CATANA AUREA SUR SAINT LUC
ÉVANGILE DE SAINT LUC PAR SAINT THOMAS
SAINT THOMAS D'AQUIN CATENA AUREA SUR SAINT LUC
CHAPITRE
XVII
vv. 1-2.
THEOPHYL. Notre-Seigneur répond aux pharisiens avares qui attaquaient
ses enseignements sur la pauvreté, par la parabole du mauvais riche et
de Lazare. Il s'entretient ensuite des pharisiens avec ses disciples, et les
leur représente comme des schismatiques et comme des gens qui entravent
par leurs obstacles les voies divines : " Et Jésus dit à
ses disciples : Il est impossible qu'il n'arrive des scandales, " c'est-à-dire
des obstacles à la vie sainte et agréable à Dieu. - S.
CYR. Il y a deux sortes de scandales, les uns sont opposés directement
à la gloire de Dieu, les autres se bornent à créer des
obstacles à nos frères dans la voie du bien ; c'est ainsi que
les doctrines des hérétiques, et tout discours contraire à
la vérité sont directement opposés à la gloire de
Dieu. Or, Notre-Seigneur ne parait pas avoir ici en vue cette première
espèce de scandale, mais plutôt ceux qui arrivent entre amis et
entre frères, comme les querelles, les médisances, et autres différends
semblables. Voilà pourquoi il ajoute plus bas : " Si votre frère
pèche contre vous, reprenez-le, " etc. - THEOPHYL. Ou bien il veut
dire que la prédication et la vérité doivent nécessairement
rencontrer bien des difficultés, telles que celles que les pharisiens
suscitaient à la prédication de Jésus-Christ. Mais s'il
est nécessaire que les scandales arrivent, comment me dira-t-on, Notre-Seigneur
peut-il en faire un crime à l'auteur du scandale en disant : " Malheur
à celui par qui arrive le scandale ? " Car tout ce qui est le produit
de la nécessité est digne d'indulgence. Nous répondons
que cette nécessité tire son origine de notre libre arbitre. Notre-Seigneur,
considérant comment les hommes se portent au mal et sont indifférents
pour le bien, déclare que les scandales sont une conséquence nécessaire
de cet état de choses ; comme un médecin qui voit un de ses malades
faire usage d'un mauvais régime, dit de lui : Cet homme deviendra nécessairement
malade. Aussi le Sauveur annonce malheur à celui par qui arrive le scandale,
et lui en prédit le châtiment : " Il vaudrait mieux pour lui
qu'on lui mît une meule de moulin au cou et qu'on le précipitât
dans la mer. " - BEDE. Notre-Seigneur fait ici allusion à un usage
de la Palestine, où le châtiment des grands crimes, chez les anciens
Juifs, consistait à précipiter les coupables au fond de la mer
avec une grosse pierre au cou. Et en effet, il vaut mieux, même pour un
innocent, perdre la vie du corps par un supplice atroce, mais passager, que
de précipiter son frère innocent dans la mort éternelle.
C'est à juste titre que le Sauveur donne le nom de " petit "
à celui qui est scandalisé ; car celui dont l'âme est grande
et élevée, quoi qu'il voie, quoi qu'il lui arrive, ne se laisse
point détourner de la foi. Autant que nous le pouvons sans péché,
évitons donc de donner du scandale à nos frères ; s'ils
prennent scandale de la vérité, il est plus utile de permettre
ce scandale, que d'abandonner les intérêts de la vérité.
- S. CHRYS. Par le supplice de celui qui scandalise les âmes, apprenez
quelle sera la récompense de celui qui les sauve. Car s'il n'avait tant
à coeur le salut d'une seule âme, il ne menacerait pas d'un si
grand châtiment les auteurs du scandale.
vv. 3-4
S. AMBR. Après la parabole du mauvais riche souffrant cruellement dans
les flammes éternelles, le Sauveur fait à ses disciples une obligation
de pardonner à tous ceux qui reviennent de leurs erreurs ; de peur que
le désespoir ne les fasse persévérer dans le mal : "
Prenez garde à vous. " - THEOPHYL. Comme s'il leur disait : Il est
nécessaire qu'il arrive des scandales, mais il n'est pas nécessaire
que vous périssiez si vous êtes sur vos gardes, de même qu'il
n'y a point nécessité que les brebis deviennent la proie du loup,
si le berger veille sur elles, et comme il y a plusieurs espèces de personnes
qui donnent le scandale, que les unes peuvent être guéries, que
les autres sont incurables, il ajoute : " Si votre frère pèche
contre vous, reprenez-le, " etc. - S. AMBR. Le pardon ne doit pas être
trop difficile, ni l'indulgence trop grande, il faut éviter à
la fois les reproches sévères qui découragent, et une connivence
coupable qui autorise le mal ; aussi Notre-Seigneur nous dit-il ailleurs : "
Reprenez-le entre vous et lui ; " car une réprimande amicale est
toujours plus utile qu'une accusation trop vive ; l'une inspire une honte salutaire,
l'autre excite l'indignation ; ayez plutôt des ménagements pour
cette crainte qu'a le coupable que ses fautes soient révélées
; car il est bien plus avantageux qu'il voie en vous un ami qui le reprend,
qu'un ennemi qui veut sa perte, et il se rendra toujours plus facilement à
vos conseils, qu'il ne cédera à vos injures. La crainte est un
faible gardien de la persévérance, la honte enseigne bien plus
efficacement le devoir ; car si la crainte réprime le vice, elle ne peut
le corriger. Notre-Seigneur dit avec dessein : " Si votre frère
pèche contre vous, " car on ne peut raisonner des fautes commises
contre Dieu, comme des offenses envers nos semblables.
BEDE. Remarquez encore qu'il ne nous fait point une obligation de pardonner
indifféremment à tout homme qui nous offense, mais seulement à
celui qui témoigne du repentir ; car tel est l'ordre que nous devons
suivre pour éviter les scandales : n'offenser personne, reprendre par
zèle pour la justice ceux qui sont en faute, et recevoir avec des entrailles
de miséricorde les pécheurs repentants. - THEOPHYL. Mais, me dira-t-on,
si après avoir pardonné plusieurs fois à mon frère,
il continue à m'offenser, quelle conduite tenir à son égard
? Notre-Seigneur a répondu à cette question : " S'il pèche
contre vous sept fois le jour, et que sept fois le jour il revienne à
vous, disant : Je me repens, pardonnez-lui. "
BEDE. Le nombre sept n'exprime pas ici les limites que nous devons apporter
au pardon, mais il signifie qu'il faut pardonner toutes les offenses, ou du
moins qu'il faut toujours pardonner à celui qui se repent. Le nombre
sept, en effet, exprime souvent dans l'Écriture l'universalité
des choses ou des temps. - S. AMBR. Ou bien encore, de même que Dieu s'est
reposé de ses oeuvres le septième jour, ainsi un repos éternel
nous est promis après la semaine de ce monde ; Dieu veut donc que la
sévérité de la vengeance s'apaise et se repose, à
l'exemple de toutes les oeuvres mauvaises de ce monde, qui doivent un jour prendre
fin.
vv. 5-6.
THEOPHYL. Les disciples ayant entendu les enseignements du Seigneur sur des
devoirs difficiles, c'est-à-dire sur la pauvreté et la fuite des
scandales, lui demandent d'augmenter en eux la foi, qui doit les aider à
pratiquer la pauvreté (car rien de plus efficace pour inspirer l'amour
de la pauvreté, comme la foi et l'espérance en Dieu), et à
résister aux scandales : " Alors les Apôtres dirent au Seigneur
: Augmentez-nous la foi. " - S. GREG. (Moral., XXII, 14.) Afin que cette
foi qu'ils avaient reçue dans son germe, parvînt à la perfection
par des accroissements successifs. - S. AUG. (Quest. évang., 2, 39.)
Par cette foi, qu'ils prient le Sauveur d'augmenter en eux, on peut entendre
celle qui nous fait croire ce que nous ne voyons pas ; cependant il y a aussi
une foi qu'on peut appeler la foi des choses, qui nous porte à croire
non seulement aux paroles, mais aux choses présentes, ce qui doit un
jour s'accomplir, lorsque la sagesse de Dieu, par laquelle tout a été
fait, s'offrira à la contemplation des saints dans tout l'éclat
de sa gloire.
THEOPHYL. Notre-Seigneur approuve ouvertement leur demande, et les exhorte à
croire fermement en leur découvrant toute la puissance de la foi : "
Le Seigneur leur dit : Si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé,
" etc. Il y a ici deux prodiges extraordinaires, transporter un arbre enraciné
dans la terre, et le planter au milieu de la mer (car que peut-on planter au
milieu des flots), et qui tous deux font voir la puissance de la foi. - S. CHRYS.
(hom. 58 sur S. Matth.) Le Sauveur prend pour exemple le grain de sénevé,
parce que bien que son volume soit très-petit, il a cependant plus de
force que toutes les autres graines, et il veut nous apprendre par là
que le plus petit degré de foi, peut opérer de grandes choses.
N'allez pas cependant accuser légèrement les Apôtres, de
ce qu'ils n'ont point transporté de mûrier, car Notre-Seigneur
ne leur a point dit : Vous transporterez, mais : " Vous pourrez transporter.
" Mais ils ne l'ont point voulu, parce que cela était inutile, puisqu'ils
ont opéré de plus grands prodiges. - S. CHRYS. (hom. 32 sur la
1e Epit. aux Cor.) Mais comment concilier ces paroles de Jésus-Christ,
que le plus petit degré de foi peut transporter un arbre ou une montagne,
avec celles où saint Paul déclare que c'est la foi parfaite qui
transporte les montagnes ? (1 Co 13, 2) Nous répondons que l'apôtre
saint Paul attribue à la foi parfaite la vertu de transporter les montagnes,
non que ce soit le privilège exclusif de la foi parfaite, mais parce
qu'il s'adressait à des esprits encore grossiers qui trouvaient ce prodige
extraordinaire à cause de la difficulté que présente la
masse énorme d'une montagne.
BEDE. Ou bien le Seigneur compare ici la foi parfaite à un grain de sénevé,
parce qu'elle a peu d'apparence au dehors, et qu'elle déploie toute sa
force dans l'intérieur de notre corps. Dans le sens allégorique,
le mûrier (dont les fruits et les branches ont la couleur du sang), est
la figure de l'Évangile de la croix que la foi des Apôtres a par
la prédication arraché du peuple juif, dans lequel il était
enraciné comme dans sa terre primitive, pour le transporter et le planter
au milieu de la mer des nations. - S. AMBR. Ou bien encore, ces paroles signifient
la puissance de la foi pour chasser l'esprit immonde, d'autant plus que la nature
de cet arbre favorise cette opinion. En effet, le fruit du mûrier est
blanc dans sa fleur, il parait rouge lorsqu'il a pris sa forme, et devient noir
lorsqu'il est parvenu à sa maturité. C'est ainsi que le démon,
déchu par sa prévarication de la fleur blanche de sa nature angélique,
et de son éclatante dignité, est devenu un objet d'horreur par
les noires vapeurs qu'exhale son iniquité. - S. CHRYS. (Ch. des Pèr.
gr.) Il y a encore une autre analogie entre le démon et le mûrier
; les vers se nourrissent des feuilles du mûrier, ainsi le démon
se sert des pensées qu'il suggère pour nourrir le ver qui ne meurt
point, mais la foi peut déraciner de nos âmes ce mûrier et
le précipiter dans l'abîme.
vv. 7-10.
THEOPHYL. Comme la foi rend celui qui la possède fidèle observateur
des commandements de Dieu, et lui fait opérer des oeuvres vraiment admirables,
il semblait qu'elle pouvait exposer l'homme au vice de l'orgueil. Aussi Notre-Seigneur
prémunit ses disciples contre ce sentiment d'orgueil qui pouvait naître
de leurs vertus, par l'exemple suivant : " Qui de vous, ayant un serviteur
attaché au labourage, " etc. - S. AUG. (quest. Evang., 2, 39.) Ou
bien encore, comme la plupart ne comprenaient pas cette foi à la vérité
qui devait un jour se découvrir sans nuage, on pourrait croire que Notre-Seigneur
ne répond pas directement à la demande de ses disciples. En effet,
la suite des paroles du Sauveur se rapporte difficilement à cette prière
des Apôtres : " Augmentez en nous la foi, " à moins de
les entendre dans ce sens, que nous passons d'une foi moins parfaite à
une foi parfaite, c'est-à-dire de la foi qui nous fait servir Dieu, à
la foi où nous jouissons pleinement de Dieu. La foi s'augmente en effet,
lorsqu'après avoir eu pour objet les paroles de la prédication,
elle s'étend même aux choses visibles. Mais cette foi contemplative
est accompagnée de ce repos ineffable que Dieu nous prépare dans
son royaume éternel, et ce repos est la récompense des travaux
méritoires qui s'accomplissent dans l'Église. Ainsi, quel que
soit le genre de travaux auxquels est appliqué le serviteur, qu'il laboure
dans les champs, ou qu'il garde les troupeaux (c'est-à-dire qu'il s'occupe
dans cette vie des choses de la terre, ou qu'il soit au service des hommes insensés
figurés par les troupeaux), il faut qu'après ces travaux accomplis
il rentre à la maison, c'est-à-dire qu'il soit réuni à
l'Église.
BEDE. Ou
bien encore, ce serviteur qui revient des champs, c'est le docteur qui interrompt
pour un temps l'oeuvre de la prédication, pour rentrer dans sa conscience
et y repasser ses actions et ses paroles. Le Seigneur ne lui dit pas aussitôt
; Allez (de cette vie mortelle), et mettez-vous à table, c'est-à-dire,
réjouissez-vous dans l'éternel repas de la vie bienheureuse. -
S. AMBR. En effet, nul ne s'asseoit à ce banquet avant de passer de cette
vie à l'autre. ; Moïse lui-même a dû passer de l'endroit
où il était pour être témoin de la grande vision
ou Dieu se révélait à lui. (Ex 3.) De même donc que
vous ne dites pas aussitôt à votre serviteur : Mettez-vous à
table, mais que vous exigez de lui auparavant d'autres services ; ainsi Dieu
ne vous demande pas un seul genre d'oeuvres et de travaux, notre travail ne
doit cesser qu'avec notre vie : Est-ce qu'il ne lui dit pas au contraire : "
Préparez-moi à souper, " etc. - BEDE. Dieu commande à
ce serviteur de lui préparer à manger, c'est-à-dire qu'après
le travail de la prédication publique, il doit se livrer à une
humble considération de lui-même ; c'est la nourriture que Dieu
désire. Se ceindre les reins, c'est, pour une âme humble, relever
et resserrer toutes les pensées flottantes qui peuvent entraver notre
marche dans la voie des bonnes oeuvres ; car on ne serre ses vêtements
avec une ceinture que pour n'être point exposé à tomber
en marchant. Servir le vrai Dieu, c'est confesser hautement que toute notre
force vient du secours de sa grâce.
S. AUG. (quest. Evang.) C'est alors que ses ministres le servent, c'est-à-dire
qu'ils se livrent à la prédication de l'Évangile, que Dieu
boit et mange, pour ainsi dire, la confession et la foi des Gentils.
" Et après cela tu mangeras et tu boiras, " c'est-à-dire
: Après que j'aurai goûté avec joie l'oeuvre de votre prédication,
et que je me serai rassasié de votre componction comme d'un mets délicieux,
alors vous passerez, et vous serez nourri vous-même à jamais de
l'aliment éternel de ma sagesse.
S. CYR. Notre-Seigneur nous enseigne ici qu'en vertu du droit de sa puissance
souveraine, il exige de ses serviteurs l'obéissance comme une chose qui
lui est que : " Aura-t-il de l'obligation à ce serviteur, parce
qu'il a fait ce qu'il lui a commandé ? Je ne le pense pas. R Quoi de
plus propre à guérir la maladie de l'orgueil ? Pourquoi vous enorgueillir
? Ignorez-vous que si vous ne remplissez pas l'obligation qui vous est imposée,
vous vous exposez au danger, et que si vous y êtes fidèle, vous
ne faites rien de trop, d'après ces paroles de saint Paul : " Si
je prêche l'Évangile, la gloire n'en est point à moi, car
c'est pour moi une obligation de le faire, malheur à moi si je ne prêche
pas l'Évangile ! " Considérez en effet, que ceux qui exercent
l'autorité parmi nous, ne remercient pas leurs serviteurs lorsqu'ils
exécutent les ordres qui leur ont été donnés, mais
ils cherchent à gagner leur affection à force de bienveillance
pour leur inspirer un plus grand zèle dans l'accomplissement de leurs
devoirs. Ainsi Dieu nous demande de le servir en vertu de son droit souverain,
mais comme il est plein de clémence et de bonté, il promet des
honneurs infinis à ceux qui travaillent pour lui, et la grandeur de sa
bienveillance est bien supérieure à toutes les fatigues que nous
endurons à son service.
S. AMBR. Ne vantez donc pas votre mérite lorsque vous avez fidèlement
servi, vous n'avez fait que ce que vous deviez faire. Le soleil obéit
à Dieu, la lune lui est soumise, les anges exécutent ses ordres
; gardons-nous donc de nous louer nous-mêmes, c'est la conclusion que
le Sauveur tire lui-même de ce qu'il vient de dire : " De même
quand vous aurez fait ce qui vous est commandé, dites : Nous sommes des
serviteurs inutiles ; nous avons fait ce que nous devions faire. " - BEDE.
Nous sommes des serviteurs, parce que nous avons été rachetés
d'un grand prix (1 Co 7) ; nous sommes des serviteurs inutiles, parce que le
Seigneur n'a nul besoin de nos biens (Ps 15) ; ou parce que les souffrances
de cette vie n'ont aucune proportion avec la gloire future. (Rm 8.) La perfection
de la foi pour les chrétiens, consiste donc à reconnaître
leur imperfection, alors même qu'ils ont accompli tout ce qui leur est
commandé.
vv. 11-19
S. AMBR. A la suite de cette parabole, Notre-Seigneur reproche aux Juifs leur
ingratitude : " Il arriva qu'en allant à Jérusalem, Jésus
traversait le pays de Samarie, " etc. - TITE DE BOSTR. (Ch. des Pèr.
gr.) Son dessein est de faire ressortir la reconnaissance des samaritains comparée
à l'ingratitude des Juifs pour les bienfaits qu'ils ont reçus.
L'inimitié la plus grande existait entre les Samaritains et les Juifs,
Notre-Seigneur voulant les pacifier passe entre les deux pour les réunir
en un seul homme (Ep 2, 14). - S. CYR. Il manifeste ensuite sa gloire pour attirer
les Israélites à la foi : " Et comme il entrait dans un village,
il rencontra dix lépreux, " etc., expulsés des villes et
des villages, et regardés comme immondes d'après la loi de Moïse.
TITE DE BOSTR. Ces dix lépreux vivaient ensemble, unis entre eux par
la communauté de souffrances, et ils attendaient le passage de Jésus,
pleins d'impatience de le voir venir : " Et ils se tenaient éloignés,
" parce que la loi des Juifs regardait la lèpre comme une impureté,
tandis que la loi de l'Évangile ne regarde comme impure que la lèpre
intérieure, et non celle qui n'est qu'extérieure.
THEOPHYL. Ces lépreux se tiennent éloignés, honteux pour
ainsi dire de cette maladie qui les faisait regarder comme impurs ; car ils
pensaient que Jésus-Christ aurait pour eux la même horreur que
les autres ; ils se tiennent donc éloignés extérieurement,
mais ils s'approchent de lui par leurs prières : car le Seigneur est
proche de tous ceux qui l'invoquent dans la vérité (Ps 114) :
" Et ils élevèrent la voix en disant : Jésus, Maître,
ayez pitié de nous. " - TITE DE BOSTR. Ils prononcent le nom de
Jésus, et méritent d'en éprouver l'efficacité, car
le nom de Jésus veut dire Sauveur. Ils lui disent : " Ayez pitié
de nous ; " pour ressentir les effets de sa puissance, ils ne lui demandent
ni or ni argent, mais qu'il guérisse et purifie leur corps. - THEOPHYL.
Ils ne lui adressent pas leurs prières et leurs supplications comme à
un simple mortel ; ils l'appellent Maître, c'est-à-dire Seigneur,
et ils ne sont pas loin de le regarder comme Dieu. Jésus leur commande
d'aller se montrer aux prêtres : " Dès qu'il les vit, il leur
dit : Allez, montrez-vous aux prêtres, " car c'était à
eux de vérifier si la guérison de la lèpre était
véritable ou non.
S. CYR. (Ch. des Pèr. gr.) La loi ordonnait aussi à ceux qui étaient
purifiés de la lèpre d'offrir un sacrifice en reconnaissance de
leur guérison. - THEOPHYL. En leur commandant d'aller se montrer aux
prêtres, le Sauveur leur donnait à entendre qu'ils seraient guéris
: " Et il arriva, pendant qu'ils y allaient, qu'ils furent purifiés.
" - S. CYR. Les prêtres des Juifs, jaloux de la gloire de Jésus,
avaient une preuve certaine que Jésus les avait guéris soudainement
et miraculeusement par un acte de sa toute-puissance.
THEOPHYL. Parmi ces dix lépreux, les neuf qui étaient Israélites
se montrèrent ingrats, l'étranger seul qui était samaritain
revint pour exprimer hautement sa reconnaissance : " Un d'eux se voyant
guéri, revint sur ses pas, glorifiant Dieu à haute voix. "
- TITE de Bostr. La guérison qui lui est rendue lui donne la confiance
d'approcher du Sauveur : " Et il se prosterna la face contre terre aux
pieds de Jésus, en lui rendant grâces, " et il manifeste ainsi
doublement sa foi et sa reconnaissance.
" Et c'était un Samaritain. " - THEOPHYL. Nous pouvons conclure
de là que rien n'empêche qu'on soit agréable à Dieu,
fût-on descendu d'une race coupable, pourvu qu'on fasse preuve de bonne
volonté. Que personne aussi ne s'enorgueillisse d'avoir des saints comme
ancêtres, puisque ces neuf qui étaient Israélites, furent
des ingrats " Alors Jésus dit : Est-ce que les dix n'ont pas été
guéris, " etc. ? - TITE DE BOSTR. Nous voyons ici que les étrangers
étaient bien plus empressés que les Israélites pour embrasser
la foi : " Et Jésus lui dit : Levez-vous, allez, votre foi vous
a sauvé. "
S. AUG. (quest. Evang., 2, 40.) Dans le sens figuré les lépreux représentent ceux qui, n'ayant point la science de la vraie foi, professent les doctrines si variées de l'erreur. Loin de cacher leur ignorance, fis la font paraître au grand jour comme une souveraine habileté, et la font valoir dans des discours pleins d'ostentation. La lèpre vicie et altère la couleur du corps ; or, ce mélange incohérent de vérités et d'erreurs qui se produit dans une seule discussion, dans un seul et même discours, comme dans la couleur extérieure d'un seul et même corps, figure la lèpre qui altère et flétrit le corps de l'homme par les nuances vraies et fausses de ses diverses couleurs. L'Église doit éviter la société de tels hommes, qui doivent être tenus au loin, et invoquer de là le Sauveur à grands cris. Le nom de Maître (cf. Mt 8 ; Mc 1 ; Lc 5), qu'ils lui donnent, me paraît indiquer que la lèpre est la figure des fausses doctrines qu'il n'appartient qu'au bon Maître de faire disparaître. Â l'exception de ces lépreux, nous ne voyons pas que Notre-Seigneur ait envoyé vers les prêtres aucun de ceux auxquels il avait rendu la santé du corps. Le sacerdoce des Juifs a été la figure du sacerdoce qui est dans l'Église ; le Seigneur guérit et corrige par lui-même toits les autres vices dans l'intérieur de la conscience : mais le pouvoir d'instruire et de sanctifier les âmes par l'administration des sacrements et d'enseigner par la prédication extérieure a été donné à l'Église. " Pendant qu'ils y allaient, ils furent guéris ; " en effet les Gentils que Pierre vint trouver, avant d'avoir reçu le sacrement de baptême, qui nous fait parvenir spirituellement jusqu'aux prêtres, furent manifestement purifiés par l'effusion de l'Esprit saint. Tout fidèle donc qui dans la société de l'Église possède la doctrine de la foi dans sa vérité, et dans son intégrité, et qui n'a pas été souillé par les taches si variées de l'erreur comme par une lèpre, et qui par un sentiment d'ingratitude pour le Dieu qui l'a purifié ne se prosterne pas humblement à ses pieds, est semblable à ceux dont parle l'apôtre saint Paul : " Qui ayant connu Dieu, ne l'ont point glorifié comme Dieu, et ne lui Ont point rendu grâces. " Ils sont au nombre de neuf, signe qu'ils resteront dans leur imperfection, car le nombre neuf a besoin d'un pour former une espèce d'unité qui est le nombre dix. Au contraire celui qui vient rendre grâces, reçoit des éloges parce qu'il est la figure de l'Église qui est une. Quant aux neuf qui étaient Juifs, Notre-Seigneur déclare qu'ils ont perdu par leur orgueil le royaume des cieux, où règne la plus parfaite unité ; tandis que ce Samaritain qui veut dire gardien, rendant grâces à Dieu de ce qu'il avait reçu selon ces paroles du Psalmiste : " C'est en vous que je conserverai ma force, " (Ps 58) a gardé l'unité du royaume par son humble reconnaissance. - BEDE. Il se prosterne la face contre terre, parce qu'il est couvert de honte au souvenir des fautes qu'il a commises, Notre-Seigneur lui ordonne de se lever et d'aller trouver les prêtres parce que celui qui s'humilie profondément dans la connaissance qu'il a de sa faiblesse, reçoit avec la consolation de la parole divine l'ordre de se porter à des oeuvres plus parfaites. Or, si la foi a sauvé celui qui s'est ainsi prosterné pour rendre grâces, c'est donc l'infidélité qui a perdu ceux qui négligèrent de rendre gloire à Dieu pour les bienfaits qu'ils en avaient reçus. Le Sauveur démontre donc ici par les faits ce qu'il avait enseigné dans la parabole précédente que la foi s'augmente et s'accroît par la pratique de l'humilité.
vv. 20-21
S. CYR. (Ch. des Pèr. gr.) Comme le Sauveur, dans les discours qu'il
adressait au peuple, parlait fréquemment du royaume de Dieu, les pharisiens
prenaient occasion de là pour se moquer de lui : " Interrogé
par les pharisiens, quand viendrait le royaume de Dieu. " Ils semblaient
lui dire comme par dérision : Avant que vienne ce royaume dont vous parlez,
vous finirez vos jours sur la croix. " Mais le Seigneur voulant nous montrer
toute sa patience, au lieu de repousser cette injure par de violents reproches,
ne. dédaigne pas de répondre directement aux méchants :
" Il leur répondit : Le royaume de Dieu ne vient point d'une manière
qui frappe les regards. " Paroles qui reviennent à celles-ci : "
Ne cherchez pas à connaître le temps où viendra le royaume
des cieux, " car il ne peut être connu ni par les anges ni par les
hommes, comme l'a été le temps de l'incarnation, qui a été
prédit et annoncé par les oracles des prophètes et par
la voix des anges. Aussi le Sauveur ajoute : " On ne dira point : Il est
ici, ou il est là. " Ou bien encore, ils l'interrogent sur le temps
où viendra le royaume de Dieu, parce qu'ils pensaient (comme il est dit
plus bas), que le royaume de Dieu se manifesterait à l'entrée
du Seigneur dans la ville de Jérusalem. C'est pour cela qu'il leur répond
: " Le royaume de Dieu ne vient pas de manière à être
remarqué. " - S. CYR. Il fait seulement cette déclaration
pour la consolation de chacun : " Le royaume de Dieu est au milieu de vous,
" c'est-à-dire, il dépend de vos affections, il est en votre
pouvoir de l'obtenir, car tout homme justifié par la foi et par la grâce
de Jésus-Christ, et orné des vertus chrétiennes, peut établir
en lui-même le royaume des cieux. - S. GREG. DE NYSSE. (du but que doit
se propos. le chrét.) Peut-être aussi entend-il par ce royaume
qui est au dedans de nous la joie que l'Esprit saint répand dans nos
âmes, car cette joie est la figure et le gage de la joie éternelle
qui est le partage des âmes saintes dans la vie future. - BEDE. Ou bien
encore, ce royaume de Dieu, c'est lui-même qui demeure au milieu d'eux,
c'est-à-dire, qui règne dans leurs coeurs par la foi.
vv. 22-25.
S. CYR. Le Seigneur qui venait de dire : " Le royaume de Dieu est en vous-mêmes,
" voulut préparer ses disciples à la patience, et les remplir
de courage pour qu'ils pussent entrer dans le royaume de Dieu. Il leur prédit
donc qu'avant qu'il descende des cieux, à la fin du monde, la persécution
fondra sur eux : " Et il dit à ses disciples : Viendra un temps,
" etc. C'est-à-dire, que la persécution sera si grande, qu'ils
désireront voir un de ces jours où ils avaient le bonheur de vivre
dans la société du Christ, Sans doute, les Juifs avaient accablé
le Sauveur de mille outrages et de mille injures, ils avaient voulu le lapider
et le précipiter du haut d'une montagne, mais ces épreuves étaient
désirables en comparaison des persécutions bien plus grandes qui
les attendaient. - THEOPHYL. Ils vivaient alors sans aucune sollicitude sous
la providence, et la protection de Jésus-Christ, mais il devait venir
un temps où, séparés de lui, ils seraient livrés
à tous les dangers, conduits devant les rois et les princes, et alors
ils regretteraient les premiers temps comme des jours de tranquillité.
- BEDE. Ou bien par ce jour du Christ, il veut parler de son règne dont
nous attendons l'avènement, et il dit très-justement " Un
jour, " parce que, dans ce bienheureux séjour de la gloire éternelle,
il n'y aura plus d'alternative de jour et de nuit. Il est bon de désirer
le jour du Christ, mais il ne faut pas que la vivacité de ce désir
nous jette dans des illusions et des songes, comme si ce jour du Seigneur était
proche. C'est contre ces illusions que le Sauveur ajoute : " Et on vous
dira : Il est ici, il est là, gardez-vous d'y aller. " - EUSEBE.
(Ch. des Pèr. gr.) C'est-à-dire, si à la venue de l'Antéchrist,
le bruit se répand que c'est le Christ qui apparaît, ne sortez
point, ne marchez pas à sa suite, car il est impossible que celui qui
s'est manifesté une fois clairement aux hommes, puisse revenir se renfermer
dans quelque lieu particulier de la terre. Ce sera donc celui dont on doit dire
: Ce n'est pas le vrai Christ. Un signe évident du second avènement
de notre Sauveur, c'est que l'éclat de son arrivée remplira tout
à coup l'univers tout entier : " Comme l'éclair brille soudain
d'une extrémité du ciel à l'autre, ainsi paraîtra
le Fils de l'homme en son jour. " Car on ne le verra pas marchant sur la
terre comme un homme ordinaire, mais il répandra sur nous tous les rayons
de sa gloire et fera briller à tous les yeux les splendeurs de sa divinité.
BEDE. Il dit avec raison : " Comme l'éclair qui brille sous un côté du ciel, " parce que le jugement dernier se fera sous le ciel (c'est-à-dire, au milieu des airs), D'après ces paroles de l'Apôtre : " Nous qui vivons, qui sommes restés, nous serons emportés avec eux dans les nuées au-devant du Christ dans les airs. " (1 Th 4.) Or, si le Seigneur apparaît alors comme l'éclair, personne donc ne pourra demeurer caché dans son intérieur, pénétré qu'il sera par cette lumière éclatante qui environnera le juge. On peut encore entendre ces paroles de cet avènement du Sauveur qui se fait tous les jours dans l'Église. En effet, en proclamant que leur doctrine seule conservait la foi de Jésus-Christ, les hérétiques ont souvent troublé l'Église à ce point, que les fidèles qui vivaient alors ont désiré que le Sauveur revint, s'il était possible, un seul jour sur la terre, pour déclarer lui-même quelle était la foi véritable : " Et vous ne le verrez pas, " ajoute-t-il, parce qu'il n'est pas nécessaire que le Seigneur revienne visiblement pour enseigner de nouveau la doctrine qu'il a répandue par tout l'univers par les divines clartés de l'Évangile.
S. CYR. Les disciples de Jésus pensaient qu'aussitôt son arrivée à Jérusalem, il leur manifesterait le royaume de Dieu. Pour détruire cette opinion, il leur fait connaître qu'il doit d'abord souffrir pour notre salut, remonter vers son Père, et descendre du ciel dans tout l'éclat de sa gloire pour juger l'univers dans la justice : " Il faut auparavant que le Fils de l'homme souffre beaucoup, et qu'il soit rejeté par cette génération. " - BEDE. Par cette génération, il entend non seulement les Juifs, mais tous les réprouvés qui, maintenant encore, rejettent et persécutent le Fils de l'homme dans son corps, c'est-à-dire dans l'Église. Il mêle à la prédiction de sa passion, celle de son glorieux avènement, afin d'adoucir pour eux la douleur qu'ils éprouveraient de sa passion par la promesse de la gloire qui devait la suivre, et les préparer en même temps à braver la mort la plus affreuse, s'ils voulaient jouir eux-mêmes un jour de la gloire du royaume.
vv. 26-30.
BEDE. Notre-Seigneur avait comparé son avènement à l'éclair
qui traverse rapidement les airs, il le compare maintenant à ce qui arriva
aux jours de Noé et de Loth, lorsque les hommes furent surpris par une
ruine soudaine : " Et comme il est arrivé aux jours de Noé,
" etc. - S. CHRYS. (hom. 2 sur la I Epît. aux Thessal.) Ils n'ont
point ajouté foi aux menaces qui leur étaient faites, et ils furent
tout à coup frappés d'un châtiment trop véritable.
(hom. 2 sur l'Epît. aux Coloss.) Leur incrédulité venait
de leur vie oisive et dissolue, car l'homme n'attend ordinairement que ce qui
fait l'objet habituel de ses pensées et de ses désirs : "
Ils mangeaient et ils buvaient, " dit Notre-Seigneur. - S. AMBR. Il a soin
de faire remarquer que ce sont les péchés des hommes qui ont été
la cause du déluge, car Dieu n'est pas l'auteur du mal, ce sont nos péchés
qui nous l'ont attiré. Ce n'est pas non plus qu'il condamne ni le mariage
qui est le moyen donné de Dieu pour la perpétuité du genre
humain,, ni la nourriture nécessaire pour son existence, mais il veut
qu'on observe en tout une juste mesure, et tout ce qui la dépasse vient
d'un mauvais principe.
BEDE. Dans
le sens allégorique, Noé qui construit l'arche, est la figure
du Seigneur qui bâtit l'Église avec les fidèles du Christ,
unis ensemble comme des bois parfaitement travaillés. Quand cette arche
est entièrement terminée, il y entre, lorsqu'au jour du jugement
il vient y habiter pour l'éternité et y répandre les clartés
de sa divine présence. Pendant qu'il construit cet arche, les méchants
se livrent aux excès d'une vie dissolue, mais lorsqu'il y entre, ils
sont frappés de mort, parce qu'en effet, ceux qui outragent les saints
pendant leur vie de luttes et de combats, seront punis d'un éternel supplice,
alors que les saints recevront leurs couronnes immortelles.
EUSEBE. (Ch. des Pèr. gr.) Le déluge que Notre-Seigneur vient
d'apporter en exemple, pouvait donner la pensée que le déluge
à venir serait un déluge d'eau ; il cite donc en second lieu l'exemple
de Loth, pour nous apprendre quel sera le genre de supplice des méchants,
c'est-à-dire que la colère de Dieu fera tomber sur eux un feu
descendu du ciel : " Et comme il est arrivé encore aux jours de
Loth, " etc. Il passe sous silence le crime infâme de Sodome, et
ne parle que de ces fautes qu'on regarde ordinairement comme légères
ou comme nulles, pour nous faire comprendre quel sera le châtiment des
actions criminelles, puisque l'usage immodéré des choses permises
sera puni par le feu et par le souffre : " Le jour où Loth sortit
de Sodome, une pluie de feu et de souffre tomba du ciel, qui les fit périr
tous. " Remarquez que le feu ne tomba du ciel sur les infâmes habitants
de Sodome, que lorsque Loth en fut sorti, de même que le déluge
ne fit périr les habitants de la terre que lorsque Noé fut entré
dans l'arche ; car tant que Noé et Loth vivaient au milieu des impies,
Dieu suspendait les effets de sa colère pour ne pas confondre dans un
même supplice les justes et les pécheurs. Mais quand il voulut
faire périr les pécheurs, il retira le juste du milieu d'eux ;
de même à la consommation des siècles, le supplice des méchants
ne commencera qu'après leur séparation d'avec les justes : "
Ainsi en sera-t-il au jour où le Fils de l'homme sera révélé.
" - BEDE. Car celui qui voit tout maintenant sans être visible lui-même,
apparaîtra alors pour juger tous les hommes, et il choisira pour cette
manifestation le temps où les hommes oublieux de ses jugements seront
asservis sous le joug des choses de ce monde. - THEOPHYL. En effet, lorsque
l'Antéchrist sera venu, les hommes se jetteront dans les plus honteux
excès de la débauche, et deviendront " plus amateurs de la
volupté que de Dieu. " (2 Tm 3.) Car si l'Antéchrist est
comme le réceptacle de tous les vices, qu'inspirera-t-il aux hommes dans
ces temps malheureux que l'amour du vice ? C'est ce que le Sauveur veut nous
faire entendre par les exemples du déluge et du châtiment des habitants
de Sodome.
BEDE. Dans le sens allégorique, Loth, dont le nom veut dire qui s'écarte,
représente le peuple des élus, qui vit comme un étranger
dans Sodome, c'est-à-dire au milieu des réprouvés, et se
détourne autant qu'il peut des crimes dont il est témoin. A peine
Loth est-il sorti de Sodome, que le feu du ciel tombe sur cette ville ; c'est
ainsi qu'à la consommation des siècles les anges viendront et
sépareront les méchants du milieu des justes, et les jetteront
dans la fournaise de feu. (Mt 3.) Cependant cette pluie de feu et de souffre
qui tombe du ciel n'est pas la figure du feu éternel de l'enfer, mais
représente l'arrivée soudaine et imprévue de ce jour terrible.
vv. 31-32.
S. AMBR. Comme les bons, par suite de leur mélange avec les méchants,
doivent nécessairement souffrir en ce monde de grandes tribulations de
coeur et d'esprit pour mériter dans l'autre vie une récompense
plus abondante, Notre-Seigneur leur donne par avance quelques conseils utiles
: " En ce jour-là, que celui qui se trouvera sur le toit, ne descende
point, " etc. C'est-à-dire que celui qui sera déjà
monté au faîte de sa maison et jusqu'au sommet des plus hautes
vertus, ne se laisse pas retomber dans les occupations toutes terrestres de
ce monde misérable. - S. AUG. (Quest. évang., 2, 41.) Etre sur
le toit, c'est s'élever au-dessus des jouissances charnelles, et vivre
comme en liberté dans la sphère d'une vie toute spirituelle. Les
meubles qui sont dans la maison, sont les sens de la chair qui ont souvent égaré
le grand nombre de ceux qui les ont pris pour guide dans la recherche de la
vérité qu'on ne peut découvrir que par l'intelligence.
Que l'homme spirituel prenne donc garde de se laisser entraîner au jour
de la tribulation par la vie de la chair qui se nourrit par les sens du corps,
et de descendre pour goûter les jouissances de ce monde : " Et que
celui qui est dans les champs ne retourne point non plus en arrière,
" c'est-à-dire que celui qui travaille dans l'Église, à
l'exemple de Paul qui plante et d'Apollo qui arrose (1 Co 3, 6), ne jette pas
un oeil de regret sur les espérances du siècle auxquelles il a
renoncé.
THEOPHYL. Saint Matthieu rapporte ces conseils du Sauveur au temps où
Jérusalem devait être prise et détruite ; à l'approche
des Romains ; ceux qui étaient dans leurs maisons devaient prendre aussitôt
la fuite sans vouloir emporter aucune des choses même nécessaires
; et ceux qui étaient dans les champs, ne devaient point retourner dans
leurs demeures. C'est ce qui eut lieu, en effet, lors de la ruine de Jérusalem,
c'est ce qui doit arriver encore au temps de l'Antéchrist ; mais bien
plus encore à la fin des temps, lorsque les tribulations seront parvenues
à leur comble.
EUSEBE. Notre-Seigneur nous apprend par là que le fils de perdition soulèvera
une violente persécution contre les fidèles disciples du Christ.
Ce jour dont il parle, c'est le temps qui précédera la fin du
monde ; temps où celui qui prendra la fuite ne devra ni revenir sur ses
pas, ni s'inquiéter des biens qu'il perd, et ne point imiter la femme
de Loth qui, s'étant retournée lorsqu'elle fuyait de la ville
de Sodome, fut frappée de mort et changée en colonne de sel :
" Souvenez-vous de la femme de Loth, " dit Notre-Seigneur. - S. AMBR.
C'est pour avoir jeté un regard en arrière qu'elle a perdu le
privilège de sa nature ; car Satan, comme Sodome, est en arrière
: fuyez donc l'intempérance, évitez toute dissolution, souvenez-vous
que Loth se sauva et parvint jusqu'à la montagne, parce qu'il n'a point
jeté un regard en arrière sur les occupations de sa vie passée
; sa femme, au contraire, cédant au mouvement qui la fit regarder en
arrière, ne put parvenir à cette montagne même avec le secours
de son mari, et resta en chemin. - S. AUG. (Quest. évang., 2, 43.)La
femme de Loth signifie donc ceux qui, dans la tribulation, regardent en arrière,
et détournent, les yeux de l'espérance des promesses divines ;
elle fut changée en statue de sel pour avertir les hommes de ne point
imiter son exemple, devenant pour ainsi dire le sel qui préserve leur
coeur de l'affadissement et de la corruption.
THEOPHYL. Notre-Seigneur tire ensuite la conclusion de ce qu'il vient de dire,
en ajoutant : " Quiconque cherchera à sauver sa vie la perdra, "
comme s'il disait : Que personne ne cherche à sauver sa vie dans les
persécutions de l'Antéchrist, car il la perdra ; celui, au contraire,
qui bravera les persécutions et les dangers, la conservera : " Et
quiconque l'aura perdue, la sauvera, " en ne cédant pas aux menaces
du tyran, dans la crainte de perdre la vie. - S. CYR. Saint Paul nous apprend
comment on doit perdre sa vie pour la sauver, lorsqu'il, parle de ceux qui ont
crucifié leur chair avec ses vices et ses concupiscences (Ga 5, 24),
c'est-à-dire qui soutiennent avec courage et piété les
combats de la vie chrétienne.
vv. 34-37.
BEDE. Notre-Seigneur avait recommandé plus haut à celui qui serait
dans les champs, de ne point revenir dans sa maison ; paroles qui ne s'adressaient
pas seulement à ceux qui devaient revenir ouvertement des champs, c'est-à-dire
à ceux qui devaient hautement nier le Seigneur, comme le Sauveur le démontre,
en ajoutant qu'il en est dont le coeur regarde en arrière, bien qu'extérieurement
ils semblent jeter les yeux en avant : " Je vous le dis : En cette nuit-là,
deux personnes seront dans un lit ; l'une sera prise, et l'autre laissée.
" - S. AMBR. C'est bien avec raison qu'il dit : " Dans cette nuit,
" car l'heure de l'Antéchrist est l'heure des ténèbres,
parce que l'Antéchrist répand d'épaisses ténèbres
sur le coeur des hommes, en affirmant qu'il est le Christ. Le Christ, au contraire,
brillera comme la foudre étincelante, afin que dans cette nuit nous puissions
voir la gloire de la résurrection. - S. AUG. (Quest. évang., 2,
44.) Ou bien : " dans cette nuit, " c'est-à-dire dans cette
tribulation.
THEOPHYL. Ou bien par ces paroles : " Dans cette nuit, " le Sauveur
veut nous apprendre qu'il viendra sans être attendu, et comme à
l'improviste. Il avait dit aussi précédemment que les riches seraient
difficilement sauvés, et il fait voir ici que cependant tous les riches
ne seront pas tous réprouvés, de même que tous les pauvres
ne seront pas indistinctement sauvés. - S. CYR. Ces deux personnes qui
se trouvent dans le même lit, semblent désigner ceux qui placent
leur repos dans les plaisirs du monde ; car le lit est l'emblème du repos.
Or, tous ceux qui ont de grandes richesses en partage, ne sont pas pour cela
des impies (Ps 61), il en est qui sont vertueux et du nombre des élus
dans la foi ; ceux-là donc seront choisis, et les autres dont les moeurs
sont différentes, seront laissés. En effet, lorsque le Seigneur
descendra pour juger les hommes, il enverra ses anges qui laisseront sur la
terre tous ceux qui sont destinés aux supplices éternels, et amèneront
les saints en sa présence, selon ces paroles de l'Apôtre : "
Nous serons enlevés avec eux sur les nuées, pour aller dans les
airs au-devant de Jésus-Christ. " (2 Th 4, 16.) - S. AMBR. Ou bien
encore sur le même lit de l'infirmité humaine, l'un est laissé,
c'est-à-dire réprouvé ; et l'autre est enlevé pour
aller dans les airs au-devant de Jésus-Christ : " Deux femmes moudront
ensemble, " etc. - S. CYR. Ces deux femmes qui tournent la meule représentent
ceux dont la vie s'écoule dans la pauvreté et les pénibles
travaux, de même que les deux qui sont dans les champs. Il existe, en
effet, une grande différence dans les pauvres ; les uns supportent courageusement
le fardeau de la pauvreté, mènent une vie vertueuse et humble,
et sont du nombre de ceux qui seront choisis ; les autres sont toujours prêts
à se porter au crime, et seront laissés. - S. AMBR. Peut-être
encore ces deux femmes qui tournent la meule, représentent ceux qui cherchent
leur nourriture spirituelle dans les choses secrètes, et qui la produisent
au dehors des substances où elle était cachée. En effet,
on peut comparer ce monde à un moulin ; et notre âme est enfermée
dans le corps comme dans une prison. Or, dans ce moulin, la synagogue, ou l'âme
esclave de ses vices, semblable au blé mouillé et corrompu par
une trop grande humidité, ne peut séparer l'intérieur de
l'écorce extérieure, et elle est laissée, parce que sa
farine est mauvaise. Au contraire, la sainte Église ou l'âme pure
de toute faute, qui moud un froment séché aux rayons du soleil
éternel, offrent à Dieu une bonne farine, qu'elles tirent du coeur
des hommes. Il nous sera facile de comprendre ceux que représentent ceux
qui sont dans les champs, si nous nous rappelons que nous avons comme deux hommes
en nous (2 Co 4, 14), l'homme extérieur qui s'altère de jour en
jour ; l'homme intérieur qui se renouvelle par les sacrements. Ce sont
ces deux hommes qui travaillent dans notre champ, l'un produit de bons fruits
par son zèle, J'autre le perd par sa négligence. Ou bien encore
ces deux hommes qui sont dans les champs, représentent les deux peuples
qui sont dans ce monde, l'un qui est fidèle est pris ; l'autre qui est
infidèle est laissé.
S. AUG. (Quest. évang., 2, 44.) Ou bien Notre-Seigneur veut nous représenter
ici trois classes différentes d'hommes. La première est composée
de ceux qui préfèrent mener une vie de loisir et de repos, affranchie
de toute occupation, soit séculière, soit ecclésiastique
; leur repos est figuré par le lit. La seconde comprend ceux qui, faisant
partie du peuple, sont conduits par les docteurs et sont occupés des
choses de ce monde. Ils sont ici figurés par des femmes, parce qu'il
leur est avantageux de se laisser diriger par les conseils de leurs supérieurs
; et ces femmes tournent la meule, figure de ceux qui sont dans le cercle des
affaires de ce monde. Notre-Seigneur les représente comme tournant la
meule ensemble, c'est-à-dire qu'ils s'occupent de ces affaires du siècle,
en faisant servir leurs biens à l'utilité de l'Église.
La troisième classe est composée de ceux qui travaillent dans
les divers ministères de l'Église, comme dans le champ de Dieu.
Ces trois classes à leur tour en renferment deux autres, c'est-à-dire
que les uns demeurent dans l'Église et sont pris et choisis ; les autres
sont infidèles et sont laissés. - S. AMBR. Dieu, en effet, ne
peut être injuste et refuser la même récompense à
ceux qui sont unis par une entière conformité de sentiments et
d'action. Cependant ce n'est pas la communauté de vie qui produit l'identité
de mérites, car tous n'accomplissent pas entièrement ce qu'ils
commencent, et celui-là seul qui persévérera jusqu'à
la fin sera sauvé. (Mt 10, 22 ; 24, 43.)
S. CYR. Notre-Seigneur ayant dit que les uns seraient choisis et les autres
laissés, les disciples sont fondés à lui demander dans
quel endroit ils seraient pris : " Ils lui demandèrent : Où
sera-ce Seigneur ? " - BEDE. Cette demande comprenait ces deux questions
: Dans quel endroit les bons devaient être pris et où les méchants
devaient être laissés, le Sauveur répond à la première
de ces questions, et laisse sous-entendue la réponse à la seconde
: " Il leur répondit : Partout où sera le corps, les aigles
s'y assembleront. " - S. CYR. C'est-à-dire, de même que les
oiseaux carnivores s'assemblent autour d'un cadavre abandonné ; ainsi
lors de l'avènement du Fils de l'homme, tous les aigles, c'est-à-dire
les saints, s'empresseront autour de lui. - S. AMBR. Les âmes des saints
sont comparées à des aigles qui s'élèvent sur les
hauteurs, s'éloignent de tout ce qui est sur la terre et passent pour
vivre très-longtemps. Nous ne pouvons douter quel est ce corps, surtout
si nous nous rappelons que Joseph obtint de Pilate le corps de Jésus.
Est-ce que vous ne voyez pas les aigles autour du corps dans la personne des
femmes et des Apôtres, qui se réunissent autour du tombeau du Sauveur
? Ne voyez-vous pas ces aigles autour de son corps, lorsqu'il viendra sur les
nuées et que tout oeil le verra ? (Ap 5.) Or, le corps est celui dont
il est écrit : " Ma chair est vraiment une nourriture. " (Jn
6.) Autour de ce corps sont les aigles qui volent avec les ailes spirituelles.
Les aigles autour du corps sont encore ceux qui croient que Jésus-Christ
est venu sur la terre dans une chair véritable. C'est aussi l'Église
où nous sommes renouvelés dans l'Esprit par la grâce du
baptême. - EUSEBE. Ou bien encore, les aigles qui se nourrissent de la
chair des animaux morts, figurent les princes de ce monde, et ceux qui persécuteront
alors les saints de Dieu, et il laisse en leur pouvoir ceux qui n'ont point
mérité d'être pris et auxquels il donne le nom de corps
ou de cadavres, ces aigles peuvent encore représenter ces puissances
vengeresses qui voleront vers les impies. - S. AUG. (De l'ac. des Evang., 2,
7.) Les enseignements que place ici saint Luc (dans un discours différent
de celui où saint Matthieu les fait entrer), sont rapportés par
avance et n'ont été donnés que plus tard par le Seigneur,
ou bien il faut dire qu'il les a donnés deux fois.