ÉVANGILE DE SAINT MATHIEU PAR SAINT THOMAS D'AQUIN
CATANA AUREA DE SAINT THOMAS D'AQUIN SUR SAINT MATTHIEU
CHAPITRE III
vv. 1-3.
S. CHRYS. (sur S. Matth.) Lorsque le soleil est près de se lever, avant
de paraître sur l'horizon, il envoie ses rayons qui blanchissent l'Orient,
et font de l'aurore qui le précède comme la messagère du
jour. De même aussi, lorsque le Seigneur a daigné prendre naissance
dans le monde, avant de paraître dans l'éclat de sa doctrine, il
éclaire Jean-Baptiste de ses rayons et de la splendeur de son esprit
pour qu'il marche devant lui et annonce son arrivée prochaine. Voilà
pourquoi l'Évangéliste, après le récit de la naissance
du Christ et avant de raconter l'exposé de ses divines, prédications,
place en tête de son récit le baptême de Jésus où
Jean, son précurseur qui le baptisa, lui rendit un si glorieux témoignage
: " En ce temps-là, Jean-Baptiste vint prêcher au désert.
"
REMI. Ces paroles de l'auteur sacré ne nous font pas connaître
seulement le temps, le lieu où vécut saint Jean, et ce qu'il était,
mais encore son ministère et le zèle avec lequel il le remplit.
Il désigne l'époque d'une manière générale
par ces mots : " En ce temps-là. " - S. AUG. (de l'acc. des
Evang., liv. 2, ch. 6). Saint Luc détermine cette époque d'une
manière plus précise par les princes qui régnaient alors
et en disant : " La quinzième année, " etc. Mais l'expression
générale dont se sert saint Matthieu : " En ce temps-là,
" doit s'entendre d'un espace de temps plus étendu, car après
avoir raconté le retour de l'Égypte, qui dut avoir lieu dans l'enfance
du Sauveur ou dans les premières années, pour laisser place au
fait que saint Luc raconte lorsqu'il eut atteint l'âge de douze ans, il
ajoute aussitôt : " Dans ce temps-là, " expression qui
n'indique pas seulement le jour de son enfance, mais tous ceux qui s'écoulèrent
depuis sa naissance jusqu'à la prédication de Jean-Baptiste.
REMI. L'Évangéliste fait ensuite connaître la personne dont
il s'agit : " Jean-Baptiste vint, " c'est-à-dire qu'après
être resté si longtemps caché dans la retraite, il en sortit
pour se manifester. - S. CHRYS. Pourquoi fut-il nécessaire que Jean précédât
Jésus, à qui ses uvres devaient rendre un témoignage
suffisant (cf. Jn 10) ? C'était premièrement pour nous apprendre
la dignité du Christ, qui a ses prophètes comme son Père,
selon ces paroles de Zacharie : " Et toi, enfant, tu seras appelé
le prophète du Très-Haut. " En second lieu, c'était
pour ne laisser aucun prétexte à la fausse réserve des
Juifs, comme il le dit lui-même : " Jean est venu, ne mangeant ni
ne buvant, et ils disent : Il est possédé du démon. Le
Fils de l'homme est venu, mangeant et buvant, et ils disent : " C'est un
homme de bonne chère. " (Mt 11.) D'ailleurs, il fallait que les
premiers témoignages en faveur du Christ vinssent d'un autre que de lui,
autrement les Juifs lui auraient objecté ce qu'ils lui dirent un jour
qu'il avait parlé de lui-même (Jean 8) : " Vous rendez témoignage
vous-même, votre témoignage n'est pas vrai. " - REMI. L'Évangéliste
nous fait connaître l'objet de son ministère par le nom de Baptiste
qu'il lui donne. - LA GLOSE. C'est par ce baptême qu'il prépare
les voies au Seigneur, car les hommes auraient rejeté le baptême
du Christ s'ils n'avaient été préparés par un autre
baptême.
REMI. Nous voyons le zèle de Jean-Baptiste dans ces paroles : "
Il vint prêcher. " - RAB. Car le Christ devait aussi prêcher
; lors donc que Jean-Baptiste vit que le temps opportun était arrivé
(à l'âge de trente ans environ), il commença ses prédications
pour préparer les voies au Seigneur.
REMI. L'Évangéliste indique le lieu qu'habitait Jean-Baptiste,
en ajoutant : " Dans le désert de la Judée. " - MAX.
Dans le désert, où sa prédication ne serait exposée
ni aux murmures d'une foule insolente, ni aux railleries de l'impiété,
et où il n'aurait pour auditeurs que ceux qui rechercheraient la parole
de Dieu dans un véritable esprit de religion. - S. JER. (sur Is 40).
Ou bien il faut voir ici une figure de cette vérité que le salut
qui vient de Dieu et la gloire du Seigneur ne sont pas prêchés
dans Jérusalem, mais dans la solitude de l'Église et dans le désert
de la multitude des nations. - S. HIL. (can. 2 sur S. Matth.) Ou bien encore
il vint dans la Judée déserte parce que, bien qu'elle fût
fréquentée par les hommes, elle était privée des
visites de Dieu, de manière que le lieu qu'il avait choisi pour ses prédications
attestait l'abandon de ceux à qui la parole de Dieu s'adressait. - LA
GLOSE. Ou bien enfin, dans le sens figuré, le désert représente
la voie qui est éloignée des attraits séducteurs du monde,
et que doivent suivre ceux qui veulent faire pénitence.
S. AUG. (Liv. de la Pénit.) Celui qui ne se repent pas de sa vie passée
ne peut pas en commencer une nouvelle. - S. HIL. (c. 2 sur S. Mat.) C'est pour
cela que Jean-Baptiste, au moment où approche le royaume des cieux, prêche
la pénitence qui nous fait quitter les sentiers de l'erreur, revenir
de nos égarements, et nous inspire avec la honte de nos péchés
la résolution de ne plus les commettre ; c'est ce que signifient ces
paroles : " Faites pénitence. " - S. CHRYS. (sur S. Mat.) Par
cet exorde seul il s'annonce comme l'ambassadeur du roi plein de bouté,
car il ne fait aucune menace aux pécheurs, mais leur promet le pardon
de leurs péchés. Les rois ont coutume, à la naissance d'un
fils, de proclamer une amnistie dans leur royaume, mais ils la font précéder
par d'impitoyables exacteurs. Dieu, au contraire, voulant aussitôt la
naissance de son fils accorder au genre humain le pardon de ses péchés,
envoie par avance comme exacteur Jean-Baptiste ; et qu'exige-t-il ? Il dit :
" Faites pénitence. " O heureuse exaction, qui, loin de nous
appauvrir nous enrichit. En effet, lorsque nous avons payé nos dettes
à la justice divine, nous ne donnons rien à Dieu, mais nous acquérons
le riche bénéfice du salut éternel ; car la pénitence
purifie notre cur, éclaire nos facultés et prépare
notre âme à recevoir Jésus-Christ.
C'est pour cela qu'il ajoute : " Le royaume de Dieu approche. " -
S. JER. C'est Jean-Baptiste qui le premier annonce le royaume de Dieu, parce
que Dieu voulait honorer par ce privilège le précurseur de son
Fils. - S. CHRYS. (hom 10.) Il annonce donc ce que les Juifs n'avaient jamais
entendu, pas même de la bouche des prophètes, les cieux et le royaume
qu'ils renferment, sans rien dire de la terre. C'est ainsi que par la nouveauté
des choses qu'il prêche, il excite en eux le désir de chercher
celui qui fait l'objet de ses prédications. - REMI. Le royaume des cieux
se prend dans quatre sens différents : pour le Christ dans ce passage
de saint Luc : " Le royaume de Dieu est au dedans de vous " (Lc 17)
; pour la sainte Écriture dans cet autre ; " Le royaume de Dieu
vous sera enlevé et sera donné à une nation qui en portera
les fruits " (Mt 21) ; pour la sainte Église dans cet endroit :
" Le royaume de Dieu est semblable à dix vierges " (Mt 25)
; enfin, pour le céleste séjour dans ces paroles de Jésus-Christ
: " Il en viendra beaucoup d'Orient et d'Occident et ils s'asseoiront dans
le royaume des cieux. " Or, cette expression peut avoir ici toutes ces
différentes significations. - LA GLOSE Jean-Baptiste dit : " Le
royaume de Dieu est proche, car s'il ne s'approchait pas, personne ne pourrait
arriver jusqu'à lui. " Infirmes et aveugles qu'ils étaient,
les hommes avaient besoin que la voie qui est Jésus-Christ vint jusqu'à
eux.
S. AUG. (de l'ac. des Ev., l. 2, ch. 12). Les autres Évangélistes
n'ont point rapporté ces dernières paroles de Jean-Baptiste. Quant
à celles qui suivent : " C'est de lui que le prophète Isaïe
a parlé, lorsqu'il a dit : Je suis la voix de celui qui crie dans le
désert ; préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers,
" leur rapport est ambigu et on ne voit pas clairement si c'est l'Évangéliste
qui fait lui-même cette citation, ou s'il la donne comme faisant suite
aux paroles de saint Jean, de manière que tout ce passage : " Faites
pénitence, le royaume des cieux approche, car c'est lui, " etc.,
ferait partie du discours du saint précurseur. Que saint Jean ne dise
pas : " C'est moi, " mais c'est lui, " cela ne doit pas nous
impressionner, car saint Matthieu ne dit-il pas de lui-même : " Jésus
trouva un homme dans son bureau ? " et non pas : " Jésus me
trouva. " S'il en est ainsi, qu'y a-t-il d'étonnant que saint Jean-Baptiste,
interrogé sur ce qu'il pensait de lui-même, ait répondu
: " Je suis la voix de celui qui crie dans le désert, " comme
le rapporte l'Évangéliste saint Jean ?
S. GREG. (hom. 7 sur S. Matth.) On sait que le Fils unique de Dieu est appelé le Verbe du Père, d'après ce passage du même Évangéliste : " Au commencement était le Verbe. " Or, nous voyons par notre manière de parler que la voix résonne pour que la parole puisse être entendue : Jean, précurseur du Sauveur, est donc appelé la voix, parce qu'il est la voix mystérieuse que fait entendre aux hommes le Verbe du Père. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) La voix par elle-même est un son confus et indéterminé qui ne dévoile aucun secret du cur ; elle indique seulement que celui qui élève la voix veut exprimer une pensée. Mais c'est à la parole seule qu'il appartient de révéler les mystères de l'âme. Il y a encore cette différence que la voix est commune aux hommes et aux animaux, tandis que la parole est le partage exclusif des hommes. Jean est donc appelé la voix et non pas la parole, parce que Dieu ne l'a point choisi pour faire connaître l'économie de ses conseils, mais uniquement pour annoncer qu'il méditait quelque grand dessein en faveur des hommes ; ce n'est que par son Fils qu'il a dévoilé par la suite dans toute leur clarté les mystérieux desseins de sa volonté divine.
RAB. Cette expression : " La voix de celui qui crie, " nous révèle toute la force de la prédication de saint Jean. Le cri de la voix se produit dans trois circonstances : lorsqu'on s'adresse à une personne éloignée, lorsque cette personne est sourde, lorsqu'on parle sous l'impression d'un vif sentiment d'indignation, et ces trois circonstances se réunissaient dans l'état du genre humain. - LA GLOSE. Jean est donc comme la voix de la parole qui crie, car c'est la parole qui se fait entendre par le moyen de la voix, c'est-à-dire Jésus-Christ par Jean-Baptiste. - BEDE. C'est ainsi qu'il a parlé par la voix de tous ceux qui, depuis le commencement, ont communiqué aux hommes quelque vérité divine ; mais Jean-Baptiste seul est appelé la voix, parce que seul il a révélé la présence du Verbe, que les autres n'ont fait qu'annoncer de loin.
S. GREG. (Hom. 7 sur les Evang.) Jean crie dans le désert parce qu'il annonce la consolation du Rédempteur à la Judée abandonnée et privée de tout secours. - REMI. Historiquement parlant, il parlait dans le désert, parce qu'il se tenait éloigné de la foule des Juifs. Que criait cette voix ? Les paroles suivantes nous l'apprennent : " Préparez la voie du Seigneur. " - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Lorsqu'un grand roi est sur le point d'entreprendre un voyage ou une expédition, il envoie devant lui des hommes qui préparent tout pour le recevoir, font disparaître tout ce qui peut offenser ses yeux et rétablir ce qui est en ruines ; ainsi le Seigneur se fait précéder par saint Jean qui par la pénitence balaye du cur des hommes les souillures du péché, et reconstruit ce qui est en ruines à l'aide de l'observation des préceptes divins. - S. GREG. (hom. 20 sur les Evang.) Tout homme qui annonce la vraie foi et la nécessité des bonnes uvres, prépare la voie du Seigneur dans le cur de ceux qui l'écoutent, il rend droits ses sentiers lorsque, par de pieuses et saintes exhortations, il fait naître dans l'âme de chastes pensées. - LA GLOSE. (interlin). Ou bien la foi est la voie par laquelle le Verbe descend dans le cur, et les sentiers sont redressés lorsque les murs sont réformées.
v. 4.
S. CHRYS. (sur S. Matth.) Après nous avoir appris que Jean est la voix
de celui qui crie dans le désert, l'Évangéliste ajoute
à dessein : " Or, Jean, " etc. Ces paroles nous font connaître
quelle était sa vie ; ainsi, pendant qu'il rendait témoignage
au Christ, sa vie lui rendait témoignage à lui-même, car
personne ne peut être le digne témoin d'un autre s'il n'est d'abord
son propre témoin. - S. HIL. (can. 2 sur S. Matth.) Le lieu que Jean
avait choisi était le plus convenable pour la prédication : ainsi
avait-il pris le vêtement le plus utile et choisi la nourriture la plus
appropriée à sa vocation. - S. JER. Son vêtement était
fait de poils de chameau et non de laine ; le premier de ces vêtements
est l'indice d'une vie austère et pénitente ; le second, d'une
délicatesse efféminée. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Les
serviteurs de Dieu doivent se vêtir, non pour plaire aux regards ou pour
flatter leur chair, mais pour couvrir leur nudité. Voyez en effet Jean-Baptiste
: son vêtement n'était ni doux ni délicat ; c'était
une espèce de cilice lourd et rude, plus fait pour mortifier la chair
que pour la flatter, de sorte que le seul vêtement de son corps annonçait
la force de son âme. - SUITE. " Et une ceinture de cuir autour des
reins, " etc. C'était la coutume chez les Juifs de porter des ceintures
de laine, et Jean-Baptiste, par un esprit de plus grande austérité,
porte une ceinture de peau.
S. JER. Ce que l'Évangéliste ajoute : " Sa nourriture était du miel sauvage et des sauterelles, " convient à l'homme de la solitude, qui prend la nourriture non pour goûter les délices de la table, mais pour satisfaire aux exigences du corps. - RAB. Il se contente d'une nourriture légère, composée de petits insectes, et de miel qu'il trouvait sur le tronc des arbres. Nous lisons dans les ouvrages d'Arculphe, évêque des Gaules, que l'espèce de sauterelles qui se trouve dans le désert de la Judée est des plus petites ; leur corps grêle et court a la forme d'un doigt de la main ; on les prend facilement dans les prairies, et lorsqu'elles sont cuites, elles servent d'aliments aux pauvres. Il raconte également qu'on trouve dans le même désert des arbres dont la feuille ronde et large a la couleur du lait et la saveur du miel ; elles se broient facilement avec la main, et forment une autre espèce de nourriture qui est ici désignée sous le nom de miel sauvage.
REMI. Ce genre de vêtements et cette nourriture pauvre annoncent un homme qui pleure les péchés du genre humain. - RAB. On peut voir aussi dans ce vêtement et dans cette nourriture un indice des dispositions de son âme. Il se revêt d'un habit rude et austère parce qu'il devait reprendre les vices des pécheurs. - S. JER. Cette ceinture de cuir qui entoure ses reins est une preuve de sa mortification. - RAB. Il mangeait des sauterelles et du miel sauvage, parce que sa prédication était agréable à la multitude, mais qu'elle arriva bientôt à sa fin. Le miel en effet est la douceur même, et le vol des sauterelles vif et léger, mais il est de courte durée.
REMI. Jean, qui veut dire grâce de Dieu, représente le Christ qui apporte la grâce au monde ; son vêtement est le symbole de l'Église formée des Gentils. - S. HIL. (Can. 2 sur S. Matth.) Le prédicateur du Christ se revêt des dépouilles des animaux immondes, auxquels les Gentils sont trop semblables, et en devenant le vêtement du prophète ils sont purifiés de tout ce que leur vie contenait d'impur ou d'inutile. La ceinture dont ses reins sont entourés, est la préparation efficace à toute sorte de bonnes uvres, et la disposition où nous devons être de remplir toute espèce de ministère auquel Jésus-Christ nous appelle. Il choisit pour nourriture les sauterelles qui nous fuient et s'envolent successivement à chaque pas que nous faisons. Ainsi notre volonté vagabonde se trahissant dans l'extérieur léger de nos corps, nous emportait et nous rendait inabordables et inaccessibles à toute parole, vides de bonnes uvres, murmurateurs et inconstants ; mais nous sommes devenus maintenant la nourriture des saints, la société des prophètes, nous sommes du nombre des élus, et le doux miel que nous devons leur offrir ne vient pas des ruches de la loi, c'est un miel sauvage recueilli sur les arbres des forêts.
vv. 5, 6.
S. CHRYS. (sur S. Matth.) Après nous avoir fait connaître la vie
de Jean, l'Évangéliste ajoute comme conséquence : "
Alors Jérusalem venait à lui, " etc. Car la renommée
de sa vie dans le désert avait plus de retentissement que le son de sa
voix. - S. CHRYS. (hom. 10 sur S. Matth.) C'était un spectacle admirable
de voir une force aussi grande dans un corps mortel. C'est aussi ce qui attirait
le plus les juifs, qui croyaient voir en lui le grand prophète Élie.
Ce qui augmentait leur étonnement, c'est que depuis longtemps ils étaient
privés de la grâce des prophéties, et que cette grâce
paraissait leur être rendue. Le genre de prédication tout différent
y contribuait encore, car ils n'entendaient rien de ce que les autres prophètes
avaient coutume de leur annoncer, les combats, les victoires des Assyriens et
des Perses. Jean-Baptiste ne leur parlait que des cieux, du royaume que Dieu
y a fondé, et du supplice de l'enfer.
L'Évangéliste ajoute : " Alors toute la ville de Jérusalem allait vers lui, et ils étaient baptisés par lui dans le Jourdain ". - LA GLOSE. (interlin.) C'était un baptême de préparation, qui n'effaçait pas les péchés. - REMI. Le baptême de Jean figurait la conduite que tient l'Église à l'égard des catéchumènes ; on catéchise les enfants pour les rendre dignes du sacrement de baptême ; ainsi Jean donnait le baptême, afin que ceux qui le recevaient méritassent par une vie vraiment pieuse le baptême de Jésus-Christ. Il baptisait dans le Jourdain pour ouvrir la porte du royaume des cieux dans le même endroit qui avait ouvert aux enfants d'Israël l'entrée de la terre promise.
SUITE. "
Confessant leurs péchés. " - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Devant
l'éminente sainteté de Jean-Baptiste, qui pourra se croire juste
? De même qu'un vêtement d'une éclatante blancheur perd tout
son éclat et paraît même souillé si on le place près
de la neige ; ainsi en comparaison de saint Jean tout homme se trouvait impur
et se hâtait de confesser ses péchés. Or la confession des
péchés est la marque d'une conscience qui craint Dieu, car la
crainte qui est parfaite triomphe de toute honte. On se laisse arrêter
par la honte de se confesser, quand on ne croit pas au châtiment qui doit
suivre le jugement dernier. Et comme la honte et la confusion sont une peine
assez forte, Dieu nous ordonne l'aveu de nos fautes pour nous soumettre à
cette peine de la honte, car elle fait aussi partie du jugement.
RAB. C'est avec raison que l'Évangéliste dit que ceux qui devaient
être baptisés sortaient pour aller trouver le prophète,
car à moins de sortir de ses faiblesses, de renoncer aux pompes du démon
et aux attraits séducteurs du monde, on ne peut recevoir le baptême
avec fruit. Il était également convenable qu'ils fussent baptisés
dans le Jourdain, dont le nom signifie descente, car ils descendaient des hauteurs
orgueilleuses de leur vie pour se soumettre aux humiliations d'une confession
véritable. Dès lors l'exemple était donné à
ceux qui voulaient recevoir le baptême de confesser leurs péchés
et de s'engager à mener une vie plus pure.
vv. 7-10.
S. GRÉG. (Pastoral., partie 3, dans le Prologue.) Le discours de ceux
qui enseignent doit varier suivant les auditeurs ; il faut qu'il réponde
aux dispositions de chacun d'eux, sans s'écarter cependant des règles
de l'édification commune. - LA GLOSE. Il était donc nécessaire
que l'Évangéliste, après nous avoir rapporté les
enseignements que saint Jean donnait à la multitude, nous fît connaître
les instructions qu'il adressait à ceux qui paraissaient plus avancés,
et c'est pour cela qu'il ajoute : " Or voyant beaucoup de Pharisiens, "
etc. ISID. (Liv. des Etymol. ou des Origines, liv. 8, chap. 4.) Les Pharisiens
et les Sadducéens sont divisés entre eux. Le nom de Pharisiens,
d'étymologie hébraïque, signifie divisé, parce que
les Pharisiens mettent au-dessus de tout la justice qui vient des traditions
et des observances légales ; ils sont donc regardés comme divisés
du reste du peuple par cette manière d'entendre la justice. Le nom de
Sadducéen veut dire juste et ils se donnent ainsi un nom qu'ils ne méritent
pas, eux qui nient la résurrection des morts et qui prétendent
que l'âme meurt avec le corps. Ils n'admettent que les cinq livres de
la loi, et rejettent les oracles des prophètes.
LA GLOSE.
Jean voyant venir à son baptême ces hommes qui étaient les
premiers d'entre les Juifs, leur dit : " Race de vipères, qui vous
a montré à fuir la colère qui doit tomber sur vous ? "
- REMI. C'est la coutume des écrivains sacrés de donner aux hommes
le nom de ceux dont ils imitent les uvres, comme on le voit en ce passage
: " Ton père est Amorrhéen. " Ainsi les Pharisiens sont
appelés race de vipères, parce qu'ils imitent les murs des
vipères. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Tel qu'un médecin habile
qui voyant un malade, connaît à la couleur seule de son visage
la nature de sa maladie ; ainsi Jean-Baptiste découvre aussitôt
les pensées mauvaises des Pharisiens qui s'approchent de lui ; ils disaient
probablement en eux-mêmes : Allons, confessons nos pêchés
; il ne nous impose aucune uvre difficile, faisons-nous baptiser, et nos
péchés nous seront pardonnés. Insensé, lorsque l'estomac
a digéré une nourriture corrompue, peut-il se passer de médecine
? Ainsi après la conversion, après le baptême, faut-il prendre
les plus grands soins pour l'entière guérison des blessures que
le péché a faites à l'âme. " Race de vipères,
" leur dit-il : en effet les morsures des vipères ont ce caractère
particulier que celui qui en est atteint court aussitôt chercher de l'eau,
et s'il n'en trouve pas, il meurt de sa blessure. Or saint Jean les appelle
race de vipères, parce qu'après s'être rendus coupables
de fautes mortelles, ils accouraient à son baptême pour échapper
par l'eau, comme des vipères, au danger de mort qu'ils portaient en eux.
Il les appelle encore race de vipères, parce que les vipères déchirent
en naissant le sein de leurs mères, et que les Juifs, en ne cessant de
persécuter les prophètes, ont aussi déchiré le sein
de la Synagogue leur mère. Enfin les vipères ont un extérieur
brillant et nuancé de diverses couleurs, tandis qu'au dedans elles sont
remplies de venin ; et c'est ainsi qu'eux-mêmes offraient comme peinte
sur leur visage toute la beauté de la vertu.
REMI. Lorsque saint Jean dit : " Qui vous a enseigné à fuir
la colère qui doit venir ? ", il faut donc entendre si ce n'est
Dieu. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) " Qui vous a enseigné ? "
Est-ce le prophète Isaïe ? Non : s'il avait été votre
maître, vous ne placeriez pas votre espérance dans l'eau seule
du baptême, mais encore dans les bonnes uvres, car c'est lui qui
a dit : " Lavez-vous, purifiez-vous, faites disparaître le mal de
vos âmes, apprenez à bien faire. " Est-ce David qui a dit
aussi : " Lavez-moi, et je serai plus blanc que la neige ? " Non,
car il ajoute ensuite : " Le sacrifice que Dieu demande, c'est un cur
contrit. " Si donc vous étiez les disciples de David, vous approcheriez
du baptême en gémissant. - REMI. Si on lit au futur : " Qui
vous apprendra, " le sens sera : Quel sera le docteur, quel sera le prédicateur
qui vous enseignera le moyen d'échapper à la colère de
la damnation éternelle ? - S. AUG. (Cité de Dieu, liv. 9, chap.
5.) Lorsque l'Écriture nous dit que Dieu se met en colère, ce
n'est point qu'il soit soumis à la faiblesse de nos passions, et qu'elles
excitent le trouble dans son âme, c'est uniquement à cause d'une
certaine ressemblance de ses actions avec les nôtres, et le mot exprime
simplement l'effet de la vengeance, et non pas le mouvement violent qui l'accompagne
ordinairement. - LA GLOSE. Si donc vous voulez éviter cette colère,
faites de dignes fruits de pénitence. - S. GREG. (hom. 20 sur les Evang.)
Remarquons que saint Jean n'exige pas seulement des fruits de pénitence,
mais de dignes fruits de pénitence. En effet celui qui n'a fait aucune
chose défendue peut légitimement jouir des choses permises, mais
celui qui est tombé dans le péché doit d'autant plus se
retrancher ce qui est permis qu'il se souvient de s'être livré
plus entièrement aux choses défendues. C'est donc à la
conscience de chacun qu'il s'adresse pour qu'on cherche d'autant plus à
s'enrichir de bonnes uvres par la pénitence qu'on a subi de plus
grandes pertes par les fautes qu'on a commises. Mais les Juifs, tout fiers de
la noblesse de leur origine, ne voulaient pas s'avouer pécheurs, parce
qu'ils descendaient de la race d'Abraham. - S. CHRYS. (hom. 10 sur S. Matth.)
Il ne veut par leur défendre de se dire enfants d'Abraham, mais de mettre
toute leur confiance dans ce titre, sans s'appliquer aux vertus solides de l'âme.
- S. CHRYS. (sur S. Matth.) A quoi sert un sang illustre à celui dont
les murs sont dépravées, et en quoi peut nuire une naissance
obscure à celui dont les vertus sont le plus bel ornement ? Il vaut mieux
pour un homme être la gloire de ses parents qui seront fiers d'avoir un
tel fils, que de tirer sa propre gloire de ceux qui lui ont donné le
jour. Ne vous glorifiez donc pas en disant : Nous avons Abraham pour père,
mais rougissez plutôt d'être ses descendants, sans être les
héritiers de ses vertus ; car celui qui ne ressemble pas à son
père passe pour être le fruit de l'adultère. Par ces paroles
: " Et ne dites pas, " il condamne donc la vaine gloire qu'on veut
tirer de son origine.
RAB. Comme
ce héraut de la vérité venait appeler les hommes à
la pénitence, il les exhorte à l'humilité, sans laquelle
il n'y a point de repentir possible, et il ajoute : " Je vous le déclare,
Dieu pourrait de ces pierres susciter des enfants d'Abraham. " - RAB. L'histoire
rapporte que Jean prêchait dans cet endroit du Jourdain où douze
pierres tirées du lit de ce fleuve furent dressées par l'ordre
du Seigneur (Jos 4, 2.8). Or on peut supposer que Jean-Baptiste indiqua ces
pierres lorsqu'il dit ces paroles : " Dieu est assez puissant pour susciter
de ces pierres mêmes des enfants d'Abraham. " - S. JER. Par là
il montre la puissance de Dieu, qui après avoir tiré le monde
du néant pouvait encore se créer un peuple en donnant la vie aux
pierres les plus dures. Car les premiers éléments de la foi consistent
à croire que la puissance de Dieu n'a point de bornes. Or que des pierres
donnent naissance à des hommes, c'est un prodige semblable à celui
qui fit naître Isaac de Sara, naissance à laquelle le prophète
fait allusion en ces termes : " Rappelez dans votre esprit la roche dont
vous avez été tirés. " En rappelant cette prophétie
aux Juifs, saint Jean leur apprend qu'il peut encore maintenant opérer
un semblable prodige. - RAB. Ou bien dans un autre sens on peut dire que ces
pierres figurent les Gentils qui adoraient des idoles de pierre. - S. CHRYS.
(sur S. Matth.) Remarquez encore que la pierre est dure à travailler
; mais lorsqu'on a su en tirer parti, l'ouvrage qui en résulte est indestructible
: ainsi les Gentils n'ont embrassé la foi qu'avec difficulté,
mais depuis ils n'ont cessé d'y persévérer. - S. JER. Lisez
Ezéchiel (Ez 11, 49) : " Je vous ôterai votre cur de
pierre, et je vous donnerai un cur de chair. " La pierre signifie
ce qui est dur, la chair ce qui est tendre. - RAB. Dieu a donc tiré de
ces pierres des enfants d'Abraham, car les Gentils en croyant en Jésus-Christ
fils d'Abraham, sont devenus eux-mêmes les enfants d'Abraham par cette
union avec son Fils.
SUITE. " Déjà la cognée est à la racine de
l'arbre. " - S. CHRYS. (sur S. Matth.) La cognée est cette colère
si aiguisée de la fin des temps, qui doit opérer de si grands
retranchements dans le monde entier. Mais si elle est déjà placée
à la racine de l'arbre, pourquoi ne coupe-t-elle pas ? Parce que les
arbres dont il s'agit sont doués de raison et qu'il est à leur
pouvoir de faire le bien ou de ne pas le faire ; en voyant la cognée
appliquée à leur racine, ils peuvent craindre d'être coupés
et se hâtent de porter des fruits. La menace de la colère qui est
la cognée placée à la racine, bien qu'elle ne fasse rien
aux méchants, sert donc au moins à séparer les bons des
méchants. - S. JER. Ou bien encore cette hache est la prédication
de l'Évangile, d'après le prophète Jérémie,
qui compare la parole du Seigneur à une hache qui coupe la pierre (Jr
23, 29). - S. GREG. (hom. 20). Ou bien la hache figure notre Rédempteur,
car de même qu'elle se compose d'un manche et d'un fer, ainsi le Sauveur
est un composé de la divinité et de l'humanité ; on peut
le toucher et le tenir par son humanité, mais sa divinité est
comme le fer tranchant de la hache. Cette hache est placée à la
racine de l'arbre, car, bien qu'il attende avec patience, on voit ce qu'elle
doit faire, et que tout arbre qui ne porte pas de bon fruit sera coupé
et jeté au feu. Eu effet, tout homme pervers qui refuse de produire ici-bas
les fruits des bonnes uvres, trouve déjà préparé
pour lui le feu de l'enfer qui doit le consumer. Saint Jean nous dit que la
cognée est appliquée à la racine de l'arbre, et non pas
aux branches. En effet, lorsque les enfants des méchants disparaissent,
ce sont les branches de l'arbre stérile qui sont retranchées ;
mais, lorsque toute la famille disparaît avec le père, l'arbre
infructueux est coupé à la racine de manière que cette
race dépravée ne puisse plus pousser le moindre rejeton. - S.
CHRYS. (hom. 2 sur S. Matth.) En disant tout arbre, Jean-Baptiste exclut la
supériorité qui vient de la noblesse, de l'origine, et il semble
dire : Quand vous seriez descendant d'Abraham, vous n'échapperez pas
au châtiment, si vous demeurez stérile. - RAB. On distingue quatre
espèces d'arbres : l'arbre complètement stérile et qui
est la figure des païens ; celui qui porte des feuilles, mais pas de fruits,
image de l'hypocrite ; celui qui a des feuilles, qui porte des fruits, mais
des fruits vénéneux, symbole de l'hérétique ; enfin,
celui qui est couvert de feuilles et produit de bons fruits, et qui représente
les vrais catholiques. - S. GREG. Donc tout arbre qui ne porte pas de bons fruits
sera coupé et jeté au feu, parce que celui qui a négligé
de produire le fruit des bonnes uvres est réservé au feu
de l'enfer, qui doit le réduire en cendres.
Vv. 11,
12.
LA GLOSE. Après avoir développé dans les paroles précédentes
ce qu'il n'avait fait qu'indiquer en commençant, sur la nécessité
de faire pénitence, Jean-Baptiste devait expliquer avec la même
clarté ce qu'il avait dit du royaume de Dieu qui était proche,
et c'est ce qu'il fait dans les paroles qui suivent : " Je vous baptise
dans l'eau pour la pénitence, " etc. - S. GREG. (hom. 7 sur les
Evang.) Jean baptise, non dans l'esprit, mais dans l'eau, parce qu'il ne peut
effacer les péchés : il lave les corps dans l'eau, mais il ne
peut purifier les âmes par le pardon. - S. CHRYS. (hom. 10 sur S. Matth.)
Puisque la victime n'avait pas encore été offerte (cf. Hb 10,
12), que le péché n'était pas expié, et que l'Esprit
saint n'était pas encore descendu sur l'eau, comment donc pouvait-on
obtenir la rémission des péchés ? Nous répondons
que tout le malheur des Juifs venait de ce qu'ils ne sentaient pas qu'ils étaient
pécheurs, Jean était donc envoyé pour leur faire connaître
leurs péchés et leur rappeler la nécessité de faire
pénitence.
S. GRÉG.
(hom. 7.) Mais pourquoi celui qui ne peut remettre les péchés
donne-t-il le baptême ? C'est pour continuer à remplir son ministère
de précurseur ; sa naissance avait précédé celle
du Sauveur, son baptême devait précéder également
le baptême du Seigneur. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Ou bien Jean fut envoyé
pour baptiser afin de découvrir à ceux qui venaient recevoir son
baptême la présence de Fils de Dieu dans une chair mortelle, comme
il l'atteste lui-même : " Je suis venu baptiser dans l'eau pour le
manifester en Israël. ". (Jn 1) - S. AUG. (Traité sur saint
Jean). Ou bien encore il baptise, parce qu'il fallait que le Christ fût
baptisé. Mais pourquoi le Christ seul n'a-t-il pas été
baptisé par Jean-Baptiste, si l'objet de la mission de Jean-Baptiste
était de baptiser le Christ ? Si le Seigneur seul avait reçu le
baptême de Jean, bien des personnes auraient cru que le baptême
de Jean était supérieur au baptême du Christ, puisque le
Christ seul avait été jugé digne de le recevoir. - RAB.
Ou bien enfin il baptise pour séparer par ce signe extérieur les
pénitents de ceux qui ne voulaient point se repentir, et pour les conduire
ainsi jusqu'au baptême du Seigneur.
S. CHRYS. (sur S. Matth.) Comme c'était pour préparer la venue
du Christ qu'il baptisait, il annonce à ceux qui vont recevoir son baptême
que le Christ doit bientôt paraître, et leur fait connaître
en ces termes la supériorité de sa puissance : " Celui qui
vient après moi est plus puissant que moi. " - REMI. Remarquons
que le Christ est venu après Jean de cinq manières : par sa naissance,
par sa prédication, par son baptême, par sa mort, par sa descente
aux enfers ; et c'est avec raison que Jean-Baptiste déclare que le Seigneur
est plus puissant que lui, parce que Jean-Baptiste n'était qu'un homme,
et que le Christ était Dieu et homme tout à la fois. - RAB. Ces
paroles de Jean reviennent à celles-ci : Je suis fort pour inviter les
hommes à la pénitence ; lui, au contraire, est fort pour remettre
les péchés ;je suis fort pour prêcher le royaume des cieux,
lui pour le donner ; je suis fort pour baptiser dans l'eau, lui pour baptiser
dans l'esprit. - S. CHRYS. (Hom. 2 sur S. Matth.) Quand je vous dis qu'il est
plus fort que moi, n'allez pas penser que je veuille par là établir
entre lui et moi la moindre comparaison, car je ne suis pas digne de prendre
place parmi ses serviteurs et de lui rendre le plus petit et le dernier des
offices. C'est pour cela qu'il ajoute : " Je ne suis pas digne de porter
sa chaussure. " - S. HIL. Il laisse aux Apôtres la gloire de porter
par toute la terre la prédication de l'Évangile, parce qu'il était
réservé à leurs pieds sacrés l'aller annoncer aux
hommes la paix de Dieu. - S. CHRYS. (Sur S. Matth.) Ou bien encore les pieds
du Christ peuvent figurer les chrétiens, principalement les Apôtres
et les autres prédicateurs de l'Évangile, du nombre desquels était
Jean-Baptiste. Les chaussures sont les infirmités dont Dieu couvre les
prédicateurs ; tous donc portent les chaussures du Christ ; Jean lui-même
les portait, mais il se déclarait indigne de les porter, pour montrer
la supériorité de la grâce de Jésus-Christ sur ses
propres mérites. - S. JER. Nous lisons dans un autre évangile
(Jn 1) : " Je ne suis pas digne de dénouer les cordons de sa chaussure.
" Nous voyons d'un côté l'humilité, de l'autre le ministère
du saint précurseur ; car le Christ est l'époux et Jean se déclare
indigne de dénouer les cordons de sa chaussure, afin que la maison de
l'époux ne soit pas appelée, comme on le voit dans la loi de Moïse
(Dt 25) et par l'exemple de Ruth (Rt 4), la maison de celui qui a perdu sa chaussure.
S. CHRYS. (sur S. Matth.) Comme personne ne peut donner un bien qui soit au-dessus
de lui, ni faire un autre plus qu'il n'est lui-même, Jean-Baptiste ajoute
: " C'est lui qui vous baptisera dans le feu et dans l'Esprit saint. "
Jean-Baptiste étant corporel ne peut donner un baptême spirituel
; il baptise dans l'eau qui est un corps. C'est le corps qui baptise avec un
élément corporel ; le Christ, au contraire, est esprit parce qu'il
est Dieu ; l'Esprit saint est lui-même esprit, l'âme est esprit
aussi ; c'est donc l'esprit qui baptise avec l'esprit. Or, le baptême
de l'esprit est souverainement utile, car l'esprit entrant dans l'âme
l'embrasse, l'entoure comme d'un mur inexpugnable, et ne permet pas que les
convoitises charnelles prévalent contre elle. Il n'empêche pas
les désirs de la chair de naître dans l'âme, mais il garde
l'âme pour l'empêcher d'y consentir. Le Christ est juge aussi, il
baptise donc dans le feu, c'est-à-dire dans les tentations. Celui qui
n'est qu'un homme ne peut baptiser dans le feu, car celui-là seul a le
pouvoir de tenter, qui est assez puissant pour récompenser. Ce baptême
de la tribulation ou du feu consume la chair et détruit en elle les germes
de la concupiscence ; ce ne sont pas les peines spirituelles que la chair redoute,
mais les peines corporelles ; aussi, Dieu n'épargne pas à ses
serviteurs les tribulations de la chair, afin qu'étant dominée
par la crainte des peines qu'elle éprouve, elle cesse de désirer
le mal. Vous voyez donc que l'esprit repousse les concupiscences et ne permet
pas qu'elles soient victorieuses, tandis que le feu en consume jusqu'aux racines.
S. JER. Ou bien : " Dans l'Esprit saint et le feu, " en ce sens que
le feu c'est l'Esprit saint lui-même, car lorsqu'il descendit il se reposa
sur chacun des Apôtres sous la forme de langues de feu... Et alors fut
accomplie cette parole du Seigneur : " Je suis venu apporter le feu sur
la terre, " Ou bien peut-être, nous sommes baptisés actuellement
dans l'Esprit saint, et nous le serons plus tard dans le feu, selon cette parole
de l'Apôtre : " Le feu éprouvera l'ouvrage de chacun. "
- S. CHRYS. (Hom. 11). Il ne dit pas : Il vous donnera l'Esprit saint, mais
: Il vous baptisera dans l'Esprit saint, exprimant par cette figure l'abondance
de la grâce. Il nous enseigne encore par là qu'il n'a besoin que
de notre seule volonté dans la foi et non pas de nos sueurs et de nos
travaux pour nous justifier, et qu'il nous est aussi facile d'être renouvelés
et rendus meilleurs qu'il l'est d'être baptisé. Cette comparaison
du feu nous montre l'énergie de la grâce, qui ne peut être
vaincue ; nous voyons aussi que le Christ doit rendre en un instant ses serviteurs
semblables aux grands prophètes des temps anciens et il a recours à
cette comparaison parce que plusieurs des visions prophétiques ont eu
lieu sous la figure du feu.
S. CHRYS. (sur S. Matth.) Il est donc évident que le baptême du
Christ ne détruit pas le baptême de Jean, mais qu'il le renferme
; celui qui est baptisé au nom de Jésus-Christ reçoit les
deux baptêmes de l'eau et de l'esprit ; car le Christ, qui était
esprit, a pris un corps afin de pouvoir donner un baptême à la
fois corporel et spirituel. Quant au baptême de Jean, il ne renfermait
pas celui du Christ, car ce qui est moindre ne peut contenir ce qui est plus
grand. Aussi l'apôtre ayant rencontré des habitants d'Ephèse
qui avaient reçu le baptême de Jean, il les baptisa de nouveau
au nom du Christ (Ac 19), parce qu'ils n'avaient pas été baptisés
dans l'esprit. Jésus-Christ lui-même baptisa de nouveau ceux qui
avaient reçu le baptême de Jean, comme ce dernier nous l'apprend
: " Pour moi, je vous baptise dans l'eau ; mais pour lui, il vous baptisera
dans le feu. " Cependant on ne peut dire que Jésus rebaptisait,
car il ne baptisait qu'une fois en réalité ; le baptême
du Christ étant supérieur à celui de Jean, ce n'était
pas un baptême renouvelé, c'était un nouveau baptême,
parce que l'ancien trouvait sa fin en Jésus-Christ. - S. HIL. (can. 2
sur S. Matth.) En disant : " Il vous baptisera dans l'Esprit saint et le
feu, " Jean-Baptiste indique les cieux époques différentes
du salut et du jugement de tous les hommes, car ceux qui ont été
baptisés dans l'Esprit saint doivent un jour passer par le feu du jugement
; c'est pour cela qu'il ajoute : " Il a son van en la main. " - RAB.
Par le van, (ou la pelle), on doit entendre le discernement qui suivra le jugement,
et que le Seigneur a dans sa main ou en son pouvoir, car le Père a donné
tout jugement à son Fils.
SUITE. " Et il nettoiera son aire. " - S. CHRYS. (sur S. Matth.) L'aire
c'est l'Église ; le grenier, le royaume du ciel ; le champ, le monde.
Le Seigneur en envoyant comme des moissonneurs ses apôtres et les autres
prédicateurs, a retranché du monde toutes les nations, et les
a réunies dans l'aire de son Église. C'est là que nous
devons être battus, vannés, comme le blé. Or tous les hommes
se plaisent dans les jouissances charnelles comme le grain dans la paille ;
mais le chrétien fidèle, et dont le fond du cur est bon,
à la plus légère atteinte de la tribulation laisse là
les plaisirs des sens et court se jeter dans les bras du Seigneur ; au contraire,
celui dont la foi est médiocre le fait à peine sous le poids de
grandes tribulations. Pour l'infidèle qui est absolument dénué
de foi, quelque grandes que soient ses épreuves, il ne pense pas à
recourir à Dieu. Lorsque le grain a été battu, il est étendu
sur l'aire, confondu avec la paille, et on a besoin de le vanner pour l'en séparer.
C'est ainsi que dans une seule et même Église les fidèles
sont confondus avec les infidèles. Or la persécution s'élève
comme un souffle violent, afin que le van du Christ, en les agitant fortement,
sépare entièrement ceux qui étaient déjà
séparés par leurs uvres. Et remarquez qu'il ne dit pas simplement
: " Il nettoiera son aire, " mais " il la nettoiera parfaitement
; " car il faut que l'Église soit éprouvée de mille
manières avant d'être entièrement purifiée. Les Juifs
sont les premiers qui l'ont pour ainsi dire vannée, puis sont venus les
Gentils, et après eux les hérétiques ; l'Antéchrist
viendra en dernier lieu. Lorsque le souffle du vent est faible, tout le grain
n'est pas vanné ; il n'y a que les pailles les plus légères
qui soient secouées, les plus pesantes restent sur l'aire. Ainsi qu'une
légère tentation vienne à souffler, les plus mauvais seuls
se retirent ; mais qu'une violente tempête s'élève, on voit
disparaître ceux qui paraissaient les plus stables ; c'est pourquoi les
grandes épreuves sont nécessaires à l'Église pour
la purifier entièrement. - REMI. Dieu purifie aussi son aire, c'est-à-dire
son Église, dès cette vie, soit lorsque le jugement des prêtres
retranche les méchants du sein de l'Église, soit lorsque la mort
les enlève de cette terre.
RAB. L'aire sera entièrement nettoyée à la fin des temps,
lorsque le Fils de l'homme enverra ses anges, et qu'il fera disparaître
tous les scandales de son royaume. - S. GREG. (Moral. liv. 34, ch. 5.) Après
avoir été battu pendant la vie présente, où il gémit
sous la paille, le grain en sera parfaitement séparé par le van
du dernier jugement, de manière que ni les pailles ne suivront le blé
dans le grenier, ni le blé lui-même ne tombera dans le feu qui
doit consumer les pailles ; c'est ce que nous apprennent les paroles suivantes
: " Il ramassera son blé dans le grenier et brûlera la paille
dans un feu lui ne s'éteindra jamais. " - S. HIL. Le froment, c'est-à-dire
les uvres parfaites des fidèles sera recueilli dans les greniers
célestes et les pailles, c'est-à-dire les actions vaines et stériles
des hommes, seront brûlées par le feu du jugement. - RAB. Il y
a cette différence entre la paille et l'ivraie, que la paille sort de
la semence du blé, et l'ivraie d'une semence étrangère.
Les pailles représentent donc ceux qui ont été imprégnés
de la sève vivifiante des sacrements, mais qui n'ont aucune consistance
; et l'ivraie ceux que leurs uvres et leurs croyances ont totalement séparés
de la destinée des chrétiens. - REMI. Ce feu qui ne s'éteint
pas, c'est la peine de la damnation éternelle elle est ainsi appelée,
soit parce qu'elle ne cesse de tourmenter sans les faire mourir ceux qu'elle
dévore, soit pour la distinguer du feu du purgatoire, dont la durée
n'a qu'un temps et qui doit s'éteindre un jour.
S. AUG. (De l'acc. des Ev. liv, 2, chap. 12.) Si l'on demande ici quelles sont
les vraies paroles de Jean-Baptiste, celles que lui prête saint Matthieu,
ou bien celles que lui fait dire saint Marc ou saint Luc, nous répondrons
que cette difficulté ne doit pas arrêter un instant celui qui fait
cette observation judicieuse que toutes ces maximes sont nécessaires
pour faire connaître la vérité, quelle que soit d'ailleurs
leur expression. Nous devons conclure de là qu'il ne faut pas regarder
comme mensonger le récit tout différent, sous le rapport de la
forme et de l'expression, que plusieurs personnes peuvent faire d'un même
fait qu'elles ont vu ou entendu. Celui qui prétend que l'Esprit saint
aurait dû accorder par sa puissance aux apôtres le privilège
de ne varier en rien ni sur le choix des mots, ni sur leur nombre, ni sur la
place qu'ils occupent, ne comprend pas que plus l'autorité des Évangélistes
est grande et plus elle doit servir à fortifier la tranquillité
de tout homme qui dit vrai. Mais lorsqu'un Évangéliste dit : "
Je ne suis pas digne de porter sa chaussure, " et un autre : " Je
ne suis pas digne de délier sa chaussure, la différence ne porte
pas seulement sur l'expression, mais sur le fait lui-même. On peut donc
rechercher avec raison laquelle de ces deux expressions est sortie de la bouche
de Jean-Baptiste. Car la vraie est celle dont s'est servi le saint précurseur
et celui qui lui en prête une autre, sans être pour cela coupable
de mensonge, sera nécessairement accusé d'oubli en disant une
chose pour une autre. Or on ne peut admettre dans les Évangélistes
aucune erreur, qu'elle ait pour cause le mensonge ou un simple oubli. Si donc
on doit regarder ces deux expressions comme réellement différentes,
il faut dire que Jean s'est servi de toutes les deux, ou dans des temps différents,
ou successivement dans la même circonstance. Mais si saint Jean, en parlant
de la chaussure de Jésus, n'a voulu exprimer autre chose que l'élévation
du Sauveur et sa propre bassesse, quelle que soit l'expression qu'ait employée
l'Évangéliste qui au moyen de cette comparaison des chaussures
diversement présentée en a fait ressortir la même leçon
d'humilité, il a exprimé la même pensée que le saint
précurseur, et ne s'est pas écarté de son intention. C'est
donc une règle utile, et qu'on ne peut trop se rappeler, qu'il n'y a
point de mensonge dans un auteur qui rend la pensée de celui qui fait
l'objet de son récit, quand même il lui prêterait des expressions
dont il ne s'est pas servi, car il a évidemment la même intention
que celui dont il rapporte les paroles.
vv. 13-15.
LA GLOSE. Après avoir été annoncé au monde par la
prédication de son précurseur, Jésus qui depuis longtemps
menait une vie cachée voulut enfin, se manifester aux hommes, comme l'indique
le texte sacré : " Alors Jésus vînt de la Galilée
au Jourdain trouver Jean pour être baptisé. "
REMI. Dans ces paroles l'Évangéliste vous décrit les personnes,
les lieux, le temps, et la nature du ministère. Le temps, par ce mot
: " alors. " - RAB. C'est-à-dire à l'âge de trente
ans, pour nous apprendre que personne ne doit être élevé
au sacerdoce ou chargé de la prédication à moins qu'il
ne soit d'un âge mûr. C'est à trente ans que Joseph prit
le gouvernement de l'Égypte ; c'est à ce même âge
que David commença à régner, et qu'Ezéchiel reçut
l'esprit prophétique (cf. Gn 41, 6 ; 2 R 5, 4 ; Ez 1, 1). - S. CHRYS.
(Hom. 10 sur S. Matth.) Comme la loi devait être abrogée après
ce baptême, Jésus qui pouvait expier les péchés de
tous les hommes reçoit le baptême à cet âge, afin
qu'en le voyant ainsi fidèle à l'observation de la loi, personne
ne pût l'accuser de l'avoir abrogée parce qu'il n'avait pu l'accomplir.
S. CHRYS. (sur S. Math.) " Alors, " c'est-à-dire au moment
même que Jean venait de prêcher la pénitence, pour confirmer
sa prédication, et recevoir le témoignage qu'il devait lui rendre.
De même que le soleil n'attend pas pour se lever que l'étoile du
matin ait disparu, mais qu'il se lève alors qu'elle est encore sur l'horizon,
et qu'il éclipse sa blanche clarté par l'éclat de ses rayons,
ainsi le Christ n'a pas attendu que Jean eût achevé sa carrière,
mais il s'est manifesté au monde pendant que son précurseur enseignait
encore.
REMI. Les personnes sont désignées par ces paroles : " Jésus
vint à Jean, " c'est-à-dire Dieu vint trouver l'homme, le
Seigneur son serviteur, le roi son soldat, la lumière celui qui n'était
qu'une lampe. Les lieux témoins des événements par ces
autres paroles : " De la Galilée au Jourdain. " Le nom de Galilée
signifie transmigration. Celui donc qui veut être baptisé doit,
pour ainsi parler, émigrer des vertus aux vices, et s'humilier en s'approchant
pour recevoir le baptême, car le mot Jourdain veut dire descente. - S.
AUG. L'Écriture rapporte plusieurs prodiges dont ce fleuve avait été
souvent le théâtre entre autres celui qu'elle rappelle en ces termes
: " Le Jourdain est retourné en arrière. " Autrefois,
c'étaient les eaux qui retournèrent en arrière ; maintenant
ce sont les péchés ; et de même que le prophète Élie
avait séparé les eaux du Jourdain, ainsi, dans ce même fleuve
le Christ a opéré la séparation des péchés.
REMI. L'Évangéliste nous fait connaître le ministère
de Jean par ces paroles " Pour qu'il fût baptisé par lui.
" - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Ce n'était pas pour recevoir par la
vertu de ce baptême la rémission de ses péchés, mais
afin de sanctifier à jamais les eaux pour ceux qui devaient être
baptisés dans la suite. - S. AUG. Si le Sauveur a voulu recevoir le baptême,
ce n'est point pour y venir puiser la pureté de l'âme, mais afin
de purifier les eaux pour notre propre sanctification. C'est depuis qu'il a
été plongé dans l'eau qu'il lui a communiqué la
puissance de laver tous les péchés. Et ne soyez pas surpris de
voir l'eau, substance corporelle, parvenir jusqu'à l'âme pour la
purifier ; elle y parvient certainement et pénètre dans toutes
les profondeurs de la conscience. Elle est par elle-même subtile et déliée
; mais, devenue plus subtile encore par la bénédiction du Christ,
elle traverse les sources cachées de la vie et pénètre
par sa douce rosée jusqu'aux endroits les plus secrets de l'âme.
Car le cours des bénédictions du ciel est plus pénétrant
que le cours secret des eaux : aussi la bénédiction qui découle
du baptême du Sauveur est comme un fleuve spirituel qui comble toutes
les profondeurs des abîmes et remplit les veines de toutes les sources.
S. CHRYS.
(sur S. Matth.) Jésus vient recevoir ce baptême, parce que s'étant
revêtu de notre nature, il veut en accomplir toutes les conditions mystérieuses.
Car, bien qu'il ne fût pas pécheur, il avait cependant pris une
nature de péché, et. quoique n'ayant pas besoin pour lui de ce
baptême, la nature humaine demandait qu'il le reçût pour
les autres. - S. AUG. (serm. sur l'Epiph.) Il voulut encore être baptisé
pour donner l'exemple de ce qu'il commandait aux autres, et parce que, comme
un bon maître, il cherchait moins à prêcher sa doctrine par
ses paroles qu'à la rendre vivante dans ses uvres. - S. AUG. (Traité
5 sur saint Jean). Il s'abaissa donc jusqu'à recevoir le baptême
de Jean, pour apprendre aux serviteurs avec quel empressement ils doivent courir
au baptême du Seigneur, quand lui-même ne dédaigne pas de
recevoir celui du serviteur. - S. JER. Un autre motif enfin de son baptême,
c'était de donner par cet acte un témoignage d'approbation au
baptême de Jean.
S. CHRYS. (hom. 12 sur S. Matth.) Comme le baptême de Jean était
un baptême de pénitence, et qu'il était établi pour
la déclaration des péchés, de peur qu'on vînt à
supposer que le Christ s'approchait du Jourdain pour cette raison, le précurseur
s'écrie en le voyant : " C'est moi qui dois être baptisé
par vous, et vous venez à moi. " - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Comme
s'il disait : Que je sois baptisé par vous, cela se conçoit parfaitement,
c'est pour me rendre juste et digne du ciel ; mais que moi je vous baptise,
quelle peut en être la raison ? Tout bien descend du ciel sur la terre,
et ne monte pas de la terre au ciel. - S. HIL. (chap. 2 sur S. Matth.) En un
mot, Jean ne peut consentir à le baptiser comme Dieu, et Jésus
lui-même lui enseigne qu'il le doit être comme homme : " Jésus
lui répondant, lui dit : Laissez-moi faire pour cette heure. " -
S. JER. Remarquez la justesse de cette parole : " Laissez-moi faire pour
cette heure. " Jésus voulait signifier par là qu'il devait
être baptisé dans l'eau par Jean et que lui-même devait baptiser
Jean dans l'esprit. Ou bien dans un autre sens : Laissez-moi faire pour cette
heure, et puisque j'ai pris la condition et la forme d'un esclave, il est juste
que j'en subisse toutes les humiliations ; sachez du reste qu'au jour du jugement
vous recevrez mon baptême. Ou bien enfin ces paroles signifient : Il est
un autre baptême dont je dois être baptisé (cf. Lc 12) ;
vous me baptisez dans l'eau, afin que je vous baptise un jour pour moi dans
votre sang. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) En dehors des livres apocryphes qui
le disent expressément, nous avons ici une preuve que plus tard Jésus
baptisa Jean-Baptiste. " Laissez-moi faire pour cette heure, " afin
que j'accomplisse la justice du baptême, non pas en paroles, mais par
des uvres ; que je le reçoive d'abord avant de le prêcher.
C'est le sens des paroles suivantes : " c'est ainsi qu'il faut que nous
accomplissions toute justice. " Elles ne signifient pas : Alors que je
serai baptisé j'accomplirai toute justice, mais de même que j'ai
accompli la justice du baptême par mes uvres et ensuite par mes
prédications, ainsi je le ferai de toute autre justice, d'après
cette parole : " Jésus commença à faire, et ensuite
il enseigna. " Ou bien encore : Il nous faut accomplir toute justice comme
la justice du baptême, c'est-à-dire en me soumettant aux conditions
de la nature humaine, car c'est ainsi qu'il satisfait à la condition
imposée à tout homme de naître, de croître, etc. -
S. HIL. (can. 2 sur S. Matth.) Lui seul pouvait accomplir toute justice, parce
que c'est par lui seul que la loi pouvait être accomplie. - S. JER. Il
ne dit pas la justice de la loi ou de la nature, pour que nous comprenions que
ce mot les renferme toutes deux. - REMI. Ou bien enfin : C'est ainsi qu'il faut
accomplir toute justice, c'est-à-dire donner l'exemple de l'accomplissement
de toute justice dans le baptême, sans lequel on ne peut entrer dans le
royaume du ciel ; ou bien donner aux superbes cet exemple d'humilité
afin qu'ils ne dédaignent pas d'être baptisés par mes membres
les plus humbles, en me voyant baptisé par vous qui êtes mon serviteur.
- REMI. La véritable humilité est celle qui a pour compagne l'obéissance.
Aussi " Jean ne lui résista plus, " c'est-à-dire qu'il
consentit enfin à le baptiser.
v. 16.
S. AUG. (serm. sur l'Epiph.) Nous l'avons déjà dit, au moment
où le Sauveur est baptisé, toute l'eau qui doit servir à
notre baptême est purifiée, afin que la grâce de la régénération
coule désormais sur tous les peuples à venir dans la suite des
siècles.
Il fallait aussi que le baptême de Jésus-Christ représentât les effets que le baptême produit dans les fidèles ; c'est pour cela que l'Évangéliste ajoute : " Jésus, aussitôt qu'il fut baptisé, sortit de l'eau. " - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Ce qui se passe en Jésus-Christ représente le mystère qui devait se produire dans ceux qui devaient être baptisés par la suite, et c'est pour cela que l'Évangéliste ne dit pas simplement : " Il monta, " mais " Il monta aussitôt, " parce que tous ceux qui reçoivent le baptême de Jésus-Christ avec les dispositions convenables, montent aussitôt hors de l'eau, c'est-à-dire marchent de vertus en vertus et s'élèvent à une dignité toute céleste. En effet, ils étaient entrés dans l'eau tout charnels et enfants d'Adam prévaricateurs, et ils sortent aussitôt de l'eau tout spirituels, et avec le titre d'enfants de Dieu. Si quelques-uns, par leur faute, ne profitent pas de la grâce de leur baptême, qu'est-ce que cela fait au baptême ? - REMI. Le Seigneur, non content de consacrer l'eau du baptême par le contact de son corps, nous apprend qu'après le baptême le ciel nous est ouvert, et que l'Esprit saint nous est donné ; c'est ce qu'indiquent les paroles suivantes : " Les cieux furent ouverts. " - S. JER. Ils ne furent pas ouverts extérieurement, mais seulement aux yeux de l'âme, comme Ézéchiel nous dit au commencement de son livre qu'ils lui furent ouverts. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Car si les cieux visibles s'étaient littéralement entrouverts, l'Évangéliste n'aurait pas dit : " Lui furent ouverts, " mais simplement " furent ouverts ; " car ce qui est ouvert extérieurement l'est pour tous. On me demandera : Qu'est-ce que cela veut dire ? Est-ce que les cieux avaient jamais été fermés aux yeux du Fils de Dieu, lui qui, quoique sur la terre, n'a jamais cessé d'être dans les cieux ? Mais on doit savoir que c'est en vertu de l'économie de son incarnation que le Sauveur fut baptisé et que c'est par suite de la même économie que les cieux lui furent ouverts, car, selon la nature divine, il n'a jamais cessé d'être dans les cieux.
REMI. Mais, à ne le considérer que comme homme, est-ce que les cieux lui furent ouverts alors pour la première fois ? La foi de l'Église est qu'ils lui furent ouverts aussi bien avant qu'après. Si donc il est dit ici qu'ils lui furent ouverts, c'est parce que la porte du ciel s'ouvre pour tous ceux qui sont régénérés dans les eaux du baptême. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Peut-être qu'auparavant certains obstacles invisibles s'opposaient à ce que les âmes entrassent dans le ciel, car je ne pense pas que depuis le péché d'Adam, qui en avait fermé les portes, aucune âme y soit entrée avant Jésus-Christ. Ce n'est qu'après son baptême que les portes en ont été ouvertes. Lorsque, par sa mort, Jésus-Christ eut triomphé du démon, les portes n'étaient plus nécessaires, puisque le ciel ne devait plus être jamais fermé (cf. Ap 21, 25). Aussi, les anges ne disent pas : Ouvrez les portes, mais enlevez les portes. " Ou bien, les cieux sont ouverts à ceux qui sont baptisés, en ce sens qu'ils voient les choses du ciel non pas des yeux du corps, mais des yeux spirituels que la foi donne à l'âme qui croit. Ou bien encore, les cieux sont les Écritures divines que tous lisent, mais que tous ne comprennent pas, à moins qu'avec le baptême ils n'aient reçu le Saint-Esprit. Voilà pourquoi les écrits des prophètes étaient d'abord pour les Apôtres un livre scellé ; mais aussitôt qu'ils eurent reçu le Saint-Esprit, toutes les Écritures leur furent dévoilées. De quelque manière qu'on l'entende, les cieux lui furent ouverts c'est-à-dire qu'ils ont été ouverts pour tous les hommes, à cause de lui ; de même qu'un empereur accordant une grâce qu'une personne lui demande pour un autre lui dirait : " Ce n'est pas à lui que j'accorde cette faveur, mais c'est à vous, ou si vous voulez, je la lui accorde à cause de vous. " - LA GLOSE. Ou bien le Christ fut entouré d'un tel éclat dans son baptême, que l'empyrée parut être ouvert au-dessus de lui. - S. CHRYS. (homél. 12 sur S. Matth.) Quoique vous n'ayez pas été témoin de ce prodige, ne laissez pas d'y ajouter foi, car lorsqu'il s'agit de fonder une uvre spirituelle, Dieu l'appuie toujours par des apparitions sensibles, en faveur de ceux qui ne peuvent avoir aucune idée de la nature invisible, afin que si par la suite, ces prodiges ne se renouvellent pas, les premiers qui ont en lieu les déterminent à croire.
REMI. Or, de même que la porte du royaume des cieux est ouverte à tous ceux qui sont régénérés par le baptême ; ainsi tous dans le baptême reçoivent les dons de l'Esprit saint, comme l'indiquent les paroles suivantes : " Et il vit l'Esprit de Dieu descendant en forme de colombe et s'arrêtant au-dessus de lui. - S. AUG. (serm. sur l'Epiph.) Jésus-Christ après qu'il est né pour les hommes veut encore renaître par les sacrements ; il veut que, comme nous l'avons admiré prenant naissance dans le sein d'une mère immaculée, nous l'admirions encore plongé dans les flots d'une onde pure. Sa mère a engendré le Fils de Dieu, et elle est chaste ; l'eau a lavé le Christ et elle est sanctifiée ; enfin l'Esprit saint qui l'avait assisté dans le sein de sa mère, l'entoure d'une brillante lumière au milieu du Jourdain ; celui qui a conserve alors la chasteté de Marie, sanctifie maintenant les eaux du fleuve. C'est pour cela que l'Évangéliste ajoute : " Et j'ai vu l'Esprit de Dieu qui descendait. "
S. CHRYS. (sur S. Matth.) L'Esprit saint a voulu paraître sous la forme d'une colombe, parce que de tous les animaux, la colombe est celui qui cultive le plus le sentiment de l'amour. Or toutes les espèces le vertus que les serviteurs de Dieu ont dans la vérité, les serviteurs du démon peuvent les avoir en apparence ; il n'y a que la charité seule de l'Esprit saint que l'esprit immonde mie puisse contrefaire. C'est peur cela que l'Esprit saint s'est réservé cette vertu particulière de la charité, car il n'est point de témoignage plus évident de sa présence dans une âme que la grâce de la charité. - RAB. La colombe nous représente aussi les sept vertus propres à ceux qui sont baptisés. La colombe habite sur les bords d'une eau courante ; aussitôt qu'elle aperçoit l'épervier, elle s'y plonge pour lui échapper ; elle choisit toujours le meilleur grain, elle nourrit les petits des autres oiseaux, elle ne déchire pas avec son bec, elle n'a pas de fiel, elle fait son nid dans le trou des rochers, et pour tout chant elle n'a que son gémissement. C'est ainsi que les saints habitent au bord des courants de la parole divine, pour échapper aux attaques du démon ; ils choisissent pour nourrir leur âme les saines maximes, de préférence aux maximes des hérétiques ; ils nourrissent du pain de l'exemple et de la doctrine ceux qui se sont montrés les enfants du démon en l'imitant ; ils ne corrompent pas les vérités saintes en les déchirant à l'exemple des hérétiques, on ne voit point en eux de colère sans raison ; ils placent leur nid, c'est-à-dire leur refuge et leur espérance, dans les plaies de Jésus, qui est pour eux la pierre ferme, et toute leur joie est de gémir sur leurs péchés, comme la joie des enfants du monde est de se livrer aux chants du plaisir. - S. CHRYS. (homél. 12.) Ce prodige nous rappelle aussi un fait des premiers temps. Nous voyons, en effet, à l'époque du déluge, apparaître la colombe portant un rameau d'olivier, et annonçant à tout l'univers le retour du calme et de la paix, figure de ce qui devait arriver dans la suite, car c'est encore la colombe qui nous apparaît pour nous montrer notre libérateur, et pour apporter au genre humain, au lieu du rameau d'olivier, le bienfait de l'adoption divine.
S. AUG.
(serm. sur la Trinité). il est facile de comprendre pourquoi l'Évangéliste
dit que le Saint-Esprit a été envoyé, lorsqu'il descendit
sur la personne du Seigneur sous la forme visible d'une colombe. Dieu créa
sur-le-champ une forme extérieure sous laquelle l'Esprit saint pût
paraître visiblement. Or cette création rendue visible et offerte
aux regards des hommes a été appelée mission de l'Esprit
saint ; elle n'avait pas pour fin de découvrir son invisible nature,
mais de frapper les curs des hommes par cette apparition visible, et de
les attirer vers les secrets de la nature éternelle. Cependant l'Esprit
saint ne s'est pas uni cette nature corporelle dont il a revêtu la forme
comme Jésus-Christ s'est uni en unité de personne la nature humaine
qu'il avait reçue de la Vierge Marie : car l'Esprit ne sanctifia pas
la colombe, et ne l'éleva pas jusqu'à lui être unie personnellement
pour l'éternité. Il s'ensuit que, bien que cette colombe ait reçu
le nom d'Esprit saint, pour rappeler que c'est sous cette forme que l'Esprit
saint s'est manifesté, nous ne pouvons cependant dire de l'Esprit saint
qu'il est Dieu et colombe, comme nous disons que le Fils de Dieu est tout à
la fois Dieu et homme. Nous ne pouvons même l'appeler ainsi dans le sens
où Jean-Baptiste appelle le Fils agneau de Dieu, nom que lui donne aussi
saint Jean l'évangéliste dans l'Apocalypse lorsqu'il vit cet Agneau
immolé (Jn 1, 26.36 ; Ap 5, 6), car cette vision prophétique ne
fut pas révélée aux yeux du corps sous une forme sensible,
mais elle eut lieu en esprit, et au moyen d'images toutes spirituelles des objets
sensibles, tandis que personne ne doute que cette colombe n'ait été
visible aux yeux du corps. Nous ne pouvons non plus appeler la colombe Esprit
saint, dans le même sens que le Fils est appelé la pierre, car
il est écrit : " La pierre c'était le Christ (1 Co 10, 4)
; " en effet, cette pierre existait déjà dans la nature,
et c'est pour exprimer une des propriétés du Christ que le nom
de pierre a été donné au Christ dont elle était
la figure ; la colombe au contraire a reçu soudainement l'existence au
moment de son apparition. Je comparerais plus volontiers cette apparition de
la colombe à celle du feu qui apparut dans le buisson aux yeux de Moïse
(Ex 3) ; à cette flamme lumineuse qui précédait le peuple
dans le désert (Ex 14), aux éclairs qui fendirent la minée
et au tonnerre qui se fit entendre lorsque la loi fut donnée sur la montagne
(Ex 19), car tous ces phénomènes extérieurs n'eurent qu'une
existence passagère pour figurer les choses que Dieu voulait annoncer.
C'est donc à cause de ces formes extérieures qu'on dit de l'Esprit
saint qu'il a été envoyé ; ces mêmes apparences corporelles
n'existèrent qu'un instant pour révéler ce qu'elles devaient
apprendre, et rentrèrent immédiatement après dans le néant.
S. JER. La colombe s'arrêta sur la tête de Jésus, pour que
personne ne pût s'imaginer que la voix du Père s'adressait à
Jean et non pas au Seigneur. Aussi est-il dit : " Elle s'arrêta sur
lui. "
v. 17.
S. AUG. (serm, sur l'Epiph.) Ce n'est plus comme autrefois par Moïse, ou
par les prophètes, par des figures ou par des images que Dieu le Père
nous annonce l'avènement futur de son Fils dans la chair, il nous le
montre à découvert au milieu de nous en nous disant : " Celui-ci
est mon Fils. " - S. HIL. Ou bien ce qui avait lieu dans la personne du
Christ, nous apprenait qu'après le bain de la régénération,
l'Esprit saint descend sur nous des portes ouvertes du ciel, nous sommes inondés
de l'onction de la gloire céleste, et nous devenons enfants de Dieu par
l'adoption de sa voix paternelle.
S. JER. Le mystère de la Trinité nous est révélé
dans le baptême de Jésus-Christ, le Fils qui est baptisé,
l'Esprit saint qui descend sous la forme d'une colombe, le Père dont
la voix rend témoignage à son Fils. - S. AUG. (serm. sur l'Epiph.)
Qu'y a-t-il d'étonnant que le mystère de la Trinité ait
été révélé au baptême de Jésus-Christ,
puisque l'invocation de ce mystère rend parfait notre baptême,
car le Seigneur à voulu d'abord accomplir dans sa personne ce qu'il devait
exiger du genre humain tout entier.
S. AUG. (de la foi de Pierre, 9.) Quoique le Père, le Fils et l'Esprit
saint n'aient qu'une seule et même nature, cependant vous devez croire
très fermement qu'ils forment trois personnes distinctes, que le Père
est le seul qui fait entendre ces paroles : " Celui-ci est mon Fils bien-aimé
; " le Fils, le seul sur lequel a retenti la voix du Père ; et l'Esprit
saint, le seul qui soit descendu sur le Christ après son baptême
sous la forme d'une colombe. - S. AUG. (liv. 4 de la Trinité, chap. 21.)
Ces uvres appartiennent à la Trinité tout entière
; dans leur nature le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont qu'un,
sans aucune séparation de temps ou de lieu. Ils sont séparés
au contraire dans nos paroles, qui ne peuvent prononcer à la fois le
Père, le Fils et l'Esprit Saint. Il en est ainsi dans l'Écriture,
où ces noms divers occupent des places différentes ; car on comprend
très bien par comparaison que la Trinité qui est indivisible en
elle-même ne puisse être révélée qu'à
l'aide d'objets extérieurs et d'expressions distinctes, Que la voix soit
seulement la voix du Père, nous en avons la preuve dans ces paroles :
" Celui-ci est mon Fils. " - S. HIL. (Liv, de la Trinité.)
Ce n'est pas seulement par le nom qu'il lui donne que le Père atteste
qu'il est son Fils, mais par la propriété qu'il lui attribue.
En effet, nous sommes un nombre considérable d'enfants de Dieu ; mais
ce Fils est bien différent de nous, car il est son propre Fils, son Fils
véritable d'origine et non d'adoption, dans la réalité
et non pas seulement par le nom qu'il porte, par naissance et non par création.
S. AUG. (Traité 14 sur S. Jean.) Le Père aime son Fils, non pas
comme un maître aime son serviteur, mais comme un père aime son
enfant ; comme un père aime son fils unique et non pas comme on aime
un fils d'adoption, et c'est pour cela qu'il ajoute : " En qui j'ai mis
mes complaisances. "
REMI. Si l'on rapporte ces paroles à l'humanité du Christ, et
qu'on lise : " En qui j'ai mis mes complaisances, " le sens sera :
en qui je me suis complu, parce que je l'ai trouvé seul juste et sans
péché. Si au contraire on lit : " dans lequel il m'a plu
" ; il faut sous-entendre : de placer ma volonté, de faire par lui
ce que je devais faire, c'est-à-dire de racheter le genre humain. - S.
AUG. (de l'accord des Evang., liv, 2, chap. 14.) Deux autres évangélistes,
saint Marc et saint Luc, rapportent ces paroles d'une manière semblable
; mais leur récit varie sur celles qui se firent entendre du haut du
ciel, bien que le sens soit le même. Ainsi, au lieu qu'on lit dans saint
Matthieu : " Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; " saint Marc
et saint Luc ont écrit : " Vous êtes mon Fils bien-aimé.
" Mais ces deux versions reviennent au même. La voix du Ciel a nécessairement
employé l'une de ces deux locutions ; mais l'Évangéliste
a voulu faire comprendre que ce qui avait été dit revenait à
cette manière de s'expliquer : " Celui-ci est mon Fils bien-aimé,
" pour bien faire connaître à ceux qui étaient présents
qu'il était vraiment le Fils de Dieu. C'est pour cela qu'il a rendu cette
locution : " Vous êtes mon Fils bien-aimé, " par cette
autre : " Celui-ci est mon Fils bien-aimé. " Car cette voix
n'avait pas polir but d'apprendre au Christ ce qu'il savait, mais d'instruire
ceux qui étaient présents. Quant aux autres variantes que présentent
les Évangélistes, l'un : " Dans lequel j'ai mis mes complaisances
; " l'autre : " J'ai mis en vous mes complaisances ; " un autre
: " C'est en vous qu'il m'a plu " (Lc 3, 23 ; Mt 3, 17 ; Mc 1, 12)
; si vous me demandez quelle est celle que la voix céleste a fait entendre,
je répondrai que vous pouvez choisir celle que vous voudrez, pourvu que
vous compreniez que le sens reste le même dans toutes ces locutions différentes.
Ces paroles : " J'ai mis en vous mes complaisances, " nous montrent
le Père plaçant toutes ses complaisances dans son Fils ; ces autres
: " Il m'a plu en vous, " nous apprennent que le Père a été
agréable aux hommes dans son Fils. Il est donc facile de comprendre que
ces différentes manières de s'exprimer des Évangélistes
reviennent à dire : J'ai placé en vous mon bon plaisir, c'est-à-dire
: j'ai résolu d'accomplir par vous ce qui m'est agréable.