CATANA AUREA SUR SAINT LUC

PRÉFACE DE L'EXPLICATION

ÉVANGILE DE SAINT LUC PAR SAINT THOMAS

SAINT THOMAS D'AQUIN CATENA AUREA SUR SAINT LUC

CHAPITRE XI

v. 1-4.
BEDE. Après avoir raconté l'histoire des deux soeurs, qui ont comme personnifié en elles les deux vies de l'Église, l'Évangéliste nous représente, en suivant un ordre admirable, Notre-Seigneur en prière et enseignant à ses disciples à prier, parce qu'en effet la prière dont il donne les précieux enseignements, renferme le mystère de ces deux vies, et que la perfection de chacune d'elles s'obtient, non par nos propres forces, mais par la prière : " Un jour que Jésus était en prière en un certain lieu, " etc. - S. CYR. (Ch. des Pèr. gr.) Mais pourquoi prier, puisqu'il est la source de tout bien qu'il possède dans sa plénitude, et qu'il n'a besoin de rien ? Nous répondons qu'une des conséquences de l'incarnation pour le Sauveur était de se conformer aux actions de la vie humaine, alors qu'il le jugeait convenable ; si, en effet, il se soumet à la nécessité du boire et du manger, quel inconvénient qu'il se livre à la prière, pour nous apprendre à ne pas négliger ce devoir, et à persévérer avec ferveur dans l'exercice de la prière ?

TITE DE BOSTR. (sur S. Matth.) Les disciples à qui Notre-Seigneur avait donné les règles d'une vie toute nouvelle, lui demandent aussi une nouvelle formule de prière, bien que l'Ancien Testament en contint un grand nombre : " Et dès qu'il eut cessé de prier, un de ses disciples lui dit : Seigneur, apprenez-nous à prier, de peur que nous n'offensions Dieu en lui demandant une chose pour une autre, ou en ne le priant pas avec les dispositions convenables. "

ORIG. (Ch. des Pèr. gr.) Pour déterminer le Sauveur à leur tracer les règles de la prière, le disciple de Jésus ajoute : " Comme Jean l'a appris à ses disciples, " Jean, dont vous nous avez dit, " qu'il était le plus grand de tous les enfants des femmes. " Vous nous faites un précepte de vous demander les biens éternels et ineffables, mais qui nous donnera de les connaître, si ce n'est vous notre Dieu et notre Sauveur ?

S. GREG. DE Nyss. (Serm. 1, sur la prière.) Le Sauveur expose à ses disciples la divine doctrine de la prière, parce qu'ils la lui demandent avec instance, et il leur enseigne comment ils doivent prier Dieu pour être exaucés. - S. BAS. (Const. mon., chap. 1.) Il y a deux sortes de prières, la prière de louange, jointe à un grand sentiment d'humilité, et la prière de demande, qui est moins parfaite. Lors donc que vous vous mettez en prière, ne vous hâtez pas de passer à la demande, autrement vous accusez vos dispositions intérieures, et vous témoignez que c'est la nécessité qui vous amène aux pieds de Dieu. Mais lorsque vous commencez à prier, séparez-vous de toute créature visible et invisible, et donnez pour exorde à votre prière la louange du Créateur de toutes choses : " Et il leur répondit : Lorsque vous priez, dites : Père, " etc. - S. AUG. (Serm. 27, sur les parol. du Seig.) Comme cette première parole est pleine de grâce et de miséricorde ! Vous n'osiez pas lever votre front vers le ciel, vous recevez tout d'un coup la grâce de Jésus-Christ ; de mauvais serviteur vous êtes devenu fils bien aimé, ayez donc espérance, non dans vos oeuvres, mais dans la grâce du Sauveur. Ce n'est point de la présomption, mais de la confiance ; proclamer la grâce que vous avez reçue, ce n'est point un acte d'orgueil, mais de dévotion. Levez-donc les yeux au ciel, vers votre Père, qui vous a donné une nouvelle vie dans le baptême, qui vous a racheté par son Fils. Dites lui comme un bon Fils : " Mon Père, " mais ne vous attribuez rien de trop particulier dans ce titre, car Dieu n'est, dans la rigueur du mot, le Père que de Jésus-Christ seul, parce qu'il est le seul qu'il ait engendré, tandis qu'il est notre Père commun à tous, parce qu'il nous à créés. C'est pour cela que dans saint Matthieu, nous lisons : " Notre Père ; " et qu'il ajoute : " Qui êtes dans les cieux ; " c'est-à-dire dans les cieux dont il est écrit : " Les cieux racontent la gloire de Dieu " dans les cieux où le péché n'existe plus, où la mort n'a plus de blessure. - THEOPHYL. Ces paroles : " Qui êtes dans les cieux, " ne signifient pas que Dieu se trouve circonscrit par les limites des cieux, mais Notre-Seigneur les emploie pour relever notre âme vers le ciel, et nous séparer des choses de la terre.

S. GRÉG. DE NYSS. (Serm. 2, sur l'orais. domin.) Voyez quelle préparation est nécessaire pour que vous puissiez dire avec confiance : " Père ; " car si vous arrêtez vos regards sur les choses de la terre, si vous ambitionnez la gloire qui vient des hommes, si vous êtes l'esclave des passions de la chair, et que vous osiez faire cette prière, il me semble entendre Dieu vous dire : Comment, votre vie n'est que corruption, et vous invoquez comme votre Père l'auteur de l'incorruptibilité, et vous ne voyez pas que votre voix criminelle profane ce nom incorruptible ! En effet, celui qui vous a commandé de l'appeler votre Père, ne vous a pas autorisé à ouvrir votre bouche au mensonge. (Serm., 3.) Or, le principe de tout bien c'est de glorifier le nom de Dieu dans notre vie. Aussi le Sauveur ajoute : " Que votre nom soit sanctifié. " Qui pourrait être assez dépourvu de raison, que d'être témoin de la vie pure et sainte des vrais chrétiens, et de ne pas glorifier le nom qu'ils invoquent ? Celui donc qui dit à Dieu : " Que votre nom que j'invoque soit sanctifié en moi, " fait à Dieu cette prière : Que je devienne à l'aide de votre grâce juste, et éloigné de tout mal. - S. CHRYS. (hom. 18, sur l'Ep. 1, aux Cor.) A la vue de la beauté et de la magnificence des cieux, on ne peut s'empêcher de s'écrier : Gloire à vous, ô mon Dieu, et on éprouve le même sentiment au spectacle de la vertu, car la vertu de l'homme donne plus de gloire à Dieu que la magnificence des cieux. - S. Arc. (Serm. 28, sur les parol. du Seig.) Ou bien ces paroles veulent dire : " Que votre nom soit sanctifié " en nous, de manière que la sainteté de Dieu puisse s'étendre jusqu'à nous. - TITE DE BOSTR. (sur S. Matth.) Ou bien encore, " que votre nom soit sanctifié, " c'est-à-dire, que votre sainteté soit connue de tous les hommes, et qu'elle soit l'objet de leurs louanges, car c'est aux justes qu'il appartient de publier les louanges de Dieu. (Ps 32.) Il nous commande donc de prier pour la sanctification du monde entier. - S. CYR. (Ch. des Pèr. gr.) En effet, ceux qui n'ont pas encore reçu la foi, n'ont que du mépris pour le nom de Dieu, mais aussitôt que la lumière de la vérité aura lui à leurs yeux, ils confesseront qu'il est le saint des saints. (Dn 9, 24.) - TITE DE BOSTR. (comme précéd.) Et comme la gloire de Dieu le Père est dans le nom de Jésus, le nom du Père sera vraiment sanctifié, lorsque Jésus-Christ sera connu.
ORIG. (Ch. des Pèr. gr.) Ou bien encore, comme les idolâtres et les pécheurs attribuent le nom de Dieu aux plantes et aux créatures, ce nom n'est pas encore sanctifié ; c'est-à-dire, qu'il demeure confondu avec des choses dont il doit être nécessairement séparé. Le Sauveur nous enseigne donc à demander que le nom de Dieu soit réservé au seul vrai Dieu, auquel seul peuvent s'appliquer les paroles suivantes " Que votre règne arrive ; " de manière que tout empire, toute domination, toute puissance, et le règne du monde soient anéantis, aussi bien que le péché qui règne dans nos corps mortels (1 Co 15, 24 ; Rm 6, 2). - S. GREG. DE NYSS. Nous demandons encore à Dieu d'être délivrés de la corruption, et affranchis de la mort. Ou bien encore, selon quelques interprètes : " Que votre règne arrive, " c'est-à-dire, que votre Esprit saint descende sur nous, pour nous purifier. - S. AUG. (Serm. 24, sur les parol. du Seig.) Le royaume de Dieu arrive pour nous, quand nous avons eu le bonheur d'obtenir sa grâce ; car Jésus lui-même nous a dit : " Le royaume de Dieu est au milieu de vous. " - S. CYR. Ou bien ceux qui font cette prière, expriment le désir de voir le second avènement du Sauveur de tous les hommes paraissant à leurs yeux dans toute sa gloire. Or, il nous fait un commandement de demander dans la prière l'arrivée de ce temps vraiment redoutable, pour nous apprendre à fuir la négligence et la tiédeur, si nous ne voulons que cet avènement nous amène les flammes vengeresses de l'éternité. Il veut au contraire que notre vie s'écoule dans une sainte conformité à sa volonté, pour que ces jours ne nous apportent que des couronnes d'immortalité. Voilà pourquoi dans saint Matthieu la demande suivante est celle ci : " Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel. " - S. CYR. (hom. 20, sur S. Matth.) C'est-à-dire : Accordez-nous d'imiter la vie des habitants des cieux, de sorte que nous ne voulions que ce que vous voulez vous-même. - S. GREG. DE NYSS. (Serm. 4, sur l'orais. dom.) Notre-Seigneur nous déclare que la vie de l'homme après la résurrection sera semblable à la vie des anges ; il faut donc que la vie présente soit une préparation à cette vie que nous espérons après la mort, et que tout en vivant dans la chair, nous ne vivions pas selon les inspirations de la chair (Rm 7, 12 ; 2 Co 10, 3). C'est ainsi que le véritable médecin de nos âmes guérit les maladies de notre nature ; le principe de nos infirmités c'est de nous être mis en opposition avec la volonté divine ; ce n'est donc que par une conformité entière à cette divine volonté que nous serons délivrés de ces infirmités, car la santé de l'âme consiste dans l'accomplissement légitime de la volonté divine.
S. AUG. (Enchirid., chap. 116.) Dans l'Évangile selon saint Matthieu, l'oraison dominicale contient sept demandes ; l'évangéliste saint Luc, n'en donne que cinq, et cependant il n'est pas en opposition avec saint Matthieu, mais dans l'abrégé qu'il nous donne de cette prière, il nous fait comprendre comment les sept demandes doivent être entendues. En effet, le nom de Dieu est sanctifié dans l'Esprit saint, et le royaume de Dieu doit venir à la résurrection. Saint Luc veut donc nous apprendre que la troisième demande n'est pour ainsi dire que la répétition des deux premières, et, son intention est de nous la faire mieux comprendre en l'omettant. Viennent ensuite les trois autres demandes, et d'abord celle du pain quotidien : " Donnez-nous aujourd'hui notre pain de chaque jour. " - S. AUG. (Serm. 28, sur les parol. du Seig.) Le texte grec porte ep???s???, qui est au-dessus de toute substance. Ce qui ne peut s'appliquer au pain qui entre dans le corps et le nourrit, mais au pain de la vie éternelle qui fortifie la substance de notre âme. La version latine l'appelle pain de chaque jour, et les Grecs, pain qui arrive (chaque jour). Or, si ce pain est le pain de chaque jour, pourquoi ne le prenez-vous qu'une fois chaque année, comme les Grecs dans l'Orient ont coutume de le faire ? Recevez chaque jour ce qui doit vous être utile chaque jour, et vivez de manière à mériter de le recevoir chaque jour. Ce pain est le symbole de la mort du Seigneur, et de la rémission des péchés. Celui qui est blessé cherche un remède à ses blessures ; or, nous sommes blessés, puisque nous sommes esclaves du péché, et le véritable remède à nos blessures est ce sacrement descendu du ciel, et digne de toute notre vénération. Si vous le recevez tous les jours, chaque jour devient pour vous aujourd'hui, et chaque jour Jésus-Christ ressuscite pour vous ; car le jour où Jésus-Christ ressuscite, doit être appelé véritablement aujourd'hui. - TITE DE BOSTR. (sur S. Matth.) Ou bien encore, le pain des âmes, c'est la vertu de Dieu qui devient pour nous le principe de la vie future et éternelle, comme le pain qui provient de la terre, sert à la conservation de la vie temporelle. Ainsi le pain quotidien, dans l'intention du Sauveur, figure le pain divin qui approche et qui doit venir. Nous prions Dieu de nous l'accorder aujourd'hui, c'est-à-dire comme un commencement et un avant-goût de ce pain ; ce qui se fait lorsque l'Esprit saint qui habite en nous y produit ces vertus qui surpassent toutes les vertus humaines, comme la chasteté, l'humilité, etc.

S. CYR. (comme précéd.) Il en est qui pensent qu'il n'est pas digne des âmes saintes de demander à Dieu les biens du corps, et qui, par conséquent, appliquent ces paroles à la vie spirituelle. J'admets que les biens spirituels doivent être l'objet principal et premier de la prière des saints, mais il faut cependant convenir qu'ils peuvent demander sans se rendre coupables, le pain ordinaire, puisque le Sauveur lui-même leur en fait un devoir. En effet, en leur enseignant à demander à Dieu du pain, c'est-à-dire la nourriture de chaque jour, il semble leur défendre de posséder autre chose, et leur commander de pratiquer une pauvreté honorable ; car ce ne sont point les miches qui demandent du pain, mais ceux que l'indigence opprime. - S. BAS. (Régl. abrég. quest. 252.) Le Sauveur semble nous dire : Ne vous en rapportez pas à vous-même, pour le pain quotidien qui vous est nécessaire pour soutenir votre vie de chaque jour ; mais recourez à Dieu pour l'obtenir, en lui exposant les besoins de votre nature. - S. CHRYS. (hom. XIX, sur S. Matth.) Nous devons donc demander à Dieu, non pas la multiplicité des mets, les vins délicats et parfumés, et tout ce qui plait au goût, charge l'estomac, et trouble l'esprit ; mais les choses nécessaires à la vie, le pain destiné à soutenir notre existence, c'est-à-dire celui qui nous suffit aujourd'hui, sans nous inquiéter du lendemain. Ainsi nous ne faisons qu'une seule demande pour les choses temporelles, celle de ne point être exposés à la privation et à la souffrance dans le présent.

S. GRÉG. DE NYSSE. (Serm. 5 sur l'Orais. dominic.) Le Sauveur, après nous avoir inspiré la confiance qui vient de la pratique des bonnes oeuvres, nous enseigne à implorer la rémission de nos fautes : " Et pardonnez-nous nos offenses. " - TITE DE BOSTR. Aucun homme n'est sans péché, et Notre-Seigneur, ajoute cette demande nécessaire, pour lever les obstacles que nos péchés apporteraient à la participation des saints mystères. En effet, nous sommes obligés d'offrir une sainteté parfaite à Jésus-Christ, qui choisit notre coeur pour être la demeure de l'Esprit saint, et nous sommes gravement coupables, si nous ne conservons pas la pureté de ce temple intérieur. Or, si ce malheur nous arrive, la bonté de Dieu vient au secours de notre fragilité, en nous remettant la peine que nos péchés ont méritée. Le Dieu juste agit alors en toute justice avec nous, quand nous remettons nous-mêmes ce qui nous est dû, c'est-à-dire, à ceux qui nous ont fait tort, et se sont rendus nos débiteurs. C'est pour cela qu'il ajoute : " Comme nous remettons nous-mêmes à ceux qui nous doivent. " - S. CYR. (comme précéd.) Le Sauveur veut, pour ainsi parler, que Dieu soit l'imitateur de la patience, dont les hommes lui donnent l'exemple, et qu'ils demandent à Dieu d'exercer à leur égard, dans la même mesure, la bonté dont ils font preuve à l'égard de leurs semblables, parce que Dieu sait rendre à chacun ce qui lui est dû, et être plein de miséricorde pour tous les hommes. - S. CHRYS. (Ch. des Pèr. gr.) Une fois pénétrés de ces pensées, nous devons rendre grâces à nos débiteurs, car si nous savons bien l'apprécier, ils sont la cause de l'indulgence excessive de Dieu à notre égard ; en effet, nous donnons peu pour recevoir beaucoup, car nous avons contracté envers Dieu des dettes nombreuses et considérables, et s'il en voulait exiger la moindre partie, nous serions perdus.
S. AUG. (serm. 28 sur les par. du Seigneur.) Or, quelle est cette dette, si ce n'est le péché ? Si donc vous n'aviez rien reçu, vous n'auriez pas contracté de dettes, et c'est ce qui vous rend coupable. En effet, vous avez reçu un trésor qui vous a rendu riche en naissant, lorsque vous avez été créé à l'image et à la ressemblance de Dieu ; mais vous avez perdu ce trésor qui vous a été confié. Ainsi, quand vous avez cherché à soutenir votre orgueil, vous avez perdu le trésor de l'humilité ; vous avez contracté à l'égard du démon une dette qui n'était pas nécessaire, et l'ennemi avait entre les mains votre engagement, mais Notre-Seigneur l'a attaché à la croix et l'a effacé de son sang. Or, de même qu'il a effacé votre péché et qu'il vous a remis toutes vos dettes, il est encore assez puissant pour nous défendre contre les embûches du démon, qui est en nous l'auteur du péché ; c'est pour cela qu'il nous fait ajouter dans cette prière : " Et ne nous induisez pas en tentation, " c'est-à-dire, dans mine tentation supérieure à nos forces, car nous sommes comme l'athlète qui désire une lutte proportionnée à ses forces. - TITE DE BOSTR. (sur S. Matth.) Il est impossible que nous soyons complètement à l'abri des tentations du démon, mais nous demandons à Dieu qu'il ne nous abandonne pas au milieu des tentations. L'Ecriture attribue ordinairement à l'action de Dieu, ce qui n'est l'effet que d'une simple permission (cf. Ez 14, 9), et c'est dans ce sens que Dieu nous induirait en tentation, s'il ne s'opposait au progrès d'une tentation au-dessus de nos forces. - S. MAXIME. (Ch. des Pèr. gr.) Ou bien, le Sauveur nous ordonne de demander à Dieu de ne point nous induire en tentation, c'est-à-dire, de ne point permettre que nous soyons victimes des tentations volontaires de volupté. Quant aux tentations involontaires qui sont la suite des combats que nous soutenons pour la vérité, et qui nous entraînent dans de rudes épreuves, saint Jacques nous enseigne à ne point nous y laisser abattre : " Mes frères, nous dit-il, regardez comme la source de toute joie les diverses afflictions qui vous arrivent. " (Jc 1, 2.)- S. BAS. (Régl. abrég., quest. 221.) Cependant il ne convient pas que nous demandions à Dieu des afflictions corporelles. Jésus-Christ nous commande en général de prier Dieu, d'écarter de nous la tentation, mais dès qu'elle se présente, nous devons demander à Dieu la force nécessaire pour y résister, afin que nous puissions voir en nous l'accomplissement de cette parole : " Celui qui persévérera jusqu'à la fin sera sauvé. " (Mt 10.)

S. AUG. (Enchyrid., chap. 116.) Saint Luc n'a point rapporté la dernière demande que saint Matthieu ajoute à la précédente, pour nous faire comprendre qu'elle fait partie de la prière que nous faisons à Dieu d'être délivrés des tentations. Aussi saint Matthieu s'exprime de la sorte : " Mais délivrez-nous, " pour montrer que c'est une seule et même demande ; il ne dit pas : " Et délivrez-nous ; " il dit, ne nous exposez pas à ceci, mais accordez-nous cela, de sorte que chacun sache qu'il est délivré du mal, par là même qu'il n'est pas exposé à la tentation. - S. AUG. (serm. 28 sur les par. du Seign.) Nous demandons tous d'être délivrés du mal, c'est-à-dire, de notre ennemi et du péché, mais celui qui met en Dieu sa confiance, ne craint pas le démon, car si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ?


vv. 5-9.
S. CYR. (Chaîne des Pères grecs.) Notre-Seigneur, sur la demande des Apôtres, leur avait enseigné comment il faut prier ; mais ceux qui avaient reçu ces salutaires enseignements, tout en priant selon la forme qu'il avait prescrite, pouvaient le faire avec négligence et avec tiédeur ; ou bien en voyant leur première ou leur seconde demande sans effet, abandonner complètement l'exercice de la prière. C'est pour les préserver de ce malheur qu'il leur montre, au moyen d'une parabole, que le découragement dans la prière est dangereux, et qu'il est on ne peut plus utile d'y persévérer avec patience : " Il leur dit encore : Si l'un de vous a un ami, " etc. - THEOPHYL. Cet ami, c'est Dieu, qui aime tous les hommes, et qui veut sincèrement que tous soient sauvés (1 Tm 2, 4 ; 2 P 3, 9). - S. AMBR. Qui d'ailleurs est plus notre ami que celui qui a livré son corps pour notre salut ? Le Seigneur nous donne encore ici un autre précepte, c'est que notre prière doit être continuelle, et que nous devons prier le jour comme la nuit : " Si l'un de vous a un ami, et qu'il aille le trouver au milieu de la nuit. " C'est ce que faisait David, quand il disait : " Je me levais au milieu de la nuit pour chanter vos louanges, " (Ps 118) car il ne craignait pas de réveiller de son sommeil celui qu'il savait avoir toujours les yeux ouverts sur son peuple. Or, si ce saint roi, tout occupé de l'administration de son royaume, redisait sept fois le jour les louanges du Seigneur (Ps 118), que ne devons-nous pas faire nous-mêmes ? Notre prière ne doit-elle pas être d'autant plus fréquente, que la fragilité de notre chair et de notre esprit nous entraîne dans un plus grand nombre de fautes ? Et si vous avez un véritable amour pour le Seigneur votre Dieu, vous pouvez obtenir, non seulement pour vous-mêmes, mais pour les autres. Voyez, en effet, la suite " Et que cet ami lui dise : Mon ami, prêtez-moi trois pains, " etc. - S. AUG. (serm. 29 sur les par. du Seign.) Quels sont ces trois pains, sinon l'aliment céleste que nous offrent les divins mystères ? Or, il peut se faire qu'on ne puisse satisfaire à la demande d'un ami, et on reconnaît alors qu'on n'a pas ce qu'on devrait lui donner. Ainsi, un ami vous arrive de voyage, c'est-à-dire, de la vie du monde, où tous les hommes passent comme des voyageurs, où ils n'ont ni véritable propriété ni demeure permanente, mais où tout homme s'entend dire : Passez, faites place à celui qui doit vous succéder. Ou encore, cet ami vous arrive fatigué d'un mauvais voyage, c'est-à-dire, d'une vie coupable, il n'a pas trouvé la vérité qu'il eût été si heureux d'entendre et de recevoir ; il vient donc à vous, qui êtes chrétien, et il vous dit : Veuillez m'instruire. Or, peut-être vous demande-t-il ce que vous ignorez dans la simplicité de votre foi, vous ne pouvez donc apaiser la faim qui le tourmente, et vous êtes obligé de recourir aux livres du Seigneur, car, peut-être, ce qu'il vous demande se trouve dans les saints Livres, mais enveloppé d'obscurité. Vous ne pouvez interroger Paul, ni Pierre, ni aucun prophète, car toute cette famille repose avec son maître. Cependant l'ignorance du monde est profonde, c'est le milieu de la nuit ; votre ami, pressé par la faim, insiste auprès de vous, la foi dans sa simplicité ne lui suffit pas, faudra-t-il l'abandonner ? Allez donc trouver le Seigneur lui-même, avec lequel toute sa famille se repose, et frappez à la porte par vos prières : " De l'intérieur de la maison il vous répondra : Ne m'importunez pas. " Mais s'il tarde à vous donner, c'est pour vous faire désirer plus vivement ce qu'il diffère de vous accorder, et vous rendre ses dons plus précieux. - S. BAS. (Constit. monast., chap. 1.) Il diffère encore pour redoubler votre assiduité et vos instances près de lui, pour vous faire connaître ce que c'est que le don de Dieu, et comment il faut le conserver avec crainte, car on garde avec beaucoup plus de soin ce qui a coûté beaucoup à acquérir, de peur qu'en le perdant, on ne perde en même temps tout le fruit de son travail.
LA GLOSE. Loin donc de nous ôter l'espérance et le pouvoir d'être exaucés, Notre-Seigneur nous excite à prier avec plus d'ardeur, en nous montrant la difficulté d'obtenir : " Déjà la porte est fermée. " - S. AMBR. C'est cette porte que saint Paul demandait de voir s'ouvrir pour lui, non seulement par ses prières, mais à l'aide des prières des fidèles, " afin, disait-il, que Dieu nous ouvre une porte à la prédication de sa parole, afin d'annoncer le mystère de Jésus-Christ. " (Col 4.) Peut-être est-ce cette porte que saint Jean vit ouverte dans le ciel, lorsqu'il lui fut dit " Monte ici, et je te ferai voir les choses qui doivent arriver désormais. " - S. AUG. (Quest. évang., liv. 2.) Nous voyons donc figurer ici ce temps où les hommes devaient éprouver la faim de la parole de Dieu (Am 8, 11), lorsque l'intelligence est fermée et que ceux qui ont distribué le pain de la sagesse évangélique, en prêchant par tout l'univers, sont entrés dans leur repos mystérieux avec le Seigneur, c'est ce que signifient les paroles suivantes : " Et mes enfants sont au lit comme moi. " - S. GREG. DE NYSSE. Il appelle ses enfants ceux qui ont conquis l'impassibilité avec les armes de la justice, et il nous enseigne que le bien que nous ne pouvons acquérir qu'au prix de grands efforts, avait été déposé dès le commencement dans notre nature. En effet, lorsqu'un homme a renoncé à la vie de la chair, et qu'à l'aide de la raison il triomphe de ses passions par la pratique d'une vie vertueuse et sainte, il devient alors insensible comme un enfant, vis-à-vis de ses passions. Par le lit, il faut entendre le repos du Sauveur. - LA GLOSE. Pour les causes qu'il vient d'énoncer, il ajoute : " Je ne puis me lever et vous rien donner, " ce qui se rapporte à la difficulté d'obtenir. - S. AUG. (Quest. évanq., 2, 21.) Ou bien encore, cet ami qui vient au milieu de la nuit prier son ami de lui prêter trois pains, est la figure de celui qui, du milieu de la tribulation, prie Dieu de lui accorder l'intelligence de la Trinité, pour le consoler des travaux et des peines de la vie présente, car l'angoisse de la tribulation c'est le milieu de la nuit, qui lui fait demander avec instance les trois pains dont il a besoin. Ces trois pains sont aussi la figure de l'unité de substance tians la Trinité. Cet ami qui arrive de voyage représente l'appétit sensuel de l'homme, qui doit être assujetti à la raison, mais qui était devenu l'esclave des habitudes du monde, qu'il appelle la voie, parce que dans le monde tout est fugitif. Or, lorsque l'homme se convertit à Dieu, l'appétit sensuel est arraché à ses anciennes habitudes. Mais si en même temps la doctrine spirituelle qui proclame la Trinité du Dieu créateur, ne répand pas dans l'âme la consolation et la joie, l'homme est en proie à de grandes angoisses, et il est comme accablé par les chagrins de cette vie. En effet, d'un côté on lui interdit la joie qui vient des objets extérieurs, et il ne jouit pas dans son âme de la consolation que produit la doctrine spirituelle. Cependant, qu'il ne cesse de prier, et Dieu se rendant à ses désirs lui donnera l'intelligence, quand même il n'aurait aucun maître pour lui enseigner la sagesse : " Si cependant l'autre continue de frapper, je vous le dis, quand celui-ci ne se lèverait pas pour lui en donner, parce qu'il est son ami ; cependant, à cause de son importunité, il se lèvera, " etc. C'est une comparaison du moins au plus ; car si un ami se lève de son lit et donne ce qu'on lui demande, pour se débarrasser d'un importun plutôt que par amitié, à combien plus forte raison Dieu donnera-t-il, avec abondance, lui qui accorde avec tant de liberté tout ce qu'on lui demande.
S. AUG. (serm. 29 sur les par. du Seign.) Lors donc que vous aurez obtenu ces trois pains (c'est-à-dire la nourriture de votre âme dans l'intelligence de la Trinité), vous aurez l'aliment nécessaire à l'entretien de votre vie et de la vie des autres. Soyez sans inquiétude, donnez largement ; car ce pain ne s'épuisera jamais, mais fera cesser votre indigence. Instruisez-vous et enseignez. Nourrissez votre âme, et donnez la nourriture à l'âme des autres.
THEOPHYL. Ou bien dans un autre sens, le milieu de la nuit est la fin de la vie qui amène à Dieu un si grand nombre d'hommes, et cet ami est l'ange qui est chargé de recevoir notre âme. Ou bien encore, le milieu de la nuit représente l'abîme profond des tentations, du sein duquel on demande à Dieu les trois pains qui nous sauvent dans les tentations en venant au secours de notre corps, de notre âme et de notre esprit. Cet ami qui arrive de voyage, c'est Dieu lui-même, qui nous éprouve par les tentations, et celui que la tentation accable n'a rien à lui donner. La porte est fermée, c'est-à-dire que c'est avant les tentations qu'il faut nous préparer, mais lorsque nous y sommes tombés, la porte de la préparation est fermée, nous sommes surpris dans notre imprévoyance, et si Dieu ne nous vient en aide, nous sommes en danger de périr.

vv. 9-13.
S. Aug. (serm. 29 sur les par. du Seig.) A cette parabole, Notre-Seigneur ajoute une nouvelle exhortation pour nous exciter plus vivement à chercher, à demander, à frapper : " Et moi, je vous dis de même, demandez, et il vous sera donné, " etc. - S. CYR. (Ch. des Pèr. gr.) Cette manière de s'exprimer : " Et moi, je vous dis, " équivaut à un serment ; car Dieu ne peut mentir. Or, toutes les fois qu'il affirme quelque chose avec serment, il ôte toute excuse à la faiblesse de notre foi.
S. CHRYS. (hom. 34 sur S. Matth.) En nous disant : " Demandez, " c'est la prière qu'il nous recommande : " Cherchez, " c'est le zèle et la sollicitude dans la prière. En effet, ce qui est l'objet de nos recherches, exige de grands soins, surtout dans les choses de Dieu, où notre intelligence rencontre tant d'obstacles. Cherchons donc Dieu avec la même sollicitude que nous cherchons l'or que nous avons perdu. Le Sauveur nous apprend encore à persévérer dans la prière, bien qu'il n'ouvre pas aussitôt la porte : " Frappez, et l'on vous ouvrira ; " si vous ne vous lassez pas de chercher, vous trouverez infailliblement, la porte n'est fermée que pour vous obliger de frapper, et s'il tarde à se rendre à vos désirs, c'est pour que vous demandiez avec plus d'instances. - SEVERE D'ANT. On bien encore, en nous disant : " Frappez, " peut-être nous enseigne-t-il à joindre les oeuvres à la prière ; car c'est avec la main qu'on frappe, et la main est comme l'instrument des bonnes oeuvres. Ces trois choses peuvent encore s'entendre d'une autre manière ; le premier degré de la vertu est de demander la connaissance de la voie qui conduit à la vérité ; le second degré est de chercher à savoir comment on doit marcher dans cette voie ; le troisième degré consiste lorsqu'on est arrivé à la pratique des vertus, à frapper à la porte, pour entrer dans une connaissance plus étendue de la vérité, toutes choses qui s'obtiennent par la prière. Ou bien encore, demander, c'est prier ; chercher, c'est joindre à la prière des oeuvres qui la rendent digne d'être exaucée ; frapper, c'est persévérer dans la prière sans se décourager. - S. AUG. (serm. 29 sur les par. du Seig.) Assurément, Dieu ne nous presserait pas si fortement de le prier, s'il n'avait l'intention de nous exaucer. Honte donc à la tiédeur de l'homme, Dieu est bien plus disposé à donner, que nous ne le sommes à recevoir.
S. AMBR. Celui qui fait une promesse, doit donner l'espérance des choses qu'il promet, pour rendre plus faciles l'obéissance à ses commandements, et la confiance dans ses promesses. C'est pourquoi Notre-Seigneur ajoute : " Quiconque demande, reçoit, " etc. - ORIG. (Ch. des Pèr. gr.) On demandera peut-être pourquoi la prière n'est pas toujours exaucée, nous répondons que celui qui s'adresse à Dieu en toute droiture, et n'omet rien de ce qui peut assurer le succès de ses prières, obtiendra certainement ce qu'il a demandé. S'il s'écarte, au contraire, des règles prescrites à celui qui prie, sa prière, dépourvue des conditions voulues, n'est plus une prière. Si donc il ne reçoit rien, les paroles du Sauveur n'en sont pas moins véritables ; car Dieu ayant dit : " Celui qui vient à moi, obtiendra la science de la sagesse, nous recevons en réalité la grâce de nous approcher du divin Maître, pour nous appliquer avec ferveur et avec zèle à l'accomplissement de ses préceptes. Saint Jacques dit de son côté : " Vous demandez, et vous ne recevez pas, " parce que vous demandez mal, c'est-à-dire dans l'intérêt de vos passions frivoles. On m'objectera qu'il en est qui prient pour obtenir la connaissance de Dieu, ou leur retour à la vertu, sans rien obtenir ; je réponds que la raison eu est qu'ils ont demandé ces biens, non pour eux-mêmes, mais pour l'estime et la considération qui pouvaient leur en revenir.

S. BAS. (Constit., 1.) Qu'un homme encore s'abandonne par lâcheté à ses désirs, et se livre lui-même entre les mains de ses ennemis, il ne peut espérer que Dieu ni le secoure, ni ne l'exauce, puisqu'il s'est volontairement éloigné de lui. Offrons donc à Dieu, dans la prière, toutes les dispositions qui dépendent de nous, et crions vers lui pour qu'il vienne à notre secours. Or, ce n'est pas avec tiédeur qu'il faut implorer le secours divin, ni avec un esprit distrait et égaré ; une semblable prière, loin d'obtenir ce qu'elle demande, ne fait qu'irriter Dieu davantage. En effet, si lorsqu'on paraît devant un prince de la terre, on retient, par crainte du châtiment, dans l'attention la plus sévère, les yeux de l'âme et du corps, quelle ne doit pas être notre attention et notre tremblement, quand nous nous présentons devant Dieu pour prier ? Si la faiblesse, produite en vous par le péché, vous empêche de fixer votre attention dans la prière, faites-vous cependant violence dans la mesure du possible, afin qu'en paraissant devant Dieu, vous dirigiez vers lui tous les efforts de votre esprit ; et Dieu vous pardonnera, parce que si vous ne vous présentez pas devant lui avec les dispositions convenables, ce n'est point tiédeur, mais fragilité. Si vous luttez ainsi contre vous-même, ne vous retirez pas que vous n'ayez été exaucé. Si, au contraire, votre prière reste quelquefois sans effet, c'est qu'elle n'avait pas les conditions voulues. Vous avez prié, ou sans foi, ou sans attention, ou sans discernement dans l'objet de votre prière, ou sans persévérance. Il en est souvent qui font cette difficulté, qu'avons-nous besoin de prier ? Est-ce que Dieu ne sait pas ce dont nous avons besoin ? Oui, Dieu le sait, et il nous donne avec abondance ses faveurs spirituelles, avant même que nous les demandions ; mais pour les oeuvres de la vertu, et pour le royaume des cieux, il veut que nous en ayons d'abord le désir, que le désir nous porte à les chercher, en faisant avec foi et patience tout ce qui dépend de nous, et en prenant soin que notre conscience ne nous reproche aucune faute.
S. AMBR. C'est ainsi que le précepte qui nous est donné de prier souvent, nous donne l'espérance certaine d'être exaucés. Le Sauveur cherche à nous convaincre d'abord par ce commandement qu'il nous donne, et ensuite par les exemples qu'il nous apporte : " Si quelqu'un demande du pain à son père, lui donnera-t-il une pierre ? " etc. - S. CYR. Le Sauveur nous donne ici une leçon bien nécessaire ; car souvent nous nous jetons imprudemment, et par l'entraînement des passions, dans des désirs pernicieux. Or, lorsque nous portons-devant Dieu l'expression de ces désirs, jamais nous ne serons exaucés ; c'est pour nous convaincre de cette vérité, que Notre-Seigneur emprunte une comparaison aux usages ordinaires de la vie. Que votre fils, en effet, vous demande du pain, vous vous hâtez de lui en donner, parce que sa demande est raisonnable et légitime. Mais si par défaut de discernement, il vous demande une pierre en guise de pain, loin de vous rendre à ce désir mauvais, vous le combattez avec raison. Voici donc le sens de ce passage : Si quelqu'un demande à son père du pain que son père est disposé à lui donner ; lui donnera-t-il une pierre, s'il venait à l'en prier ? Le sens est le même pour le serpent et pour le poisson, pour l'oeuf et pour le scorpion. Or, s'il lui demande un poisson, lui donnera-t-il un serpent ? Ou s'il lui demande un oeuf, lui donnera-t-il un scorpion ?

ORIG. (Ch. des Pèr. gr.) Si l'on peut entendre ce pain de l'aliment intérieur de l'âme, sans lequel on ne peut être sauvé, c'est-à-dire de l'intelligence claire de la vie qu'on doit mener, le poisson représentera l'amour de la science qui consiste à connaître la création du monde, les propriétés des éléments, et tout ce qui fait l'objet de l'enseignement de la philosophie. Ainsi Dieu, au lieu de pain, ne nous donne pas une pierre, que le démon pressait Jésus-Christ de manger (Mt 4, 3) ; au lieu de poisson, il ne nous donne pas un serpent tel qu'en mangent les Ethiopiens, qui sont indignes de se nourrir de poissons ; en un mot, au lieu d'une nourriture bienfaisante et salutaire, il ne nous donne pas d'aliments dangereux et nuisibles, c'est ce que représente l'oeuf et le scorpion.

S. AUG. (Quest. évang., 2, 22.) Ou bien encore, ce pain représente la charité, parce qu'elle est le bien le plus désirable, et si nécessaire, que tout le reste n'est rien sans elle, de même qu'une table sans pain est une table où manque le nécessaire. Le vice opposé à la charité, est la dureté du coeur, qui est comparée à une pierre. Le poisson représente la foi aux choses invisibles, ou à cause de l'eau du baptême, ou parce que le poisson est tiré des profondeurs invisibles des eaux. Le poisson peut aussi figurer la foi qui est assaillie et ballottée par les flots de ce monde, sans en être ébranlée. Au poisson, Notre-Seigneur oppose le serpent, à cause de son venin de mensonge qu'il a jeté dans le coeur du premier homme en le portant au mal. L'oeuf est la figure de l'espérance ; car l'oeuf n'est pas encore le petit être dans sa perfection, mais il en donne l'espérance aussitôt qu'il aura été couvé. Le Sauveur lui oppose le scorpion qui porte derrière lui le venin de son redoutable aiguillon ; ainsi le défaut opposé à l'espérance, est de regarder en arrière, parce que l'espérance des biens futurs se porte toujours en avant.
S. AUG. (serm. 29 sur les par. du Seig.) Que de sollicitations le monde vous adresse, que de bruit il fait après vous, pour vous faire regarder en arrière ! O monde impur, pourquoi ce bruit ? Pourquoi veux-tu nous détourner de la voie ? Tu veux nous retenir, tout périssable que tu es, que ne ferais-tu pas, sites joies étaient durables ? Qui serait à l'abri des séductions de ta douceur, puisque tu sais nous tromper en ne nous donnant qu'un pain d'amertume ?
S. CYR. Notre-Seigneur tire cette conclusion de l'exemple qu'il vient de citer : " Si donc vous, tout méchants que vous êtes, " c'est-à-dire dont l'âme est portée au mal, et n'est point constante et immuable dans le bien, comme Dieu. - BEDE. On bien, il appelle ici mauvais les amateurs du monde, qui donnent des choses que dans leur appréciation ils croient bonnes, qui sont bonnes en effet par leur nature, et servent aux usages de cette misérable vie : " Si donc vous, tout méchants que vous êtes, vous savez donner à vos enfants de bonnes choses. " Les Apôtres eux-mêmes qui, par la grâce de leur vocation, s'étaient élevés au-dessus de la bonté ordinaire des hommes, peuvent être cependant appelés mauvais, en comparaison de la bonté suprême, parce que rien n'est bon par soi-même, que Dieu seul. Les paroles qui suivent : " Combien plus votre Père céleste donnera-t-il l'esprit bon, " et dans saint Matthieu : " Combien plus donnera-t-il de bonnes choses à ceux qui les lui demandent, " nous enseignent que l'Esprit saint est la plénitude des dons de Dieu ; car tous les avantages que nous apporte la grâce des faveurs célestes, émanent de cette source.
S. ATHAN. (I Dial. sur la Trin.) Or, si le Saint-Esprit n'avait pas une seule et même substance avec Dieu qui est seul bon, on ne lui donnerait pas ici la qualification de bon, puisque le Seigneur lui-même ne voulut point être appelé bon, en tant qu'il s'était fait homme.
S. AUG. (Serm. 29, sur les parol. du Seig.) O avare, que demandez-vous donc ? ou si vous demandez autre chose, qu'est-ce qui pourra vous suffire, alors que Dieu même ne vous suffit pas ?

vv. 14-16.
LA GLOSE. Notre-Seigneur venait de promettre que l'Esprit de bonté serait donné à ceux qui prient, et il donne des preuves de cette bonté dans le miracle suivant : " Un jour Jésus chassait un démon et ce démon était muet. " - THEOPHYL. On appelle ordinairement muet (x?fó?), celui qui ne parle pas, et aussi celui qui n'entend pas, mais la signification propre de ce mot, est qui n'entend et ne parle pas. Celui qui est sourd de naissance, est nécessairement muet, car nous ne parlons que parce que nous avons entendu parler. Au contraire, rien n'empêche que celui qui est venu sourd par accident, ne puisse parler. Or, celui qui fut présenté au Seigneur était tout à la fois sourd et muet. - TITE DE BOSTR. (sur S. Matth.) L'Évangéliste dit que ce démon était muet ou sourd, parce qu'il produit en nous cette infirmité pour nous empêcher d'entendre la parole de Dieu. En effet, les démons détruisent les bonnes dispositions du coeur de l'homme, pour fermer plus facilement les oreilles de son âme : Or, Jésus-Christ est venu sur la terre pour chasser le démon, et nous faire entendre la parole de vérité, et dans ce seul homme il nous a donné comme un avant goût du salut de tous les hommes.
BEDE. D'après saint Matthieu, cet homme non seulement était muet, mais encore aveugle. Notre-Seigneur fait donc trois miracles dans la guérison de cet homme, il rend la vue à un aveugle, la parole à un muet, et il délivre un possédé du démon. Ce triple miracle se renouvelle encore tous les jours dans la conversion des infidèles ; ils sont d'abord délivrés du démon, puis ils voient la lumière de la foi, et enfin leur bouche qui était muette, s'ouvre pour publier les louanges de Dieu.

S. CYR. A la vue de ce miracle, la multitude proclame les louanges et la gloire de Jésus à l'égal de celle de Dieu : " Et la foule était dans l'admiration. " - BEDE. Or, tandis que la foule, qui paraissait avoir moins d'instruction, ne pouvait voir sans admiration les œuvres du Sauveur, les scribes et les pharisiens cherchaient à les nier, ou à en donner une fausse interprétation, comme si elles avaient pour auteur non pas Dieu mais l'esprit immonde : " Quelques-uns dirent : c'est par Béelzébub, prince des démons, qu'il chasse les démons. " Béelzébub était le Dieu d'Accaron (1 R 1, 2.3.6.16), Béel est la même chose que Baal, et Zébub signifie mouche. On appelle donc cette fausse divinité Béelzébub, ou l'homme des mouches, à cause du culte impur qui était rendu au prince des démons.
S. CYR. D'autres excités par les mêmes aiguillons de l'envie, lui demandaient de faire un prodige du ciel : " D'autres, pour le tenter, lui demandaient un signe du ciel, " et semblaient lui dire : Vous avez, il est vrai, chassé le démon de cet homme, mais ce n'est pas là une preuve de divinité, car nous n'avons encore rien vu de pareil aux anciens miracles, tels que ceux de Moïse, ouvrant au peuple de Dieu un passage au milieu de la mer (Ex 11) ; et de Josué, son successeur, qui arrêta le soleil à Gabaon. Or, vous n'avez jusqu'ici rien fait de semblable. La demande qu'ils font au Sauveur d'opérer un prodige dans le ciel, indique que telles étaient leurs pensées à son égard.

vv. 17-20.
S. CHRYS. (hom. 48, sur S. Matth.) Comme les pensées des pharisiens étaient déraisonnables, ils n'osaient les produire au dehors par crainte de la multitude, et se contentaient de les agiter dans leur esprit ; ce qui fait dire à l'Évangéliste : " Mais Jésus connaissant leurs pensées, leur dit : " Tout royaume divisé contre lui-même sera détruit. " - BEDE. Il ne répond pas à leurs paroles, mais à leurs pensées, pour les forcer ainsi de croire à la puissance de celui qui pénétrait le secret des coeurs.
S. CHRYS. (comme précéd.) Jésus ne tire pas sa réponse des Écritures, parce que leur témoignage eût été de nul poids pour les pharisiens qui en donnaient de fausses interprétations, il leur apporte donc un exemple emprunté à ce qui se passe ordinairement. En effet, une maison ou une ville divisée, ne tarderont pas à être détruites ; il en sera de même d'un royaume, qui est ce qu'il y a de plus fortement constitué ; car c'est l'union des sujets qui fait la force des royaumes, comme des maisons particulières : Si donc, dit le Sauveur, je chasse les démons par le prince des démons, la division règne parmi eux, et leur puissance est détruite. C'est le sens de ces paroles : " Si Satan est divisé contre lui-même, comment son règne pourra-t-il subsister ? " Car loin que Satan soit contraire à lui-même, et se déclare contre ses suppôts, il cherche bien plutôt à consolider son empire. La seule conclusion possible, c'est donc que je triomphe du démon par une puissance toute divine. - S. AMBR. Notre-Seigneur nous enseigne encore par ces paroles, que son royaume est indivisible et perpétuel, et nous apprend que ceux qui ne placent point leur espérance en Jésus-Christ, mais qui osent dire que c'est par le prince des démons qu'il chasse les démons, n'auront aucune part à son royaume éternel. Ces paroles s'appliquent aussi au peuple juif. En effet, comment le royaume des Juifs pourrait-il être éternel, alors que le peuple de la loi ne veut pas reconnaître Jésus, dont la loi annonçait la venue. C'est ainsi que la foi du peuple juif se met en opposition avec elle-même, qu'en se contredisant elle se divise, et que cette division entraîne sa ruine, tandis que le royaume de l'Église durera éternellement, parce qu'elle ne forme qu'un seul et même corps, grâce à sa foi une et indivisible. - BEDE. Le royaume du Père, du Fils et de l'Esprit saint, ne souffre pas non plus de division, parce qu'il est fondé sur une immutabilité éternelle. Que les Ariens cessent donc de dire que le Fils est inférieur au Père, et l'Esprit saint au Fils, car ceux qui ne forment qu'un seul et même royaume, ont aussi une seule et même nature divine.

S. CHRYS. (hom. 42.) A cette première réponse, Jésus en ajoute une seconde : " Or, si c'est par Béelzébub que je chasse les démons, par qui vos enfants les chassent-ils ? " Il ne dit pas : Mes disciples, mais : " Vos enfants, " pour adoucir leur fureur. - S. CYR. En effet, les disciples de Jésus-Christ étaient Juifs, et descendaient des Juifs selon la chair, ils avaient reçu de leur divin Maître le pouvoir de chasser les esprits immondes, et de délivrer au nom de Jésus-Christ ceux qui en étaient possédés. Quelle folie donc, alors que vos enfants écrasent Satan en mon nom, d'oser dire que c'est de Béelzébub que je tiens cette puissance ! La foi de vos enfants sera donc votre condamnation : " C'est pourquoi, leur dit-il, ils seront eux-mêmes vos juges. " - S. CHRYS. (hom. 42.) Car puisqu'ils sont de votre nation, et qu'ils me rendent hommage, il est manifeste qu'ils condamneront ceux qui tiennent une conduite contraire.
BEDE. Ou bien encore, par ces enfants des Juifs, Notre-Seigneur entend les exorcistes de cette nation, qui chassaient les démons par l'invocation du nom de Dieu ; et tel est le sens du raisonnement du Sauveur : Si c'est de Dieu et non du démon que vos enfants tiennent le pouvoir de chasser les démons, pourquoi donc les chasserais-je en vertu d'un autre pouvoir ? Aussi vos enfants seront-ils vos juges, non par la puissance qu'ils exerceront sur vous, mais par l'opposition de leur conduite avec la vôtre, puisqu'ils reconnaissent que je chasse les démons par un pouvoir divin, et que vous attribuez ce pouvoir au prince des démons.
S. CYR. Si donc ce que vous me reprochez est marqué au coin de la calomnie, il est manifeste que c'est par l'Esprit de Dieu que je chasse les démons. " Or, si c'est par le doigt de Dieu que je chasse les démons, il est donc certain que le royaume de Dieu est arrivé jusqu'à vous. " - S. AUG. (de l'acc. des Evang., 2, 36.) Saint Luc dit : " Par le doigt de Dieu, " et saint Matthieu : " Par l'Esprit de Dieu, " mais ces deux expressions ont le même sens, et nous enseignent comment nous devons entendre cette locution : " le doigt de Dieu, " partout où nous la rencontrons dans l'Écriture. - S. AUG. (quest. Evang., 2, 17.) Or, l'Esprit saint est appelé le doigt de Dieu, à cause de la distribution des dons dont il est l'auteur, et qui est propre à chacun des hommes et des anges ; car la division n'est dans aucun de nos membres aussi apparente que dans les doigts. - S. CYR. (Trés., XIII, 2.) Ou bien encore, l'Esprit saint est appelé le doigt de Dieu, comme le Fils est appelé la main et le bras du Père, parce que c'est par le Fils que le père fait toutes choses. De même donc que le doigt n'est pas étranger à la main, mais lui est naturellement uni, ainsi l'Esprit saint est consubstantiellement uni au Fils, et c'est par lui que le Fils opère toutes choses (Ps 11 ; 97, 2). - S. AMBR. Il ne faut pas cependant que cette comparaison tirée de l'union de nos membres vous porte à établir une espèce de division dans la puissance de chacune des personnes divines, car ce qui est un et indivisible ne peut admettre de division. Ainsi cette expression, " le doigt de Dieu " doit être entendue comme exprimant l'unité de nature et non la distinction de puissance.
S. ATHAN. (2 disc. cont. les Ar.) Toutefois, pour le moment Notre-Seigneur ne refuse pas à raison de son humanité de se déclarer inférieur à l'Esprit saint, en reconnaissant que c'est par lui qu'il chasse les démons, comme si la nature humaine ne pouvait opérer ce miracle sans le secours de ce divin Esprit. - S. CYR. C'est en suivant la même idée qu'il ajoute : " Le royaume de Dieu est venu jusqu'à vous, " c'est-à-dire : Si tout homme que je suis, je chasse les démons par l'Esprit de Dieu, la nature humaine à donc été enrichie en moi, de grâces toutes particulières, et le royaume de Dieu est venu jusqu'à vous. - S. CHRYS. (hom. 42.) Il emploie cette expression : " Jusqu'à vous, " pour les attirer davantage, comme s'il leur disait : Puisque Dieu vous comble de bienfaits, pourquoi cet orgueilleux dédain pour les grâces qu'il vous fait ? - S. AMBR. Le Sauveur nous représente ici le Saint-Esprit, comme ayant une puissance souveraine, puisque c'est en lui que se personnifie le royaume de Dieu, et nous-mêmes comme étant une demeure royale, puisque ce divin Esprit daigne habiter en nous. - TITE DE BOSTR. Ou bien encore ces paroles : " Le royaume de Dieu est venu jusqu'à vous, " veulent dire : Est venu pour votre ruine, non pour votre bonheur ; car le second avènement de Jésus-Christ sera terrible pour les chrétiens perfides.

vv. 21-23.
S. CYR. (Ch. des Pèr. gr.) Notre-Seigneur voulant confondre ses accusateurs par le nombre et l'évidence des raisons, emploie une comparaison des plus claires, pour prouver à ceux qui ne veulent pas fermer obstinément les yeux, qu'il a triomphé du prince de ce siècle par la puissance qui lui est naturelle : " Lorsque le fort armé garde sa maison, " etc. - S. CHRYS. (hom. 42, sur S. Matth.) Il appelle le démon le fort armé, non qu'il tienne cette force de sa nature, mais pour exprimer la tyrannie qu'il exerçait depuis si longtemps par suite de notre faiblesse. - S. CYR. (Jn 12.) En effet, avant l'avènement du Sauveur, il se jetait avec une violence inouïe sur les troupeaux qui n'étaient pas à lui, mais à Dieu, comme pour les emmener dans sa propre bergerie.

THEOPHYL. Les armes du démon sont les différentes espèces de péchés dans lesquelles il mettait toute sa confiance pour asservir les hommes à son empire. - BEDE. Sa maison, c'est le monde entier qui est fondé sur le mal, (1 Jn 5, 19), et sur lequel le démon régnait en maître, jusqu'à l'avènement du Sauveur, parce qu'il habitait sans opposition dans le coeur des infidèles, mais il a été vaincu par la puissance bien supérieure de Jésus-Christ, qui a délivré les hommes de son esclavage, et l'a honteusement chassé : " Mais il en survient un plus fort que lui, " etc. - S. CYR. C'est en effet lorsque le Verbe du Dieu très-haut, source de toute puissance, et le Seigneur des vertus (cf. Ps 23, 10 ; 47, 9 ; 58, 6 ; 79, 19. 20 ; 83, 2, 4, 9, 13 ; 88, 9), a daigné se faire homme, qu'il s'est emparé du démon, et lui a enlevé ses armes. - BEDE. Ses armes sont la ruse, les fourberies, le mensonge, que met en oeuvre sa méchanceté ; ses dépouilles sont les hommes qu'il trompe et séduit. - S. CYR. En effet, ceux qu'il retenait depuis longtemps dans les liens de l'ignorance de Dieu et de l'erreur, ont été appelés par les saints Apôtres à la connaissance de la vérité, et offerts à Dieu le Père, par la foi qu'ils avaient en son Fils. - S. BAS. (Comment. sur Is 18.) On peut aussi entendre par ces dépouilles qu'il a distribuées, les anges fidèles, qu'il a préposés à la garde des hommes. - BEDE. Jésus-Christ vainqueur a distribué les dépouilles, (ce qui est le propre des triomphateurs), lorsqu'il a mené captive la captivité elle-même, et répandu ses dons sur les hommes, en établissant les uns apôtres, les autres évangélistes, ceux-ci prophètes, ceux-là pasteurs et docteurs. (Ep 4.)
S. CHRYS. (hom. 42.) Le Sauveur donne enfin une quatrième réponse, en ajoutant : " Celui qui n'est pas avec moi, est contre moi, " paroles dont voici le sens : Je veux donner les hommes à Dieu, Satan veut le contraire ; comment donc celui qui, loin de se joindre à moi, dissipe ce qui m'appartient, pourrait-il s'entendre avec moi au point de joindre ses efforts aux miens pour chasser les démons ? " Et celui qui n'amasse point avec moi, dissipe au lieu d'amasser. " - S. CYR. C'est-à-dire : Je suis venu pour réunir les enfants de Dieu que le démon avait dispersés, et Satan qui n'est pas avec moi, s'efforce de disperser de nouveau ceux que j'ai cherché à recueillir et à sauver. Comment donc. celui qui s'oppose à tous mes desseins, pourrait-il me communiquer son pouvoir ? - S. CHRYS. (hom. 42.) Si donc on est ennemi quand on refuse de joindre ses efforts à ceux d'un autre, à plus forte raison quand on y met obstacle. Le Sauveur semble aussi avoir en vue les Juifs dans cette allégorie, et il les range avec le démon, parce qu'eux aussi se déclaraient contre lui, et dispersaient ceux qu'il rassemblait.

vv. 24-27.
S. CYR. (Ch. des Pèr. gr.) Notre-Seigneur fait voir ensuite comment le peuple juif en est venu à se faire de semblables idées sur le Christ : " Lorsque l'esprit impur est sorti d'un homme, " etc. Dans saint Matthieu, le Sauveur applique aux Juifs cette comparaison en termes exprès " C'est ce qui arrivera à cette génération criminelle, " (Mt 12, 45.) En effet, lorsqu'ils vivaient en Égypte, en se conformant aux usages des Egyptiens, ils étaient la demeure de l'esprit mauvais, il en fut chassé lorsqu'ils immolèrent l'agneau qui était la figure du Christ, et qu'ils marquèrent leurs portes de son sang pour échapper à l'ange exterminateur. (Ex 12)
S. AMBR. Dans ce seul homme, se trouve donc figuré tout le peuple juif qui avait été délivré de l'esprit mauvais par la loi. Cependant comme les coeurs des Gentils, arides d'abord, mais pénétrés ensuite de la rosée de l'Esprit saint par le baptême, ne pouvaient offrir au démon un lieu de repos, parce qu'ils croyaient en Jésus-Christ, et que Jésus-Christ est une flamme dévorante pour les esprits impurs, il revint vers le peuple juif : " Et comme il n'en trouve point, il dit : Je retournerai dans ma maison d'où je suis sorti. " - ORIG. (Ch. des Pèr. gr.) C'est-à-dire : Je retournerai vers les enfants d'Israël qui n'ont en eux rien de divin, qui sont comme déserts, et m'offrent un endroit où je puis habiter. " Et lorsqu'il y est rentré, il la trouve nettoyée et parée. " - S. AMBR. Mais sous cette pureté extérieure et apparente, l'intérieur n'en demeurait que plus souillé ; car elle ne pouvait ni se purifier de ces souillures, ni éteindre le feu des passions dans les eaux de la fontaine sacrée ; aussi l'esprit impur s'empressait-il de rentrer dans cette maison, avec sept esprits plus mauvais que lui : " Alors il s'en va prendre sept esprits plus méchants que lui, et entrant dans cette maison, ils en font leur demeure. " Juste punition du crime que ce peuple sacrilège avait commis en violant la semaine de la loi, et le mystère du huitième jour. Ainsi de même que la grâce se répand avec abondance sur nous par les sept dons de l'Esprit saint, toute la malice des démons s'empare aussi de ce peuple par ces sept esprits impurs ; car le nombre sept, dans l'Écriture, exprime ordinairement l'universalité.

S. CHRYS. (hom. 44 sur S. Matth.) Les démons qui habitent les âmes des Juifs sont pires que les premiers. Autrefois, ils traitaient avec cruauté les prophètes ; aujourd'hui, c'est au Seigneur lui-même que s'adressent leurs outrages, aussi en ont-ils été punis bien plus sévèrement par Vespasien et par Tite, qu'ils ne l'avaient été en Égypte et lors de la captivité de Babylone : " Et le dernier état de cet homme devient pire que le premier. " Autrefois encore, ils étaient gouvernés par la divine Providence et par la grâce de l'Esprit saint, mais aujourd'hui cette protection toute paternelle leur fait défaut, et par suite, ils sont dans un dénuement complet de vertu, et en proie à des peines plus déchirantes et à toute la violence des démons.

S. CYR. Le dernier état devient pire que le premier, selon cette parole de l'apôtre saint Pierre : " Il eût mieux valu pour eux ne jamais connaître la voie de la vérité, que de s'en écarter après l'avoir connue.

BEDE. On peut encore entendre ces paroles de tous les hérétiques, de tous les schismatiques, et même des mauvais catholiques qui, à l'époque de leur baptême, avaient été délivrés de l'esprit immonde. Ce mauvais esprit parcourt alors les lieux arides, c'est-à-dire, qu'en tentateur habile et rusé, il examine les coeurs des fidèles qui ont été purifiés de toutes les pensées impures et dangereuses, pour voir s'il peut y imprimer la trace de ses pas maudits. Il dit : " Je retournerai dans ma maison d'où je suis sorti. " Ces paroles doivent nous faire craindre que les fautes, que nous regardions comme à jamais effacées, ne profitent de notre négligence pour reprendre sur nous leur funeste empire. Il trouve cette maison nettoyée, c'est-à-dire purifiée par la grâce du baptême des souillures du péché ; mais complètement dénuée de l'ornement des bonnes oeuvres. Les sept mauvais esprits qu'il prend avec lui, représentent l'universalité des vices. Ces esprits sont plus mauvais que lui, parce que cette maison non seulement aura les sept vices directement opposés aux sept vertus spirituelles, mais elle voudra encore, par un sentiment d'hypocrisie, paraître avoir ces vertus.
S. CHRYS. (hom. 44.) Ce n'est pas seulement aux Juifs, mais à nous-mêmes, que s'appliquent les paroles suivantes : " Le dernier état de cet homme devient pire que le premier. " En effet, si après avoir été éclairés et délivrés de nos fautes passées, nous retournons à nos habitudes vicieuses, le châtiment qui attend ces nouvelles fautes sera bien plus terrible.
BEDE. On peut encore dire que Notre-Seigneur n'a dans ces paroles d'autre but, que d'établir la distinction qui sépare ses oeuvres de celles du démon, c'est-à-dire que le caractère du Sauveur est de purifier tout ce qui est souillé, tandis que celui du démon est de s'empresser de souiller encore davantage ce que Jésus a purifié.

vv. 27, 28.
BEDE. Tandis que les scribes et les pharisiens tentent le Seigneur, et blasphèment contre ses oeuvres, une simple femme proclame avec une foi vraiment admirable le mystère de son incarnation : " Lorsqu'il parlait ainsi, une femme, élevant la voix du milieu du peuple, lui dit : " Heureuses les entrailles qui vous ont porté, " etc. C'est ainsi qu'elle confond tout ensemble, les calomnies des princes des Juifs et la perfidie des hérétiques futurs. En effet, de même que les Juifs, par leurs blasphèmes contre les oeuvres de l'Esprit saint, niaient que le Sauveur fût le vrai Fils de Dieu, ainsi les hérétiques, en niant par la suite que par la coopération de l'Esprit saint, Marie, toujours vierge, ait contribué à former la chair du Fils de Dieu, n'ont pas voulu reconnaître que le Fils de l'homme fût le Fils véritable du Père, de même nature que lui. Mais si la chair du Verbe de Dieu fait homme, est étrangère à la chair de la Vierge mère, pourquoi proclamer bienheureuses les entrailles qui l'ont porté, et les mamelles qui l'ont allaité. Quelle raison de croire qu'il ait été nourri de son lait, si l'on ne veut admettre qu'il ait été conçu de son sang, puisque selon les médecins, le lait et le sang ont une seule et même source. Or, ce bonheur n'est pas le partage exclusif de celle qui a mérité d'enfanter corporellement le Verbe de Dieu, mais encore de tous ceux qui s'appliquent à concevoir spirituellement par la foi ce même Verbe, à l'enfanter et à le nourrir dans leur coeur, et dans celui du prochain, par la pratique des bonnes oeuvres : " Mais Jésus lui répondit : Bien plus heureux ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la mettent en pratique. "
S. CHRYS. (hom. 45 sur S. Matth.) En parlant de la sorte, le Sauveur ne reniait pas sa mère, mais il montrait qu'il n'eût servi de rien à Marie de l'avoir mis au monde, si elle n'eût d'ailleurs été le modèle de toutes les vertus. Or, s'il n'y avait aucun avantage pour Marie d'avoir donné le jour à Jésus-Christ, sans les vertus qui ornaient d'ailleurs son âme, n'espérons rien absolument des vertus d'un père, d'un frère ou d'un fils, si nous ne faisons aucun effort pour les imiter.
BEDE. La Mère de Dieu est heureuse pour avoir été dans le temps l'instrument de l'incarnation du Verbe, mais elle est bien plus heureuse pour avoir gardé inviolablement et éternellement son saint amour. Ces paroles sont une condamnation des sages d'entre les Juifs qui, au lieu d'écouter la parole de Dieu et de la mettre en pratique, en faisaient un objet de négations et de blasphèmes.


vv. 29-32.
BEDE. Les ennemis du Sauveur lui avaient fait deux questions insidieuses, les uns l'accusaient de chasser les démons par Béelzébub, et nous l'avons vu confondre cette accusation calomnieuse ; les autres, pour le tenter, demandaient un signe du ciel, et c'est à eux qu'il va répondre : " Et comme le peuple s'assemblait en foule, Jésus commença à dire : " Cette génération est une génération méchante, " etc. - S. AMBR. Paroles qui indiquent que la synagogue perd toute sa beauté au moment où l'Église doit briller de tout son éclat. Or, le Fils de l'homme sera un signe pour les Juifs, comme Jonas l'a été pour les Ninivites : " Elle demande un signe, et il ne lui en sera pas donné d'autre que le signe du prophète Jonas. " - S. BAS. (Ch. des Pèr. gr.) Un signe est une chose sensible, placée sous les yeux de tous, et qui a pour objet de faire connaître une chose cachée, et c'est ainsi que les faits miraculeux de la vie de Jonas représentent la descente de Jésus aux enfers, sa sortie et sa résurrection d'entre les morts : " Car, comme Jonas fut un signe pour les Ninivites, le Fils de l'homme le sera pour cette génération. " - BEDE. Il ne leur donne pas un signe du ciel, parce qu'ils étaient indignes de le voir, mais des profondeurs de la terre, c'est-à-dire le signe de son incarnation, non de sa divinité ; le signe de sa passion, et non celui de sa gloire.

S. AMBR. Le signe de Jonas n'est pas seulement la figure de la passion du Sauveur, mais encore un témoignage des crimes énormes commis par les Juifs, et nous y voyons une prophétie qui porte tout à la fois le caractère de la justice divine et celui de la miséricorde. En effet, l'exemple des Ninivites nous présente et la menace du supplice, et l'indication des moyens propres à l'éviter ; et ainsi les Juifs eux-mêmes, ne doivent pas désespérer du pardon, s'ils veulent faire pénitence. - THEOPHYL. Mais les Ninivites se convertirent à la prédication de Jonas, lorsqu'il fut sorti du ventre de la baleine, tandis que les Juifs ont refusé de croire à Jésus-Christ ressuscité des morts, c'est ce qui a été la cause de leur condamnation, et le Sauveur en donne successivement deux preuves par comparaison : " La reine du Midi s'élèvera au jour du jugement contre les hommes de cette génération, et les condamnera. " - BEDE. Elle les condamnera, non par la puissance qui lui sera donnée de juger, mais par la simple opposition de sa conduite sage avec celle des Juifs : " Parce qu'elle est venue des extrémités de la terre pour entendre la sagesse de Salomon, " et cependant il y a ici plus que Salomon. Le mot hic (ici), en cet endroit, n'est pas un pronom, mais un adverbe de lieu, qui veut dire : Vous avez ici, et parmi vous, celui qui est incomparablement plus grand que Salomon. - S. CYR. Il ne dit pas : Je suis plus grand que Salomon, pour nous apprendre à nous humilier, alors même que nous sommes comblés de grâces spirituelles. Voici le sens de ces paroles : Cette femme barbare, sans tenir compté de la longueur du voyage, s'est empressée de venir entendre Salomon pour apprendre de lui la science des êtres visibles, et les propriétés des plantes ; et vous qui, sans sortir de votre pays, entendez là sagesse elle-même vous enseigner les choses invisibles et célestes, et la voyez confirmer sa doctrine par des oeuvres et par des prodiges, vous vous révoltez contre sa parole, et ses miracles vous laissent insensibles.
BEDE. Or, si la reine du Midi, qui est sans nul doute du nombre des élus, doit s'élever au jour du jugement avec les réprouvés, il est évident qu'il n'y aura pour tous les hommes, bons et mauvais, qu'une seule résurrection, et qu'elle n'aura pas lieu, conformément aux fables des Juifs, mille ans avant le jugement, mais au temps même fixé pour le jugement. - S. AMBR. En même temps que le Sauveur condamne le peuple juif, il nous donne une figure éclatante de l'Église qui, semblable à la reine du Midi, et avide d'apprendre la sagesse, se rassemble des extrémités de la terre, pour entendre les paroles du Salomon pacifique ; reine véritable, dont le royaume, un et indivisible, se compose des peuples les plus divers et les plus éloignés, réunis en même corps. - S. GREG. DE NYSSE. (hom. 7 sur les Cant.) A l'exemple de cette reine d'Ethiopie qui venait d'un pays éloigné, l'Église, composée de ces différents peuples, était noire aussi au commencement, et très-éloignée de la connaissance du vrai Dieu ; mais aussitôt que le Christ pacifique apparut, tandis que les Juifs restent dans l'aveuglement, les Gentils viennent le trouver, pour lui offrir les parfums de la piété, l'or de la connaissance de Dieu, et les pierres précieuses de l'obéissance aux commandements. - THEOPHYL. Ou bien encore, de même que le vent du midi, au témoignage de l'Écriture, répand la chaleur et la vie, ainsi l'âme qui règne dans le Midi, c'est-à-dire dans une vie toute spirituelle, vient entendre la sagesse du roi pacifique Salomon, qui est le Seigneur notre Dieu, c'est-à-dire qu'elle s'élève jusqu'à la contemplation, dont on ne peut s'approcher, qu'autant qu'on règne véritablement sur soi-même par une vie vertueuse. Notre-Seigneur apporte ensuite l'exemple des Ninivites : " Les Ninivites s'élèveront an jour du jugement contre ce peuple, et le condamneront. "

S. CHRYS. (Ch. des Pèr. gr.) Le jugement de condamnation est prononcé par des personnes de même condition ou de condition différente ; de même condition, comme dans la parabole des dix vierges ; de condition différente, lorsque les ministres condamnèrent ceux qui vivaient au temps de Jésus-Christ. En effet, les uns étaient des barbares, et les autres des Juifs ; ceux-ci étaient nourris des enseignements prophétiques, ceux-là n'avaient jamais entendu la parole divine ; Dieu n'envoya qu'un de ses serviteurs aux Ninivites, et lui-même vint trouver les Juifs ; Jonas annonçait la destruction de Ninive, Jésus annonçait le royaume des cieux. Il est donc évident que les Juifs avaient beaucoup plus de motifs pour croire, mais c'est le contraire qui arriva : " Ils ont fait pénitence à la voix de Jonas, et il y a ici plus que Jonas. "

S. AMBR. Dans le sens allégorique, l'Église se trouve dans deux états ou elle est exempte de fautes, ce que figure la reine du Midi, ou elle cesse d'en commettre, ce que représente la pénitence des Ninivites, car la pénitence efface le péché, et la sagesse l'évite.

S. AMB. (de l'acc. des Evang., 2, 39.) Saint Luc place ces paroles du Sauveur au même endroit que saint Matthieu, tout en suivant un ordre tant soit peu différent. Mais qui ne voit qu'il est superflu de chercher dans quel ordre précis Notre-Seigneur les a dites, puisque l'autorité si imposante des Évangélistes nous apprend que l'inversion dans le récit des actions ou des paroles ne détruit pas la vérité du fait qui reste toujours le même, quel que soit l'ordre dans lequel il est présenté ?

vv. 33-36.
S. CYR. (Ch. des Pèr. gr.) Les Juifs accusaient le Seigneur de faire ses miracles, non pour établir la foi, et afin que l'on crût en lui, mais pour obtenir les applaudissements de la foule et pour se faire des sectateurs. Il repousse cette calomnie par la comparaison de la lampe : " Il n'y a personne qui, ayant allumé une lampe, la mette en un lieu caché ou sous un boisseau, mais on la met sur un chandelier, " etc. - BEDE. Le Sauveur veut parler ici de lui-même, et comme il avait dit précédemment qu'il ne serait donné à cette génération que le signe de Jonas, il montre cependant que l'éclat de la lumière ne devait pas rester caché pour les fidèles. En effet, il a lui-même allumé cette lampe, lorsqu'il a rempli le vase de la nature humaine de la flamme de la divinité ; or, il n'a voulu ni dérober aux fidèles la lumière de cette lampe, ni la mettre sous le boisseau, c'est-à-dire, la renfermer sous la mesure de la loi, ni la restreindre dans les limites étroites du peuple juif, mais il. l'a placée sur le chandelier, c'est-à-dire, sur l'Église, parce qu'il a gravé sur nos fronts la foi à son incarnation, afin que ceux qui veulent entrer dans l'Église conduits par la foi, puissent voir clairement la lumière de la vérité. Enfin, il nous prescrit aussi de purifier avec un soin tout particulier, non seulement nos actions, mais nos pensées et les plus secrètes intentions de notre coeur : " La lampe de votre corps, c'est votre oeil. " - S. AMBR. Ou bien encore, cette lampe c'est la foi, selon ces paroles du Psalmiste : " Votre parole, Seigneur, est comme une lampe devant mes pas. " En effet, la parole de Dieu est notre foi, mais une lampe ne peut donner de lumière qu'autant qu'elle la reçoit d'ailleurs ; c'est ainsi que les facultés de notre esprit et de notre intelligence sont éclairées pour nous aider à retrouver la drachme perdue (Lc 15, 8). Que personne donc ne place la foi sous la loi, car la loi est contenue dans une certaine mesure, mais la grâce ne connaît pas de mesure ; la loi répand des ombres, tandis que la grâce projette de vives clartés. - THEOPHYL. Ou bien, dans un autre sens, comme les Juifs, témoins des miracles de Jésus, en faisaient un sujet d'accusation contre lui, à cause de la malice de leur esprit, Notre-Seigneur leur reproche, que tout en ayant reçu de Dieu une lampe allumée, c'es,t-à-dire l'intelligence, l'envie les aveuglait, au point de méconnaître ses miracles et ses bienfaits. Nous avons donc reçu de Dieu l'intelligence pour la placer sur le chandelier, afin que tous ceux qui entrent voient la lumière. Celui qui est sage est déjà entré, mais celui qui est à l'école de la sagesse, est encore en chemin. Le Sauveur semble donc dire aux pharisiens : Votre intelligence doit vous servir à reconnaître la véritable cause de mes miracles, et à apprendre aux autres que les oeuvres dont vous êtes témoins, ne sont point les oeuvres de Béelzébub, mais les oeuvres du Fils de Dieu. C'est en suivant cette même pensée qu'il ajoute : " Votre oeil est la lumière de votre corps. " - ORIG. Il appelle oeil notre intelligence, et dans un sens métaphorique, il donne le nom de corps à toute notre âme, bien qu'elle soit immatérielle, car c'est par l'intelligence que l'âme tout entière est éclairée.

THEOPHYL. Si l'oeil du corps est lumineux, le corps sera aussi dans la lumière, mais s'il est ténébreux, le corps également sera dans les ténèbres. Ainsi en est-il de l'intelligence par rapport à l'âme, et c'est pour quoi Notre-Seigneur ajoute : " Si votre oeil est simple et pur, tout votre corps sera lumineux, si au contraire votre oeil est mauvais, tout votre corps sera dans les ténèbres. " - ORIG. Car l'intelligence, tant qu'elle l'este fidèle à son principe, ne recherche que la simplicité et ne contient en elle-même ni duplicité, ni ruse, ni division. - S. CHRYS. (hom. 21 sur S. Matth.) Si donc nous laissons corrompre en nous l'intelligence qui devait nous affranchir de nos passions, nous avons fait à toute notre âme une profonde blessure, et l'aveugle perversité de notre intelligence nous plonge dans d'épaisses ténèbres : " Prenez donc garde, ajoute Notre-Seigneur, que la lumière qui est en vous ne soit elle-même de vraies ténèbres. " Il semble parler de ténèbres sensibles, mais ces ténèbres ont une origine extérieure, et nous les portons partout avec nous, dès que l'oeil de notre âme vient à s'éteindre. C'est de la puissance de cet oeil, lorsqu'il est simple et lumineux que Notre-Seigneur veut parler, quand il ajoute : " Si donc votre corps est tout éclairé, n'ayant aucune partie ténébreuse, " etc. - ORIG. C'est-à-dire, si votre corps matériel, lorsqu'il est éclairé par la lumière, devient tout lumineux, de telle sorte qu'il n'y ait plus en vous aucun membre dans les ténèbres, à plus forte raison si vous fuyez le péché, tout votre corps spirituel deviendra si lumineux, que son éclat sera semblable à une lampe qui répand partout sa lumière, alors que la lumière du corps qui, auparavant, était ténébreuse, se trouve dirigée au gré de l'intelligence.

S. GRÉG. DE NAZ. (Lettre 22.) Ou bien encore, la lumière et l'oeil de l'Église, c'est le Pontife ; de même donc qu'un oeil pur et lumineux dirige sûrement tous les pas du corps, tandis qu'un oeil ténébreux l'égare infailliblement ; ainsi le salut ou la ruine de l'Église sont attachés à la conduite bonne ou mauvaise de l'Église.

S. GRÉG. (Mor., 28, 6.) Ou bien enfin, dans un autre sens, le corps figure ici chacune de nos actions qui suit l'intention, comme un oeil qui l'éclaire. Dans ce sens, l'oeil est la lumière de notre corps, parce que la bonne intention rayonnant sur notre action, lui donne tout son éclat. Si donc votre oeil est simple, tout votre corps sera lumineux, parce que si une pensée simple rend votre intention droite, votre action deviendra bonne, quand même l'apparence extérieure serait défavorable. Mais si au contraire votre oeil est mauvais, tout votre corps sera dans les ténèbres, parce qu'une action, même bonne, faite avec une intention mauvaise, est toujours une oeuvre ténébreuse pour celui qui voit et juge l'intérieur, quand même cette action aurait un certain éclat aux yeux des hommes. C'est donc avec raison que Notre-Seigneur ajoute : " Prenez donc garde que la lumière qui est en vous, ne se change en ténèbres, car si même les oeuvres que nous croyons bonnes, se trouvent obscurcies par une intention mauvaise, dans quelles ténèbres seront plongées les oeuvres que nous savons être mauvaises, quand nous les faisons. - BEDE. Lorsque Notre-Seigneur ajoute : " Si donc votre corps est tout éclairé, " etc., par le corps il entend toutes nos oeuvres. Si donc vous faites le bien avec une bonne intention, sans avoir dans votre conscience aucune pensée ténébreuse, alors même que votre bonne action pourrait nuire au prochain ; cependant la droiture de votre coeur vous obtiendra la grâce de Dieu ici-bas, et dans la vie future les splendeurs de la gloire, auxquelles le Sauveur fait allusion dans les paroles suivantes : " Et il vous éclairera comme une lampe éclatante. " C'est surtout contre l'hypocrisie des pharisiens qui venaient astucieusement demander des signes, que ces paroles sont dirigées.

vv. 37-44.
S. CYR. Un pharisien, malgré son opiniâtreté, invite cependant le Sauveur à venir dans sa maison : " Pendant qu'il parlait, un pharisien le pria de venir manger chez lui. " C'est à dessein que saint Luc ne dit pas : Pendant qu'il disait ces choses, pour montrer que ce ne fut pas immédiatement après les enseignements qui précèdent, mais quelque temps après qu'il fut invité à dîner par le pharisien. - S. AUG. (de l'acc. des Evang., 2, 26.) En effet, pour en venir à ce récit, saint Luc s'est sépara de saint Matthieu à cet endroit, où tous deux racontent les enseignements du Seigneur sur le signe de Jonas, la reine du Midi et l'esprit immonde, car saint Matthieu ajoute immédiatement : " Comme il parlait encore à la foule, sa mère et ses frères étaient dehors, cherchant à lui parler. " Saint Luc, au contraire, après avoir rapporté quelques autres paroles du Sauveur, omises par saint Matthieu, s'écarte de l'ordre suivi par cet Évangéliste. - BEDE. Ainsi nous pouvons supposer que lorsque Jésus répond à ceux qui viennent lui annoncer que sa mère et ses frères sont dehors : " Celui qui fait la volonté de Dieu, celui-là est mon frère, et ma soeur, et ma mère, " il était déjà entré sur l'invitation du pharisien dans la salie du festin.

S. CYR. Mais Jésus, qui connaissait la malice des pharisiens, s'applique à les ramener avec une miséricordieuse condescendance, à l'exemple des bons médecins, qui déploient toutes les ressources de leur art pour ceux de leurs malades, dont l'état est plus grave : " Or, Jésus étant entré, se mit à table. " Ce qui donna lieu aux sévères leçons qui suivent sur l'étrange disposition d'esprit de ce pharisien, qui se scandalisait de ce que Jésus, qu'il regardait comme un juste et un prophète, ne se conformait point à leurs coutumes déraisonnables : " Le pharisien commença à dire en lui-même : Pourquoi ne s'est-il pas purifié avant le repas ? "

S. AUG. (serm. 30 sur les par. du Seign.) En effet, les pharisiens se purifiaient chaque jour avant leurs repas par des, ablutions, comme si ces ablutions répétées pouvaient purifier leur coeur. Ce pharisien avait eu cette pensée en lui-même, sans la manifester extérieurement ; mais il ne laissa pas d'être entendu par celui qui pénétrait le fond de son coeur ; " Et le Seigneur lui dit : Vous autres pharisiens, vous purifiez le dehors de la coupe et du plat, mais votre intérieur est plein de rapines et d'iniquité. "

S. CYR. Le Seigneur aurait pu sans doute prendre une autre forme pour instruire ce pharisien insensé ; cependant il saisit l'occasion favorable, et tire ses enseignements de ce qu'il avait sous les yeux. Il était à table à l'heure du repas, et il prend pour objet de comparaison les coupes et les plats, afin de nous apprendre que ceux qui veulent servir Dieu en toute sincérité, doivent être purs, non seulement de toute souillure extérieure, mais de celles qui se cachent dans l'intérieur de l'âme ; de même qu'on doit tenir nets de toute souillure les vases qui servent à l'usage de la table.

S. AMBR. Considérons l'image fidèle de nos corps dans ces objets de terre si fragiles, qu'il suffit de les laisser tomber pour qu'ils se brisent. De même encore que ce qui est dans une coupe paraît au dehors, ainsi toutes les pensées qui s'agitent dans l'intérieur de notre âme se révèlent facilement par les sens et par les actes de notre corps. Aussi n'est-il pas douteux que dans ces paroles qu'il adresse à Pierre dans le jardin des Olives, la coupe ne soit l'emblème de sa passion. Vous voyez donc que ce n'est pas l'extérieur de cette coupe ou de ce plat qui nous souille, mais l'intérieur, suivant ces paroles du Sauveur : " Votre intérieur est plein de rapine et d'iniquité. "

S. AUG. (serm. 30 sur les par. du Seig.) Mais pourquoi Jésus traite-t-il avec si peu d'indulgence un homme qui l'avait invité ? Il se montre bien plus indulgent en lui faisant ce reproche, parce que cette indulgence est appliquée avec prudence et discernement. Il nous enseigne ensuite que le baptême, qu'on ne donne qu'une seule fois, purifie l'âme par la foi ; or, la foi est à l'intérieur et non au dehors, et c'est cette foi que méprisaient les pharisiens, en se purifiant des taches extérieures, tandis que leur intérieur restait plein de souillures ; contradiction que le Sauveur leur reproche par ces paroles : " Insensés, est-ce que celui qui a fait le dehors, n'a pas fait aussi le dedans ? " - BEDE. C'est-à-dire : Celui qui est l'auteur des deux natures de l'homme, veut qu'elles soient toutes deux également pures, paroles qui condamnent les manichéens, qui prétendent que l'âme seule a Dieu pour auteur, et que le corps a été créé par le démon. Elles sont aussi la condamnation de ceux qui détestent comme les plus grands crimes les péchés extérieurs (la fornication, le vol et d'autres péchés semblables), et qui ne tiennent nul cas des péchés spirituels qu'ils regardent comme légers, et que saint Paul n'a pas moins condamnés. (Ga 5.)
S. AMBR. Cependant, Notre-Seigneur, comme un bon maître, nous enseigne comment nous devons nous purifier de ce qui peut souiller notre corps ; " Néanmoins, faites l'aumône de votre superflu, et toutes choses seront pures pour vous. " Vous voyez quels remèdes puissants il met à votre disposition. Il nous donne pour nous purifier la miséricorde, il nous donne la parole de Dieu, comme il le dit lui-même dans saint Jean : " Vous êtes déjà purs à cause de la parole que je vous ai dite. " - S. AUG. (de l'aumône.) Il est miséricordieux lui-même, et c'est pour cela qu'il nous commande de pratiquer la miséricorde ; et comme il veut conserver à jamais ceux qu'il a rachetés à un si grand prix., il enseigne à ceux qui ont perdu la grâce du baptême, comment ils pourront se purifier de leurs souillures. - S. CHRYS. (Ch. des Pèr. gr.) " Donnez l'aumône, " dit-il, et non pas : Donnez le fruit de l'injustice, parce qu'en effet, il y a une aumône qui est pure de toute injustice. Cette aumône purifie toutes choses, et l'emporte sur le jeûne ; car bien que le jeûne soit plus pénible, l'aumône est plus riche en avantages. Elle donne à l'âme de la lumière, de la force, de la bonté, de l'éclat. Celui qui pense à secourir l'indigent, s'éloignera promptement du péché ; car de même qu'un médecin qui prodigue ses soins à un grand nombre de blessés, compatit plus facilement aux souffrances des autres, de même aussi si nous faisons notre occupation de secourir les pauvres, nous mépriserons plus facilement les choses présentes, et nos pensées s'élèveront vers le ciel. L'aumône est donc un remède bien efficace, puisqu'elle peut s'appliquer à toutes les blessures.
BEDE. Notre-Seigneur dit : " Donnez ce qui vous reste, " c'est-à-dire ce qui vous reste de votre nourriture et de votre vêtement ; carie précepte de l'aumône vous impose, non pas l'obligation de vous réduire à la mendicité, mais d'assister le pauvre dans la mesure du possible, après avoir donné à votre corps ce qu'il réclame. Ou bien, il faut entendre ces paroles : " Ce qui reste, " dans ce sens : Le seul remède qui reste à ceux qui sont coupables de tant de crimes, c'est de donner l'aumône. Or, ce précepte embrasse toutes les oeuvres de miséricorde ; car donner l'aumône, ce n'est pas seulement donner du pain à celui qui a faim, ou d'autres secours de ce genre, mais pardonner à celui qui vous offense, prier pour lui, remplir le devoir de la correction, et infliger au besoin une punition salutaire. - THEOPHYL. On peut encore traduire cette parole : Quod superest, par ce qui domine, parce qu'en effet, les richesses dominent les coeurs avides.

S. AMBR. Tout ce magnifique passage a donc pour but de nous inspirer l'amour de la simplicité, et tout ensemble de condamner les jouissances terrestres et les superfluités des Juifs. Et cependant il leur promet aussi la rémission de leurs péchés, s'ils veulent être miséricordieux.

S. AUG. (serm. 30 sur les par. du Seig.) Mais si l'on ne peut être purifié de ses péchés, qu'en croyant en celui qui purifie le coeur par la foi, pourquoi nous dit-il : " Faites l'aumône, et tout sera pur pour vous ? " Examinons attentivement l'explication qu'il nous donne lui-même de cette difficulté. Les pharisiens prélevaient la dixième partie de tous leurs fruits, pour en faire l'aumône, ce que ne font pas ordinairement les chrétiens ; et ils se riaient des reproches que leur adressait le Sauveur, comme s'ils négligeaient le devoir de l'aumône. Jésus, connaissant leurs dispositions, ajoute : " Malheur à vous, pharisiens, qui payez la dîme de la menthe, de la rue, et de toutes les herbes, et qui négligez la justice et l'amour de Dieu ! Il fallait faire ces choses, et ne pas omettre les autres. " En agissant de la sorte, vous ne faites pas l'aumône ; car faire l'aumône, c'est pratiquer la miséricorde, si donc vous comprenez bien cette vérité, commencez par vous-même ; car comment serez-vous miséricordieux pour les autres, si vous êtes cruel pour vous-même ? Écoutez la sainte Écriture qui vous dit : " Ayez pitié de votre âme, en cherchant à plaire à Dieu. " (Si 30, 24.) Rentrez dans votre conscience, vous qui vivez dans le vice ou dans l'infidélité, et vous y trouverez votre âme réduite à la mendicité, ou peut-être réduite au silence par son indigence même. Donnez donc l'aumône à votre âme en toute justice et en toute charité. Qu'est-ce que vous commande la justice ? De vous déplaire à vous-même. Comment remplir le devoir de la charité ? Aimez Dieu, aimez le prochain. Si vous négligez de faire cette aumône, quel que soit d'ailleurs votre amour, vous ne faites rien, puisque vous ne faites rien pour vous-même.
S. CYR. Ou bien encore, ces paroles sont une censure de la conduite des pharisiens, qui ne recommandaient à ceux qu'ils dirigeaient que l'observation stricte des préceptes qui étaient pour eux une source de revenus abondants, c'est ainsi qu'ils n'oubliaient aucune des plus petites herbes, tandis qu'ils négligeaient d'exciter au devoir de la charité envers Dieu, et de la justice exacte à l'égard des autres. - THEOPHYL. Par là même qu'ils méprisaient Dieu, ils traitaient avec négligence les choses sacrées ; il leur recommande donc l'amour de Dieu, en y ajoutant le devoir de la justice, il leur enseigne indirectement l'amour du prochain ; car le juste jugement que l'on porte du prochain, ne peut venir que d'un véritable amour pour lui. - S. AMBR. Ou bien encore, il leur recommande le jugement, parce que toutes leurs actions n'étaient pas conformes aux règles de la justice ; et la charité, parce qu'ils n'aimaient pas Dieu d'un véritable amour. Cependant comme il ne veut pas que nous n'ayions de zèle que pour la foi, sans nous occuper des oeuvres, il résume en une courte maxime la perfection de l'homme fidèle, perfection qui exige le concours de la foi et des oeuvres : " Il fallait, dit-il, faire ces choses, et ne pas omettre les autres. " - S. CHRYS. (Hom. 74 sur S. Matth.) Lorsqu'il a parlé des purifications en usage chez les Juifs, il s'est bien gardé de dire rien de semblable ; mais comme la dîme était une espèce d'aumône, et que le temps de l'abolition définitive des pratiques légales n'était pas encore venu, il leur dit : " Il fallait faire ces choses. "
S. AMBR. Le Sauveur combat ensuite les orgueilleuses prétentions des Juifs qui recherchaient les premières places : " Malheur à vous, pharisiens, qui aimez les premières places, " etc. - S. CYR. En leur adressant ce reproche, Notre-Seigneur veut nous rendre meilleurs. Il veut détruire en nous tout germe d'ambition, et nous apprendre à ne pas poursuivre l'apparence au lieu de la réalité, ce que faisaient alors les pharisiens. En effet, que nous soyons salués par les hommes, que nous soyions même à leur tête, ce n'est pas une preuve que nous en soyons dignes ; car combien en est-il qui obtiennent ces avantages, tout mauvais qu'ils sont ? Aussi, Notre-Seigneur s'empresse-t-il d'ajouter : " Malheur à vous qui êtes comme des sépulcres qui ne paraissent pas. " Car en désirant être salués par les hommes, et être mis à leur tête pour obtenir une vaine réputation de grandeur, ils ressemblent à des sépulcres, au dehors, ils brillent par les ornements, dont ils sont couverts ; au dedans, ils sont pleins de corruption. - S. AMBR. Semblables encore à des sépulcres qui ne paraissent pas ce qu'ils sont en réalité, ils séduisent par leurs apparences, et trompent les regards des passants : " Et les hommes marchent dessus sans le savoir, " c'est-à-dire qu'au dehors ils ne font paraître que magnificence, tandis qu'au dedans, ils sont pleins de pourriture. - S. CHRYS. (hom. 74.) Que les pharisiens fussent semblables à des sépulcres, rien de surprenant ; mais que nous-mêmes, qui avons été jugés dignes de devenir les temples de Dieu, nous devenions tout d'un coup des sépulcres remplis de corruption, c'est le comble de la misère.
S. CYR. (Ch. des Pèr. gr., et contre Jul.) Julien l'Apostat conclut de ces paroles, que nous devons fuir les sépulcres que Jésus-Christ lui-même a déclarés immondes, mais il n'a point compris le sens et la portée des paroles du Sauveur, qui n'a point commandé de fuir toute communication avec les sépulcres, mais qui a comparé à des sépulcres le peuple hypocrite des pharisiens.

vv. 45-54.
S. CYR. Les reproches qui rendent meilleurs les esprits humbles et doux, sont ordinairement insupportables aux hommes superbes, c'est ainsi que pour avoir repris les pharisiens de s'écarter du droit chemin, le Sauveur indispose contre lui tout le corps des docteurs de la loi : " Alors un des docteurs de la loi, prenant la parole, lui dit : Maître, en parlant de la sorte, vous nous outragez aussi. " - BEDE. Qu'elle est misérable la conscience qui se croit offensée de la parole de Dieu qu'elle entend, et qui voit toujours sa condamnation dans les châtiments dont les méchants sont menacés !
THEOPHYL. Les docteurs de la loi étaient différents des pharisiens, car les pharisiens étaient des hommes qui se séparaient des autres pour affecter une apparence de religion plus sévère ; les docteurs de la loi étaient chargés d'en expliquer les difficultés. - S. CYR. Or, c'est contre les docteurs de la loi que Jésus dirige ces sévères reproches, pour abaisser leurs vaines et orgueilleuses prétentions : " Et il leur dit : Malheur à vous aussi, docteurs de la loi, qui chargez les hommes, " etc. Il se sert pour les accuser d'une comparaison frappante. La loi était très-onéreuse pour les Juifs, comme l'avouent les disciples de Jésus-Christ. Or, ces docteurs de la loi, réunissant comme en un faisceau tous les préceptes de la loi, en chargeaient ceux qui leur étaient soumis, tandis qu'ils n'en tenaient eux-mêmes aucun compte. - THEOPHYL. Or, chaque fois qu'un docteur pratique ce qu'il enseigne, il allége le fardeau pour ses disciples, en se donnant lui-même pour exemple, mais quand il ne fait rien de ce qu'il enseigne, le fardeau leur parait lourd et insupportable, puisque le docteur lui-même refuse de le porter.
BEDE. Ils méritaient bien de s'entendre reprocher qu'ils ne voulaient pas même toucher du bout du doigt le fardeau de la loi, c'est-à-dire qu'ils n'en observaient pas même les moindres prescriptions, puisque contrairement aux exemples de leurs pères, ils prétendaient observer et faire observer la loi sans la foi et la grâce de Jésus-Christ.
S. GREG. DE NYSSE. Nous en voyons ainsi beaucoup qui, juges sévères pour les pécheurs, et faibles athlètes pour les combats de la vertu ; tout à la fois législateurs impitoyables, et observateurs négligents, ils refusent même de s'approcher de la vertu pour essayer de la pratiquer, tandis qu'ils l'exigent sans pitié de ceux qui leur sont soumis.

S. CYR. Après avoir condamné les dures pratiques imposées par les docteurs de la loi, le Sauveur étend ses reproches à tous les principaux d'entre les Juifs : " Malheur à vous, qui bâtissez des tombeaux aux prophètes, et vos pères les ont tués ! " - S. AMBR. Rien de plus fort que ce passage contre la vaine superstition des Juifs qui, en élevant des tombeaux aux prophètes, condamnaient la conduite de leurs pères, tandis qu'ils se rendaient dignes des mêmes châtiments en imitant leurs crimes, car ce qu'il leur reproche, ce n'est pas d'élever des tombeaux, mais d'imiter les crimes de leurs pères. C'est pour cela qu'il ajoute : " Vous témoignez bien que vous consentez aux oeuvres de vos pères. " - BEDE. En effet, pour capter la faveur du peuple, ils feignaient d'avoir en horreur l'impiété de leurs pères, en décorant avec magnificence les tombeaux des prophètes qu'ils avaient mis à mort ; mais ils prouvaient assez par leurs oeuvres qu'ils étaient complices de l'iniquité de leurs pères, en poursuivant de leurs outrages le Seigneur prédit par les prophètes : " C'est pourquoi, ajoute-t-il, la sagesse de Dieu a dit : Je leur enverrai des prophètes et des apôtres, et ils tueront les uns et poursuivront les autres. " - S. AMBR. La sagesse de Dieu, c'est Jésus-Christ. Nous lisons d'ailleurs dans saint Matthieu : " Voici que je vous envoie des prophètes et des sages. " - BEDE. Si donc c'est la sagesse de Dieu qui a envoyé les prophètes et les Apôtres, que les hérétiques cessent donc de prétendre que le Christ ne tire son origine et son existence que de la Vierge ; qu'ils ne disent plus que le Dieu de la loi et des prophètes est différent du Dieu du Nouveau Testament. Les Apôtres, dans leurs écrits, donnent, il est vrai, le nom de prophètes, non seulement à ceux qui ont prédit longtemps d'avance l'incarnation de Jésus-Christ, mais à ceux qui annoncent les joies futures du royaume des cieux. Cependant je ne pense pas que ces prophètes doivent être placés à un rang supérieur à celui des Apôtres.

S. ATHAN. (Apolog. 1, sur sa fuite.) S'ils font mourir ceux qui leur sont envoyés, la mort des victimes criera plus haut contre eux ; s'ils les persécutent, ils donneront plus d'éclat et d'étendue aux témoignages de leur iniquité. En effet, la fuite de ceux qui souffrent persécution, augmente et atteste le crime de leurs persécuteurs ; car on ne fuit pas celui qui est ami de la piété et de la douceur, mais bien plutôt celui dont l'âme est cruelle et les instincts mauvais. Notre-Seigneur ajoute : " Afin qu'on redemande à cette génération le sang de tous les prophètes qui a été répandu depuis la création du monde. " - BEDE. Mais comment le sang de tous les prophètes et de tous les justes est-il redemandé à une seule génération des Juifs, alors qu'un grand nombre de saints, soit avant soit après l'incarnation, ont été mis à mort par d'autres peuples ? Nous répondons que l'Écriture a coutume de diviser les hommes en deux générations, la génération des bons, et la génération des méchants. - S. CYR. Ainsi, bien que le Sauveur dise d'une manière indicative : " On redemandera à cette génération, " il embrasse dans sa pensée, non seulement ceux qui étaient présents et qui l'entendaient, mais tous les homicides, car ceux qui se ressemblent méritent d'être tous confondus. - S. CHRYS. (hom. 75, sur S. Matth.) D'ailleurs s'il prédit aux Juifs des châtiments plus sévères, c'est en toute justice, car ils ont surpassé les crimes des autres peuples, et n'ont été convertis par aucun des exemples des siècles passés ; mais la vue des crimes et des châtiments de leurs pères, loin de les rendre meilleurs, ne les a pas empêchés de se livrer aux mêmes crimes. Le Sauveur ne veut donc pas dire ici qu'ils seront châtiés pour les crimes des autres.

THEOPHYL. Le Seigneur montre ensuite que les Juifs étaient héritiers de la malice de Caïn, en ajoutant : " Depuis le sang d'Abel jusqu'au sang de Zacharie, " etc. Abel, en effet, fut tué par Caïn, " et Zacharie que les Juifs firent périr entre l'autel et le temple, " est, suivant quelques-uns, le patriarche Zacharie fils du grand prêtre Joïadas (2 Par 24). - BEDE. Il n'y a rien d'étonnant que le Sauveur dise : " Depuis le sang d'Abel, " qui a été le premier martyr, mais pourquoi : " Jusqu'au sang de Zacharie, " bien qu'un grand nombre après lui aient été mis à mort, avant la naissance de Jésus-Christ, et que peu de temps après ait eu lieu le massacre des Innocents. N'est-ce point peut-être parce qu'Abel était pasteur de brebis, et Zacharie grand prêtre, et que l'un fut mis à mort au milieu des champs, et l'autre dans le temple, et que les deux classes de martyrs, les laïques et les prêtres voués au service des autels nous sont représentés par ces deux noms ?

S. GREG. DE NYSS. (Disc. sur la naiss. de J.-C.) Suivant quelques auteurs, Zacharie, père de Jean, ayant connu par l'esprit de prophétie le mystère de la virginité inaltérable de la Mère de Dieu, ne l'exclut point de la partie du temple réservée aux vierges, afin de montrer que la puissance du Créateur pouvait manifester une naissance nouvelle, qui ne ferait point perdre à celle qui enfanterait l'éclat de sa virginité. Or, cet endroit se trouvait entre l'autel et la partie du temple où était placé l'autel d'airain, et c'est pour cela qu'il fut mis à mort en cet endroit. On dit encore, que les Juifs ayant appris l'avènement prochain du Roi du monde, et craignant qu'il ne les soumît à son empire, se jetèrent sur celui qui annonçait sa naissance, et massacrèrent le grand prêtre dans le temple. - S. GREG. ou GEOMET. On donne encore une autre cause de la mort de Zacharie, lorsqu'eut lieu le massacre des innocents ; Jean-Baptiste devait être mis à mort avec les enfants de son âge, mais Elisabeth s'enfuit dans le désert pour arracher son fils à une mort certaine, et alors les satellites d'Hérode ne trouvant ni Elisabeth ni l'enfant, tournèrent leur rage contre Zacharie, et le massacrèrent pendant qu'il remplissait dans le temple les fonctions de son ministère.
" Malheur à vous, docteurs de la loi, parce que vous avez pris la clef de la science ! " - S. BAS. (sur Is dis. 1.) Cette parole " Malheur, " qui annonce d'intolérables douleurs, s'applique bien à ceux qui devaient être bientôt livrés mi plus redoutable supplice. - S. CYR. Or, la clef de la science, c'est la loi elle-même qui était une ombre et une figure de la justice du Christ. C'était donc un devoir pour les docteurs de la loi, de scruter avec soin la loi de Moïse et les oracles des prophètes, et d'ouvrir pour ainsi dire, au peuple Juif, les portes de la connaissance du Christ. Mais bien loin de le faire, ils contestaient la divinité de ses miracles, et s'élevaient contre son enseignement en disant au peuple : " Pourquoi l'écoutez-vous ? " C'est ainsi qu'ils ont pris ou enlevé la clef de la science : Notre-Seigneur ajoute : " Vous n'êtes pas entrés vous-mêmes, et ceux qui entraient, vous les en avez empêchés. " La foi est aussi la clef de la science, car c'est par la foi qu'on arrive à la connaissance de la vérité, selon ces paroles du prophète Isaïe : " Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez point. " Les docteurs de la loi prirent donc la clef de la science, en ne permettant pas aux hommes de croire en Jésus-Christ. - S. AUGUST. (quest. évang., 2, 23.) La clef de la science est encore l'humilité de Jésus-Christ, que les docteurs de la loi ne voulurent ni comprendre par eux-mêmes, ni laisser comprendre aux autres. - S. AMBR. Sous le nom des Juifs, le Sauveur condamne encore et menace des supplices éternels ceux qui s'arrogeant injustement l'enseignement de la connaissance de Dieu, empêchent les autres d'y parvenir, et ne connaissent point eux-mêmes ce qu'ils enseignent.

S. AUG. (De l'accord. des Evang., 2, 75.) Saint Matthieu place ce discours de Notre-Seigneur lorsqu'il fut entré dans la ville de Jérusalem, tandis que d'après saint Luc, Notre-Seigneur se dirigeait alors vers Jérusalem. Je pense donc que Notre-Seigneur fit deux discours semblables, dont l'un a été rapporté par saint Matthieu, et l'autre par saint Luc.

BEDE. Les pharisiens et les docteurs de la loi attestent eux-mêmes combien étaient fondés ces reproches d'incrédulité, de dissimulation et d'impiété, puisque loin de revenir à de meilleurs sentiments, ils dressent des embûches au divin Docteur de la vérité : " Comme il leur disait ces choses, les pharisiens et les docteurs de la loi commencèrent à le presser vivement, " etc. - S. CYR. Le mot presser, insister veut dire faire des instances, ou menacer, ou faire violence. Ils se mirent aussi à l'interrompre en lui adressant une multitude de questions : " Et ils commencèrent à l'accabler d'une multitude de questions. " - THEOPHYL. En effet, lorsque plusieurs hommes se réunissent pour accabler un seul homme d'un grand nombre de questions de différente nature, il ne peut répondre à tous à la fois, et les insensés l'accusent d'hésitation ou d'ignorance. Tel était le piége qu'ils lui tendaient dans leur malice, mais ils cherchaient en outre à l'accabler, c'est-à-dire, à l'exciter à dire quelque chose qui leur donnât lieu de le condamner. " Lui tendant des pièges, et cherchant à surprendre quelque parole de sa bouche pour l'accuser. " Après avoir dit qu'ils voulaient l'accabler, l'Évangéliste ajoute qu'ils voulaient surprendre ou arracher quelque parole de sa bouche. En effet, ils l'interrogeaient, tantôt sur la loi, pour l'accuser de blasphème contre Moïse ; tantôt sur César, pour l'accuser d'être un conspirateur et un ennemi de la majesté de César.