peut encore entendre deux sortes de tristesse, ayant
pour cause, l'une les misères de ce monde, l'autre le désir du
ciel : c'est en figure de cette vérité que la fille de Caleb demanda
des champs qui fussent arrosés en haut et en bas (Jos 15, 19 ; Jg 1,
15). Cette tristesse n'est propre qu'à celui qui a l'esprit de pauvreté
et de douceur, et qui n'aimant pas le monde, reconnaît sa misère,
et par cette connaissance s'élève jusqu'au désir du ciel.
C'est avec raison que la consolation est promise à ceux qui pleurent,
et il est juste que la joie de l'autre vie compense la tristesse et les larmes
de la vie présente. Or la récompense de celui qui pleure est plus
grande que celle qui est donnée aux pauvres d'esprit et à ceux
qui sont doux, car il vaut mieux se réjouir dans le royaume que de l'avoir
et de le posséder simplement. Que de choses en effet nous avons et que
nous possédons au milieu de la douleur !
S. CHRYS. (hom. 15.) Remarquez que c'est avec dessein que dans l'énoncé
de cette béatitude, Notre Seigneur ne dit pas : " ceux qui sont
dans la tristesse, " mais plus énergiquement " ceux qui pleurent,
ceux qui sont dans les larmes, " et en cela il nous donne une leçon
de haute sagesse, car si ceux qui pleurent la mort de leurs enfants ou des autres
personnes qui leur sont chères, cessent pendant ce temps de désirer
les richesses ou les honneurs, et sont insensibles aux outrages ou aux atteintes
des passions, à combien plus forte raison doit-on voir ces heureux effets
dans ceux qui pleurent leurs péchés.
v. 6.
S. AMB. (sur S. Luc, liv. 4.) Après que j'ai pleuré mes péchés,
je commence à ressentir la faim et la soif de la justice, car ce n'est
point au milieu d'une maladie grave qu'on éprouve cette faim. Notre-Seigneur
ajoute donc : " Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice. "
- S. JER. Il ne nous suffit pas de vouloir la justice, mais il nous faut souffrir
la faim de la justice, expression figurée qui doit nous faire comprendre
que nous ne serons jamais assez justes, et que nous devons désirer toujours
plus ardemment les uvres de la justice. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Tout
bien que les hommes ne font point par l'amour du bien lui-même n'a point
de valeur aux yeux de Dieu. Or on a faim de la justice lorsqu'on désire
vivre selon les règles de la justice divine ; on a soif de la justice
lorsqu'on désire acquérir la science de Dieu.
S. CHRYS.
(hom. 15.) La justice dont il est ici question est, ou la justice universelle,
ou la justice particulière opposée à l'avarice. Le Sauveur
va parler de la miséricorde, il nous enseigne par avance comment nous
devons l'exercer ; ce ne doit pas être avec les produits de l'avarice
ou du vol. C'est pour cela qu'il donne à la justice les caractères
de l'avarice, la faim et la soif.
S. HIL. (Can. 4 sur S. Matth.) A ceux qui ont faim et soif de la justice, il
promet le bonheur, et nous apprend ainsi que la pieuse avidité des Saints
pour la doctrine divine sera complètement rassasiée dans les cieux
; c'est le sens de ces paroles : " Parce qu'ils seront rassasiés.
" - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Ils seront rassasiés de l'abondance
des libéralités de Dieu, car les récompenses qu'il accorde
aux Saints dépassent de beaucoup leurs désirs. - S. AUG. (serm.
sur la mont.) Ou bien peut-être ils seront rassasiés dans la vie
présente de cette nourriture dont le Seigneur a dit : " Ma nourriture
est de faire la volonté de mon Père, " (qui est la justice),
et de cette eau dont il est dit qu'elle deviendra en celui qui l'aura bue une
source d'eau qui rejaillit jusque dans la vie éternelle.
S. CHRYS. (hom. 15.) Peut-être même s'agit-il ici de récompense
terrestre. Comme on pense communément que c'est l'avarice qui satisfait
abondamment nos désirs, Notre-Seigneur attribue au contraire cet effet
à la justice, car celui qui la désire possède tous les
biens sans crainte de les perdre.
v. 7.
LA GLOSE. La justice et la miséricorde doivent être tellement unies
ensemble, qu'elles se tempèrent mutuellement l'une par l'autre. La justice
sans la miséricorde n'est que cruauté, et la miséricorde
sans justice n'est que faiblesse. C'est pour cela que le Sauveur fait venir
la miséricorde après la justice en disant : " Bienheureux
les miséricordieux. " - REMI. Le mot miséricordieux veut
dire qui a pour ainsi parler le cur des malheureux, parce que l'homme
miséricordieux regarde comme sienne la misère d'autrui, et s'en
afflige comme si elle lui était personnelle. - S. JER. Par miséricorde,
il faut entendre ici celle qui non seulement se répand en aumônes,
mais qui s'étend aux fautes de nos frères, et nous fait porter
mutuellement les fardeaux les uns des autres. - S. AUG. (serm. sur la mont.
liv. 1, chap. 2.) Il proclame heureux ceux qui viennent au secours de l'infortune,
et qui reçoivent en récompense la délivrance de leurs propres
maux, comme il le déclare lui-même : " Parce qu'ils obtiendront
eux-mêmes miséricorde. " - S. HIL. (can. 4.) Dieu se plaît
tellement à voir en nous ce sentiment de bienveillance pour tous nos
frères, qu'il ne promet sa miséricorde qu'à ceux-là
seuls qui sont miséricordieux.
S. CHRYS. (hom. 15.) La récompense paraît ici être simplement
égale au mérite, mais elle lui est bien supérieure, car
il n'y a point de comparaison entre la miséricorde des hommes et la miséricorde
de Dieu. - LA GLOSE. C'est donc avec raison que Dieu fait miséricorde
aux miséricordieux, et bien au-dessus de leurs mérites. Aussi
de même que celui dont les désirs sont comblés et au delà,
reçoit beaucoup plus que celui qui est simplement rassasié, ainsi
la gloire des miséricordieux l'emporte sur la gloire des béatitudes
précédentes.
v. 8.
S. AMB. (sur S. Luc.) Celui qui fait miséricorde perd ses droits à
la miséricorde divine, s'il n'a point agi avec un cur pur, car
s'il a cherché la vaine gloire dans les uvres de miséricorde,
il ne lui en revient aucun fruit ; aussi Notre-Seigneur ajoute : " Bienheureux
ceux qui ont le cur pur. " - LA GLOSE. La pureté du cur
est placée convenablement en sixième lieu, car c'est le sixième
jour que l'homme a été créé à l'image de
Dieu, image qui avait été obscurcie en lui par le péché,
et qui a été réparée par la grâce dans ceux
qui ont le cur pur. Cette béatitude vient parfaitement après
les cinq premières, car sans les vertus qui précèdent,
Dieu ne peut créer dans l'homme un cur pur. - S. CHRYS. (hom. 45.)
Les curs purs dont parle ici le Sauveur sont ceux qui ont toutes les vertus
et n'ont à se reprocher aucun mal, ou bien ceux dont la tempérance
réprime les désirs sensuels, vertu absolument nécessaire
pour voir Dieu, selon ces paroles de saint Paul (He 12) : " Efforcez-vous
d'avoir la paix avec tout le monde, et de vivre dans la sainteté, sans
laquelle personne ne peut voir Dieu. " Il en est beaucoup, en effet, qui
sont miséricordieux, mais qui se livrent à l'impureté,
et le Sauveur, pour leur montrer que la miséricorde ne suffit pas, exige
de plus cette pureté du cur.
S. JER. Dieu qui est pur, ne peut-être vu que par un cur pur, car
le temple de Dieu doit être sans souillure, c'est pour cela qu'il ajoute
: Parce qu'ils verront Dieu. " - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Celui qui veut
et accomplit toute justice, voit Dieu des yeux de son âme, car la justice
est l'image de Dieu, Dieu étant la justice par essence. Rappelons-nous
donc que celui qui se sépare du mal et fait le bien, en vertu même
de cet effort, voit Dieu plus ou moins, toujours ou par intervalles, autant
qu'il est possible à la nature humaine. Mais dans l'autre vie, ceux qui
ont le cur pur verront Dieu face à face, et non pas comme ici-bas
dans un miroir et sous des images obscures (cf. 1 Co 13, 12). - S. AUG. (serm.
sur la mont.) Il faut être insensé pour chercher à voir
des yeux du corps Dieu qu'on ne peut voir que des yeux du cur, ainsi qu'il
est écrit ailleurs : " Cherchez-le dans la simplicité du
cur, " car le cur simple, c'est le cur pur. - S. AUG.
(Cité de Dieu, liv. dern. chap. 29.) Il est évident que si les
yeux spiritualisés de notre corps n'ont pas plus de vertu que ceux que
nous avons maintenant, ils ne pourront nous servir à voir Dieu.
S. AUG. (Liv. 1 de la Trinité, chap. 8 et 13.) Cette vue de Dieu est
la récompense de la foi, et c'est par la foi que Dieu nous y prépare
en purifiant nos curs ainsi qu'il est écrit : " Purifiant
leurs curs par la foi. " La preuve de cette vérité
se trouve surtout dans cette maxime : " Bienheureux ceux qui ont le cur
pur, parce qu'ils verront Dieu. "
S. AUG. (sur la Genèse expliq. littéral., liv. 12, chap. 25.)
Aucun de ceux qui aspirent à voir Dieu ne doit vivre ici-bas de la vie
périssable des sens ; s'il ne meurt radicalement à cette vie,
soit en quittant tout-à-fait son corps, soit en devenant tellement étranger
aux mouvements de la chair qu'il ne sache plus ainsi que l'apôtre, s'il
est encore ou non avec son corps, il ne pourra jamais s'élever jusqu'à
cette vision.
LA GLOSE. La récompense est ici plus magnifique que dans les béatitudes
précédentes ; c'est celle de l'homme qui non seulement est nourri
dans la maison du roi, mais encore peut jouir de sa présence.
v. 9.
S. AMB. (sur S. Luc, liv. 4). Lorsque vous aurez purifié votre intérieur
de toutes les souillures du péché, commencez par établir
la paix en vous, de sorte qu'il ne s'élève dans votre cur
ni dissensions ni troubles ; vous pourrez ainsi porter la paix plus facilement
aux autres. C'est ce que signifient ces paroles : " Bienheureux les pacifiques.
" - S. AUG. (Cité de Dieu, liv. 19, chap. 13.) La paix est la tranquillité
de l'ordre ; l'ordre est cette disposition qui donne aux choses ou semblables
ou opposées la place qui leur convient. Il n'est personne qui ne désire
le bonheur, personne aussi qui ne désire la paix ; et ceux mêmes
qui veulent la guerre n'ont d'autre but que d'arriver par les armes à
une paix glorieuse. - S. JER. Les pacifiques que le Sauveur proclame heureux
sont ceux qui font régner la paix dans leur cur, avant de la rétablir
entre leurs frères divisés ; car que vous sert de pacifier les
autres si vous souffrez que les vices se livrent mille combats dans votre âme
?
S. AUG. (serm. sur la mont. liv. 1, chap. 2 ou 3.) Ceux qui sont pacifiques
sont ceux qui règlent tous les mouvements de leur âme, les soumettent
à la raison, tiennent sous le joug toutes les passions indomptées
de la chair, et deviennent ainsi le royaume de Dieu. Dans ce royaume l'ordre
y est tellement établi, que ce qu'il y a en nous de plus noble et de
plus excellent commande à cette autre partie de nous-même qui résiste,
et qui nous est commune avec les bêtes ; tandis que la partie supérieure,
c'est-à-dire l'âme et la raison, est elle-même soumise à
un être plus élevé, qui est la vérité et le
Fils de Dieu. Nous ne pouvons commander à ce qui est au-dessous de nous,
à moins d'être soumis à ce qui est au-dessus. Telle est
la paix promise sur cette terre aux hommes de bonne volonté (Lc 2, 14).
- S. AUG. (liv. 1, chap. 19.) Personne cependant ne peut arriver en cette vie
à détruire complètement dans ses membres cette loi qui
combat contre la loi de l'esprit ; mais en domptant ici-bas les passions de
la chair, les pacifiques se préparent à recevoir un jour la plénitude
de la paix. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) C'est se montrer pacifique envers les
autres, non seulement de réconcilier les ennemis entre eux, mais encore
d'oublier les injures par amour de la paix ; car la paix qui donne le bonheur
n'est pas celle qui n'existe que sur les lèvres, mais celle qui repose
dans le cur, et ceux qui l'aiment sont vraiment les enfants de la paix.
S. HIL. (Can. 12.) Le bonheur des pacifiques, c'est la récompense de
l'adoption que le Sauveur exprime par ces paroles : " Parce qu'ils seront
appelés enfants de Dieu. " Dieu est le Père unique de tous
les hommes, et nous ne serons dignes de faire partie de sa famille qu'en vivant
ensemble dans la paix d'une charité toute fraternelle. - S. CHRYS. (hom.
15 sur Matth.) Ou bien les pacifiques étant ceux qui ont horreur de la
dispute, n'ont de haine contre personne, et de plus cherchent à réunir
ceux qui sont divisés, c'est à juste titre qu'ils sont appelés
fils de Dieu, car la mission propre du Fils unique de Dieu a été
de réunir ce qui était dispersé et de pacifier les éléments
les plus contraires. - S. AUG. (serm. sur la mont.) Ou bien comme la perfection
est dans la paix, là où rien ne résiste, les pacifiques
sont appelés enfants de Dieu parce que rien ne résiste à
Dieu ; d'ailleurs les enfants doivent ressembler à leur père.
- LA GLOSE. Les pacifiques sont donc revêtus d'une dignité qui
surpasse toutes les autres, de même que le fils du roi est au-dessus de
tous les autres dans la maison de son père. Cette béatitude est
placée la septième, parce que c'est au jour du sabbat et du vrai
repos que nous sera donnée la paix véritable lorsque les dix âges
du monde seront écoulés.
v. 10.
S. CHRYS. (hom. 15.) Notre-Seigneur voulant détruire cette pensée
que c'est toujours un bien de rechercher pour soi la paix, ajoute : " Bienheureux
ceux qui souffrent persécution pour la justice, c'est-à-dire pour
la vertu, pour la défense des autres, pour la piété ; car
le Sauveur emploie ordinairement le mot justice pour exprimer toute vertu de
l'âme. - S. AUG. (serm. sur la mont. liv. 1, chap. 2 ou 8). La paix une
fois établie et affermie au-dedans de nous, quelles que soient les persécutions
que soulève au dehors celui que nous avons chassé de notre âme
(cf. Jn 12, 13), il ne fait qu'augmenter la gloire qui est selon Dieu. - S.
JER. Le Sauveur ajoute cette expression significative : " Pour la justice,
" car il en est beaucoup qui souffrent pour leurs péchés
; et qui sont loin d'être justes. Remarquez en même temps que cette
huitième béatitude qui est comme l'octave de la vraie circoncision,
a pour objet le martyre. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Il ne dit pas : "
Bienheureux celui qui souffre persécution de la part des Gentils, "
car vous pourriez penser que ce bonheur n'est promis qu'à celui qui est
persécuté par les païens, parce qu'il refuse d'adorer leurs
idoles. Celui donc qui souffre persécution de la part des hérétiques,
pour défendre contre eux la vérité, a droit à ce
bonheur parce qu'il souffre pour la justice. Et si un des puissants du monde
qui sont chrétiens en apparence, vous persécute, parce que peut-être
vous l'auriez repris de ses vices, estimez-vous heureux avec Jean-Baptiste.
Car s'il est vrai que les prophètes mis à mort par leurs concitoyens
ont été de vrais martyrs, on ne peut douter que celui qui souffre
pour la cause de Dieu, bien que la persécution lui vienne des siens,
ne reçoive aussi la récompense du martyre. Et c'est pourquoi l'Écriture
n'a pas désigné la personne des persécuteurs, mais la cause
seule de la persécution, afin que vous ne considériez pas quels
sont ceux qui vous persécutent, mais la cause pour laquelle vous souffrez
persécution.
S. HIL. (Can. 4 sur S. Matth.) Le Seigneur réserve donc pour la dernière
béatitude, ceux dont le cur est préparé à
tout souffrir pour Jésus-Christ (qui est la justice). A eux aussi il
promet le royaume des cieux, parce que le mépris du siècle les
a rendus pauvres d'esprit. C'est pour cela qu'il ajoute : " Le royaume
des cieux leur appartient. " - S. AUG. (serm. sur la mont., liv. 3, chap.
2 ou 9.) Ou bien la huitième béatitude revient à la première
comme à sa source, parce qu'elle la montre élevée à
sa plus haute perfection. Aussi voyez, dans la première comme dans la
huitième, se trouve nommé expressément le royaume des cieux.
En effet les sept béatitudes sont les différents degrés
de cette perfection ; la huitième lui donne le dernier trait et la montre
dans tout son éclat, et la récompense de la première béatitude
s'y trouve rappelée pour que ces deux degrés extrêmes communiquent
leur perfection aux degrés intermédiaires. - S. AMB. (sur S. Luc.)
Ou bien autrement, le royaume du ciel promis en premier lieu sera pour les saints
l'affranchissement des liens du corps (cf. Ph 1, 25), le second qui suivra la
résurrection, les réunira pour toujours à Jésus-Christ.
C'est après la résurrection en effet, que vous commencerez à
posséder la terre qui est à vous sans plus craindre la mort, et
que vous trouverez la consolation dans cette possession paisible. Le plaisir
suit la consolation, et il est suivi à son tour par la divine miséricorde,
or Dieu ne peut faire miséricorde à quelqu'un sans l'appeler,
et le fruit de cette vocation, c'est de voir Dieu qui nous appelle. Celui qui
a vu Dieu a droit à son tour aux honneurs de la filiation divine, et
c'est alors enfin que comme fils de Dieu il trouve sa joie dans les richesses
du royaume des cieux. D'un côté donc le bonheur commence, de l'autre
il est dans sa plénitude. - S. CHRYS. (hom. 15.) Ne soyez pas surpris,
si a chaque béatitude, il n'est pas fait mention du royaume des cieux,
car ces expressions : " Ils seront consolés, ils obtiendront miséricorde,
" et autres semblables, sont autant d'insinuations mystérieuses
du royaume des cieux. En s'exprimant ainsi le Sauveur veut que l'objet de votre
espérance n'ait rien de sensible, car on n'est pas heureux quand on n'a
pour récompense que des choses qui passent avec cette vie.
S. AUG. (serm. sur la mont. liv. 1, chap. 3.) Il faut étudier avec soin
le nombre de ces béatitudes. Nous voyons en effet les sept opérations
de l'Esprit saint décrites par Isaïe (Is 11), correspondre aux sept
degrés des béatitudes, mais avec cette différence, que
le prophète suit une marche opposée dans l'énumération,
parce qu'il nous montre le Fils de Dieu descendant jusque dans l'abîme
de notre misère, et qu'ici nous voyons l'homme montant de cet abîme
jusqu'à la ressemblance de Dieu. Le premier des dons de l'Esprit saint
est la crainte qui est le propre des âmes humbles dont il est dit : "
Bienheureux les pauvres d'esprit, " c'est-à-dire ceux qui ne se
nourrissent pas de hautes pensées, mais qui se tiennent dans la crainte
(cf. Rm 11, 20 ; 12, 16). Le second est la piété qui convient
à ceux qui sont doux, car celui qui cherche avec piété
fait profession de respect, il ne s'érige pas en censeur, il ne résiste
pas, ce qui constitue la vertu de douceur. Le troisième est la science,
qui se rapporte à ceux qui pleurent, car ils savent dans quelle dure
captivité les retiennent ces maux, qu'ils avaient demandés comme
des biens. Le quatrième est la force, qui convient à ceux qui
ont faim et soif, parce qu'en cherchant leur joie dans les véritables
biens, ils font tous leurs efforts pour se détacher des choses de la
terre. Le cinquième est le conseil, qui se rapporte aux miséricordieux,
car l'unique remède pour échapper à tant de maux, c'est
de pardonner et d'être charitable. Le sixième est l'intelligence
qu'ont en partage ceux qui ont le cur pur, et dont l'il purifié
pénètre ce qu'ils ne pouvaient voir auparavant. La septième
est la sagesse, qui est le propre des pacifiques dans l'âme desquels n'existe
aucun mouvement de révolte, mais ou tout est soumis à l'esprit.
Il n'y a qu'une seule récompense, c'est le royaume des cieux qui reçoit
diverses dénominations. Il est expressément nommé et avec
raison dans la première béatitude qui est le commencement de la
divine sagesse, comme s'il était dit : " Le commencement de la sagesse
est la crainte du Seigneur. " A ceux qui sont doux est promis l'héritage,
comme a des enfants dont la piété filiale cherche le testament
de leur père ; à ceux qui pleurent la consolation, parce qu'ils
savent ce qu'ils ont perdu, et dans quels maux ils sont plongés ; à
ceux qui ont faim l'abondance, comme aliment réparateur, après
les fatigues endurées pour le salut ; à ceux qui sont miséricordieux,
la miséricorde parce qu'ils se sont ménagé sagement le
bénéfice de l'indulgence dont ils ont fait preuve à l'égard
des autres ; à ceux qui sont purs la faculté de voir Dieu, car,
eux seuls ont un il capable de voir et de comprendre les choses éternelles
; à ceux qui sont pacifiques, la ressemblance avec Dieu. Or toutes ces
promesses peuvent s'accomplir en cette vie comme nous croyons qu'elles se sont
réalisées dans les apôtres ; car aucune parole ne saurait
exprimer l'objet des promesses éternelles.
vv. 11-12.
RAB. Les maximes précédentes avaient une application générale,
Jésus-Christ s'adresse ici personnellement à ceux qui l'écoutent,
et il leur prédit les persécutions qu'ils auraient à supporter
pour son nom. " Vous serez heureux " leur dit-il, " lorsque les
hommes vous maudiront et vous persécuteront et diront toute espèce
de mal contre vous. " - S. AUG. (serm. sur la mont., liv. 1, chap. 3 ou
9.) On peut demander quelle différence existe entre maudire et dire toute
espèce de mal, parce que maudire c'est justement dire du mal ; nous répondrons
qu'il y a une différence entre maudire et outrager quelqu'un en face,
et déchirer sa réputation en son absence. Quant au mot persécuter,
il signifie user de violence contre quelqu'un, ou lui tendre des embûches.
S. CHRYS. (sur S. Matth.) S'il est vrai que celui qui donne à son frère
un verre d'eau ne perd pas sa récompense, par la même raison celui
qui aura supporté la plus légère parole outrageante, ne
peut manquer d'être récompensé. Mais pour que les imputations
injurieuses lui donnent droit à ce bonheur, il faut deux choses, qu'elles
soient fausses, et qu'il les souffre pour la cause de Dieu ; si l'une des deux
conditions manque, il ne peut espérer la récompense de cette béatitude,
aussi le Sauveur ajoute-t-il : " Mentant à cause de moi. "
- S. AUG. (serm. sur la mont.) Je présume que ces mots ont été
ajoutés pour ceux qui veulent se glorifier des persécutions qu'ils
souffrent et du déshonneur qui s'attache justement à leur réputation,
et qui prétendent faire partie des disciples de Jésus-Christ,
parce qu'ils sont en butte à mille discours injurieux. Mais c'est a tort,
car ces discours ne sont que l'expression de la vérité quand ils
ont pour objet leurs erreurs, et si parfois on les accuse à faux, ce
n'est nullement pour Jésus-Christ qu'ils le souffrent.
S. GREG. (sur Ezéchiel.) Qui pourra donc nous nuire, si les hommes nous
discréditent, et que nous n'ayons pour nous défendre que le témoignage
de notre conscience ? Cependant si nous ne devons pas, de dessein prémédité,
exciter contre nous la langue de ceux qui veulent entamer notre réputation,
pour ne pas les pousser eux-mêmes à leur perte ; une fois que leur
méchanceté les arme contre nous, il faut le supporter patiemment
pour augmenter notre mérite, et c'est ce que le Sauveur nous recommande
en ajoutant : " Réjouissez-vous et tressaillez de joie, parce que
votre récompense est abondante dans les cieux. " - LA GLOSE. Que
votre âme se réjouisse, que votre corps lui-même tressaille
d'allégresse. parce que votre récompense non seulement est grande
comme celle des autres, mais parce qu'elle est abondante dans les cieux.
S. AUG. (serm. sur la mont.) Je ne pense pas que les cieux désignent
ici les parties supérieures de ce monde visible, car ce n'est pas dans
les choses extérieures que nous devons placer notre récompense
; par les cieux il faut donc entendre ici le firmament spirituel qu'habite l'éternelle
justice. On peut déjà pressentir cette récompense quand
on place sa joie dans les biens spirituels, mais cette jouissance ne sera parfaite,
que lorsque ce corps mortel aura revêtu l'immortalité. (1 Co 15,
54) - S. JÉR. Si nous voulons que notre récompense se prépare
dans les cieux, nous devons donc nous réjouir et tressaillir d'allégresse,
ce que ne pourra jamais faire celui qui est esclave de la vaine gloire. - S.
CHRYS. (sur S. Matth.) En effet, autant on met sa joie dans les louanges des
hommes, autant on s'attriste de leurs mépris ; mais celui qui ne désire
que la gloire des cieux, ne craint nullement les opprobres de la terre. - S.
GREG. (sur Ezéchiel.) Nous devons cependant mettre un frein quelquefois
aux langues des calomniateurs, de peur qu'en répandant leur venin contre
nous, ils ne viennent à corrompre les âmes innocentes que nous
aurions pu porter au bien par nos discours.
LA GLOSE. Ce n'est pas seulement par la perspective de la récompense,
mais par la puissance de l'exemple qu'il les invite à la patience. "
C'est ainsi ajoute-t-il qu'ils ont persécuté les prophètes
qui étaient avant vous. " - REMI. C'est une grande consolation en
effet pour celui qui se trouve dans la tribulation, de se rappeler les souffrances
de ceux qu'on lui domine comme un exemple de patience, c'est comme si le Sauveur
disait : " Souvenez-vous que vous êtes les apôtres de celui
dont ils furent les prophètes. " - S. CHRYS. (hom. 15.) Il déclare
aussi par ces paroles qu'il est égal en honneur à son Père,
car il semble dire : " De même qu'ils ont souffert pour mon Père,
ainsi vous souffrirez pour moi. " En leur disant : " Les prophètes
qui furent avant vous, " il leur apprend qu'ils sont devenus prophètes
eux-mêmes. - S. AUG. (serm. sur la mont.) La persécution est prise
ici dans un sens général, et signifie tous les discours outrageants,
et toutes les atteintes à la réputation.
v. 13.
S. CHRYS. (hom. 15.) Après avoir donné à ses disciples
d'aussi sublimes préceptes ; le Sauveur prévient cette difficulté
: comment pourrons-nous les observer, en les attirant par ses louanges et en
leur disant : " Vous êtes le sel de la terre. " Par là
il leur apprend que c'est une nécessité pour eux de garder ces
préceptes, car ce n'est pas, leur dit-il, pour vous, ce n'est pas pour
une seule nation, c'est pour le monde entier que je vous envoie. Si donc en
le touchant au vif, vous en recevez des injures, réjouissez-vous, car
c'est une des propriétés du sel de piquer tout ce qui est d'une
nature tendre et molle ; la malédiction des hommes ne peut vous nuire
en rien, elle atteste au contraire la vertu qui est en vous.
S. HIL. (can. 4.) Il nous faut ici chercher le sens propre des mots, et nous
le trouverons dans la mission des apôtres, et dans la nature du sel. Le
sel qui est d'un usage universel chez tous les peuples, communique l'incorruptibilité
à tous les corps sur lesquels on le répand, et il est très
propre à faire ressortir dans toutes choses leur saveur cachée.
Or les apôtres sont les prédicateurs des choses célestes,
et ils répandent sur toutes choses le sel de l'éternité.
C'est à juste titre qu'ils sont appelés le sel de la terre, parce
que la vertu de leur doctrine, comme un sel divin conserve les corps pour l'éternité.
REMI. Le contact de l'eau, la chaleur du soleil, le souffle du vent, donnent
au sel une autre nature ; ainsi les hommes apostoliques ont reçu une
naissance toute spirituelle et ont été changés en d'autres
hommes par l'eau du baptême, par le souffle de l'Esprit saint et par le
feu de la charité. On peut dire encore que la sagesse céleste
prêchée par les Apôtres, absorbe les humeurs des uvres
charnelles, fait disparaître l'odeur infecte et la corruption d'une mauvaise
vie et le ver des pensées impures dont le prophète a dit : "
Leur ver ne meurt pas. " (Is 66, 24) - REMI. Les Apôtres sont le
sel de la terre, c'est-à-dire des hommes terrestres qui sont appelés
terre, parce que toute leur affection est pour la terre. - S. JER. Ou bien encore
les Apôtres sont appelés le sel de la terre, parce que c'est par
eux que le genre humain est conservé. - S. CHRYS. (sur S. Matth., homél.
10 de l'ouv. incompl.) Dès qu'un docteur est orné de toutes les
vertus dont nous avons parlé, il est comme un sel excellent, et son exemple
comme sa parole sont pour tout le peuple un céleste assaisonnement.
REMI. Sous l'ancienne loi, on ne pouvait offrir aucun sacrifice sans l'avoir
assaisonné de sel, ce qui signifiait que personne ne peut offrit un sacrifice
agréable à Dieu sans avoir en lui la saveur de la sagesse divine.
- S. HIL. Cependant comme l'homme est sujet au changement, après avoir
appelé les Apôtres le sel de la terre, il leur apprend qu'ils doivent
conserver la vertu de la puissance qui leur a été confiée,
en ajoutant : " Si le sel perd sa force, avec quoi pourra-t-on le saler
? " - S. JER. C'est-à-dire si un docteur tombe dans l'erreur, par
quel autre docteur pourra-t-il être repris ? - S. AUG. (serm. sur la mont)
Et si vous, qui devez être comme l'assaisonnement des peuples, vous perdez
le royaume des cieux par la crainte des persécutions temporelles, quels
seront les hommes qui pourront vous guérir de vos erreurs ? Une autre
version porte : " Si le sel est devenu insipide et comme insensé
", et elle signifie qu'il faut regarder comme des insensés, ceux
qui par la recherche trop vive des biens temporels, ou par la crainte d'en être
dépouillés, perdent les biens éternels que les hommes ne
peuvent ni donner ni enlever.
S. HIL. (can. 4.) Or si les docteurs devenus insensés cessent d'avoir
la vertu du sel, et si ne possédant plus le sens du goût qu'ils
avaient reçu, ils ne peuvent rendre la vie à ce qui est corrompu,
ils deviennent inutiles comme l'ajoute le Sauveur : " Il ne vaut plus rien
qu'à être jeté dehors et foulé aux pieds par les
hommes. " - S. JER. Cet exemple est emprunté à l'agriculture.
Le sel ne sert absolument qu'à dessécher les viandes et à
assaisonner les aliments. Aussi nous voyons dans l'Écriture le sel semé
par la colère des vainqueurs sur des villes détruites, afin qu'aucune
semence ne pût y fructifier. - LA GLOSE. Lorsque ceux qui sont placés
à la tête des autres viennent à faillir, ils ne sont bons
qu'à être jetés dehors et privés du pouvoir d'enseigner.
- S. HIL. (can. 4.) Il ne suffit pas même qu'ils soient chassés
de l'office de l'Église, il faut qu'ils soient foulés aux pieds
des passants. - S. AUG. (serm. sur la mont.) Ce n'est pas celui qui souffre
persécution qui est foulé aux pieds par les hommes, mais celui
à qui la crainte de la persécution fait perdre le sens. On ne
peut être foulé aux pieds que lorsqu'on est placé au-dessous.
Or on n'est jamais au-dessous de personne, bien que le corps soit en butte sur
la terre à de mauvais traitements, lorsque par le cur on habite
dans le ciel.
vv. 14-15.
S. CHRYS. (Sur S. Matth.) De même que les prédicateurs sont par
l'exemple de leurs vertus le sel qui assaisonne les peuples, de même ils
sont par leur doctrine la lumière qui éclaire les ignorants. Or
une vie sainte est la condition première, essentielle avant de bien enseigner.
C'est pour cela qu'il appelle ses Apôtres le sel de la terre avant de
leur dire : " Vous êtes la lumière du monde. " C'est
peut-être aussi parce que le sel ne fait que conserver les choses dans
l'état où elles sont, et les préserve ainsi de toute altération,
tandis que la lumière les rend meilleures en répandant sur elles
la clarté. Les Apôtres sont donc appelés le sel de la terre
à cause du peuple juif et de l'Église chrétienne qui ont
la connaissance de Dieu, tandis qu'ils sont appelés la lumière
du monde à cause des Gentils qu'ils amènent à la lumière
de la science. - S. AUG. (serm. sur la mont.) Par le monde, il faut entendre
ici non pas le ciel et la terre, mais les hommes qui habitent le monde, ou ceux
qui aiment le monde, et vers lesquels les Apôtres ont été
envoyés pour les éclairer. - S. HIL. (can. 4.) La nature de la
lumière c'est d'émettre sa clarté partout où elle
est portée, et de forcer les ténèbres à disparaître
de nos demeures sous l'influence d'un jour bienfaisant. Or le monde placé
en dehors de la connaissance de Dieu était enveloppé dans les
ténèbres de l'ignorance, et c'est par les Apôtres qu'il
a été inondé de la clarté de la science, que la
connaissance de Dieu lui est devenue plus certaine, et ils ont répandu
à flots la lumière partout où ils ont porté leurs
corps faibles et mortels.
REMI. Semblable au soleil qui lance ses rayons de toutes parts, le Seigneur,
vrai soleil de justice, a dirigé ses Apôtres contre les ténèbres
qui couvraient le genre humain tout entier.
S. CHRYS. (homél. 15.) Comprenez la grandeur des promesses qu'il leur
fait, ils étaient inconnus dans leur propre pays, leur renommée
s'étendra jusqu'aux extrémités de la terre, et les persécutions
qu'il leur avait prédites, loin de les tenir cachés n'ont fait
que les rendre plus illustres.
S. JER. Les Apôtres auraient pu se dérober par la crainte aux persécutions
qui les menaçaient, Jésus-Christ veut qu'ils se produisent en
toute liberté, et il leur apprend avec quelle assurance ils doivent prêcher
l'Évangile : " Une ville placée sur une montagne ne peut
être cachée. " - S. CHRYS. (hom. 15.) Il leur enseigne encore
à veiller avec soin sur leur propre conduite, parce qu'ils sont exposés
à la vue du monde entier, comme une ville bâtie sur une montagne,
ou comme une lumière placée sur le chandelier. - S. CHRYS. (sur
S. Matth.) Cette cité, c'est l'Église des saints dont il est écrit
: " Cité de Dieu, des merveilles ont été dites de
toi. " Les citoyens de cette ville sont tous les fidèles dont l'Apôtre
a dit : " Vous êtes les concitoyens des saints. " Cette cité
a été bâtie sur la montagne qui est le Christ et dont le
prophète Daniel avait dit (Dn 2, 34) : " Une pierre détachée
de la montagne sans la main d'aucun homme est devenue une grande montagne. "
- S. AUG. Ou bien elle est située sur une montagne, parce qu'elle est
assise sur une justice éminente, figurée par la montagne du haut
de laquelle le Seigneur fait entendre sa parole. - S. CHRYS. (sur S. Matth.)
Une ville placée sur le sommet d'une montagne ne peut se dérober
aux regards, quand elle le voudrait, car la montagne qui la porte, la dévoile
à tous les yeux. Ainsi les Apôtres et les prêtres qui sont
fondés sur Jésus-Christ, ne peuvent rester cachés, quand
bien même ils le voudraient, parce que Jésus-Christ les découvre
à tous les regards. - S. HIL. (can. 4.) Cette cité peut encore
signifier la chair dont le Sauveur s'est revêtu, car en s'unissant ainsi
à notre nature, il renferme en lui la totalité du genre humain
et nous-mêmes par la participation de sa chair nous devenons les habitants
de cette ville. Or Jésus-Christ ne peut demeurer caché, placé
qu'il est sur les hauteurs incommensurables de la divinité, et offert
à l'admiration du genre humain par les uvres merveilleuses qu'il
opère.
S. CHRYS. (sur S. Matth.) Le Sauveur explique par une autre comparaison pourquoi ses disciples ne doivent point rester cachés dans l'obscurité, mais se produire au grand jour : " On n'allume pas une lampe pour la placer sous le boisseau, mais on la met sur le chandelier. - S. CHRYS. (homél. 15.) On peut dire encore que par la comparaison de la ville bâtie sur la montagne, le Sauveur montre quelle sera sa vertu, et que par celle de la lampe allumée, il forme ses disciples à la liberté de l'apostolat : " C'est moi qui ai allumé le flambeau, " semble-t-il leur dire : " c'est à vous de veiller à ce qu'il ne cesse jamais de briller, non seulement pour vous, et pour ceux que vous devrez éclairer, mais encore pour la gloire de Dieu. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Cette lampe c'est la parole de Dieu dont il est dit : " Votre parole est une lampe pour mes pieds. " Ceux qui allument cette lampe, sont le Père, le Fils et le Saint-Esprit.
S. AUG.
(serm. sur la mont., chap. 5 ou 12.) Mais que veulent dire ces paroles : "
On ne la place pas sous le boisseau ? " Signifient-elles seulement qu'il
ne faut point cacher cette lampe, comme s'il disait, ou n'allume pas une hampe
pour la cacher ? Ou bien le mot boisseau a-t-il une signification particulière
? Placer la lampe sous le boisseau ne serait-ce pas préférer les
avantages temporels à la prédication de la vérité
? On place donc la hampe sous le boisseau, toutes les fois qu'on obscurcit et
qu'on couvre la lumière d'une saine doctrine sous les nuages des biens
temporels. Le boisseau est une figure très juste de ces biens du corps,
soit à cause de la récompense qui sera donnée avec mesure,
puisque chacun recevra ce qu'il aura mérité pendant qu'il était
revêtu de son corps (2 Co 5, 10), soit parce que ces biens qui ont le
corps pour objet et pour instrument, ont aussi le temps pour mesure de leur
existence passagère figurée par le boisseau, tandis que les choses
spirituelles et éternelles ne sont pas renfermées dans ces étroites
limites. Or on place la lumière sur le chandelier, quand on assujettit
son corps au ministère de la parole, de manière que la prédication
de la vérité occupe le premier rang, et les soins du corps la
dernière place. Car cet assujettissement du corps donne à la doctrine
un nouvel éclat qui la fait pénétrer dans l'âme des
disciples, à l'aide du concours que les bonnes uvres du corps viennent
donner à la voix. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Disons encore que le boisseau
représente les hommes du monde, car de même que le boisseau est
vide par le haut, et plein par le bas, ainsi les hommes du monde sont insensés
à l'égard des biens spirituels, et n'ont de sagesse que pour les
choses de la terre. Ainsi le boisseau tient la parole de Dieu cachée
lorsque pour quelque motif tout humain, ils n'osent prêcher ouvertement
ni la parole de Dieu ni la vérité de la foi. Le chandelier, c'est
l'Église qui porte la parole, et c'est aussi chacun de ses ministres.
S. HIL. (Can. 4.) Ou bien c'est la synagogue que le Seigneur compare au boisseau,
parce que, gardant sans les distribuer les fruits qu'elle a reçus, elle
ne contenait d'ailleurs qu'une certaine mesure de perfection. - S. AMB. (sur
S. Luc, liv. 4.) Que personne donc ne renferme sa foi dans les bornes étroites
de la loi mosaïque, mais qu'il en fasse part à l'Église où
brille la grâce de l'Esprit qui possède les sept dons. - BEDE.
Ou bien c'est le Christ lui-même qui allume le flambeau lorsqu'il a rempli
de la flamme de sa divinité la lampe de terre de notre nature, lampe
qu'il ne veut cacher à aucun de ceux qui croient en lui, ni placer sous
le boisseau (c'est-à-dire sous la mesure de la loi), ni resserrer dans
les limites d'un seul peuple. Le chandelier sur lequel il a placé la
lumière c'est l'Église, parce qu'il a marqué sur nos fronts
la foi en son Incarnation. - S. HIL. (Can. 4.) Ou bien cette lampe du Christ
placée sur le chandelier, c'est cette lampe suspendue par sa Passion
au bois de la croix et qui doit répandre son éternelle clarté
sur tous ceux qui font partie de l'Église ; c'est pour cela qu'il ajoute
: " Afin qu'elle brille aux yeux de tous ceux qui sont dans la maison.
" - S. AUG. (serm. sur la mont.) Rien ne s'oppose à ce que, par
cette maison, on entende l'Église ; ou bien encore cette maison c'est
le monde lui-même, comme sembleraient l'indiquer ces paroles : "
Vous êtes la lumière du monde. " - S. HIL. (Can. 4.) Le Sauveur
avertit ses apôtres qu'ils doivent briller d'une lumière si vive
qu'en admirant leurs bonnes uvres les hommes en rendent gloire à
Dieu : " Que votre lumière luise devant les hommes, afin qu'ils
voient vos bonnes uvres. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) C'est-à-dire,
répandez la lumière de votre enseignement de manière que
non seulement on entende vos paroles, mais encore qu'on voie vos uvres,
et qu'ainsi vous assaisonniez, par le sel de vos exemples, ceux que vous aurez
éclairés de la lumière de votre parole. Dieu se trouve
glorifié par ces docteurs qui joignent la pratique à l'enseignement,
car on reconnaît la sagesse du Maître aux murs de ceux qui
composent sa famille, et c'est pour cela que Jésus-Christ ajoute : "
Afin qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux. " - S.
AUG. S'il avait dit seulement : " Afin qu'ils voient vos bonnes uvres,
" il aurait paru leur assigner pour fin les louanges des hommes que recherchent
les hypocrites ; mais il ajoute : " Afin qu'ils glorifient votre Père
qui est dans les cieux ; " il ne veut donc pas qu'en étant agréable
aux hommes, on place dans leur estime la fin de ses bonnes uvres, mais
qu'on les rapporte à la gloire de Dieu, en un mot qu'on ne cherche à
plaire aux hommes qu'afin que Dieu en soit glorifié. - S. HIL. (Can.
4.) Ce n'est pas qu'il nous faille rechercher la gloire qui vient des hommes
(car toutes nos actions doivent être faites pour la gloire de Dieu), mais
tout en nous cachant ce qui nous est personnel dans nos bonnes uvres,
nous ne devons pas laisser de briller pour l'édification de ceux au milieu
desquels nous vivons.
vv. 17-19.
LA GLOSE. Après avoir exhorté ses disciples à se préparer
à tout souffrir pour la justice, et à ne pas tenir cachée
la doctrine salutaire qu'ils allaient entendre, mais à la recevoir dans
l'intention de la communiquer aux autres, il leur fait connaître ce qu'ils
devront enseigner. Il suppose qu'ils lui font cette question : Quelle est donc
cette doctrine qui ne doit pas rester cachée et pour laquelle vous nous
ordonnez de tout nous offrir ? Et il leur répond : " Ne pensez pas
que je sois venu détruire la loi ou les prophètes. " - S.
CHRYS. (sur S. Matth.) Il s'exprime ainsi pour deux raisons : premièrement,
pour engager ses disciples à imiter son exemple, en s'efforçant
d'accomplir toute la loi, ainsi qu'il le faisait lui-même ; secondement,
les Juifs devaient l'accuser plus tard de violer la loi (Mt 12 ; Mc 2 ; Lc 6
; 13 ; Jn 5 ; 7 ; 9, etc.) ; il fait donc raison de cette calomnie avant même
qu'elle se produise.
REMI. Mais il ne veut pas qu'on s'imagine qu'il n'est venu que pour annoncer
la loi, comme les prophètes ; il nie donc d'abord qu'il soit venu pour
détruire la loi, et il affirme ensuite qu'il est venu pour l'accomplir
: " Je ne suis pas venu détruire la loi, mais l'accomplir. "
- S. AUG. (Serm. sur la mont.) Cette maxime présente deux sens, car accomplir
une loi c'est ou bien ajouter ce qui lui manque, ou faire ce qu'elle prescrit.
- S. CHRYS. Jésus-Christ a donc accompli les prophéties en réalisant
tout ce qu'elles avaient prédit de lui, et il a également accompli
la loi en n'omettant aucune des prescriptions légales et en justifiant
les hommes par la foi, ce que la lettre de la loi ne pouvait faire. - S. AUG.
(contre Fauste, liv. 19, chap. 7.) Enfin, comme il était difficile, même
à ceux qui vivent sous l'empire de la grâce, dans cette vie mortelle
d'accomplir ce commandement de la loi : " Vous n'aurez pas de désirs
coupables (Ex 20, 17 ; Dt 5, 21 ; Rm 7, 8 ; 13, 9), " le Sauveur, devenu
notre Pontife par le sacrifice de sa chair, nous obtient miséricorde,
et il accomplit encore ici la loi, car notre faiblesse et notre impuissance
se trouvent guéries par la vertu de ce divin chef dont nous sommes devenus
les membres. Je pense que ces paroles : " Je ne suis pas venu détruire
la loi, mais l'accomplir, " peuvent s'entendre aussi de ces additions qui
expliquent le sens des anciens préceptes ou la manière de les
mettre en pratique. C'est ainsi que le Seigneur nous a fait connaître
qu'un simple mouvement de haine qui nous porte à nuire à notre
frère doit être rangé parmi les péchés d'homicide.
Il nous dit encore plus loin qu'il aime mieux que nous restions dans la vérité
suis recourir au serment que de nous exposer à tomber dans le parjure
en jurant même selon la vérité. Pourquoi donc, ô Manichéens,
rejetez-vous la loi et les prophètes, alors que le Christ affirme qu'il
est venu non pour les détruire, mais pour les accomplir ? L'hérétique
Fauste répond : Mais qui atteste que Jésus a tenu ce langage ?
Matthieu. Et comment donc Matthieu peut-il raconter ce que Jésus a dit
sur la montagne, lui qui n'a suivi le Sauveur que lorsqu'il en fut descendu,
tandis que Jean, qui était sur la montagne, n'en dit pas un mot ? Saint
Augustin répond : S'il n'y a pour dire la vérité sur le
Christ que celui qui l'a vu ou entendu, personne aujourd'hui n'est en état
de le faire. Pourquoi donc saint Matthieu n'aurait-il pu apprendre de la bouche
de saint Jean la vérité sur le Christ, alors que nous, qui sommes
nés si longtemps après, nous pouvons enseigner sur Jésus-Christ
la vérité que nous puisons dans les écrits de saint Jean
? C'est ce qui fait que non seulement l'évangile de saint Matthieu, mais
encore celui de saint Luc et de saint Marc jouissent d'une égale autorité.
D'ailleurs, est-ce que le Seigneur n'a pu raconter à saint Matthieu les
faits qui avaient précédé sa vocation ? Avouez donc franchement
que vous ne croyez pas à l'Évangile, car en ne croyant dans l'Évangile
qu'à ce qui vous convient, c'est plutôt à vous-mêmes
qu'à l'Évangile que vous croyez.
Fauste dit
encore : Nous pouvons prouver qu'un autre que saint Matthieu (et je ne sais
qui) a écrit cette maxime sous le nom de cet apôtre : " Lorsque
Jésus passait, il vit un homme assis au comptoir, Matthieu était
son nom. " Et quel est donc l'écrivain qui, pour parler de lui-même,
s'exprime de la sorte : " Il vit un homme, " et non pas : " Il
me vit ? " - Saint Augustin répond, saint Matthieu parle de lui
commue d'une personne étrangère, de même que saint Jean
l'a fait dans ce passage : " Pierre, se retournant, vit cet autre disciple
que Jésus aimait, " ce qui prouve que telle était la manière
de s'exprimer des évangélistes dans leurs narrations.
Il y a plus, réplique Fauste, cette défense que Jésus-Christ
nous fait de croire qu'il soit venu détruire la loi est bien plutôt
de nature à nous faire soupçonner qu'il la détruisait réellement,
car, puisqu'il ne violait aucun article de la loi, pourquoi les Juifs l'en auraient-ils
soupçonné ? C'est là, répond saint Augustin, une
bien faible difficulté, car nous ne nions pas qu'aux yeux des Juifs inintelligents,
le Christ n'ait passé pour un destructeur de la loi et des prophètes.
Fauste ajoute : D'ailleurs, ni la loi ni les prophètes n'ont besoin de
cet accomplissement, puisqu'il est écrit : " Vous observerez les
commandements que je vous donne, sans y rien ajouter, ni sans rien ôter.
" Fauste, répond saint Augustin, ne comprend pas ce que c'est que
l'accomplissement de la loi, lorsqu'il l'entend de l'addition de nouveaux préceptes.
La plénitude de la loi c'est la charité (Rm 13, 18) que le Seigneur
a répandue sur les fidèles en leur envoyant l'Esprit saint. La
loi est donc accomplie lorsqu'on obéit à ses préceptes
ou lorsque les événements réalisent les prédictions
qu'elle a faites.
Fauste continue : Reconnaître que Jésus est l'auteur du Nouveau
Testament, qu'est-ce autre chose que déclarer qu'il a détruit
l'Ancien ? Non, répond saint Augustin, car l'Ancien Testament renferme
les figures de l'avenir, qui devaient disparaître devant les réalités
apportées par Jésus-Christ, et dans ce fait même les prophètes
trouvaient leur accomplissement, puisqu'ils annonçaient que Dieu devait
donner aux hommes un nouveau Testament.
Fauste poursuit : Si le Christ a prononcé ces paroles, c'est évidemment
dans un autre sens ou (ce qu'on ne peut admettre) c'est un mensonge, ou il n'a
rien dit de semblable. Or, personne n'osera dire que le Christ a menti ; ces
paroles ont donc une autre signification, ou elles n'ont jamais été
dites. Quant à moi, la foi des Manichéens me met en garde contre
l'admission de ce chapitre, car elle m'a tout d'abord appris qu'il ne faut pas
regarder comme venant du Sauveur tout ce que les Évangélistes
lui attribuent, et qu'il y a beaucoup d'ivraie que le glaneur qui rôde
pendant la nuit a répandue dans presque toutes les Écritures pour
corrompre le bon grain. Saint Augustin répond : Le Manichéen t'a
enseigné une opinion impie et perverse en vertu de laquelle tu acceptes
dans l'Évangile tout ce qui favorise ton hérésie, et tu
rejettes tout ce qui la condamne.
Pour nous, l'Apôtre nous a enseigné cette divine méthode
de regarder comme anathème quiconque annoncerait un Évangile différent
de celui que nous avons reçu. Et quant à l'ivraie, le Seigneur
lui-même nous a expliqué ce que c'était. Ce ne sont point
les erreurs qui seraient mêlées à la vérité
des Écritures, comme il vous plaît de le dire, mais ce sont les
hommes enfants du démon.
Fauste ajoute : Lorsqu'un Juif viendra vous demander pourquoi vous n'observez
pas ce que prescrivent la loi et les prophètes, puisque le Christ n'est
pas venu les détruire, mus les accomplir, vous serez forcé ou
de devenir l'esclave d'une vaine superstition, ou de reconnaître que ce
chapitre n'est pas authentique, ou de nier que vous soyiez le disciple du Christ.
- Les catholiques, répond saint Augustin, ne sont nullement embarrassés
par ce chapitre, comme s'il leur reprochait de ne pas garder la loi et les prophètes,
car ils ont dans le cur l'amour de Dieu et l'amour du prochain, deux préceptes
qui résument la loi et les prophètes, et ils savent que tout ce
qui, dans l'Ancien Testament, a été prophétisé allégoriquement
par les événements, par la célébration des fêtes
légales, par les expressions figurées se trouve accompli en Jésus-Christ
et en son Église. Donc nous ne devenons pas tributaires d'une vaine superstition,
nous ne nions pas la véracité de ce chapitre, et nous ne renonçons
pas à être les disciples du Christ. Celui donc qui vient dire :
Si le Christ n'avait pas détruit la loi et les prophètes, les
anciens rites se seraient perpétués dans les cérémonies
chrétiennes, peut ajouter : Si le Christ n'avait pas détruit la
loi et les prophètes, sa naissance, sa passion, sa résurrection
seraient encore l'objet des promesses. Au contraire, une preuve qu'il n'a pas
détruit, mais accompli la loi et les prophètes, c'est justement
qu'il ne nous est plus prédit comme devant naître, souffrir et
ressusciter, ce que proclamaient toutes les figures de l'ancienne loi ; mais
qu'on nous annonce sa naissance, sa mort, sa résurrection comme autant
de faits accomplis que nous rappellent à l'envi toutes les solennités
chrétiennes. Combien donc est grossière l'erreur de ceux qui pensent
que le changement des signes et des rites a dû changer la nature des choses
signifiées dont le rite prophétique promettait l'existence, et
dont le rite évangélique démontre l'accomplissement.
Fauste ajoute encore : Si le Christ est l'auteur de ces paroles, examinons pourquoi
il les a dites. Est-ce pour adoucir la fureur des Juifs qui en le voyant fouler
aux pieds ce qu'ils regardaient comme saint ne croyaient pas devoir l'entendre
davantage ? Ou bien est-ce pour nous engager à nous soumettre au joug
de la loi, nous qui devions croire parmi les Gentils ? Si ce n'est pas l'une
de ces raisons, ce doit être l'autre, et en cela le Christ ne nous a pas
induit en erreur. Il y a en effet trois sortes de loi, la première est
celle des Hébreux, que saint Paul appelle loi de péché
et de mort ; la seconde, la loi des Gentils, qu'il appelle naturelle, en disant
: " Les nations font naturellement ce que la loi leur commande ; "
la troisième, la loi de vérité appelée par saint
Paul : " La loi de l'esprit de vie. " Il en est de même des
prophètes : il y a les prophètes des Juifs, qui sont connus ;
les prophètes des Gentils, dont saint Paul écrivait : " Un
de leurs compatriotes et leur prophète a dit. " Enfin les prophètes
de la vérité, dont le Christ a dit : " Je vous envoie des
sages et des prophètes. " Or, s'il avait parlé des observances
judaïques dans le dessein de nous les faire accomplir, nul doute qu'il
ne fût ici question de la loi des prophètes des Juifs. Mais il
ne rappelle ici que des préceptes plus anciens : " Vous lie tuerez
pas, vous ne commettrez pas d'adultère, " qui furent autrefois promulgués
par Enoch, par Seth et par d'autres justes ; il est donc évident qu'il
veut parler ici de la loi et des prophètes de la vérité.
Paraît-il au contraire vouloir parler des préceptes judaïques
; c'est pour les déraciner complètement, comme celui-ci : "
il pour il, dent pour dent. " - Saint Augustin répond
: On voit clairement quelle est cette loi, quels sont ces prophètes que
Jésus-Christ n'est pas venu détruire, mais accomplir : c'est la
loi qui a été donnée par Moïse. C'est une erreur de
dire, comme Fauste, que le Seigneur est venu accomplir certains préceptes,
ceux qui avaient été transmis par les anciens justes avant la
loi, comme celui-ci : " Vous ne tuerez pas ; " tandis qu'il en a détruit
certains autres qui étaient propres à la loi mosaïque (comme
celui-là : " il pour il, dent pour dent "), car
nous tenons pour vrai que ces derniers préceptes ont été
parfaitement conformes au temps où ils furent établis, et que
le Christ ne les a pas détruits, mais accomplis, comme nous le prouverons
pour chacun d'eux. C'est ce que ne comprenaient pas non plus ces hérétiques
appelés Nazaréens, qui, persévérant dans cette croyance
perverse, voulaient forcer les Gentils convertis à judaïser.
S. CHRYS.
(sur S. Matth.) Comme tous les événements qui devaient se passer
depuis le commencement jusqu'à la fin du monde, étaient allégoriquement
prophétisés dans la loi, Notre-Seigneur pour éloigner cette
pensée que Dieu aurait pu ignorer par avance quelques-uns de ces événements,
ajoute : " Il ne peut se faire que le ciel et la terre passent avant que
tout ce qui a été prédit dans la loi ne soit accompli et
réalisé ; c'est le sens de ces paroles : " Je vous le dis
en vérité ; le ciel et la terre ne passeront point que tout ce
qui est dans la loi, jusqu'à un seul iota et à un seul point,
ne soit accompli parfaitement. "
REMI. Le mot amen est un mot hébreu qui signifie en latin, vraiment,
exactement, ou ainsi soit-il. Le Seigneur emploie cette expression pour deux
raisons, ou à cause de la dureté de cur de ceux qui étaient
lents à croire, ou pour avertir ceux qui croyaient de prêter une
attention plus profonde à ce qui allait suivre. - S. HIL. (Can. 4.) En
s'exprimant de la sorte : " Jusqu'à ce que le ciel et la terre pussent,
" il déclare que le ciel et la terre, qui sont les principaux éléments
de la création, seront dissous comme nous le croyons nous-mêmes.
- REMI. Ils demeureront quant à leur substance, mais ils passeront en
ce sens qu'ils seront renouvelés. - S. AUG. (serm. sur la mont.) Par
ces paroles : " Un seul iota ou un seul point de la loi ne passera "
le Sauveur exprime avec énergie la perfection qui est renfermée
dans chacune des lettres de la sainte Écriture. Parmi ces lettres la
plus petite est l'iota, qui s'écrit d'un seul trait. Le point est un
petit signe qui surmonte l'iota à son sommet. En s'exprimant ainsi, le
Seigneur nous apprend que dans la loi les petites choses doivent être
accomplies avec soin. - RAB. C'est avec un dessein marqué qu'il emploie
l'iota grec, et non l'iota des Hébreux, car l'iota exprime le nombre
dix et par là même le nombre des préceptes du Décalogue
dont l'Évangile est le point extrême et le plus haut degré
de perfection.
S. CHRYS.
(sur S. Matth.) Si un homme ami de la vérité ne peut s'empêcher
de rougir lorsqu'on surprend un mensonge sur ses lèvres, et si l'homme
sage ne promet jamais rien qu'il ne l'exécute, comment les paroles divines
pourront-elles demeurer sans effet ? Et c'est pour cela qu'il conclut en disant
: " Quiconque violera un de ces commandements les plus petits de tous et
enseignera aux hommes à les violer, sera regardé comme le dernier
dans le royaume de Dieu. " Le Seigneur nous fait entendre clairement, ce
me semble, quels sont ces commandements les moindre de tous, en disant : "
Celui qui violera l'un de ces moindres commandements, " c'est-à-dire,
ceux dont je vais parler. - S. CHRYS. (hom. 16.) Ce n'est point des lois anciennes
qu'il veut parler ici, mais des préceptes qu'il devait lui-même
imposer ; il les appelle les plus petits quoique de la plus grande importance,
par ce même sentiment d'humilité avec lequel il s'est si souvent
exprimé sur son propre compte. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Ou bien autrement,
les commandements de Moïse, " Vous ne tuerez pas, vous ne commettrez
pas d'adultère, " sont d'un accomplissement facile, car l'énormité
du crime effraie et arrête la volonté ; aussi la récompense
qu'ils promettent est minime, bien que le crime qu'ils défendent soit
grand. Les commandements du Christ au contraire : " Vous ne vous mettrez
pas en colère, vous ne convoiterez pas, " sont difficiles à
observer, et par la même raison, la récompense qui les sanctionne
est grande, bien que ce qu'ils défendent soit léger. Il s'agit
donc ici de ces préceptes du Christ : " Vous ne vous mettrez pas
en colère, vous ne convoiterez pas. " Ceux qui commettent ces fautes
légères seront les derniers dans le royaume de Dieu ; c'est-à-dire
celui qui se sera mis en colère sans commettre un grand péché,
n'aura pas à craindre la peine de la damnation éternelle, mais
il ne partagera pas la gloire de ceux qui auront observé ces commandements
de moindre importance. - S. AUG. (serm. sur la mont., liv. 1, chap. 15, 16 ou
8.) Ou bien, au contraire, ces moindres commandements sont ceux de la loi ancienne,
et ce sont les préceptes que le Christ va promulguer qui sont de la plus
haute importance. Ces préceptes moindres que les autres sont indiqués
ici par l'iota et par le point, celui-là donc qui les viole et qui enseigne
aux autres à les violer de même sera appelé le dernier dans
le royaume de Dieu. Et peut-être même n'entrera-t-il pas dans ce
royaume des cieux, ou Dieu n'admet que ceux qui sont vraiment grands.
LA GLOSE. Violer la loi, c'est ne pas faire ce qu'ordonne la loi bien comprise,
ou ne pas comprendre la fausse interprétation qu'on lui donne, ou détruire
dans quelqu'une de ses parties l'ensemble des commandements ajoutés par
le Christ.
S. CHRYS. (hom. 16.) Ou bien dans ces paroles : " Il sera appelé le dernier dans le royaume des cieux, il ne faut voir autre chose que le supplice de la damnation éternelle. En effet, dans le langage ordinaire du Sauveur, le royaume des cieux ne signifie pas seulement la jouissance du bonheur éternel, mais le temps de la résurrection, et l'avènement terrible du Christ. - S. GREG. (hom. 12 sur les Evang.) Ou bien par le Royaume des cieux il faut entendre l'Église où tout docteur qui viole un commandement de la loi est regardé comme le dernier, car celui dont la conduite est méprisable, comment peut-il empêcher que son enseignement ne soit méprisé ? - S. HIL. (can. 4.) Ou bien, par ces moindres choses, le Seigneur fait allusion à sa passion et à sa croix ; celui qui par une fausse honte ne les confessera pas hautement, sera le plus petit, c'est-à-dire le dernier, et presque rien. Le Sauveur promet au contraire la gloire magnifique des cieux à celui qui ne rougira pas de les confesser ; c'est pour cela qu'il ajoute : " Mais celui qui fera et enseignera sera appelé grand dans le royaume des cieux. " - S. JER. Le Seigneur flétrit ici la conduite des Pharisiens qui, n'ayant que du mépris pour les commandements de Dieu, leur substituaient leurs propres traditions, et il leur apprend que l'enseignement qu'ils donnent au peuple perd tout son prix, s'ils détruisent le plus petit commandement de la loi. Voici encore une autre explication : c'est que la science du maître, ne fût-il esclave que d'une faute légère, le fait descendre de la place élevée qu'il occupait ; c'est qu'il ne sert de rien d'enseigner la justice si on la détruit en même temps par la moindre faute ; c'est qu'on n'est souverainement heureux qu'en traduisant dans sa conduite les enseignements que l'on donne aux autres. - S. AUG. On bien encore, celui qui violera les plus petits des commandements de la loi, et qui enseignera à les violer, sera appelé le dernier ; celui au contraire qui accomplira ces moindres commandements, et qui enseignera à les accomplir, ne devra pas être regardé comme grand, mais il sera toutefois au-dessus de celui qui les viole. Celui-là seul sera vraiment grand qui pratiquera et enseignera ce que le Christ enseigne.
vv. 20-22
S. HIL. (can. 4.) Dans ce magnifique début le Sauveur s'élève
bien au-dessus de la loi ancienne ; il déclare aux apôtres que
l'entrée du ciel leur est fermée, si leur justice n'est supérieure
à celle des Pharisiens ; c'est le sens de ces paroles : " Je vous
le dis en vérité, à moins que votre justice ne soit plus
abondante, etc. - S. CHRYS. (hom. 16.) La justice dont il parle ici est la réunion
de toutes les vertus, pour la pratique desquelles il faut ajouter le secours
de la grâce : car le Sauveur veut que ses disciples, tout grossiers qu'ils
sont encore, se montrent plus vertueux que les docteurs de la loi ancienne.
Il ne dit pas que les Scribes et les Pharisiens sont des hommes d'iniquité,
puisqu'il parle de leur justice. Remarquez aussi qu'il confirme la vérité
de l'Ancien Testament, par la comparaison qu'il en fait avec le Nouveau ; ils
ne différent que du plus du moins, et sont du même genre. - S.
CHRYS. (sur S. Matth.) Les justices des Scribes et des Pharisiens sont les commandements
donnés par Moïse, et les commandements de Jésus-Christ sont
le parfait accomplissement des premiers. Voici donc le sens des paroles du Sauveur
: " Celui qui indépendamment des commandements de la loi n'accomplira
pas ceux que je donne moi-même, quelque peu importants qu'ils lui paraissent,
celui-là n'entrera pas dans le royaume des cieux ; " car les commandements
de Moïse délivrent bien de la peine portée contre les transgresseurs
de la loi, mais ils ne peuvent introduire dans le royaume des cieux, tandis
que mes commandements délivrent du châtiment et tout à la
fois donnent entrée dans le royaume des cieux. Mais puisqu'il est certain
que violer ces moindres commandements et ne pas les observer est une seule et
même chose, pourquoi est-il dit plus haut que celui qui les viole sera
appelé le dernier dans le royaume de Dieu, tandis que nous voyons ici
que celui qui ne les garde pas n'entrera point dans le royaume des cieux ? Je
réponds à cela qu'être le dernier dans le royaume, ou n'y
pas entrer reviennent au même, et qu'être simplement du royaume,
ce n'est pas régner avec le Christ, mais faire seulement partie de son
peuple. Il veut donc dire que celui qui viole ces commandements sera du nombre
des chrétiens, mais relégué au dernier rang ; celui au
contraire qui entre dans le royaume devient participant de la royauté
du Christ : par conséquent, celui qui n'y entre pas n'a point de part
à cette gloire, mais il est cependant de son royaume, en ce sens qu'il
est du nombre de ceux sur lesquels règne le Christ, le roi des cieux.
S. AUG.
(Cité de Dieu, liv. 20, chap. 9.) On peut encore donner cette explication
: " Si votre justice n'est plus abondante que celle des Scribes et des
Pharisiens qui n'observent pas ce qu'ils enseignent, et dont il est dit ailleurs
: " Ils disent et ne font pas ; " c'est-à-dire si votre justice
n'atteint ce degré de perfection non-seulement de ne pas violer, mais
de pratiquer ce que vous enseignez, vous n'entrerez pas dans le royaume des
cieux. Il faut donc entendre dans un sens différent le royaume des cieux,
là où nous rencontrons ces deux sortes de personnes, celui qui
transgresse ce qu'il enseigne, et celui qui le pratique, l'un appelé
le plus petit, et l'autre grand ; ce royaume c'est l'Église actuelle.
Au contraire le royaume des cieux dans lequel n'entre que celui qui observe
les commandements c'est l'Église telle qu'elle existera dans le siècle
à venir. - S. AUG. (cont. Faust. liv. 9 et 10.) Je ne sais si on pourrait
trouver nommé une seule fois dans l'Ancien Testament ce royaume de Dieu
dont il est si souvent question dans les discours du Seigneur. C'est une des
révélations propres au Nouveau Testament, et cette révélation
était réservée aux lèvres de ce roi dont l'Ancien
Testament figurait l'empire sur ses serviteurs. Cette fin à laquelle
doivent se rapporter les commandements demeurait voilée sous l'ancienne
loi, bien que les Saints qui la voyaient révélée dans l'avenir,
en faisaient dès lors la règle de toute leur vie. - LA GLOSE.
Ou bien encore ces paroles : " Si votre justice n'est plus abondante, "
ne se rapportent pas à ce que prescrivait l'ancienne loi, mais à
la manière dont les Scribes et les Pharisiens l'interprétaient.
- S. AUG. (cont. Faust. liv. 19, chap. 28.) Presque tous les préceptes
que le Sauveur fait précéder de ces mots : " Mais moi, je
vous dis, " se trouvent dans les livres de l'Ancien Testament ; mais comme
les Pharisiens ne comprenaient sous la défense de l'homicide que le seul
fait de la mort donnée au prochain, le Seigneur leur découvre
que tout mouvement de haine qui tend à nuire à notre frère
fait partie du péché d'homicide. C'est pourquoi il ajoute : "
Vous avez appris qu'il a été dit aux anciens : Vous ne tuerez
pas. " S. CHRYS. (sur S. Matth.) Le Christ voulant montrer qu'il est le
même Dieu qui avait promulgué les préceptes de la loi ancienne,
et qui donne ceux de la loi de grâce, pose en tête de ses préceptes
ceux qui dans l'ancienne loi se trouvaient avant tous les autres, c'est-à-dire
les préceptes prohibitifs qui ont pour objet le prochain.
S. AUG. (Cité de Dieu, liv. 20.) De ce qu'il est écrit : Vous
ne tuerez pas, nous ne concluons pas que c'est un crime d'arracher un arbrisseau,
erreur grossière des Manichéens ; nous n'appliquons pas non plus
ce précepte aux animaux sans raison ; car en vertu de l'ordre plein de
sagesse établi par le Créateur, leur vie comme leur mort sont
soumises à nos besoins. C'est donc de l'homme qu'il faut entendre ces
paroles : " Vous ne tuerez pas ; " vous ne tuerez pas un autre, vous
ne vous tuerez pas vous-même ; car celui qui se donne la mort, que fait-il
d'autre chose que de donner la mort à un homme ? N'allons pas voir non
plus une violation de ce précepte dans la conduite de ceux qui ont fait
la guerre par l'ordre de Dieu, ou qui dépositaires du pouvoir public
ont usé de leur autorité pour prononcer contre des scélérats
la juste sentence qui les condamnait à mort. Abraham lui-même qui
voulut mettre à mort son fils pour obéir à Dieu, non-seulement
n'est pas accusé de cruauté ; mais l'Écriture fait le plus
grand éloge de sa foi et de sa religion. Il ne faut donc pas comprendre
dans ce précepte ceux que Dieu commande de mettre à mort, ou par
une loi générale, ou dans un cas particulier, par un ordre exprès
et transitoire. On ne peut non plus considérer comme homicide celui qui
prête son concours à l'exécution d'un ordre légitime,
pas plus que celui qui donne son appui au magistrat qui porte le glaive ; et
on ne peut excuser autrement Samson de s'être enseveli avec ses ennemis
sous les ruines de la maison où il se trouvait, qu'en disant qu'il obéit
en cela à l'inspiration secrète de l'Esprit qui avait opéré
par lui tant de prodiges.
S. CHRYS. (hom. 19.) Par cette formule : " Il a été dit aux
anciens, " le Sauveur nous apprend qu'il y avait bien longtemps que ce
commandement avait été donné aux Juifs. Il s'exprime ainsi
pour entraîner vers des préceptes plus élevés, les
esprits lents qui l'écoutaient, comme un maître qui voulant stimuler
un enfant paresseux par le désir d'une instruction supérieure
lui dirait : Vous avez perdu beaucoup de temps à épeler. Or le
Seigneur ajoute : " Mais moi je vous dis que quiconque se mettra en colère
contre son frère, méritera d'être condamné par le
jugement. " Remarquez dans ces paroles la puissance du législateur
; aucun des anciens n'avait parlé de la sorte, mais ils s'exprimaient
ainsi : " Le Seigneur a dit. " Ils parlaient comme des serviteurs
qui portent les ordres de leur maître ; Jésus-Christ parle comme
le fils qui commande au nom de son père et en son propre nom. Ils annonçaient
les ordres de Dieu à ceux qui étaient comme eux les serviteurs
de Dieu ; Jésus-Christ imposait ses lois à ses propres serviteurs.
- S. AUG. (Cité de Dieu, liv. 9, chap. 10.) Il y a parmi les philosophes
deux opinions sur les passions de l'âme. Les Stoïciens ne veulent
pas qu'un sage puisse y être accessible ; les Péripatéciens
admettent que le sage peut les éprouver, mais modérées
toutefois et soumises à la raison, comme lorsque le sentiment de la compassion
est tellement tempéré qu'il sauvegarde les droits de la justice.
(Et au commencement du chap. 5.) D'après les principes de la doctrine
chrétienne, il est moins question de savoir si une âme pieuse peut
se livrer au sentiment de la colère ou de la tristesse, que de connaître
la source de ces impressions. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Celui qui se met en
colère sans raison est coupable ; si sa colère est motivée,
il cesse de l'être, car sans cette irritation légitime, la doctrine
ne fait aucun progrès ; la justice n'a point de stabilité ; les
crimes ne sont point réprimés. Celui donc qui ne se met pas en
colère lorsqu'il le doit, commet une faute, car la patience qui est déraisonnable
devient la source de tous les vices, nourrit la négligence, et porte
directement au mal, non-seulement les mauvais, mais les bons eux-mêmes.
S. JER. Dans quelques exemplaires, on lit ces mots : sans cause, mais dans les
plus exacts, la pensée est claire, et la colère est tout à
fait défendue, car s'il nous est ordonné de prier pour nos persécuteurs,
quelle occasion nous reste-t-il de nous mettre en colère ? Il faut donc
supprimer cette addition : " Sans cause, " car " la colère
de l'homme n'opère pas la justice de Dieu. " - S. CHRYS. (sur S.
Matth.) Cependant la colère qui a une cause légitime n'est pas
colère, mais jugement, car la colère proprement dite est une émotion
produite par la passion. Or, lorsque la colère a une cause raisonnable,
elle n'est plus le fruit de la passion, et alors ce n'est plus de la colère,
mais du jugement. - S. AUG. (liv. 1 des Rétract., chap. 19.) Nous disons
encore qu'il faut considérer attentivement ce que c'est que la colère
contre son frère, car ce n'est pas se mettre en colère contre
son frère que de s'irriter du mal qu'il a commis. Celui-là donc
se met en colère sans raison, qui s'emporte contre son frère et
non contre le péché dont il s'est rendu coupable. - S. AUG. (Cité
de Dieu, liv. 14, chap. 5.) Aucun homme raisonnable ne blâmera qu'on se
mette en colère contre son frère pour le ramener au bien. Ces
mouvements qui sont produits par l'amour de la vertu et par la sainte charité
ne doivent pas être considérés comme des vices, puisqu'ils
sont conformes à la droite raison. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) D'ailleurs
je pense que Notre-Seigneur Jésus-Christ ne parle pas ici de l'irritation
qui vient du sang, mais de la colère qui a sa source dans l'âme,
car on ne peut commander au sang de ne pas se troubler. Lorsque donc un homme
irrité ne cède pas aux inspirations de la colère, ce n'est
pas l'âme, c'est l'homme extérieur et sensible qui est irrité.
- S. AUG. Dans cette première partie, il n'est question que d'une seule
chose, de la colère ; dans la seconde, le Sauveur condamne à la
fois la colère et les paroles qui en sont l'expression : " Celui,
" continue-t-il, " qui dira à son frère : Raca, méritera
d'être condamné par le conseil. " Il en est qui veulent tirer
du grec l'étymologie de ce mot raca, et comme racos (?a???) en grec signifie
haillons, ils en concluent que ce mot veut dire : couvert de haillons. Mais
il est plus probable que ce mot n'a aucune signification déterminée,
et qu'il exprime simplement le mouvement d'une âme pleine d'indignation.
Les grammairiens appellent ces sortes de mots interjections, comme lorsqu'un
homme dans la douleur s'écrie : hélas ! - S. CHRYS. (homél.
16.) Ou bien raca est un terme de mépris et de dédain ; cette
locution correspond à celle dont nous nous servons en parlant à
nos serviteurs ou à des personnes plus jeunes que nous : " Va-t'en
toi, va le lui dire, toi. " C'est ainsi que le Seigneur veut déraciner
jusqu'aux moindres effets de la colère, et qu'il nous ordonne d'avoir
les uns pour les autres les plus grands égards. - S. JER. Ou bien raca
est un mot hébreu qui signifie sans valeur, esprit vide et qui équivaut
à cette expression injurieuse : sans cervelle que nous n'oserions employer.
C'est avec intention qu'il ajoute : " Celui qui dira à son frère.
" Car nul ne peut être notre frère sans avoir le même
père que nous. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) C'est une indignité
de dire à un homme qu'il n'a rien en lui, alors que son âme est
le temple de l'Esprit saint. - S. AUG. La troisième partie de ce précepte
comprend trois choses, la colère, les paroles qui la manifestent, l'outrage
qu'elles expriment : " Celui qui dira à son frère vous êtes
un fou, sera passible du feu de l'enfer. " - S. AUG. (serm. sur la mont.)
Il y a donc divers degrés dans ces péchés que la colère
nous fait commettre : le premier est de se mettre en colère, tout en
comprimant le mouvement de la colère dans son cur ; si l'agitation
intérieure se trahit par une parole qui ne signifie rien, mais dont l'éclat
seul atteste l'irritation de l'âme, il y a un degré de plus que
dans la colère dont le mouvement est réprimé par le silence.
Mais on est bien plus coupable encore si l'on s'emporte à des paroles
évidemment outrageantes. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) De même qu'on
ne peut appeler esprit vide celui qui possède l'Esprit saint, on ne peut
appeler insensé celui qui connaît Jésus-Christ. Mais si
le mot raca a le même sens que vide, c'est donc une même chose de
dire, insensé et raca. Oui, mais ces deux mots diffèrent dans
l'intention de celui qui les profère : le mot raca chez les Juifs était
une expression en usage qu'ils employaient non pas sous l'impression de la colère
ou de la haine, mais par un vain mouvement de présomption plutôt
que par un sentiment de colère. Mais si la colère n'y a aucune
part, pourquoi est-ce un péché ? Parce que c'est une expression
qui favorise la dispute plutôt que l'édification, car si nous ne
devons pas prononcer même une bonne parole, à moins qu'elle ne
soit utile, combien plus devons-nous nous interdire ce qui est tout à
fait mal en soi ?
S. AUG. (serm. sur la mont.) Voici donc trois degrés de culpabilité
qui nous rendent passibles du jugement, du conseil, du feu de l'enfer, et par
lesquels le Sauveur nous fait monter de ce qui est léger à ce
qui est plus grave. Dans le jugement, en effet, on peut encore se défendre
; mais au conseil, il appartient de prononcer la sentence définitive,
après que les juges ont conféré entre eux sur le châtiment
qu'ils doivent infliger au coupable ; dans la géhenne du feu, la condamnation
est certaine aussi bien que le châtiment de celui qui est condamné.
On voit donc la différence qui existe entre la justice des pharisiens
et celle de Jésus-Christ : d'un côté l'homicide seul rend
passible du jugement, de l'autre il suffit d'un simple mouvement de colère
qui est le plus faible des trois degrés dont nous avons parlé.
- RAB. Par le mot de géhenne, le Sauveur veut exprimer ici les tourments
de l'enfer. On croit que ce nom vient d'une vallée consacrée aux
idoles, près de Jérusalem, qui était remplie de cadavres,
et que Josias livra à la profanation, comme nous le lisons au livre des
Rois (4 R 23, 10). - S. CHRYS. (hom. 10.) C'est pour la première fois
que le Sauveur prononce le mot d'enfer, et il ne le fait qu'après avoir
parlé de son royaume, pour nous apprendre que l'un est un don de son
amour, tandis que l'autre n'est que la punition de notre négligence et
de notre lâcheté. Il en est beaucoup qui regardent comme trop sévère
cette peine infligée pour une seule parole ; aussi quelques-uns voudraient-ils
ne voir ici qu'une hyperbole. Mais je crains qu'en nous abusant ici-bas sur
le sens des paroles, nous ne nous réservions en réalité
le dernier supplice dans l'autre vie. Ne regardez donc pas ce châtiment
comme excessif, car les paroles sont pour la plupart des hommes le principe
de leurs crimes et de leurs châtiments. Que de fois, en effet, des paroles
légères ont conduit à l'homicide ou à la destruction
de villes entières ! Et d'ailleurs estimez-vous donc une faute légère
que de traiter son frère de fou, et de le dépouiller ainsi de
la prudence, de l'intelligence, qui nous font ce que nous sommes, et nous distinguent
des animaux sans raison. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Ou bien il sera passible
du conseil, c'est-à-dire qu'il fera partie de ce conseil qui s'est déclaré
contre le Christ, interprétation qui est celle des Apôtres dans
leurs canons. S. HIL. (Can. 4.) Ou bien celui qui traite d'esprit vide son frère
qui est rempli de l'Esprit saint, méritera d'être traduit devant
le conseil des saints, qui, devenus ses juges, lui feront expier par une sentence
sévère l'outrage qu'il a fait à l'Esprit saint. - S. AUG.
(serm. sur la mont.) On me demandera peut-être quel supplice plus grave
est réservé à l'homicide, si le simple outrage est puni
par le feu de l'enfer ; je répondrai qu'il faut admettre divers degrés
dans les supplices de l'enfer. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Ou bien le jugement
et le conseil sont des peines de la vie présente, et l'enfer le châtiment
de la vie future. Jésus donne le jugement pour châtiment à
la colère, pour montrer que s'il n'est pas possible à l'homme
d'être tout à fait sans passions, il est en son pouvoir de leur
mettre un frein ; et la raison pour laquelle il n'assigne pas à la colère
de châtiment déterminé, c'est qu'il ne veut point paraître
l'interdire entièrement. Il met ici le conseil par allusion au grand
conseil des Juifs, pour ne point passer toujours pour un novateur.
S. AUG. (serm. sur la mont.) Dans ces trois sentences, il faut faire attention
aux mots qui sont sous-entendus. La première est complète et ne
laisse rien à désirer : " Celui qui se met en colère
" (sans cause selon quelques-uns) ; dans la seconde : " Celui qui
dit à son frère : raca. " il faut sous-entendre sans cause
; et dans la troisième : " Celui qui dira : Vous êtes un insensé,
" il faut sous-entendre : " à son frère et sans cause
? " C'est ainsi qu'on justifie l'Apôtre d'avoir appelé insensés
(Ga 3, 3) les Galates qu'il nomme ses frères, parce qu'il ne l'a pas
fait sans raison.
vv. 23-24.
S. AUG. (serm. sur la mont., 1, 10 ou 20.) S'il n'est pas permis de se mettre
en colère contre son frère, ni de lui dire raca ou vous êtes
un fou, à plus forte raison est-il défendu de conserver quelque
chose contre lui dans son cur, et de laisser changer en haine le premier
mouvement d'indignation. Aussi le Sauveur ajoute : " Si vous présentez
votre offrande à l'autel, et que vous vous souveniez que votre frère
a quelque chose contre vous. " - S. JER. Il ne dit pas : " Si vous
avez quelque chose contre votre frère, " mais " si votre frère
a quelque chose contre vous, " pour vous montrer combien est sévère
et pressante la nécessité de la réconciliation. - S. AUG.
(serm. sur la mont.) Notre frère a quelque chose contre nous, lorsque
nous l'avons offensé ; nous avons quelque chose contre lui, lorsque nous
sommes nous-mêmes les offensés. Dans ce dernier cas, nous n'avons
pas à provoquer une réconciliation, vous n'irez pas en effet demander
pardon à celui qui vous a outragé, il suffit que vous lui pardonniez,
comme vous désirez que Dieu vous pardonne les fautes que vous avez commises.
- S. CHRYS. (sur S. Matth.) Si c'est lui qui vous a offensé, et que vous
fassiez les premières avances, votre récompense sera grande. -
S. CHRYS. (hom. 16) Si toutefois la charité fraternelle est un motif
insuffisant de réconciliation pour quelques-uns, qu'ils songent au moins
à ne pas laisser leur oeuvre imparfaite surtout dans le lieu saint :
" Laissez-là votre offrande devant l'autel, ajoute-t-il, et allez
vous réconcilier avec votre fière. " - S. GREG. (sur Ezéchiel.)
Dieu ne veut donc pas recevoir le sacrifice des chrétiens divisés
entre eux. Jugez de là quel grand mal est la discorde, puisqu'elle force
Dieu de rejeter le moyen qu'il nous a donné pour effacer nos péchés.
S. CHRYS. (sur S. Matth.) Voyez la grandeur de la miséricorde de Dieu,
il préfère notre propre utilité aux honneurs qui lui sont
dus ; l'union des fidèles lui est plus chère que leurs offrandes
; tant qu'ils sont divisés entre eux, ni leurs sacrifices ne sont acceptés,
ni leurs prières exaucées. On ne peut être l'ami intime
de deux personnes ennemies entre elles, et Dieu lui-même ne veut pas être
l'ami des fidèles, tant qu'ils demeurent ennemis les uns des autres.
Nous ne pouvons donc rester fidèles à Dieu, en aimant ses ennemis,
en détestant ses amis. Or la réconciliation doit être de
même nature que l'offense qui a précédé. S'est-elle
bornée à une simple pensée, réconciliez-vous intérieurement
; avez-vous offensé votre frère par des paroles injurieuses, réconciliez-vous
par des paroles charitables ; avez-vous été jusqu'à des
actes outrageants, opposez-leur pour vous réconcilier des actes contraires,
car la pénitence et la réparation doivent avoir le même
caractère que le péché qui a été commis.
- S. HIL. (can. 4.) La paix étant assurée avec le prochain, le
Sauveur nous ordonne de reprendre l'oeuvre de la paix avec Dieu ; il veut que
nous nous élevions de l'amour de nos frères jusqu'à l'amour
de Dieu, et c'est pour cela qu'il ajoute : " Alors vous viendrez offrir
votre don. "
S. AUG. (serm. sur la mont.) Si cette recommandation doit être prise au
littéral, on est fondé à croire qu'elle n'est possible
qu'autant que notre frère est présent, car ce n'est pas une chose
qu'on puisse traîner en longueur, puisqu'on vous commande de laisser votre
offrande devant l'autel. Or, si cette pensée vous vient lorsque votre
frère est absent, et ce qui peut arriver, au delà des mers, il
serait absurde de croire qu'il faille laisser le sacrifice devant l'autel pour
le continuer après avoir parcouru les terres et les mers. Nous sommes
donc obligés de recourir au sens spirituel et caché de ces paroles
pour échapper à une pareille absurdité. Ainsi nous pouvons
entendre spirituellement l'autel de la foi, car quelque offrande que nous puissions
faire à Dieu, science, prière ou toute autre chose, elle ne peut
lui être agréable sans avoir la foi pour appui. Si donc vous vous
êtes rendus coupables de quelque offense envers votre frère, il
vous faut aller au-devant de la réconciliation, non par les pas du corps,
mais par l'élan du cur. C'est là que vous devez vous prosterner
aux pieds de votre frère dans un profond sentiment d'humilité,
en présence de celui à qui vous devez offrir votre sacrifice.
C'est ainsi qu'agissant en toute sincérité, vous pourrez apaiser
votre frère et lui demander votre pardon, comme s'il était présent.
Vous reviendrez ensuite, c'est-à-dire vous ramènerez votre intention
sur l'oeuvre que vous aviez commencée, et vous offrirez votre sacrifice.
v. 25.
S. HIL. (can. 4.) Le Seigneur ne veut pas qu'il y ait un seul instant de notre
vie où ne nous professions un vif amour pour la paix. Il nous commande
donc de nous réconcilier au plus tôt avec notre ennemi, tandis
que nous sommes dans le chemin de la vie, afin de ne pas arriver au moment de
la mort sans avoir fait la paix : " Accordez-vous promptement avec votre
adversaire, nous dit-il, pendant que vous êtes en chemin avec lui, de
peur que votre adversaire ne vous livre au juge. - S. JER. Dans le grec, au
lieu du mot consentiens (qui est d'accord), qui se trouve dans les exemplaires
latins, ou lit : e?????, bienveillant.
S. AUG. (serm. sur la mont.) Examinons quel est cet adversaire que Dieu nous
ordonne de traiter en ami : c'est ou le démon, ou l'homme, ou la chair,
ou Dieu, ou son commandement. Quant au démon, je ne vois pas comment
nous serions obligés de lui témoigner de la bienveillance ou du
bon accord ; car la bienveillance suppose l'amitié, et personne n'oserait
dire que nous devions rechercher celle du démon. Nous serait-il plus
avantageux de faire la paix avec celui à qui nous avons renoncé
et déclaré par là même une guerre éternelle
? Enfin, aucun accord n'est possible avec celui qui ne nous a plongés
dans tous nos malheurs que par l'union qui existait entre nous et lui. - S.
JER. Il en est cependant qui prétendent que le Sauveur nous ordonne de
nous montrer bienveillant pour le démon, en ne l'exposant point aux nouveaux
supplices que Dieu lui inflige pour nous, disent-ils, toutes les fois que nous
consentons à ses funestes inspirations. Quelques autres avancent avec
plus de réserve que chacun de nous, en renonçant au démon
dans le baptême, contracte un engagement avec lui. Si nous sommes fidèles
à cet engagement, nous sommes, avec notre adversaire, dans les termes
voulus de la bienveillance et du bon accord, et nous n'avons pas à craindre
d'être jetés dans la prison.
S. AUG. (serm. sur la mont.) Je ne vois pas non plus comment admettre que nous
serons livrés à notre juge par un homme, alors que ce juge est
le Christ devant le tribunal duquel nous devons tous comparaître. Comment
cet homme pourrait-il vous remettre entre les mains de votre juge, lui qui doit
comparaître lui-même devant son tribunal ? En supposant même
qu'un homme devienne l'adversaire de son frère en lui donnant la mort,
il ne lui est plus possible de faire la paix avec lui dans le chemin, c'est-à-dire
pendant cette vie, et cependant le repentir pourra guérir son âme.
Je comprends beaucoup moins encore qu'on nous ordonne de nous mettre d'accord
avec la chair, car ce sont surtout les pécheurs qui vivent en parfait
accord avec elle. Ceux, au contraire, qui la réduisent en servitude,
ne s'accordent pas avec la chair, mais la forcent de s'accorder avec eux. -
S. JER. Comment d'ailleurs la chair serait-elle condamnée à la
prison pour avoir été en désaccord avec l'âme, puisque
l'âme et la chair seront punies du même supplice, et que la chair
ne fait qu'obéir aux ordres de l'âme.
S. AUG. (serm. sur la mont.) Peut-être est-ce avec Dieu qu'il nous est
ordonné de nous mettre d'accord, car le péché nous sépare
de lui, et il devient notre adversaire en nous résistant, selon cette
parole : Dieu résiste aux superbes (1 P 5 ; Jc 4, 6 ; Pv 3, 34). Tout
homme donc qui, pendant cette vie, ne se sera pas réconcilié avec
Dieu par la mort de son Fils, sera livré par lui au juge, c'est-à-dire
au Fils à qui le Père a donné tout jugement. Mais comment
peut-on dire avec quelque raison que l'homme se trouve dans le chemin avec Dieu,
si ce n'est parce que Dieu est partout ? Éprouvons-nous quelque difficulté
à dire que les impies sont avec Dieu, qui est partout, comme à
dire que les aveugles sont avec la lumière qui les environne ? Il ne
nous reste plus qu'à voir dans cet adversaire le commandement de Dieu,
qui se montre contraire à ceux qui veulent pécher. Ce commandement
nous a été donné pour nous diriger dans le chemin de la
vie ; il ne faut point tarder à nous accorder avec lui, en le lisant,
en l'écoutant avec attention, en lui donnant sur nous une souveraine
autorité. Si nous comprenons en partie ce précepte, nous ne devons
pas le haïr, parce qu'il est contraire à nos péchés,
mais nous devons l'en aimer davantage, parce qu'il nous fait rentrer dans le
devoir et prier Dieu de nous révéler ce qui lui reste d'obscur
pour nous.
S. JER. Cependant les antécédents démontrent avec évidence,
ce nous semble, que le Seigneur veut nous parler ici de l'union produite par
la charité fraternelle, puisqu'il est dit plus haut : " Allez vous
réconcilier avec votre frère. " - S. CHRYS. (sur S. Matth.)
Le Seigneur nous presse de nous hâter pendant cette vie de rechercher
l'amitié de nos ennemis, car il sait quel danger nous courons, si l'un
d'eux vient à mourir avant que nous ayons fait la paix avec lui. Si la
mort vous surprend et que vous paraissiez devant votre juge dans cet état
d'inimitié, votre ennemi vous livrera au Christ et vous convaincra de
crime devant son tribunal. Vous eût-il demandé d'abord comme une
grâce de vous réconcilier, il ne laissera pas de vous livrer entre
les mains du juge, car celui qui prie son ennemi de lui accorder la paix augmente
sa culpabilité aux yeux de Dieu. - S. HIL. Ou bien votre adversaire vous
livrera au juge, parce que cette haine secrète que vous faites peser
continuellement sur lui, sera votre accusateur devant Dieu. - S. AUG. (serm.
sur la mont.) Ce juge, à mon avis, c'est le Christ, car le Père
a donné tout jugement au Fils. (Jn 5, 23.) Le ministre, c'est l'ange
de la justice de Dieu ; " Et les anges, dit l'Évangéliste,
le servaient. " (Mt 4.) Nous croyons en effet qu'au jour du jugement les
anges formeront son cortège. Voilà pourquoi il ajoute : "
Et que le juge ne vous livre au ministre. "
S. CHRYS. (sur S. Matth.) Ou bien encore ce ministre, c'est l'ange redoutable du châtiment, et c'est lui qui vous enverra dans le cachot de l'enfer signifié par ces paroles : " Et vous serez jeté en prison. " - S. AUG. (serm. sur la mont.) La prison, ce sont les peines des ténèbres, et, dans la crainte que vous ne méprisiez ce supplice, il ajoute : Je vous le dis en vérité, vous ne sortirez point de là que vous n'ayez payé jusqu'à la dernière obole. " - S. JER. L'obole est une pièce de monnaie qui vaut environ deux liards, la plus petite espèce de monnaie, et ces paroles du Sauveur veulent dire : " Vous n'en sortirez pas que vous n'ayez expié vos fautes les plus légères. " - S. AUG. Ou bien Notre-Seigneur emploie ces expressions pour nous marquer que rien ne reste impuni ; c'est ainsi que nous disons d'une chose exigée jusqu'à la rigueur, qu'on a été jusqu'à la lie. Ou bien cette dernière obole signifie peut-être les péchés de la terre, car la terre est la quatrième et la dernière partie des éléments de ce monde. Ces paroles : " Que vous n'ayez payé " signifient la peine éternelle, et l'expression jusqu'à ce que doit être prise dans le même sens que dans cette autre phrase : " Asseyez-vous à ma droite, jusqu'à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marchepied ; " car il est évident que son règne ne cessera pas lorsque ses ennemis lui seront soumis. " Vous n'en sortirez pas que vous n'ayez payé jusqu'à la dernière obole, " ce qui n'arrivera jamais, car on y paiera tout, jusqu'à la dernière obole, tant que dureront les peines éternelles dues aux péchés qui ont été commis sur la terre.
S. CHRYS.
(sur S. Matth.) Ou bien encore, si vous faites votre paix en ce monde, vous
pourrez recevoir le pardon des plus grands crimes, mais si vous êtes une
fois condamné et jeté en prison, vous serez puni, non-seulement
pour vos fautes les plus graves, mais pour une seule parole oiseuse qui peut
être signifiée par cette obole dont il est ici parlé. -
S. HIL. La charité couvre la multitude des péchés ; nous
paierons donc jusqu'à la dernière obole si, à l'aide de
cette divine charité, nous n'acquittons pas les dettes de nos péchés.
S. CHRYS. (sur S. Matth.) Ou bien encore, par cette prison, on peut entendre
les angoisses de ce monde auxquelles Dieu condamne ceux qui se livrent habituellement
au péché. - S. CHRYS. (hom. 16.) On peut dire enfin qu'il est
ici question des juges de la terre, du chemin qui conduit à leur tribunal
et des prisons d'ici-bas, car Notre-Seigneur veut produire la persuasion dans
ceux qui l'écoutent, non-seulement par les choses de l'éternité,
mais aussi par celles du temps, qui sont devant nos yeux et de nature à
nous impressionner davantage. C'est dans ce sens que saint Paul disait "
Si vous avez mal fait, craignez le pouvoir, car ce n'est pas sans raison qu'il
est armé du glaive. "
vv. 27-28
S. CHRYS. (hom. 17 sur S. Matth.) Le Sauveur procède par ordre et après
avoir développé le premier précepte : " Vous ne tuerez
pas ; " il passe au second : " Vous savez qu'il a été
dit aux anciens : " Vous ne commettrez pas d'adultère. "
S. AUG. (Des dix cordes, chap. 3, 9, 10.) C'est-à-dire vous ne vous approcherez
pas d'une autre que de votre épouse. Vous exigez de votre épouse
qu'elle observe fidèlement cette loi et vous ne l'observeriez pas à
son égard, vous qui devez lui être supérieur en vertus ?
Il est honteux pour un homme de dire : Cela m'est impossible. Comment, ce que
la femme peut faire, l'homme ne le pourrait pas ? Et ne dites pas : Je n'ai
pas d'épouse, je vais trouver une courtisane, et je ne viole pas le précepte
qui défend l'adultère ; car vous savez ce que vous valez, vous
savez ce que vous mangez et ce que vous buvez, ou plutôt vous savez quel
est celui qui devient votre nourriture et votre breuvage. Abstenez-vous donc
de toute fornication. Par la fornication et par les débordements du libertinage,
vous dégradez l'image de Dieu que vous portez en vous-même. Aussi
le Seigneur qui sait ce qui vous est utile, vous commande de ne point laisser
écrouler sous les coups dissolvants des voluptés criminelles son
temple qu'il a commencé d'élever dans votre âme.
S. AUG. (contre Fauste, 19, 23.) Mais comme les Pharisiens pensaient que la
seule union charnelle avec la femme d'autrui était défendue sous
le nom d'adultère, le Seigneur leur apprend que le désir seul
de cette union était un véritable adultère : " Mais
moi je vous dis que quiconque aura regardé une femme pour la convoiter
a déjà commis l'adultère avec elle dans son cur.
Quant à ce commandement de la loi : " Vous ne désirerez pas
la femme de votre prochain, " (Ex 20, 17 ; Dt 5, 21) les Juifs l'entendaient
de l'enlèvement de la femme d'autrui, et non de l'union charnelle.
S. JER. Il y a cette différence entre la véritable passion et
le premier mouvement qui la précède, que la passion est regardée
comme un vice réel, tandis que ce premier mouvement, sans être
entièrement innocent, n'a cependant pas un caractère aussi criminel.
Celui donc qui, à la vue d'une femme, sent un mauvais désir effleurer
son âme, éprouve les premières atteintes de la passion ;
s'il donne son consentement, la passion naissante se change en passion consommée,
et ce n'est pas la volonté de pécher qui manque à cet homme,
c'est l'occasion. Ainsi, quiconque voit une femme pour la convoiter, c'est-à-dire
la regarde dans l'intention de faire naître ce désir criminel et
de chercher à l'accomplir a commis en toute vérité l'adultère
dans son cur. - S. AUG. (serm. sur la mont., 12 ou 13) Trois choses concourent
à la consommation du péché, la suggestion, la délectation,
le consentement. La suggestion vient de la mémoire ou des sens. Si l'on
trouve du plaisir dans l'idée de la jouissance, il faut réprimer
cette délectation criminelle ; si l'on y consent, le péché
est complet. Cependant, avant le consentement, la délectation est nulle
ou légère, c'est un péché d'y consentir lorsqu'elle
est illicite ; si elle va jusqu'à la consommation de l'acte, il semble
que la passion soit rassasiée et comme éteinte. Mais que la suggestion
revienne de nouveau, la délectation renaît plus vive, bien qu'elle
soit moindre que celle qui se change en habitude, et qu'il est très difficile
de vaincre.
S. GRÉG.
(Moral., liv. 21.) Celui dont les yeux s'égarent sans précaution
sur les objets extérieurs, tombe presque toujours dans la délectation
du péché, et comme enchaîné par ses désirs,
il finit par vouloir ce qu'il ne voulait pas. C'est de tout son poids, et il
est bien lourd, que la chair nous entraîne vers les choses basses, et
une fois que notre cur est lié à cette image de la beauté
que les yeux lui ont transmise, les plus grands efforts suffisent à peine
pour l'en arracher. Il nous faut donc veiller sur nous, et songer que nous ne
devons pas regarder ce qu'il nous est défendu de désirer. Voulons-nous
conserver à notre cur la pureté de ses pensées, détournons
les yeux de toute image voluptueuse et sensuelle, sans quoi ils nous entraîneront
infailliblement au crime.
S. CHRYS. (hom. 17.) Si vous voulez fixer continuellement vos regards sur de
beaux visages vous serez pris infailliblement, quand même vous échapperiez
au mal deux ou trois fois, car vous n'êtes pas supérieur à
la nature humaine. Mais celui qui en regardant une femme, allume dans son cur
une flamme coupable, conserve dans son âme même en l'absence de
cette femme, l'image d'actions que la pudeur réprouve, et il finit presque
toujours par s'y livrer. Si une femme de son côté, se pare dans
l'intention d'attirer sur elle les regards des hommes, elle se rend digne des
châtiments éternels, alors même qu'elle n'eût blessé
personne de ses funestes coups. En effet elle a composé du poison, quoiqu'elle
n'ait trouvé personne pour le boire. Ce que Jésus-Christ dit aux
hommes, il le dit également aux femmes, car en parlant au chef, il s'adresse
à tout le corps.
v. 29.
LA GLOSE. Il ne suffit pas seulement d'éviter le péché,
il faut encore en faire disparaître l'occasion ; aussi, après nous
avoir enseigné à fuir non-seulement l'adultère consommé,
mais encore l'adultère intérieur, le Seigneur nous enseigne à
retrancher les occasions de péché, en ajoutant : " Si votre
oeil droit vous scandalise. "
S. CHRYS. (sur S. Matth.) Si d'après le roi-prophète, il n'y a
aucune partie de notre chair qui soit saine, nous devons retrancher tous les
membres de notre corps pour égaler leur châtiment à leur
malice. Mais voyons si nous devons entendre ce passage de l'oeil ou de la main
du corps. Lorsqu'un homme se convertit à Dieu, il est entièrement
mort au péché ; de même l'oeil lorsqu'il renonce aux mauvais
regards est affranchi du péché. Mais ce n'est pas la seule difficulté,
car que fait l'oeil gauche pendant que l'oeil droit vous scandalise ? Tient-il
une conduite différente pour être conservé comme innocent.
- S. JER. Cet oeil droit, cette main droite, signifient donc l'affection que
nous avons pour des frères, pour une épouse, pour des parents,
pour des proches ; si elle devient pour nous un obstacle à la contemplation
de la vraie lumière, nous devons retrancher ces parties si chères
de nous-mêmes. - S. AUG. (serm. sur la mont., 1, 43.) De même que
l'oeil est la figure de la contemplation, la main est la figure de l'action.
L'oeil est encore pour nous l'image d'un de nos amis les plus chers ; aussi
ceux qui veulent exprimer vivement leur affection disent-ils : Je l'aime comme
l'un de mes yeux. Cet ami dont l'oeil est la figure, est un ami de bon conseil,
de même que l'oeil sert à nous indiquer le chemin. C'est l'oeil
droit probablement, pour faire ressortir la force de l'amitié, car on
craint bien davantage de perdre l'oeil droit. Peut-être aussi par l'oeil
droit, faut-il entendre l'ami qui nous conseille dans l'ordre des choses divines,
et par l'oeil gauche celui qui donne des conseils sur les choses de la terre.
Le sens serait donc : Quel que soit celui que vous aimez à l'égal
de votre oeil droit, s'il vous scandalise, c'est-à-dire s'il est pour
vous un empêchement au véritable bonheur, arrachez-le et jetez-le
loin de vous. Or il n'était pas nécessaire de parler de l'oeil
gauche qui scandalise, après avoir dit qu'il ne faut pas épargner
l'oeil droit. La main droite représente l'ami qui nous aide dans les
oeuvres spirituelles, la main gauche celui qui nous prête son concours
dans les choses de la vie présente.
S. CHRYS. (sur S. Matth.) On peut dire aussi que Notre-Seigneur Jésus-Christ
veut que nous prenions garde non-seulement de nous exposer au danger personnel
de pécher, mais encore de laisser commettre des actions coupables par
ceux dont la conduite nous est confiée. Vous avez par exemple un ami
qui voit et connaît parfaitement vos affaires, comme votre oeil, ou qui
les traite comme votre propre main ; vous apprenez qu'il s'est rendu coupable
d'une action honteuse, chassez-le loin de vous, parce qu'il vous scandalise,
car nous aurons à rendre compte non-seulement de nos propres fautes,
mais encore des fautes du prochain que nous aurions pu empêcher. - S.
Hil (Can. 4.) C'est donc ici un degré d'innocence plus parfait ; nous
devons non-seulement nous abstenir de tout péché personnel, mais
encore nous garantir de ceux qui peuvent se commettre autour de nous.
S. JER. Ou bien encore, comme le Sauveur parle plus haut du désir coupable
que peut exciter la vue d'une femme, il prend ici l'oeil pour la pensée
et le sentiment qui s'égarent sur divers objets ; la main droite et les
autres parties du corps expriment les premiers mouvements de la volonté
et de la passion. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Cet oeil du corps est le miroir
de l'oeil intérieur ; le corps a aussi un sens qui lui est propre, c'est
l'oeil gauche, et son appétit est figuré par la main gauche. Les
facultés de l'âme sont désignées par la droite, parce
que l'âme a été créée avec le libre arbitre
et sous la loi de justice, pour juger et se conduire avec droiture. Le corps
qui n'a pas la liberté en partage, et qui est sous la loi du péché,
nous est représenté par la main gauche. Or on ne nous commande
pas de retrancher les sensations ou les appétits de la chair, car nous
pouvons réprimer ses désirs et ne pas les satisfaire, tandis que
nous ne pouvons empêcher la chair de manifester ces désirs. Lorsque
de propos délibéré nous pensons, nous voulons le mal, c'est
notre sens droit, c'est notre volonté droite qui nous scandalise, et
il nous est commandé de les retrancher, ce que nous pouvons faire à
l'aide du libre arbitre. Ou bien encore dans un autre sens nous devons nous
abstenir de toute bonne action qui devient un scandale pour nous ou pour les
autres. Ainsi je fais visite à une femme pour un motif de religion, mon
intention est bonne, c'est l'oeil droit. Mais si mes visites trop assidues me
font tomber dans le piége du désir, ou deviennent un scandale
pour ceux qui en sont témoins, c'est l'oeil droit qui scandalise, c'est
le bien qui scandalise, car l'oeil droit c'est le bon regard, c'est la bonne
intention, comme la main droite est la bonne volonté. - LA GLOSE. On
peut dire encore que l'oeil droit c'est la vie contemplative qui peut devenir
un objet de scandale soit en nous jetant dans la paresse ou dans l'orgueil,
soit parce que notre faiblesse nous empêche de nous élever jusqu'à
la pure vérité. La main droite figure les bonnes oeuvres ou la
vie active qui peut nous scandaliser en nous faisant tomber dans le piége
que nous tendent la fréquentation du monde et l'ennui des occupations.
Que celui donc qui ne peut goûter le bienfait de la vie contemplative
ne se laisse pas gagner par la langueur au milieu de la vie active, dans la
crainte qu'en se livrant aux occupations extérieures, il laisse se dessécher
la douceur intérieure de son âme.
REMI. Mais pourquoi faut-il arracher l'oeil droit ; pourquoi faut-il couper
la main droite ? Le Sauveur nous en donne la raison. " Car il vaut mieux
pour vous qu'un de vos membres périsse. " - S. CHRYS. (sur S. Matth.)
Nous sommes les membres les uns des autres, il vaut donc mieux pour nous que
nous soyons sauvés sans telle bonne intention, ou sans telle bonne oeuvre
que de nous perdre avec toutes ces bonnes oeuvres pour avoir voulu les accomplir
toutes sans exception.
vv. 30-31.
LA GLOSE. Le Sauveur venait d'enseigner que l'on ne devait pas désirer
la femme de son prochain ; il défend ici de renvoyer sa propre épouse
: " Il a été dit : Quiconque renvoie son épouse doit
lui délivrer un acte de répudiation, " etc. - S. JER. Plus
tard le Sauveur expliquera plus à fond ce passage, en faisant voir que
si Moïse a commandé aux maris à cause de la dureté
de leur cur de donner un acte de répudiation, ce n'est pas pour
légitimer le divorce, mais pour prévenir l'homicide. - S. CHRYS.
(sur S. Matth.) Lorsque Moïse délivra les Israélites de l'Egypte,
ils étaient enfants d'Israël par leur naissance, mais Égyptiens
par leurs moeurs. Or par suite de ces moeurs idolâtres il arrivait souvent
qu'un homme concevait de la haine pour sa femme, et comme il ne lui était
pas permis de la renvoyer, il était porté ou à la mettre
à mort, ou à la fatiguer de mauvais traitements. Il fit donc une
obligation au mari de donner un certificat de répudiation, non comme
d'une chose bonne en soi, mais comme d'un remède à un mal plus
grand. - S. HIL. (Can. 4.) Mais le Seigneur voulant assurer à tous les
bienfaits de l'équité, veut qu'elle règne surtout dans
l'union conjugale pour la paix des époux ; il ajoute donc : " Et
moi, je vous dis que quiconque aura renvoyé son épouse, "
etc. etc. - S. AUG. (cont. Faust., 19, 26.) Le commandement que fait ici le
Seigneur de ne pas renvoyer son épouse, n'est pas contraire aux prescriptions
de la loi, comme le prétendent les Manichéens, car la loi ne disait
pas : Que celui qui le voudra renvoie son épouse (le contraire alors
serait de ne pas la renvoyer). Loin de vouloir le renvoi de la femme par le
mari, la loi apportait tous les retards possibles à cette mesure afin
que les esprits trop prompts à vouloir le divorce fussent arrêtés
par la nécessité de l'acte de répudiation, difficulté
d'autant plus grande que chez les Juifs, il n'était permis de faire les
actes en langue hébraïque, qu'aux seuls Scribes qui faisaient profession
d'une sagesse plus parfaite (cf. Esd 7, 6.21). C'est donc aux Scribes que la
loi renvoyait celui qui voulait se séparer de sa femme, en leur ordonnant
de donner l'écrit de répudiation, dans l'espérance que
leur entremise pacifique ramènerait la concorde entre les deux époux,
et que l'acte de répudiation serait inutile, à moins que leurs
mauvaises dispositions ne rendissent impossible tout moyen de réconciliation.
Notre-Seigneur n'accomplit donc pas ici, en y ajoutant, la loi donnée
aux premiers hommes ; il ne détruit pas davantage la loi donnée
par Moïse, en lui opposant une loi contraire, comme le disent les Manichéens
; mais il confirme toutes les prescriptions de la loi hébraïque,
et tout ce qu'il paraît y ajouter personnellement ne tend qu'à
en expliquer les obscurités, ou bien à garantir plus sûrement
l'observation de ses prescriptions.
S. AUG. (serm. sur la mont., 25.) En cherchant à entraver le renvoi de
la femme, Notre-Seigneur a fait comprendre autant qu'il a pu aux hommes les
plus durs, qu'il réprouvait le divorce. Pour confirmer ce principe que
le renvoi lui-même ne doit pas avoir lieu facilement, il ne lui reconnaît
qu'un seul motif, la seule cause de fornication : " Si ce n'est pour cause
de fornication. " Quant aux autres peines du mariage, quelque multipliées
qu'elles soient, il veut qu'on les supporte avec courage dans l'intérêt
de la foi conjugale. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Si nous sommes obligés
de supporter les défauts de ceux qui nous sont étrangers, d'après
ces paroles de saint Paul : " Portez les fardeaux les uns des autres, "
à combien plus forte raison les défauts de nos épouses
? Or un chrétien doit non-seulement éviter ce qui peut souiller
son âme, mais encore ce qui serait pour les autres une occasion de se
souiller eux-mêmes, car alors le crime d'autrui viendrait s'ajouter à
son propre péché, parce qu'il en a été la cause
directe. Celui donc qui en renvoyant son épouse devient une cause d'adultère,
en exposant sa femme et celui qui la prend à commettre un double adultère,
sera condamné lui-même pour ces mêmes fautes : et c'est pour
cela qu'il est dit : " Celui qui renvoie son épouse la fait devenir
adultère. " - S. AUG (serm. sur la mont.) Plus loin Notre-Seigneur
déclare également adultère l'homme qui prend la femme renvoyée
par son mari, eût-elle un écrit de répudiation ; "
celui : ajoute-t-il, qui prend la femme qui aura été renvoyée,
devient adultère. " - S. CHRYS. (hom. 47 sur S. Matth.) Ne dites
donc pas que son mari l'a renvoyée, car même après ce renvoi,
elle ne cesse pas d'être son épouse.
S. AUG (serm. sur la mont.) L'Apôtre a déterminé les limites
de ce précepte en déclarant qu'il a force de loi pendant toute
la vie du mari (1 Co 7, 39) ; mais après sa mort, la femme recouvre le
droit de se marier. S'il n'est pas permis à une femme de s'unir à
un autre du vivant du mari qu'elle a quitté, combien plus lui est-il
défendu d'entretenir avec n'importe qui un commerce criminel ? Ce n'est
pas d'ailleurs enfreindre le précepte qui défend de renvoyer son
épouse que de la garder chez soi en n'ayant avec elle que des relations
toutes spirituelles ; car les mariages où la continence est gardée
d'un mutuel accord sont les plus heureux. (chap. 16 ou 26.) Ici se présente
une question : le Seigneur permet au mari de renvoyer son épouse pour
cause de fornication ; que faut-il entendre par là ? Est-ce simplement
la fornication dont on se rend coupable en se livrant à un commerce infâme
? Ou bien est-ce cette fornication plus générale que les Écritures
appliquent à toute corruption criminelle de l'âme, comme l'avarice,
l'idolâtrie, et toute transgression de la loi produite par la concupiscence
qu'elle condamne ? Or si l'apôtre permet de renvoyer l'épouse infidèle,
quoiqu'il soit mieux de ne pas le faire (1 Co 7), et que d'un autre côté
le Seigneur n'admette d'autre cause de renvoi que la fornication, l'infidélité
est donc une véritable fornication. Mais puisque l'infidélité
est une fornication, l'idolâtrie une infidélité, et l'avarice
une idolâtrie, nul doute que l'avarice elle-même ne soit une véritable
fornication. Et si l'avarice est une fornication, qui pourra ôter à
une concupiscence coupable, quelle qu'elle soit, le caractère de fornication
? - S. AUG. (Retract. 1, 19). Je ne veux pas cependant que, dans une matière
aussi difficile, le lecteur croie que l'examen que nous venons de faire de cette
question doive lui suffire. En effet, tout péché n'est pas une
fornication spirituelle, et Dieu ne perd pas tout homme qui l'offense, lui qui
exauce tous les jours cette prière de ses Saints : " Pardonnez-nous
nos offenses, " tandis qu'il perd celui qui se rend coupable de fornication
à son égard (Ps 62, 27). Or est-il permis de renvoyer son épouse
pour une fornication de ce genre ? C'est une question fort obscure : Quant à
la fornication qui déshonore le corps il ne peut y avoir de difficulté.
- S. AUG. (Liv. des 83 Quest., Quest. dern.) Si l'on soutient que le Seigneur
n'admet d'autre cause de répudiation que la fornication qui consiste
dans l'union coupable des corps, on peut dire que cette défense s'applique
aux deux époux, de sorte qu'il n'est permis à aucun des deux de
se séparer de l'autre, si ce n'est pour cause d'adultère.
S. AUG. (serm. sur la mont., 1, 16.) La permission que donne ici le Seigneur
de renvoyer une épouse coupable d'adultère s'étend encore
au renvoi qu'un mari fait de son épouse, au moment où il va être
forcé de commettre un adultère : car alors il la renvoie pour
cause de double fornication ; pour cause de fornication du côté
de son épouse, parce qu'elle s'y est livrée ; pour cause de fornication
de son côté, afin de s'en préserver lui-même. - S.
AUG. (De la foi et des oeuvres, chap. 16.) Un mari peut renvoyer aussi légitimement
une femme qui lui dirait : Je ne serai votre épouse qu'à la condition
que vous m'enrichirez par le vol, ou qui exigerait des jouissances qui feraient
le crime et le déshonneur de son mari. L'homme à qui sa femme
tiendra un pareil langage n'hésitera pas, s'il est vraiment chrétien,
à retrancher ce membre qui le scandalise. - S. AUG. (serm. sur la mont.)
Mais c'est une souveraine injustice pour un mari que de renvoyer sa femme pour
cause de fornication s'il peut-être convaincu d'être lui-même
un fornicateur ; car alors il est sous le coup de ces paroles : " En condamnant
les autres, vous vous condamnez vous-même. " Quant à ces autres
paroles du Sauveur : " Et celui qui épouse celle que son mari aura
quittée commet un adultère, " on peut demander si cette femme
est coupable d'adultère au même degré que celui qui l'épouse
; car l'Apôtre lui ordonne de rester sans se marier, ou de se réconcilier
avec son mari ; si elle en reste séparée, elle doit demeurer libre
de nouveaux liens. Or, il importe beaucoup de savoir si elle a quitté
d'elle-même son mari, ou si elle en a été renvoyée.
Si c'est elle-même qui s'est séparée de son mari et qu'elle
en ait épousé un autre, elle paraît n'avoir agi que par
le désir de contracter un second mariage, désir qui est un véritable
adultère. Au contraire, a-t-elle été renvoyée par
son mari, l'homme et la femme s'unissant d'un commun consentement, on ne voit
pas même dans ce cas pourquoi l'un serait adultère, à l'exclusion
de l'autre. Ajoutez que s'il y a péché d'adultère pour
celui qui s'unit à la femme renvoyée par son mari, c'est elle-même
qui le rend adultère, ce qui est formellement défendu par le Seigneur.
vv. 33-37
LA GLOSE. Le Seigneur avait défendu précédemment toute
injustice contre le prochain, la colère aussi bien que l'homicide, le
désir en même temps que l'adultère, et le renvoi de l'épouse
avec un acte de répudiation. Il défend maintenant toute injustice
contre Dieu, en interdisant non-seulement le parjure comme un mal, mais encore
le serment comme pouvant être occasion de péché : "
Vous avez appris qu'il a été dit aux anciens : " Vous ne
ferez pas de parjure. " On lit en effet dans le Lévitique (Lv 19,
12) : " Vous ne commettrez pas de parjure en mon nom, afin que les hommes
ne fussent pas exposés à regarder les créatures comme des
dieux. Dieu avait ordonné de faire tous les serments en son nom, et défendu
de jurer par les créatures. C'est le sens de ces paroles : " Vous
vous acquitterez envers le Seigneur des serments que vous avez faits ; "
c'est-à-dire, s'il vous arrive de faire un serment, vous le ferez au
nom du Créateur, et non pas au nom des créatures. C'est ce qui
est écrit au Deutéronome (Dt 6, 13) : " Vous craindrez le
Seigneur votre Dieu, et vous ne jurerez qu'en son nom. "
S. JER. La loi leur fit cette concession comme à un peuple encore dans
l'enfance ; elle leur permit de jurer au nom de Dieu, par la même raison
qu'ils devaient lui offrir des victimes pour éviter de les immoler aux
idoles. Elle ne regardait pas ces serments comme une chose bonne par elle-même,
mais elle aimait mieux qu'on les fit au nom de Dieu qu'au nom des idoles. -
S. CHRYS, (sur S. Matth.) L'habitude de faire des serments fait infailliblement
tomber dans le parjure, de même que l'habitude de trop parler expose nécessairement
à dire des choses déplacées.
S. AUG. (contre Fauste, 19, 22.) Comme le parjure est un péché
grave, et qu'on y est beaucoup moins exposé en ne jurant pas du tout,
qu'en ayant l'habitude d'affirmer la vérité sous serment, le Seigneur
a mieux aimé que nous restions dans la vérité sans recourir
au serment, que de nous exposer au parjure en jurant même selon la vérité.
Aussi ajoute-t-il : " Pour moi je vous dis : Ne jurez pas du tout. "
- S. AUG. (serm. sur la mont.) En cela il confirme la justice des Pharisiens
qui condamnaient le parjure, car on ne se parjure pas quand on ne fait aucun
serment. Mais comme jurer c'est prendre Dieu à témoin, il nous
faut expliquer comment l'Apôtre n'a point enfreint ce précepte,
lui que nous voyons souvent recourir à cette espèce de serment,
par exemple : " Je prends Dieu à témoin que je ne vous mens
point en tout ce que je vous écris ; " et encore : " Dieu m'en
est témoin, lui que je sers en esprit. " Dira-t-on que le serment
qui est défendu consiste à jurer directement par un être
quelconque et que l'Apôtre ne jure ici en aucune façon, puisqu'il
ne dit point : " Par Dieu, " mais simplement : " Dieu m'est témoin
? " Ce serait là une explication ridicule. D'ailleurs, on doit se
rappeler que saint Paul a fait des serments même de cette sorte lorsqu'il
a dit : " Je meurs tous les jours par votre gloire, mes frères.
" (1 Co 15.) Et on ne peut interpréter ces paroles en ce sens :
Votre gloire me fait tous les jours mourir, car les textes grecs prouvent à
l'évidence que c'est là une véritable formule de serment.
S. AUG. (contre le Mens.) Il y a dans les paroles de l'Écriture bien
des choses que nous ne pouvons comprendre ; la vie des saints nous apprend alors
comment nous devons entendre ces passages dont on pourrait facilement détourner
le sens, si leurs exemples ne nous en donnaient la véritable signification.
Ainsi l'Apôtre, en employant le serment dans ses Epîtres, nous apprend
comment nous devons expliquer ces paroles : " Pour moi, je vous dis de
ne pas jurer du tout, " dans la crainte qu'en employant le serment on n'y
recoure avec trop de facilité, que cette facilité n'entraîne
l'habitude, et que l'habitude ne fasse tomber dans le parjure. Aussi ne fait-il
usage du serment qu'en écrivant, alors qu'une réflexion plus attentive
met en garde contre la précipitation de la langue. Et cependant le Seigneur
nous dit de ne point jurer du tout, et il n'a pas fait d'exception en faveur
de ceux qui écrivent. Mais comme on ne peut sans crime accuser saint
Paul de la violation d'un précepte divin, surtout dans des lettres écrites
pour l'édification des peuples, il faut entendre cette expression "
pas du tout " dans ce sens : " Autant qu'il vous sera possible. "
Vous ne devez ni affecter ni désirer avec un certain plaisir de recourir
au serment, comme s'il s'agissait d'une bonne action. - S. AUG. (contre Fauste,
19, 23.) L'Apôtre fait usage du serment dans des épîtres
où l'attention est plus scrupuleuse ; il ne faut donc pas croire que
l'on pèche en jurant pour la vérité, mais comprendre qu'en
nous abstenant du serment nous préservons plus sûrement notre fragilité
du parjure.
S. JER. Remarquez enfin que le Sauveur n'a pas défendu de faire des serments
au nom de Dieu, mais de jurer par le ciel, par la terre, par Jérusalem
et par votre tête. On sait que les Juifs ont toujours eu cette détestable
habitude de jurer par les éléments. Or, celui qui jure aime celui
au nom duquel il fait serment, et les Juifs qui juraient par les anges, par
la ville de Jérusalem, par le temple et par les éléments,
rendaient à ces créatures l'honneur qui n'est dû qu'à
Dieu, alors que dans la loi il est ordonné de ne jurer que par le nom
du Seigneur notre Dieu. - S. AUG. (serm. sur la mont., 31, 31 ou 17.) Notre-Seigneur
ajoute peut-être ces mots : " Ni par le ciel, " etc., parce
que les Juifs ne regardaient pas comme obligatoires les serments qu'ils faisaient
par les choses inanimées ; il leur dit donc : lorsque vous jurez par
le ciel et par la terre, n'allez pas croire que vous n'êtes pas redevables
à Dieu de vos serments, car vous avez évidemment juré par
celui qui a le ciel pour trône et la terre pour marchepied. Ces expressions
ne signifient pas évidemment que Dieu repose ses membres dans le ciel
et sur la terre, comme lorsque nous nous asseyons nous-mêmes ; le trône
de Dieu signifie le jugement de Dieu. Le ciel est sans contredit la plus grande
partie de l'univers créé ; on dit donc que Dieu est assis dans
les cieux comme s'il y manifestait sa présence par une plus grande magnificence,
et qu'il foule la terre aux pieds parce qu'il l'a placée au dernier rang,
comme la partie la moins brillante de la création. Dans le sens spirituel,
le ciel signifie les âmes saintes, et la terre les pécheurs, parce
que l'homme spirituel juge toutes choses (1 Co 2, 15) et que Dieu a dit au pécheur
: " Tu es terre et tu retourneras en terre. " D'ailleurs, celui qui
veut demeurer dans la loi est nécessairement soumis à la loi,
et c'est avec raison qu'il est appelé : " L'escabeau de ses pieds.
" Notre-Seigneur ajoute : " Ni par Jérusalem, parce qu'elle
est la ville du grand Roi, " expression plus convenable que s'il avait
dit : " La ville qui est à moi, " bien qu'il le dise en termes
équivalents. Or, comme il est en même temps le Seigneur, c'est
donc à lui qu'on est redevable des serments que l'on fait par Jérusalem.
Il ajoute enfin : " Vous ne jurerez pas non plus par votre tête.
" Que peut-on imaginer qui nous appartienne davantage que notre tête
? Mais comment serait-elle à nous, puisque nous n'avons pas le pouvoir
d'en rendre un seul cheveu blanc ou noir ? C'est la raison que donne le Sauveur
: " Parce que vous n'en pouvez faire un seul cheveu blanc ou noir. "
Celui donc qui veut jurer par sa tête est redevable à Dieu de son
serment et ainsi des autres serments de même nature.
S. CHRYS. (hom. 17.) Remarquez que si le Sauveur relève ainsi les éléments
du monde créé, ce n'est pas en vertu de leur excellence naturelle,
mais à cause des liens qui les rattachent à Dieu, pour ne point
donner lieu à l'idolâtrie. - RAB. Après avoir prohibé
le serment, il nous enseigne comment nous devons nous exprimer : " Que
votre discours soit : Cela est, cela est, cela n'est pas, cela n'est pas ; "
c'est-à-dire, il suffit de dire d'une chose qui est, cela est ; et cela
n'est pas, d'une chose qui n'est pas. Peut-être l'affirmation et la négation
sont-elles répétées ici deux fois pour nous apprendre à
prouver par nos oeuvres la vérité de ce que notre bouche affirme,
et à ne point confirmer par nos actes ce que nos paroles auraient nié.
- S. HIL. (Can. 4.) Ou bien encore, il n'est nul besoin de serment pour ceux
qui vivent dans la simplicité de la foi, car avec eux, ce qui est est
toujours vrai et ce qui ne l'est pas ne l'est pas, et ainsi tout en eux, parole
et action est dans la vérité.
S. JER. La vérité évangélique n'admet donc pas de
serment, puisque toute parole d'un chrétien équivaut à
un serment. - S. AUG. (serm. sur la mont.) Aussi celui qui comprend que la vérité
seule ne suffit pas pour légitimer l'usage du serment, s'il n'est d'ailleurs
nécessaire, doit s'imposer un frein pour n'y recourir que dans le cas
de nécessité, lorsqu'il voit par exemple des hommes peu disposés
à croire des choses qui leur sont utiles, si on ne les affirme sous le
serment. Ce qui est bien, ce qui est désirable est exprimé par
ces mots : " Contentez-vous de dire : Cela est, cela est, ou cela n'est
pas, cela n'est pas, ce qui est de plus vient du mal ; " c'est-à-dire
que la nécessité où vous êtes de jurer vient de la
faiblesse de ceux que vous voulez persuader, faiblesse qui est un mal. Aussi
le Sauveur ne dit pas : " Ce qui est au delà est mal, " car
vous ne faites point mal en faisant usage du serment pour persuader à
un autre ce qu'il lui importe de savoir, mais " cela vient du mal, "
c'est-à-dire de la mauvaise disposition de cet homme dont la faiblesse
vous force de recourir au serment. " - S. CHRYS. (hom. 12). Ou bien cela
vient du mal, c'est-à-dire de l'infirmité de ceux à qui
la loi permet de jurer. En s'exprimant de la sorte, Notre-Seigneur ne dit pas
que la loi ancienne est l'oeuvre du démon, mais il nous fait passer de
l'état ancien si imparfait à une nouveauté bien plus parfaite.
vv. 39-42.
LA GLOSE. Après avoir interdit toute injustice contre le prochain, toute
irrévérence envers Dieu, le Seigneur nous enseigne comment un
chrétien doit se conduire à l'égard de ceux qui lui font
quelque injure " Vous avez appris ce qui a été dit : "
oeil pour oeil, dent pour dent (Ex 21, 24 ; Lv 24, 20 ; Dt 19, 21). " -
S. AUG. (contre Fauste, 19, 25). Ce commandement a été donné
pour éteindre le feu de ces haines violentes qui éclataient entre
des ennemis acharnés les uns contre les autres, et pour mettre un frein
à des colères sans mesure. Car quel est celui qui se contente
d'une vengeance égale seulement à l'injure qu'il a reçue
? Ne voyons-nous pas au contraire des hommes légèrement offensés
tramer le meurtre, avoir soif du sang et trouver à peine de quoi l'assouvir
dans les maux dont ils accablent leurs ennemis ? C'est à cette vengeance
aussi excessive qu'elle est injuste que la loi a posé de justes bornes
en créant la peine du talion, qui mesure rigoureusement le châtiment
à l'offense. Le but de cette loi n'est pas de dominer une nouvelle force
à la fureur, mais de la contenir et de la réprimer ; ce n'est
pas de rallumer une flamme assoupie, mais de circonscrire celle qui brûlait
déjà. En effet, la vengeance, réglée ici par la
justice, ne dépasse pas les droits que l'injure donne à celui
qui en est offensé. Il peut céder ce qui lui est dû, et
c'est bonté de sa part ; mais il peut le demander sans injustice. Or,
comme il y a péché à poursuivre une vengeance sans mesure
tandis qu'il n'y en a aucun à ne vouloir qu'une vengeance modérée
; il est évident que celui qui refuse toute vengeance est le moins exposé
à pécher, et c'est pourquoi Notre-Seigneur ajoute : " Et
moi, je vous dis de ne pas résister au mal. " Je pourrais traduire
ainsi ces paroles " Il a été dit aux anciens : Vous ne vous
vengerez pas injustement ; pour moi, je vous dis : Ne vous vengez pas (ce qui
est vraiment accomplir la loi), " si ces paroles paraissaient être
dans la pensée du Christ un complément de la loi. Mais il est
plus naturel de penser qu'il n'a eu d'autre but que celui même que se
proposait la loi de Moïse, c'est-à-dire qu'il recommande de ne se
venger en aucune manière, afin d'être plus assuré d'observer
ce précepte et de ne pas dépasser les bornes d'une légitime
vengeance. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Sans ce nouveau commandement, celui de
la loi de Moïse ne peut se soutenir, car si nous usons de cette concession
de la loi pour rendre à tous le mal pour le mal, nous deviendrons tous
mauvais, parce que ceux qui nous persécutent sont malheureusement très
nombreux ; tandis que si, d'après le précepte du Christ, on ne
résiste pas au mal, les bons restent bons, quand bien même ils
ne pourraient adoucir les méchants. - S. JER. Le Seigneur, en nous ôtant
le droit de nous venger, tranche donc jusqu'à la racine du péché
; dans la loi, la faute est corrigée ; ici, les commencements mêmes
du péché sont détruits.
LA GLOSE. On peut dire aussi que par ces paroles le Seigneur ajoute quelque
chose à la justice de l'ancienne loi. - S. AUG. (serm. sur la mont.)
La justice des Pharisiens qui s'appliquait à ne point dépasser
la mesure de la vengeance, est une justice imparfaite, et c'est le commencement
de la réconciliation et de la paix ; mais la justice parfaite est de
s'interdire toute vengeance. Aussi entre cet excès que la loi condamne,
de rendre plus de mal qu'on n'en a reçu, et la perfection dont le Sauveur
fait un précepte à ses disciples, et qui consiste à ne
pas rendre le moindre mal à ceux qui nous en ont fait, nous trouvons
ce moyen terme qui ne rend que le mal qu'on a reçu. Et c'est par ce moyen
terme que le monde a passé de la plus grande division à l'accord
le plus parfait. En effet, si vous prenez l'initiative de l'offense, vous commettez
une souveraine injustice ; si, sans avoir commencé, vous tirez de votre
ennemi une vengeance supérieure à l'offense, vous n'atteignez
pas tout à fait le même degré d'iniquité. Si vous
ne rendez que le mal que vous avez reçu, vous vous montrez tant soit
peu généreux ; car celui qui a commencé le premier mérite
un châtiment supérieur à l'offense dont il s'est rendu coupable.
Mais le Sauveur qui est venu accomplir la loi a porté à sa perfection
cette justice ébauchée, exempte de sévérité,
et où l'on sent déjà la miséricorde. Quant aux deux
degrés intermédiaires, il nous les laisse à comprendre.
Car il en est qui tirent une vengeance légère pour une grave offense,
et c'est par ce degré qu'on arrive à ne pas se venger du tout.
Mais c'est trop peu encore pour le Seigneur, il veut que vous soyez disposé
à en supporter davantage. Aussi nous recommande-t-il non-seulement de
ne pas rendre le mal pour le mal, mais de ne pas résister au mal, etc.,
c'est-à-dire non-seulement de ne pas rendre le mal qui nous aurait été
fait, mais encore de ne pas empêcher celui qu'on voudrait nous faire.
C'est ce que signifient ces paroles : " Si quelqu'un vous frappe sur la
joue droite, présentez-lui aussi la gauche. " C'est donc un acte
de miséricorde et de condescendance que le Sauveur demande, et c'est
ce que comprennent parfaitement ceux qui acceptent d'être comme les serviteurs
de personnes qui leur sont chères, par exemple, des enfants, ou de ceux
qui sont atteints de frénésie. Que n'ont-ils pas à en souffrir,
et si leur bien le demande, ils sont disposés à en supporter encore
davantage. Le Seigneur souverain médecin des âmes enseigne donc
ici à ses disciples à supporter les infirmités de ceux
dont ils veulent sauver les âmes, car toute méchanceté vient
de la faiblesse de l'esprit, et personne n'est plus inoffensif que celui qui
pratique la vertu dans sa perfection. - S. AUG. (Du mensonge.) La conduite que
les Saints ont tenue sous la loi nouvelle sert à nous faire comprendre
les exemples de l'Écriture qui nous sont présentés sous
forme de préceptes, comme lorsque nous lisons dans l'Évangile
: " Vous avez reçu un soufflet, présentez l'autre joue. "
(Lc 6). Nous ne pouvons certainement trouver de plus parfait exemple de patience
que l'exemple du Seigneur lui-même : Or lorsqu'il eut reçu un soufflet
dans sa passion, il ne dit pas : " Voici l'autre joue, " mais : "
Si j'ai mal parlé, faites voir le mal que j'ai dit : et si j'ai bien
parlé, pourquoi me frappez-vous ? " Cet exemple nous prouve que
c'est intérieurement qu'il faut être disposé à présenter
l'autre joue. - S. AUG. (serm. sur la mont.) En effet, Notre-Seigneur était
disposé non-seulement à recevoir un soufflet sur l'autre joue
pour le salut des hommes, mais à voir son corps tout entier attaché
à la croix. Mais que signifie cette joue droite ? C'est au visage que
l'on reconnaît un homme ; être frappé au visage c'est donc
d'après l'Apôtre devenir l'objet du dédain et du mépris.
Mais on ne peut distinguer le visage en visage droit et en visage gauche, et
cependant on peut avoir une double dignité, l'une selon Dieu, l'autre
selon le monde, de là cette distinction de joue droite et de joue gauche,
distinction qui apprend à tout disciple de Jésus-Christ qui voit
mépriser en lui son caractère de chrétien à se montrer
disposé à souffrir les mépris qui tomberaient sur les honneurs
temporels dont il peut être revêtu. Toutes les offenses auxquelles
nous sommes exposés peuvent se diviser en deux classes, les offenses
qu'on ne peut réparer, les offenses qui peuvent l'être. Or c'est
justement dans les offenses où la réparation n'est pas possible,
qu'on cherche ordinairement la consolation de la vengeance. On vous a frappé,
à quoi vous sert de rendre le coup que vous avez reçu ? Avez-vous
guéri par là la blessure qu'on a pu faire à votre corps
? Non sans doute, il n'y a qu'une âme où la colère déborde
qui puisse désirer de pareils adoucissements. - S. CHRYS. (sur S. Matth.)
En rendant à votre ennemi le coup que vous avez reçu, l'avez-vous
apaisé et amené à ne plus vous frapper ? Bien au contraire,
vous l'avez excité à vous porter de nouveaux coups, car la colère
loin de calmer la colère ne sert qu'à l'irriter davantage. - S.
AUG. (serm. sur la mont., 10, 19, 20, ou 37, 38.) Aussi le Seigneur veut-il
que nous supportions cette faiblesse de la colère du prochain dans un
vrai sentiment de compassion, plutôt que de chercher dans son châtiment
un adoucissement à la nôtre. Et cependant il ne défend pas
ici la vengeance qui a pour but la correction du prochain, car elle fait partie
de la miséricorde et se concilie très bien avec la disposition
de souffrir encore davantage de celui qu'on veut corriger. Celui qui est revêtu
du pouvoir légitime doit nécessairement tirer vengeance des crimes
commis ; mais il doit le faire avec le cur d'un père qui ne peut
haïr son enfant. De saints personnages ont puni de mort certains crimes
pour inspirer aux vivants une crainte salutaire, et alors ce n'était
pas la mort qui était préjudiciable à ceux qui étaient
punis, mais bien leur péché, qui aurait pu s'aggraver s'ils avaient
continué de vivre. C'est ainsi qu'Élie en frappa plusieurs de
mort (cf. 3 R 18, 40 ; 4 R 1, 10 ; Lc 9, 54), et les disciples de Jésus-Christ
ayant voulu s'autoriser de cet exemple, le Seigneur les reprit, en blâmant
non pas l'action du prophète, mais l'ignorance qui les poussait à
se venger, et en leur faisant remarquer que ce n'était pas l'amour de
la correction fraternelle, mais la haine qui excitait en eux le désir
de la vengeance. Mais après même qu'il leur eut enseigné
la loi de charité et qu'il eut répandu l'Esprit saint dans leurs
âmes, on vit encore de semblables vengeances ; c'est ainsi que la parole
de Pierre fit tomber morts à ses pieds Ananie et sa femme, et que l'apôtre
saint Paul livra un homme à Satan pour mortifier sa chair. C'est pourquoi
je ne puis comprendre le déchaînement aveugle de quelques-uns contre
les châtiments corporels que nous voyons dans l'Ancien Testament, dans
l'ignorance où ils sont de l'esprit et l'intention qui les a fait infliger.
S. AUG. Quel est l'homme de bon sens qui oserait dire aux rois : " Qu'un
de vos sujets choisisse d'être religieux ou impie, cela ne vous regarde
pas ? On ne peut leur dire davantage : Que dans votre royaume on soit débauché
ou de moeurs pures, vous n'avez pas à vous en occuper. " Sans doute
il vaut mieux amener les hommes à la pratique de la religion par l'instruction
que par des peines coercitives, mais cependant nous pourrions prouver par l'expérience
que pour plusieurs il a été fort utile d'être forcés
par la peine ou par la crainte à se faire instruire ou à pratiquer
ce qu'on leur avait déjà enseigné. Ceux qui se laissent
conduire par l'amour sont évidemment les meilleurs, mais c'est le plus
grand nombre qu'on ne ramène que par la crainte. C'est la conduite que
Jésus-Christ tient à l'égard de saint Paul : il le dompte
d'abord par la force avant de le soumettre par ses divines leçons. -
S. AUG. (serm. sur la mont.) Un chrétien veut-il observer la juste mesure
de vengeance qui lui est ici permise, lorsqu'il a reçu quelque outrage
de ce genre, que la haine n'entre pas dans son cur, qu'il soit disposé
à souffrir encore davantage, et qu'en même temps il ne néglige
pas de se servir de l'influence du conseil ou de l'autorité pour faire
rentrer son frère dans le devoir.
S. JER. Dans le sens mystique, lorsqu'on nous frappe sur la joue droite, nous
devons présenter non pas la joue gauche, mais l'autre joue (cf. Pv 4,
27 ; Qo 10, 2 ; Mt 6, 3), car le juste n'a pas de gauche. Par exemple, si un
hérétique nous frappe dans la discussion, et qu'il veuille porter
atteinte au sens droit d'une vérité dogmatique, nous devons lui
opposer un autre témoignage semblable tiré de l'Écriture.
S. AUG. (serm. sur la mont.) Il est un autre genre d'injures qui peuvent se
réparer complètement : elles sont de deux espèces, l'une
s'attaque à l'argent, l'autre consiste dans les actions outrageantes.
C'est de la première des deux dont Notre-Seigneur ajoute : " Si
quelqu'un veut plaider contre vous pour vous prendre votre robe, abandonnez
lui encore votre manteau. " Or de même que le soufflet reçu
sur la joue exprime tous les outrages qui ne peuvent être réparés
que par le châtiment, ainsi ce que le Seigneur dit ici du vêtement
comprend toutes les injures qui peuvent être réparées sans
recourir à la vengeance ; et ce précepte doit s'entendre de la
disposition du cur, et non de ce qu'il faut faire en réalité.
Ce qui nous est commandé à l'égard de la tunique ou du
manteau, nous devons le faire pour tous les biens temporels dont nous avons
le domaine, de quelque manière que ce soit. Car si ce précepte
porte sur le nécessaire, à plus forte raison devons-nous abandonner
le superflu ? C'est ce que Notre-Seigneur nous enseigne en disant : " Si
quelqu'un veut plaider contre vous. " Ces paroles comprennent tout ce qu'on
peut nous disputer devant les tribunaux. Mais doit-on y comprendre les esclaves
? C'est une grande question, car un chrétien ne peut assimiler la propriété
d'un esclave à la propriété d'un cheval, quoiqu'il puisse
se faire que le cheval soit d'un prix plus élevé qu'un esclave.
Or si votre esclave trouve en vous un maître plus sage que celui qui désire
vous l'enlever, je ne sais qui oserait vous conseiller de ne pas y attacher
plus d'importance qu'à votre vêtement.
S. CHRYS.
(sur S. Matth.) C'est une chose indigne qu'un chrétien se présente
devant le tribunal d'un juge infidèle. Mais quand même le juge
serait chrétien, si vous le mettez dans la nécessité de
vous juger, lui qui devait respecter en vous la dignité de la foi, vous
perdez à ses yeux pour une affaire temporelle cette dignité dont
le Christ vous avait revêtu. D'ailleurs tout procès est une source
d'irritation et de pensées coupables, car si vous voyez qu'on veut l'emporter
contre vous par l'intrigue ou par l'argent, vous vous empressez de recourir
aux mêmes moyens dans l'intérêt de votre cause, et certes
ce n'est pas ce que vous vouliez dès le début. - S. AUG. (Enchirid.
chap. 78). C'est pourquoi le Seigneur défend ici aux chrétiens
tout débat devant les tribunaux pour des affaires temporelles. Si donc
l'Apôtre en défendant sous les peines les plus sévères
tout appel au tribunal des infidèles permet cependant que les causes
entre fidèles soient jugées entre eux, il est évident que
c'est une concession qu'il fait à leur faiblesse.
S. GREG. (Moral., 31, 10.) Parmi ceux qui nous ravissent nos biens temporels
nous devons supporter les uns, mais nous devons nous opposer aux autres, tout
en conservant la charité à leur égard. En cela nous ne
nous opposons pas seulement à ce qu'ils nous enlèvent ce qui est
à nous, mais nous les empêchons de se perdre eux-mêmes en
ravissant ce qui ne leur appartient pas ; car nous devons beaucoup plus craindre
pour les ravisseurs eux-mêmes, que désirer avidement des biens
privés de raison. Or lorsque nous sacrifions la paix avec le prochain
à un bien temporel, il est évident que nous aimons ce bien plus
que le prochain.
S. AUG. (serm. sur la mont.) La troisième espèce d'injures qui
consiste dans des actions dommageables est un mélange des deux premières
et peut se réparer par le châtiment ou sans le châtiment.
Car celui qui contraint méchamment un homme, et le force malgré
lui à l'aider, peut porter la peine de sa méchanceté et
rendre ce que l'on a fait pour lui. A l'égard de ces injures le Seigneur
veut qu'un cur chrétien se montre rempli de patience et disposé
à en souffrir encore davantage, c'est pourquoi il ajoute : " Si
quelqu'un veut vous contraindre à faire mille pas avec lui, faites-en
deux mille autres encore, " paroles qui exigent beaucoup moins que nous
marchions en réalité, que d'être disposés à
le faire. - S. CHRYS. (hom. 16.) Le mot a??a?e?se?, angariaverit, veut dire
entraîner injustement, et tourmenter sans raison. - S. AUG. (serm. sur
la mont.) Nous pensons que par ces paroles : " Allez avec lui l'espace
de deux autres milles : " Notre-Seigneur a voulu compléter le nombre
trois, nombre qui exprime la perfection, pour rappeler à celui qui agit
ainsi qu'il fait acte de justice parfaite. C'est pour cela qu'il appuie ce précepte
sur trois exemples et que dans le troisième le nombre deux est ajouté
à l'unité pour compléter le nombre trois. Ou bien, peut-être,
faut-il entendre ici que dans ce précepte, le Seigneur monte par degré
de ce qui est plus facile à ce qui est plus parfait. Il vous commande
en premier lieu de présenter l'autre joue à celui qui vous frappe
sur la droite, c'est-à-dire d'être disposé à supporter
un affront moindre que celui que vous avez reçu. A celui qui veut vous
prendre votre tunique, il vous commande d'abandonner votre manteau ou votre
vêtement, suivant un autre texte ; c'est vous demander de supporter une
injure égale, ou de bien peu supérieure à celle qui vous
a été faite. Enfin il vous ordonne d'ajouter aux mille premiers
pas, l'espace de deux autres mille, c'est-à-dire de faire le double de
ce que vous avez fait. Mais comme ce serait peu de ne pas rendre le mal pour
le mal, si l'on ne fait positivement le bien, il ajoute : " Donnez à
celui qui vous demande. " - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Nos richesses ne
sont pas à nous, mais à Dieu, et il a voulu que nous en soyons
les dispensateurs, et non pas les maîtres. - S. JER. Si nous restreignons
au devoir de l'aumône ces paroles du Sauveur, on ne peut l'appliquer à
un trop grand nombre de pauvres, car si les riches donnaient constamment, ils
ne pourraient donner toujours. - S. AUG. (serm. sur la mont.) Le Seigneur nous
dit donc : " Donnez à tout homme qui vous demande, " mais non
pas à celui qui vous demande toute sorte de choses. Quoi ! vous donneriez
de l'argent à celui qui veut s'en servir pour opprimer un innocent ou
pour corrompre la vertu d'une femme ! Il ne faut donc donner que ce qui ne peut
être nuisible ni pour vous, ni pour un autre, autant que vous pouvez en
juger sur la foi de celui qui demande. Et lorsque vous croirez devoir lui refuser
ce qu'il demande, expliquez-lui les justes motifs de votre refus. De cette manière
il ne s'en ira point sans avoir rien reçu, et en lui faisant comprendre
l'injustice de sa demande vous lui aurez donné quelque chose de bien
préférable à ce qu'il demandait. - S. AUG. (Lettre 48 à
Vincent.) Il est plus utile de retirer le pain à celui qui a faim, et
qui assuré de sa nourriture négligerait de pratiquer la justice,
que de faire de ce morceau de pain dont il a besoin, un moyen de séduction
pour le forcer de consentir au mal. - S. JER. On peut encore entendre ces paroles
du trésor de la doctrine, qui ne s'épuise jamais, mais qui se
remplit abondamment à proportion de ce qu'on donne.
S. AUG. (serm. sur la mont.) Les paroles qui suivent : " Et ne vous détournez
point de celui qui veut emprunter de vous " se rapportent aux dispositions
de l'âme, car " Dieu aime celui qui donne gaîment. " Tout
homme qui reçoit, emprunte, dût-il ne rien rendre, parce que Dieu
rend à ceux qui exercent la charité plus qu'ils n'ont donné.
Si cependant on ne veut entendre par emprunteur que celui qui reçoit
avec l'intention de rendre, il faut dire alors que le Seigneur comprend dans
ses paroles ces deux manières de donner, ou le don gratuit, ou le prêt
soumis à l'obligation de rendre. Le Seigneur nous exhorte avec raison
à ce genre de bienfait, en nous disant : " Ne rejetez point, "
c'est-à-dire ne détournez pas votre volonté dans la pensée
que Dieu ne vous serait plus redevable, parce que votre débiteur se serait
acquitté à votre égard, car ce que l'on fait pour obéir
à un précepte divin ne saurait demeurer sans fruit. - S. CHRYS.
(sur S. Matth.) Le Christ nous fait donc un devoir de prêter, mais sans
condition d'usure, car celui qui prête à cette condition ne donne
pas ce qui est à lui ; il prend ce qui ne lui appartient pas ; il brise
un des lieus de l'emprunteur, pour le charger d'un plus grand nombre de chaînes
; il donne, ce n'est point par un principe de justice divine, c'est dans une
pensée toute d'intérêt personnel. L'argent qu'on prête
à usure est semblable à la morsure d'un aspic, de même que
le venin de l'aspic répand secrètement la corruption dans tous
les membres, ainsi l'usure fait de tous les biens autant de dettes.
S. AUG. (lettre à Marcellin). On nous objecte que cette doctrine de Jésus-Christ
n'est pas compatible avec les moeurs publiques, car qui peut, dira-t-on, se
laisser ravir quelque chose par l'ennemi ? qui serait disposé à
ne pas exercer contre ceux qui dévastent les provinces romaines les représailles
qu'autorise le droit de la guerre ? Nous répondons que ces préceptes
de patience doivent toujours se retrouver dans les dispositions de notre cur,
et que cette bonté qui défend de rendre le mal pour le mal doit
toujours faire le fond de notre âme. On doit d'ailleurs agir envers ceux
qui se refusent aux avances de la charité avec une sévérité
pleine de douceur, et qui soit pour eux un châtiment salutaire. Si la
société se conduisait d'après les préceptes du christianisme,
les guerres elles-mêmes auraient leurs inspirations bienveillantes. On
n'y chercherait que l'utilité des vaincus en rétablissant l'union
entre l'impiété et la justice, car on gagne à être
vaincu quand on perd la liberté de faire le mal. Il n'y a rien, en effet,
de plus malheureux que la félicité des pécheurs, car elle
alimente l'impunité qui est un châtiment, et fortifie au-dedans
de nous cet ennemi intérieur qu'on appelle la volonté du mal.
vv. 43-47
LA GLOSE. Le Seigneur nous a enseigné, dans ce qui précède,
à ne pas résister à celui qui nous fait tort, mais à
nous montrer disposé à en supporter davantage. Il va plus loin,
et veut nous apprendre que nous devons aimer même ceux qui nous font du
mal et leur prouver notre charité par des effets. Les commandements précédents
étaient le complément de la justice légale, ce dernier
précepte est l'accomplissement de la charité qui, selon l'Apôtre,
est la plénitude de la loi. Voilà la raison de ces paroles du
Sauveur : " Vous savez qu'il a été dit : Vous aimerez votre
prochain. " - S. AUG. (Doctr. chrét., chap. 30). Le précepte
d'aimer le prochain n'admet aucune exception ; c'est ce que nous apprend le
Seigneur lui-même dans la parabole de cet homme laissé à
demi-mort, Il nous dit que le prochain fut celui qui exerça la miséricorde
à son égard, pour nous faire comprendre que notre prochain c'est
tout homme à qui nous devons en témoigner dans le besoin. Et qui
ne voit que nous ne devons en excepter personne, devant ces paroles : "
Faites du bien à ceux qui vous haïssent ? "
S. AUG. (serm. sur la mont.) Il y avait un certain degré dans la justice
pharisaïque, qui relevait de l'ancienne loi ; la preuve c'est qu'il en
est qui détestent même ceux qui les aiment. C'est donc s'élever
d'un degré que d'aimer son prochain, tout en haïssant son ennemi,
suivant Ces paroles : " Et vous haïrez votre ennemi, " paroles
qu'il ne faut pas regarder comme un commandement pour le juste, mais comme une
condescendance pour le faible. - S. AUG. (contre Fauste, liv. 19, chap. 24).
Je demanderai aux Manichéens pourquoi ils s'obstinent à regarder
comme particulier à la loi de Moise ce qui a été dit aux
anciens : " Vous haïrez votre ennemi. " Et saint Paul lui-même
n'a-t-il pas dit qu'il en est qui sont un objet de haine pour Dieu (Rm 1, 30)
? Il faut donc chercher à comprendre comment nous pouvons haïr nos
ennemis à l'exemple de Dieu pour qui certains hommes sont haïssables,
et comment nous devons aimer nos ennemis à l'exemple de ce même
Dieu qui fait lever son soleil sur les bons et sur les mauvais. La règle
que nous devons suivre, c'est de haïr dans un ennemi ce qu'il y a de mal
en lui, c'est-à-dire l'iniquité, et d'aimer dans notre ami ce
qu'il y a de bon, c'est-à-dire la créature douée de raison.
C'est pour avoir entendu sans la comprendre cette parole qui avait été
dite aux anciens : " Vous haïrez votre ennemi, " que les hommes
étaient portés à se haïr mutuellement les uns les
autres, alors qu'ils n'auraient dû haïr que le vice. C'est donc cette
erreur que le Seigneur veut corriger lorsqu'il dit : " Pour moi, je vous
dis : Aimez vos ennemis. " Il avait dit précédemment : "
Je ne suis pas venu détruire la loi, mais l'accomplir ; " en nous
ordonnant ici d'aimer nos ennemis, il nous force de comprendre comment nous
pouvons, dans un seul et même homme, haïr le mal qu'il commet et
aimer la nature dont il est revêtu.
LA GLOSE. Remarquons toutefois que dans nul endroit de la loi on ne trouve ces
paroles : " Vous haïrez votre ennemi. " Elles sont donc citées
comme faisant partie de la tradition des Scribes qui ont cru pouvoir les ajouter,
parce que le Seigneur avait commandé aux enfants d'israel de poursuivre
leurs ennemis (Lv 26), et de détruire Amalec de dessous le ciel (Ex 17).
- S. CHRYS. (sur S. Matth.) Ces paroles : " Vous ne convoiterez pas "
n'étaient pas adressées à la chair, mais à l'âme
; il en est de même de ce passage. La chair en effet ne peut aimer son
ennemi, l'âme le peut, parce que la chair place le principe de l'amour
ou de la haine dans les sens ; l'âme, au contraire, dans l'intelligence.
Si donc nous avons reçu quelque injure, et que nous en ressentions de
la haine, sans vouloir cependant en suivre les inspirations, c'est notre chair
qui hait notre ennemi, tandis que notre âme ne laisse pas de l'aimer.
S. GREG. (Moral., 22, 6). Voulons-nous une marque certaine que nous aimons réellement
notre ennemi, ne nous attristons pas de sa prospérité, ne nous
réjouissons pas de ses malheurs ; ce n'est pas aimer quelqu'un que de
ne pas le vouloir dans un état plus prospère, et on fait certainement
des voeux contre sa fortune quand on applaudit à sa ruine. Toutefois,
il arrive souvent que sans nous faire perdre la charité, la chute d'un
ennemi nous cause de la joie, et que sa gloire nous contriste sans que nous
lui portions envie, c'est lorsque nous croyons que sa chute sera la cause de
l'élévation de plus dignes que lui et que sa prospérité
nous fait craindre l'injuste oppression d'un grand nombre. Mais il faut ici
une attention extrême pour ne point satisfaire, notre haine sous le fallacieux
prétexte de l'utilité du prochain. Nous devons également
savoir faire la distinction de ce qu'exige de nous la ruine du pécheur
et la justice de celui qui le frappe. Lorsque Dieu frappe un homme couvert de
crimes, nous devons applaudir à la justice du juge, mais compatir en
même temps au malheur de celui qui périt. - LA GLOSE. Les ennemis
de l'Église lui font la guerre de trois manières : par la haine,
par leurs discours, par les supplices. L'Église, au contraire, leur oppose
premièrement l'amour : Aimez vos ennemis ; " secondement, les bienfaits
: " Faites du bien à ceux qui vous haïssent ; " troisièmement,
la prière : " Priez pour ceux qui vous persécutent et vous
calomnient. "
S. JER. Il en est plusieurs qui mesurent les préceptes de Dieu à
leur faiblesse et non pas à la force qui fait les saints et qui regardent
ces préceptes comme impossibles. Ils disent qu'il suffit, pour pratiquer
la vertu, de ne pas avoir de haine pour ses ennemis, mais que de les aimer c'est
commander plus que ne peut la nature humaine. Qu'ils sachent donc que Notre-Seigneur
ne commande pas des choses impossibles, mais parfaites. Et n'est-ce pas ce que
fit David à l'égard de Saul et d'Absalon ? Le saint martyre Etienne
n'a-t-il pas prié pour ceux qui le lapidaient ? Saint Paul n'a-t-il pas
voulu être anathème à la place de ses persécuteurs
? N'est-ce pas ce que Jésus enseigne et ce qu'il fit lui-même lorsqu'il
dit : " Mon Père, pardonnez-leur ? " - S. AUG. (Enchirid.,
chap. 73). Mais ce sont là les vertus des enfants de Dieu qui ont atteint
la perfection ; c'est vers ce but que tout fidèle doit tendre ; c'est
à cette générosité de sentiments qu'il doit élever
son âme en priant Dieu, en luttant contre lui-même. Cependant une
perfection aussi sublime n'est point le partage d'un aussi grand nombre de personnes
que celui dont Dieu, nous le croyons, exauce cette prière : " Remettez-nous
nos dettes comme nous les remettons à ceux qui nous doivent. "
S. AUG. (serm. sur la mont.) Une difficulté se présente, c'est
qu'un très grand nombre de passages de l'Écriture paraissent contredire
ce précepte de prier pour nos ennemis. En effet, on trouve dans les prophéties
une multitude d'imprécations contre les ennemis, comme celle-ci : "
Que ses enfants deviennent orphelins. " (Ps 118, 9). La raison en est que
les prophètes prédisent ordinairement l'avenir sous forme d'imprécations.
Mais ces paroles de saint Jean offrent encore plus de difficulté : "
Il y a un péché qui va à la mort, et ce n'est pas pour
ce péché là que je dis qu'il faut prier. " (1 Jn 5,
16.) Par ce qui précède : " Si quelqu'un sait que son frère
a péché, etc., " le même apôtre nous enseigne
clairement qu'il en est pour lesquels nous ne devons pas prier. Le Seigneur,
au contraire, nous ordonne de prier pour nos persécuteurs. Cette difficulté
ne peut se résoudre qu'en reconnaissant que nos frères peuvent
se rendre coupables de péchés plus graves que le crime de la persécution.
Ainsi saint Etienne prie pour ceux qui le lapidaient, parce qu'ils ne croyaient
pas encore en Jésus-Christ (Ac 7), tandis que saint Paul ne prie pas
pour Alexandre parce qu'il était du nombre des fidèles et qu'il
avait péché en attaquant par un sentiment d'envie l'union fraternelle
(1 Tm 15). Toutefois ce n'est pas prier contre quelqu'un que de ne pas prier
pour lui. Mais que dirons-nous de ceux contre lesquels nous savons que des saints
ont prié non pas pour leur conversion, c'eût été
bien plutôt prier pour eux, mais pour qu'ils fussent livrés à
l'éternelle damnation ? Je ne parle pas de la prière que le prophète
adressait à Dieu contre celui qui a trahi le Seigneur, c'était
une prédiction de l'avenir et non un souhait de condamnation, mais de
la prière que nous lisons dans l'Apocalypse (Ap 6) et où les saints
martyrs prient Dieu de venger leur sang répandu. - Or, cette prière
n'a rien qui doive nous étonner ; car qui oserait affirmer qu'elle est
dirigée contre les persécuteurs eux-mêmes et non contre
le règne du péché ? Quelle est en effet la vengeance pure
des martyrs, vengeance pleine de justice et de miséricorde, c'est de
voir détruire l'empire du péché sous lequel ils ont tant
souffert ; et ce qui renverse cet empire, c'est tout à la fois la conversion
des uns et la damnation des autres qui persévèrent dans le péché.
Est-ce que saint Paul, à votre avis, n'a pas suffisamment vengé
dans sa personne le martyr saint Etienne, lorsqu'il dit : " Je châtie
mon corps et je le réduis en servitude. " - S. AUG. (Quest. sur
l'Anc. et le Nouv. Test., chap. 68). Ou bien les âmes de ces victimes
crient et demandent vengeance comme le sang d'Abel du sein de la terre, non
pas d'une voix matérielle et sensible, mais par la force même des
choses. C'est dans ce sens qu'on dit d'une oeuvre, qu'elle loue celui qui l'a
faite par cela même qu'elle le réjouit de son seul aspect. Pourquoi
d'ailleurs les saints seraient-ils impatients de presser l'exécution
d'une vengeance qu'ils savent devoir arriver au temps marqué ?
S. CHRYS. (hom. 18.) Voyez par combien de degrés le Sauveur nous fait
monter et comme il nous établit sur le sommet le plus élevé
de la vertu. Le premier degré c'est de ne pas prendre l'initiative de
l'injure, le second de ne pas la venger par une injure égale, le troisième
de ne pas faire endurer à notre ennemi ce qu'il nous a fait souffrir
; le quatrième de s'exposer soi-même à la souffrance ; le
cinquième de donner plus ou de se montrer disposé à faire
de plus grands sacrifices que ne le veut notre ennemi ; le sixième de
ne pas avoir de haine pour celui qui se conduit de la sorte ; le septième
de l'aimer ; le huitième de lui faire du bien ; le neuvième de
prier pour lui, et comme c'est là un grand commandement il lui donne
pour sanction cette magnifique récompense de devenir semblable à
Dieu : " Afin que vous soyez, dit-il, les enfants de votre Père
céleste qui est dans les cieux. " - S. JER. Si celui qui garde les
commandements de Dieu devient le fils de Dieu, il ne l'est donc point par nature,
mais il le devient par l'effet de sa libre volonté.
S. AUG. (serm. sur la mont., 6, 23 ou 46.) Ces paroles doivent s'entendre dans
le même sens que ces autres de saint Jean : " Il leur a donné
le pouvoir de devenir enfants de Dieu. " Il n'y a qu'un seul Fils de Dieu
par nature ; quant à nous, nous recevons le pouvoir de devenir les enfants
de Dieu, lorsque nous accomplissons ses commandements. Aussi ne dit-il pas "
Faites cela, parce que vous êtes les enfants, " mais " faites-le
pour devenir les enfants de Dieu, " En nous appelant à cette sublime
dignité, il nous appelle à lui devenir semblables, c'est pour
cela qu'il ajoute " Qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants,
et qui fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes. " Par le soleil,
on peut entendre non pas celui qui brille à nos yeux, mais celui dont
le prophète a dit : (Ml 4) " Le soleil de justice se lèvera
sur vous qui craignez le nom du Seigneur ; " et par la pluie, la rosée
que répand dans les âmes la doctrine de la vérité
; parce qu'en effet le Christ s'est manifesté et a été
évangélisé aux bons et aux mauvais. - S. HIL. On peut dire
aussi que c'est dans le baptême et dans le sacrement qui confère
l'esprit, qu'il fait luire ce soleil, et qu'il donne cette pluie. - S. AUG.
(serm. sur la mont.) Ou bien encore on peut entendre ces paroles et de ce soleil
visible, et de la pluie qui fait croître les fruits ; en effet les méchants
dans le livre de la Sagesse font entendre cette plainte : " Le soleil ne
s'est pas levé pour nous, " et il est dit de la pluie spirituelle
: " Je commanderai à mes nuées de ne pas répandre
leur rosée sur elle. " Qu'on admette l'un ou l'autre sens, c'est
toujours un effet de la grande bonté de Dieu qu'on nous ordonne d'imiter.
Or il ne dit pas simplement : " Il fait lever le soleil " mais, "
son soleil, " nous apprenant ainsi avec quelle largesse nous devons donner
d'après ce précepte ce que nous n'avons pas créé,
mais ce que nous recevons de sa munificence. - S. AUG. (Lettres 48 à
Vincent.) Mais tout en louant sa libéralité, pensons aux châtiments
dont il frappe ceux qu'il aime, et concluons qu'on n'est pas ami parce qu'on
épargne la correction ; et qu'on n'est pas ennemi parce qu'on châtie,
car il vaut mieux aimer avec sévérité que de tromper avec
douceur (Pv 27, 26).
S. CHRYS. (sur S. Matth.) C'est avec dessein que Notre-Seigneur dit : "
Sur les justes, " et non pas " sur les justes comme sur les injustes,
" car ce n'est pas à cause des hommes, mais à cause des Saints
que Dieu distribue tous ses biens, de même que c'est à cause des
pécheurs qu'il inflige ses châtiments sur la terre. Mais dans la
distribution des biens, il ne fait pas distinction des pécheurs d'avec
les justes, pour ne pas les jeter dans le désespoir ; de même que
dans les bâtiments qu'il envoie, il ne sépare pas les justes des
pécheurs. Cette conduite est d'autant plus équitable que les biens
ne sont pas d'une grande utilité aux méchants, qui par leur mauvaise
vie, les font tourner à leur perte ; et que les maux loin de causer aucun
dommage aux bons servent bien plutôt à leur progrès dans
la vertu. - S. AUG. (Cité de Dieu, 1, 8.) En effet, l'homme de bien ne
se laisse ni enfler par la prospérité, ni abattre par le malheur,
tandis que l'adversité devient un châtiment pour le méchant,
parce qu'il se laisse corrompre par la bonne fortune. Ou bien encore, Dieu a
voulu que les biens et les maux de cette vie fussent communs aux uns et aux
autres pour nous ôter le désir trop vif de ces biens que nous voyons
les méchants partager avec nous, et la crainte qui nous fait fuir honteusement
des maux que les justes eux-mêmes ne peuvent éviter.
LA GLOSE. Aimer celui qui nous aime, c'est un sentiment que la nature inspire
; aimer notre ennemi c'est un acte de pure charité, et c'est ce que le
Sauveur exprime par les paroles suivantes : " Si vous n'aimez que ceux
qui vous aiment, quelle récompense aurez-vous ? " (c'est-à-dire
au ciel) ; comme s'il disait : Vous n'en aurez aucune, car c'est de vous qu'il
est dit : " Vous avez reçu votre récompense. " Cependant
il faut accomplir ce premier devoir et ne pas omettre le second. - RAB. Si donc
les pécheurs sous la seule inspiration de la nature cherchent à
se montrer bienfaisants pour ceux qui les aiment, à combien plus forte
raison devez-vous embrasser dans le sein d'un amour plus étendu, ceux
mêmes qui ne vous aiment pas. C'est pour cela qu'il vous dit : "
Les Publicains ne le font-ils pas ? " c'est-à-dire ceux qui perçoivent
les deniers publics ou qui poursuivent les honneurs et les richesses de la terre
dans le commerce et dans les affaires du siècle. - LA GLOSE. Si vous
priez pour ceux-là seulement qui vous sont unis par les liens du sang
ou de l'amitié, en quoi votre charité est-elle supérieure
à celle des infidèles ? Il ajoute : " Si vous ne saluez que
vos frères ; " (le salut est une espèce de prière),
que faites-vous en cela de plus ? Les païens ne le font-ils pas aussi ?
- RAB. Les païens sont les Gentils (le mot grec e???? correspond au mot
latin gens,) ainsi appelés parce qu ils ont été comme engendrés
sous la loi du péché.
REMI. Comme
la perfection de la charité fraternelle ne peut aller plus loin que l'amour
des ennemis, le Seigneur après en avoir imposé le précepte
ajoute : " Soyez donc parfaits comme votre Père céleste est
parfait. " Il est parfait comme tout puissant, l'homme devient parfait
par le secours du Tout-Puissant. L'expression comme signifie quelquefois dans
l'Écriture l'égalité et la vérité, par exemple
dans ce passage : " Je serai avec vous, comme j'ai été avec
Moïse. " Quelquefois, cette particule n'exprime qu'une simple ressemblance
comme dans cet endroit. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) De même que les enfants
des hommes portent toujours dans leur corps quelque trait de ressemblance avec
leur père ; de même aussi on reconnaît à leur sainteté
les enfants spirituels de Dieu.