ÉVANGILE DE SAINT MATHIEU PAR SAINT THOMAS D'AQUIN
CATANA AUREA DE SAINT THOMAS D'AQUIN SUR SAINT MATTHIEU
CHAPITRE
XII
vv. 1-8.
LA GLOSE. Après avoir raconté les prédications et les miracles
qui eurent lieu l'année qui précéda le supplice de Jean-Baptiste,
1'Évangéliste passe aux événements de l'année
qui suivit la mort du saint précurseur, alors que Jésus-Christ
commence à être en butte à toutes sortes de contradictions,
et il ouvre son récit par ces paroles : " Dans ce temps-là,
" etc.
S. AUG. (de l'accord des Evang., liv. 2, chap. 34.) Ce qui suit est raconté par saint Marc (Mc 2) et par saint Luc (Lc 6) sans l'ombre même de contradiction ; mais ils ne disent pas : " En ce temps là ; " d'où l'on peut conclure que saint Matthieu suit dans sa narration l'ordre des faits, et les autres l'ordre de leurs souvenirs, à moins qu'on ne donne un sens plus large à ces paroles : " En ce temps là, " c'est-à-dire dans le temps où toutes ces choses et une foule d'autres faits avaient lieu. Toutes ces choses se seraient donc passées après la mort de Jean ; car on croit qu'il fut décapité peu de temps après qu'il eut envoyé ses disciples consulter Jésus-Christ. Cette locution : " Dans ce temps-là, " exprimerait alors un temps indéterminé.
S. CHRYS. (hom. 40.) Mais pourquoi le Sauveur, dont la prescience s'étendait à tout, conduisait-il ses Apôtres le long des blés un jour de sabbat si son intention n'était pas que le sabbat fût violé ? Il le voulait en effet, mais non pas absolument, c'est-à-dire sans raison, et il choisissait une occasion légitime de mettre fin à la loi, sans paraître la violer. Aussi pour adoucir les esprits des Juifs prévenus contre lui, il met en avant la nécessité : " Ses disciples ayant faim. " Ce n'est pas, sans doute, qu'il puisse y avoir jamais d'excuse, pour ce qui est évidemment péché ; ainsi ni l'homicide ne peut s'excuser par l'excès de la colère, ni l'adultère par la violence de ses désirs ou par toute autre cause ; ici néanmoins, en alléguant la nécessité de la faim, il délivre ses disciples de toute culpabilité.
S. JER. Nous lisons dans un autre Évangéliste, que les disciples, importunés par la foule, n'avaient même pas le temps de manger : ils avaient donc naturellement faim. Ils apaisent cette faim en broyant entre leurs mains des épis de blé, preuve de l'austérité de leur vie ; ils n'ont pas besoin d'aliments recherchés, la plus simple nourriture leur suffit. - S. CHRYS. (Hom. 40.) Admirez ces disciples, qui dans une aussi dure nécessité, n'ont aucun souci de leur corps, oublient la nourriture qu'il réclame, et qui, bien que pressés par la faim, ne se séparent pas de Jésus-Christ ; car ils n'auraient pas eu recours à ce moyen s'ils n'y avaient été poussés par une faim violente. Que trouvèrent donc à reprendre les pharisiens dans cette action ? L'Évangéliste nous l'apprend : " Ce que les pharisiens voyant, ils lui dirent Voilà que vos disciples font ce qu'il n'est pas permis de faire le jour du sabbat. " - S. AUG. (du trav. des moines, chap. 23.) L'accusation des Juifs contre les disciples du Seigneur porte plutôt sur la violation du sabbat que sur le vol qu'ils auraient commis ; car la loi défendait aux enfants d'Israël, de ne saisir comme voleur dans leurs champs, que celui qui voulait emporter quelque chose avec lui, et ils devaient laisser aller en liberté, et sans lui infliger aucune peine, celui qui n'y avait pris que ce qu'il voulait manger (cf. Dt 23).
S. JER. Remarquez que les premiers Apôtres du Sauveur, en détruisant l'observation littérale du sabbat, condamnent les Ébionites, qui reçoivent tous les Apôtres à l'exception de saint Paul, qu'ils rejettent comme transgresseur de la loi. Or, quelle excuse le Sauveur donne-t-il de leur conduite : " N'avez-vous pas lu ce que fit David lorsqu'il avait faim ? " Pour détruire l'accusation calomnieuse des pharisiens, il leur rappelle ce fait de l'histoire ancienne, alors que David, fuyant la colère de Saül, vint à Nobé, où il fut reçu par le grand-prêtre Achimélech, et lui demanda de lui donner à manger. (1 R 21.) Achimélech, n'ayant pas de pain ordinaire, lui donna les pains sanctifiés, qu'il n'était permis de manger qu'aux prêtres seuls et aux lévites (Lv 24) ; il jugea qu'il valait mieux arracher des hommes au danger de la faim que d'offrir un sacrifice à Dieu, car sauver les hommes, c'est une hostie qui lui est on ne peut plus agréable. C'est cette raison que le Seigneur leur oppose par ce raisonnement : si vous regardez David comme un saint, si vous n'osez incriminer la conduite du grand-prêtre Achimélech, alors que tous deux ont transgressé la loi pour une raison plausible, tirée de la faim qu'il éprouvait, pourquoi ne pas accepter en faveur de mes disciples le motif d'excuse que vous approuvez dans les autres ? Il y avait d'ailleurs une grande différence entre ces deux faits : les uns ne faisaient que broyer quelques épis entre leurs mains le jour du sabbat, tandis que les autres avaient mangé des pains destinés aux seuls lévites dans un jour où les fêtes des Néoménies (cf. Nomb., 28, 11.15 ; 10, 10) venaient s'ajouter à la solennité du sabbat. C'était, en effet, à l'occasion de ces fêtes que David, qui devait s'asseoir à la table du roi, s'était enfui de la cour.
S. CHRYS. (hom. 40.) Notre-Seigneur cite l'exemple de David pour excuser ses disciples, car l'autorité du Roi-Prophète était grande parmi les Juifs. Et ils ne pouvaient lui objecter que David était prophète, car ce titre ne lui donnait aucun droit de manger des pains réservés aux prêtres seuls. Or, plus l'exemple qu'il choisit est grand, plus le motif d'excuse qu'il invoque en faveur de ses disciples est péremptoire. D'ailleurs si David était prophète, les gens de sa suite ne l'étaient pas. - S. JER. Remarquez cependant que ni David ni les gens de sa suite ne mangèrent des pains de proposition qu'après avoir affirmé qu'ils étaient purs de tout contact avec les femmes. - S. CHRYS. (hom. 41.) Mais on me dira : Que fait cet exemple à la question qui nous occupe ? car David n'a pas transgressé le sabbat. Notre-Seigneur nous montre ici son admirable sagesse, en choisissant l'exemple d'une transgression plus grande que la violation du sabbat, car on est beaucoup moins coupable de transgresser le sabbat, ce qui est bien souvent arrivé, que de toucher à cette table sainte, ce qui n'était permis à personne. Il donne ensuite une solution différente et plus directe en ajoutant : " Est-ce que vous n'avez pas lu dans la loi que les prêtres violent le sabbat dans le temple, et ne sont pas néanmoins coupables ? " - S. JER. Comme s'il disait : Vous accusez mes disciples de ce qu'étant pressés par la faim ils ont broyé quelques épis le jour du sabbat, lorsque vous-mêmes vous violez le sabbat dans le temple en immolant des victimes, en égorgeant des taureaux, en brûlant des holocaustes sur des bûchers enflammés ; et d'après le texte d'un autre Évangéliste (Jn 7), vous donnez la circoncision à vos enfants le jour du sabbat, violant ainsi la loi du sabbat pour en observer une autre. Les lois de Dieu ne se détruisent pas réciproquement, et c'est avec une sagesse vraiment admirable que pour justifier ses Apôtres de les avoir transgressées, il montre qu'ils n'ont fait que suivre les exemples d'Achimélech et de David. Il fait voir en même temps que les auteurs de cette calomnie sont eux-mêmes coupables d'une transgression du sabbat bien plus réelle, sans avoir pour eux l'excuse de la nécessité.
S. CHRYS.
(hom. 40.) Et ne me dites pas que ce n'est pas se justifier que de s'appuyer
sur l'exemple d'un autre qui est également coupable ; car lorsque l'auteur
d'un fait n'est pas accusé, ce fait peut être invoqué comme
moyen de justification. Mais Notre-Seigneur ne se contente pas de cette raison,
et il en apporte une bien plus forte en ajoutant que ceux qu'il a choisis pour
exemples ne sont point coupables. Et voyez que de circonstances réunies
: le lieu, c'est dans le temple ; le temps, c'est le jour du sabbat ; le fait
lui-même, ce n'est pas une simple infraction, c'est une violation de la
loi, et cependant non-seulement ils ne sont soumis à aucune peine, mais
ils sont exempts de toute faute ; ce qu'il exprime en ces termes : " Et
ils ne sont pas coupables. " Or, ce second exemple n'est cependant point
semblable au premier. Le premier n'a eu lieu qu'une fois, il a été
donné par David qui n'était pas prêtre, et qui avait pour
lui l'excuse de la nécessité ; le second, au contraire, se reproduit
tous les jours du sabbat dans la personne des prêtres, et il est selon
la loi, et ainsi ce n'est plus seulement par indulgence, mais en suivant la
rigueur de la loi, que la conduite de ses disciples est justifiée. Mais
est-ce que les disciples sont prêtres ? Ils sont plus que prêtres,
car ils avaient avec eux le Seigneur du temple, qui n'est plus une figure, mais
bien la vérité ; c'est pour cela qu'il ajoute : " Je vous
dis qu'il y a ici quelqu'un plus grand que le temple. " - S. JER. Le mot
hic doit être pris ici non pas comme pronom, mais comme adverbe de lieu,
c'est-à-dire que le lieu où se trouvait le maître du temple
était plus grand que le temple lui-même.
S. AUG. (Quesi. évang., liv. 2, chap. 40.) Il faut remarquer que Notre-Seigneur
emprunte le premier exemple à la puissance royale dans la personne de
David, et le second au ministère sacerdotal dans la personne des prêtres
qui violent le sabbat pour le service du temple. L'accusation tirée des
épis froissés le jour du sabbat ne pouvait donc en aucune manière
peser sur lui, qui était vrai roi et le prêtre véritable.
- S. CHRYS. (hom. 40.) Ce qu'il venait de dire pouvait paraître dur à
ceux qui l'entendaient ; il les ramène de nouveau à la pensée
de la miséricorde, et en parle avec une certaine force de langage en
leur disant : " Si vous saviez bien ce que signifie cette parole : Je veux
la miséricorde et non le sacrifice, vous n'auriez jamais condamné
des innocents. " - S. JER. Nous avons déjà expliqué
plus haut (Mt 9, 13) ce que signifient ces paroles : " J'aime mieux la
miséricorde que le sacrifice. " Quant à celles qui suivent
: " Jamais vous n'auriez condamné des innocents, " elles doivent
s'entendre des Apôtres dans ce sens : " si vous approuvez la commisération
d'Achimélech qui donne du pain à David pressé par la faim,
pourquoi condamnez-vous mes disciples ? " - S. CHRYS. (hom. 40.) Voyez
comment il revient de nouveau sur la nécessité de la miséricorde,
et comment il prouve que les disciples sont au-dessus du pardon, en déclarant
qu'ils sont innocents, comme il l'avait dit plus haut des prêtres. Il
donne ensuite une nouvelle raison de leur innocence, en ajoutant : " Le
Fils de l'homme est maître même du sabbat. " - REMI. Or, le
Fils de l'homme, c'est lui-même, et voici le sens de ces paroles : Celui
que vous regardez comme un simple mortel est Dieu, le Seigneur de toutes les
créatures, et le maître du sabbat ; il peut donc changer la loi
à son gré, puisque c'est lui qui l'a faite. - S. AUG. (cont. Faust,
16, 28.) Il ne défend pas à ses disciples de broyer des épis
le jour du sabbat, pour condamner les Juifs d'alors et les Manichéens
qui devaient venir plus tard, et qui n'osent arracher l'herbe, de peur de commettre
un homicide.
S. HIL.
(can. 12 sur S. Matth.) Dans le sens mystique, remarquons tout d'abord que ce
discours commence par ces paroles : " Dans ce temps-là, " c'est-à-dire
dans le temps où il rendit grâces à Dieu son Père
du salut auquel il appelait les Gentils. Ce champ que traversent les disciples,
c'est le monde ; le sabbat, c'est le repos ; la moisson, le progrès de
ceux qui doivent embrasser la foi et s'avancer vers la maturité. Donc
cette entrée dans le champ le jour du sabbat, c'est l'avènement
du Seigneur dans le monde, lorsque la loi était comme frappée
d'inactivité ; cette faim, c'est le désir qu'il avait du salut
des hommes. - RAB. Ils cueillent des épis, lorsqu'ils attachent les hommes
aux désirs de la terre ; ils broient ces épis lorsqu'ils dépouillent
les âmes de la concupiscence de la chair ; ils mangent les grains, lorsqu'ils
incorporent à l'Église les âmes qu'ils viennent de purifier.
- S. AUG. (Quest. évang., 2, 2.) Personne ne peut faire partie du corps
de Jésus-Christ, s'il ne s'est dépouillé de ses vêtements
charnels, selon cette recommandation de l'Apôtre : " Dépouillez-vous
du vieil homme. " (Col 3.) - LA GLOSE. Les Apôtres font cette action
le jour du sabbat, c'est-à-dire dans l'espérance du repos éternel
auquel ils invitent tous les hommes. - RAB. On peut dire aussi que ceux qui
trouvent leurs délices dans la méditation des Écritures,
marchent le long des blés avec le Seigneur ; ils ont faim, parce qu'ils
ont le désir d'y trouver le pain de vie, c'est-à-dire l'amour
de Dieu ; ils arrachent les épis et ils les broient lorsqu'ils discutent
les témoignages de l'Écriture pour y trouver ce qui est caché
sous la lettre, et ils font cela le jour du sabbat, alors qu'ils sont plus libres
des pensées tumultueuses du monde.
S. HIL. Les pharisiens, qui croyaient avoir entre leurs mains la clef des cieux,
reprochent aux disciples d'avoir fait ce que la loi leur défendait. Le
Seigneur leur répond en leur donnant un avertissement qui contient une
espèce de prophétie ; et pour montrer que ce genre d'actions renfermait
une souveraine efficacité, il ajoute : " Si vous saviez ce que signifient
ces paroles : Je préfère la miséricorde au sacrifice. "
En effet, l'oeuvre de notre salut ne dépend pas du sacrifice, mais de
la miséricorde ; et, la loi cessant d'exister, nous sommes sauvés
par la bonté de Dieu. Or, s'ils avaient compris la grandeur de ce don,
jamais ils n'auraient condamné des innocents, c'est-à-dire les
Apôtres, qu'ils accusaient par jalousie d'avoir transgressé la
loi. Car les anciens sacrifices étant abrogés, la loi nouvelle,
loi de miséricorde, venait au secours de tous les hommes par le moyen
des Apôtres.
vv. 9-13.
S. JÉR. Comme Notre-Seigneur avait victorieusement justifié ses
disciples du reproche qu'on leur faisait d'avoir violé le jour du sabbat,
les pharisiens s'attachent à le calomnier lui-même. " Étant
parti de là, dit l'écrivain sacré, il vint dans leur synagogue.
" - S. HIL. (can. 12.) Ce qui précède s'était passé
au milieu des champs, et ce n'est qu'après qu'il entre dans la synagogue.
- S. AUG. (de l'accord des Evang., 2, 35.) On pourrait croire que le fait des
épis et la guérison que saint Matthieu raconte à la suite
ont eu lieu le même jour, puisque dans ce dernier cas il fait encore mention
du jour du sabbat, si d'ailleurs saint Luc ne nous apprenait qu'il opéra
cette guérison un autre jour de sabbat. Cette manière de s'exprimer
de saint Matthieu : " Et partant de là, il vint dans leur synagogue,
" signifie donc seulement qu'il ne vint dans la synagogue qu'après
avoir quitté le champ, sans indiquer si c'est immédiatement ou
plusieurs jours après ; et cela suffit pour donner raison au récit
de saint Luc, qui rattache cette guérison à un autre jour de sabbat.
S. HIL. (can. 12.) A peine est-il entré dans la synagogue, qu'ils lui présentent un homme dont la main est desséchée, et lui demandent s'il est permis de guérir le jour du sabbat, pour trouver dans sa réponse une occasion de le condamner. " Et il se trouva là un homme qui avait une main desséchée, et ils l'interrogeaient, " etc.
S. CHRYS. (hom. 41.) Ils interrogent non pour s'instruire, mais pour trouver occasion de l'accuser, comme l'Évangéliste le dit clairement : " Afin de pouvoir l'accuser. " Le fait seul suffisait à leurs mauvais desseins, mais ils veulent le prendre dans ses paroles pour se ménager contre lui un plus grand nombre de sujets d'accusation. - S. JER. Ils lui demandent s'il est permis de guérir le jour du sabbat, afin de l'accuser de cruauté, d'impuissance s'il s'en abstient, et de transgression de la loi s'il guérit cet homme.
S. AUG. (de l'accord des Evang., 2, 35.) On peut être surpris de ce que saint Matthieu dit que ce sont les pharisiens eux-mêmes qui demandent au Seigneur s'il est permis de guérir le jour du sabbat, tandis que saint Marc et saint Luc racontent que c'est le Seigneur lui-même qui leur fait cette question : " Est-il permis de faire du bien le jour du sabbat ou de faire du mal ? " Il faut donc comprendre qu'ils l'interrogèrent les premiers, en lui demandant : " Est-il permis de guérir le jour du sabbat ? " Le Seigneur, voyant dans leur pensée qu'ils cherchaient une occasion de l'accuser, place au milieu d'eux celui qu'il devait guérir, et leur adresse la question rapportée par saint Marc et saint Luc (Mc 3, 4 ; Lc 6, 9) ; et comme ils gardent le silence, il leur propose la comparaison de la brebis, et il conclut en leur disant : " Il est donc permis de faire du bien les jours du sabbat. " Il leur répond donc en ces termes : " Quel est celui qui, parmi vous, ayant une brebis, " etc. - S. JER. La réponse qu'il fait à cette question est une condamnation de leur avarice. Comment, leur dit-il, vous vous hâtez, le jour du sabbat, de retirer une brebis ou un autre animal de la fosse où ils sont tombés, et cela non point par compassion pour cet animal, mais par un sentiment de vil intérêt, et moi je ne devrais pas délivrer un homme qui vaut mille fois plus qu'une brebis ! - RAB. Cet exemple est parfaitement choisi pour répondre à leur question et pour leur prouver qu'ils violent continuellement le sabbat par esprit de cupidité, eux qui lui reprochent de le violer pour une oeuvre de charité, et qui, par une fausse interprétation de la loi, prétendent que les bonnes oeuvres sont interdites le jour du sabbat, tandis qu'on ne doit s'abstenir que des mauvaises ; c'est pour cela qu'il est dit : " Vous ne ferez pas ces jours-là d'oeuvres serviles, " c'est-à-dire de péchés. C'est ainsi que dans le repos éternel il y aura cessation du mal et non pas du bien. - S. AUG. (de l'accord des Evang., 2, 35.) La conclusion de cette comparaison, c'est qu'il est permis de faire de bonnes oeuvres le jour du sabbat. " Donc, leur dit-il, il est permis de faire du bien les jours du sabbat. "
S. CHRYS. (hom. 41.) Remarquez que d'excuses différentes il apporte pour justifier la violation du sabbat ; mais comme la maladie de cet homme était incurable, il en vient à sa guérison. Alors il dit à cet homme : " Étendez votre main. " - S. JER. Dans l'Évangile dont se servent les Nazaréens et les Ébionites, et que plusieurs regardent comme l'Évangile authentique de saint Matthieu, il est dit que cet homme, dont la main était desséchée, était maçon, et qu'il pria Jésus en ces termes : " J'étais maçon, demandant ma nourriture au travail de mes mains ; je vous en prie, ô Jésus, rendez-moi la santé, afin que je ne sois pas réduit à mendier honteusement mon pain. " - RAB. Jésus choisit le jour du sabbat de préférence pour enseigner et pour guérir, non-seulement en vue du sabbat spirituel, mais aussi à cause du grand concours de peuple qui était plus favorable au salut de tous, unique objet de ses désirs.
S. HIL. Dans le sens mystique, après le retour des champs où les Apôtres avaient cueilli les fruits de la moisson, Jésus vient dans la synagogue pour y préparer l'oeuvre d'une nouvelle moisson ; car plusieurs de ceux qui furent guéris se joignirent plus tard aux Apôtres. - S. JER. Jusqu'à l'avènement du Dieu Sauveur, la main dans la synagogue des Juifs demeura desséchée et incapable des oeuvres de Dieu ; mais lorsqu'il fut venu sur la terre, les Apôtres rendirent l'usage de cette main droite à ceux qui embrassèrent la foi, et elle recouvra la même force d'action qu'auparavant. - S. HIL. Toute guérison se fait par la parole, et la main redevient semblable à l'autre, c'est-à-dire qu'elle devient propre au ministère du salut comme celle des Apôtres. Aussi le Sauveur apprend-il aux pharisiens à ne pas voir avec peine l'oeuvre du salut des hommes confiée aux Apôtres, puisqu'eux-mêmes, s'ils veulent croire, deviendront dignes du même ministère. - RAB. Ou bien cet homme, dont la main est desséchée, c'est le genre humain qui est devenu complètement stérile en bonnes oeuvres pour avoir étendu vers le fruit défendu cette main qu'a guérie une autre main innocente étendue sur la croix. C'est dans la synagogue que se trouve cette main desséchée, parce que la science, lorsqu'elle est départie avec abondance, expose à des fautes plus graves et sans excuse. Jésus commande d'étendre cette main desséchée qu'il veut guérir ; car l'infirmité d'une âme ne peut être guérie par un remède plus efficace que par d'abondantes aumônes. Cet homme avait la main droite desséchée, parce qu'elle était comme engourdie pour les oeuvres de charité ; sa main gauche était saine, parce qu'elle servait ses intérêts. A l'arrivée du Seigneur, la main droite devient saine comme la gauche, parce qu'elle distribue par un sentiment de charité ce qu'elle avait amassé par esprit d'avarice.
vv. 14-21.
S. HIL. (can. 12.) L'envie soulève contre Jésus l'esprit des pharisiens,
parce qu'ils ne voyaient en lui que l'homme, et qu'ils ne voulaient pas y découvrir
Dieu dans les oeuvres qu'il opérait. L'Évangéliste ajoute
donc : " Mais les pharisiens, étant sortis, " etc. - RAB. Ils
sortent, parce que leur âme s'est détournée de Dieu ; ils
tinrent conseil pour prendre les moyens de perdre la vie et non de la trouver
pour eux-mêmes. - S. HIL. (can. 42.) Jésus, connaissant leurs desseins,
se retire pour s'éloigner de ce conseil d'iniquité. " Or,
Jésus, le sachant, " etc. - S. JER. Il se retire, parce qu'il connaît
les piéges qu'ils veulent lui tendre, et qu'il veut leur ôter l'occasion
d'exercer contre lui leurs projets impies. - REMI. Ou bien il se retire comme
homme pour se dérober à leurs embûches, ou bien encore parce
que ce n'était ni le temps ni le lieu où il devait souffrir ;
car il ne convenait pas qu'un prophète fût mis à mort hors
de Jérusalem, comme il le dit lui-même. (Lc 13.) Il s'éloigne
encore de ceux qui le haïssent et le persécutent, pour aller où
il trouvera un grand nombre de curs qui l'aiment et qui lui sont dévoués.
C'est ce que l'Évangéliste nous indique en disant : " Et
beaucoup de personnes le suivirent. " Ainsi, tandis que les pharisiens
réunissent tous leurs efforts pour le perdre, une multitude sans instruction
le suit, en professant pour lui un attachement unanime. Aussi ne tarde-t-il
pas à récompenser leurs désirs ; il est dit, en effet :
" Et il les guérit tous. " - S. HIL. Il commande à ceux
qu'il guérit de garder le silence sur leur guérison. " Et
il leur commanda de ne point le faire connaître. " La santé
qu'il avait rendue à chacun d'eux était un témoignage en
sa faveur ; mais en commandant le silence, ou en faisant une obligation du secret,
il évite toute occasion de vaine gloire ; et cependant il se fait connaître
par cela seul qu'il commande le secret, puisqu'on ne garde le silence qu'à
l'égard d'une chose dont on ne doit point parler. - HIL. Il nous apprend
aussi, lorsque nous avons fait quelque action importante, à ne point
rechercher les louanges des hommes.
REMI. Un autre motif pour lequel il leur commande de ne point le découvrir,
c'est afin de ne point rendre ses persécuteurs plus coupables. - S. CHRYS.
(hom. 41.) De peur que ces actes de folie, incroyables dans les pharisiens,
ne vous jettent dans le trouble, Jésus apporte le témoignage du
Prophète. Car l'exactitude des prophètes est si grande en ce qui
concerne le Christ, qu'ils ont rapporté les moindres détails de
sa vie, ses voyages, ses marches, et jusqu'aux intentions qui le faisaient agir,
pour vous montrer que toutes ces choses leur étaient dictées par
l'Esprit saint. Il est impossible, en effet, de connaître les pensées
d'un homme, à plus forte raison les intentions du Christ, à moins
que l'Esprit saint ne les révèle. L'Évangéliste
ajoute donc : " Afin que cette parole du prophète Isaïe fût
accomplie : " Voici mon serviteur, " etc. - REMI. Notre-Seigneur est
appelé le serviteur du Dieu tout-puissant, non pas comme Dieu, mais suivant
l'économie de son incarnation ; car par la coopération du Saint-Esprit
il a pris dans le sein de la Vierge une chair exempte de la tache du péché.
Quelques exemplaires portent : " L'élu que j'ai choisi ; "
car il a été choisi, c'est-à-dire prédestiné
par Dieu le Père, pour être non pas son fils adoptif, mais son
propre fils. - RAB. Il dit : " Je l'ai choisi " pour une oeuvre que
nul autre n'a faite, pour racheter le genre humain, et rétablir la paix
entre le monde et Dieu.
SUITE. " Mon bien-aimé, en qui j'ai mis mon affection, " car lui seul est cet Agneau sans tache dont le Père a dit : " Voici mon Fils bien-aimé en qui mon âme a mis ses complaisances. " - REMI. Ces paroles : " Mon âme, " ne doivent pas être entendues en ce sens que Dieu le Père ait une âme comme la nôtre ; c'est par métaphore que le prophète lui attribue une âme pour exprimer son affection. Et en cela rien d'étonnant, puisque nous lui attribuons de la même manière les différents membres de notre corps. - S. CHRYS. (hom. 41.) Le Prophète a commencé par l'énumération de ces deux caractères, pour vous indiquer que tout ce qui suit s'est fait selon le bon plaisir du Père ; car celui qui est aimé agit conformément à la volonté de celui qui l'aime. De même celui qui est élu ne détruit pas la loi par opposition à celui qui l'a choisi, il ne se présente pas comme l'ennemi du législateur, mais comme en parfaite harmonie avec lui. Or, c'est parce qu'il est mon bien-aimé que " je ferai reposer mon esprit sur lui. " - REMI. Dieu le Père fit reposer son esprit sur lui, lorsque par l'opération du Saint-Esprit il prit un corps dans le sein de la Vierge Marie, et lorsqu'étant fait homme, il fut inondé de la plénitude de l'Esprit saint.
S. JER.
L'Esprit saint repose non pas sur le Verbe de Dieu, sur ce Fils unique qui sort
du sein du Père (Jn 1, 18 ; 8, 4), mais sur celui dont il a été
dit : " Voici mon serviteur. " Que doit-il opérer par son ministère
? Écoutez la suite : " Il annoncera la justice aux nations. "
- S. AUG. (Cité de Dieu, 21, 30.) C'est qu'en effet, il est venu annoncer
le jugement à venir à ceux qui l'ignoraient. - S. CHRYS. (hom.
41.) Il fait ensuite connaître son humilité, en ajoutant : "
Il ne disputera point, " car il s'est offert selon le bon plaisir de son
Père, et il s'est livré de lui-même entre les mains de ses
persécuteurs. " Il ne criera point, " car il s'est tu comme
un agneau devant celui qui le tond. " Personne n'entendra sa voix sur les
places publiques. " - S. JER. La voie qui conduit à la perdition
est large et spacieuse, et il en est beaucoup qui la prennent ; or il en est
beaucoup qui n'entendent pas la voix du Sauveur, parce qu'ils sont non dans
la voie étroite, mais dans la voie large (Mt 7, 13). - REMI. Le mot grec
p?ate?a, correspondant au mot latin platea, place publique, veut dire étendue
; personne donc n'a entendu sa voix dans les lieux spacieux, parce qu'il a promis
à ceux qui l'aiment, non pas les jouissances de la vie, mais de rigoureuses
privations.
S. CHRYS. (hom. 41.) Le Sauveur voulait, par cette douceur, guérir l'esprit
des Juifs ; mais bien qu'ils aient rejeté les avances de sa bonté,
il ne voulut pas leur résister en les détruisant. Aussi le Prophète
nous fait-il connaître à la fois sa puissance et leur faiblesse
dans les paroles suivantes : " Il ne brisera pas le roseau cassé,
et il n'éteindra pas la mèche qui fume encore. " - S. HIL.
Celui qui ne tend pas la main au pécheur, et qui ne porte point le fardeau
dont son frère est chargé, achève de briser le roseau cassé
; et celui qui méprise la plus petite étincelle de foi dans le
dernier des croyants, éteint la mèche qui fume encore. S. AUG.
(Cité de Dieu, 20, 30.) Il ne voulut donc ni briser ni éteindre
les Juifs ses persécuteurs, comparés ici au roseau brisé,
parce qu'ils n'avaient plus leur intégrité, et à la mèche
qui fume, parce qu'ils avaient perdu la lumière ; cependant il leur pardonne,
car il n'était pas encore venu pour les juger, mais pour être jugé
par eux. - S. AUG. (Quest. évang., 2, 3.) A l'occasion de cette mèche
qui fume, remarquez qu'en perdant sa lumière, elle exhale une mauvaise
odeur.
S. CHRYS. (hom. 41.) Ou bien par ces paroles : " Il n'achèvera pas
de briser le roseau cassé ", il leur fait voir qu'il lui était
facile de les briser tous, comme on brise un roseau, et non pas un roseau quelconque,
mais un roseau déjà cassé. Ce qui suit : " Il n'éteindra
pas la mèche qui fume encore, " nous montre leur fureur allumée
contre lui, et la toute-puissance de Jésus-Christ pour éteindre
cette fureur avec la plus grande facilité, et c'est en cela qu'il fait
paraître l'excès de sa douceur. - S. HIL. (can. 12.) Ou bien par
ce roseau qu'il n'achève pas de briser, il nous apprend que les nations
fragiles et déjà brisées, n'ont pas été broyées
entièrement, mais qu'elles ont été réservées
pour le salut ; et en ajoutant : " Il n'éteindra pas la mèche
qui fume encore, " il nous montre que la dernière étincelle
de feu n'est pas éteinte dans cette mèche qui fume encore, c'est-à-dire
que l'esprit de la grâce ancienne n'a pas entièrement disparu du
milieu des restes d'Israël, parce qu'elles ont conservé, avec la
faculté de faire pénitence, le pouvoir de recouvrer la lumière
dans tout son éclat. - RAB. Ou bien, au contraire, ce roseau brisé,
ce sont les Juifs agités par le vent, et dispersés bien loin les
uns des autres. Cependant le Seigneur ne les condamne pas immédiatement,
mais il les supporte avec patience. Cette mèche qui fume encore serait
alors le peuple, formé des nations, qui, après avoir éteint
dans son cur la chaleur de la loi naturelle, était enveloppé
de toutes parts d'erreurs. ténébreuses, semblables à une
épaisse fumée qui blesse les yeux. Or, non seulement le Seigneur
n'éteignit pas cette mèche fumante, et ne la réduisit pas
en cendres, mais au contraire il fit jaillir de cette étincelle la flamme
la plus vive et le feu le plus ardent.
S. CHRYS. (hom. 41.) On pourra peut-être objecter : Quoi donc, en sera-t-il
toujours ainsi ? supportera-t-il jusqu'à la fin ceux qui se laissent
emporter à cet excès de malignité et de folie ? Non ; mais
lorsque sa mission sera terminée, il passera à un autre ordre
de choses, et c'est ce qu'il nous déclare par ces mots : " Jusqu'à
ce qu'il fasse triompher la justice de sa cause. " Comme s'il disait :
Lorsqu'il aura accompli l'objet de sa mission, ce sera le tour de la vengeance
absolue ; car alors ses ennemis seront sévèrement châtiés,
lorsqu'il aura rendu son triomphe si éclatant qu'il n'y aura plus de
place pour leurs insolentes contradictions. - S. HIL. (can. 12.) Ou bien jusqu'à
ce qu'il fasse triompher le jugement en dépouillant la mort de toute
sa puissance et en faisant revenir avec lui la justice dans son retour triomphant.
- RAB. Ou bien encore jusqu'à ce que le jugement dont il était
l'objet aboutisse à une victoire éclatante, car après avoir
triomphé de la mort par sa résurrection, après avoir chassé
le prince de ce monde, il est rentré triomphant dans le royaume des cieux
et s'est assis à la droite de son Père, jusqu'à ce qu'il
ait réduit tous ses ennemis sous ses pieds (1 CO 1, 15.) - S. CHRYS.
(hom. 41.) Mais sa puissance ne se bornera pas à punir ceux qui auront
refusé de croire en lui, il entraînera encore après lui
tout l'univers : " Et les nations espéreront en son nom. "
- S. AUG. (Cité de Dieu, 20, 30.) Nous voyons déjà l'accomplissement
de cette dernière partie de la prophétie, et cet accomplissement
qui est incontestable nous garantit l'accomplissement du jugement dernier, que
quelques-uns ont la témérité de nier, jugement qui aura
lieu sur la terre parce que le Christ descendra lui-même du haut des cieux.
En effet, qui aurait jamais cru que les nations espéreraient dans le
nom du Christ, alors qu'il était au pouvoir de ses ennemis, chargé
de chaînes, frappé de verges, bafoué et attaché sur
une croix, et quand ses disciples eux-mêmes avaient perdu le peu d'espérance
qu'ils avaient placée en lui. Ce qu'alors un voleur seul avait à
peine espéré sur la croix, est devenu l'objet de l'espérance
de toutes les nations répandues sur la face de la terre, et tous les
hommes recourent au signe de cette croix sur laquelle il est mort pour se garantir
eux-même de la mort éternelle. Que personne donc ne doute que Jésus-Christ
n'accomplisse un jour ce dernier jugement tel qu'il a été prédit.
REMI. Remarquons que ce témoignage du prophète ne vient pas confirmer
seulement la vérité de ce passage, mais la vérité
d'une multitude d'autres. Ainsi ces paroles : " Voici mon serviteur, "
se rapportent à cet endroit où le Père dit : " Celui-ci
est mon Fils, " (Mt 3) ; et ces autres : " Je placerai mon esprit
en lui, " au miracle de l'Esprit saint descendant sur le Seigneur au moment
de son baptême. (Lc 3.) Ce qu'il ajoute : " Il annoncera la justice
aux nations, " se rapporte à ce que saint Matthieu dit ailleurs
: " Lorsque le Fils de l'homme s'assiéra sur le trône de sa
gloire. " (Mt 25) Ces autres paroles : " Il ne disputera ni ne criera
" se sont vérifiées lorsque le Seigneur ne répondit
presque rien au prince des prêtres et à Pilate (Mt 26, 27), et
qu'il garda un silence absolu devant Hérode (Lc 23). Ce qui suit : "
Il n'achèvera pas de briser le roseau cassé " se rapporte
à ce trait de la vie du Sauveur où il se dérobe à
la fureur de ses ennemis pour leur éviter un plus grand crime (Jn 7 et
8) ; enfin ces paroles : " Les nations espéreront en son nom "
peuvent se rapporter à ce passage de saint Matthieu : " Allez, enseignez
toutes les nations. " (Mt 28.)
vv. 23-24.
LA GLOSE. - Le Seigneur venait de réfuter les calomnies des pharisiens
qui lui reprochaient de faire des miracles le jour du sabbat ; mais comme, par
une méchanceté plus noire encore, ils dénaturaient les
miracles eux-mêmes qu'il opérait par une vertu toute divine en
les attribuant à l'esprit impur, 1'Évangéliste raconte
le prodige qui fut pour eux l'occasion de ce blasphème : " Alors
on lui présenta un possédé. "
REMI. Ce
mot alors se rapporte au moment où il sortait de la synagogue après
avoir guéri cet homme dont la main était desséchée.
Ou bien cette expression alors signifie un espace de temps plus étendu
et voudrait dire alors qu'il prononçait tous les discours, ou qu'il faisait
les oeuvres qui sont ici racontés. - S. CHRYS. (hom. 41.) Quelle malice
surprenante dans le démon ! il avait fermé les deux passages par
lesquels la foi aurait pu entrer dans cet homme, c'est-à-dire la vue
et l'ouïe ; mais le Seigneur va ouvrir l'un et l'autre : " Et il le
guérit, " ajoute l'Evangéliste. - S. JER. Nous voyons ici
trois prodiges opérés dans un seul homme : l'aveugle voit, le
muet parle, le possédé est délivré du démon,
et ce miracle extérieur et sensible se renouvelle tous les jours dans
la conversion de ceux qui embrassent la foi ; après que le démon
est chassé de leur âme ils voient la lumière de la foi,
et leur bouche, jusqu'alors muette, s'ouvre pour proclamer les louanges de Dieu.
- S. HIL. (can. 12 sur S. Matth.) Ce n'est pas sans un des-sein particulier
de Dieu qu'après avoir parlé d'une multitude de per-sonnes guéries
en commun, l'Évangéliste nous raconte la guérison particulière
d'un homme qui était tout à la fois possédé, aveugle
et muet. Il convenait en effet qu'après la guérison dans la synagogue
de l'homme dont la main était desséchée, celui dont il
est ici question devînt la figure de la guérison spirituelle des
nations, et qu'après avoir été possédé du
démon, aveugle et muet, il devint l'habitation de Dieu, vît et
reconnut le vrai Dieu dans la personne du Christ et rendît gloire à
Dieu pour les uvres qu'il opérait. - S. AUG. (Quest. Evang., 2,
4.) Celui qui ne croit point et qui est l'esclave du démon est tout à
la fois possédé, aveugle et muet; il ne comprend pas, il ne confesse
pas la foi ou il ne rend pas gloire à Dieu. - S. AUG. (De l'accord des
Evang., 2, 37.) Ce n'est pas dans le même ordre que saint Luc raconte
ce fait (Lc 11) ; il parle d'un muet seulement, sans ajou-ter qu'il fût
aveugle; mais de ce qu'il omet une circonstance de ce genre, on ne peut conclure
qu'il veut raconter une guérison diffé-rente, car la suite de
son récit revient à celui de saint Matthieu.
S. HIL. (can. 12.) A la vue de ce miracle, la foule est dans l'étonnement,
mais l'envie des pharisiens ne fait que s'accroître : " Et tout le
peuple étonné disait : N'est-ce point là le fils de David
? " - LA GLOSE. Ils l'appellent le Fils de David à cause de sa bonté
et de ses bienfaits. - RAB. Tandis que le peuple moins instruit ne cessait d'ad-mirer
les prodiges du Sauveur, ceux-ci s'appliquaient toujours à les nier,
ou, lorsqu'ils ne le pouvaient, à les révoquer du moins en doute,
à les dénaturer par des interprétations malveillantes,
comme s'ils étaient l'uvre non pas de la divinité, mais
de l'esprit immonde, de Beelzébub qui passait pour le dieu d'Accaron.
C'est ce qu'ils firent dans cette circonstance. " Les pharisiens entendant
cela dirent : Cet homme ne chasse les démons que par Beelzébub,
prince des démons. "
REMI. Beelzébub n'est autre chose que Beel ou Baal, ou Beelphégor.
Beel fut le père de Ninus, roi des Assyriens; il fut appelé Baal
parce qu'on l'adorait sur les hauteurs, et Beelphégor à cause
de la montagne de Phéga, où son idole était placée.
Zébul fut un serviteur d'Abimélech, fils de Gédéon.
C'est cet Abimélech qui, après le meurtre de ses soixante-dix
frères, éleva un temple à Baal et y établit prêtre
Zébub pour chasser les mouches qui s'y rassemblaient en grand nombre
à cause de la grande quantité de sang des victimes immo-lées
(cf. Jg 9, 28); car Zébub signifie mouche et Beelzébub veut dire
l'homme des mouches. Ils l'appelaient prince des démons à cause
des impuretés qui déshonoraient son culte. Ne trouvant donc rien
de plus infâme à objecter contre le Sauveur, ils disaient que c'était
par Beelzébub qu'il chassait les démons. Il faut remarquer que
ce nom doit être écrit avec un b à la fin et non avec un
t ou avec un d, comme on le voit dans quelques exemplaires fautifs.
vv. 25-26.
S. JÉR. Les pharisiens attribuaient au prince des démons les oeuvres
de Dieu ; Notre-Seigneur répond non à ce qu'ils disaient mais
à ce qu'ils pensaient au-dedans d'eux-mêmes (cf. Ps 7, 9 ; Jr 17,
10), pour les forcer de croire à la puissance de Celui qui voyait le
fond des curs. " Or Jésus connaissant leurs pensées,
" etc. - S. CHRYS. (hom. 42 sur S. Matth.) Ils avaient déjà
accusé plus haut le Seigneur de chasser les démons par Beelzébub,
sans qu'il les en eût repris ; il voulait laisser à la multitude
de ses miracles de leur faire connaître sa puissance, et à sa doctrine
de révéler sa grandeur ; mais comme ils persévéraient
dans cette interprétation calomnieuse, il leur en fait des reproches
sévères, bien que cette accusation n'eût pas le moindre
fondement, car l'envie n'examine pas la nature de ses accusations, pourvu qu'elle
accuse. Cependant Jésus ne leur répond point avec mépris,
mais ses paroles sont pleines de douceur et de dignité pour nous apprendre
à être doux envers nos ennemis, à ne point nous troubler
alors même qu'ils nous accuseraient de choses que nous ne reconnaissons
pas en nous et qui n'ont aucun fondement. Cette conduite fait même ressortir
l'odieux de leurs calomnies, car un possédé du démon n'aurait
pu faire ni paraître une aussi grande douceur, ni connaître les
pensées des curs. C'est du reste parce que leurs accusations étaient
dépourvues de toute raison, qu'ils redoutaient la multitude, et qu'ils
n'osaient rendre publique cette accusation contre le Christ ; ils se contentaient
de l'agiter au fond de leur cur. C'est pour cela que l'Évangéliste
dit : " Or, Jésus connaissant leurs pensées. " Le Sauveur,
dans sa réponse, ne relève point cette volonté qu'ils avaient
de l'accuser ; il ne divulgue pas leur méchanceté, il se contente
de leur répondre, car son désir était d'être utile
aux pécheurs et non pas de dévoiler leurs crimes. Il ne se justifie
point non plus à l'aide de témoignages de 1'Écriture, car
ils n'y auraient fait aucune attention et les auraient expliqués dans
un autre sens, mais il tire sa réponse des choses qui arrivent ordinairement.
Les guerres qui viennent de l'extérieur sont bien moins funestes que
les guerres civiles : c'est ce qui se vérifie également pour tous
les corps comme pour tous les êtres. Mais le Seigneur emprunte ses exemples
aux choses qui sont plus connues : " Tout royaume divisé contre
lui-même sera ruiné, " etc. Rien n'est plus puissant sur la
terre qu'un royaume, cependant la division est pour lui un principe certain
de ruine ; que dire après cela d'une ville, d'une maison, divisées
contré elles-mêmes. Grand ou petit, tout ce qui combat contre soi-même
se détruit nécessairement. - S. HIL. (can. 12.) Le sort d'une
maison ou d'une cité est ici le même que celui d'un royaume ; c'est
pour cela qu'il ajoute : " Toute ville ou toute maison divisée contre
elle-même ne pourra subsister. " - S. JER. De même que la concorde
fait croître les plus petites choses, ainsi la division fait tomber les
plus grandes.
S. HIL. (can. 12) La parole de Dieu est riche et féconde, et soit qu'on l'entende dans le sens le plus simple, soit qu'on pénètre dans ses profondeurs, elle est indispensable à tout progrès de l'âme. Laissons donc de côté l'interprétation commune assez claire d'elle-même, et arrêtons-nous au sens intime de ces paroles. Le Seigneur, ayant à repousser l'accusation de faire des miracles par Béelzébub, fait retomber cette accusation sur ses auteurs. En effet, la loi vient de Dieu et la promesse du royaume d'Israël découle de la loi : si le royaume de la loi est divisé contre lui-même, il faut nécessairement qu'il se détruise, et c'est ainsi que le royaume d'Israël a perdu la loi, alors que le peuple de la loi attaquait dans le Christ l'accomplissement de la loi. C'est la ville de Jérusalem qui est ici désignée, elle qui, après avoir dirigé contre le Christ tous les flots de la fureur populaire et mis en fuite les Apôtres avec la multitude des croyants, ne tiendra pas contre cette division, et le Sauveur prédit ici la ruine de cette ville, qui suivit de près cette division. Il ajoute ensuite : Et si Satan chasse Satan, comment son royaume subsistera-t-il ? - S. JER. C'est-à-dire : Si Satan combat contre lui-même et si le démon se déclare l'ennemi du démon, la fin du monde devrait être proche, car il n'y aurait plus de place pour ces puissances ennemies dont les divisions assurent la paix aux hommes. - LA GLOSE. Le Seigneur les renferme donc dans un dilemme dont ils ne peuvent sortir : ou bien le Christ chasse le démon par la puissance de Dieu, ou bien par la vertu du prince des démons. Si c'est par la puissance de Dieu, vos calomnies tombent à faux ; si c'est par le prince des démons, le royaume des démons est donc divisé contre lui-même, et il ne peut subsister. C'est pour cela que les pharisiens se retirent de son royaume, et le Sauveur insinue que c'est de leur propre choix, parce qu'ils ont refusé de croire en lui. - S. CHRYS. (hom. 42.) Ou bien si ce royaume est divisé, il s'est affaibli par cette division et il est perdu ; et, s'il est perdu, comment peut-il en renverser un autre ? - S. HIL. (can. 12.) Ou bien encore si le démon est forcément l'auteur de cette division intestine, et qu'il porte le trouble parmi les démons eux-mêmes, il faut en conclure que celui qui est parvenu à les diviser a plus de puissance que ceux qu'il a divisés ; donc le royaume du démon, devenu le théâtre d'une telle division, est détruit. - S. JER. Si vous pensez, scribes et pharisiens, que les démons se retirent pour obéir à leurs chefs, pour tromper par cette démarche simulée les hommes ignorants, que pouvez-vous dire de ces guérisons miraculeuses dont le Sauveur est l'auteur ? A moins que vous ne reconnaissiez aussi dans le démon la puissance de guérir les infirmités du corps et le pouvoir d'opérer des prodiges spirituels.
vv. 27-28.
S. CHRYS. (hom. 42.) A cette première réponse, Notre-Seigneur
en ajoute une seconde beaucoup plus évidente encore : " Et si c'est
par Béelzébub que je chasse les démons, par qui vos enfants
les chasseront-ils ? " Par les enfants des Juifs, il entend les exorcistes
établis par la loi ou les Apôtres sortis de la nation juive. S'il
veut parler des exorcistes qui chassaient les démons en invoquant le
nom de Dieu, il force les pharisiens par cette question adroite de reconnaître
en eux l'oeuvre de l'Esprit saint ? Si le pouvoir de chasser les démons,
leur dit-il, est dans vos enfants l'oeuvre de Dieu, et non pas des démons,
pourquoi cette puissance aurait-elle en moi un autre principe ? Ils seront donc
eux-mêmes vos juges, non par la puissance qu'ils exerceront sur vous,
mais par l'opposition de leur conduite avec la vôtre, puisque c'est à
Dieu qu'ils font remonter le pouvoir de chasser les dénions, tandis que
vous l'attribuez au prince des démons. Si au contraire ces paroles doivent
s'entendre des Apôtres, ce qui est plus probable, ils seront leurs juges,
parce qu'ils siégeront sur douze siéges pour juger les douze tribus
d'israël. (Mt 19.) - S. HIL. (can. 12.) Or, c'est à juste titre
que les Apôtres seront établis leurs juges, eux qui ont été
revêtus du pouvoir de chasser les démons, pouvoir que les pharisiens
ont refusé de reconnaître dans le Christ lui-même. - RAB.
Ou bien encore, c'est parce que les Apôtres avaient la conscience que
le Christ ne les avait initiés à aucune science funeste.
S. CHRYS. (hom. 42.) Le Sauveur ne dit pas ici : Mes disciples, ni mes Apôtres,
mais " vos enfants, " afin de leur donner toute facilité de
reprendre leur dignité, ou, s'ils persévéraient dans leur
ingratitude, d'ôter toute excuse à leur impudence. Or, les Apôtres
chassaient les démons en vertu du pouvoir que le Sauveur lui-même
leur avait donné ; cependant les pharisiens ne songeaient pas à
les accuser, car ce n'était pas le fait lui-même qu'ils attaquaient,
mais la personne du Christ. Il prend les Apôtres pour exemple, afin de
leur prouver que c'était sous l'inspiration de l'envie qu'ils parlaient
ainsi de lui. Il les conduit ensuite de nouveau à la connaissance de
lui-même, en leur démontrant qu'ils sont les ennemis déclarés
de leur propre bonheur, et qu'ils s'opposent à leur salut, tandis qu'ils
devraient se réjouir de ce qu'il était venu pour leur communiquer
des biens ineffables. Or, poursuit-il, si c'est par l'Esprit de Dieu que je
chasse les démons, le royaume de Dieu est donc parvenu jusqu'à
vous. " Il leur montre par là que chasser les démons n'est
pas l'effet d'une grâce ordinaire ; mais un acte de puissance extraordinaire,
et c'est pour établir cette vérité qu'il tire cette conclusion
: " Donc le royaume de Dieu est parvenu jusqu'à vous. " Comme
s'il disait : S'il en est ainsi, vous ne pouvez douter de la venue du Fils de
Dieu sur la terre. Mais il laisse cette conséquence dans l'obscurité,
pour ne pas leur être insupportable. Au contraire, comme il veut les attirer
à lui, il ne se contente pas de dire : Le royaume de Dieu est arrivé,
mais " il est arrivé jusqu'à vous. " Il semble leur
dire : Les biens vous arrivent et se répandent sur vous ; pourquoi donc
vous déclarer contre ce qui doit être votre salut ? Ces oeuvres
si grandes de la puissance divine ont été prédites par
tous les prophètes comme le signe de la présence du Fils de Dieu
sur la terre. - S. JER. Il se désigne lui-même comme ce royaume
de Dieu, dont il est dit ailleurs : " Le royaume de Dieu est au milieu
de vous. " (Lc 17 ;) Et encore : " Il y en a un au milieu de vous
que vous ne connaissez pas. " (Jn 1.) Ou bien encore, c'est ce royaume
que Jean-Baptiste et le Seigneur lui-même ont annoncé en ces termes
: " Faites pénitence, car le royaume des cieux est proche. "
(Mt 3.) Il est un troisième royaume de la sainte Écriture qui
est enlevé aux Juifs pour être donné à une nation
qui lui fera porter des fruits. (Mt 21.) - S. HIL. (can. 12.) Si donc les disciples
agissent par la vertu du Christ, et que le Christ agisse lui-même par
la vertu de l'Esprit saint, le royaume de Dieu arrive, puisqu'il a été
communiqué aux Apôtres par le ministère du médiateur
lui-même. - LA GLOSE. On peut dire aussi que l'affaiblissement du pouvoir
du démon est une augmentation du royaume de Dieu. - S. AUG. (Quest. évang.,
1, 5.) On peut donc donner aussi cette explication : Si je chasse les démons
par Béelzébub, même dans votre pensée, le royaume
de Dieu est parvenu jusqu'à vous ; car ce royaume du démon qui,
de votre aveu, est divisé contre lui-même, ne peut subsister. Ce
royaume de Dieu dont il parle, c'est celui où les impies subissent leur
condamnation, et où ils sont séparés des fidèles
qui font maintenant pénitence de leurs péchés.
v. 29.
S. CHRYS. (hom. 42.) A cette seconde réponse, Notre-Seigneur en ajoute
encore une troisième : " Comment quelqu'un peut-il entrer dans la
maison du fort ? " etc. Que Satan ne puisse chasser Satan, c'est chose
évidente d'après ce qui précède, et il est également
hors de doute que personne ne peut le chasser sans l'avoir tout d'abord vaincu.
Notre-Seigneur reproduit donc, mais avec une nouvelle force, la raison qu'il
a donnée précédemment : Je suis si loin de demander au
démon son appui, que je suis en guerre avec lui et que je le tiens captif,
et la preuve, c'est que j'enlève tout ce qu'il possède. C'est
ainsi qu'il établit le contraire de ce que ses ennemis cherchaient à
lui reprocher. Que voulaient-ils en effet ? Persuader que ce n'était
point par sa propre puissance qu'il chassait les démons. Or, il leur
démontre qu'il a fait captifs, non-seulement les démons, mais
leur chef lui-même. Ce qu'il a fait le prouve suffisamment. Car comment,
sans l'avoir réduit le premier, aurait-il pu se rendre maître des
démons qui sont sous ses ordres ? Ces paroles contiennent, à mon
avis, une prophétie ; car non-seulement il chasse actuellement les démons,
mais il fera disparaître l'erreur de toute la face de la terre, et détruira
tous les artifices du démon. Il ne dit pas : Il enlèvera, mais
: " Il arrachera, " pour montrer la puissance avec laquelle il agit.
- S. JER. La maison du démon, c'est le monde qui est soumis à
l'empire du malin esprit, non par la volonté de son Créateur,
mais par la grandeur de sa faute. Le fort a été chargé
de chaînes, relégué dans l'enfer et brisé sous les
pieds du Seigneur. Toutefois nous ne devons pas être sans crainte ; car
notre adversaire est proclamé " le fort " par la bouche même
de son vainqueur. - S. CHRYS. (hom. 42.) Il l'appelle le fort, pour exprimer
son antique tyrannie, due tout entière à notre lâcheté.
- S. AUG. (Quest. évang., 1, 5.) Satan tenait les hommes captifs, et
ils ne pouvaient s'arracher de ses mains par leurs propres forces, si la grâce
de Dieu n'était venu les délivrer. Ce qu'il appelle ses armes,
ce sont les infidèles. Il a lié le fort en lui enlevant le pouvoir
qu'il avait de s'opposer à la volonté des fidèles qui veulent
suivre le Christ, et conquérir le royaume de Dieu. - RAB. Il a pillé
sa maison, parce qu'il a délivré des pièges du démon,
pour les réunir à son Église, ceux qu'il avait prévus
devoir être à lui, ou bien lorsqu'il a donné le monde entier
à convertir à ses Apôtres et à leurs successeurs.
Par cette comparaison si claire, il leur montre donc qu'il n'est point associé
aux opérations mensongères du démon, comme ils l'en accusaient
faussement, mais que c'est par la puissance divine qu'il a délivré
les hommes de la tyrannie des démons.
v. 30.
S. CHRYS. (hom. 42.) A cette troisième raison en succède une quatrième
: " Celui qui n'est pas avec moi est contre moi. " - S. HIL. (can.
12.) Jésus fait connaître combien il s'en faut qu'il ait emprunté
la moindre puissance au démon, et il nous laisse entrevoir combien il
est dangereux de se faire une mauvaise idée de lui, puisque ne pas être
avec lui c'est être contre lui. - S. JER. Il ne faut pas croire cependant
que ces paroles se rapportent aux hérétiques et aux schismatiques,
quoiqu'on puisse les leur appliquer par extension ; car le contexte et la suite
du récit nous forcent de les entendre du démon, en ce sens qu'on
ne peut comparer les oeuvres du Seigneur aux oeuvres de Béelzébub.
Le désir du démon, c'est de tenir les âmes captives ; le
désir du Seigneur, c'est de les délivrer ; l'un prêche le
culte des idoles, l'autre la connaissance du vrai Dieu ; le démon entraîne
au mal, le Sauveur rappelle à la pratique des vertus. Or, quel accord
est possible entre ceux dont les oeuvres sont si contraires ?
S. CHRYS. (hom. 42.) Comment donc celui qui n'amasse pas avec moi et qui n'est
pas avec moi, peut-il être d'accord avec moi pour chasser les démons
? il désire bien plutôt disperser et détruire ce qui m'appartient.
Mais dites moi, si vous aviez un combat à livrer, celui qui ne voudrait
pas venir à votre secours ne serait point par là même contre
vous. Car le Seigneur lui-même a dit dans un autre endroit : " Celui
qui n'est pas contre vous est pour vous. " Il n'y a point ici de contradiction
entre ces deux passages : d'un côté le Seigneur veut parler du
démon qui est en guerre ouverte avec lui ; de l'autre, d'un homme qui
était en partie avec les disciples, et dont ils disaient : " Nous
avons vu un homme chasser les démons en votre nom. " Ce sont les
Juifs qu'il paraît surtout avoir ici en vue, et qu'il range dans le parti
du démon ; ils étaient en effet contre lui, et ils dispersaient
ce qu'il cherchait à réunir. On peut admettre aussi qu'il veut
parler de lui-même, car il était l'ennemi déclaré
du démon, et s'efforçait de détruire ses oeuvres.
vv. 31-32.
S. CHRYS. (hom. 42.) Le Seigneur a répondu aux pharisiens en justifiant
sa conduite ; il leur inspire maintenant une salutaire frayeur. Car une partie
importante de la correction, c'est non-seulement de justifier sa manière
d'agir, mais aussi d'y ajouter les menaces. - S. HIL. (can. 12.) Il prononce
un jugement sévère contre l'opinion injuste des pharisiens et
contre la perversité de ceux qui la partagent, en promettant le pardon
de tous les péchés, mais en le refusant au blasphème contre
l'Esprit. " C'est pourquoi je vous déclare que tout péché
et tout blasphème sera remis. " - REMI. Remarquons, toutefois, que
le pardon n'est pas accordé indistinctement à tout le monde, mais
à ceux qui auront fait une pénitence proportionnée à
leurs péchés. Ces paroles sont la condamnation de l'erreur de
Novatien, qui prétendait que les fidèles ne pouvaient se relever
de leurs chutes par la pénitence, ni mériter le pardon de leurs
péchés, surtout ceux qui avaient renoncé la foi dans les
persécutions.
" Mais le blasphème contre le Saint-Esprit ne leur sera point remis.
" - S. AUG. (serm. sur les paroles du Seig.) Quelle différence entre
cette locution : " Le blasphème contre l'Esprit ne sera pas pardonné,
" et cette autre que nous lisons dans saint Luc : " Si quelqu'un blasphème
contre l'Esprit saint, il ne lui sera pas remis " (Lc 11), si ce n'est
que la pensée est rendue plus clairement d'une façon que de l'autre,
et que le second Évangéliste explique le premier sans le contredire
? En effet, cette expression : le blasphème de l'Esprit, a quelque obscurité,
parce qu'on ne dit pas de quel esprit il s'agit, et c'est pour la faire disparaître
que Notre-Seigneur ajoute : " Et quiconque aura dit une parole contre le
Fils de l'homme. " Après avoir parlé en général
de toute espèce de blasphème, il veut spécifier en particulier
le blasphème contre le Fils de l'homme, blasphème qui nous est
représenté comme un péché très grave dans
l'Évangile de saint Jean, où nous lisons : " Il convaincra
le monde de péché, de justice et de jugement ; de péché,
parce qu'ils n'ont pas cru en moi. " (Jn 16.) - Le Sauveur ajoute : "
Mais celui qui aura blasphémé contre le Saint-Esprit, il ne lui
sera point pardonné. " Ces paroles ne signifient donc pas que dans
la Trinité l'Esprit saint est supérieur au Fils, erreur que n'a
jamais soutenue personne, pas même les hérétiques.
S. HIL. (can. 12.) Qu'y a-t-il de plus impardonnable que de nier la nature divine
dans le Christ, que de le dépouiller de la substance de l'Esprit du Père
qui demeure en lui, alors qu'il opère toutes ses oeuvres par l'Esprit
de Dieu, et que Dieu est en lui pour se réconcilier le monde ? - S. JER.
Ou bien ce passage doit être entendu ainsi : Si quelqu'un dit une parole
contre le Fils de l'homme, scandalisé qu'il est par la chair dont je
suis revêtu, et ne voyant en moi qu'un homme, cette opinion, bien qu'elle
soit un blasphème et une erreur coupable, sera cependant digne de pardon,
à cause de la faiblesse de la nature humaine qui paraît en moi
; mais celui qui, en présence d'oeuvres incontestablement divines dont
il ne peut nier la puissance, osera cependant me calomnier sous l'inspiration
de l'envie, et dire que le Christ, le Verbe de Dieu, et les oeuvres de l'Esprit
saint doivent être attribuées à Béelzébub,
ne peut espérer de pardon ni dans ce monde ni dans l'autre. - S. AUG.
(serm. 2 sur les paroles du Seig.) Si tel était le sens de ces paroles,
il ne serait question d'aucun autre blasphème, et le seul qui serait
irrémissible serait le blasphème contre le Fils de l'homme, c'est-à-dire
celui qui ne veut voir en lui qu'un homme. Mais comme il a commencé par
dire : " Tout péché et tout blasphème sera remis aux
hommes, " il est hors de doute que le blasphème contre le Père
lui-même est compris dans cette proposition générale ; et
le seul blasphème qu'il déclare irrémissible est celui
qui attaque l'Esprit saint. Est-ce que le Père lui-même a pris
la forme d'un esclave, de manière que sous ce rapport l'Esprit saint
lui soit supérieur ? Et quel est celui qu'on ne pourrait convaincre d'avoir
parlé contre l'Esprit saint avant qu'il devint chrétien et catholique
? Est-ce que d'abord les païens, lorsqu'ils osent attribuer les miracles
de Jésus-Christ à des opérations magiques, ne sont pas
semblables à ceux qui lui reprochaient de chasser les démons au
nom du prince des démons ? Et les Juifs eux-mêmes, et tous les
hérétiques qui confessent l'Esprit saint, mais qui nient sa présence
perpétuelle dans le corps du Christ, qui est l'Église catholique,
ressemblent aux pharisiens qui niaient que l'Esprit saint fût en Jésus-Christ.
D'ailleurs, il y a eu des hérétiques, comme les Ariens, les Eunomiens
et les Macédoniens, qui ont osé soutenir que l'Esprit saint n'était
qu'une créature, ou qui ont nié son existence, jusqu'à
prétendre que le Père seul était Dieu, et qu'on lui donnait
tantôt le nom de Fils, tantôt le nom de l'Esprit saint ; ce sont
les Sabelliens. Les Photiniens soutiennent aussi que le Père seul est
Dieu, que le Fils n'est qu'un homme, et ils nient complètement l'existence
de la troisième personne, de l'Esprit saint. Il est donc évident
que les païens, les hérétiques et les Juifs blasphèment
contre l'Esprit saint. Faut-il donc les abandonner ou les considérer
comme n'ayant plus d'espérance ? Si le blasphème qu'ils ont proféré
contre l'Esprit saint, ne doit pas leur être remis, c'est donc inutilement
qu'on leur promet qu'ils recevront la rémission de leurs péchés
dans le baptême, ou par leur entrée dans l'Église ? Car
Notre-Seigneur ne dit pas : Ce péché ne lui sera remis que dans
le baptême, mais : " Il ne lui sera remis ni dans ce monde ni dans
l'autre, " et ainsi il n'y aurait pour être exempts de ce crime énorme
que ceux qui sont catholiques dès leur enfance. - Et au chap. 15 : Il
en est quelques-uns qui prétendent que le blasphème contre l'Esprit
saint est le péché exclusif de ceux qui, après avoir été
purifiés dans l'Église par l'eau régénératrice,
et après avoir reçu l'Esprit saint, répondent par l'ingratitude,
à ce bienfait inestimable du Sauveur, et se plongent de nouveau dans
l'abîme du péché mortel, tels que les adultères,
les homicides, ou les apostats du nom chrétien ou de l'Église
catholique. Mais je ne sais quelle preuve on peut apporter à l'appui
d'un pareil sentiment, alors que l'Église ne ferme à aucun crime
les portes de la pénitence, et que l'Apôtre nous avertit de reprendre
les hérétiques eux-mêmes (2 Tm 2), dans l'espérance
que Dieu les amènera par la pénitence à la connaissance
de la vérité. Enfin le Seigneur n'a pas dit : " Le fidèle
catholique qui aura proféré une parole contre l'Esprit saint,
mais : " Celui qui aura dit, " c'est-à-dire : Quiconque aura
dit, il ne lui sera pardonné ni dans ce siècle ni dans l'autre.
S. AUG. (serm. sur la mont., 1, 43.) Nous lisons dans l'apôtre saint Jean
(1 Jn 5) : " Il est un péché qui conduit à la mort
; je ne dis pas que quelqu'un doive prier pour ce péché. "
Or, je dis que ce péché du frère qui engendre la mort,
est le péché de celui qui, après avoir connu Dieu par la
grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, attaque la sainte fraternité,
ou qui, poussé par une ardente jalousie, se déclare contre la
grâce elle-même à laquelle il doit sa réconciliation
avec Dieu. L'énormité de ce crime est telle, qu'elle ne laisse
plus de place à l'humilité de la prière, alors même
que les remords de la conscience forcent le pécheur de reconnaître
et d'avouer son crime. Il faut croire que cette disposition de l'âme,
à cause de la grandeur du péché, produit déjà
quelque chose de l'impénitence finale et de la damnation, et c'est peut-être
là ce qu'on peut appeler pécher contre l'Esprit saint, c'est-à-dire
par malice et par envie, attaquer la charité fraternelle après
avoir reçu la grâce de l'Esprit saint. C'est ce péché
qui, selon la déclaration du Seigneur, ne sera remis ni dans ce monde
ni dans l'autre. Cette explication nous amène à examiner si les
Juifs commirent ce péché contre l'Esprit saint lorsqu'ils accusèrent
Notre-Seigneur de chasser les démons au nom de Béelzébub,
prince des démons, c'est-à-dire si nous devons regarder cette
accusation comme dirigée personnellement contre le Seigneur, parce qu'il
dit de lui-même dans un autre endroit : " S'ils ont appelé
le père de famille Béelzébub, à combien plus forte
raison ses serviteurs. " Ou bien, comme ils ne parlaient de la sorte que
par un excès de jalousie, et qu'ils n'avaient que de l'ingratitude pour
de si grands bienfaits, ne peut-on pas croire que par l'excès même
de leur jalousie ils ont péché contre l'Esprit saint, quoiqu'ils
ne fussent pas encore chrétiens ? Cette explication ne ressort pas des
paroles du Seigneur, mais on peut dire cependant qu'il les avertit de recevoir
la grâce qui leur est offerte, et après l'avoir reçue, de
ne plus retomber dans le péché qu'ils avaient déjà
commis. Ils avaient proféré contre le Fils de l'homme une parole
pleine de méchanceté ; elle aurait pu leur être pardonnée
s'ils avaient voulu se convertir et croire en lui ; mais si après avoir
reçu l'Esprit saint ils avaient continué à porter envie
à leurs frères, et à se déclarer contre la grâce
qu'ils avaient reçue, ce péché ne leur sera pardonné
ni dans ce monde ni dans l'autre. Et en effet, si le Sauveur les avait considérés
comme déjà condamnés, sans nulle espérance de retour,
il n'aurait pas continué de leur donner des conseils en ajoutant immédiatement
: " Ou faites un arbre bon, " etc. - S. AUG. (Rétract., 1,
19.) Je n'ai pas appuyé cette interprétation, parce que j'ai dit
que tel était mon sentiment, en ajoutant, toutefois, pourvu que l'on
arrive à la fin de cette vie dans cette disposition d'esprit si criminelle.
Il ne faut, en effet, désespérer pendant cette vie d'aucun pécheur,
quelque dépravé qu'il soit, et ce ne sera jamais témérité
de prier pour celui dont il est permis encore d'espérer le salut.
S. AUG. (serm. 2 sur les paroles du Seig., chap. 1 et 5.) Ce passage renferme
un grand mystère, et il faut demander à Dieu la lumière
nécessaire pour bien l'exposer. Je vous le déclare, mes très
chers frères, peut-être dans toutes les saintes Écritures
ne trouve-t-on pas une question plus importante et plus difficile. Remarquez
d'abord que Notre-Seigneur n'a pas dit : Aucun blasphème contre l'Esprit
saint ne sera remis, ni : Celui qui aura dit une parole quelconque contre l'Esprit
saint, mais : " Celui qui aura dit la parole. " - Et au chap. 6 :
Il n'est donc point nécessaire de regarder comme irrémissible
tout blasphème, toute parole contre l'Esprit saint, il faut seulement
reconnaître qu'il y a une parole qui dite contre l'Esprit saint, ne peut
obtenir de pardon. Les saintes Écritures ont, en effet, l'habitude de
s'exprimer de manière que lorsqu'une chose n'a été dite
ni du tout ni de la partie, il n'est pas nécessaire qu'elle puisse s'appliquer
à la totalité pour nous défendre de l'entendre de la partie.
Ainsi le Seigneur dit aux Juifs (Jn 15) : " Si je n'étais pas venu,
et si je ne leur avais point parlé, ils ne seraient pas coupables ; "
Notre-Seigneur n'a pas voulu nous dire que les Juifs eussent été
absolument sans péché, mais qu'il y avait un péché
que les Juifs n'auraient pas eu si le Christ n'était pas venu. - Et au
chap. 18 : L'ordre que nous nous sommes prescrit nous fait un devoir d'expliquer
quelle est donc cette espèce de blasphème contre l'Esprit saint.
Le caractère particulier sous lequel nous est représenté
le Père, c'est l'autorité ; pour le Fils, c'est la naissance ;
pour le Saint-Esprit, c'est l'union du Père et du Fils. Or le lien qui
unit le Père et le Fils est aussi dans leurs desseins, celui qui doit
nous unir tous ensemble entre nous et avec eux : " Car sa charité
a été répandue en nos curs par l'Esprit saint qui
nous a été donné. " Nos péchés nous
ayant privés de la possession des biens véritables, la charité
couvre la multitude des péchés. (1 P 1.) Que ce soit, en effet,
dans l'Esprit saint que Jésus-Christ nous remette les péchés,
nous pouvons le conclure de ce qu'après avoir dit à ses Apôtres
: " Recevez l'Esprit saint, " il ajoute aussitôt : " Les
péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez.
" La première grâce que reçoivent ceux qui croient,
c'est donc la rémission des péchés dans l'Esprit saint
; c'est contre ce don gratuit que s'élève le cur impénitent.
Donc l'impénitence est ce blasphème contre l'Esprit saint qui
ne sera remis ni dans ce monde ni dans l'autre. Car celui qui, " par sa
dureté et par l'impénitence de son cur, amasse un trésor
de colère pour le jour de la colère, " (Rm 2,) celui-là,
soit dans sa pensée, soit verbalement, prononce une parole criminelle
contre l'Esprit saint par lequel les péchés sont remis. Or, cette
impénitence ne peut espérer aucun pardon, ni dans ce monde ni
dans l'autre, parce que la pénitence obtient dans ce monde le pardon
qui nous ouvre les portes de l'autre vie. - Et au chap. 13 : Or, cette impénitence
ne peut être définitivement jugée pendant cette vie, car
on ne doit désespérer de personne tant que la patience de Dieu
peut l'amener à se repentir. (Rm 2.) Car enfin qu'arrivera-t-il si ceux
que vous voyez livrés à toute sorte d'erreurs, et que vous condamnez
comme ayant perdu tout espoir, font pénitence avant le moment de leur
mort ? Quoique ce blasphème se compose de plusieurs paroles et qu'il
puisse être très étendu, l'Écriture, suivant sa coutume,
en parle comme si ce n'était qu'une seule parole. Ainsi, bien que Dieu
ait adressé plusieurs paroles aux prophètes, on lit cependant
: " Parole qui fut adressée à tel ou à tel prophète.
" - Et au chap. 15 : Si l'on nous fait ici cette question : Est-ce l'Esprit
saint qui seul remet les péchés, ou est-ce le Père et le
Fils ? nous répondrons que c'est également le Père et le
Fils, car le Fils dit du Père : " Votre Père vous remettra
vos péchés " (Mt 6,) et il dit de lui-même : "
Le Fils a sur la terre le pouvoir de remettre les péchés. "
Pourquoi donc cette impénitence qui demeure sans pardon n'a-t-elle pour
cause que le blasphème contre l'Esprit saint, comme si celui qui se trouve
lié par ce péché d'impénitence résistait
au don de l'Esprit saint, don qui nous confère la rémission des
péchés ? - Et au chap. 17 : C'est que les péchés
qui ne peuvent être remis en dehors de l'Église ne doivent être
remis que par la vertu de cet Esprit qui est le principe de l'unité de
l'Église, etc. Donc la rémission des péchés, qui
est l'oeuvre de la Trinité tout entière, est attribuée
spécialement à l'Esprit saint ; car il est cet Esprit d'adoption
des enfants dans lequel nous crions : Mon Père, mon Père (Rm 8),
afin que nous puissions lui dire : " Pardonnez-nous nos offenses. "
Et comme le dit saint Jean, c'est en cela que nous connaissons que le Christ
demeure en nous, parce qu'il nous a rendus participants de son Esprit (1 Jn
4, 13.) C'est ce même Esprit qui est l'auteur de cette société
qui ne fait de nous qu'un seul corps, le corps du Fils unique de Dieu. - Et
au chap. 20. : Car l'Esprit saint est lui-même en quelque sorte la société
du Père et du Fils, etc. Et au chap. 22 : Celui donc qui se rendra coupable
d'impénitence contre l'Esprit saint, qui réunit toute l'Église
dans les liens d'une même communion et d'une seule unité, il ne
lui sera jamais pardonné.
S. CHRYS. (hom. 43.) On peut encore dire, suivant la première interprétation,
que les Juifs ne connaissaient pas la personne du Christ, mais ils avaient de
l'Esprit saint une connaissance suffisante, car c'est lui qui avait inspiré
les prophètes. Voici donc le sens des paroles du Sauveur : J'admets que
la chair dont je suis revêtu soit pour vous une cause de scandale ; mais
quant à l'Esprit saint, pouvez-vous dire : Nous ne le connaissons pas
? Et vous en subirez le châtiment dans cette vie et dans l'autre ; car
chasser les démons et guérir les maladies est une oeuvre de l'Esprit
saint ; ce n'est donc pas à moi seul que vous faites outrage, mais à
l'Esprit saint : c'est pourquoi votre condamnation est inévitable dans
ce monde et dans l'autre. Il en est qui ne sont punis que dans cette vie, comme
ceux qui ont participé indignement aux saints mystères chez les
Corinthiens (1 Co 11, 29.30) ; il en est qui ne reçoivent leur châtiment
que dans l'autre monde, comme le mauvais riche dans l'enfer. Il en est enfin
qui sont punis dans ce monde et dans l'autre, comme les Juifs qui furent cruellement
châtiés lors de la prise de Jérusalem, et qui auront encore
à endurer d'affreux supplices dans l'enfer.
RAB. L'autorité divine de ces paroles condamne l'erreur d'Origène,
qui assure qu'après bien des siècles, tous les pécheurs
obtiendront leur pardon ; et Notre-Seigneur l'a détruite par ces seuls
mots : " Il ne lui sera pardonné ni dans cette vie ni dans l'autre.
" - S. GREG. (Dialog. 4, 34.) Ce passage nous donne à entendre que
certaines fautes sont pardonnées en ce monde, tandis que d'autres ne
sont remises que dans l'autre ; car ce qui n'est nié que pour une seule
chose est affirmé pour quelques autres. Et cependant on ne peut espérer
ce pardon que pour les fautes les plus légères, comme des paroles
oiseuses, des rires immodérés, ou les fautes que l'on commet dans
la gestion de ses affaires, fautes que peuvent à peine éviter,
ceux même qui savent comment on doit se garder de tout péché
; ou bien enfin l'ignorance en matière légère. Il est encore
d'autres fautes dont nous demeurons chargés après la mort, si
elles ne nous ont pas été remises pendant cette vie, etc. Mais
il ne faut pas oublier que personne n'obtiendra le pardon de ses fautes légères
après la mort, à moins d'avoir mérité dans cette
vie par ses bonnes oeuvres que ce pardon lui soit accordé.
vv. 33-35.
S. CHRYS. (hom. 43.) Notre-Seigneur ne se contente pas de cette première
réfutation, il veut les confondre par de nouvelles raisons. Ce n'est
pas sans doute pour se justifier à leurs yeux, il l'avait fait suffisamment,
mais pour changer les dispositions de leur cur. Il leur dit donc : "
Ou dites qu'un arbre est bon, " etc., paroles qui veulent dire : Personne
d'entre vous n'a osé dire qu'il était mal de délivrer les
hommes du démon. Toutefois, comme ils n'attaquaient pas les oeuvres elles-mêmes,
mais qu'ils prétendaient que le démon en était l'auteur,
il leur démontre que cette accusation est contraire à toutes les
règles du raisonnement ainsi qu'à toutes les idées reçues,
et que de pareilles inventions sont le comble de l'impudence. - S. JER. Il les
tient resserrés dans un raisonnement que les Grecs appellent af??t??
et que nous pouvons appeler raisonnement qu'on ne peut éluder. Il les
renferme comme dans un cercle d'où ils ne peuvent sortir et les presse
par les deux faces de cet argument : Si le démon est mauvais, leur dit-il,
il ne peut faire des actions qui soient bonnes ; et si les actions dont vous
avez été témoins sont bonnes, le démon ne peut en
être l'auteur, car il n'est pas possible que le bien puisse naître
du mal ou le mal venir du bien. - S. CHRYS. (hom. 43.) En effet, on juge l'arbre
à son fruit, et non pas le fruit par l'arbre, comme le dit Notre-Seigneur
lui-même : " Car c'est par le fruit que l'on connaît l'arbre.
" - Bien que ce soit l'arbre qui produise le fruit, c'est cependant le
fruit qui détermine l'espèce de l'arbre. Mais pour vous, vous
faites le contraire. Vous ne trouvez rien à reprendre dans les oeuvres,
et vous condamnez l'arbre en m'appelant possédé du démon.
S. HIL. (can. 12.) Il réfute donc les calomnies des Juifs qui, tout en comprenant que les oeuvres du Christ exigeaient une puissance divine, ne voulurent pas cependant reconnaître sa divinité ; mais en même temps il condamne tous ceux dont la foi pervertie devait dans la suite embrasser avec ardeur les différentes hérésies qui ont nié sa divinité et son unité de nature avec le Père, malheureux qui ne pouvaient, comme les Gentils, s'excuser sur leur ignorance, et qui cependant n'avaient pas la connaissance de la vérité. Cet arbre, c'est le Sauveur lui-même revêtu de la nature humaine, parce qu'en effet la fécondité intérieure de sa puissance se répand au dehors en fruits abondants et variés. Il faut donc faire un bon arbre avec de bons fruits, ou un arbre mauvais avec de mauvais fruits, non pas qu'un bon arbre puisse être mauvais ou qu'un mauvais arbre puisse être bon, mais par cette comparaison le Sauveur veut nous faire comprendre qu'il faut abandonner le Christ comme étant inutile, ou s'attacher à lui comme étant la source féconde de tout bon fruit. Vouloir prendre un moyen terme, attribuer quelques privilèges au Christ et nier ses qualités essentielles, le vénérer comme Dieu, et le dépouiller de son union substantielle avec Dieu, c'est un blasphème contre l'Esprit saint. Saisi d'admiration à la vue de la grandeur de ses oeuvres, vous n'osez pas lui refuser le nom de Dieu, et par je ne sais quelle mauvaise disposition de votre esprit vous lui contestez la noblesse de son origine en niant son unité de nature avec le Père. - S. AUG. (serm. 12 sur les paroles du Seigneur.) Ou bien encore le Seigneur nous rappelle ici l'obligation d'être de bons arbres si nous voulons produire de bons fruits, car ces paroles : " Faites un bon arbre et que ses fruits soient bons " renferment un précepte salutaire auquel nous devons obéir, tandis que les paroles suivantes : " Faites un arbre mauvais et que ses fruits soient mauvais " ne nous imposent pas l'obligation d'agir de la sorte, mais nous avertissent d'éviter une pareille conduite. Notre-Seigneur avait ici en vue des hommes qui, tout mauvais qu'ils étaient, prétendaient pouvoir dire de bonnes choses ou faire de bonnes actions ; il leur déclare que cela est impossible, car il faut changer l'homme si l'on veut changer ses oeuvres ; si l'homme persiste dans ce qui le rend mauvais, il ne peut faire de bonnes oeuvres ; s'il persévère dans ce qui le rend bon, il ne peut en faire de mauvaises. Or, le Christ a trouvé tous les arbres mauvais, mais il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu à tous ceux qui croyaient en lui.
S. CHRYS. (hom. 43.) Comme il défendait ici non pas ses intérêts, mais les oeuvres de l'Esprit saint, il leur adresse ces reproches justement mérités : " Race de vipères, comment pouvez-vous dire de bonnes choses, vous qui êtes mauvais ? " En leur parlant de la sorte, il accuse leur conduite et tout à la fois il la fait servir de preuve de ce qu'il vient de dire. Vous qui êtes de mauvais arbres, semble-t-il leur dire, vous ne pouvez pas porter de bons fruits : je ne suis donc pas étonné que vous parliez de la sorte, car vos pères étaient vicieux, votre éducation a été mauvaise, et vous avez une âme portée au mal. Remarquez qu'il ne dit pas : " Comment pouvez-vous dire de bonnes choses alors que vous êtes une race de vipères ? " car voici la construction naturelle de la phrase : " Comment pouvez-vous dire de bonnes choses, étant mauvais comme vous l'êtes ? " Il les appelle race de vipères parce qu'ils se glorifiaient de leurs ancêtres et, pour anéantir leur orgueil, il les sépare de la race d'Abraham et leur déclare que leurs aïeux leur ressemblaient. - RAB. Ou bien en les appelant race de vipères il veut dire qu'ils sont les enfants et les imitateurs du démon, eux qui interprètent ses actions en mauvaise part, ce qui est le propre du démon.
" La bouche parle de l'abondance du cur. " Un homme parle de l'abondance du cur quand il connaît l'intention qui le fait parler, vérité que le Sauveur développe plus clairement en ajoutant : " L'homme qui est bon tire de bonnes choses de son bon trésor, et celui qui est mauvais tire de mauvaises choses d'un trésor mauvais. " Le trésor du cur c'est l'intention que l'âme se propose et d'après laquelle le juge intérieur détermine le mérite de l'action ; c'est elle qui fait que des actions éclatantes ne reçoivent quelquefois qu'une légère récompense, et que, par suite de la négligence d'un cur que la tiédeur domine, des actes de vertus héroïques sont faiblement récompensés par le Seigneur. - S. CHRYS. (hom. 43.) Il donne encore ici une preuve de sa divinité qui pénètre le fond des curs, et il nous apprend que non-seulement les paroles coupables, mais les mauvaise pensées, recevront leur châtiment. Du reste, c'est une conséquence naturelle que l'excès de la malice du cur se répande au dehors par les paroles qui sortent de la bouche. Aussi, lorsque vous entendez un homme proférer de mauvais discours, tenez pour certain que la malice de son âme est bien plus grande que ne l'indiquent ses paroles, car elles ne sont que l'exubérance de la corruption de son cur ; c'est en cela que ce reproche est plus sévère et plus sensible pour les Juifs, car si leurs paroles sont si mauvaises, jugez combien la source d'où elles découlent doit être corrompue. Voici en effet ce qui arrive ordinairement : c'est que la langue, retenue par la honte, ne répand pas immédiatement tout son venin, tandis que le cur, qui n'a aucun homme pour témoin de ses actes, se livre sans crainte à tout le mal qui se présente à la volonté, car Dieu est son moindre souci, et lorsque le mal déborde à l'intérieur, il se répand à l'extérieur par les paroles, ce qui fait dire au Seigneur : " C'est de l'abondance du cur que la bouche parle ; " et encore : " L'homme tire ses paroles du trésor de son cur. "
S. JER. En disant : " L'homme qui est bon tire de bonnes choses d'un bon trésor, " le Sauveur fait voir aux Juifs coupables de blasphème à l'égard de Dieu dans quel trésor ils ont puisé ces blasphèmes ; ou bien cette pensée se rapporte à ce qui précède et leur montre que de même qu'un homme qui est bon ne peut dire de mauvaises choses, de même celui qui est mauvais ne peut en dire de bonnes ; ainsi le Christ ne peut faire de mauvaises oeuvres et le démon ne peut en faire de bonnes.
vv. 36-37.
S. CHRYS. (hom. 43.) A la suite de ces reproches, le Seigneur cherche à
inspirer aux Juifs une grande crainte en leur apprenant que ceux qui se seront
rendus coupables de crimes semblables seront punis du dernier supplice : "
Or, je vous déclare que les hommes rendront compte au jour du jugement
de toute parole inutile qu'ils auront dite. " - S. JER. Voici le sens de
ces paroles : Si une parole oiseuse qui n'édifie en rien ceux qui l'entendent
n'est point sans danger pour celui qui la dit, et si au jour du jugement chacun
doit rendre compte de ses discours, à combien plus forte raison vous
qui calomniez les oeuvres de l'Esprit saint, et qui dites que je chasse les
démons par Beelzéhub, rendrez-vous compte de semblables calomnies.
- S. CHRYS. (hom. 43.) Il ne dit pas : " La parole inutile que vous aurez
dite ", car son dessein est d'enseigner tout le genre humain et de rendre
son discours moins dur pour les Juifs. Or, la parole oiseuse est celle qui contient
un mensonge ou une calomnie ; quelques-uns l'étendent à la parole
vaine, à celle par exemple qui excite un rire immodéré
ou qui est contraire à la décence et à la pudeur. - S.
GREG. (hom. 9, sur les Evang.) Ou bien la parole oiseuse est celle qui n'est
motivée ni par une véritable utilité, ni par une juste
nécessité.
S. JER. C'est une parole qui est sans utilité pour celui qui parle comme
pour celui qui écoute ; par exemple, lorsqu'au lieu d'entretiens sérieux
nous nous entretenons de choses frivoles ou que nous racontons les récits
fabuleux de l'antiquité. Quant à celui qui se livre aux bouffonneries,
rit à gorge déployée et blesse la pudeur dans ses discours,
il n'est pas seulement coupable d'une parole oiseuse, mais de discours criminels.
- REMI. A cette vérité se rattache la maxime suivante : "
C'est d'après vos paroles que vous serez condamnés ; c'est d'après
vos paroles que vous serez justifiés. " Nul doute qu'on ne soit
condamné pour les mauvaises paroles qu'on aura dites ; mais quant aux
bonnes paroles, elles ne pourront justifier que celui qui les aura dites avec
une conviction intime et une intention vertueuse. - S. CHRYS. (hom. 43.) Remarquez
que ce jugement n'a rien de trop sévère : vous serez jugés
non point sur ce qu'on aura dit de vous, mais sur ce que vous aurez dit vous-même
; ce ne sont donc pas ceux qui sont accusés qui doivent craindre, mais
ceux qui accusent les autres, car personne ne sera forcé de s'accuser
du mal qu'il aura entendu et dont il aura été l'objet, il ne sera
responsable que du mal qu'il aura dit lui-même.
vv. 38-40.
S. CHRYS. (hom. 44.) Le Seigneur avait bien des fois réduit les pharisiens
au silence et mis un frein à leur impudence ; ils se rejettent donc de
nouveau sur ses oeuvres, ce que l'Évangéliste étonné
nous raconte en ces termes : " Alors quelques-uns des scribes lui dirent,
" etc. Alors, c'est-à-dire quand ils auraient dû se rendre,
pleins d'admiration et d'étonnement ; mais ils persévèrent
dans leur malice et ils lui disent pour le surprendre : " Nous voudrions
que vous nous fassiez voir un prodige. "
S. JER. Ils demandent des prodiges, comme si les faits qu'ils ont vus jusqu'ici
n'étaient pas des prodiges. Saint Luc explique plus clairement quelle
espèce de miracle ils lui demandent : Nous voudrions que vous nous fassiez
voir un prodige dans le ciel (Lc 11). Peut-être voulaient-ils que comme
Elie il fît descendre le feu du ciel, ou qu'à l'exemple de Samuel
(4 R 1), il fît en plein été et contrairement à ce
qui arrive dans ces contrées, il fit gronder le tonnerre, briller les
éclairs et tomber la pluie (1 R 7 et 12). Mais n'auraient-ils pas trouvé
le moyen de calomnier ces prodiges en disant qu'ils étaient le résultat
de causes secrètes et variées qui agissent sur l'atmosphère
? Car, puisque vous calomniez ce que vous voyez de vos yeux, ce que vous touchez
de la main, ce dont vous ressentez l'utilité, que ne diriez-vous pas
d'un miracle qui viendrait du ciel ? Vous répondriez sans doute que les
magiciens en Egypte ont fait eux-mêmes beaucoup de prodiges dans les airs.
S. CHRYS. (hom. 43.) Leurs paroles sont pleines à la fois d'adulation
et d'ironie. Ils avaient commencé par outrager le Sauveur en le traitant
de possédé du démon ; ils cherchent à le flatter
maintenant en l'appelant Maître. Aussi leur répond-il avec sévérité
: " Cette génération méchante, " etc. Lorsqu'ils
le chargeaient d'injures, il leur répondait avec douceur ; mais lorsqu'ils
veulent le prendre par la flatterie il leur fait les plus vifs reproches ; il
prouve ainsi qu'il était supérieur à toute faiblesse, incapable
de s'irriter des outrages ou de faiblir devant la flatterie. Or, voici le sens
de ces paroles : " Qu'y a-t-il d'étonnant que vous agissiez ainsi
contre moi qui suis pour vous un inconnu, quand vous vous êtes conduit
de la même manière à l'égard de mon Père dont
vous aviez éprouvé tant de fois la puissance et que vous avez
abandonné pour courir aux autels du démon ? " Il les appelle
" génération méchante " parce qu'ils n'ont jamais
eu que de l'ingratitude pour leurs bienfaiteurs. Les bienfaits ne font que les
rendre plus mauvais, ce qui est le comble de la perversité. - S. Jér.
Le mot " adultère " qu'il ajoute est parfaitement choisi, parce
que cette génération avait abandonné son mari et que, suivant
Ezéchiel, elle s'était livrée à plusieurs amants
(Ez 16, 15.24.25.33). - S. CHRYS. (hom. 43.) Il se déclame ainsi l'égal
de Dieu son Père, puisque c'est pour n'avoir pas voulu croire en lui
que cette génération est devenue adultère.
RAB. Il va maintenant leur répondre non pas en leur faisant voir un prodige
dans le ciel, mais en le tirant des profondeurs de la terre. Il a donné
ce signe dans le ciel, mais à ses disciples, en leur dévoilant
la gloire de l'éternelle félicité, d'abord en figure sur
la montagne (Mt 18), et puis en réalité lorsqu'il s'éleva
dans les cieux. (Mc 16.) Il ajoute : " On ne lui donnera pas d'autre signe.
" - S. CHRYS. (hom. 43.) Il parle ainsi, parce que ce n'était pas
pour les amener à lui qu'il faisait des miracles, car il savait qu'ils
étaient plus durs que la pierre, mais c'était pour en convertir
d'autres. Ou bien c'est parce qu'ils ne devaient pas être témoins
d'un signe tel qu'ils le demandaient. En effet, il leur donna plus tard un signe,
alors qu'ils apprirent à connaître sa puissance par leur propre
châtiment, et c'est ce qu'il leur fait entendre à mots couverts
en leur disant : " On ne lui donnera pas de signe, " paroles dont
voici le sens : J'ai répandu sur vous mes bienfaits à profusion,
aucun d'eux ne vous a portés à rendre hommage à ma puissance
; vous la connaîtrez donc par le châtiment qui vous attend, lorsque
vous verrez la destruction de votre cité. Il entremêle ici une
prédiction de sa résurrection, qu'ils devaient aussi connaître
un jour par leur supplice, " si ce n'est le signe du prophète Jonas.
" La croix n'aurait jamais été l'objet de la foi si elle
n'avait eu pour elle le témoignage des miracles, et si elle n'avait pas
été crue, la résurrection ne l'aurait pas été
davantage ; c'est pour cela qu'il l'appelle un signe, et que pour en faire reconnaître
la vérité il en rappelle une figure prophétique : "
Car, de même que Jonas fut dans le ventre de la baleine, " etc. -
RAB. Il fait voir aux Juifs qu'ils sont aussi coupables que les Ninivites, et
que leur ruine est imminente s'ils ne font pénitence ; mais de même
que Jonas, en annonçant le châtiment, indique les moyens de l'éviter,
ainsi les Juifs ne doivent pas désespérer de leur pardon, si du
moins, après la résurrection de Jésus-Christ, ils font
pénitence. Jonas, dont le nom signifie colombe et celui qui gémit,
figure celui sur lequel l'Esprit saint descendit en forme de colombe (Lc 3),
et qui s'est chargé de nos souffrances. (Is 53.) La baleine qui engloutit
Jonas au milieu de la mer (Jon 2) signifie la mort que Notre-Seigneur Jésus-Christ
a endurée sur la croix. Jonas fut trois jours et trois nuits dans le
ventre de la baleine, le Christ demeura le même temps dans le tombeau.
Jonas fut jeté sur le rivage, le Christ a ressuscité dans sa gloire.
S. AUG. (De l'acc. des Evang., 3, 24.) Quelques auteurs qui paraissent ignorer la manière de s'exprimer de l'Écriture, ont voulu compter pour une nuit les trois heures qui s'écoulèrent de la sixième à la neuvième et pendant lesquelles le soleil fut obscurci, et pour un jour les trois autres heures, depuis la neuvième jusqu'au coucher du soleil, pendant lesquelles il éclaira de nouveau la terre. Vint ensuite la nuit du sabbat, et en la comptant avec le jour qui suivit on a deux nuits et deux jours. Après le jour du sabbat vient la nuit du premier jour de la semaine (c'est-à-dire la nuit qui précède le dimanche) dans laquelle le Seigneur est ressuscité. Nous avons donc deux nuits et deux jours et de plus une nuit, alors même qu'on devrait la comprendre tout entière, et que nous ne prouverions pas que le point du jour était la partie extrême de cette nuit. C'est ainsi que sans compter ces six heures (dont trois heures de nuit et trois heures de jour), nous avons réellement trois jours et trois nuits, et il ne nous reste plus qu'à démontrer que cette explication est conforme à l'usage de l'Écriture, qui prend souvent la partie pour le tout. - S. JER. Ce n'est pas que Jésus-Christ ait été les trois jours entiers et les trois nuits dans les enfers, mais on entend que ces trois jours et ces trois nuits sont formés d'une partie du jour de la Pâque, d'une partie du dimanche et du jour du sabbat tout entier. - S. AUG. (De la Trinité, 4, 9.) L'Écriture elle-même nous témoigne que ces trois jours ne furent pas complets ; mais la seconde partie du premier jour et la première partie du troisième jour sont comptées pour des jours entiers ; quant au jour intermédiaire, c'est-à-dire le deuxième jour, il est complet et a ses vingt-quatre heures, douze de nuit et douze de jour. La nuit qui précéda la première aurore où la résurrection du Seigneur eût lieu appartient au troisième jour. Car de même que les premiers jours de l'homme sur la terre se comptent du jour à la nuit comme symbole de sa chute future, de même les jours se comptent ici de la nuit au jour comme figure de la réparation de l'homme. - S. CHRYS. (hom. 44.) Il ne leur dit pas clairement qu'il ressusciterait, car ils se seraient moqués de lui ; mais il le leur donne à entendre pour qu'ils pussent croire par la suite ce qu'il avait prédit par avance. Il ne dit pas simplement : " Dans la terre, " mais " dans les entrailles de la terre " pour exprimer une véritable sépulture, et afin que personne ne pût soupçonner que sa mort n'était qu'apparente. Il dit clairement qu'il y restera trois jours, afin que l'on ne pût douter de la réalité de sa mort. D'ailleurs la figure de la résurrection est une preuve de sa réalité, car Jonas ne fut pas seulement en apparence, mais bien réellement dans le ventre de la baleine. Or la vérité n'aurait-elle existé qu'en apparence, tandis que la figure a existé en réalité ? Les disciples de Marcion sont donc de véritables enfants du démon, en affirmant avec leur maître que la passion du Christ n'a été qu'imaginaire ; ajoutons que le signe du prophète Jonas, qui devait être donné à cette génération est une preuve que le Sauveur devait souffrir la mort pour les Juifs, quoiqu'ils n'en dussent tirer aucun profit (cf. Jon 1, 5).
vv. 41-42.
S. CHRYS. (hom. 44.) On aurait pu croire que les Juifs auraient un jour le même
sort que les Ninivites, et qu'ils se convertiraient après la résurrection
du Sauveur, comme les Ninivites s'étaient convertis à la voix
de Jonas et avaient ainsi sauvé leur ville de la destruction qui la menaçait.
Notre-Seigneur déclare ici qu'un sort tout différent leur est
réservé ; et loin que le bienfait de sa mort leur soit utile,
elle ne fera qu'aggraver leur supplice, comme il le prouvera plus bas par l'exemple
du démon. Il montre d'abord ici l'équité de leur condamnation
: " Les habitants de Ninive se lèveront, dit-il, au jour du jugement
contre cette génération. " - REMI. Le Seigneur, en s'exprimant
de la sorte, établit clairement qu'il n'y aura qu'une seule résurrection
pour les bons et pour les méchants, contre quelques hérétiques
qui ont prétendu qu'il y aurait une résurrection pour les bons
et une pour les méchants. Il détruit en même temps cette
opinion fabuleuse des Juifs qui disent que la résurrection aura lieu
mille ans avant le jugement, et il déclare ouvertement, au contraire,
que le jugement suivra immédiatement la résurrection : "
Et ils condamneront cette génération. " - S. JER. Ce ne sera
pas en prononçant contre elle le jugement souverain, mais par la simple
opposition de leur conduite ; c'est pour cela qu'il ajoute : " Parce qu'ils
ont fait pénitence à la voix de Jonas, et voilà plus que
Jonas ici. " Le mot hic doit être pris comme adverbe de lieu, et
non pas comme pronom. Jonas (selon la version des Septante) ne prêcha
que pendant trois jours ; j'ai prêché pendant un temps beaucoup
plus long ; il s'adressait aux Assyriens, nation infidèle ; je m'adresse
aux Juifs, peuple de Dieu ; il ne fit que prêcher sans opérer de
miracles, et moi, après tant et de si grands prodiges, je suis accusé
calomnieusement de connivence avec Béelzébub.
S. CHRYS. (hom. 44.) Le Seigneur, non content de cet exemple, en ajoute un autre
: " La reine du Midi, " etc. Cet exemple est plus frappant encore
que le premier. Jonas alla trouver les Ninivites ; la reine du Midi n'attendit
pas que Salomon se rendit près d'elle, mais elle alla le trouver elle-même,
et c'était une femme, une barbare, habitant des contrées éloignées
; elle n'était pas dominée par la crainte de la mort, mais par
le seul désir d'entendre les paroles de la sagesse. Cette femme s'est
donc rendue ici, moi j'y suis venu ; elle est arrivée des extrémités
de la terre, et moi je parcours les villes et les campagnes ; elle discuta sur
les arbres et sur les plantes, et moi j'enseigne d'ineffables mystères.
- S. JER. Cette reine du Midi condamnera le peuple juif, de la même manière
que les Ninivites condamneront les Israélites incrédules. Cette
reine est la reine de Saba dont il est question au livre 3 des Rois et au 2
des Paralipomènes. Elle abandonna son peuple et son royaume et à
travers mille difficultés elle vint dans la Judée pour entendre
la sagesse de Salomon, et lui offrit une multitude de présents (3 R 10
et 11 ; Paralip., 9). Les Ninivites et la reine de Saba sont la figure des nations
qui ont embrassé la foi et qui ont été préférées
au peuple d'Israël. - RAB. Les Ninivites représentent ceux qui renoncent
au péché ; la reine de Saba, ceux qui ne connaissent pas le péché
; car la pénitence efface le péché, mais la sagesse apprend
à l'éviter.
REMI. Le nom de reine convient admirablement à l'Église, parce
qu'elle sait diriger sa conduite ; c'est d'elle que le Psalmiste a dit : "
La reine s'est tenue debout à votre droite. " (Ps 44.) C'est la
reine du Midi, parce qu'elle est pleine du feu de l'Esprit saint. Le vent brûlant
du Midi est une figure de l'Esprit saint. Salomon, dont le nom signifie le pacifique,
représente celui dont il est dit " C'est lui qui est notre paix.
" (Ep 2.)
vv. 43-45
S. CHRYS. (hom. 44.) Le Seigneur avait dit aux Juifs : " Les habitants
de Ninive s'élèveront au jour du jugement et condamneront cette
génération. " Mais dans la crainte que le temps si éloigné
de cette condamnation ne la leur fit mépriser et n'encourageât
leur négligence, il leur apprend qu'ils auront à souffrir des
châtiments très sévères non-seulement dans l'autre
vie, mais dans celle-ci, et il leur fait connaître sous le voile d'une
parabole le supplice qui leur est réservé : " Lorsque l'esprit
impur, " etc. - S. JER. Il en est quelques-uns qui prétendent que
ce passage s'applique aux hérétiques. L'esprit immonde qui habitait
d'abord en eux, lorsqu'ils étaient encore infidèles, disent-ils,
a été chassé par la confession de la vraie foi ; mais lorsqu'ils
ont embrassé le parti de l'hérésie, et qu'ils ont orné
de fausses vertus la maison intérieure de leur âme, le diable revient
les trouver après avoir pris avec lui sept autres esprits, il fixe en
eux son séjour, et rend leur dernier état pire que le premier.
Le sort des hérétiques est, en effet, plus déplorable que
celui des infidèles ; car dans les infidèles vous pouvez rencontrer
l'espérance de la vraie foi, mais dans les hérétiques vous
ne trouverez que les luttes et les déchirements de la discorde. Cette
explication a pour elle quelque probabilité et quelque apparence de science,
cependant je ne sais si elle est fondée sur la vérité.
En effet, la conclusion de cette parabole : " C'est ce qui arrivera à
cette génération criminelle, " nous force de l'appliquer,
non aux hérétiques, ou à n'importe quels autres hommes,
mais au peuple juif, si nous voulons que l'ensemble de ce passage ne reste pas
vague, indéterminé, susceptible de sens divers, et ne perde de
sa clarté par des interprétations sans fondement, mais qu'il forme
un tout parfaitement en rapport avec les antécédents et les conséquences.
L'esprit impur est donc sorti des Juifs lorsque la loi leur fût donnée
et lorsqu'ils l'eurent chassé, il a erré dans les solitudes des
nations, comme l'indiquent les paroles suivantes : " Il va par des lieux
arides. " - REMI. Les lieux arides, ce sont les curs des Gentils
que n'ont jamais arrosés les eaux salutaires, c'est-à-dire les
saintes Écritures. - RAB. Ou bien, ces lieux arides, ce sont les curs
des fidèles qui, après avoir été purifiés
de la mollesse des pensées dissolues, sont explorés par l'ennemi
perfide de notre salut qui cherche à y fixer son séjour ; mais
il s'éloigne des âmes chastes, et ne peut trouver que dans le cur
des méchants un repos qui lui soit agréable. C'est pour cela que
le Seigneur ajoute : " Et il ne le trouve pas. "
REMI. Le
démon pensait avoir trouvé dans le cur des Gentils un repos
éternel, mais Notre-Seigneur ajoute : " Et il ne le trouve pas,
" parce que les Gentils ont embrassé la foi, lorsque le Fils de
Dieu se fut rendu visible par le mystère de l'incarnation. - S. JER.
Après la conversion des Gentils, le démon, ne trouvant plus en
eux de repos, dit : " Je reviendrai dans la maison d'où j'étais
sorti, chez les Juifs que j'avais quittés en premier lieu, et, en y revenant,
il trouve cette maison vide, nettoyée et parée. " En effet,
ce temple des Juifs était vide, et le Christ n'y demeurait plus, lui
qui avait dit : " Levez-vous, sortons d'ici. " (Jn 14.) Les Juifs
n'étant plus sous la garde de Dieu et de ses anges, et n'ayant pour ornement
que les observances superflues de la loi, et les traditions des pharisiens,
le démon revient dans sa première demeure, il en prend possession
avec sept autres esprits, et le dernier état de ce peuple devient pire
que le premier. En effet, les Juifs qui blasphèment contre Jésus-Christ
dans les synagogues sont les esclaves d'un bien plus grand nombre de démons
que ne l'étaient leurs ancêtres dans l'Egypte avant d'avoir reçu
la loi ; car on n'était pas aussi coupable de ne pas croire en celui
qui devait venir, que de ne pas le recevoir lorsqu'il était venu. Ce
nombre de sept autres esprits que le démon prend avec lui est mis ici
ou à cause des jours de la semaine, ou à cause du nombre des dons
de l'Esprit saint. Ainsi de même que dans Isaïe sept esprits de vertus
différentes viennent se reposer sur la fleur de la tige de Jessé,
de même, à l'opposé, nous voyons un nombre égal de
vices consacré dans la personne du démon. C'est donc avec dessein
que Jésus dit du démon qu'il prend sept esprits avec lui, ou à
cause de la violation du sabbat, ou à cause des péchés
mortels qui sont contraires aux sept dons du Saint-Esprit.
S. CHRYS. (hom. 44.) Ou bien le Sauveur veut faire comprendre aux Juifs la grandeur
du châtiment qui les attend. Voyez, leur dit-il, ceux qui, étant
possédés du démon, sont délivrés de cette
tyrannie ; s'ils tombent ensuite dans le relâchement, ils s'attirent de
plus terribles épreuves ; ainsi en sera-t-il de vous-mêmes. Vous
étiez autrefois les esclaves du démon, lorsque vous adoriez les
idoles, et que vous immoliez vos enfants aux démons ; cependant je ne
vous ai pas abandonnés, j'ai chassé le démon par les prophètes,
et je suis venu moi-même en personne pour vous délivrer d'une manière
plus complète. Mais loin de répondre à de si grands bienfaits,
vous n'en êtes devenus que plus mauvais (car c'est un plus grand crime
de mettre à mort le Christ qu'un prophète), c'est pourquoi de
plus terribles châtiments vous sont réservés. Et en effet,
ce qu'ils eurent à souffrir sous Vespasien et Titus fut mille fois plus
affreux que ce qu'ils avaient enduré en Égypte, à Babylone,
et sous Antiochus (1 M 1, et 2 M 5, 6, 7). Il va plus loin encore, et leur fait
voir le triste état de leur âme dépouillée de toutes
vertus, et devenue pour le démon une proie bien plus facile qu'auparavant.
Or, ce n'est pas seulement dans les Juifs, mais dans nous-mêmes que cette
parabole trouve son application. Si après avoir reçu la lumière
de la foi et la rémission de nos premières fautes, nous y retombons
de nouveau, la peine des fautes suivantes sera beaucoup plus sévère
; c'est pour cela que Notre-Seigneur dit au paralytique : " Vous voilà
guéri, ne péchez plus, de peur qu'il ne vous arrive quelque chose
de pis. " - RAB. Lorsqu'un homme se convertit à la foi, le démon,
chassé de son âme par le baptême, parcourt les lieux arides,
c'est-à-dire les curs des fidèles. - S. GREG. (Moral. 33,
3.) Les lieux arides et sans eau sont les curs des justes ; la règle
forte et sévère qu'ils s'imposent dessèche dans leur âme
les eaux des concupiscences charnelles. Les lieux humides, au contraire, sont
les âmes des hommes attachés à la terre ; la concupiscence
de la chair, en les pénétrant de ses eaux corrompues, les rend
molles et sans cohésion, et le démon y imprime d'autant plus profondément
les traces de son iniquité, qu'il marche dans ces âmes comme sur
une terre détrempée et sans consistance.
RAB. Or, en rentrant dans sa maison d'où il était sorti, il la
trouve vide de bonnes actions par suite de sa négligence, purifiée
de toutes souillures, c'est-à-dire de ses anciens vices, par le baptême
; ornée de fausses vertus par l'hypocrisie. - S. AUG. (Quest. évang.,
1, 8.) Le Seigneur nous apprend encore par ces paroles qu'il en est dont la
foi sera si faible, qu'ils retourneront au monde, incapables qu'ils seront des
travaux de la mortification. En nous faisant remarquer que le démon prend
avec lui sept autres esprits, il veut nous faire comprendre que celui qui tombe
des hauteurs de la justice devient en même temps hypocrite. En effet,
lorsque la concupiscence de la chair, chassée par les oeuvres ordinaires
de la pénitence, ne trouve pas un lieu d'agréable repos, elle
revient avec plus d'empressement, et s'empare de nouveau du cur de l'homme,
pour peu qu'il se soit laissé aller à la négligence. Alors
la parole de Dieu ne peut plus avoir d'accès par la saine doctrine pour
habiter cette maison une fois nettoyée de ses souillures ; et comme cette
concupiscence de la chair ne prend pas seulement avec elle les sept vices qui
sont opposés aux sept dons de l'Esprit saint, mais qu'elle affectera
par hypocrisie d'avoir ces mêmes vertus, on peut dire qu'elle revient
avec sept démons plus méchants, c'est-à-dire avec les sept
démons de l'hypocrisie, de manière que l'état de cet homme
devienne pire que le premier. - S. GREG. (Moral. 7, 7.) Il arrive souvent aussi
que, lorsque l'âme vient à s'enorgueillir de ses premiers pas dans
la perfection, et veut en être louée comme de véritables
vertus, elle donne entrée à son ennemi furieux contre elle, et
qui s'acharne avec d'autant plus de violence à sa ruine, qu'il a éprouvé
de douleur d'en avoir été chassé, ne fût-ce que pour
quelque temps.
vv. 46-50.
S. HIL. (can. 12 sur S. Matth.) Comme il avait dit tout ce qui précède
au nom de la puissance et de la majesté de son Père, 1'Évangéliste
nous apprend ce qu'il répondit lorsqu'on vint lui annoncer que ses frères
et sa mère l'attendaient au dehors. " Pendant qu'il parlait encore
au peuple, " etc. - S. AUG. (de l'accord des évang., 2, 40.) Nous
devons penser que Notre-Seigneur fit cette réponse dans des circonstances
qui la motivaient ; car avant de la rapporter l'Evangéliste fait cette
remarque " : Lorsqu'il parlait encore au peuple. " Que veut dire ce
mot " encore " si ce n'est au moment même où il tenait
ce discours ? Saint Marc (Mc 3) place également ce fait après
avoir rapporté ce qui concerne le blasphème sur le Saint-Esprit,
et il ajoute : " Et ses frères et sa mère étant venus.
" Saint Luc n'a pas gardé ici l'ordre historique ; mais il a raconté
ce fait par anticipation, d'après l'ordre de ses souvenirs. - S. JER.
(contre Helvid.) Helvidius veut appuyer une de ses erreurs sur ce que nous voyons
dans l'Évangile des frères de Notre-Seigneur. Pourquoi, demande-t-il,
les aurait-on appelés les frères du Seigneur s'ils n'avaient pas
été réellement ses frères ? Or, il faut savoir que
dans l'Écriture le nom de frères est entendu de quatre manières
différentes. Il y a les frères de nature, les frères de
nation, les frères de parenté, et les frères d'affection
: les frères de nature, comme Esaü et Jacob, les frères de
nation, tous les Juifs, par exemple, qui se donnent entre eux le nom de frères,
comme nous le voyons dans le Deutéronome : " Vous ne pourrez placer
à votre tête un étranger qui ne soit point votre frère
(Dt 17) ; les frères de parenté, c'est-à-dire ceux qui
sont d'une même famille ; c'est dans ce sens qu'Abraham dit à Loth
dans la Genèse (Gn 13) : " Qu'il n'y ait point de débat entre
vous et moi, car nous sommes frères. " Enfin il y a les frères
d'affection, qui le sont d'une manière ou particulière, ou générale
: particulière, comme le sont tous les chrétiens d'après
ces paroles du Sauveur : " Allez, dites à mes frères "
(Jn 20) ; générale, comme tous les hommes nés d'un même
père sont unis entre eux par les liens d'une même fraternité,
et c'est dans ce sens qu'il est dit dans Isaïe : " Dites à
ceux qui vous haïssent : Vous êtes nos frères (Is 66, 5).
" Or, je vous le demande, dans quel sens l'Évangile prend-il les
frères du Seigneur ? Est-ce selon la nature ? Mais l'Écriture
ne les appelle ni les enfants de Marie ni ceux de Joseph. Est-ce comme ayant
une même nationalité ? Mais il serait absurde de donner ce nom
à un petit nombre de Juifs, alors que tous les Juifs qui étaient
présents y avaient droit. Est-ce d'après l'affection qu'inspire
la nature ou la grâce ? Mais à ce titre, qui méritait mieux
ce nom de frères que les Apôtres, qui recevaient les instructions
les plus secrètes du Seigneur ? Ou bien si tous les hommes sont ses frères
par cela qu'ils sont hommes, c'était une absurdité de donner ici
ce nom comme propre et personnel en disant : " Voici que vos frères
vous cherchent. " Il ne reste donc plus de possible que la dernière
interprétation, qui explique ce nom de frères dans le sens de
la parenté et non point dans le sens de l'affection, de la nationalité
ou de la nature. - S. JER. (sur S. Matth.) Il en est qui ont supposé
que ces frères du Seigneur étaient des enfants que Joseph avait
eus d'une première épouse ; ils suivent en cela les extravagances
des Évangiles apocryphes et imaginent l'existence de je ne sais quelle
femme qu'ils appellent Escha. Pour nous, nous voyons dans ces frères
du Seigneur, non pas les enfants de Joseph, mais les cousins du Seigneur, enfants
de la soeur de Marie, tante du Seigneur, qui est appelée mère
de Jacques le Mineur, de Joseph et de Jude, auxquels l'Évangile, dans
un autre endroit, donne le nom de frères du Seigneur. Or, toute l'Écriture
atteste qu'on étend ce nom de frères jusqu'aux cousins.
S. CHRYS. (homélie 45.) Or, voyez quel est l'orgueil des frères
du Seigneur ! Leur devoir était d'entrer et de se mêler à
la foule pour écouter ses enseignements, ou, si telle n'était
pas leur intention, d'attendre qu'il eût terminé son instruction
pour venir le trouver. Mais non, ils l'appellent au dehors, et ils l'appellent
en présence de tous, faisant ainsi preuve d'une excessive vanité,
et voulant montrer qu'ils commandaient au Christ avec autorité. C'est
ce que l'Évangéliste semble vouloir nous indiquer indirectement
par ces mots : " Lorsqu'il parlait encore, " comme s'il voulait dire
: Est-ce qu'ils n'auraient pu choisir un autre moment ? Mais que voulaient-ils
lui dire ? Si c'était une question de doctrine qu'ils voulaient lui proposer,
ils devaient le faire devant le peuple pour que tous pussent en profiter ; et
s'ils n'avaient à l'entretenir que de leurs affaires particulières,
ils devaient attendre : il est donc évident qu'ils agissaient ainsi par
un motif de vaine gloire.
S. AUG.
(De la nat. et de la grâce, 36.) Mais quoi que l'on puisse dire des frères
du Seigneur, lorsqu'on parle de péché, pour l'honneur du Christ,
je ne veux pas qu'il soit question en aucune manière de la Vierge Marie,
car nous savons qu'elle a reçu une grâce plus abondante pour triompher
en tout du péché, parce qu'elle devait concevoir et enfanter celui
qui, bien certainement, ne fut jamais souillé d'aucun péché.
" Et quelqu'un lui dit : Voici que votre mère et vos frères
sont dehors et veulent vous parler. " - S. JER. Celui qui vient lui annoncer
cette nouvelle ne me paraît pas l'avoir fait avec simplicité et
naturellement, mais pour lui tendre un piége et voir s'il sacrifierait
aux affections de la nature une oeuvre toute spirituelle. Le Sauveur refuse
donc de sortir, non qu'il méconnaisse sa mère et ses frères,
mais parce qu'il veut répondre à ceux qui cherchent à le
prendre en défaut. - S. CHRYS. (hom. 45.) Il ne dit pas : Allez, et dites-lui
qu'elle n'est pas ma mère, il adresse la parole à celui qui vient
de lui porter cette nouvelle : " Mais s'adressant à celui qui lui
parlait, il lui dit : Quelle est ma mère, quels sont mes frères
? " - S. HIL. (can. 12.) N'allons pas croire qu'il ait éprouvé
un sentiment de dédain pour sa mère, lui qui du haut de la croix
lui témoigna tant d'affection et une si tendre sollicitude. (Jn 19.)
- S. CHRYS. (hom. 45.) S'il avait voulu renier sa mère, il l'aurait fait
lorsque les Juifs lui faisaient un reproche de la condition de sa mère.
- S. JER. Il n'a donc pas renié sa mère, comme le prétendent
Marcion et les Manichéens, pour nous faire croire que sa naissance n'était
qu'imaginaire, mais il a voulu montrer qu'il préférait les Apôtres
à ses parents, pour nous apprendre à préférer nous-mêmes
les affections de l'esprit aux affections de la chair. - S. AMB. (sur S. Luc.,
liv. 6.) Il ne condamne pas les devoirs de piété filiale qu'un
fils doit à sa mère, mais il veut nous apprendre qu'il se doit
bien plus aux devoirs mystérieux qui l'attachent à son père,
et à l'amour qu'il a pour lui, qu'à son affection pour sa mère
; aussi l'Évangéliste ajoute : " Et, étendant la main
vers ses disciples, il dit : Voici ma mère, et voici mes frères.
" - S. GREG. (homélie 31 sur les Evang.) Notre-Seigneur a daigné
appeler les fidèles ses frères lorsqu'il a dit : " Allez,
annoncez à mes frères. " (Mt 28.) On peut donc se demander
comment celui qui est devenu le frère du Seigneur en embrassant la foi,
peut devenir aussi sa mère. C'est que celui qui est devenu le frère
et la soeur de Jésus-Christ par la foi, mérite de devenir sa mère
par la prédication, car il enfante le Seigneur en le produisant dans
le cur de ses auditeurs, et il devient sa mère s'il fait naître
par ses paroles l'amour du Sauveur dans l'âme du prochain.
S. CHRYS. (hom. 45.) Aux leçons qui précèdent, il en ajoute
encore une autre, c'est que la confiance que peut nous inspirer notre parenté
ne doit pas nous faire négliger la pratique de la vertu, car s'il ne
servait de rien à la mère de Jésus d'être sa mère,
sans l'éminente vertu qui la distinguait, qui peut se flatter d'être
sauvé grâce à sa parenté ? Il n'y a qu'une seule
noblesse, c'est de faire la volonté de Dieu, comme il nous l'apprend
dans les paroles suivantes : " Quiconque fera la volonté de mon
Père qui est au ciel, celui-là est mon frère, ma mère
et ma soeur. " Bien des mères ont proclamé le bonheur de
la sainte Vierge et de son chaste sein ; elles ont désiré pour
elles une maternité semblable. Qui les empêche d'obtenir ce bonheur
? Le Sauveur vous a ouvert une large voie, et il est permis non-seulement aux
femmes, mais encore aux hommes de devenir mère de Dieu (cf. Ga 4, 19).
S. JER. Nous pouvons encore donner une autre explication. Le seigneur parle
à la foule et enseigne les nations dans l'intérieur de la maison
; sa mère et ses frères, c'est-à-dire la synagogue et le
peuple juif, se tiennent dehors. - S. HIL. (can. 12.) Ils avaient cependant
comme les autres la faculté d'arriver jusqu'à lui ; mais comme
il est venu parmi les siens, et que les siens ne l'ont pas reçu (Jn 12),
ils refusent d'entrer et d'approcher de lui.
S. GREG. (hom. 31.) Pourquoi la mère du Sauveur reste-t-elle dehors,
comme s'il ne la connaissait pas ? Parce que la synagogue n'est plus reconnue
par celui qui l'a établie, car en s'attachant exclusivement à
l'observation de la loi, elle a perdu l'intelligence spirituelle et s'est condamnée
elle-même à être au dehors la gardienne de la lettre. - S.
JER. Après qu'ils auront demandé, prié et envoyé
un messager, il leur sera répondu qu'ils sont libres d'entrer et de croire
eux-mêmes, s'ils le veulent.