ÉVANGILE DE SAINT MATHIEU PAR SAINT THOMAS D'AQUIN
CATANA AUREA DE SAINT THOMAS D'AQUIN SUR SAINT MATTHIEU
CHAPITRE XX
vv. 1-16.
REMI. Notre-Seigneur venait de dire que plusieurs de ceux qui étaient
les premiers seraient les derniers, et que plusieurs de ceux qui étaient
les derniers deviendraient les premiers ; pour confirmer cette vérité,
il propose la parabole suivante : " Le royaume des cieux est semblable,
" etc. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Le père de famille c'est Jésus-Christ,
le ciel et la terre sont comme sa maison ; sa famille, ce sont toutes les créatures
qui habitent le ciel, la terre et les enfers ; la vigne c'est la justice en
général qui renferme toutes les différentes espèces
de justices comme autant de plants de vigne, la douceur, la patience, et les
autres vertus qui sont toutes comprises sous le nom général de
justice. Les ouvriers de cette vigne sont les hommes. Le texte ajoute : "
Il sortit le matin pour louer des ouvriers, " etc. Dieu a comme répandu
la justice dans nos facultés, non pas pour lui, mais pour notre utilité.
Nous sommes donc, ne l'oublions pas, des mercenaires qui avons été
loués. Or, personne ne loue un mercenaire uniquement pour qu'il travaille
à gagner sa nourriture ; ainsi Jésus-Christ ne nous a pas appelés
à son service pour nous occuper seulement de nos intérêts,
mais encore pour travailler à la gloire de Dieu. Et de même que
le mercenaire commence par remplir sa tâche avant de songer à la
nourriture de chaque jour, ainsi nous devons d'abord nous appliquer à
ce qui doit procurer la gloire de Dieu, avant de songer à nos propres
intérêts. Le mercenaire, encore, consacre toute sa journée
au service de son maître, et ne réserve qu'une heure seulement
par jour pour prendre sa nourriture ; ainsi nous devons consacrer toute notre
vie à la gloire de Dieu, et n'en donner qu'une faible partie à
nos besoins temporels. Enfin si le mercenaire passe un jour sans travailler,
il n'ose paraître devant son maître pour demander son pain, et comment
ne rougissez-vous pas d'entrer dans l'église de Dieu et de paraître
en sa présence le jour où vous n'avez fait aucune bonne action
sous ses yeux. - S. GREG. (hom. 15.) Dans un autre sens, le père de famille,
c'est-à-dire notre Créateur, a une vigne, qui est l'Eglise universelle,
et qui, depuis le juste Abel jusqu'à la fin du monde, a poussé
autant de ceps qu'elle a produit de saints. Or, dans aucun temps, Dieu n'a cessé
d'envoyer des ouvriers pour instruire son peuple comme pour cultiver sa vigne
; car il l'a cultivée successivement, d'abord par les patriarches, puis
par les docteurs de la loi, ensuite par les prophètes, et enfin par les
Apôtres comme par autant d'ouvriers. On peut dire, toutefois, que tout
homme qui fait le bien avec une intention droite est en quelque manière
et dans une certaine mesure un des ouvriers de cette vigne.
ORIG. (traité 10 sur S. Matth.) Nous pouvons bien dire que toute cette
vie n'est qu'un seul jour, jour d'une grande étendue par rapport à
nous, mais d'une courte durée si on le compare à la vie de Dieu.
- S. GREG. (Hom. 19.) Le matin de ce jour du monde fut l'époque qui s'écoula
depuis Adam jusqu'à Noé ; c'est pour cela que Notre-Seigneur dit
: " Il sortit de grand matin, afin de louer des ouvriers pour sa vigne,
" et il ajoute les conditions dont il est convenu avec eux : " Et
étant convenu avec, eux d'un denier, " etc. - ORIG. Je pense que
le denier figure ici le salut éternel. - REMI. Le denier était
une pièce de monnaie qui valait dix as, et qui portait l'effigie du roi
: le denier désigne donc parfaitement la récompense qui est accordée
à l'observation du Décalogue. C'est aussi avec dessein qu'il est
dit : " Etant convenu avec eux, " etc. ; car dans le champ de la sainte
Église, chacun travaille dans l'espoir de la récompense future.
- S. GREG. La troisième heure est le temps qui s'écoula de Noé
à Abraham, et c'est de cette époque que le Sauveur veut parler
; quand il dit : " Etant sorti vers la troisième heure, il vit d'autres
ouvriers qui se tenaient sans rien faire sur la place publique. " - ORIG.
La place publique, c'est tout ce qui est en dehors de la vigne, c'est-à-dire
en dehors de l'Église de Jésus-Christ. - S. CHRYS. (sur S. Matth.)
Dans ce monde, les hommes vivent d'un échange mutuel d'achats et de ventes,
et pourvoient à leur subsistance par un commerce de fraudes réciproques.
- S. GREG. C'est avec justice que l'on peut adresser le reproche d'oisiveté
à celui qui ne vit que pour lui et se nourrit des plaisirs des sens,
parce qu'il ne travaille pas à produire les fruits des oeuvres de Dieu.
- S. CHRYS. (sur S. Matth.) Ces ouvriers oisifs ne sont pas les pécheurs,
qui sont bien plutôt morts, mais tous ceux qui n'accomplissent pas les
oeuvres de Dieu. Voulez-vous donc ne pas rester oisif ? Ne prenez pas le bien
d'autrui, et donnez de vos propres biens ; vous aurez travaillé dans
la vigne du Seigneur, en cultivant le cep de la miséricorde. " Et
il leur dit : Allez-vous en aussi dans ma vigne. " Remarquez que ce n'est
qu'avec les premiers qu'il s'engage de donner un denier ; il loue les autres
pour un prix indéterminé : " Je vous donnerai ce qui sera
juste. " Le Seigneur, qui prévoyait la prévarication d'Adam,
et qu'après lui tous les hommes devaient périr dans les eaux du
déluge, fit avec lui un traité bien précis, afin qu'il
ne pût prétexter qu'il avait abandonné la voie de la justice,
parce qu'il ignorait quelle en serait la récompense ; mais il ne s'est
point engagé de cette manière avec les derniers, parce que son
intention était de les récompenser bien au delà de ce que
pouvaient espérer des mercenaires. - ORIG. Ou bien encore, comme il a
loué les ouvriers de la troisième heure pour faire l'ouvrage tout
entier, il se réserve d'apprécier leur travail avant de leur donner
une juste récompense ; car ils pouvaient travailler autant que ceux qui
avaient commencé le matin en s'appliquant à leur travail dans
un court espace de temps avec une laborieuse activité qui compenserait
l'inaction du matin. - S. GREG. La sixième heure est celle qui s'étend
d'Abraham à Moïse, et la neuvième, celle qui s'est écoulée
de Moïse jusqu'à l'avènement du Seigneur. " Et il sortit
de nouveau, " etc.
S. CHRYS. Notre-Seigneur réunit ensemble la sixième et la neuvième
heure, parce que c'est alors qu'eut lieu la vocation du peuple juif, et que
Dieu renouvela fréquemment ses alliances avec les hommes, comme pour
leur annoncer que le temps marqué pour le salut du genre humain n'était
pas éloigné. - S. GREG. La onzième heure c'est le temps
qui s'écoulera depuis l'avènement du Seigneur jusqu'à la
fin du monde. L'ouvrier du matin, de la troisième, de la sixième
et de la neuvième heure, c'est donc cet ancien peuple hébreu qui,
dans la personne de ses élus, n'a point cessé de travailler à
la vigne du Seigneur depuis le commencement du monde, en s'efforçant
d'adorer Dieu avec une foi droite et sincère. A la onzième heure,
ce sont les Gentils qui sont appelés. " Vers la onzième heure,
il sortit, " etc. Ils avaient négligé, dans le cours de tant
de siècles, de travailler à la culture de leur âme, et ils
passaient ainsi tout le jour sans rien faire. Mais remarquez ce qu'ils répondent
à la question qui leur est faite : " Personne, lui dirent-ils, ne
nous a loués. " Aucun patriarche, en effet, aucun prophète
n'était venu vers eux, et que signifient ces paroles : " Personne
ne nous a loués, " si ce n'est : " Personne ne nous a fait
connaître le chemin de la vie. " - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Quelle
est donc la nature de cette convention, et quelle récompense y est promise
? C'est la promesse de la vie éternelle ; car les Gentils étaient
les seuls qui ne connaissaient ni Dieu ni les promesses éternelles de
Dieu. - S. HIL. (can. 20.) Le Seigneur les envoie donc à sa vigne. "
Et il leur dit : Allez, vous aussi, à ma vigne. "
RAB. Après avoir fait connaître les conditions du travail pour
la journée, le Sauveur, continuant son récit, arrive à
l'heure du salaire, et dit : " Le soir étant venu, " etc.,
c'est-à-dire lorsque le jour, qui comprend toute la durée du monde,
était sur son déclin, et approchait de la consommation de toutes
choses. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Remarquez que c'est le soir du même
jour, et non le matin suivant, que le père de famille donne à
chacun ce qui lui est dû. Ce sera donc pendant la durée du siècle
présent qu'aura lieu le jugement après lequel chacun recevra sa
récompense ; et cela pour deux raisons : la première, c'est que
la bienheureuse éternité doit être la récompense
de la justice, et qu'il faut par conséquent que le jugement la précède
; la seconde raison pour laquelle le jugement doit précéder le
jour de l'éternité, c'est afin que les pécheurs ne soient
pas témoins du bonheur de ce jour éternel.
" Et le maître dit à son intendant, " c'est-à-dire le Fils à l'Esprit saint. - LA GLOSE. Ou bien, si vous aimez mieux, le Père dit au Fils, car le Père agit par le Fils, et le Fils par l'Esprit saint, sans qu'il y ait entre eux aucune différence de nature ou de dignité. - ORIG. Ou bien encore, le maître dit à son intendant, c'est-à-dire à l'ange chargé de la distribution des récompenses, ou à l'un de ces nombreux intendants dont l'Apôtre a dit : " L'héritier est sous la puissance des tuteurs et des curateurs pendant tout le temps de son enfance. " (Ga 1.) - REMI. Ou bien enfin, c'est Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même, qui est à la fois le père de famille et l'intendant du maître de la vigne, comme il est lui-même la porte et le portier ; car c'est lui qui doit venir juger les hommes, et rendre à chacun selon ses oeuvres. C'est donc au moment où les hommes seront réunis pour le jugement dernier, après lequel chacun recevra selon ses oeuvres, qu'il appellera les ouvriers pour leur donner une récompense.
ORIG. Or,
les premiers ouvriers, que leur foi avait rendus recommandables, n'ont pas reçu
l'effet des promesses, le père de famille ayant voulu, par une faveur
particulière pour nous, qu'ils ne reçoivent qu'avec nous l'accomplissement
de leur félicité. (He 11.) Et comme nous avons été
l'objet d'une miséricorde toute spéciale, nous espérons
recevoir les premiers la récompense, tandis que ceux qui ont travaillé
avant nous ne la recevront qu'après nous : " Appelez les ouvriers,
et payez-les en commençant par les derniers. " - S. CHRYS. (sur
S. Matth.) En effet, nous donnons toujours plus volontiers à ceux qui
n'ont aucun droit à notre libéralité ; car nous donnons
alors en vue de l'honneur qui nous en revient. Dieu se montre donc juste en
donnant aux saints la récompense qu'il leur a promise, et miséricordieux,
en l'accordant aux Gentils selon ces paroles de saint Paul : " Or, les
Gentils doivent glorifier Dieu de la miséricorde qu'il leur a faite ;
" voilà pourquoi le maître ajoute : " En commençant
par les derniers jusqu'aux premiers. " C'est aussi pour faire éclater
son ineffable miséricorde que Dieu récompense ainsi les derniers
et les moins dignes, avant de récompenser les premiers ; car une miséricorde
infinie n'examine pas l'ordre et le rang des personnes. - S. AUG. (de l'esprit
et de la lettre, chap. 24.) Ou bien, les moins dignes ou les derniers se trouvent
les premiers, parce qu'ils ont attendu moins longtemps leur récompense.
" Ceux donc qui n'étaient venus qu'à la onzième heure
s'étant approchés, " etc. - S. GREG. Les ouvriers qui n'avaient
travaillé qu'à la onzième heure reçurent pour salaire,
comme ceux qui avaient commencé à la première heure, le
même denier qu'ils avaient ardemment désiré ; parce que,
en effet, ceux qui se sont convertis à Dieu à la fin du monde
ont reçu la même récompense, la même vie éternelle
que ceux qui avaient été appelés dès le commencement
du monde. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Or, il n'y a en cela aucune injustice,
car que fait à celui qui a vécu dès les premiers jours
du monde, et qui n'a pas dépassé le temps qui lui était
marqué, que le monde ait continué à exister après
lui ? Et quant à ceux qui naissent à la fin des temps, ils vivent
nécessairement le nombre de jours qui leur a été assigné.
En quoi donc leur travail serait-il allégé, si le monde venait
à finir aussitôt, puisqu'ils doivent achever leur tâche avant
la fin du monde ? D'ailleurs, il ne dépend pas de l'homme, mais de la
puissance divine, de naître plus tôt ou plus tard ; celui qui est
né en premier lieu ne doit pas revendiquer la première place ou
l'honneur d'être te premier, et celui qui n'est venu qu'après ne
doit pas être considéré comme étant d'un mérite
inférieur. " Et en recevant ce denier, ils murmuraient contre le
père de famille, et disaient, " etc. Mais s'il est vrai, comme nous
venons de le dire, que les premiers et les derniers aient vécu chacun
leur temps, ni plus ni moins, et que la mort ait été pour les
uns comme pour les autres la consommation de leur destinée, pourquoi
donc les premiers disent-ils : " Nous avons porté le poids du jour
et de la chaleur ? " C'est que nous avons besoin d'une plus grande force
pour pratiquer la justice, nous qui savons que la fin du monde approche. Aussi
est-ce pour nous armer d'un nouveau courage que le Christ disait : " Le
royaume des cieux est proche. " Au contraire, c'était pour ceux
qui ont vécu les premiers une occasion de tiédeur, de savoir que
le monde devait durer longtemps encore, et bien que leur vie n'ait pas égalé
la durée du monde, ils paraissent cependant en avoir supporté
toutes les incommodités. Ou bien, " le poids du jour, " ce
sont les commandements de la loi ; " la chaleur, " c'est la tentation
brûlante de l'erreur qu'allumaient en eux les esprit de malice en les
excitant à la jalousie contre les Gentils. Les Gentils, au contraire,
en embrassant la foi chrétienne, n'ont pas été soumis à
ces difficultés, et ont été entièrement sauvés
par la grâce qui résume tout dans son mystérieux travail.
- S. GREG. Ou bien encore : " Porter le poids du jour et de la chaleur,
" c'est pendant toute la durée d'une longue vie, supporter les fatigues
d'une lutte continuelle contre les ardeurs de la concupiscence. Mais comment
donc expliquer les murmures dans ceux qui sont appelés à entrer
dans le royaume des cieux ? Car aucun murmurateur ne peut y entrer, comme aucun
de ceux qui le reçoivent pour récompense, ne peut se laisser aller
aux murmures.
S. CHRYS. (hom. 64.) On ne doit point chercher à concilier exactement
tous les détails d'une parabole avec l'ensemble du récit, mais
bien comprendre la fin que l'auteur s'y est proposée, et ne pas aller
au delà. L'intention du Sauveur n'est donc pas ici de nous montrer ceux
qui étaient les premiers atteints d'une violente jalousie, mais de nous
faire voir les derniers en possession d'une gloire si grande qu'elle était
capable d'inspirer aux autres de l'envie. - S. GREG. Ou bien encore, les anciens
patriarches, quelle que fût d'ailleurs leur justice, n'ayant pu entrer
dans le royaume des cieux avant l'avènement du Sauveur, se laissent en
quelque sorte aller aux murmures. Nous, au contraire, qui sommes venus à
la onzième heure, nous ne murmurons pas après notre travail, parce
qu'étant venus dans le monde après l'avènement du Médiateur,
nous entrons dans le royaume des cieux aussitôt que nous sommes sortis
de notre corps. - S. JER. Ou bien tout homme qui n'est appelé qu'après
les Gentils leur porte envie et se fait comme un supplice de la grâce
de l'Évangile qu'ils ont reçue avant lui. - S. HIL. (can. 20.)
Ce murmure des ouvriers avait déjà éclaté sous Moise
par la bouche insolente de ce peuple opiniâtre.
" Mais il répondit à l'un d'eux : Mon ami, je ne vous fais
point de tort. " - REMI. Dans ce seul homme auquel il s'adresse, on peut
voir tous ceux d'entre les Juifs qui ont cru en Jésus-Christ et à
qui le Sauveur donne le nom d'amis à cause de la foi qu'ils ont embrassée.
- S. CHRYS. (sur S. Matth.) Ils se plaignaient non pas d'avoir, été
frustrés du salaire qui leur était dû, mais de ce que les
autres recevaient, à leur avis, plus qu'ils ne méritaient. C'est
ainsi que les envieux s'attristent du bien que l'on fait à un autre,
comme si l'on diminuait par là celui qu'ils possèdent, preuve
évidente que l'envie vient de la vaine gloire ; car on ne se plaint d'être
le second que parce qu'on a désiré être le premier, et c'est
ce mouvement d'envie que le Seigneur combat par ces paroles : " Est-ce
que vous n'êtes pas convenu d'un denier avec moi ? " - S. JER. Le
denier porte l'effigie du roi ; vous avez donc reçu le salaire que je
vous avais promis, c'est-à-dire mon image et ma ressemblance. Que demandez-vous
de plus ? Ce que vous désirez, ce n'est pas de recevoir davantage, c'est
que l'autre ne reçoive rien du tout : " Prenez ce qui vous appartient,
et vous en allez. " - REMI. C'est-à-dire, recevez votre récompense
et entrez dans la gloire : " Je veux donner à ce dernier venu, "
au peuple gentil, " autant qu'à vous, " comme il le mérite.
- ORIG. Peut-être est-ce au premier homme que s'adressent ces paroles
: " Mon ami, je ne vous fais pas tort : est-ce que vous n'êtes pas
convenu d'un denier avec moi ? " Prenez ce qui vous appartient, et allez-vous-en
; le denier, c'est-à-dire le salut, vous est acquis. " Pour moi,
je veux donner à ce dernier autant qu'à vous. " On peut,
avec assez de vraisemblance, voir dans cet ouvrier, venu le dernier, l'apôtre
saint Paul, qui n'a travaillé qu'une heure, et qui cependant a travaillé
peut-être plus que tous ceux qui ont vécu avant lui (1 Co 15, 9
?).
S. AUG. (De la Virgin., chap. 26.) La vie éternelle sera également
accordée à tous les saints, ainsi que le figure ce denier donné
à tous comme la récompense commune de leur travail. Mais comme
dans la vie éternelle les mérites des saints brilleront d'un éclat
différent, il y a aussi plusieurs demeures dans la maison du Père
céleste. Si donc le denier, qui est le même pour tous, signifie
que la vie éternelle sera égale en durée pour tous les
saints dans le ciel, le grand nombre de demeures différentes prouve que
la gloire sera plus éclatante pour les uns que pour les autres. - S.
GREG. Comme nous n'entrons dans le royaume des cieux que par un effet du bon
vouloir de Dieu, le Sauveur ajoute avec raison : " Ne m'est-il donc pas
permis de faire ce que je veux ? " C'est un acte de folie de la part de
l'homme, de murmurer contre la volonté de Dieu. Il aurait lieu de se
plaindre si Dieu ne donnait point ce qu'il doit ; mais qui peut se plaindre
de ce qu'il ne donne point ce qu'il ne doit pas ? C'est ce que le Maître
exprime en termes clairs : " Est-ce que votre oeil est mauvais parce que
je suis bon ? " - REMI. L'oeil signifie ici l'intention ; les Juifs avaient
un oeil mauvais, c'est-à-dire une intention vicieuse, parce qu'ils s'attristaient
du salut des Gentils.
Les paroles qui suivent : " Ainsi les premiers seront les derniers, et
les derniers seront les premiers, " nous font connaître le but de
cette parabole, qui est de nous apprendre que les Juifs ont passé de
la tête, où ils étaient, à l'extrémité
opposée, tandis que nous, placés à cette extrémité,
nous sommes devenus la tête. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Ou bien Notre-Seigneur
déclare que les premiers seront les derniers, et les derniers les premiers,
non pour donner aux derniers la prééminence sur les premiers,
mais pour nous apprendre que l'époque différente de leur vocation
n'a établi entre eux aucune différence, et qu'ils sont, sous ce
rapport, parfaitement égaux. Quant aux paroles qui terminent : "
Il y en a beaucoup d'appelés, mais peu d'élus, " elles se
rapportent, non pas aux saints dont il vient d'être question, mais aux
Gentils, parmi lesquels, en effet, beaucoup sont appelés, mais peu sont
élus. - S. GREG. Il en est beaucoup, en effet, qui embrassent la foi,
mais il en est peu qui parviennent jusqu'au royaume des cieux, car la plupart
font profession de suivre Dieu et s'éloignent de lui par leurs moeurs.
Nous devons donc faire ici deux réflexions : la première, c'est
que personne ne doit se laisser aller à la présomption, car bien
qu'il soit appelé à la foi, il ne sait pas s'il sera du nombre
des élus qui entreront en possession du royaume ; la seconde, c'est qu'il
ne faut jamais désespérer de son prochain quand on le voit croupir
dans le vice, car nous ne connaissons pas les trésors de la miséricorde
divine. - Et plus haut Ou bien, dans un autre sens, notre matin, c'est notre
enfance ; la troisième heure, c'est l'adolescence ou la chaleur de l'âge
qui se développe et qui est comme le soleil qui s'élève
dans les hauteurs des cieux. La sixième heure, c'est la jeunesse, alors
que la plénitude de la force s'établit en l'homme, comme le soleil
qui semble se fixer au milieu du firmament. La neuvième heure est comme
la vieillesse dans laquelle l'âge descend tous les jours des hauteurs
brûlantes de la jeunesse, comme le soleil qui descend des points élevés
du ciel. La onzième heure, c'est l'âge de la caducité et
de la décrépitude.
S. CHRYS. (hom. 64.) Le père de famille n'a pas loué tous ses ouvriers à la même heure, mais les uns le matin, les autres à la troisième heure et ainsi de tous ceux qui suivent ; mais la cause en est dans les différentes dispositions de leur âme ; car le Seigneur les appelle lorsqu'ils sont prêts à lui obéir ; c'est ainsi qu'il appela le larron au moment où il prévoyait qu'il répondrait à sa vocation. Il est vrai que ces ouvriers disent : " Personne ne nous a loués ; " mais, comme nous l'avons dit, il ne faut pas chercher la raison de toutes les circonstances des paraboles. D'ailleurs, ces paroles ne viennent pas du père de famille, mais des ouvriers ; et quant à Dieu, au contraire, il appelle tous les hommes dès le premier âge de la vie, comme le prouvent ces paroles : " Il sortit de grand matin pour louer des ouvriers. " - S. GREG. Ceux donc qui ont tardé jusqu'au dernier âge à vivre pour Dieu, sont ceux qui se tiennent dans l'oisiveté jusqu'à la onzième heure, et cependant le père de famille ne laisse pas de les appeler, et souvent il les récompense les premiers, parce qu'ils sortent de cette vie pour entrer dans l'éternité avant ceux qui ont été appelés dès leur première enfance. - ORIG. Or, ces paroles : " Pourquoi demeurez-vous ainsi tout le jour sans travailler ? " ne s'adressent pas à ceux qui, après avoir commencé par l'esprit, finissent par la chair (Ga 3), s'ils veulent revenir plus tard à la vie de l'esprit. En parlant ainsi, notre intention n'est pas de détourner ces enfants voluptueux, qui ont dissipé toute la richesse de la doctrine évangélique en vivant dans la débauche, de revenir dans la maison paternelle ; nous voulons simplement dire qu'on ne peut nullement les comparer à, ceux qui ont péché dans leur jeunesse avant d'avoir reçu les enseignements de la foi. - S. CHRYS. (hom. 64.) Jésus termine en disant : " Les derniers seront les premiers et les premiers les derniers, " et il fait ici allusion indirecte tant à ceux qui, après avoir brillé d'abord d'un vif éclat, ont ensuite méprisé les leçons de la vertu, qu'aux autres, qui, ramenés des sentiers du vice, se sont élevés au-dessus d'un grand nombre par la sainteté de leur vie. Cette parabole a donc été composée pour exciter l'ardeur de ceux qui ne se sont convertis que dans leur extrême vieillesse, et les délivrer de la crainte de recevoir une récompense moins grande que les autres.
vv. 17-19.
S. CHRYS. (hom. 65.) Notre-Seigneur, en quittant la Galilée, ne vint
pas immédiatement à Jérusalem ; mais il opéra d'abord
un grand nombre de miracles, confondit les pharisiens, donna à ses disciples
les leçons de la perfection chrétienne et leur fit connaître
la récompense qui lui était réservée. Maintenant
qu'il est sur le point de se rendre à Jérusalem, il leur parle
de nouveau de sa passion : " Et Jésus, s'en allant à Jérusalem,
prit en particulier les douze, " etc. - ORIG. (Traité 11 sur S.
Matth.) Judas se trouvait encore au nombre des douze Apôtres, car il était
peut-être encore digne d'apprendre en particulier avec les autres coque
son maître devait souffrir. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Le salut des hommes
repose tout entier dans la mort de Jésus-Christ, et cette mort doit être
le premier et le plus digne sujet de nos actions de grâces. Le Sauveur
annonce en secret à ses Apôtres le mystère de sa passion,
parce que c'est dans les meilleurs vases qu'on renferme les plus précieux
trésors. Si d'autres avaient entendu prédire la passion du Christ,
il est probable que cette prédiction aurait troublé les hommes
à cause de l'imperfection de leur foi, et les femmes par suite de la
faiblesse naturelle à leur sexe, faiblesse qui leur fait verser des larmes
dans de semblables circonstances. - S. CHRYS. (hom. 65.) Ce n'est pas que le
Sauveur n'ait parlé de ce mystère à la foule ; mais c'est
d'une manière voilée, comme dans ces paroles : " Détruisez
ce temple " (Jn 2) ; et dans ces autres : " il ne leur sera pas donné
d'autre signe que celui du prophète Jonas. " (Mt 12.) Au contraire,
il en parle clairement à ses disciples : " Voici que nous allons
à Jérusalem, " etc. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Cette expression
: " Voici " marque l'intention formelle que les disciples gardent
dans leurs curs le souvenir de cette prédiction. " Voici que
nous allons à Jérusalem, " c'est-à-dire : Remarquez
que c'est volontairement que je vais à la mort, et, lorsque vous me verrez
suspendu à la croix, gardez-vous de croire que je ne sois qu'un homme
; " car, s'il est dans la nature de l'homme de mourir, il n'est point dans
sa nature de vouloir marcher de lui-même à la mort.
ORIG. Cet exemple doit nous apprendre, à nous qui connaissons bien souvent
les épreuves qui nous attendent, que nous devons nous-mêmes nous
offrir au danger ; mais, comme le Sauveur nous dit ailleurs : " Lorsqu'on
vous poursuivra dans une ville, fuyez dans une autre, celui qui est sage en
Jésus-Christ doit discerner le temps où il doit aller au-devant
de la persécution et celui où il peut la fuir.
S. JER. Bien souvent il avait parlé à ses disciples de sa passion
; mais comme les entretiens nombreux qu'il avait eus avec eux sur d'autres sujets
avaient pu leur faire oublier ce qu'il leur en avait dit, avant d'aller à
Jérusalem avec eux, il les prépare à cette grande épreuve,
pour qu'il ne fussent pas scandalisés lorsqu'ils seraient eu présence
de la persécution et de l'ignominie de la croix. - S. CHRYS. (sur S.
Matth.) En effet, lorsque la tentation nous trouve préparés, elle
nous paraît bien plus légère que si elle nous avait surpris
tout d'un coup. - S. CHRYS. (hom. 65.) Il leur fait encore cette prédiction
pour leur apprendre que c'est après l'avoir prévu, après
l'avoir voulu, qu'il endurera les souffrances de sa passion. Mais tandis qu'au
commencement il ne leur avait prédit que sa mort seule, lorsqu'il les
trouve bien préparés, il va plus loin et leur annonce qu'il sera
livré aux Gentils. - RAB. En effet, Judas livra Jésus aux Juifs,
et ceux-ci à leur tour le livrèrent à Pilate, c'est-à-dire
au pouvoir des Romains. Or, le Seigneur ne voulut point des prospérités
de ce monde, mais il leur préféra les souffrances, pour nous apprendre,
à nous dont la chute avait eu pour cause l'attrait du plaisir, par quelles
amertumes nous pour-lions nous relever ; c'est pour cela qu'il ajoute : "
Afin qu'ils le traitent avec dérision, qu'ils le fouettent et le crucifient.
" - S. AUG. (Cité de Dieu, 18, 49.) Par sa passion, il nous enseigne
ce que nous devons souffrir pour la vérité, et par sa résurrection
ce que nous devons espérer dans l'éternité : " Et
le troisième jour, il ressuscitera. " - S. CHRYS. (homélie
66.) Il s'exprime de la sorte pour que leur âme, attristée par
la perspective de ses souffrances, se repose dans l'espérance de la résurrection
: " Il ressuscitera le troisième jour. " - S. AUG. (De la Trinité,
4, 3.4.) Une seule mort, celle du Sauveur selon le corps, nous a sauvés
de deux morts, et sa seule résurrection a été pour nous
le principe de deux résurrections différentes. Or, cette relation
d'un à deux vient du nombre trois, qui se compose de ces deux premiers
nombres. - ORIG. Nous ne voyons pas que les disciples aient rien dit ou rien
fait en entendant cette triste révélation des souffrances de Jésus-Christ
; ils se rappelaient les paroles du Seigneur à Pierre, et ils craignaient
de s'attirer un semblable et peut-être plus sévère reproche.
Et maintenant, voici que les scribes, qui se flattent de connaître les
saintes Écritures, condamnent Jésus à mort et le flagellent
par leurs accusations, et ils le crucifient pour faire disparaître sa
doctrine ; mais après avoir paru succomber un instant, il se relève
et apparaît à ceux qui ont reçu le pouvoir de le voir et
de le reconnaître.
vv. 22-23.
S. JÉR. Le Seigneur venait de terminer son discours en disant : "
Et il ressuscitera le troisième jour. " Cette femme s'imagine donc
que son règne commencerait aussitôt après sa résurrection,
et avec la vivacité de désirs naturelle à son sexe, elle
veut jouir de ce qu'elle voit déjà comme présent, sans
penser à ce qui doit arriver dans l'avenir : " Alors la mère
des enfants de Zébédée s'approcha, " etc. - S. CHRYS.
(sur S. Matth.) Cette mère des enfants de Zébédée
est Salomée, dont un autre Évangéliste (Mc 15, 16) nous
fait connaître le nom, femme vraiment pacifique, qui a enfanté
les enfants de la paix. Nous pouvons juger ici du mérite et de la gloire
de cette femme qui, non contente de voir ses enfants quitter leur père,
abandonne elle-même son mari pour suivre Jésus-Christ ; car son
mari pouvait vivre sans elle, mais pour elle, elle ne pouvait obtenir le salut
sans Jésus-Christ. On peut admettre, d'ailleurs, que Zébédée
était mort dans l'espace de temps qui s'écoula de la vocation
des Apôtres à la passion du Sauveur. C'est donc alors que cette
femme d'un sexe faible et accablée par l'âge, marchait à
la suite de Jésus-Christ ; car la foi ne vieillit point, et la piété
ne connaît point la fatigue. L'affection naturelle pour ses enfants lui,
donne la hardiesse de faire au Sauveur une demande. " Elle l'adora en lui
témoignant qu'elle voulait lui demander quelque chose, " c'est-à-dire
elle commence par lui rendre ses hommages pour assurer le succès de sa
demande. " Il lui dit : Que voulez-vous ? " S'il lui fait cette question,
ce n'est point qu'il ignore ce qu'elle désire, mais il veut lui montrer
tout ce que la demande qu'elle allait lui adresser avait de déraisonnable.
" Et elle lui dit : Ordonnez que mes deux enfants soient assis, "
etc.
S. AUG. (de l'accord des Evang., 2, 64.) Saint Matthieu met dans la bouche de
la mère la demande qui, d'après saint Marc, a été
faite par les enfants de Zébédée eux-mêmes, parce
qu'elle n'a été auprès du Seigneur que l'interprète
de leurs désirs, et ainsi saint Marc, pour abréger, leur attribue
cette demande. - S. CHRYS. (hom. 65.) Ces deux disciples se voyaient plus honorés
que les autres, ils avaient entendu dire au Sauveur : " Vous serez assis
sur douze trônes, " ils demandent donc d'occuper les premiers. Ils
savaient bien qu'ils étaient plus élevés en dignité
que les autres auprès de Jésus-Christ, mais ils craignaient que
Pierre n'obtint la primauté sur eux. Aussi un autre Évangéliste
nous rapporte que, comme ils approchaient de Jérusalem, ils s'imaginaient
que le royaume de Dieu allait s'établir, c'est-à-dire un royaume
visible, preuve évidente qu'ils ne demandaient rien de spirituel, et
qu'ils n'avaient aucune idée d'un royaume plus élevé. -
ORIG. (traité 12 sur S. Matth.) Dans les cours des rois de la terre,
on regarde comme un grand honneur d'être assis près du roi, il
n'est donc pas étonnant que cette femme, dans la simplicité et
l'inexpérience de son sexe, ait cru pouvoir faire au Sauveur une semblable
demande. Ses deux enfants eux-mêmes, qui étaient encore bien imparfaits,
et n'avaient pas des pensées fort élevées du règne
du Christ, partagèrent les idées de leur mère sur la destinée
de ceux qui seront assis avec Jésus. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Ou bien
dans un autre sens, nous ne prétendons pas que la demande de cette femme
soit légitime, mais nous disons qu'elle désirait pour ses enfants,
non pas les biens de la terre, mais les biens du ciel. Elle ne partageait pas
les sentiments des autres mères, qui aiment le corps de leurs enfants,
et ne font aucun cas de leur âme, et qui désirent les voir réussir
et prospérer en ce monde, sans avoir aucun souci de ce qu'ils auront
à souffrir dans l'autre ; elles montrent ainsi qu'elles sont les mères
des corps, mais non des âmes de leurs enfants. Je pense donc que ces deux
frères ayant entendu le Seigneur prédire sa passion et sa résurrection,
se dirent en eux-mêmes dans le sentiment de foi qui les animait : voici
que le roi du ciel va descendre dans le royaume des enfers pour détruire
l'empire de la mort ; lorsque sa victoire sera consommée, que lui restera-t-il,
que de recevoir les honneurs et la gloire de la royauté ? - ORIG. C'est,
en effet, après qu'il a détruit le péché qui régnait
dans nos corps mortels et toute la puissance des esprits de malice, que Jésus-Christ
reçoit parmi les hommes les honneurs de la souveraineté, ce qui
est pour lui s'asseoir sur le trône de sa gloire. Dieu agit en toute puissance
à sa droite et à sa gauche, en ne souffrant aucun mal en sa présence.
Parmi ceux qui s'approchent de Jésus-Christ, ceux qui sont les plus élevés,
sont à sa droite ; ceux qui sont au-dessous, sont à sa gauche.
Par la droite du Christ, peut-être peut-on comprendre toute créature
invisible ; et par la gauche toute créature visible et corporelle. Dans
le nombre de ceux qui s'approchent du Christ, les uns prennent la droite, c'est-à-dire
les choses intelligibles, les autres la gauche, c'est-à-dire les choses
sensibles.
S. CHRYS. (sur S. Matth.) Comment celui qui s'est donné lui-même
aux hommes, pourrait-il ne pas leur donner part à la gloire de son royaume
? La négligence de celui qui prie est donc seule coupable, là
où la miséricorde de celui qui donne ne peut être mise en
doute. Les deux frères se dirent probablement à eux-mêmes
: Si nous nous adressons directement au maître, peut-être notre
démarche fera mauvaise impression sur l'âme de nos frères
; car bien qu'ils ne puissent être vaincus par une jalousie toute charnelle,
régénérés qu'ils sont par l'esprit, cependant ils
peuvent encore y être accessibles dans ce qui reste en eux de charnel.
Envoyons donc notre mère à notre place, elle priera pour nous
en son nom ; si l'on trouve sa démarche répréhensible,
elle en obtiendra facilement le pardon ; si au contraire, elle est accueillie,
elle obtiendra plus facilement ce qu'elle demande pour ses enfants ; car le
Seigneur, qui a rempli le cur des mères d'amour pour leurs enfants,
exaucera plus facilement une prière inspirée par l'affection maternelle.
Voilà pourquoi le Seigneur, qui connaît le secret des curs,
ne répond pas à la prière que cette femme lui adresse,
mais à la pensée de ses enfants qui la lui avaient dictée.
Car si leur désir était bon, leur demande était inconsidérée.
Et, toutefois, bien que leur prière ne dût pas être exaucée,
elle ne méritait pas d'être humiliée, parce qu'elle avait
pour principe un grand amour du Seigneur. Aussi ne les réprimande-t-il
que de leur ignorance : " Mais Jésus répondit : Vous ne savez
ce que vous demandez. " - S. JER. Il n'est pas étonnant que le Sauveur
les reprenne de leur ignorance, puisqu'il est dit de Pierre lui-même :
" Il ne savait pas ce qu'il disait. " (Lc 9.) - S. CHRYS. (hom. sur
S. Matth.) Souvent, en effet, le Seigneur permet que ses disciples aient des
pensées, tiennent des discours répréhensibles, pour y trouver
l'occasion d'expliquer les règles de la vie chrétienne ; car il
sait que leur erreur ne peut leur nuire tant que leur maître est avec
eux, et la doctrine qu'il leur expose devient une source d'édification,
non-seulement dans le présent, mais pour l'avenir. - S. CHRYS. (hom.
66.) Or, en s'exprimant de la sorte, il leur fait comprendre qu'ils ne demandent
rien de spirituel, et que s'ils avaient su ce qu'ils demandaient, jamais ils
n'auraient songé à en faire l'objet d'une prière dont l'accomplissement
surpasse le pouvoir des puissances célestes. - S. HIL. (can. 20.) Ils
ne savent encore ce qu'ils demandent, parce que la gloire réservée
aux Apôtres ne pouvait faire l'objet d'aucune discussion, après
qu'il leur avait prédit si clairement qu'ils devaient juger le monde.
- S. CHRYS. (sur S. Matth.) Ou bien, vous ne savez ce que vous demandez, c'est-à-dire
: Je vous ai appelés à ma droite de la gauche où vous étiez
(cf. Mt 25, 33), et vous, de votre propre choix, vous vous hâtez de repasser
à la gauche. Aussi est-ce pour cela, peut-être, que cette demande
se négociait par le moyen d'une femme ; le démon recourut à
ses armes habituelles, à la femme, pour séparer ces deux frères
de leur maître par la suggestion de leur mère, comme il avait dépouillé
Adam par le moyen de sa femme. Mais la ruine ne pouvait plus arriver jusqu'aux
saints par une femme, depuis que le salut de tous les hommes était sorti
par les mains d'une femme. Ou bien encore, ces paroles : " Vous ne savez
ce que vous demandez, " nous apprennent que nous devons penser non-seulement
à la gloire que nous voulons obtenir, mais à éviter la
ruine dont le péché nous menace. Ainsi dans les guerres qui ont
lieu sur la terre, celui qui ne pense qu'aux dépouilles et aux richesses
de la victoire, triomphe difficilement, ils auraient donc dû faire cette
prière : " Donnez-nous le secours de votre grâce, afin que
nous puissions triompher de tout mal. "
RAB. Ils ne savaient pas encore ce qu'ils demandaient, eux qui voulaient obtenir
du Seigneur le trône de gloire qu'ils n'avaient pas encore mérité.
La perspective d'une si grande gloire avait pour eux de l'attrait, mais il leur
fallait auparavant prendre la voie du travail qui pouvait seule les y conduire
; c'est pour cela qu'il ajoute : " Pouvez-vous boire le calice ? "
- S. JER. Le mot calice, dans le style des Écritures, signifie souffrance,
comme dans le Ps 115 : " Je prendrai le calice du salut ; " et le
Roi-Prophète explique aussitôt quel est ce calice : " La mort
de ses saints est précieuse aux yeux de Dieu. ". - S. CHRYS. (sur
S. Matth.) Notre-Seigneur savait qu'ils étaient disposés à
le suivre jusque dans ses souffrances, mais il leur fait cette question pour
nous apprendre que personne ne peut régner avec lui sans avoir participé
à sa passion ; car un trésor aussi précieux ne peut s'acquérir
à vil prix (cf. 2 Tm 2, 12 ; Rm 8, 17). Or, la passion du Sauveur, ce
n'est pas seulement la persécution des Gentils, mais toute violence que
nous souffrons en combattant contre le péché. - S. CHRYS. (hom.
66.) Il leur dit donc : " Pouvez-vous boire ? " etc., c'est-à-dire
: " Vous me parlez de gloire et de couronnes, et moi je vous parle de combats
et de fatigues, car le temps des récompenses n'est pas encore venu. "
Par la manière dont il leur fait cette question, il les encourage et
les attire ; il ne leur dit pas : Pourrez-vous répandre votre sang ?
mais : " Pouvez-vous boire le calice ? " et il ajoute : " Que
je dois boire, " pour enflammer plus vivement leurs désirs par ce
rapprochement. - S. HIL. (can. 20.) Or, les deux disciples qui avaient déjà
la liberté et la constance du martyre, promettent de boire ce calice.
" Ils lui dirent : Nous le pouvons. " - S. CHRYS. (sur S. Matth.)
Ou bien ils font cette réponse moins par confiance dans leur propre force
que par ignorance de leur fragilité ; car la tentation de la souffrance
et de la, mort paraît légère à ceux qui ne l'ont
pas éprouvée. - S. CHRYS. (hom. 65.) Ou bien encore, ils promettent
de boire ce calice par le désir qu'ils en ont ; car ils n'auraient jamais
parlé de la sorte, si ce qu'ils demandaient n'avait été
l'objet de leur attente. Or, le Seigneur leur prédit des biens du plus
grand prix, c'est-à-dire qu'ils seront rendus dignes de souffrir le martyre.
" Il leur répartit : il est vrai que vous boirez le calice que je boirai. " ORIG. Jésus-Christ ne leur dit pas : Vous pouvez boire mon calice, mais les yeux fixés sur la perfection à laquelle ils devaient atteindre, il leur dit : " Il est vrai que vous boirez mon calice. " - S. JER. On se demande dans quel sens les deux enfants de Zébédée, Jacques et Jean, ont bu le calice du martyre, puisque d'après l'Écriture, Jacques seul fut décapité par Hérode (Ac 12), et que Jean mourut de mort naturelle. Mais puisque nous lisons dans l'histoire ecclésiastique que Jean fut plongé dans une chaudière d'huile bouillante, et qu'il fut exilé dans l'île de Pathmos, nous voyons qu'il eut vraiment l'esprit du martyre, et qu'il but le calice du confesseur de la foi, calice que burent aussi les trois enfants dans la fournaise, bien que leur persécuteur n'ait pas répandu leur sang.
S. HIL. (can. 20.) Notre-Seigneur, tout en louant la foi qui les anime, leur déclare qu'ils seront associés à ses souffrances, mais que Dieu, son Père, avait disposé en faveur d'autres de l'honneur de s'asseoir à sa droite et à sa gauche : " Mais pour ce qui est d'être assis à ma droite et à ma gauche, " etc. Dans notre opinion, cet honneur n'est pas tellement réservé à d'autres, que les Apôtres n'y aient point de part, eux qui, assis sur les sièges des patriarches, jugeront les douze tribus d'Israël. Autant que l'Évangile nous permet de le conclure, nous verrons assis aux côtés du Sauveur Moise et Elle, au milieu desquels il parut sur la montagne dans tout l'éclat de sa gloire. (Mt 18 ; Mc 9 ; Lc 9.) - S. JER. Quant à moi, telle n'est pas mon opinion, mais je pense que le Sauveur ne nomme pas ceux qui seront assis dans le royaume des cieux, dans la crainte que cette désignation spéciale de quelques-uns, ne parût une exclusion pour les autres. En effet, la gloire du royaume des cieux ne dépend pas seulement de celui qui la donne, mais aussi de celui qui la reçoit ; car Dieu ne fait acception de personne, et celui qui se rendra digne de ce royaume, recevra ce que Dieu a préparé, non pas à la personne, mais à la vie sainte et pure. Si donc vous vous rendez dignes par vos vertus du royaume des cieux, vous en serez mis en possession. Cependant il ne leur dit pas : Vous ne serez pas assis à ma droite, pour ne pas les couvrir de confusion, ni : Vous y serez assis, pour ne pas froisser les autres disciples. - S. CHRYS. (hom. 65.) Ou bien dans un autre sens, cette place est inaccessible, non-seulement aux hommes, mais encore aux anges ; car saint Paul nous déclare en ces termes qu'elle est l'apanage exclusif du Fils unique : " A qui, parmi les anges, a-t-il jamais dit : Asseyez-vous à ma droite ? " C'est donc uniquement par condescendance pour ceux qui l'interrogent, et non pour établir que quelques-uns des saints seraient assis à ses côtés, qu'il répond à leur question ; car le Seigneur leur répond : " Vous mourrez, en effet, pour moi, mais cela ne suffit pas pour : que vous obteniez la première place ; car s'il s'en trouve un autre qui joint au martyre une vertu plus parfaite, mon amour pour vous ne peut aller jusqu'à lui enlever la première place pour vous la donner. " Mais il ne veut pas que l'on croie que c'est impuissance de sa part, aussi ne dit-il pas simplement : Ce n'est point à moi de donner, mais : " Ce n'est point à moi de vous le donner, " cela est réservé à ceux à qui mon Père l'a préparé, c'est-à-dire à ceux qui peuvent briller par l'éclat de leurs bonnes oeuvres. - REMI. Ou bien encore : " Ce n'est point à moi de vous le donner, c'est-à-dire de le donner à des orgueilleux comme vous, mais cela est réservé aux humbles de cur auxquels mon Père céleste l'a préparé. " - S. AUG. (de la Trinité, 1, 12.) Ou bien enfin, le Seigneur répond à ses disciples comme homme revêtu de la forme de serviteur : " Mais pour ce qui est d'être assis à ma droite, ce n'est point à moi de vous le donner, " etc. Or, ce que le Père a préparé, le Fils l'a également préparé ; car le Fils et le Père ne sont qu'un.
vv. 24-28.
S. CHRYS. (hom. 65.) Tant que Jésus-Christ n'a fait qu'exprimer sa volonté
à l'égard des deux disciples, les autres Apôtres n'éprouvèrent
aucun sentiment de peine ; ils ne s'indignent que lorsqu'il les reprend : "
Et les dix autres ayant entendu, " etc. - S. HIL. Ce n'est pas sur la mère
qu'ils font retomber la témérité d'une pareille demande,
mais sur les enfants qui, paraissant ignorer ce qu'ils étaient, se sont
laissé dominer par une ambition aussi démesurée. - S. CHRYS.
(hom. 65.) Ils comprirent que cette demande venait des deux frères, quand
le Sauveur leur adressa ce reproche. Jusque-là, lorsqu'ils avaient vu
les marques particulières d'honneur qu'il leur donnait, comme dans sa
transfiguration, quelle que fût la peine qu'ils en ressentaient intérieurement,
ils n'osaient pas la faire paraître au dehors, par respect pour leur divin
Maître. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) La demande des deux disciples avait
été toute charnelle, la tristesse des dix autres fut de même
nature, car s'il est blâmable de vouloir s'élever au-dessus des
autres, il est on ne peut plus glorieux d'accepter que d'autres soient élevés
au-dessus de nous.
S. JER.
Toutefois le divin Maître ne reproche ni leur ambition aux deux disciples,
ni leur indignation jalouse aux dix autres : " Mais Jésus les appela
à lui, " etc. - S. CHRYS. (hom. 66.) Comme il les voit dans le trouble,
il les appelle à lui pour les consoler en leur adressant la parole de
plus près, car les deux frères s'étaient séparés
de la société des dix Apôtres pour se rapprocher du Seigneur
et lui parler en particulier. Or, il apaise les sentiments de leur âme,
non plus comme précédemment, en plaçant un petit enfant
au milieu d'eux, mais par un exemple tout opposé : " Vous savez,
leur dit-il, que les princes des nations dominent sur elles. " - ORIG.
C'est-à-dire : Vous savez que, non contents de gouverner leurs sujets,
ils aspirent à une domination tyrannique ; mais pour vous, qui êtes
mes disciples, il n'en sera pas de la sorte, car, si les choses matérielles
sont soumises à la nécessité, les choses spirituelles dépendent
de la volonté. Ceux donc qui sont revêtus d'une puissance toute
spirituelle doivent faire reposer toute leur autorité sur l'affection
de ceux qui leur sont soumis, plutôt que sur la crainte des châtiments
extérieurs. - S. CHRYS. (hom. 66.) Il leur montre en même temps
que c'est le propre des nations idolâtres d'ambitionner la primauté,
et par cette comparaison il apaise l'agitation de leur âme. - S. CHRYS.
(sur S. Matth.) C'est une chose louable de désirer le travail du ministère,
car le travail dépend en partie de notre volonté, aussi bien que
la récompense qui la suit ; mais c'est une vanité que d'ambitionner
l'honneur des premières dignités, parce qu'elles dépendent
de la volonté de Dieu. Aussi, quand bien même nous obtiendrions
cet honneur, nous ne savons pas si nous méritons la couronne de justice.
En effet, l'Apôtre ne sera pas trouvé digne d'éloges aux
yeux de Dieu pour avoir été apôtre, mais pour avoir bien
rempli les devoirs de l'apostolat ; de même ce n'est pas aux mérites
qui ont précédé sa vocation que l'Apôtre doit l'honneur
de l'apostolat ; mais il a été jugé digne de ce ministère,
d'après les dispositions de son âme. Disons encore que les premières
dignités vont au devant de ceux qui les fuient, et fuient ceux qui les
recherchent. Ce qu'il faut désirer, ce n'est donc point un rang plus
élevé, mais une vie plus vertueuse. C'est donc pour éteindre
l'ambition des deux frères et l'indignation des autres Apôtres,
que le Sauveur établit cette différence entre les princes du monde
et les chefs de l'Église, et il montre ainsi que le pouvoir ecclésiastique
ne doit être ni recherché par celui qui ne l'exerce pas, ni envié
à celui qui en est revêtu. Les princes du monde semblent n'être
établis que pour faire peser leur domination sur leurs inférieurs,
les réduire en servitude, les dépouiller et les exploiter jusqu'à
la mort au profit de leur propre gloire et de leur utilité personnelle.
Les princes de l'Église, au contraire, ne sont placés à
sa tête que pour servir leurs inférieurs, leur distribuer tout
ce qu'ils ont reçu de Jésus-Christ, pour veiller aux intérêts
des fidèles au détriment de leurs intérêts personnels,
et ne point reculer devant la mort même pour les sauver. Il n'est donc
ni juste, ni utile de désirer la puissance et les honneurs dans l'Église,
car quel est l'homme tant soit peu sage qui voudrait se soumettre de lui-même
à une si grande servitude et au danger effrayant de rendre compte pour
toute l'Église, à moins qu'il n'ait perdu toute crainte des jugements
de Dieu, et qu'il ne veuille faire un abus indigne de la puissance ecclésiastique
en la transformant en un pouvoir tout séculier ?
S. JER. Jésus termine en se proposant comme exemple pour faire rougir
par ses actions ceux que ses paroles laisseraient insensibles : " Comme
le Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi. " - ORIG. Les
anges et Marthe l'ont servi, il est vrai ; il n'est cependant pas venu pour
être servi, mais pour servir, et il poussa si loin cette servitude à
l'égard des autres, qu'il accomplit les paroles suivantes : " Et
pour donner sa vie en mourant pour la rédemption de plusieurs, "
qui ont cru en lui. Mais comme il a été le seul qui fût
libre entre les morts (Ps 87), et plus fort que toute la puissance de la mort,
il a par là même affranchi de la mort tous ceux qui ont voulu le
suivre. Les princes de l'Église doivent donc imiter Jésus-Christ
qui se rendait accessible, ne dédaignait pas de parler aux femmes, d'imposer
les mains sur les petits enfants, et de laver les pieds à ses disciples
pour les engager à en faire autant à leurs frères. Mais,
malgré cet exemple, nous offrons dans notre conduite le spectacle d'un
orgueil qui va au delà de l'orgueil des princes du monde ; car, soit
que nous ne voulions pas comprendre, soit que nous méprisions le précepte
de Jésus-Christ, nous voulons, comme les rois de la terre, nous faire
précéder par des gardes, nous cherchons à nous rendre redoutables
et de difficile accès, surtout à l'égard des pauvres ;
nous n'avons pour les autres et nous ne voulons pour nous-mêmes aucune
marque d'affabilité.
S. CHRYS. (hom. 66.) Donc, à quelque degré que vous puissiez vous
humilier, jamais vous ne descendrez aussi bas que votre Sauveur et votre Dieu.
vv. 29-34.
S. CHRYS. (sur S. Matth.) De même qu'une abondante moisson témoigne
en faveur du travail du laboureur, ainsi une nombreuse assemblée est
une preuve du zèle de celui qui enseigne : " Et lorsqu'ils sortaient,
une foule nombreuse le suivit. " Aucun d'eux ne fut arrêté
par les difficultés de la route, car l'amour spirituel n'est point sujet
à la fatigue, aucun d'eux ne fut retenu par la pensée de ses intérêts
temporels, car ils entraient en possession du royaume des cieux. Celui, en effet,
qui a une fois goûté en vérité le bien céleste,
ne trouve plus rien sur la terre qui soit digne de son affection. Or, ces deux
aveugles se rencontrent très-à propos sur le passage de Jésus-Christ,
car, après avoir recouvré la vue, ils le suivront à Jérusalem
pour rendre témoignage à sa puissance : " Et voici que deux
aveugles, " etc. Ces deux aveugles entendaient les pas de ceux qui marchaient,
mais ne pouvaient les voir. Ils n'avaient de libre dans tout leur corps que
la voix ; et comme ils ne pouvaient se mettre à la suite du Sauveur,
ils l'accompagnent de leurs cris et de leurs supplications : " Et ayant
entendu que Jésus passait, " etc.
S. AUG. (De l'acc. des Evang., 2, 56.) Saint Marc raconte ce même fait,
mais ne parle que d'un seul aveugle, difficulté dont voici la solution.
Des deux aveugles que saint Matthieu comprend dans son récit, l'un était
très-connu dans la ville, et ce qui le prouve, c'est que saint Marc a
cru devoir nous faire connaître son nom et celui de son père. Ce
Bartimée, fils de Timée, était probablement déchu
d'une grande fortune et devait à cette circonstance d'être très-connu.
Il était non-seulement aveugle, mais encore assis près du chemin
comme un mendiant. C'est donc de celui-là seulement que saint Marc a
voulu parler, parce que sa guérison eut autant d'éclat que ses
malheurs avaient eu de retentissement. Quant à Saint Luc, bien qu'il
raconte un fait absolument semblable, il faut admettre qu'il s'agit dans son
récit d'un autre aveugle, qui fut l'objet d'un semblable miracle, car
il place sa guérison lorsque Jésus approchait de Jéricho,
tandis que, suivant les autres Évangélistes, les deux aveugles
furent guéris lorsque Jésus sortait de Jéricho.
" Et le peuple les reprenait pour les faire taire. " - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Ils voyaient les haillons repoussants dont cet homme était couvert, et, ne considéraient pas l'éclatante beauté de son âme. Voilà bien la sagesse insensée des hommes. Ils s'imaginaient que c'était un outrage pour les grands de recevoir les hommages des pauvres, car, quel est le pauvre qui eut osé saluer en public un riche ? - S. HIL. Ou bien ce n'est point par honneur pour le Sauveur qu'ils font taire ces deux aveugles, mais parce qu'il leur faisait peine d'entendre affirmer par ces aveugles ce qu'ils niaient eux-mêmes, c'est-à-dire que Jésus était fils de David. - ORIG. (Traité 13 sur S. Matth.) Ou bien peut-être c'étaient ceux qui croyaient en Jésus-Christ qui reprenaient les aveugles de ne lui donner que le nom trop peu digne fie fils de David, au lieu de dire : " Fils de Dieu, ayez pitié de nous. " - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Mais la défense qui leur était faite, loin fie leur fermer la bouche ; les excitait davantage. C'est ainsi que la foi s'accroît et se fortifie par la contradiction ; aussi est-elle calme et tranquille parmi les dangers, tandis qu'elle n'est pas sans crainte au milieu de la paix. " Et ils se mirent à crier encore plus haut : Ayez pitié de nous, fils de David. " Ils avaient crié d'abord parce qu'ils étaient aveugles, ils se mettent à crier plus haut encore parce qu'on les empêche d'approcher de la lumière. - S. CHRYS. (hom. 66.) Le Sauveur permettait qu'on leur fît cette défense pour faire éclater la vivacité de leurs désirs. Apprenez de là que, quelque soit notre misère et notre abjection, nous obtiendrons par nous-mêmes tout ce que nous demanderons, en nous approchant de Dieu avec ferveur.
" Alors Jésus s'arrêta, et, les ayant appelés, " etc. - S. JER. Le Seigneur s'arrêta, parce que les aveugles ne savaient de quel côté ils devaient se diriger. Il y avait auprès de Jéricho beaucoup d'excavations, d'endroits escarpés pendant en précipices ; le Seigneur s'arrêta donc pour qu'ils pussent venir jusqu'à lui. - ORIG. Ou bien le Seigneur ne continue pas son chemin, mais s'arrête pour que le bienfait qu'il va leur accorder ne se répande pas au delà ; mais que la miséricorde coule sur eux comme d'une source permanente et durable. - S. JER. Il les fait appeler pour que la foule ne les empêche pas d'approcher, et il leur demande ce qu'ils veulent, afin que leur réponse rende évidentes leur infirmité et la puissance qui doit les guérir. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Ou bien il leur fait cette demande pour faire connaître leur foi, et, par l'exemple de ces aveugles qui confessent qu'il est le Fils de Dieu. confondre ceux qui voient et ne le regardent que comme un homme. Ils avaient appelé le Christ Seigneur, et en cela ils disaient la vérité ; mais eu ajoutant : Fils de David, ils affaiblissaient la force de leur profession de foi. En effet, on donne aux hommes, par extension et par abus, le nom de seigneur ; mais il n'y a de véritable seigneur que Dieu. Lors donc qu'ils appellent Jésus " Seigneur, fils de David, " ils l'honorent simplement comme homme ; s'ils l'appelaient Seigneur, sans aucune addition, ils confesseraient par là même sa divinité. C'est pourquoi il les interroge en ces termes : " Que voulez-vous que je vous fasse ? " Alors ils ne l'appellent plus : " Seigneur, Fils de David, " mais simplement " Seigneur : " " Et ils lui dirent : Seigneur, que nos yeux s'ouvrent. " En effet, le fils de David ne peut ouvrir les yeux des aveugles ; il n'y a que le Fils de Dieu qui ait cette puissance. Tant qu'ils se sont contentés de dire : " Seigneur, Fils de David, " leur guérison a été comme suspendue ; mais aussitôt qu'ils eurent dit : " Seigneur, " leurs yeux se sont ouverts. En effet, l'Évangéliste ajoute : " Et Jésus, ayant pitié d'eux, toucha leurs yeux. " Il les toucha, comme homme, avec la main, et il les guérit comme Dieu. - S. JER. Le Créateur leur donne ce que la nature leur avait refusé, ou du moins la miséricorde leur rend ce que la maladie leur avait ôté.
S. CHRYS.
(hom. 56.) La reconnaissance de ces aveugles, après qu'ils eurent reçu
cette grâce, égala leur persévérance avant de l'avoir
obtenue. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Ils offrirent à Jésus-Christ
un présent qui lui fut bien agréable, car l'auteur sacré
nous apprend qu'ils le suivirent ; c'est là ce que Dieu demande de vous
par le prophète : " Marchez avec crainte en présence de votre
Dieu. " (Mi 6.) - S. JÉR. Ces aveugles, qui étaient assis
près de la ville de Jéricho, retenus par leur infirmité
et qui ne pouvaient que gémir et crier, suivent maintenant Jésus,
moins par le mouvement des pieds que par leurs vertus. - RAB. Jéricho,
dont le nom signifie lune, est une figure de l'inconstance humaine. - ORIG.
Dans le sens mystique, Jéricho signifie le monde, au milieu duquel Notre-Seigneur
est descendu. Ceux qui habitent Jéricho ne peuvent sortir de la sagesse
du monde avant d'avoir vu non-seulement Jésus, mais encore ses disciples
sortir de Jéricho. Or, une foule nombreuse, à la vue de cette
guérison miraculeuse, les suivit, pleine de mépris pour le monde
et pour les choses du monde, afin de monter, sous la conduite de Jésus-Christ,
jusqu'à la Jérusalem céleste. Dans ces deux aveugles, nous
pouvons voir les deux peuples de Juda et d'Israël (cf. 3 R 12), qui étaient
aveugles avant l'avènement du Christ, parce qu'ils ne voyaient pas la
parole de vérité qui était renfermée dans la loi
et les prophètes, et parce qu'étant assis le long du chemin de
la loi et des prophètes, et n'ayant que l'intelligence charnelle de la
lettre, ils élevaient la voix seulement vers celui qui est né
de la race de David selon la chair. (Rm 1.) - S. JER. Ou bien encore, par ces
deux aveugles, la plupart entendent les pharisiens et les sadducéens.
- S. AUG. (Quest. évang., 1, 20.) Ou bien, dans un autre sens, ces deux
aveugles sont la figure de ceux qui, dans les deux peuples, s'attachent par
la foi à l'économie de la vie humaine de Jésus-Christ,
par laquelle il est notre voie, et qui désirent d'être éclairés,
c'est-à-dire de comprendre quelque chose de l'éternité
du Verbe. Or, c'est ce qu'ils espèrent obtenir lorsque Jésus vient
à passer, c'est-à-dire par le mérite de la foi, qui reconnaît
que le Fils de Dieu s'est fait homme, est né et a souffert pour nous.
En effet, d'après cette économie de l'incarnation, Jésus
ne fait pour ainsi dire que passer, parce que cette action ne dure qu'un temps.
Or, il leur fallait crier assez haut pour dominer le bruit de la foule, qui
couvrait leur voix, c'est-à-dire il leur fallait s'appliquer avec persévérance
à la prière, aux saints désirs, pour arriver à vaincre,
par la force de l'intention l'habitude des désirs charnels, qui, comme
une foule tumultueuse, empêche l'âme de voir la lumière de
l'éternelle vérité, ou bien la foule elle-même des
hommes charnels qui veulent nous rendre impossibles les exercices spirituels
de la prière et de la vertu. - S. AUG. (serm. 18 sur les par. du Seig.)
En effet, les mauvais chrétiens et ceux qui vivent dans la tiédeur
font de l'opposition aux bons chrétiens qui veulent accomplir les préceptes
divins, mais que ceux-ci ne cessent pas de crier sans se lasser ; car tout chrétien
qui commence à pratiquer la vertu et à mépriser le monde
est sûr de trouver au début de sa conversion des censeurs de sa
conduite dans les chrétiens dont la charité s'est refroidie ;
mais s'il persévère, il se verra bientôt applaudi et appuyé
par ceux-là même qui voulaient d'abord lui créer des obstacles.
- S. AUG. (Quest. évang., 5.) Jésus qui a dit : " On ouvrira
à celui qui frappe " (Mt 7, Lc 11) les ayant entendus, s'arrête,
les touche et ouvre leurs yeux à la lumière. En effet, comme c'est
la foi au mystère de l'Incarnation qui s'est accompli dans le temps,
qui nous prépare à l'intelligence des choses de l'éternité,
lorsque Jésus passe, ils sont avertis que la lumière va leur être
rendue, et il s'arrête, en effet, pour leur ouvrir les yeux, car les choses
du temps passent et celles de l'éternité sont immuables. - S.
CHRYS. (sur S. Matth.) Il en est qui voient dans les deux aveugles deux sortes
de Gentils, issus, les uns de Cham, les autres de Japhet. " Ils étaient
assis le long du chemin, " c'est-à-dire qu'ils étaient proches
de la vérité, sans pouvoir la trouver ; ou bien ils conformaient
leur vie aux préceptes du Verbe, mais sans se diriger d'après
les principes surnaturels du Verbe, parce qu'ils n'avaient pas encore reçu
la connaissance du Verbe. - RAB. Mais aussitôt qu'ils apprirent la grande
réputation de Jésus-Christ, ils cherchèrent à s'attacher
à lui, et c'est alors qu'ils trouvèrent de nombreux contradicteurs
; d'abord dans les Juifs, comme nous le lisons dans les Actes et puis dans les
Gentils qui suscitèrent contre eux une persécution encore plus
violente, sans que tous leurs efforts aient pu priver du salut ceux qui étaient
prédestinés à la vie. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) C'est
donc les yeux du cur que le Sauveur toucha en donnant aux Gentils, et
aussitôt qu'ils furent éclairés ils ont marché à
sa suite par la pratique des bonnes oeuvres. - ORIG. Et nous aussi, qui sommes
assis le long du chemin des Écritures et qui comprenons sous quel rapport
nous sommes aveugles, si nous prions par amour de la vérité, Jésus
touchera les yeux de notre âme et les ténèbres de l'ignorance
se retireront de notre esprit pour nous laisser voir et suivre celui qui ne
nous a rendus à la lumière que pour nous permettre de marcher
à sa suite.