CATANA AUREA SUR SAINT LUC
ÉVANGILE DE SAINT LUC PAR SAINT THOMAS
SAINT THOMAS D'AQUIN CATENA AUREA SUR SAINT LUC
CHAPITRE
XV
vv. 1-7.
S. AMBR. Les enseignements qui précèdent vous avaient appris à
ne vous point laisser absorber par les préoccupations du siècle,
et à ne point préférer les choses passagères aux
biens éternels. Mais comme la fragilité humaine ne peut tenir
pied dans les voies si glissantes du monde, ce médecin plein de bonté
vous a indiqué les remèdes contre vos erreurs, et ce juge miséricordieux
ne vous a pas refusé l'espérance du pardon : " Or, les publicains
et les pécheurs s'approchaient de Jésus pour l'entendre. "
La GLOSE. (interlin.) C'est-à-dire ceux qui exigeaient les impôts
publics ou qui les affermaient, et ceux qui cherchent à acquérir
les richesses de ce monde par les opérations du commerce.
THEOPHYL.
Notre-Seigneur remplissait ici la fin pour laquelle il s'était incarné,
en accueillant avec bonté les pécheurs, comme un médecin
accueille les malades. Mais les pharisiens, véritables accusateurs de
leur nature, ne répondent que par des murmures à cette conduite
pleine de miséricorde : " Et les pharisiens et les scribes murmuraient
en disant : Cet homme accueille les pécheurs et mange avec eux. "
S. GREG. (hom. 34 sur les Evang.) Nous pouvons conclure de là que la
vraie justice est compatissante, tandis que la fausse est pleine d'une hauteur
dédaigneuse. Les justes, il est vrai, traitent et justement les pécheurs
avec une certaine dureté, mais il faut bien distinguer ce qui est inspiré
par l'orgueil et ce qui est dicté par le zèle pour la discipline.
Car bien que les justes, par amour pour la règle, paraissent excéder
dans les reproches qu'ils adressent, ils conservent cependant toujours la douceur
intérieure sous l'inspiration de la charité ; ils se mettent dans
leur coeur bien au-dessous de ceux qu'ils reprennent, et en agissant de la sorte,
ils maintiennent dans la vertu ceux qui leur sont soumis, et se conservent eux-mêmes
dans la grâce de Dieu par l'humilité. Au contraire, ceux qui s'enorgueillissent
de leur fausse justice, affectent un grand mépris pour les autres, n'ont
aucune condescendance pour les faibles, et deviennent d'autant plus grands pécheurs,
qu'ils s'imaginent être exempts de péché. De ce nombre étaient
les pharisiens qui, reprochant au Seigneur d'accueillir favorablement les pécheurs,
accusaient avec un coeur desséché la source même de la miséricorde.
Mais comme ils étaient malades, au point de ne point connaître
leur maladie, le céleste médecin leur prodigue les soins les plus
dévoués pour les amener à ouvrir les yeux sur leur triste
état : " Et il leur proposa cette parabole : Quel est celui d'entre
vous qui, ayant cent brebis, s'il en perd une, ne laisse les quatre-vingt-dix-neuf
autres dans le désert ? etc. " Il choisit une comparaison dont l'homme
pouvait reconnaître la vérité en lui-même, mais qui
s'appliquait surtout au Créateur des hommes ; car le nombre cent étant
un nombre parfait, Dieu a été le pasteur de cent brebis, lorsqu'il
est devenu le Maître dés anges et des hommes. C'est pour cela qu'il
ajoute : " Qui a cent brebis. "
S. CYR.
Jugez de là quelle est l'étendue du royaume de notre Sauveur.
Il fait remarquer que cet homme avait cent brebis pour exprimer par un chiffre
déterminé, et par un nombre complet, la multitude des créatures
raisonnables qui lui est soumise, car le nombre cent, composé de dix
décades est un nombre parfait. Une de ces brebis s'est égarée,
c'est-à-dire le genre humain qui habite la terre. - S. AMBR. Qu'il est
riche ce pasteur, puisque nous ne sommes que la centième partie de son
troupeau ! " Et s'il en perd une, ne laisse-t-il pas les quatre-vingt-dix-neuf
autres, " etc. - S. GREG. (hom. 34, sur les Evang.) Une brebis s'est égarée,
lorsque l'homme par son péché à quitté les pâturages
de la vie. Les quatre-vingt-dix-neuf autres étaient restées dans
le désert, parce que le nombre des créatures raisonnables, (c'est-à-dire
des anges et des hommes), qui avaient été créées
pour jouir de la vue de Dieu, se trouvait diminué par la perte de l'homme.
C'est pourquoi il s'exprime de la sorte : " Ne laisse-t-il pas les quatre-vingt-dix-neuf
autres dans le désert ? " parce qu'en effet il a laissé dans
le ciel les choeurs des anges. L'homme a quitté le ciel lorsqu'il a commis
le péché, et c'est pour que le nombre des brebis fût ramené
dans le ciel à son intégrité primitive, que Dieu condescend
à chercher sur la terre l'homme qui s'était égaré
: " Et il va après celle qui est perdue, " etc. - S. CYR. Est-il
donc cruel pour toutes les autres, en se montrant si tendre pour celle qui s'est
égarée ? Non sans doute. Car les autres sont en sûreté,
entourées comme d'un rempart de la protection de la main du Tout-Puissant
; mais il fallait avant tout avoir pitié de celle qui allait périr,
afin que le troupeau ne restât pas incomplet, car le retour de cette brebis
rétablit le nombre cent dans sa perfection première. - S. AUG.
( Quest. Ev., 2, 32.) Ou bien les quatre-vingt-dix-neuf qu'il laisse dans le
désert, figurent les orgueilleux, qui portent pour ainsi dire la solitude
dans leur âme, en cherchant à concentrer l'attention Sur eux seuls.
L'unité leur manque pour qu'ils soient parfaits, car quand on se sépare
de l'unité véritable, c'est toujours par un sentiment d'orgueil
; on veut être son maître, et jouir de soi-même, et on ne
veut plus suivre l'unité qui n'est autre que Dieu. Or, c'est à
cette unité qu'il ramène tous ceux qui sont réconciliés
par la grâce de la pénitence qui ne peut s'obtenir que par l'humilité.
S. GREG. DE NYSS. Lorsque le pasteur eut retrouvé sa brebis, il ne la
châtia point, il ne la ramena pas au bercail avec violence, mais il la
chargea sur ses épaules, et la porta avec tendresse pour la réunir
au troupeau : " Et lorsqu'il l'a trouvée, il la met avec joie sur
ses épaules. " Il met sa brebis sur ses épaules, c'est-à-dire
qu'en se revêtant de notre nature, il a porté sur lui nos péchés.
(1 P 2, 24 ; Is 53, 4.) Après avoir retrouvé sa brebis, il retourne
à sa maison, c'est-à-dire, que notre pasteur, après l'oeuvre
de la réparation du genre humain, est rentré dans son céleste
royaume : " Et venant à sa maison, il appelle ses amis, et ses voisins,
leur disant : Réjouissez-vous avec moi, parce que j'ai trouvé
ma brebis qui était perdue. " Ses amis et ses voisins ce sont les
choeurs des anges qui sont vraiment ses amis, parce qu'ils accomplissent sa
volonté d'une manière constante et immuable ; ils sont aussi ses
voisins, parce qu'étant toujours en sa présence, ils jouissent
de la claire vision de Dieu.
THEOPHYL.
Les esprits célestes reçoivent ici le nom de brebis, parce que
toute nature créée, en comparaison de Dieu, est comme un animal
dépourvu de raison, mais cependant il les appelle ses amis et ses voisins,
parce que ce sont des créatures raisonnables.
S. GREG. (hom. 34, sur les Evang.) Remarquez qu'il ne dit pas : Réjouissez-vous
avec ma brebis, mais : " Réjouissez-vous avec moi, " parce
que notre vie fait sa joie, et lorsque nous sommes ramenés dans le ciel,
nous mettons le comble à son allégresse et à son bonheur.
S. AMBR. Les anges étant des créatures raisonnables, il est juste
qu'ils se réjouissent de la rédemption des hommes : " Ainsi,
je vous le dis, il y aura plus de joie dans le ciel pour un pécheur qui
fait pénitence, que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'ont pas besoin
de pénitence. " Quel puissant encouragement au bien, pour chacun
de nous à qui il est permis de croire que sa conversion sera un sujet
de joie pour les anges dont il doit rechercher la protection, autant qu'il doit
craindre de la perdre ! - S. GREG. (hom. 34.) Le Sauveur nous déclare
que la conversion des pécheurs donnera plus de joie dans le ciel que
la persévérance des justes ; souvent en effet, ceux qui ne se
sentent point chargés du poids de fautes énormes, persévèrent,
à la vérité, dans les voies de la justice, mais ne soupirent
point avec ardeur après la céleste patrie, et demeurent presque
toujours indifférents à la pratique des oeuvres de perfection,
parce qu'ils ont la conscience de ne pas s'être rendus coupables de fautes
bien graves. Au contraire, ceux qui se rappellent la gravité des fautes
qu'ils ont commises, puisent dans ce souvenir le principe d'une douleur plus
vive, et d'un amour de Dieu plus ardent, et la considération de leurs
longs égarements les excite à compenser leurs pertes passées
en acquérant de nouveaux mérites. Ils sont donc pour le ciel le
sujet d'une plus grande joie, parce qu'un général aime mieux un
soldat qui, après avoir fui honteusement devant l'ennemi, revient sur
ses pas, et le charge avec intrépidité, que celui qui n'a jamais
pris la fuite, mais qui aussi n'a jamais fait aucune action d'éclat.
C'est ainsi que le laboureur préfère de beaucoup la terre qui,
après avoir porté des épines, produit des fruits en abondance,
à celle qui n'a jamais produit d'épines, mais qui aussi ne s'est
jamais couverte d'une riche moisson. Et cependant, il faut le reconnaître,
il est un grand nombre de justes, dont la vie est pour le ciel un si grand sujet
de joie, qu'aucune pénitence des pécheurs convertis ne peut lui
être préférée. Comprenons par là quelle joie
donnent à Dieu les larmes du juste qui gémit dans l'humilité
de son âme, puisque le pécheur produit dans le ciel une si grande
joie lorsqu'il désavoue et pleure par la pénitence le mal qu'il
a commis.
vv. 8-10.
S. CHRYS. (Ch. des Pèr. gr.) La parabole précédente où
le genre humain était comparé à une brebis égarée,
nous apprenait que nous sommes les créatures du Dieu très-haut,
qui nous a faits, car nous ne nous sommes pas faits nous-mêmes, et nous
sommes les brebis de sa bergerie. (Ps 94.) Le Sauveur à cette première
parabole en ajoute une seconde, qui nous rappelle que nous avons été
faits a l'image et à la ressemblance d'un roi, c'est-à-dire à
l'image et à la ressemblance du Dieu tout-puissant, car la drachme est
une pièce de monnaie qui porte l'empreinte de la figure du roi : "
Ou quelle est la femme qui ayant dix drachmes, si elle en perd une, " etc.
- S. GREG. (hom. 34, sur les Evang.) Celui dont le pasteur était la figure
nous est encore représenté par cette femme ; c'est Dieu lui-même,
c'est la sagesse de Dieu. Il a créé les anges et les hommes pour
qu'ils puissent le connaître, et il les a faits à sa ressemblance.
Il avait dix drachmes, parce qu'il y a neuf choeurs des anges, et que pour rendre
complet le nombres des élus, l'homme a été créé
le dixième. - S. AUG. (quest. Evang., si, 33.) Ou bien ces neuf drachmes
comme les quatre-vingt-dix-neuf brebis représentent ceux qui par un sentiment
de présomption se préfèrent aux pécheurs repentants,
car il manque une unité au nombre neuf pour faire dix, et au nombre quatre-vingt-dix-neuf
pour faire cent, et c'est à cette unité qu'il compare tous ceux
qui obtiennent la réconciliation par la pénitence. - S. GREG.
(hom. 34.) Comme la drachme porte l'empreinte d'une figure royale, cette femme
a perdu sa drachme, lorsque l'homme qui avait été créé
à l'image de Dieu, a perdu par le péché sa ressemblance
avec son Créateur. Le Sauveur ajoute : " Si elle en perd une, n'allume-t-elle
pas sa lampe ? " etc. Cette femme qui allume sa lampe, c'est la sagesse
de Dieu qui s'est manifestée sous une forme humaine, car une lampe est
une lumière dans un vase de terre, et cette lumière dans un vase
de terre c'est la divinité dans une chair mortelle. Après qu'elle
a allumé sa lampe, " elle bouleverse sa maison, " c'est-à-dire
qu'aussitôt que la divinité a brillé à nos yeux dans
l'humanité dont elle s'était revêtue, notre conscience a
été tonte bouleversée. Cette expression, " elle bouleverse
toute sa maison, " ne diffère point de cette autre qu'on lit dans
certains manuscrits : " elle balaye sa maison ; " car l'âme
du pécheur ne peut être purifiée de ses habitudes vicieuses
qu'après avoir été profondément remuée par
la crainte de Dieu. La maison ainsi mise sens dessus dessous, la drachme se
retrouve : " Et elle cherche soigneusement jusqu'à ce qu'elle la
trouve, " car c'est grâce à ce trouble salutaire de la conscience,
que l'homme répare en lui l'image de son Créateur.
S. GREG. DE NAZ. (Disc. 42, 2° sur la fête de Pâques.) Aussitôt qu'il a retrouvé la drachme qu'il avait perdue, il veut faire partager sa joie aux esprits célestes qu'il a établis les ministres de sa miséricorde : " Et lorsqu'elle l'a retrouvée, elle assemble ses amies et ses voisines, " etc. - S. GREG. (hom. 34.) En effet les vertus des cieux sont d'autant plus voisines de la divine sagesse qu'elles en sont plus rapprochées par la grâce de la claire vision de Dieu. - THEOPHYL. Ou encore : elles sont ses amies, parce qu'elles exécutent ses volontés ; elles sont ses voisines, parce qu'elles ont une nature incorporelle. Ou encore, toutes les vertus célestes sont les amis de Dieu ; ses voisines sont celles qui sont plus rapprochées, c'est-à-dire : les trônes, les chérubins et les séraphins.
S. GRÉG.
DE NYSS. (De la virginité, chap. 12.) Ou bien dans un autre sens, voici
la vérité que Notre-Seigneur a voulu nous enseigner sous la comparaison
de cette drachme qui est perdue et que l'on cherche ; c'est que nous ne pouvons
retirer aucune utilité des vertus purement extérieures, figurées
ici par les drachmes, (les eussions-nous toutes réunies), si notre âme
est dépourvue et comme veuve de celle qui seule peut lui donner l'éclat
de la ressemblance divine. La première chose qu'il nous ordonne de faire,
c'est d'avoir une lampe allumée ; c'est-à-dire la parole divine
qui découvre les choses cachées : ou bien encore la lampe de la
pénitence. Or, c'est dans sa propre maison, (c'est-à-dire en soi-même
et dans sa conscience), qu'il faut chercher cette drachme qu'on a perdue, c'est-à-dire
cette image de notre roi qui n'est pas entièrement effacée et
perdue, mais qui est cachée sous le fumier, qui figure les souillures
de la chair. Il faut enlever ces souillures avec soin, et lorsqu'on les a fait
disparaître de la drachme, la sainteté de la vie est alors dans
tout son jour ce que l'on cherchait. Il faut donc se réjouir de l'avoir
retrouvée et appeler à partager sa joie ses voisines, c'est-à-dire
les puissances de notre âme, la partie raisonnable, et la partie irascible
ou sensible et toutes les autres puissances de notre âme qui doivent se
réjouir dans le Seigneur. Le Sauveur conclut ensuite cette parabole par
ces paroles : " Ainsi, je vous le dis, sera la joie parmi les anges de
Dieu pour un pécheur qui fait pénitence. Faire pénitence,
c'est pleurer les fautes passées, et cesser de commettre celles qu'on
déplore ; car celui qui déplore ses fautes anciennes, sans cesser
d'en commettre de nouvelles, ne sait pas encore ce que c'est de faire pénitence,
ou fait l'hypocrite. Il faut encore bien réfléchir qu'une des
satisfactions à offrir au Créateur, c'est de s'interdire même
les choses permises, parce qu'on s'est permis des choses défendues, c'est
d'être sévère pour soi dans les plus petites circonstances,
parce qu'on se rappelle d'avoir été infidèle dans les plus
grandes.
vv. 11-16.
S. AMBR. Saint Luc raconte successivement trois paraboles de Notre-Seigneur,
celle de la brebis égarée et ramenée au bercail, celle
de la drachme qui était perdue et qui fut retrouvée, et celle
du fils qui était mort et qui fut ressuscité, pour que la vue
de ces trois remèdes différents nous engage à guérir
nos propres blessures. Jésus-Christ, comme un bon pasteur, vous porte
sur ses épaules ; l'Église vous cherche comme cette femme qui
avait perdu sa drachme ; Dieu vous reçoit comme un tendre père
; dans la première parabole, nous voyons la miséricorde de Dieu
; dans la seconde, les suffrages de l'Église ; dans la troisième,
la réconciliation. - S. CHRYS. (hom. sur le père et ses deux fils.)
Il y a encore entre ces trois paraboles une différence fondée
sur les personnes ou les dispositions des pécheurs ; ainsi le père
accueille son fils repentant, qu'il a laissé user de sa liberté
pour lui faire connaître d'où il était tombé, tandis
que le pasteur cherche sa brebis égarée et la rapporte sur ses
épaules, parce qu'elle était incapable de revenir ; cette brebis,
animal dépourvu de raison, est donc la figure de l'homme imprudent qui,
victime de ruses étrangères, s'est égaré comme une
brebis. Or Notre-Seigneur commence ainsi cette parabole : " Un homme avait
deux fils. " Il en est qui prétendent que le plus âgé
de ces deux fils figure les anges, et que le plus jeune représente l'homme
qui s'en alla dans une région lointaine, lorsqu'il tomba des cieux et
du paradis sur la terre, et ils appliquent la suite de la parabole à
la chute d'Adam et à son état après qu'il eut péché.
Cette interprétation me parait pieuse, mais je ne sais si elle est aussi
fondée en vérité. En effet, le plus jeune fils revint de
lui-même à la pénitence, au souvenir de l'abondance dont
il avait joui dans la maison de son père, tandis que le Seigneur est
venu appeler lui-même à la pénitence le genre humain, qui
ne songeait même pas à retourner au ciel d'où il était
tombé. Ajoutez que l'aîné des deux fils s'attriste du retour
et du salut de son frère, tandis que Notre-Seigneur nous déclare
que la conversion d'un pécheur est un sujet de joie pour tous les anges.
- S. CYR. Suivant d'autres, le fils aîné représente le peuple
d'Israël, selon la chair (Rm 9, 6), et celui qui quitte la maison paternelle,
la multitude des Gentils.
S. AUG. (Quest. év., 2, 33.) Cet homme qui a deux fils représente
donc Dieu, père aussi de deux peuples, qui sont comme les deux souches
du genre humain, l'une composée de ceux qui sont restés fidèles
au culte d'un seul Dieu, et l'autre de ceux qui ont oublié le vrai Dieu,
jusqu'à adorer des idoles. Ainsi, c'est dès l'origine du monde
et immédiatement après la création des hommes, que l'aîné
des fils embrasse le culte du seul et vrai Dieu, et que le plus jeune demande
à son père la portion du bien qui devait lui revenir : "
Et le plus jeune des deux dit à son père : Mon père, donnez-moi
la portion de bien qui doit me revenir. " Ainsi l'âme, séduite
par la puissance qu'elle croit avoir, demande à être maîtresse
de sa vie, de son intelligence, de sa mémoire, et à dominer par
la supériorité de son génie ; ce sont là des dons
de Dieu, mais elle les a reçus pour en disposer selon sa volonté.
Aussi le père accède à ce désir : " Et il leur
partagea leurs biens. " - THEOPHYL. Le bien de l'homme, c'est la raison
accompagnée du libre arbitre ; tout ce que nous tenons de la main libérale
de Dieu, peut aussi être regardé comme notre bien, le ciel, la
terre, toutes les créatures, la loi et les prophètes.
S. AMBR. Vous voyez que le patrimoine que nous tenons de Dieu est donné
à tous ceux qui le demandent, et ne pensez pas que le père ait
commis une imprudence en le donnant au plus jeune de ses fils. Pour le royaume
de Dieu, nul âge n'est trop faible, et les années ne sont jamais
un poids trop lourd pour la foi. D'ailleurs ce jeune homme s'est jugé
capable d'administrer ce patrimoine, puisqu'il en demande le libre usage. Et
plût à Dieu qu'il ne se fût pas éloigné de
son père, il n'eût pas connu l'impuissance de l'âge : "
Peu de jours après, le plus jeune fils, ayant rassemblé tout ce
qu'il avait, partit pour une région lointaine, " etc. - S. CHRYS.
(comme précéd.) Le plus jeune fils part pour un pays lointain,
ce n'est pont par le changement et la distance des lieux qu'il s'éloigne
de Dieu, qui remplit tout de son immensité, mais par les affections du
coeur, car le pécheur fuit Dieu pour s'en tenir éloigné.
- S. AUG. (serm. 34 sur les paroles du Seigneur.) Celui qui veut se rendre semblable
à Dieu en conservant toute sa force en lui (Ps 58, 8), ne doit point
s'éloigner de Dieu, mais s'attacher étroitement à lui pour
conserver l'image et la ressemblance à laquelle il a été
fait. Mais s'il veut imiter Dieu d'une manière coupable, et à
l'exemple de Dieu, qui ne reconnaît point de maître, vivre indépendant
et affranchi de toute autorité, que doit-il arriver ? C'est qu'en s'éloignant
de la chaleur il tombera dans l'engourdissement, c'est qu'en s'éloignant
de la vérité, il se dissipera dans la vanité. - S. AUG.
(quest. évang., 2, 33.) C'est peu de jours après, qu'ayant rassemblé
tout ce qu'il avait, il part pour une région lointaine, qui est l'oubli
de Dieu, c'est-à-dire, que ce fut peu de temps après la création
du genre humain, que l'âme voulut à l'aide de son libre arbitre,
se rendre maîtresse de sa nature et s'éloigner de son Créateur
dans un sentiment exagéré de ses forces, qu'elle perdit d'autant
plus vite, qu'elle se sépara de celui qui en était la source.
Aussi quelle fut la suite : " Et il y dissipa son bien en vivant dans la
débauche. " Il appelle une vie d'excès ou de débauche,
une vie de prodigalité, qui aime à se répandre, à
errer en liberté et qui se dissipe au milieu des pompes extérieures
du monde, cette vie qui fait qu'on poursuit toujours de nouvelles choses, tandis
qu'on s'éloigne davantage de celui qui est au-dedans de nous-mêmes
: " Et après qu'il eut tout consumé, il survint une grande
famine dans ce pays. " Cette famine, c'est l'indigence de la parole de
vérité.
" Et
il commença à sentir le besoin. " - S. AMBR. C'est par une
juste punition qu'il tombe dans l'indigence, lui qui a volontairement abandonné
les trésors de la sagesse et de la science de Dieu, et la source inépuisable
des richesses célestes : " Il alla donc, et s'attacha à un
habitant de ce pays-là. " - S. AUG. (Quest. évang.) Cet habitant
de cette région, c'est quelque puissance de l'air, faisant partie de
la milice du démon. (Ep 6, 42.) Cette maison des champs, c'est une des
manières dont il exerce sa puissance, comme nous le voyons par la suite
: " Il l'envoya dans sa maison des champs pour garder les pourceaux. "
Les pourceaux sont les esprits immondes dont le démon est le chef. -
BEDE. Mener paître les pourceaux, c'est commettre ces actions infâmes
qui font la joie des esprits immondes : " Et il désirait se rassasier
des caroubes que les pourceaux mangeaient. " - S. AMBR. La silique (ou
ce que la Vulgate a traduit par ce mot), est une espèce de légume
vide au-dedans et assez tendre à l'extérieur, qui remplit le corps
sans le fortifier, et qui, par conséquent, est plus nuisible qu'utile.
- S. AUG. (Quest. évang.) Ces siliques, dont les pourceaux se nourrissaient,
sont donc les doctrines du siècle, aussi vaines qu'elles sont sonores,
dont retentissent les discours et les poèmes consacrés à
la louange des idoles et les fables des dieux qu'adorent les nations et qui
font la joie des démons. Ainsi ce jeune homme qui voulait se rassasier,
cherchait dans cette nourriture un élément solide et réel
de bonheur, et cela lui était impossible : " Et personne ne lui
en donnait. "
S. CYR. (Ch. des Pèr. gr.) Les Juifs sont souvent accusés dans
la sainte Écriture, de crimes multipliés (Is 29, 13 ; Jr 2, 5)
; comment donc peut-on appliquer à ce peuple ces paroles du fils aîné
: " Voici tant d'années que je vous sers, et je n'ai jamais manqué
à vos commandements ? " Voici donc le sens de cette parabole. Les
pharisiens et les scribes ayant accusé le Sauveur d'accueillir avec bonté
les pécheurs, il leur proposa cette parabole, dans laquelle il compare
Dieu à un homme qui est le père de ces deux frères (c'est-à-dire
des justes et des pécheurs) ; le premier degré est celui des justes
qui ne se sont jamais écartés des sentiers de la justice ; le
second degré comprend les hommes qui ont été ramenés
par la pénitence dans les sentiers de la vertu. - S. BAS. (sur Is 3.)
Ce qui donne à l'aîné plus de constance dans le bien, c'est
moins son âge avancé et ses cheveux blancs que sa maturité
et la gravité du caractère ; et celui qui est ici condamné
n'est pas le plus jeune par l'âge, mais celui qui, jeune par sa conduite,
suit les inspirations de ses passions. - TITE DE BOSTRA. Le plus jeune de ces
deux fils, dont l'esprit n'était pas encore arrivé à la
maturité, s'en va donc et demande à son père la portion
de l'héritage qui doit lui revenir, afin de n'être plus dans la
nécessité de lui être soumis, car nous sommes des êtres
raisonnables doués de la faculté du libre arbitre.
S. CHRYS.
(comme précéd.) Le père, dit l'Évangile, leur partagea
donc également son bien, c'est-à-dire la science du bien et du
mal, source de richesses vraies et durables pour l'âme qui sait en faire
un bon usage. En effet, la faculté de la raison que l'homme reçoit
de Dieu en naissant est donnée également à tous ceux qui
viennent au monde ; mais dans la suite, chacun se trouve avoir plus ou moins
de cette faculté de la raison suivant le genre de vie qu'il adopte :
l'un, en effet, regarde et conserve comme appartenant à son père,
le patrimoine qu'il en a reçu, l'autre en use comme d'un bien qui lui
appartient en propre et le dissipe dans tous les excès. Nous avons du
reste dans la conduite de ce père une preuve démonstrative du
libre arbitre, il ne retient pas le fils qui veut se séparer de lui pour
ne point blesser son libre arbitre, il ne force point non plus l'aîné
de quitter la maison paternelle, pour ne point paraître le premier auteur
des malheurs qui suivraient cette séparation. Or, ce fils s'en va, non
point en changeant de lieu, mais par l'éloignement de son coeur : "
Il partit, dit l'Évangile, pour une région étrangère
et lointaine. " - S. AMBR. Quel éloignement plus grand, en effet,
que de s'éloigner de soi-même et d'être séparé,
non par la distance des contrées, mais par la différence des moeurs
? Celui, en effet, qui se sépare de Jésus-Christ, est un exilé
de sa patrie et un habitant du monde. Et il n'est pas surprenant qu'en s'éloignant
de l'Église, il ait dissipé son patrimoine. - TITE DE BOSTR. Aussi
donne-t-on le nom de prodigue à celui qui dissipe tout son bien, c'est-à-dire,
la droiture de son intelligence, les leçons de la chasteté, la
connaissance de la vérité, le souvenir de son père, la
pensée de son origine.
S. AMBR. Il survint dans cette région une grande disette, non d'aliments,
mais de bonnes oeuvres et de vertus, privation des plus déplorables.
En effet, celui qui s'éloigne de la parole de Dieu, ressent, bientôt
l'aiguillon de la faim ; car l'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute
parole de Dieu (Mt 4) ; et celui qui s'éloigne d'un trésor, tombe
dans l'indigence. Il commença donc à se trouver dans l'indigence
et à souffrir de la faim, parce que rien ne peut suffire à une
volonté prodigue. " Il s'en alla donc, et s'attacha à un
habitant do ce pays ; " car celui qui s'attache est comme pris au piège
; cet habitant paraît être le prince de ce monde. L'infortuné
est envoyé dans cette maison des champs achetée par celui qui
s'est excusé de venir au festin royal. (Lc 14.) - BEDE. Etre envoyé
dans une maison des champs, c'est devenir l'esclave des désirs des jouissances
de ce monde. - S. AMBR. Il garde les pourceaux dans lesquels le démon
a prié qu'on le laissât entrer (Mt 8 ; Mc 2 ; Lc 8), et qui vivent
dans l'ordure et le fumier. - THEOPHYL. Garder les pourceaux, c'est être
supérieur aux autres dans le vice, tels sont les corrupteurs, les chefs
de brigands, les chefs des publicains, et tous ceux qui tiennent école
d'obscénités.
S. CHRYS. (comme précéd.) Celui qui garde les pourceaux est encore celui qui est dépouillé de toute richesse spirituelle (de la prudence et de l'intelligence), et qui nourrit dans son âme des pensées impures et immondes. Il mange aussi les aliments grossiers d'une vie corrompue, aliments doux à celui qui est dans l'indigence de tout bien ; car les âmes perverties trouvent une certaine douceur dans les plaisirs voluptueux qui énervent et anéantissent les puissances de l'âme ; l'Écriture désigne sous le nom de siliques ces aliments destinés aux pourceaux, et dont la douceur est si pernicieuse (c'est-à-dire les attraits des plaisirs charnels.) - S. AMBR. Il désirait remplir son ventre de ces siliques ; parce que ceux qui mènent une vie dissolue, n'ont d'autre souci que de satisfaire pleinement leurs instincts grossiers. - THEOPHYL. Mais personne ne peut lui donner cette satiété dans le mal ; car celui qui a ce désir est éloigné de Dieu, et les démons s'appliquent à ce qu'on ne trouve jamais la satiété dans le vice. - LA GLOSE. Ou bien encore, personne ne lui en donnait, car le démon ne donne jamais satisfaction pleine aux désirs de celui dont il s'est emparé, parce qu'il sait qu'il est mort.
vv. 17-24.
S. GREG. DE NYSSE. (comme précéd.) Le plus jeune fils avait traité
son père avec mépris en quittant la maison paternelle, et en dissipant
tout son patrimoine ; mais lorsque dans la suite il fut brisé par les
travaux, réduit à la condition de mercenaire, et à manger
la même nourriture que les pourceaux ; instruit par une aussi grande infortune,
il revint dans la maison de son père : " Rentrant alors en lui-même,
il dit : Combien de mercenaires, dans la maison de mon père, ont du vain
en abondance, et moi ici je meurs de faim. " - S. AMBR. Il a bien raison
de rentrer en lui-même, lui qui s'en est tant éloigné ;
car eu retournant à Dieu, on se rend à soi-même, et on s'en
sépare quand on se sépare de Jésus-Christ. - S. AUG. (Quest.
évang., 2, 33.) Il rentra en lui-même, lorsqu'il ramena dans l'intérieur
de sa conscience ses affections qu'il avait laissé s'égarer sur
toutes ces vanités extérieures qui nous séduisent et nous
entraînent.
S. BAS. (de la préface des régl. dévelop.) On peut distinguer
trois degrés d'obéissance d'après leurs différents
motifs. Ou bien nous nous éloignons du mal par la crainte des supplices,
et nous sommes dans une disposition servile ; ou nous faisons ce qui nous est
commandé exclusivement par le désir de la récompense, et
nous ressemblons à des mercenaires ; ou enfin nous obéissons par
amour pour le bien et pour celui qui nous a donné la loi, et nos dispositions
sont celles d'un véritable fils. - S. AMBR. Car le fils qui a dans son
coeur le gage de l'Esprit saint, ne cherche pas les avantages passagers de la
terre, mais il conserve ses droits d'héritier. Il y a aussi de bons mercenaires,
tels que ceux que le père de famille envoie travailler à sa vigne.
(Mt 20.) Ils ne se nourrissent pas de siliques, mais ont le pain en abondance.
- S. AUG. (Quest. évang.) Mais comment pouvait-il le savoir, lui qui,
comme tous les idolâtres, était tombé dans un si grand oubli
de Dieu ? Cette pensée de retour ne lui vint donc qu'à la prédication
de l'Évangile. C'est alors que cette âme put déjà
s'apercevoir que dans le grand nombre de ceux qui prêchaient la vérité,
il en était plusieurs qui n'étaient pas conduits par l'amour de
la vérité, mais par le désir d'obtenir les avantages de
la terre, quoique cependant ils n'annonçaient pas une autre doctrine,
comme font les hérétiques. On les appelle justement mercenaires,
parce qu'ils demeurent dans la même maison, et rompent le même pain
de la parole ; toutefois, ils ne sont pas appelés à l'héritage
éternel, mais ils travaillent pour une récompense purement temporelle.
S. CHRYS.
(comme précéd.) Après que cet enfant prodigue a souffert
dans une terre étrangère le digne châtiment de ses égarements,
vaincu par l'extrémité de ses malheurs, c'est-à-dire par
la famine et la pauvreté, il commence à réfléchir
sur la cause de sa détresse, lui qui, sous l'impulsion d'une volonté
vicieuse a quitté son père pour des étrangers, sa maison
pour l'exil, les richesses pour la pauvreté, l'abondance de tous les
biens pour l'extrême indigence. Aussi écoutez cet aveu si expressif
: " Et moi ici, je meurs de faim, " c'est-à-dire, moi qui ne
suis pas un étranger, mais le fils d'un si bon père, et le frère
d'un fils si soumis, moi qui étais libre et de condition noble, je suis
devenu plus misérable que les mercenaires en tombant du comble de ma
grandeur première dans l'abîme de l'humiliation. - S. GREG. DE
NYSSE. Il n'y eut pour lui de retour à sa félicité première,
qu'après qu'il fut rentré en lui-même, pour sentir tout
le poids de sa misère, et qu'il eut réfléchi sur les paroles
de repentir qui suivent : " Je me lèverai, " etc. - S. AUG.
(Quest. évang.) " Je me lèverai, " parce qu'en effet,
il était comme étendu à terre ; " à mon père,
" parce qu'il était au service du maître de ces pourceaux.
Les autres paroles sont celles du pécheur qui songe à faire pénitence
en confessant son péché, mais qui n'en vient pas encore à
l'action ; car il ne fait pas encore cet aveu à son père ; il
se propose de le faire lorsqu'il se présentera devant lui, Il faut donc
bien comprendre le sens de ces paroles : " Venir à son père
; " elles veulent dire être établi par la foi dans l'Église,
où la confession peut être légitime et avantageuse. Il prend
donc la résolution de dire à son père : " Mon père.
" - S. AMBR. Qu'il est miséricordieux ce Dieu qui, tout offensé
qu'il est, ne dédaigne pas ce nom de père que le pécheur
lui donne ! " J'ai péché, " c'est le premier aveu que
nous devons faire devant l'auteur de notre nature, le roi de la miséricorde,
le confident et le juge de nos fautes. Mais bien que Dieu connaisse toutes choses,
il attend néanmoins votre confession extérieure, car la confession
de bouche (Rm 10, 10) est nécessaire pour le salut. Celui qui se charge
lui-même, allége le poids de l'erreur qui pèse sur lui,
et ôte à l'accusateur le désir de l'accuser, en le prévenant
par une confession volontaire. C'est en vain, d'ailleurs, que vous voudriez
en dérober la connaissance à celui pour qui rien n'est caché,
tandis que vous pouvez sans danger avouer ce que vous savez lui être déjà
connu. Confessez-vous donc, pour que le Christ intercède en votre faveur,
pour que l'Église prie pour vous, pour que le peuple fidèle verse
des larmes sur vous. Ne craignez pas de n'être pas exaucé, votre
avocat vous assure du pardon ; votre protecteur s'engage à vous donner
la grâce ; le témoin de la tendresse de votre père vous
promet la réconciliation qu'il vous réserve. Il ajoute : "
Contre le ciel et devant vous. " - S. CHRYS. (comme précéd.)
Ces paroles : " Devant vous, " nous apprennent que ce père
c'est Dieu, qui seul voit toutes choses, et pour qui les péchés
même dont la pensée est comme ensevelie dans le coeur, ne peuvent
demeurer cachés.
S. AUG. (Quest. évang.) Mais ce péché contre le ciel est-il
le même que le péché commis sous les yeux de Dieu, dans
ce sens que le ciel serait la majesté sublime du Père ? Ou bien
faut-il entendre : J'ai péché contre le ciel en présence
des âmes saintes qui l'habitent, et devant vous dans le secret de ma conscience
? - S. CHRYS. (comme précéd.) Ou bien encore faut il entendre
par le ciel Jésus-Christ ? car celui qui pèche contre le ciel,
qui malgré son élévation est cependant un élément
visible, pèche contre l'homme, dont le Fils de Dieu s'est revêtu
pour notre salut. - S. AMBR. Ou encore ces paroles veulent dire que le péché
diminue dans l'âme les dons célestes de l'Esprit saint ; ou que
nous n'aurions pas dû nous séparer du sein de la Jérusalem
céleste qui est notre mère. Or, après être tombé
si bas, il doit se garder de s'élever, aussi ajoute-t-il : " Je
ne suis plus digne d'être appelé votre fils, " mais afin que
cette humiliation volontaire lui obtienne la grâce dont il déclare
n'être point digne, il ajoute : " Traitez-moi comme un de vos mercenaires.
" - BEDE. Il n'ose aspirer à l'affection dont jouit un fils qui
ne peut douter que tout ce qui est à son père ne soit à
lui, il se contente de demander la condition d'un mercenaire prêt à
servir pour son salaire, et encore déclare-t-il qu'il ne peut obtenir
cette condition que par l'indulgence de son père.
S. GREG. DE NYSSE. Le Saint-Esprit, nous décrit les égarements et le retour de cet enfant prodigue, pour nous apprendre comment nous devons déplorer les égarements de notre coeur. - S. CHRYS. (hom. 14 sur l'Epît. aux Rom.) Aussitôt qu'il a pris cette résolution, source pour lui de tous les biens : " J'irai vers mon Père, " il franchit sans tarder la distance qui le sépare de lui : " Et se levant, il vint vers son pore. " Imitons son exemple, ne soyons pas effrayés de la longueur du chemin ; car pourvu, que nous le voulions, le retour sera prompt et facile ; il suffit que nous nous détachions du péché qui nous a éloignés de la maison paternelle. Mais voyez la tendresse de ce bon père pour ceux qui reviennent à lui : " Comme il était encore loin, son père le vit, " etc. - S. AUG. (Quest. évang.) Avant même qu'il comprit ce qu'était Dieu, dont il était si éloigné, mais qu'il commençait à chercher avec amour, son père le vit. L'Écriture nous dit avec raison que Dieu ne voit point les impies et les superbes, comme s'ils n'étaient pas présents à ses yeux ; car il n'y a que ceux qu'on aime dont on puisse dire qu'on les a toujours devant les yeux.
S. CHRYS. (Ch. des Pèr. gr.) Le père comprit le repentir de son fils, il n'attendit point qu'il eût fait l'aveu de ses fautes, et il prévint ses désirs par les effets de sa miséricorde : " Et il fut touché de compassion. " - S. GREG. DE NYSSE. La volonté de confesser ses égarements suffit pour apaiser son père, le déterminer à aller à sa rencontre et à couvrir son cou de ses baisers : " Il accourut, se jeta à son cou, et le baisa. " C'est la figure du joug spirituel imposé aux lèvres de l'homme par la tradition évangélique qui a mis fin aux observances légales. - S. CHRYS. (hom. sur le pèr. et ses deux enfants.) Or, que signifie cette condescendance du père qui va à la rencontre de son fils ? c'est que nos péchés étaient un obstacle insurmontable qui nous empêchait d'arriver jusqu'à Dieu par nos propres forces. Mais pour lui qui pouvait parvenir jusqu'à notre infirmité, il est descendu jusqu'à nous ; et il baise cette bouche d'où était sortie la confession dictée par un coeur repentant, et que ce bon père a reçue avec tant de joie.
S. AMBR.
Il vient donc à votre rencontre, parce qu'il entend le langage des secrètes
pensées de votre coeur ; et alors que vous êtes encore bien loin,
il accourt au-devant de vous pour lever tous les obstacles : il embrasse son
fils avec effusion, (car il vient à sa rencontre dans sa prescience,
et l'embrasse dans sa tendresse), et se jette à son cou par un élan
d'amour paternel, pour relever ce fils si abattu, et redresser vers le ciel
celui qui était accablé sous le poids de ses péchés,
et courbé vers les choses de la terre. Aussi j'aime mieux être
le fils égaré que la brebis perdue, car si la brebis est retrouvée
par le pasteur, le fils est comblé d'honneur par son père. - S.
AUG. (quest. Evang.) Ou bien encore, il accourt et se jette à son cou
: parce que ce père n'a pas quitté son Fils unique dans lequel
il est accouru jusque dans notre lointain pèlerinage ; car Dieu était
dans Jésus-Christ se réconciliant le monde. (2 Co 5.) Il tombe
sur son cou, c'est-à-dire, qu'il. abaisse pour l'étreindre son
bras, qui est Notre-Seigneur Jésus-Christ (1 Co 1, 24 ; Is 53, 1 ; Lc
1). Il le console par la parole de la grâce qui lui donne l'espérance
de la rémission de ses péchés ; c'est ainsi qu'au retour
de ses longs égarements, il lui donne le baiser d'amour paternel. Une
fois entré dans l'Église, il commence la confession de ses péchés
; mais sans la faire aussi complète qu'il se l'était proposé
: " Et le Fils lui dit : Mon Père, j'ai péché contre
le ciel et à vos yeux, je ne suis plus digne d'être appelé
votre fils. " Il veut obtenir de la grâce de Dieu ce dont il avoue
que ses fautes le rendent indigne, car il n'ajoute pas ce qu'il s'était
proposé de dire : " Traitez-moi comme un de vos mercenaires. "
Lorsqu'il était sans pain, il désirait la condition des mercenaires,
mais il la dédaigne avec une noble fierté après qu'il a
reçu le baiser de son père.
S. CHRYS. (Ch. des Pèr. gr.) Le père n'adresse point la parole
à son fils, mais à ses serviteurs, parce que le pécheur
repentant est tout entier à la prière, et ne reçoit pas
une réponse verbale, mais prouve intérieurement les effets puissants
de la miséricorde divine : " Et le père dit à ses
serviteurs : Apportez vite sa robe première et l'en revêtez. "
- THEOPHYL. Ces serviteurs, ce sont ou les anges qui servent à Dieu de
ministres, ou les prêtres qui par le baptême et la parole sainte
revêtent l'âme en Jésus-Christ " Car nous tous qui avons
été baptisés en Jésus-Christ, nous avons revêtu
Jésus-Christ. " (Ga 3, 27.) - S. AUG. (quest. Evang.) Ou bien cette
robe première, c'est la dignité qu'Adam a perdue par son péché
: les serviteurs qui l'apportent, sont les prédicateurs de la réconciliation.
- S. AMBR. Ou bien cette robe, c'est le vêtement de la sagesse dont les
apôtres couvrent la nudité de notre corps ; cette robe première,
c'est le premier degré de la sagesse, parce qu'il en est une autre pour
laquelle il n'y a point de mystère. L'anneau est le signe d'une foi sincère
et l'emblème de la vérité : " Et mettez-lui un anneau
au doigt. " - BEDE. C'est-à-dire, dans l'action, afin que ses oeuvres
fassent éclater sa foi, et que la foi à son tour confirme les
oeuvres. - S. AUG. (quest. Evang.) Ou bien l'anneau au doigt c'est le. gage
de l'Esprit saint, à cause de la participation à la grâce
dont le doigt est comme la figure. - S. CHRYS. (hom. sur le Père et ses
deux enf.) On bien il commande de lui mettre au doigt un anneau, comme le symbole
du signe du salut, ou plutôt comme un signe d'alliance, et un gage de
l'union que Jésus-Christ contracte avec l'Église son épouse,
et aussi avec l'âme repentante qui s'unit avec Jésus-Christ par
l'anneau de la foi,
S. AUG. (quest. Evang.) La chaussure qu'on lui met aux pieds figure la préparation
à la prédication de l'Évangile qui consiste à ne
point s'approcher de trop près des choses de la terre : " Et mettez-lui
une chaussure aux pieds. " - S. CHRYS. (comme précéd.) Ou
bien il commande de lui mettre une chaussure aux pieds, soit pour protéger
ses pas, et donner à sa marche plus de fermeté dans les sentiers
gus. sauts de ce monde, soit comme symbole de la mortification des membres,
car tout le cours de notre vie est comparé au pied dans les Écritures
(Jb 23, 11 ; Ps 25, 12 ; Pv 3, 23 ; Si 6, 25 ; Si 1, 20), et les chaussures
sont comme un symbole de mortification, puisqu'elles sont faites avec des peaux
d'animaux qui sont morts. Le père commande ensuite d'amener le veau gras
et de le tuer pour le festin qu'il fait préparer : " Et amenez le
veau gras, " c'est-à-dire Notre-Seigneur Jésus-Christ, ainsi
appelé à cause du sacrifice de son corps immaculé ; et
parce qu'il est une victime si riche et si excellente, qu'elle suffit à
la rédemption du monde entier. Ce n'est pas le père lui-même
qui met à mort le veau gras, mais il le laisse immoler à d'autres,
car c'est par la permission du Père, et le consentement du Fils que ce
dernier a été crucifié par les hommes. - S. AUG. (quest.
Evang.) Ou bien le veau gras est le Seigneur qui dans son incarnation a été
rassasié d'opprobres. Il commande qu'on l'amène, c'est-à-dire
qu'on l'annonce, et qu'en l'annonçant on rende la vie aux entrailles
épuisées de ce fils mourant de faim ? Il ordonne aussi de le mettre
à mort, c'est-à-dire de prêcher sa mort, car il est vraiment
immolé pour celui qui croit à son immolation et à sa mort.
" Mangeons et réjouissons-nous. " - S. AMBR. Mangeons la chair
du veau gras, parce que c'était la victime que le prêtre offrait
pour ses péchés. Notre-Seigneur nous représente son Père
se livrant à la joie d'un festin, pour nous montrer que le salut de notre
âme est la nourriture de son Père, et que la rémission de
nos péchés est sa joie. - S. CHRYS. (comme précéd.)
Le père se réjouit du retour de son fils, et en signe de joie
fait un festin avec le veau gras ; ainsi le Créateur se réjouit
des fruits de miséricorde produits par l'immolation de son fils, et l'acquisition
du peuple fidèle est pour lui comme un festin de joie : " Car mon
fils que voici était mort, et il revit, il était perdu, et il
est retrouvé. " - S. ATHAN. Celui-là seul meurt qui a existé
: ainsi les Gentils n'existent plus, le chrétien seul est vivant. On
peut encore entendre ces paroles du genre humain : Adam a existé, et
nous avons tous existé en lui, il est mort, et tous sont morts en lui,
l'homme est donc réparé dans cet homme qui était mort.
On peut aussi les appliquer à celui qui fait pénitence, car il
ne peut mourir sans avoir auparavant vécu, quant aux gentils ils ont
reçu la vie par la grâce aussitôt qu'ils eurent embrassé
la foi, tandis que celui qui tombe dans le péché, revient à
la vie par la pénitence. - THEOPHYL. Si l'on n'a égard qu'à
l'excès de ses vices, il était mort sans espoir de retour ; mais
si l'on considère la nature humaine, qui est sujette à la mutabilité,
et peut se convertir du vice à la vertu, il était simplement perdu,
car c'est un moindre mal de se perdre que de mourir. Tout homme ainsi rappelé
à la vie et purifié de ses crimes participe au veau gras et devient
une cause de joie pour son père et pour ses serviteurs, c'est-à-dire
pour les anges et pour les prêtres : " Et ils commencèrent
à faire grande chère. " - S. AUG. (quest. Evang.) Ces festins
de joie et cette fête se célèbrent aujourd'hui par toute
l'Église répandue dans tout l'univers, car ce veau gras qui est
le corps et le sang du Seigneur, est offert à Dieu le Père, et
nourrit toute la maison.
vv. 25-32.
BEDE. Aux murmures des scribes et des pharisiens, qui reprochaient au Sauveur
d'accueillir favorablement les pécheurs ; il répond par trois
paraboles, qu'il leur expose successivement. Dans les deux premières,
il montre combien la conversion des pécheurs est un sujet de joie pour
lui et pour les anges ; le but de cette troisième parabole n'est plus
seulement de faire ressortir cette grande joie, mais de condamner les murmures
de ces esprits envieux : " Cependant, poursuit-il, son fils aîné
était dans les champs. " - S. AUG. (Quest. évang.) Ce fils
aîné, c'est le peuple d'Israël ; il n'est point allé
dans une région lointaine, cependant il n'est pas dans la maison, il
est dans les champs, c'est-à-dire, qu'il travaille pour acquérir
les biens de la terre dans le riche héritage de la loi et des prophètes.
Il revient des champs et approche de la maison, c'est-à-dire, qu'il désapprouve
les travaux de son oeuvre servile, en considérant d'après les
mêmes Écritures la liberté de l'Église : " Et
comme il revenait et approchait de la maison, il entendit une symphonie et des
danses, " c'est-à-dire, ceux qui, remplis de l'Esprit saint, prêchaient
l'Évangile dans une parfaite harmonie de doctrine : " Et il appela
un des serviteurs, " etc., c'est-à-dire, qu'il se met à lire
un des prophètes et cherche à savoir en l'interrogeant la cause
de ces fêtes qu'on célèbre dans l'Église, dont il
voit qu'il ne fait pas encore partie. Le prophète, serviteur de son père,
lui répond : " Votre frère est revenu, " etc. Comme
s'il lui disait : Votre frère s'en était allé jusqu'aux
extrémités de la terre, de là cette joie. plus vive de
ceux qui font entendre des chants nouveaux, car " ses louanges retentissent
d'un bout de la terre à l'autre. " (Is 42, 10.) Et pour fêter
le retour de celui qui était égaré, on a immolé
l'homme qui sait ce que c'est de souffrir, " parce que ceux auxquels il
n'avait point été annoncé l'ont vu. " (Is 53, 3 ;
Is 52, 45.)
S. AMBR.
Le peuple d'Israël représenté par le frère aîné,
envie à son plus jeune frère, c'est-à-dire, au peuple des
Gentils, le bienfait de la bénédiction paternelle ; ce que faisaient
les Juifs, en voyant Jésus-Christ manger avec les païens : "
Il s'indigna et ne voulait pas entrer. " - S. AUG. (Quest. évang.)
Cette indignation dure encore aujourd'hui, et ce peuple persiste à ne
vouloir pas entrer. Mais lorsque la plénitude des nations sera entrée
dans l'Église, le père sortira dans le temps favorable, afin que
tout Israël soit sauvé. (Rm 11, 23.26) :
" Son père donc étant sorti, se mit à le prier. "
Les Juifs, en effet, seront un jour ouvertement appelés au salut apporté
par l'Évangile, et cette vocation manifeste nous est ici représentée
par la sortie du père, qui vient prier son fils aîné d'entrer.
La réponse du fils aîné soulève deux questions :
" Il répondit à son père : Voilà tant d'années
que je vous sers, et je n'ai jamais manqué à un de vos commandements,
" etc. Il est évident d'abord que cette fidélité à
ne transgresser aucun commandement, ne doit pas s'entendre de tous les commandements,
mais de celui qui est le premier et le plus nécessaire, c'est-à-dire,
qu'on ne l'a jamais vu adorer d'autre Dieu que le Dieu, seul créateur
de toutes choses (Ex 20, 3). Il n'est pas moins certain que ce fils aîné
ne représente pas tous les Israélites, mais ceux qui n'ont jamais
quitté le culte du vrai Dieu pour adorer les idoles ; car bien que ses
désirs eussent pour objet les biens de la terre, il n'attendait cependant
que du seul vrai Dieu ces biens communs ici-bas aux justes et aux pécheurs,
selon ces paroles du Psalmiste : " Je suis devenu semblable devant vous
à l'animal stupide, cependant j'ai toujours été avec vous.
" (Ps 72, 22.23.) Mais quel est le chevreau qu'il n'a jamais reçu
pour faire un festin ? " Et vous ne m'avez jamais donné un chevreau
pour faire bonne chère avec mes amis. " Le pécheur est ordinairement
figuré sous l'emblème du bouc ou de chevreau. - S. AMBR. Les Juifs
demandent un chevreau, et les chrétiens un agneau ; aussi on leur délivre
Barabbas, tandis que l'agneau est immolé pour nous. Le fils aîné
se plaint qu'on ne lui ait point donné un chevreau, parce que les Juifs
ont perdu les rites de leurs anciens sacrifices ; ou bien ceux qui désirent
un chevreau sont ceux qui attendent l'Antéchrist. - S. AUG. (Quest. évang.)
Cependant, je ne vois pas comment on peut appliquer les conséquences
de cette interprétation, car il est souverainement absurde que ce fils,
à qui son père dira bientôt : " Vous êtes toujours
avec moi, " ait demandé à son père de croire à
l'Antéchrist. On ne peut pas davantage voir dans ce fils ceux des Juifs
qui devaient embrasser le parti de l'Antéchrist. Or, si ce chevreau est
la figure de l'Antéchrist, comment pourrait-il en faire un festin, lui
qui ne croit pas à l'Antéchrist ? Mais si le festin de joie qui
est fait avec ce chevreau signifie la joie produite par la ruine de l'Antéchrist,
comment ce fils aîné du père peut-il dire que cette faveur
ne lui ait jamais été accordée, puisque tous ses enfants
doivent se réjouir de sa ruine ? Il se plaint donc que le Seigneur ne
lui ait pas été donné en festin, parce qu'il le prend pour
un pécheur, car comme cette nation considère le Sauveur comme
un chevreau ou comme un bouc, en le regardant comme un violateur et un profanateur
du sabbat, elle n'a pu mériter la faveur d'être admise à
son festin. Ces paroles : " Avec mes amis, " doivent s'entendre, ou
des principaux des Juifs avec le peuple, on des habitants de Jérusalem
avec les autres peuples de Juda. - S. JER. (lett. 446, parab. du prod. au pape
Damase), ou bien encore : " Vous ne m'avez jamais donné un chevreau,
" c'est-à-dire, le sang d'aucun prophète ni d'aucun prêtre
ne nous a délivrés de la domination romaine.
S. AMBR. Ce fils sans pudeur est semblable au pharisien qui cherchait à se justifier, parce qu'il observait la lettre de la loi, et qu'il accusait son frère d'avoir dévoré son bien avec des femmes perdues : " Et à peine votre autre fils qui a dévoré son bien avec des courtisanes, est-il revenu, " etc. - S. AUG. (Quest. évang.) Ces femmes perdues sont les superstitions des Gentils, et on dissipe son bien avec elles, quand au mépris de la légitime alliance qu'on a contractée avec le vrai Dieu, on se livre à une honteuse fornication avec le démon. - S. JER. Il ajoute : " Vous avez tué pour lui le veau gras. " Le peuple juif confesse donc que le Christ est venu, mais par un sentiment d'envie, il refuse le salut qui lui est offert. - S. AUG. (comme précéd.) Son père ne l'accuse pas de mensonge, il le loue même d'avoir toujours persévéré avec lui, et il l'invite à se livrer aux sentiments plus parfaits d'une joie meilleure et plus douce : " Alors le père lui dit : Vous, mon fils, vous êtes toujours avec moi. " - S. JER. On peut dire encore que les paroles du fils ne sont point l'expression de la vérité, mais d'une vaniteuse présomption ; aussi le père ne s'y laisse point tromper, et il cherche à calmer son fils par une autre raison, en lui disant : " Vous êtes avec moi, " par la loi qui vous enchaîne, non qu'il n'ait jamais été coupable, mais parce que son père l'a toujours retiré des occasions de péché par ses châtiments ? Rien d'étonnant d'ailleurs de voir mentir à son père celui qui porte envie à son frère. - S. AMBR. Cependant ce bon père ne laisse point de vouloir le sauver en lui disant : " Vous êtes toujours avec moi, " ou comme juif, par l'observation de la loi, ou comme juste par l'union plus intime avec Dieu.
S. AUG. (Quest. évang.) Mais que veulent dire ces paroles : " Et tout ce que j'ai est à vous ? " Est-ce que ce n'est pas aussi à son frère ? Sans doute, mais les fils arrivés à la perfection, et comme entrés déjà dans l'immortalité, possèdent toutes choses, comme si chacune d'elles était à tous, et comme si toutes étaient à chacun d'eux. La cupidité rend le coeur étroit et ne peut rien posséder qu'avec égoïsme ; la charité, au contraire, agrandit et dilate le coeur. Mais comment, tout ce qui est au père peut-il être au fils ? Est-ce que Dieu a aussi donné à ce fils la possession des anges ? Si par possession vous entendez que le possesseur soit le propriétaire et le maître, il ne lui a pas tout donné, car nous ne serons pas un jour les maîtres des anges, mais nous partagerons leur bonheur. Mais si vous entendez le mot possession dans le sens que nous disons, que les âmes possèdent la vérité, je ne vois pas pourquoi nous ne prendrions pas cette expression à la lettre, car en parlant ainsi, nous ne voulons pas dire que les âmes soient maîtresses de la vérité ; si enfin le sens propre du mot possession ne se prête pas à cette interprétation, nous y renonçons volontiers, car le père ne dit pas : Vous possédez touts mais : " Tout ce qui est à moi est à vous, " mais non pas comme si vous en étiez le maître. En effet, ce que nous avons d'argent peut être destiné, soit à l'entretien, soit à l'ornement de notre famille ou à quelque autre usage semblable. Car puisque ce fils peut dire, dans un sens vrai, que son père est à lui, pour. quoi ne pourrait-il pas le dire de ce que possède son père ? Il faut seulement l'entendre de différentes manières ; ainsi lorsque nous serons parvenus à la béatitude des cieux, les choses supérieures seront à nous pour les contempler, les êtres qui nous sont égaux pour partager leur sort, les créatures inférieures pour les dominer. Le frère aîné peut donc se livrer à la joie en toute sécurité. - S. AMBR. Car s'il veut renoncer à tout sentiment d'envie, il verra bientôt que tout est réellement à lui, les sacrements de l'Ancien Testament, s'il est juif, et ceux de la nouvelle loi, s'il est baptisé.
THEOPHYL. On peut encore donner à tout ce passage une explication différente : Ce fils qui se laisse aller aux murmures, figure tous ceux qui se scandalisent en voyant les progrès rapides et le salut des âmes parfaites, comme celui que David nous représente, se scandalisant de la paix dont jouissent les pécheurs. - TIT. DE BOSTR. Ce fils aîné, semblable à un laboureur, s'appliquait aux travaux de l'agriculture, en cultivant non un champ matériel, mais le champ de son âme, et en greffant les arbres du salut, c'est-à-dire, les vertus. - THEOPHYL. Ou bien il était dans les champs, c'est-à-dire dans le monde, cultivant sa propre chair pour lui donner du pain en abondance, et semant dans les larmes pour moissonner dans la joie. - S. CHRYS. (Ch. des Pèr. gr.) On demande si celui qui s'afflige du bonheur des autres est atteint de la passion de l'envie. Je réponds qu'aucune âme sainte ne s'attriste de la sorte ; loin de là, elle regarde le bien des autres comme le sien propre. Il ne faut pas du reste vouloir expliquer à la lettre tout ce que renferme une parabole, quand on a découvert le sens que s'est proposé l'auteur, il ne faut plus chercher autre chose. Or le but de cette parabole est d'exciter les pécheurs à revenir à Dieu avec confiance, par l'espérance des grands avantages qui leur sont promis. Aussi voyons-nous les grâces qui leur sont prodiguées devenir un sujet de trouble et de profonde jalousie pour les autres, bien qu'ils soient eux-mêmes environnés de tant d'honneurs, qu'ils puissent devenir à leur tour un sujet d'envie. - THEOPHYL. Ou bien encore, Notre-Seigneur, dans cette parabole, a dessein de reprendre les mauvaises dispositions de ceux qu'il appelle justes par supposition ; comme s'il leur disait : Vous êtes vraiment justes, je l'admets, vous n'avez transgressé aucun des commandements, est-ce donc une raison pour ne pas vouloir accueillir ceux qui reviennent de leur conduite coupable ? - S. JER. (de l'enf. prod. à Damase.) Disons encore que toute justice en comparaison de celle de Dieu, n'est qu'injustice. De là ce cri de saint Paul : " Qui me délivrera de ce corps de mort ? " (Rm 8.) De là cette indignation des Apôtres, lorsqu'ils entendirent la demande de la mère des enfants de Zébédée (Mt 20). - S. CYR. Nous éprouvons quelque fois nous-mêmes ce sentiment, nous en voyons, en effet, dont toute la vie se passe dans l'exercice des plus sublimes vertus, d'autres qui ne se convertissent à Dieu que dans l'extrême vieillesse, ou même qui, par une grâce particulière de la miséricorde divine, n'effacent leurs pêchés qu'au dernier jour de leur vie. Or il en est qui, par un sentiment de défiance inopportune, ne peuvent admettre cet excès de miséricorde, parce qu'ils ne considèrent pas la bonté du Sauveur, qui se réjouit du salut des pécheurs. - THEOPHYL. Le fils dit donc à son père : J'ai passé gratuitement dans les douleurs une vie toujours exposée aux persécutions des pécheurs, et vous n'avez jamais commandé qu'on mît à mort pour moi un chevreau (c'est-à-dire, le pécheur qui me persécutait), pour me donner quelques moments de soulagement et de repos. Dans ce sens, Achab était le chevreau d'Élie, qui disait à Dieu : " Seigneur, ils ont tué vos prophètes. " (3 R 19.)
S. AMBR.
Ou bien dans un autre sens : l'Évangile nous dit que ce frère
aîné revenait des champs, c'est-à-dire des occupations de
la terre, et comme il ignore les choses de l'Esprit de Dieu, il se plaint qu'on
n'a jamais tué pour lui un chevreau ; car ce n'est pas pour satisfaire
l'envie, mais pour la rédemption du monde que l'agneau a été
immolé. L'envieux demande un chevreau, celui qui est innocent demande
qu'on immole pour lui un agneau. Ce frère est le plus âgé,
parce que l'envie est la cause d'une vieillesse prématurée ; il
se tient dehors, parce que la malveillance lui défend d'entrer, il ne
peut souffrir ni le bruit de la symphonie et des danses, (il ne s'agit pas ici
des joies du théâtre qui ne sont propres qu'à exciter les
passions), c'est-à-dire les chants harmonieux du peuple qui fait éclater
les sentiments d'une joie douce et suave lorsqu'un pécheur revient à
Dieu. Ceux au contraire qui sont justes à leurs propres yeux, s'indignent
du pardon accordé au pécheur qui avoue ses fautes. Qui êtes-vous
pour vous opposer à Dieu qui veut pardonner, lorsque vous pardonnez vous-même
à qui bon vous semble ? Applaudissons donc à la rémission
des péchés qui suit la pénitence, de peur qu'en nous montrant
ainsi jaloux du pardon qui est accordé aux autres, nous nous rendions
indignes de l'obtenir nous-mêmes du Seigneur. Ne portons point envie à
ceux qui reviennent de loin, car nous nous sommes égarés nous-mêmes
dans ces régions lointaines.