CATANA AUREA SUR SAINT LUC
ÉVANGILE DE SAINT LUC PAR SAINT THOMAS
SAINT THOMAS D'AQUIN CATENA AUREA SUR SAINT LUC
CHAPITRE
XVIII
vv. 1-8.
THEOPHYL. Après avoir prédit les persécutions et les souffrances
qui attendent ses disciples, Notre-Seigneur en indique le remède, c'est-à-dire
une prière continuelle et attentive : " Il leur disait encore cette
parabole, " etc. - S. CHRYS. Celui qui vous a racheté vous enseigne
ici ce que vous devez faire. Il ne veut point que vous cessiez de prier, il
veut que vous méditiez les bienfaits qui sont l'objet de votre prière,
il veut que vous soyez redevable à la prière des grâces
que sa bonté désire vous accorder. Comment pourrait-il ne pas
exaucer les prières qu'on lui adresse, alors qu'il nous presse par sa
miséricorde, de rendre notre prière continuelle ? Recevez donc
avec amour ces, exhortations du Seigneur, sa volonté doit être
la règle de votre conduite dans ce qu'elle commande comme dans ce qu'elle
défend. D'ailleurs considérez quel, honneur vous est accordé
de vous entretenir dans la prière avec Dieu, et de pouvoir lui demander
tout ce que vous désirez, car si vous n'entendez pas sa voix, il vous
répond cependant par les bienfaits qu'il vous accorde. Il ne dédaigne
point vos demandes, il n'en témoigne aucun ennui, votre silence seul
lui fait peine. - BEDE. Celui-là prie toujours et ne cesse point de prier,
qui est fidèle à la prière canoniale aux diverses heures
de la journée ; on peut dire encore que tout ce que le juste fait, ou
dit conformément à la volonté de Dieu, peut être
assimilé à une prière. - S. AUG. (Quest. évang.,
2, 45.) Tantôt le Seigneur tire ses paraboles d'une similitude, comme
dans la parabole du créancier qui, ayant remis à ses deux débiteurs
ce qu'ils lui devaient, fut plus aimé de celui à qui il avait
remis une plus forte dette. (Lc 7.) Tantôt il s'appuie sur une opposition,
comme dans ces paroles : " Si Dieu revêt ainsi l'herbe des champs
qui, aujourd'hui est, et qui demain sera jetée dans le four, combien
aura-t-il plus soin de vous vêtir, hommes de peu de foi ? " (Mt 6.)
L'exemple de ce juge impie n'est point un exemple de ressemblance mais bien
d'opposition : " Il y avait dans certaine ville un juge, " etc. -
THEOPHYL. Voyez comme l'insolence à l'égard des hommes est un
indice de souveraine méchanceté. La plupart, en effet, sans craindre
Dieu, sont cependant retenus par la crainte des hommes, et sont moins sujets
au péché. Mais lorsqu'un homme perd toute pudeur même à
l'égard des hommes, alors les vices sont bientôt à leur
comble.
" Dans cette même ville était une veuve, " etc. - S.
AUG. (Quest. évang.) Cette veuve peut être considérée
comme la figure de l'Église, laquelle est dans la désolation jusqu'à
l'avènement du Seigneur, qui la couvre ici-bas de sa protection mystérieuse.
La prière que cette femme adresse au juge : " Faites-moi justice
de mon adversaire, " nous porte à demander pour quel motif les élus
de Dieu lui demandent vengeance, comme font les martyrs dans l'Apocalypse de
saint Jean (Ap 6), bien qu'il nous soit expressément recommandé
de prier pour nos ennemis et nos persécuteurs. Il faut donc comprendre
que cette vengeance des justes a pour objet la destruction des méchants.
Or, cette destruction peut se faire de deux manières, ou par le retour
des méchants à la justice, ou par le châtiment qui leur
ôte le pouvoir de faire le mal. En supposant que tous les hommes se convertissent
à Dieu, resterait encore le démon qui doit être condamné
à la fin du monde, et comme les justes désirent ardemment que
cette fin du monde arrive, on conçoit qu'ils désirent aussi d'être
vengés de leur mortel ennemi. - S. CYR. Dans un autre sens, on peut dire
que toutes les fois qu'une injure s'adresse à nous, nous devons tenir
à honneur d'oublier le mal qu'on nous fait ; mais lorsque ceux qui font
la guerre aux ministres de la vérité divine dirigent leurs outrages
contre Dieu lui-même, nous invoquons alors le secours de Dieu, et nous
lui demandons hautement vengeance contre les ennemis de sa gloire.
S. AUG. (Quest. évang.) Les instances persévérantes de
cette femme triomphèrent de ce juge d'iniquité et le déterminèrent
à lui accorder ce qu'elle demandait : " Mais enfin il dit à
lui-même : Quoique je ne craigne pas Dieu, et que je me soucie peu des
hommes, " etc. Quelle certitude bien plus grande doivent avoir ceux qui
prient avec persévérance le Dieu, qui est la source de la justice
et de la miséricorde ? " Vous entendez, ajouta le Seigneur, ce que
dit ce juge inique. " - THEOPHYL. Comme s'il disait : Si la persévérance
de cette femme a pu fléchir ce juge pétri de tous les crimes,
combien plus facilement nos prières pourront-elles fléchir en
notre faveur le Dieu de toute miséricorde. " Et Dieu ne vengerait
pas bientôt ses élus qui, jour et nuit, crient vers lui, et il
différerait de les secourir ? Je vous le dis, il les vengera bientôt.
" Il en est qui ont donné de cette parabole une interprétation
plus subtile que fondée. ils prétendaient que cette femme est
toute âme qui s'est séparée de son premier époux
(c'est-à-dire du démon), lequel se déclare son adversaire,
parce qu'elle s'approche de Dieu, le juste Juge par excellence, qui ne peut
craindre Dieu, puisqu'il est le seul Dieu, ni les hommes, parce qu'il ne fait
pas acception de personne. Or, Dieu, touché de la prière persévérante
de cette veuve, c'est-à-dire de l'âme qui le supplie, étend
sur elle sa miséricorde et la défend contre le démon.
Après avoir enseigné la nécessité et l'utilité
de la prière à la fin des temps pour échapper aux dangers
qui surviendront alors, le Sauveur ajoute : " Mais quand le Fils de l'homme
viendra, pensez-vous qu'il trouve de la foi sur la terre ? " - S. AUG.
(serm. 36 sur les par. du Seig.) Notre-Seigneur veut parler ici de la foi parfaite,
à peine la trouve-t-on sur la terre ; l'Église de Dieu est remplie
de fidèles, qui pourrait y entrer sans avoir la foi ? et si la foi était
parfaite, qui ne transporterait les montagnes ? - BEDE. Or, lorsque le Créateur
tout-puissant apparaîtra sous la forme du Fils de l'homme, les élus
seront en si petit nombre, que la ruine du monde sera comme accélérée,
moins par les instantes prières des fidèles que par l'indifférence
et la tiédeur des autres. Le Sauveur semble parler ici sous une forme
dubitative, mais ne nous y trompons pas, ce n'est pas un doute, c'est un reproche
qu'il exprime. C'est ainsi que nous-mêmes, dans les choses que nous tenons
pour certaines, nous employons la forme dubitative, par exemple lorsque nous
disons à un de nos serviteurs : " Faites-y attention, ne suis-je
pas votre maître ? " - S. AUG. (Comme précéd.) Notre-Seigneur
a voulu ajouter cet avertissement pour nous apprendre que si la foi s'éteint,
la prière cesse elle-même d'exister. Croyons donc pour assurer
le succès de nos prières, et prions pour que notre foi ne vienne
pas à faiblir. La foi produit la prière, et la prière à
son tour obtient l'affermissement de la foi.
vv. 9-14.
S. AUG. (serm. 36 sur les par. du Seig.) Comme la foi ne peut être donnée
aux orgueilleux, mais qu'elle est le partage des humbles ; à la parabole
qui précède, Notre-Seigneur en ajoute une autre, pour recommander
l'humilité et condamner l'orgueil : " Il dit encore cette parabole
pour quelques-uns qui se confiaient en eux-mêmes, " etc.
THEOPHYL. L'orgueil est de toutes les passions celle qui tourmente le plus le
coeur des hommes, aussi le Sauveur en fait-il plus souvent la matière
de ses enseignements. Or, l'orgueil est le mépris de Dieu, car toutes
les fois qu'on s'attribue à soi-même le bien qu'on fait, au lieu
d'en renvoyer à Dieu la gloire, c'est une véritable négation
de Dieu (cf. Jb 31, 27). Cette parabole est donc à l'adresse de ceux
qui se confient en eux-mêmes, ne renvoient pas à Dieu la gloire
de leurs bonnes oeuvres, et qui, pour cela, n'ont que du mépris pour
les autres. Notre-Seigneur veut nous y apprendre que lors même que la
justice approcherait l'homme de Dieu, si elle est entachée d'orgueil,
elle le précipite dans l'abîme : " Deux hommes montèrent
au temple, " etc.
ASTER. (Ch. des Pèr. gr.) Notre-Seigneur nous a enseigné le zèle
pour la prière par la parabole de la veuve et du juge, il nous apprend
par l'exemple du pharisien et du publicain, quelles doivent être les conditions
de nos prières, si nous ne voulons qu'elles soient frappées de
stérilité, car le pharisien fut condamné pour avoir mal
prié : " Or, le pharisien se tenant debout, priait ainsi en lui-même.
" - THEOPHYLACTE. Sa contenance seule indique une âme superbe, et
son attitude trahit un orgueil excessif. - S. BAS. (sur Is 2.) " Il faisait
en lui-même cette prière, " c'est-à-dire qu'il ne l'adressait
pas à Dieu, parce que dans son orgueil il n'envisageait que lui-même
: " Mon Dieu, je vous rends grâces. " - S. AUG. (serm. 36 sur
les par. du Seig.) Ce qui est répréhensible dans la conduite de
ce pharisien, ce n'est pas de rendre grâces à Dieu, mais de ce
qu'il semblait ne plus rien désirer pour lui-même. Vous êtes
donc parfait, vous avez tout en abondance, vous n'avez plus besoin de dire :
" Remettez-nous nos dettes. " Quel crime n'est-ce pas de combattre
la grâce avec impiété, puisque cet homme est coupable pour
avoir rendu grâces avec orgueil. Écoutez donc, vous qui dites :
C'est Dieu qui m'a fait homme, c'est moi-même qui me fais juste. Ah !
vous êtes pire que le pharisien, et votre orgueil plus détestable
que le sien. Son orgueil le portait à se proclamer juste, mais cependant
il en rendait grâces à Dieu.
THEOPHYL. Considérez attentivement toute la suite de sa prière.
Il énumère d'abord les défauts dont il est exempt, puis
les vertus qu'il croyait avoir : " Je vous rends grâces de ce que
je ne suis pas comme le reste des hommes, " etc. - S. AUG. (comme précéd.)
S'il disait seulement : Je ne suis pas comme un grand nombre d'hommes. Mais
qu'est-ce que le reste des hommes ? Tous les hommes, excepté lui seul.
Pour moi, dit-il, je suis juste, tous les autres sont pécheurs.
S. GREG. (Moral., 4, 23.) L'orgueil des âmes arrogantes se manifeste sous
quatre formes différentes : ou elles s'imaginent que le bien qui est
en elles vient d'elles-mêmes ; ou elles attribuent à leurs mérites
personnels de l'avoir reçu de Dieu, ou elles se vantent de vertus qu'elles
n'ont point, ou enfin elles veulent qu'on ne soit occupé que du bien
qu'elles peuvent faire et qu'on n'ait que du mépris pour les autres.
C'est ainsi que le pharisien n'attribue qu'à lui seul le mérite
de ses bonnes oeuvres. - S. AUG. Mais voici que le publicain qui était
près de lui, devient pour lui l'occasion d'un plus grand orgueil : "
De ce que je ne suis pas comme ce publicain, " comme s'il disait : Je suis
seul de mon côté, celui-ci est du reste des hommes. - S. CHRYS.
(Disc. sur le phar. et le publ.) Le genre humain tout entier n'avait pu assouvir
ce désir de mépris, il faut qu'il s'attaque à ce publicain.
Son péché eût été moins grand s'il eût
excepté le publicain ; mais au contraire, d'une seule parole il s'en
prend aux absents, et rouvre les blessures de celui qu'il a sous les yeux. Or,
l'action de grâces n'est pas une invective contre le prochain, si vous
rendez sérieusement grâces à Dieu, ne vous occupez que de
lui seul, sans tourner vos regards du côté des hommes pour condamner
votre prochain. - S. BAS. (comme précéd.) L'orgueilleux ne diffère
de celui qui insulte que par l'extérieur ; celui-ci abaisse les autres
par ses outrages, celui-là s'élève au-dessus par les efforts
présomptueux de son âme. - S. CHRYS. (comme précéd.)
Or, celui qui outrage son prochain, se nuit considérablement en même
temps qu'il fait beaucoup de mal aux autres. D'abord il rend plus mauvais celui
qui l'écoute. Est-il pécheur, il est dans la joie d'avoir trouvé
un complice de ses péchés. Est-il juste, les fautes des autres
le portent à avoir de lui une meilleure opinion. Secondement, il fait
tort à la société de l'Église, car ceux qui sont
témoins de ces outrages, ne blâment pas seulement celui qui s'en
rend coupable, mais ils comprennent la religion chrétienne elle-même
dans leur condamnation et leurs mépris. Troisièmement, il est
cause que la gloire de Dieu est blasphémée, car nos péchés
font blasphémer le nom de Dieu, de même que nos bonnes oeuvres
le font glorifier. Quatrièmement, il couvre de confusion celui à
qui s'adressent les outrages, le rend plus inconsidéré et s'en
fait un ennemi. Cinquièmement, il se rend digne de châtiment pour
avoir proféré des paroles outrageantes et coupables.
THEOPHYL. Mais il ne suffit pas d'éviter le mal, il faut encore faire
le bien. Aussi après avoir dit : " Je ne suis pas comme le reste
des hommes, voleurs, injustes, adultères ; " il ajoute par opposition
: " Je jeûne deux fois la semaine, " (dans le sabbat.) Les Juifs
donnaient à la semaine le nom de sabbat, de son dernier jour qui était
un jour de repos. Or, les pharisiens jeûnaient le second et le cinquième
jour. Ce pharisien oppose donc ses jeûnes à la passion de l'adultère,
car la dissolution vient de la sensualité. Aux voleurs et à ceux
qui commettent des injustices, il oppose le paiement fidèle de la dîme
: " Je donne la dîme de tout ce que je possède, " comme
s'il disait : Je suis si éloigné des rapines et des injustices,
que je distribue mon propre bien. - S. GREG. (Moral., 19, 42.) C'est ainsi que
par son orgueil, ce pharisien a ouvert la cité de son coeur aux ennemis
qui l'assiégeaient ; vainement il l'a fermée par les jeûnes
et la prière, vainement il a fortifié tous les autres côtés,
puisqu'il a laissé sans défense l'endroit ouvert par lequel l'ennemi
peut entrer dans la place.
S. AUG. (comme précéd.) Cherchez dans ses paroles, vous n'en trouverez
aucune qui soit l'expression d'une prière à Dieu. Il était
monté au temple pour prier, mais au lieu de prier effectivement, il a
préféré se louer lui-même et insulter celui qui priait.
Quant au publicain, le sentiment de sa conscience le tenait éloigné,
mais sa piété le rapprochait de Dieu : " Le publicain se
tenant éloigné, " etc. - THEOPHYL. Bien que le publicain
nous soit représenté comme se tenant debout, il différait
cependant du pharisien par son langage autant que par son attitude et le repentir
de son âme. Il n'osait lever les yeux vers le ciel, il les jugeait indignes
de contempler les choses d'en haut, parce qu'ils avaient préféré
regarder et chercher les choses de la terre. Il frappait encore sa poitrine,
comme le remarque le Sauveur, meurtrissant pour ainsi dire son coeur pour le
punir de ses mauvaises pensées et le réveiller de son sommeil.
Aussi n'a-t-il recours qu'à la miséricorde de Dieu : " Mon
Dieu, ayez pitié de moi, qui ne suis qu'un pécheur. " - S.
CHRYS. Il a entendu le pharisien dire : " Je ne suis pas comme ce publicain
; " loin d'en concevoir de l'indignation, il s'en humilié avec compassion
; le pharisien a découvert la blessure, il en cherche la guérison.
Que personne donc ne prononce cette froide parole : Je n'ose, j'ai trop de honte,
je ne puis ouvrir la bouche. Cette crainte est diabolique, le démon veut
vous fermer les portes qui donnent accès auprès de Dieu.
S. AUG. (serm. 36, sur les par. du Seign.) Pourquoi vous étonner que
Dieu pardonne au publicain, puisqu'il se juge lui-même ? Il se tenait
éloigné, mais néanmoins il s'approchait de Dieu, et le
Seigneur était près de lui attentif à ses paroles, car
le Dieu très-haut abaisse ses regards sur les humbles. Il ne levait pas
les yeux vers le ciel, il ne regardait point pour mériter d'être
regardé. Sa conscience l'accablait, l'espérance le relevait, il
frappait sa poitrine, il se punissait lui-même ; aussi le Seigneur lui
pardonnait-il les péchés qu'il confessait si humblement. Vous
avez entendu l'orgueilleux accusateur, vous avez entendu l'humble coupable,
écoutez maintenant la sentence du juge : " Je vous le dis, celui-ci
s'en retourna justifié dans sa maison, et non pas l'autre. "
S. CHRYS. (hom. sur la nat. incompréh. de Dieu.) Cette parabole nous
représente deux chars et deux conducteurs dans une arène, l'un
porte la justice unie à l'orgueil, l'autre le péché avec
l'humilité ; et vous voyez le char du péché dépasser
celui de la justice, non par ses propres forces, mais par la vertu de l'humilité
qui lui est unie, tandis que le char de la justice reste en arrière,
retardé non par la faiblesse de la justice, mais par la masse pesante
de l'orgueil. En effet, de même que l'humilité par son élévation
et son excellence triomphe du poids du péché, et s'élance
pour atteindre Dieu ; ainsi l'orgueil par sa masse pesante entrave facilement
la marche de la justice. Ainsi quand vous auriez fait un grand nombre d'actions
vertueuses, si elles sont pour vous un sujet de vaine présomption, vous
avez perdu tout le fruit de votre prière, elle est tout à fait
stérile pour vous. Au contraire, votre conscience fût-elle chargée
d'une multitude innombrable de fautes, si vous vous estimez le dernier de tous,
vous pourrez vous présenter devant Dieu avec une grande confiance. Notre-Seigneur
donne la raison de la sentence qu'il vient de prononcer " Car quiconque
s'exalte sera humilié, et quiconque s'humilie sera exalté. "
Le nom d'humilité s'applique à plusieurs choses toutes différentes.
Il y a la vertu d'humilité que nous voyons dans ces paroles : "
Mon Dieu, vous ne rejetterez pas un coeur contrit et humilié " (Ps
50) ; il y a l'humilité produite par les tribulations : " Il a humilié
mon âme jusqu'à terre. " (Ps 142.) Il y a l'humilité
ou l'humiliation qui est la suite du péché, de l'orgueil, du désir
insatiable des richesses, car quelle humiliation plus profonde que celle de
ces hommes qui se rendent esclaves, qui s'abaissent et s'avilissent dans la
recherche des honneurs et des richesses, et qu iles regardent comme le comble
de la grandeur ? - S. BAS. (sur Is 2.) Il y a aussi une fierté louable,
c'est celle de l'âme qui dédaigne de penser aux choses de la terre,
et qui s'élève avec noblesse jusqu'à la hauteur de la vertu.
Cette grandeur d'âme consiste à dominer les chagrins, à
faire preuve de courage dans les tribulations, à mépriser toutes
les choses de la terre, pour penser à celles du ciel. Cette grandeur
de l'âme diffère autant de la hauteur qui est le produit de l'orgueil,
que l'embonpoint d'un corps bien portant diffère de la grosseur qui vient
de l'hydropisie.
S. CHRYS. (comme précéd.) Ce faste orgueilleux peut précipiter
du ciel celui qui s'y abandonne, de même que l'humilité peut retirer
le pécheur de l'abîme de ses crimes. C'est elle qui a justifié
le publicain de préférence au pharisien, c'est elle qui a conduit
dans le paradis le bon larron avant les apôtres eux-mêmes, tandis
que l'orgueil étant entré dans l'esprit des puissances célestes
(Ep 2, 12), a été la cause de leur perte. Or, si l'humilité
jointe au péché marche si rapidement qu'elle dépasse la
justice qui est unie à l'orgueil, quelle ne sera pas la rapidité
de sa course, si vous l'unissez à la justice ? Elle se présentera
avec confiance devant le tribunal de Dieu au milieu de l'assemblée des
anges. Mais d'un autre côté, si l'orgueil joint à la justice
peut ainsi l'abaisser, dans quel abîme nous précipitera-t-il, s'il
est uni au péché ? Je parle de la sorte, non pour nous faire négliger
la pratique de la justice, mais pour nous faire éviter l'orgueil. - THEOPHYL.
On s'étonnera peut-être que ce peu de paroles dites à sa
louange ait suffi pour faire condamner le pharisien, tandis que Job qui fit
plusieurs discours pour se justifier, fut récompensé de Dieu.
Nous répondrons que le pharisien en se vantant de ses bonnes oeuvres,
accusait les autres sans motif aucun, tandis que Job accusé par ses amis,
et pressé par la souffrance fut forcé de faire l'énumération
de ses vertus dans l'intérêt de la gloire de Dieu, et afin que
les hommes ne fussent point découragés.
BEDE. Dans le sens figuré, le pharisien représente le peuple des
Juifs, qui fier de la justice qui vient de la loi exalte bien haut ses mérites
; le publicain représente le peuple des Gentils, qui se tient éloigné
de Dieu, et confesse humblement ses péchés ; l'orgueil de l'un
fut cause de son humiliation, et les humbles gémissements de l'autre
lui méritèrent de s'approcher de Dieu et la grâce d'une
élévation sans égale.
vv. 15-17.
THEOPHYL. Notre-Seigneur montre immédiatement dans sa conduite la pratique
des leçons d'humilité qu'il vient de donner, en ne repoussant
pas les petits enfants, mais en les accueillant avec bonté : " On
lui présentait aussi des petits enfants, pour qu'il les touchât.
" - S. AUG. (serm. 36, sur les par. du Seign.) A qui présente-t-on
ces enfants pour être touchés ? Au Sauveur. Mais s'il est le Sauveur,
c'est pour qu'ils soient sauvés qu'on les présente à celui
qui est venu sauver ce qui avait péri. Or, quand ces enfants ont-ils
pu périr, innocents qu'ils sont de toute faute ? Mais selon la doctrine
de l'Apôtre : " Le péché est entré dans ce monde
par un seul homme. " (Rm 5.) Que ces petits enfants viennent donc comme
des malades à leur médecin, comme des coupables à leur
Rédempteur.
S. AMBR. Il peut paraître dur à quelques-uns que les disciples
aient empêché ces petits enfants de s'approcher du Seigneur, car
l'Évangéliste ajoute : " Ce que voyant, ses disciples les
repoussaient avec de rudes paroles. " Mais il faut voir dans cette conduite
des disciples, ou un mystère ou une marque d'attention pour le Sauveur,
En effet, ils n'agissaient pas ainsi par un sentiment d'envie ou de dureté
à l'égard de ces enfants, mais par un empressement de zèle
attentif pour leur divin Maître qu'ils ne voulaient point exposer à
être pressé par la foule. il faut en effet renoncer à nos
intérêts, lorsque la gloire de Dieu se trouve compromise. Leur
conduite renferme d'ailleurs un mystère, c'est-à-dire, qu'ils
désiraient que le peuple juif dont ils descendaient selon la chair, fût
sauvé le premier. Ils savaient bien que les deux peuples devaient être
appelés à la foi, puisqu'ils avaient prié le Sauveur en
faveur de la Chananéenne, mais ils ne savaient pas encore dans quel ordre
cette vocation devait avoir lieu. Que leur répond Jésus ? "
Mais Jésus les appelant, dit : Laissez les enfants venir à moi,
" etc. Ce n'est donc point l'âge de l'enfance qu'il préfère
à un autre âge de la vie, autrement il serait nuisible de croître
et de se développer. Pourquoi donc déclare-t-il que les enfants
sont plus propres au royaume des cieux ? Peut-être parce qu'ils sont sans
malice, sans tromperie, qu'ils n'osent se venger, qu'ils sont étrangers
à toute volupté coupable, qu'ils ne désirent ni les richesses,
ni les honneurs, ni les dignités. Cependant la vertu ne consiste pas
à ignorer toutes ces choses, mais à les mépriser, car la
vertu n'est point dans l'impuissance de commettre le péché, mais
dans la volonté de le fuir. Ce n'est donc pas l'enfance, mais la vertu
qui imite la simplicité de l'enfance que Notre-Seigneur nous recommande
ici. - BEDE. Aussi a-t-il soin de dire : " Le royaume de Dieu est pour
ceux qui leur ressemblent, " et non pour ces enfants, nous montrant ainsi
que ce n'est pas l'âge, mais les moeurs de l'enfance qui donnent accès
dans le royaume des cieux, et que c'est à ceux qui imitent leur simplicité
et leur innocence que la récompense est promise. - S. AMBR. C'est cette
même vérité que Notre-Seigneur veut exprimer lorsqu'il ajoute
: " En vérité je vous le dis, quiconque ne recevra pas comme
un enfant le royaume de Dieu, n'y entrera pas. " Quel est cet enfant que
Jésus propose à l'imitation de ses apôtres ? c'est celui
dont Isaïe a dit : " Un petit enfant nous est né (Is 9) ; qui,
lorsqu'on le maudissait, ne répondait point par des injures. " (1
P 2.) Il y a donc dans l'enfance quelque chose des moeurs vénérables
de la vieillesse ; comme la vieillesse à quelque chose de l'innocence
des enfants. - S. BAS. (Règl. abrég. quest. 127.) Or, nous recevrons
le royaume de Dieu comme un enfant, si nous apportons aux enseignements du Seigneur
les dispositions d'un enfant aux instructions qui lui sont données ;
il ne contredit pas ses maîtres, il ne dispute pas avec eux, mais il reçoit
leurs leçons avec confiance et soumission. - THEOPHYL. Au contraire,
les sages parmi les Gentils, cherchant la sagesse dans le mystère qui
est le royaume de Dieu, et ne voulant l'admettre qu'autant qu'il serait appuyé
sur des preuves tirées de la raison, ont été justement
exclus de ce royaume.
vv. 18-23.
BEDE. Un des principaux d'entre le peuple avait entendu dire au Seigneur qu'on
ne pouvait entrer dans le royaume de Dieu, si l'on ne devenait semblable aux
enfants ; il le prie donc de lui apprendre non en paraboles, mais ouvertement
les oeuvres nécessaires pour mériter la vie éternelle :
" Alors un jeune homme de qualité lui fit cette demande : Bon Maître,
" etc. - S. AMBR. C'était pour tenter le Sauveur que cet homme l'appelle
bon Maître, lui qui aurait dû l'appeler Dieu bon : car bien que
la divinité soit inséparable de la bonté, comme la bonté
de la Divinité, cependant en l'appelant bon Maître, il ne confesse
sa bonté que dans un sens non général, mais particulier,
car Dieu est bon dans le sens le plus étendu de ce mot, tandis que l'homme
ne l'est que d'une manière limitée.
S. CYR. Ce jeune homme s'imagina qu'il allait surprendre Jésus-Christ,
qui peut-être en lui répondant jetterait le blâme sur la
loi de Moise pour lui substituer ses propres commandements. Il s'approche donc
du divin Maître, et en l'appelant bon maître, il lui dit qu'il vient
dans l'intention de s'instruire, tandis qu'il ne venait que pour lui tendre
un piége. Mais celui qui surprend les sages dans leur propre finesse
(Jb 5, 13 ; 1 Co 3, 50), lui fait une réponse digne de lui : " Jésus
lui dit : Pourquoi m'appelez-vous bon ? nul n'est bon que Dieu seul. "
- S. AMBR. Il ne nie pas qu'il ne soit bon, mais il fait entrevoir qu'il est
Dieu ; car celui-là seul est bon qui a la plénitude de la bonté.
Vous êtes impressionné de ces paroles : " Nul n'est bon, "
mais faites donc attention à celles qui suivent : " Si ce n'est
Dieu. " Si vous ne pouvez concevoir Dieu sans son Fils, vous ne pouvez
concevoir Jésus-Christ sans la bonté ; car comment pourrait-il
n'être pas bon, étant né de celui qui est la bonté
par essence ? Car tout bon arbre produit de bons fruits. (Mt 7.) Comment pourrait-il
n'être pas bon, puisque la substance de sa bonté qu'il a reçue
du Père n'est point dégénérée dans le Fils,
de même qu'elle n'est point dégénérée dans
l'Esprit saint : " Votre bon Esprit, dit le Psalmiste, me conduira dans
la terre de la justice. " (Ps 140.) Or, si l'Esprit est bon de la bonté
qu'il a reçue du Fils, comment le Fils, qui est le principe de cette
bonté, ne serait-il pas bon lui-même ? Mais comme celui qui venait
pour tenter Jésus-Christ était un docteur de la loi, ainsi que
nous l'avons démontré dans un autre livre, le Sauveur lui répond
on ne peut plus à propos : " Nul n'est bon, si ce n'est Dieu, "
afin de lui rappeler qu'il est écrit : " Vous ne tenterez point
le Seigneur votre Dieu, " et de le porter à rendre gloire au Seigneur,
parce qu'il est bon. (Ps 117 ; 135.)
S. CHRYS. (Hom. 64 sur S. Matth.) Ou bien encore, je ne craindrai pas d'avancer
que ce jeune homme de qualité ne venait point pour surprendre Jésus-Christ,
mais qu'il était avare (car le Sauveur lui en fait un reproche indirect.)
- TITE de BOSTR. En faisant à Jésus-Christ cette question : "
Bon maître, que dois-je faire pour posséder la vie éternelle
? " il semble lui dire : Vous êtes bon, daignez répondre à
la question que je vous adresse : Je suis instruit de tout ce que contient l'Ancien
Testament, mais je trouve vos enseignements supérieurs, car ce ne sont
point les biens de la terre que vous promettez, c'est le royaume des cieux que
vous annoncez ; dites-moi donc, que ferai-je pour arriver à la vie éternelle
? Comme la foi est le chemin qui conduit aux oeuvres, le Sauveur, ne considérant
que l'intention de ce jeune homme et sans répondre à la question
qu'il lui fait, l'amène à la connaissance de la foi. Il agit comme
un médecin à qui son malade demanderait : Que dois-je manger ?
et qui lui répondrait en lui prescrivant ce qu'il doit faire avant de
prendre de la nourriture. Le Sauveur élève donc son esprit jusqu'à
son Père, en lui disant " Pourquoi m'appelez-vous bon ? " Ce
n'est pas qu'il ne fût bon ; car il était le bon fruit d'un bon
arbre. - S. AUG. (Quest. évang., 1.) Le récit de saint Matthieu
présente ici une différence (Mt 19) ; Notre-Seigneur dit à
ce jeune homme : " Pourquoi m'interrogez-vous sur ce qui est bon ? "
ce qui répond plus directement à cette question : Quel bien dois-je
faire ? " etc., car ces paroles renferment une question qui a pour objet
ce qui est bien. On peut donc parfaitement admettre que Notre-Seigneur a fait
ces deux réponses : " Pourquoi m'appelez-vous bon ? " et "
pourquoi m'interrogez-vous sur ce qui est bon ? " deux choses, dont l'une
revient à l'autre.
TITE DE
BOSTR. Après lui avoir donné la connaissance de la foi, le Sauveur
ajoute : " Vous connaissez les commandements ? " comme s'il lui disait
: Après avoir commencé par connaître Dieu, il est naturel
que vous cherchiez à savoir ce que vous devez faire. - S. CYR. Ce jeune
homme de qualité s'attendait à ce que Jésus lui dit : "
Laissez les commandements de la loi de Moïse, et suivez les miens ; "
mais au contraire, le Sauveur le renvoie aux préceptes de la loi : "
Vous ne tuerez point, vous ne commettrez pas d'adultère, " etc.
La loi cherche d'abord à prévenir les fautes dans lesquelles nous
tombons plus facilement, comme la fornication et l'adultère, pour lesquels
nous avons en nous un penchant naturel, et l'homicide, parce que la fureur fait
de nous comme autant de bêtes féroces. Le vol et le faux témoignage
sont des crimes que l'on commet plus rarement, et qui sont généralement
moins graves que les précédentes. Aussi Notre-Seigneur place en
second lieu le vol et le faux témoignage, parce qu'ils sont de moindre
gravité, et entraînent moins souvent les hommes.
" Vous ne déroberez point. " - S. BAS. (cf. Is 1, 23). Par
voleurs, il ne faut pas seulement entendre les coupeurs de bourse, et ceux qui
font métier de voler dans les bains, mais encore ceux qui sont placés
à la tête des légions, ou préposés au gouvernement
des villes et des provinces, les premiers volent furtivement, les seconds emploient
la violence et la force ouverte. - TITE DE BOST. Remarquez ici que l'observation
des préceptes consiste à s'abstenir ; en effet, si vous ne commettez
pas d'adultère, vous serez chaste ; si vous ne dérobez point,
vous serez honnête et bon ; si vous ne faites point de faux témoignages,
vous serez vrai dans votre conduite. Voyez comme la vertu nous est rendue facile
par la bonté de celui qui nous en fait un devoir, il nous impose la fuite
du mal, plutôt que la pratique du bien. Or, il est bien plus facile de
s'abstenir du mal, que de pratiquer le plus petit acte de vertu.
THEOPHYL.
L'outrage contre les parents est un grand crime, mais comme ce crime est peu
fréquent, Notre-Seigneur le place en dernier lieu : " Honorez votre
père et votre mère. " - S. AMBR. Or, cet honneur ne consiste
pas seulement dans le respect qu'on leur témoigne, mais dans l'assistance
qu'on leur donne ; car c'est leur rendre honneur que de les assister en reconnaissance
de leurs bienfaits. Nourrissez votre père, nourrissez votre mère
; et lorsque vous les aurez nourris, vous n'aurez pas encore payé les
douleurs et les déchirements que votre mère a soufferts pour vous.
Vous devez à votre père ce que vous avez, à votre mère
ce que vous êtes. Quel jugement sévère vous attend si l'Église
nourrit ceux que vous avez refusé de nourrir. Mais, direz-vous, je préfère
donner à l'Église, ce que je donnerai à mes parents. Le
Seigneur ne veut pas d'un don qui condamne vos parents à mourir de faim.
Cependant, de même que l'Écriture fait un devoir de nourrir ses
parents, ainsi elle commande de les quitter pour Dieu, s'ils sont un obstacle
aux sentiments religieux de l'âme.
" Il répondit : J'ai gardé tous ces commandements depuis
ma jeunesse. " - S. JER. (sur Mt 19.) Ce jeune homme fait ici un mensonge.
En effet, s'il avait accompli le commandement suivant : " Vous aimerez
le prochain comme vous-même, " il ne se serait pas retiré
plein de tristesse en entendant ces paroles : " Allez, vendez tout ce que
vous avez, et donnez-le aux pauvres. " - BEDE. On peut admettre aussi que
sans faire de mensonge, il a simplement avoué quelle avait été
sa vie extérieure, autrement saint Marc n'aurait pas ajouté que
Jésus, ayant jeté les yeux sur lui, conçut pour lui de
l'affection.
TITE DE BOST. Le Sauveur nous apprend ensuite qu'on n'est point parfait pour
accomplir tout ce que commande l'Ancien Testament, mais qu'il faut encore suivre
Jésus-Christ : " Ce qu'entendant, Jésus lui dit : Une chose
vous manque encore, vendez tout ce que vous avez, et donnez-le aux pauvres.
" C'est-à-dire : Vous me demandez comment vous pourrez arriver à
la vie éternelle, distribuez vos biens aux pauvres, et vous la mériterez,
ce que vous donnez est. peu de chose, ce que vous recevrez est immense. - S.
ATHAN. (Ch. des Pèr. gr.) Ne pensons pas, en effet, avoir fait un grand
sacrifice en renonçant aux biens de ce monde ; car la terre tout entière
est bien petite en comparaison du ciel ; fussions-nous donc maîtres de
toute la terre, le sacrifice que nous en ferions ne serait rien en comparaison
du royaume des cieux. - BEDE. Que celui donc qui veut être parfait, vende
tous ses biens, non en partie, comme Ananie et Saphire, mais sans réserver
rien absolument. - THEOPHYL. " Vendez tout ce que vous avez ; " le
Sauveur conseille donc la pauvreté absolue, si vous vous réservez
quelque chose, ou s'il vous reste quelque partie de votre bien, vous en êtes
l'esclave.
S. BAS.
(règ. abrég., quest. 92.) Cependant si Notre-Seigneur conseille
à ce jeune homme de vendre ses biens, ce n'est pas qu'ils soient mauvais
par leur nature, autrement ils ne seraient pas des créatures de Dieu.
Le Sauveur ne lui conseille pas de les rejeter, mais de les distribuer aux pauvres,
et ce que Dieu condamne dans quelques-uns, ce n'est pas la possession des richesses,
mais le mauvais usage. Au contraire, en les distribuant aux pauvres selon le
commandement de Dieu, on efface ses péchés et on mérite
le royaume des cieux. C'est ce que Notre-Seigneur indique par ces paroles :
" Et donnez-le aux pauvres. " - S. CHRYS. (hom. 22 sur la 1re Epit.
aux Cor.) Dieu, sans doute, pouvait nourrir les pauvres sans l'intermédiaire
de notre compassion pour eux, mais il a voulu établir des liens de charité
entre ceux qui donnent et ceux qui reçoivent. - S. BAS. (rég.
développ., quest. 9.) Devant cette parole formelle du Sauveur : "
Donnez-le aux pauvres, " la négligence dans l'accomplissement de
ce devoir n'est permise à personne, et chacun doit s'en acquitter avec
le plus grand soin, par lui-même autant que cela est possible ; ou s'il
ne le peut, par celui dont la prudence et la fidélité lui sont
connues ; car : " Maudit est celui qui fait les oeuvres de Dieu avec négligence.
" (Jr 48, 18.) - S. CHRYS. (comme précéd.) Mais comment Jésus-Christ
enseigne-t-il que la perfection consiste à distribuer tous ses biens
aux pauvres, tandis que saint Paul déclare que sans la charité,
c'est une oeuvre très-imparfaite ? Ce qui suit fait disparaître
toute opposition entre le maître et le disciple : " Alors, venez
et suivez-moi, " ce qui ne peut se faire que par un motif de charité
; " car tous reconnaîtrons que vous êtes mes disciples, si
vous avez la charité les uns pour les autres. " (Jn 17.) - THEOPHYL.
Le chrétien doit joindre, en effet, à la pauvreté toutes
les autres vertus, c'est pour cela que Jésus dit à ce jeune homme
: " Et venez, et suivez-moi, " c'est-à-dire soyez mon disciple
en tout, et suivez-moi constamment.
S. CYR. Mais cet homme de qualité n'était point capable de contenir
ce vin nouveau, il était comme ces outres trop vieilles dont parle Notre-Seigneur
(Mt 9 ; Mc 2 ; Lc 5), et il fut brisé par la tristesse : " Mais
lui, entendant ces paroles, devint triste, parce qu'il était fort riche.
" - S. BAS. (hom. sur l'aum.) Le marchand ne s'attriste pas de dépenser
son avoir dans les marchés publics pour acheter les choses dont il a
besoin, et vous vous affligez de donner une misérable poussière
pour acquérir la vie éternelle ?
vv. 24-30.
THEOPHYL. Ce riche ayant entendu la réponse du Sauveur, qu'il fallait
renoncer à ses biens, en devint tout triste, jusque là que Jésus
en exprime son étonnement : " Voyant qu'il était devenu triste,
Jésus lui dit : Que difficilement ceux qui ont des richesses entreront
dans le royaume de Dieu ! " Il ne dit pas : Il est impossible, mais : "
Il est difficile. " En effet, les riches peuvent acquérir au moyen
de leurs richesses les biens célestes, mais ils ne le peuvent que difficilement,
parce que les richesses sont plus gluantes que la glu elle-même, et que
le coeur qui s'y laisse prendre peut à peine s'en détacher. Cependant
le Sauveur semble insinuer par la comparaison qui suit, qu'il y a pour eux une
véritable impossibilité : " Il est plus facile à un
chameau de passer par le chas d'une aiguille, qu'à un riche d'entrer
dans le royaume de Dieu. " Le mot grec peut signifier également
un chameau, ou un câble, ou cordage de navire. De quelque manière
que vous l'entendiez, il est impossible que l'un ou l'autre puisse passer par
le trou d'une aiguille. Il est plus facile à un chameau de passer par
le trou d'une aiguille, qu'à un riche d'être sauvé. Or,
ce qui est plus facile est impossible ; donc l'impossibilité pour le
riche d'être sauvé est encore plus grande. Que dire donc à
cela ? D'abord qu'il est vrai, en effet, qu'un riche ne peut être sauvé.
Ne me dites pas que des riches ont été sauvés pour avoir
distribué leurs richesses, ce n'est pas comme riches qu'ils ont été
sauvés, mais parce qu'ils se sont faits pauvres, ou qu'ils ont été
les simples administrateurs de leurs biens. Il y a, en effet, une grande différence
entre un riche et un économe ou un administrateur : le riche garde toutes
ses richesses pour lui, l'économe ou l'administrateur ne les tient en
réserve que pour l'utilité des autres. - S. CHRYS. (hom. 24 sur
la 1re Epît. aux Cor.) Abraham possédait ses richesses dans l'intérêt
des pauvres ; et ceux qui en sont les justes possesseurs, reconnaissent qu'ils
les tiennent de Dieu pour les employer conformément à ses préceptes.
Ceux au contraire qui les ont acquises contre la volonté de Dieu, les
dépensent également contre sa volonté, en débauches
ou en festins, ou les enfouissent dans la terre, sans que les pauvres y aient
la moindre part. (Hom. 18 sur S. Jean.) Dieu ne défend donc point d'amasser
des richesses, mais de se rendre esclave des richesses. Il veut qu'elles soient
employées à nos besoins, et non pas conservées comme un
dépôt inutile. La fonction du serviteur est de garder ce qui lui
est confié, le privilège du maître est de pouvoir distribuer
ce qu'il possède. Si Dieu avait voulu que les richesses fussent tenues
en réserve, il ne les aurait pas données aux hommes, il les aurait
laissées ensevelies dans le sein de la terre.
THEOPHYL. Remarquez que pour le riche, le Sauveur déclare qu'il lui est
impossible d'être sauvé, tandis que pour celui qui possède
les richesses, cela est simplement difficile, c'est comme s'il disait : Le riche,
qui est épris des richesses jusqu'à en devenir l'esclave, ne pourra
être sauvé ; mais celui qui possède les richesses, c'est-à-dire,
celui qui en est vraiment le maître, se sauvera difficilement, tant est
grande la fragilité humaine. En effet, tant que le démon nous
voit posséder des richesses, il fait tout pour nous perdre, et il est
bien difficile d'échapper aux piéges qu'il nous tend ; aussi la
pauvreté est un véritable bien qui nous met à l'abri des
tentations. - S. CHRYS. (hom. 81 sur S. Matth.) Car à quoi servent les
richesses, lorsque l'âme est dans l'indigence, et en quoi peut nuire la
pauvreté à l'âme qui nage au sein des richesses ? Si le
signe le plus assuré de la richesse est de n'avoir besoin de rien, comme
le signe le plus certain de la pauvreté est de manquer de tout, n'est-il
pas évident qu'on devient d'autant plus riche qu'on est plus pauvre,
car il est bien plus facile de mépriser les richesses dans la pauvreté
qu'au sein de l'abondance ? Qui ne sait, en effet, qu'une fortune immense, loin
d'apaiser le désir des richesses, ne fait que l'enflammer davantage,
comme un feu dans lequel on jette un nouvel aliment. De plus, les peines qui
paraissent attachées à la pauvreté, lui sont communes avec
les richesses, tandis que les richesses en ont qui leur sont exclusivement propres.
S. AUG. (Quest. évang., 2, 47.) Le riche ici, dans le sens que lui donne
le Sauveur, est celui qui est avide, des biens de la terre et en fait un aliment
pour son orgueil. Ceux qui sont opposés à ces riches, sont les
pauvres d'esprits auxquels appartient le royaume des cieux. Dans le sens mystique,
on peut dire qu'il est plus facile à Jésus-Christ de souffrir
pour ceux qui aiment le siècle, qu'à ces derniers de se convertir
à Dieu. Le Sauveur a voulu se représenter sous la figure du chameau,
parce qu'il s'est humilié volontairement pour se charger du fardeau de
nos faiblesses ; l'aiguille signifie les piqûres, les piqûres, les
douleurs qu'il a endurées dans sa passion, et le trou de l'aiguille figure
les angoisses de sa passion.
S. CHRYS. (hom. 64 sur S. Matth.) Ce discours si relevé était
au-dessus des forces des disciples de Jésus, aussi " ceux qui l'écoutaient,
lui dirent : Qui peut donc être sauvé ? " Ce n'est point pour
eux-mêmes qu'ils craignent, c'est pour le monde entier. - S. AUG. (Quest.
évang.) Comme le nombre des pauvres qui peuvent espérer d'être
sauvés est incomparablement plus considérable que celui des riches
qui se perdent, les disciples comprirent qu'il fallait mettre au nombre des
riches, tous ceux qui aiment les richesses, alors même qu'ils ne peuvent
les acquérir : " Jésus leur répondit : Ce qui est
impossible aux hommes est possible à Dieu ; " paroles qu'il ne faut
pas entendre dans ce sens que les riches puissent jamais entrer dans le royaume
des cieux, elles signifient simplement qu'il est possible à Dieu de les
ramener de la cupidité et de l'orgueil à la pratique de la charité
et de l'humilité. - THEOPHYL. Le salut est donc impossible, comme on
vient de le dire, à ceux dont les affections rampent sur la terre, mais
il est possible avec le secours de Dieu, car si l'homme veut prendre Dieu pour
conseiller, se pénétrer des enseignements divins sur la manière
dont Dieu nous justifie, et sur la pauvreté, et de plus invoquer son
secours, toute difficulté s'aplanira.
S. CYR. Il est juste que le riche qui a fait le sacrifice d'une fortune considérable,
en attende une grande récompense ; mais il était aussi à
propos de demander ce que devait espérer celui qui avait renoncé
au peu qu'il possédait : " Pierre lui dit alors : Voici que nous
avons tout quitté pour vous suivre. " Saint Matthieu ajoute : "
Que nous sera-t-il donc donné ? " (Mt 19.)- BEDE. C'est-à-dire,
nous avons fait ce que vous avez commandé, quelle récompense nous
donnerez-vous ? Et parce qu'il ne suffit pas de renoncer à tout ce qu'on
possède, il ajoute, ce qui nous rend parfaits : " Et nous vous avons
suivi. " - S. CYR. Il est nécessaire de remarquer que ceux qui renoncent
au peu qu'ils possèdent, à ne considérer que leur intention
et leur obéissance, ont aux yeux de Dieu le même mérite
que les riches, parce que c'est la même disposition de renoncement qui
leur a inspiré le sacrifice volontaire de tout ce qu'ils possèdent
: " Jésus leur répliqua : En vérité, je vous
le dis, il n'est personne qui ait quitté sa maison, etc., qui ne reçoive
beaucoup plus en ce monde même, et dans le siècle à venir,
la vie éternelle. " Le Sauveur élève l'âme de
ceux qui l'écoutent aux plus douces espérances, en joignant à
sa promesse la formule ordinaire du serment : " En vérité.
" En effet, lorsque la prédication de la divine parole vint appeler
le monde à la foi de Jésus-Christ, quelques-uns, par considération
pour leurs parents infidèles, ne voulurent point les contrister eux ou
leurs propres frères, en embrassant la foi chrétienne ; d'autres,
au contraire, quittèrent généreusement leur père,
leur mère, et sacrifièrent toutes les affections de famille par
amour pour Jésus-Christ.
BEDE. Voici donc le sens de ces paroles : Celui qui, pour mériter le royaume de Dieu. aura renoncé à toutes les affections de la terre, et foulé aux pieds toutes les richesses, tous les plaisirs et toutes les joies du monde, recevra dans le siècle présent beaucoup plus qu'il n'aura quitté. Il en est qui cherchent à appuyer sur ces paroles de Jésus-Christ, l'opinion fabuleuse de certains Juifs, qui prétendent qu'après la résurrection, les justes jouiront sur la terre de mille ans de bonheur, pendant lesquels tout ce que nous avons sacrifié nous sera rendu, en attendant que nous entrions en possession de la vie éternelle. Ils ne voient pas, les insensés, que si pour tout le reste, cette récompense abondante peut être digne, de Dieu, elle serait d'une souveraine inconvenance pour ce qui est des femmes (d'après les autres évangélistes, on doit recevoir au centuple), d'autant plus que Notre-Seigneur nous atteste qu'il n'y a plus de mariage après la résurrection ; d'ailleurs saint Marc, affirme que tout ce que nous aurons quitté nous sera rendu dans cette vie avec les persécutions, et, de leur propre témoignage, ces mille ans doivent être entièrement exempts.
S. CYR. Nous affirmons donc que celui qui aura renoncé aux jouissances de la chair, recevra beaucoup plus qu'il n'a quitté, à l'exemple des Apôtres, qui, pour avoir sacrifié bien peu de chose, ont reçu les dons multipliés de la grâce, et sont devenus célèbres par tout l'univers. Un bonheur semblable nous attend ; celui qui abandonne sa maison recevra en échange la demeure des cieux ; s'il quitte son père il deviendra fils du Père céleste ; s'il quitte ses frères, il aura Jésus-Christ pour frère ; s'il se sépare de son épouse, il s'unira à la sagesse divine qui lui donnera des fruits spirituels ; s'il quitte sa mère il trouvera la Jérusalem céleste qui est notre mère à tous. (Ga 4, 26.) Dès cette vie même il trouvera une affection beaucoup plus douce et plus pure dans les frères et les soeurs qui lui sont unis par les liens spirituels d'une même résolution.
vv. 31-34.
S. GREG. (hom. 2, sur les Evang.) Le Sauveur qui prévoyait le trouble
que sa passion devait jeter dans l'esprit de ses disciples, leur prédit
longtemps à l'avance et les souffrances de la passion, et la gloire de
sa résurrection : " Ensuite Jésus prit à part les
douze, et leur dit : Voici que nous montons à Jérusalem, "
etc. - BEDE. Il prévoyait aussi que certains hérétiques
prétendraient qu'il avait enseigné une doctrine contraire à
la loi et aux prophètes, et il leur montre que les oracles des prophètes
ont annoncé au contraire la consommation de son sacrifice sanglant, et
la gloire qui devait le suivre.
S. CHRYS. (hom. 66, sur S. Matth.) Il prend à part ses disciples pour s'entretenir avec eux de sa passion ; il ne voulait pas qu'elle fût connue pour le moment du peuple parmi lequel cette prédiction eût jeté le trouble et l'agitation ; mais il la fait exclusivement connaître à ses disciples pour leur donner le courage de supporter ce triste événement lorsqu'il serait arrivé.
S. CYR. Il veut aussi les convaincre que sa passion lui était parfaitement connue, qu'il allait volontairement au-devant de ses souffrances, et prévenir ainsi dans leur esprit cette difficulté : Comment celui qui promettait de nous sauver, est-il tombé lui-même dans les mains de ses ennemis ? Aussi leur raconte-t-il par ordre toute la suite de sa passion : " Il sera livré aux Gentils, et moqué, et flagellé, et couvert de crachats. " - S. Chrys. (hom. 66, sur S. Matth.) C'est ce qu'avait prédit Isaïe : " J'ai livré mes épaules aux coups, et mes joues aux soufflets, je n'ai point détourné mon visage de ceux qui me couvraient d'injures et de crachats. " (Is 50.) Le même prophète a également prédit le supplice de la croix : " Il a livré son âme à la mort, et il a été mis au nombre des scélérats. " (Is 53.) Notre-Seigneur ajoute : " Et après qu'ils l'auront flagellé, ils le mettront à mort. " David a aussi prédit sa résurrection, lorsqu'il disait (Ps 15) : " Vous ne laisserez pas mon âme dans l'enfer (Ac 2). " Le Sauveur renouvelle ici cette prédiction : " Et il ressuscitera le troisième jour. "
S. ISID. (Liv. 2, lett. 212.) J'admire la folie de ceux qui demandent pourquoi Jésus-Christ a ressuscité avant le troisième jour. Qui ne voit que s'il eut ressuscité plus tard qu'il ne l'avait prédit, ce serait un signe d'impuissance, tandis qu'en ressuscitant plutôt il donne une preuve de sa puissance toute divine. Qu'un débiteur qui a promis à son créancier de payer sa dette dans trois jours, s'acquitte le jour même, nous le regarderons non comme un menteur, mais comme un homme fidèle à sa parole. Je dirai plus, le Sauveur n'a pas prédit qu'il ressusciterait après trois jours, mais le troisième jour. Or, vous avez la veille du sabbat, le jour du sabbat lui-même jusqu'au coucher du soleil, et le jour qui suit le sabbat, lequel fut celui de sa résurrection.
S. CYR. Les disciples ne comprenaient pas encore parfaitement ce que les prophètes avaient prédit ; mais après sa résurrection, il leur ouvrit l'esprit pour qu'ils comprissent les Écritures (Lc 24, 45) : " Mais ils ne comprirent rien à cela. " - BEDE. Ils désiraient ardemment voir se prolonger la vie de leur maître, par conséquent ils ne pouvaient souffrir d'entendre parler de sa mort. Ils savaient d'ailleurs qu'il était non seulement un homme innocent, mais qu'il était véritablement Dieu, et ils ne pouvaient supposer qu'il pût mourir ; et comme il leur parlait souvent en paraboles, ils croyaient pouvoir entendre dans un sens figuré tout ce qu'il leur disait de sa passion : " Et cette parole leur était cachée, et ils ne comprenaient point ce qui leur était dit. " Les Juifs au contraire qui conspiraient pour le faire mourir, comprenaient parfaitement qu'il voulait parler de sa passion, lorsqu'il leur disait : ce que nous lisons dans saint Jean : " Il faut que le Fils de l'homme soit élevé. " Aussi lui répondirent-ils : " Nous avons appris de la loi que le Christ demeure éternellement, comment donc pouvez-vous dire : " Il faut que le Fils de l'homme soit élevé ? "
vv. 35-43
S. GREG. (hom. 2, sur les Evang.) Comme les disciples encore charnels ne pouvaient
comprendre le mystère que Jésus venait de leur prédire,
il fait suivre cette prédiction d'un miracle sous leurs yeux, rend la
vue à un aveugle, pour les affermir dans la foi par cette guérison
toute divine : " Comme il approchait de Jéricho, il arriva qu'un
aveugle était assis sur le bord du chemin. " - THEOPHYL. Notre-Seigneur
guérit miraculeusement cet aveugle pendant qu'il était en chemin
pour ne pas laisser ses voyages même sans utilité, et nous apprendre
à nous ses disciples que nous devons rendre toutes nos actions profitables
au prochain, et à n'en point souffrir d'inutiles. - S. AUG. (Quest. évang.,
2, 48.) Ces paroles : " Comme ils étaient près de Jéricho,
" pourraient signifier qu'ils en étaient déjà sortis,
mais qu'ils n'en étaient pas encore éloignés. A la vérité,
cette manière de parler n'est pas très-usitée, mais ce
qui motiverait ici cette interprétation c'est que d'après le récit
de saint Matthieu, comme ils sortaient de Jéricho, Jésus rendit
la vue à deux aveugles qui étaient assis le long du chemin. Le
nombre des aveugles ne pourrait faire difficulté ; qu'un évangéliste
ne parle que d'un seul sans faire mention de l'autre, peu importe, saint Marc
lui-même ne parle que d'un seul, lorsqu'il raconte que Jésus lui
rendit la vue, comme il sortait de Jéricho. Il va même jusqu'à
faire mention de son nom et de son père, pour nous faire entendre qu'il
était très-connu, tandis que l'autre ne l'était pas du
tout, ce qui explique pourquoi il a cru ne devoir parler que de celui que l'on
connaissait davantage. Cependant comme la suite du récit, dans l'Évangile
selon saint Luc, prouve évidemment que la guérison de cet aveugle
eut lieu lorsque Jésus allait à Jéricho, il ne nous reste
d'autre solution que de dire que le Sauveur a deux fois opéré
ce miracle, la première fois sur un seul aveugle, lorsqu'il allait entrer
dans Jéricho, et la seconde sur deux aveugles, lorsqu'il sortait de cette
ville, de sorte que saint Luc a rapporté le premier miracle et saint
Matthieu le second
S. CHRYS. (Ch. des Pèr. gr.) Une foule nombreuse entourait Jésus-Christ, l'aveugle ne le connaissait pas, mais il sentait intérieurement sa présence, et son coeur lui faisait pressentir celui que ses yeux ne pouvaient apercevoir : " Entendant le bruit du peuple qui passait, il demanda ce que c'était. " Ceux qui le voyaient de leurs yeux lui répondirent d'après l'idée qu'on s'était faite du Sauveur : " Ils lui dirent que c'était Jésus de Nazareth qui passait. " Mais l'aveugle proclame bien haut la vérité. On lui enseigne une chose, et il en annonce hautement une autre : " Et il se mit à crier : Jésus fils de David, ayez pitié de moi. " Qui vous a donc enseigné cette vérité ? Avez-vous pu lire les livres sacrés, privé que vous êtes de la vue ? Comment donc avez-vous pu connaître celui qui est la lumière du monde ? Ah ! c'est vraiment ici que " Dieu éclaire les aveugles. " (Ps 145.) - S. CYR. Cet homme élevé dans la loi des Juifs ne pouvait ignorer que le Dieu fait homme devait naître de la race de David ; aussi s'adresse-t-il à lui comme à un Dieu, en lui disant : " Ayez pitié de moi ; " bel exemple qu'il donne à imiter à ceux qui divisent le Christ en deux personnes, il proclame ici que le Christ est Dieu, en même temps qu'il proclame sa descendance de David. Qu'ils admirent aussi la justice de sa foi ; ceux qui l'entendaient voulaient en comprimer les élans et la constance : " Ceux qui marchaient devant, le gourmandaient pour le faire taire, " mais sa pieuse hardiesse ne se laissait pas intimider par ces défenses répétées, c'est que la foi sait résister à tous les obstacles, et triompher de toutes les difficultés. Il est bon de se dépouiller de toute fausse honte, lorsqu'il s'agit du service de Dieu, car si nous en voyons quelques-uns déployer tant d'audace pour acquérir quelques sommes d'argent, ne faut-il pas que nous soyons saintement audacieux lorsqu'il s'agit du salut de notre âme : Voyez en effet cet aveugle : " Mais il criait beaucoup plus encore : Fils de David, ayez pitié de moi. " Jésus-Christ s'arrête à la voix de ceux qui l'invoquent avec foi, et il abaisse sur eux ses regards. Aussi appelle-t-il cet aveugle et lui commande-t-il de s'approcher : " Alors Jésus s'arrêtant, commanda qu'on le lui amenât. " Il voulait que celui qui l'avait déjà touché par la foi s'approchât aussi de lui par le corps : " Et quand il se fut approché, il lui demanda : Que voulez-vous que je vous fasse ? " Il lui fait cette question, non par ignorance, mais dans l'intérêt de ceux qui étaient présents, afin de les convaincre que ce pauvre aveugle ne demandait pas d'argent, mais un acte de puissance divine à Jésus comme à un Dieu : " Il lui dit : Seigneur, que je voie. "
S. CHRYS. (Ch. des Pèr. gr.) Comme les Juifs toujours prêts à calomnier la vérité pouvaient dire ainsi que pour l'aveugle-né (Jn 9) : ce n'est pas lui, c'est quelqu'un qui lui ressemble, le Sauveur voulut que l'aveugle avouât ouvertement l'infirmité de sa nature, pour qu'il connût mieux ensuite la puissance de la grâce divine ; mais dès que cet aveugle a formulé l'objet de sa demande, Jésus, avec une majesté souveraine lui commande de voir : " Et Jésus lui dit : Voyez ; " ce ton d'autorité rendait plus coupable l'incrédulité des Juifs, car quel prophète avait jamais tenu un pareil langage ? Considérez cependant ce que le divin Médecin a exigé de celui qu'il a guéri : " Votre foi vous a sauvé. " C'est au prix de la foi que Dieu vend ses bienfaits, et la grâce ne se répand que là où la foi est prête à la recevoir. La grâce est comme une fontaine abondante, ceux qui viennent y puiser avec des vases de petite dimension, remportent une petite quantité d'eau, ceux au contraire qui puisent avec de plus grands vases, en remportent davantage ; ou bien encore, elle est comme la lumière du soleil qui pénètre plus ou moins dans l'intérieur d'un appartement selon la grandeur des fenêtres qui sont ouvertes, ainsi la grâce se répand dans une âme selon la mesure de ses intentions et de ses désirs. La voix de Jésus-Christ devient pour cet aveugle un principe de lumière, car il était la parole ou le Verbe de la véritable lumière : " Il vit aussitôt, " ajoute l'Évangéliste. Or, cet aveugle montra autant de reconnaissance après sa guérison, qu'il avait manifesté de foi avant de l'obtenir.
" Et il suivait Jésus en glorifiant Dieu. " - S. CYR. Preuve évidente qu'il est délivré d'une double cécité, de celle du corps et de celle de l'âme, car il n'eût point ainsi glorifié Dieu, s'il n'eût véritablement recouvré la vue. Il devient en outre pour les autres une occasion de rendre gloire à Dieu : " Et tout le peuple voyant cela, rendit gloire à Dieu. " - BEDE. Non seulement pour le bienfait de la vue qui vient d'être rendue à cette aveugle, mais pour la foi vive qui lui a obtenu sa guérison.
S. CHRYS. C'est ici le lieu d'examiner pourquoi Jésus-Christ défendit au possédé qu'il avait délivré du démon, de marcher à sa suite (Mc 5, 19 ; Lc 8, 38 ; Mt 8), tandis qu'il ne s'oppose pas à ce même désir que manifeste l'aveugle après sa guérison. Ces deux manières d'agir ont leur raison d'être. Il renvoie le premier comme un hérault qui devra proclamer partout par sa guérison, la puissance de son bienfaiteur ; car c'était un miracle vraiment extraordinaire, qu'un possédé aussi furieux eût recouvré le parfait usage de sa raison. Il permet au contraire à l'aveugle de le suivre, alors qu'il se rendait à Jérusalem pour y consommer le grand mystère de la croix, afin qu'en ayant sous les yeux le souvenir de ce miracle si récent, ses disciples fussent bien persuadés que sa passion était l'effet non de sa faiblesse, mais de sa miséricorde.
S. AMBR. Cet aveugle est la figure du peuple des Gentils, qui dut au mystère de la rédemption du Seigneur de recouvrer la lumière qu'il avait perdue. Peu importe que sa guérison soit figurée par un seul aveugle ou par deux ; car comme il tire son origine de Cham et de Japhet (cf. Gn 10, 1), fils de Noé, il peut trouver dans ces deux aveugles la figure des deux auteurs de sa race. - S. GREG. (hom. 2, sur les Evang.) Ou bien encore, cet aveugle représente le genre humain, aveugle lui-même par la faute de son premier père qui lui a fait perdre la clarté de la céleste lumière, et l'a plongé dans les ténèbres de sa condamnation. Jéricho veut dire lune, et cet astre par ses décroissances mensuelles représente les défaillances continuelles de notre nature mortelle. C'est au moment où notre Créateur s'approche de Jéricho, que l'aveugle recouvre la lumière, parce qu'en effet le genre humain a recouvré la lumière qu'il avait perdue, lorsque la divinité s'est revêtue des infirmités de notre chair. Celui donc qui ne connaît pas la clarté de l'éternelle lumière est un aveugle. S'il se contente de croire au Rédempteur, qui a dit : " Je suis la voie, " (Jn 11) il est assis le long du chemin, mais si à la foi s'ajoute la prière pour obtenir de voir la lumière éternelle, il demande l'aumône. Ceux qui marchent devant Jésus représentent la multitude des désirs de la chair, et l'agitation tumultueuse des vices qui, avant que Jésus entre dans notre coeur, dissipent toutes nos pensées, et viennent nous troubler jusque dans l'exercice de la prière. Cet aveugle loin de se taire, criait beaucoup plus encore ; ainsi, plus nous sommes accablés par l'agitation et le tumulte de nos pensées, plus devons-nous persévérer avec ferveur dans la prière. Lorsqu'en priant nous sommes obsédés de pensées étrangères, nous sentons jusqu'à un certain point que Jésus passe. Si au contraire nous nous appliquons fortement à la prière, Dieu s'arrête dans notre coeur, et nous rend la lumière que nous avions perdue. Ou bien encore, l'action de passer est propre à l'humanité, celle de s'arrêter ne convient qu'à la divinité. Le Seigneur entendit en passant les cris de cet aveugle, et il s'arrêta pour lui rendre la vue, parce qu'en effet, c'est par son humanité qu'il a compâti avec miséricorde aux cris que nous poussons vers lui dans notre aveuglement, et c'est par la puissance de sa divinité qu'il a répandu en nous la lumière de sa grâce. Il lui demande tout d'abord ce qu'il veut, pour exciter notre coeur à prier, car il veut que nous lui demandions ce qu'il a prévu que nous demanderions et ce qu'il accorderait à nos prières. - S. AMBR. Ou bien encore, il fait cette question à cet aveugle, pour nous enseigner qu'on ne peut être sauvé sans confesser sa foi. - S. GREG. (hom. 2, sur les Evang.) Cet aveugle, ne demande pas au Seigneur de lui donner de l'argent, mais de lui rendre la vue ; gardons-nous donc nous-mêmes de demander les richesses trompeuses, mais demandons cette lumière, qu'il n'est donné de voir qu'à nous et aux anges ; et c'est la foi qui nous conduit à cette lumière. Comme Notre-Seigneur le dit à cet aveugle : " Voyez, votre foi vous a sauvé. " Il voit en effet, et marche à la suite du Sauveur, parce qu'il pratique le bien qu'il connaît.
S. AUG.
(Quest. évang., 2, 48.) Si Jéricho veut dire lune, et par là
même est la figure de notre mortalité, nous pouvons dire que le
Sauveur lorsque sa mort était proche, avait commandé de prêcher
la lumière de l'Évangile aux Juifs seuls, qui sont représentés
par cet aveugle dont parle ici saint Luc. Mais lorsqu'il ressuscite des morts
et quitte la terre, il ordonne d'annoncer cette lumière aux Juifs et
aux Gentils qui sont figurés par les deux aveugles dont parle saint Matthieu
(Mt 10, 5 ; Mt 13, 10).