CATANA AUREA SUR SAINT LUC

PRÉFACE DE L'EXPLICATION

ÉVANGILE DE SAINT LUC PAR SAINT THOMAS

SAINT THOMAS D'AQUIN CATENA AUREA SUR SAINT LUC

CHAPITRE XVII
vv. 1-2.
THEOPHYL. Notre-Seigneur répond aux pharisiens avares qui attaquaient ses enseignements sur la pauvreté, par la parabole du mauvais riche et de Lazare. Il s'entretient ensuite des pharisiens avec ses disciples, et les leur représente comme des schismatiques et comme des gens qui entravent par leurs obstacles les voies divines : " Et Jésus dit à ses disciples : Il est impossible qu'il n'arrive des scandales, " c'est-à-dire des obstacles à la vie sainte et agréable à Dieu. - S. CYR. Il y a deux sortes de scandales, les uns sont opposés directement à la gloire de Dieu, les autres se bornent à créer des obstacles à nos frères dans la voie du bien ; c'est ainsi que les doctrines des hérétiques, et tout discours contraire à la vérité sont directement opposés à la gloire de Dieu. Or, Notre-Seigneur ne parait pas avoir ici en vue cette première espèce de scandale, mais plutôt ceux qui arrivent entre amis et entre frères, comme les querelles, les médisances, et autres différends semblables. Voilà pourquoi il ajoute plus bas : " Si votre frère pèche contre vous, reprenez-le, " etc. - THEOPHYL. Ou bien il veut dire que la prédication et la vérité doivent nécessairement rencontrer bien des difficultés, telles que celles que les pharisiens suscitaient à la prédication de Jésus-Christ. Mais s'il est nécessaire que les scandales arrivent, comment me dira-t-on, Notre-Seigneur peut-il en faire un crime à l'auteur du scandale en disant : " Malheur à celui par qui arrive le scandale ? " Car tout ce qui est le produit de la nécessité est digne d'indulgence. Nous répondons que cette nécessité tire son origine de notre libre arbitre. Notre-Seigneur, considérant comment les hommes se portent au mal et sont indifférents pour le bien, déclare que les scandales sont une conséquence nécessaire de cet état de choses ; comme un médecin qui voit un de ses malades faire usage d'un mauvais régime, dit de lui : Cet homme deviendra nécessairement malade. Aussi le Sauveur annonce malheur à celui par qui arrive le scandale, et lui en prédit le châtiment : " Il vaudrait mieux pour lui qu'on lui mît une meule de moulin au cou et qu'on le précipitât dans la mer. " - BEDE. Notre-Seigneur fait ici allusion à un usage de la Palestine, où le châtiment des grands crimes, chez les anciens Juifs, consistait à précipiter les coupables au fond de la mer avec une grosse pierre au cou. Et en effet, il vaut mieux, même pour un innocent, perdre la vie du corps par un supplice atroce, mais passager, que de précipiter son frère innocent dans la mort éternelle. C'est à juste titre que le Sauveur donne le nom de " petit " à celui qui est scandalisé ; car celui dont l'âme est grande et élevée, quoi qu'il voie, quoi qu'il lui arrive, ne se laisse point détourner de la foi. Autant que nous le pouvons sans péché, évitons donc de donner du scandale à nos frères ; s'ils prennent scandale de la vérité, il est plus utile de permettre ce scandale, que d'abandonner les intérêts de la vérité. - S. CHRYS. Par le supplice de celui qui scandalise les âmes, apprenez quelle sera la récompense de celui qui les sauve. Car s'il n'avait tant à coeur le salut d'une seule âme, il ne menacerait pas d'un si grand châtiment les auteurs du scandale.

vv. 3-4
S. AMBR. Après la parabole du mauvais riche souffrant cruellement dans les flammes éternelles, le Sauveur fait à ses disciples une obligation de pardonner à tous ceux qui reviennent de leurs erreurs ; de peur que le désespoir ne les fasse persévérer dans le mal : " Prenez garde à vous. " - THEOPHYL. Comme s'il leur disait : Il est nécessaire qu'il arrive des scandales, mais il n'est pas nécessaire que vous périssiez si vous êtes sur vos gardes, de même qu'il n'y a point nécessité que les brebis deviennent la proie du loup, si le berger veille sur elles, et comme il y a plusieurs espèces de personnes qui donnent le scandale, que les unes peuvent être guéries, que les autres sont incurables, il ajoute : " Si votre frère pèche contre vous, reprenez-le, " etc. - S. AMBR. Le pardon ne doit pas être trop difficile, ni l'indulgence trop grande, il faut éviter à la fois les reproches sévères qui découragent, et une connivence coupable qui autorise le mal ; aussi Notre-Seigneur nous dit-il ailleurs : " Reprenez-le entre vous et lui ; " car une réprimande amicale est toujours plus utile qu'une accusation trop vive ; l'une inspire une honte salutaire, l'autre excite l'indignation ; ayez plutôt des ménagements pour cette crainte qu'a le coupable que ses fautes soient révélées ; car il est bien plus avantageux qu'il voie en vous un ami qui le reprend, qu'un ennemi qui veut sa perte, et il se rendra toujours plus facilement à vos conseils, qu'il ne cédera à vos injures. La crainte est un faible gardien de la persévérance, la honte enseigne bien plus efficacement le devoir ; car si la crainte réprime le vice, elle ne peut le corriger. Notre-Seigneur dit avec dessein : " Si votre frère pèche contre vous, " car on ne peut raisonner des fautes commises contre Dieu, comme des offenses envers nos semblables.
BEDE. Remarquez encore qu'il ne nous fait point une obligation de pardonner indifféremment à tout homme qui nous offense, mais seulement à celui qui témoigne du repentir ; car tel est l'ordre que nous devons suivre pour éviter les scandales : n'offenser personne, reprendre par zèle pour la justice ceux qui sont en faute, et recevoir avec des entrailles de miséricorde les pécheurs repentants. - THEOPHYL. Mais, me dira-t-on, si après avoir pardonné plusieurs fois à mon frère, il continue à m'offenser, quelle conduite tenir à son égard ? Notre-Seigneur a répondu à cette question : " S'il pèche contre vous sept fois le jour, et que sept fois le jour il revienne à vous, disant : Je me repens, pardonnez-lui. "
BEDE. Le nombre sept n'exprime pas ici les limites que nous devons apporter au pardon, mais il signifie qu'il faut pardonner toutes les offenses, ou du moins qu'il faut toujours pardonner à celui qui se repent. Le nombre sept, en effet, exprime souvent dans l'Écriture l'universalité des choses ou des temps. - S. AMBR. Ou bien encore, de même que Dieu s'est reposé de ses oeuvres le septième jour, ainsi un repos éternel nous est promis après la semaine de ce monde ; Dieu veut donc que la sévérité de la vengeance s'apaise et se repose, à l'exemple de toutes les oeuvres mauvaises de ce monde, qui doivent un jour prendre fin.

vv. 5-6.
THEOPHYL. Les disciples ayant entendu les enseignements du Seigneur sur des devoirs difficiles, c'est-à-dire sur la pauvreté et la fuite des scandales, lui demandent d'augmenter en eux la foi, qui doit les aider à pratiquer la pauvreté (car rien de plus efficace pour inspirer l'amour de la pauvreté, comme la foi et l'espérance en Dieu), et à résister aux scandales : " Alors les Apôtres dirent au Seigneur : Augmentez-nous la foi. " - S. GREG. (Moral., XXII, 14.) Afin que cette foi qu'ils avaient reçue dans son germe, parvînt à la perfection par des accroissements successifs. - S. AUG. (Quest. évang., 2, 39.) Par cette foi, qu'ils prient le Sauveur d'augmenter en eux, on peut entendre celle qui nous fait croire ce que nous ne voyons pas ; cependant il y a aussi une foi qu'on peut appeler la foi des choses, qui nous porte à croire non seulement aux paroles, mais aux choses présentes, ce qui doit un jour s'accomplir, lorsque la sagesse de Dieu, par laquelle tout a été fait, s'offrira à la contemplation des saints dans tout l'éclat de sa gloire.
THEOPHYL. Notre-Seigneur approuve ouvertement leur demande, et les exhorte à croire fermement en leur découvrant toute la puissance de la foi : " Le Seigneur leur dit : Si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, " etc. Il y a ici deux prodiges extraordinaires, transporter un arbre enraciné dans la terre, et le planter au milieu de la mer (car que peut-on planter au milieu des flots), et qui tous deux font voir la puissance de la foi. - S. CHRYS. (hom. 58 sur S. Matth.) Le Sauveur prend pour exemple le grain de sénevé, parce que bien que son volume soit très-petit, il a cependant plus de force que toutes les autres graines, et il veut nous apprendre par là que le plus petit degré de foi, peut opérer de grandes choses. N'allez pas cependant accuser légèrement les Apôtres, de ce qu'ils n'ont point transporté de mûrier, car Notre-Seigneur ne leur a point dit : Vous transporterez, mais : " Vous pourrez transporter. " Mais ils ne l'ont point voulu, parce que cela était inutile, puisqu'ils ont opéré de plus grands prodiges. - S. CHRYS. (hom. 32 sur la 1e Epit. aux Cor.) Mais comment concilier ces paroles de Jésus-Christ, que le plus petit degré de foi peut transporter un arbre ou une montagne, avec celles où saint Paul déclare que c'est la foi parfaite qui transporte les montagnes ? (1 Co 13, 2) Nous répondons que l'apôtre saint Paul attribue à la foi parfaite la vertu de transporter les montagnes, non que ce soit le privilège exclusif de la foi parfaite, mais parce qu'il s'adressait à des esprits encore grossiers qui trouvaient ce prodige extraordinaire à cause de la difficulté que présente la masse énorme d'une montagne.
BEDE. Ou bien le Seigneur compare ici la foi parfaite à un grain de sénevé, parce qu'elle a peu d'apparence au dehors, et qu'elle déploie toute sa force dans l'intérieur de notre corps. Dans le sens allégorique, le mûrier (dont les fruits et les branches ont la couleur du sang), est la figure de l'Évangile de la croix que la foi des Apôtres a par la prédication arraché du peuple juif, dans lequel il était enraciné comme dans sa terre primitive, pour le transporter et le planter au milieu de la mer des nations. - S. AMBR. Ou bien encore, ces paroles signifient la puissance de la foi pour chasser l'esprit immonde, d'autant plus que la nature de cet arbre favorise cette opinion. En effet, le fruit du mûrier est blanc dans sa fleur, il parait rouge lorsqu'il a pris sa forme, et devient noir lorsqu'il est parvenu à sa maturité. C'est ainsi que le démon, déchu par sa prévarication de la fleur blanche de sa nature angélique, et de son éclatante dignité, est devenu un objet d'horreur par les noires vapeurs qu'exhale son iniquité. - S. CHRYS. (Ch. des Pèr. gr.) Il y a encore une autre analogie entre le démon et le mûrier ; les vers se nourrissent des feuilles du mûrier, ainsi le démon se sert des pensées qu'il suggère pour nourrir le ver qui ne meurt point, mais la foi peut déraciner de nos âmes ce mûrier et le précipiter dans l'abîme.

vv. 7-10.
THEOPHYL. Comme la foi rend celui qui la possède fidèle observateur des commandements de Dieu, et lui fait opérer des oeuvres vraiment admirables, il semblait qu'elle pouvait exposer l'homme au vice de l'orgueil. Aussi Notre-Seigneur prémunit ses disciples contre ce sentiment d'orgueil qui pouvait naître de leurs vertus, par l'exemple suivant : " Qui de vous, ayant un serviteur attaché au labourage, " etc. - S. AUG. (quest. Evang., 2, 39.) Ou bien encore, comme la plupart ne comprenaient pas cette foi à la vérité qui devait un jour se découvrir sans nuage, on pourrait croire que Notre-Seigneur ne répond pas directement à la demande de ses disciples. En effet, la suite des paroles du Sauveur se rapporte difficilement à cette prière des Apôtres : " Augmentez en nous la foi, " à moins de les entendre dans ce sens, que nous passons d'une foi moins parfaite à une foi parfaite, c'est-à-dire de la foi qui nous fait servir Dieu, à la foi où nous jouissons pleinement de Dieu. La foi s'augmente en effet, lorsqu'après avoir eu pour objet les paroles de la prédication, elle s'étend même aux choses visibles. Mais cette foi contemplative est accompagnée de ce repos ineffable que Dieu nous prépare dans son royaume éternel, et ce repos est la récompense des travaux méritoires qui s'accomplissent dans l'Église. Ainsi, quel que soit le genre de travaux auxquels est appliqué le serviteur, qu'il laboure dans les champs, ou qu'il garde les troupeaux (c'est-à-dire qu'il s'occupe dans cette vie des choses de la terre, ou qu'il soit au service des hommes insensés figurés par les troupeaux), il faut qu'après ces travaux accomplis il rentre à la maison, c'est-à-dire qu'il soit réuni à l'Église.

BEDE. Ou bien encore, ce serviteur qui revient des champs, c'est le docteur qui interrompt pour un temps l'oeuvre de la prédication, pour rentrer dans sa conscience et y repasser ses actions et ses paroles. Le Seigneur ne lui dit pas aussitôt ; Allez (de cette vie mortelle), et mettez-vous à table, c'est-à-dire, réjouissez-vous dans l'éternel repas de la vie bienheureuse. - S. AMBR. En effet, nul ne s'asseoit à ce banquet avant de passer de cette vie à l'autre. ; Moïse lui-même a dû passer de l'endroit où il était pour être témoin de la grande vision ou Dieu se révélait à lui. (Ex 3.) De même donc que vous ne dites pas aussitôt à votre serviteur : Mettez-vous à table, mais que vous exigez de lui auparavant d'autres services ; ainsi Dieu ne vous demande pas un seul genre d'oeuvres et de travaux, notre travail ne doit cesser qu'avec notre vie : Est-ce qu'il ne lui dit pas au contraire : " Préparez-moi à souper, " etc. - BEDE. Dieu commande à ce serviteur de lui préparer à manger, c'est-à-dire qu'après le travail de la prédication publique, il doit se livrer à une humble considération de lui-même ; c'est la nourriture que Dieu désire. Se ceindre les reins, c'est, pour une âme humble, relever et resserrer toutes les pensées flottantes qui peuvent entraver notre marche dans la voie des bonnes oeuvres ; car on ne serre ses vêtements avec une ceinture que pour n'être point exposé à tomber en marchant. Servir le vrai Dieu, c'est confesser hautement que toute notre force vient du secours de sa grâce.
S. AUG. (quest. Evang.) C'est alors que ses ministres le servent, c'est-à-dire qu'ils se livrent à la prédication de l'Évangile, que Dieu boit et mange, pour ainsi dire, la confession et la foi des Gentils.
" Et après cela tu mangeras et tu boiras, " c'est-à-dire : Après que j'aurai goûté avec joie l'oeuvre de votre prédication, et que je me serai rassasié de votre componction comme d'un mets délicieux, alors vous passerez, et vous serez nourri vous-même à jamais de l'aliment éternel de ma sagesse.
S. CYR. Notre-Seigneur nous enseigne ici qu'en vertu du droit de sa puissance souveraine, il exige de ses serviteurs l'obéissance comme une chose qui lui est que : " Aura-t-il de l'obligation à ce serviteur, parce qu'il a fait ce qu'il lui a commandé ? Je ne le pense pas. R Quoi de plus propre à guérir la maladie de l'orgueil ? Pourquoi vous enorgueillir ? Ignorez-vous que si vous ne remplissez pas l'obligation qui vous est imposée, vous vous exposez au danger, et que si vous y êtes fidèle, vous ne faites rien de trop, d'après ces paroles de saint Paul : " Si je prêche l'Évangile, la gloire n'en est point à moi, car c'est pour moi une obligation de le faire, malheur à moi si je ne prêche pas l'Évangile ! " Considérez en effet, que ceux qui exercent l'autorité parmi nous, ne remercient pas leurs serviteurs lorsqu'ils exécutent les ordres qui leur ont été donnés, mais ils cherchent à gagner leur affection à force de bienveillance pour leur inspirer un plus grand zèle dans l'accomplissement de leurs devoirs. Ainsi Dieu nous demande de le servir en vertu de son droit souverain, mais comme il est plein de clémence et de bonté, il promet des honneurs infinis à ceux qui travaillent pour lui, et la grandeur de sa bienveillance est bien supérieure à toutes les fatigues que nous endurons à son service.
S. AMBR. Ne vantez donc pas votre mérite lorsque vous avez fidèlement servi, vous n'avez fait que ce que vous deviez faire. Le soleil obéit à Dieu, la lune lui est soumise, les anges exécutent ses ordres ; gardons-nous donc de nous louer nous-mêmes, c'est la conclusion que le Sauveur tire lui-même de ce qu'il vient de dire : " De même quand vous aurez fait ce qui vous est commandé, dites : Nous sommes des serviteurs inutiles ; nous avons fait ce que nous devions faire. " - BEDE. Nous sommes des serviteurs, parce que nous avons été rachetés d'un grand prix (1 Co 7) ; nous sommes des serviteurs inutiles, parce que le Seigneur n'a nul besoin de nos biens (Ps 15) ; ou parce que les souffrances de cette vie n'ont aucune proportion avec la gloire future. (Rm 8.) La perfection de la foi pour les chrétiens, consiste donc à reconnaître leur imperfection, alors même qu'ils ont accompli tout ce qui leur est commandé.

vv. 11-19
S. AMBR. A la suite de cette parabole, Notre-Seigneur reproche aux Juifs leur ingratitude : " Il arriva qu'en allant à Jérusalem, Jésus traversait le pays de Samarie, " etc. - TITE DE BOSTR. (Ch. des Pèr. gr.) Son dessein est de faire ressortir la reconnaissance des samaritains comparée à l'ingratitude des Juifs pour les bienfaits qu'ils ont reçus. L'inimitié la plus grande existait entre les Samaritains et les Juifs, Notre-Seigneur voulant les pacifier passe entre les deux pour les réunir en un seul homme (Ep 2, 14). - S. CYR. Il manifeste ensuite sa gloire pour attirer les Israélites à la foi : " Et comme il entrait dans un village, il rencontra dix lépreux, " etc., expulsés des villes et des villages, et regardés comme immondes d'après la loi de Moïse.
TITE DE BOSTR. Ces dix lépreux vivaient ensemble, unis entre eux par la communauté de souffrances, et ils attendaient le passage de Jésus, pleins d'impatience de le voir venir : " Et ils se tenaient éloignés, " parce que la loi des Juifs regardait la lèpre comme une impureté, tandis que la loi de l'Évangile ne regarde comme impure que la lèpre intérieure, et non celle qui n'est qu'extérieure.
THEOPHYL. Ces lépreux se tiennent éloignés, honteux pour ainsi dire de cette maladie qui les faisait regarder comme impurs ; car ils pensaient que Jésus-Christ aurait pour eux la même horreur que les autres ; ils se tiennent donc éloignés extérieurement, mais ils s'approchent de lui par leurs prières : car le Seigneur est proche de tous ceux qui l'invoquent dans la vérité (Ps 114) : " Et ils élevèrent la voix en disant : Jésus, Maître, ayez pitié de nous. " - TITE DE BOSTR. Ils prononcent le nom de Jésus, et méritent d'en éprouver l'efficacité, car le nom de Jésus veut dire Sauveur. Ils lui disent : " Ayez pitié de nous ; " pour ressentir les effets de sa puissance, ils ne lui demandent ni or ni argent, mais qu'il guérisse et purifie leur corps. - THEOPHYL. Ils ne lui adressent pas leurs prières et leurs supplications comme à un simple mortel ; ils l'appellent Maître, c'est-à-dire Seigneur, et ils ne sont pas loin de le regarder comme Dieu. Jésus leur commande d'aller se montrer aux prêtres : " Dès qu'il les vit, il leur dit : Allez, montrez-vous aux prêtres, " car c'était à eux de vérifier si la guérison de la lèpre était véritable ou non.
S. CYR. (Ch. des Pèr. gr.) La loi ordonnait aussi à ceux qui étaient purifiés de la lèpre d'offrir un sacrifice en reconnaissance de leur guérison. - THEOPHYL. En leur commandant d'aller se montrer aux prêtres, le Sauveur leur donnait à entendre qu'ils seraient guéris : " Et il arriva, pendant qu'ils y allaient, qu'ils furent purifiés. " - S. CYR. Les prêtres des Juifs, jaloux de la gloire de Jésus, avaient une preuve certaine que Jésus les avait guéris soudainement et miraculeusement par un acte de sa toute-puissance.
THEOPHYL. Parmi ces dix lépreux, les neuf qui étaient Israélites se montrèrent ingrats, l'étranger seul qui était samaritain revint pour exprimer hautement sa reconnaissance : " Un d'eux se voyant guéri, revint sur ses pas, glorifiant Dieu à haute voix. " - TITE de Bostr. La guérison qui lui est rendue lui donne la confiance d'approcher du Sauveur : " Et il se prosterna la face contre terre aux pieds de Jésus, en lui rendant grâces, " et il manifeste ainsi doublement sa foi et sa reconnaissance.
" Et c'était un Samaritain. " - THEOPHYL. Nous pouvons conclure de là que rien n'empêche qu'on soit agréable à Dieu, fût-on descendu d'une race coupable, pourvu qu'on fasse preuve de bonne volonté. Que personne aussi ne s'enorgueillisse d'avoir des saints comme ancêtres, puisque ces neuf qui étaient Israélites, furent des ingrats " Alors Jésus dit : Est-ce que les dix n'ont pas été guéris, " etc. ? - TITE DE BOSTR. Nous voyons ici que les étrangers étaient bien plus empressés que les Israélites pour embrasser la foi : " Et Jésus lui dit : Levez-vous, allez, votre foi vous a sauvé. "

S. AUG. (quest. Evang., 2, 40.) Dans le sens figuré les lépreux représentent ceux qui, n'ayant point la science de la vraie foi, professent les doctrines si variées de l'erreur. Loin de cacher leur ignorance, fis la font paraître au grand jour comme une souveraine habileté, et la font valoir dans des discours pleins d'ostentation. La lèpre vicie et altère la couleur du corps ; or, ce mélange incohérent de vérités et d'erreurs qui se produit dans une seule discussion, dans un seul et même discours, comme dans la couleur extérieure d'un seul et même corps, figure la lèpre qui altère et flétrit le corps de l'homme par les nuances vraies et fausses de ses diverses couleurs. L'Église doit éviter la société de tels hommes, qui doivent être tenus au loin, et invoquer de là le Sauveur à grands cris. Le nom de Maître (cf. Mt 8 ; Mc 1 ; Lc 5), qu'ils lui donnent, me paraît indiquer que la lèpre est la figure des fausses doctrines qu'il n'appartient qu'au bon Maître de faire disparaître. Â l'exception de ces lépreux, nous ne voyons pas que Notre-Seigneur ait envoyé vers les prêtres aucun de ceux auxquels il avait rendu la santé du corps. Le sacerdoce des Juifs a été la figure du sacerdoce qui est dans l'Église ; le Seigneur guérit et corrige par lui-même toits les autres vices dans l'intérieur de la conscience : mais le pouvoir d'instruire et de sanctifier les âmes par l'administration des sacrements et d'enseigner par la prédication extérieure a été donné à l'Église. " Pendant qu'ils y allaient, ils furent guéris ; " en effet les Gentils que Pierre vint trouver, avant d'avoir reçu le sacrement de baptême, qui nous fait parvenir spirituellement jusqu'aux prêtres, furent manifestement purifiés par l'effusion de l'Esprit saint. Tout fidèle donc qui dans la société de l'Église possède la doctrine de la foi dans sa vérité, et dans son intégrité, et qui n'a pas été souillé par les taches si variées de l'erreur comme par une lèpre, et qui par un sentiment d'ingratitude pour le Dieu qui l'a purifié ne se prosterne pas humblement à ses pieds, est semblable à ceux dont parle l'apôtre saint Paul : " Qui ayant connu Dieu, ne l'ont point glorifié comme Dieu, et ne lui Ont point rendu grâces. " Ils sont au nombre de neuf, signe qu'ils resteront dans leur imperfection, car le nombre neuf a besoin d'un pour former une espèce d'unité qui est le nombre dix. Au contraire celui qui vient rendre grâces, reçoit des éloges parce qu'il est la figure de l'Église qui est une. Quant aux neuf qui étaient Juifs, Notre-Seigneur déclare qu'ils ont perdu par leur orgueil le royaume des cieux, où règne la plus parfaite unité ; tandis que ce Samaritain qui veut dire gardien, rendant grâces à Dieu de ce qu'il avait reçu selon ces paroles du Psalmiste : " C'est en vous que je conserverai ma force, " (Ps 58) a gardé l'unité du royaume par son humble reconnaissance. - BEDE. Il se prosterne la face contre terre, parce qu'il est couvert de honte au souvenir des fautes qu'il a commises, Notre-Seigneur lui ordonne de se lever et d'aller trouver les prêtres parce que celui qui s'humilie profondément dans la connaissance qu'il a de sa faiblesse, reçoit avec la consolation de la parole divine l'ordre de se porter à des oeuvres plus parfaites. Or, si la foi a sauvé celui qui s'est ainsi prosterné pour rendre grâces, c'est donc l'infidélité qui a perdu ceux qui négligèrent de rendre gloire à Dieu pour les bienfaits qu'ils en avaient reçus. Le Sauveur démontre donc ici par les faits ce qu'il avait enseigné dans la parabole précédente que la foi s'augmente et s'accroît par la pratique de l'humilité.

vv. 20-21
S. CYR. (Ch. des Pèr. gr.) Comme le Sauveur, dans les discours qu'il adressait au peuple, parlait fréquemment du royaume de Dieu, les pharisiens prenaient occasion de là pour se moquer de lui : " Interrogé par les pharisiens, quand viendrait le royaume de Dieu. " Ils semblaient lui dire comme par dérision : Avant que vienne ce royaume dont vous parlez, vous finirez vos jours sur la croix. " Mais le Seigneur voulant nous montrer toute sa patience, au lieu de repousser cette injure par de violents reproches, ne. dédaigne pas de répondre directement aux méchants : " Il leur répondit : Le royaume de Dieu ne vient point d'une manière qui frappe les regards. " Paroles qui reviennent à celles-ci : " Ne cherchez pas à connaître le temps où viendra le royaume des cieux, " car il ne peut être connu ni par les anges ni par les hommes, comme l'a été le temps de l'incarnation, qui a été prédit et annoncé par les oracles des prophètes et par la voix des anges. Aussi le Sauveur ajoute : " On ne dira point : Il est ici, ou il est là. " Ou bien encore, ils l'interrogent sur le temps où viendra le royaume de Dieu, parce qu'ils pensaient (comme il est dit plus bas), que le royaume de Dieu se manifesterait à l'entrée du Seigneur dans la ville de Jérusalem. C'est pour cela qu'il leur répond : " Le royaume de Dieu ne vient pas de manière à être remarqué. " - S. CYR. Il fait seulement cette déclaration pour la consolation de chacun : " Le royaume de Dieu est au milieu de vous, " c'est-à-dire, il dépend de vos affections, il est en votre pouvoir de l'obtenir, car tout homme justifié par la foi et par la grâce de Jésus-Christ, et orné des vertus chrétiennes, peut établir en lui-même le royaume des cieux. - S. GREG. DE NYSSE. (du but que doit se propos. le chrét.) Peut-être aussi entend-il par ce royaume qui est au dedans de nous la joie que l'Esprit saint répand dans nos âmes, car cette joie est la figure et le gage de la joie éternelle qui est le partage des âmes saintes dans la vie future. - BEDE. Ou bien encore, ce royaume de Dieu, c'est lui-même qui demeure au milieu d'eux, c'est-à-dire, qui règne dans leurs coeurs par la foi.

vv. 22-25.
S. CYR. Le Seigneur qui venait de dire : " Le royaume de Dieu est en vous-mêmes, " voulut préparer ses disciples à la patience, et les remplir de courage pour qu'ils pussent entrer dans le royaume de Dieu. Il leur prédit donc qu'avant qu'il descende des cieux, à la fin du monde, la persécution fondra sur eux : " Et il dit à ses disciples : Viendra un temps, " etc. C'est-à-dire, que la persécution sera si grande, qu'ils désireront voir un de ces jours où ils avaient le bonheur de vivre dans la société du Christ, Sans doute, les Juifs avaient accablé le Sauveur de mille outrages et de mille injures, ils avaient voulu le lapider et le précipiter du haut d'une montagne, mais ces épreuves étaient désirables en comparaison des persécutions bien plus grandes qui les attendaient. - THEOPHYL. Ils vivaient alors sans aucune sollicitude sous la providence, et la protection de Jésus-Christ, mais il devait venir un temps où, séparés de lui, ils seraient livrés à tous les dangers, conduits devant les rois et les princes, et alors ils regretteraient les premiers temps comme des jours de tranquillité. - BEDE. Ou bien par ce jour du Christ, il veut parler de son règne dont nous attendons l'avènement, et il dit très-justement " Un jour, " parce que, dans ce bienheureux séjour de la gloire éternelle, il n'y aura plus d'alternative de jour et de nuit. Il est bon de désirer le jour du Christ, mais il ne faut pas que la vivacité de ce désir nous jette dans des illusions et des songes, comme si ce jour du Seigneur était proche. C'est contre ces illusions que le Sauveur ajoute : " Et on vous dira : Il est ici, il est là, gardez-vous d'y aller. " - EUSEBE. (Ch. des Pèr. gr.) C'est-à-dire, si à la venue de l'Antéchrist, le bruit se répand que c'est le Christ qui apparaît, ne sortez point, ne marchez pas à sa suite, car il est impossible que celui qui s'est manifesté une fois clairement aux hommes, puisse revenir se renfermer dans quelque lieu particulier de la terre. Ce sera donc celui dont on doit dire : Ce n'est pas le vrai Christ. Un signe évident du second avènement de notre Sauveur, c'est que l'éclat de son arrivée remplira tout à coup l'univers tout entier : " Comme l'éclair brille soudain d'une extrémité du ciel à l'autre, ainsi paraîtra le Fils de l'homme en son jour. " Car on ne le verra pas marchant sur la terre comme un homme ordinaire, mais il répandra sur nous tous les rayons de sa gloire et fera briller à tous les yeux les splendeurs de sa divinité.

BEDE. Il dit avec raison : " Comme l'éclair qui brille sous un côté du ciel, " parce que le jugement dernier se fera sous le ciel (c'est-à-dire, au milieu des airs), D'après ces paroles de l'Apôtre : " Nous qui vivons, qui sommes restés, nous serons emportés avec eux dans les nuées au-devant du Christ dans les airs. " (1 Th 4.) Or, si le Seigneur apparaît alors comme l'éclair, personne donc ne pourra demeurer caché dans son intérieur, pénétré qu'il sera par cette lumière éclatante qui environnera le juge. On peut encore entendre ces paroles de cet avènement du Sauveur qui se fait tous les jours dans l'Église. En effet, en proclamant que leur doctrine seule conservait la foi de Jésus-Christ, les hérétiques ont souvent troublé l'Église à ce point, que les fidèles qui vivaient alors ont désiré que le Sauveur revint, s'il était possible, un seul jour sur la terre, pour déclarer lui-même quelle était la foi véritable : " Et vous ne le verrez pas, " ajoute-t-il, parce qu'il n'est pas nécessaire que le Seigneur revienne visiblement pour enseigner de nouveau la doctrine qu'il a répandue par tout l'univers par les divines clartés de l'Évangile.

S. CYR. Les disciples de Jésus pensaient qu'aussitôt son arrivée à Jérusalem, il leur manifesterait le royaume de Dieu. Pour détruire cette opinion, il leur fait connaître qu'il doit d'abord souffrir pour notre salut, remonter vers son Père, et descendre du ciel dans tout l'éclat de sa gloire pour juger l'univers dans la justice : " Il faut auparavant que le Fils de l'homme souffre beaucoup, et qu'il soit rejeté par cette génération. " - BEDE. Par cette génération, il entend non seulement les Juifs, mais tous les réprouvés qui, maintenant encore, rejettent et persécutent le Fils de l'homme dans son corps, c'est-à-dire dans l'Église. Il mêle à la prédiction de sa passion, celle de son glorieux avènement, afin d'adoucir pour eux la douleur qu'ils éprouveraient de sa passion par la promesse de la gloire qui devait la suivre, et les préparer en même temps à braver la mort la plus affreuse, s'ils voulaient jouir eux-mêmes un jour de la gloire du royaume.

vv. 26-30.
BEDE. Notre-Seigneur avait comparé son avènement à l'éclair qui traverse rapidement les airs, il le compare maintenant à ce qui arriva aux jours de Noé et de Loth, lorsque les hommes furent surpris par une ruine soudaine : " Et comme il est arrivé aux jours de Noé, " etc. - S. CHRYS. (hom. 2 sur la I Epît. aux Thessal.) Ils n'ont point ajouté foi aux menaces qui leur étaient faites, et ils furent tout à coup frappés d'un châtiment trop véritable. (hom. 2 sur l'Epît. aux Coloss.) Leur incrédulité venait de leur vie oisive et dissolue, car l'homme n'attend ordinairement que ce qui fait l'objet habituel de ses pensées et de ses désirs : " Ils mangeaient et ils buvaient, " dit Notre-Seigneur. - S. AMBR. Il a soin de faire remarquer que ce sont les péchés des hommes qui ont été la cause du déluge, car Dieu n'est pas l'auteur du mal, ce sont nos péchés qui nous l'ont attiré. Ce n'est pas non plus qu'il condamne ni le mariage qui est le moyen donné de Dieu pour la perpétuité du genre humain,, ni la nourriture nécessaire pour son existence, mais il veut qu'on observe en tout une juste mesure, et tout ce qui la dépasse vient d'un mauvais principe.

BEDE. Dans le sens allégorique, Noé qui construit l'arche, est la figure du Seigneur qui bâtit l'Église avec les fidèles du Christ, unis ensemble comme des bois parfaitement travaillés. Quand cette arche est entièrement terminée, il y entre, lorsqu'au jour du jugement il vient y habiter pour l'éternité et y répandre les clartés de sa divine présence. Pendant qu'il construit cet arche, les méchants se livrent aux excès d'une vie dissolue, mais lorsqu'il y entre, ils sont frappés de mort, parce qu'en effet, ceux qui outragent les saints pendant leur vie de luttes et de combats, seront punis d'un éternel supplice, alors que les saints recevront leurs couronnes immortelles.
EUSEBE. (Ch. des Pèr. gr.) Le déluge que Notre-Seigneur vient d'apporter en exemple, pouvait donner la pensée que le déluge à venir serait un déluge d'eau ; il cite donc en second lieu l'exemple de Loth, pour nous apprendre quel sera le genre de supplice des méchants, c'est-à-dire que la colère de Dieu fera tomber sur eux un feu descendu du ciel : " Et comme il est arrivé encore aux jours de Loth, " etc. Il passe sous silence le crime infâme de Sodome, et ne parle que de ces fautes qu'on regarde ordinairement comme légères ou comme nulles, pour nous faire comprendre quel sera le châtiment des actions criminelles, puisque l'usage immodéré des choses permises sera puni par le feu et par le souffre : " Le jour où Loth sortit de Sodome, une pluie de feu et de souffre tomba du ciel, qui les fit périr tous. " Remarquez que le feu ne tomba du ciel sur les infâmes habitants de Sodome, que lorsque Loth en fut sorti, de même que le déluge ne fit périr les habitants de la terre que lorsque Noé fut entré dans l'arche ; car tant que Noé et Loth vivaient au milieu des impies, Dieu suspendait les effets de sa colère pour ne pas confondre dans un même supplice les justes et les pécheurs. Mais quand il voulut faire périr les pécheurs, il retira le juste du milieu d'eux ; de même à la consommation des siècles, le supplice des méchants ne commencera qu'après leur séparation d'avec les justes : " Ainsi en sera-t-il au jour où le Fils de l'homme sera révélé. " - BEDE. Car celui qui voit tout maintenant sans être visible lui-même, apparaîtra alors pour juger tous les hommes, et il choisira pour cette manifestation le temps où les hommes oublieux de ses jugements seront asservis sous le joug des choses de ce monde. - THEOPHYL. En effet, lorsque l'Antéchrist sera venu, les hommes se jetteront dans les plus honteux excès de la débauche, et deviendront " plus amateurs de la volupté que de Dieu. " (2 Tm 3.) Car si l'Antéchrist est comme le réceptacle de tous les vices, qu'inspirera-t-il aux hommes dans ces temps malheureux que l'amour du vice ? C'est ce que le Sauveur veut nous faire entendre par les exemples du déluge et du châtiment des habitants de Sodome.
BEDE. Dans le sens allégorique, Loth, dont le nom veut dire qui s'écarte, représente le peuple des élus, qui vit comme un étranger dans Sodome, c'est-à-dire au milieu des réprouvés, et se détourne autant qu'il peut des crimes dont il est témoin. A peine Loth est-il sorti de Sodome, que le feu du ciel tombe sur cette ville ; c'est ainsi qu'à la consommation des siècles les anges viendront et sépareront les méchants du milieu des justes, et les jetteront dans la fournaise de feu. (Mt 3.) Cependant cette pluie de feu et de souffre qui tombe du ciel n'est pas la figure du feu éternel de l'enfer, mais représente l'arrivée soudaine et imprévue de ce jour terrible.

vv. 31-32.
S. AMBR. Comme les bons, par suite de leur mélange avec les méchants, doivent nécessairement souffrir en ce monde de grandes tribulations de coeur et d'esprit pour mériter dans l'autre vie une récompense plus abondante, Notre-Seigneur leur donne par avance quelques conseils utiles : " En ce jour-là, que celui qui se trouvera sur le toit, ne descende point, " etc. C'est-à-dire que celui qui sera déjà monté au faîte de sa maison et jusqu'au sommet des plus hautes vertus, ne se laisse pas retomber dans les occupations toutes terrestres de ce monde misérable. - S. AUG. (Quest. évang., 2, 41.) Etre sur le toit, c'est s'élever au-dessus des jouissances charnelles, et vivre comme en liberté dans la sphère d'une vie toute spirituelle. Les meubles qui sont dans la maison, sont les sens de la chair qui ont souvent égaré le grand nombre de ceux qui les ont pris pour guide dans la recherche de la vérité qu'on ne peut découvrir que par l'intelligence. Que l'homme spirituel prenne donc garde de se laisser entraîner au jour de la tribulation par la vie de la chair qui se nourrit par les sens du corps, et de descendre pour goûter les jouissances de ce monde : " Et que celui qui est dans les champs ne retourne point non plus en arrière, " c'est-à-dire que celui qui travaille dans l'Église, à l'exemple de Paul qui plante et d'Apollo qui arrose (1 Co 3, 6), ne jette pas un oeil de regret sur les espérances du siècle auxquelles il a renoncé.
THEOPHYL. Saint Matthieu rapporte ces conseils du Sauveur au temps où Jérusalem devait être prise et détruite ; à l'approche des Romains ; ceux qui étaient dans leurs maisons devaient prendre aussitôt la fuite sans vouloir emporter aucune des choses même nécessaires ; et ceux qui étaient dans les champs, ne devaient point retourner dans leurs demeures. C'est ce qui eut lieu, en effet, lors de la ruine de Jérusalem, c'est ce qui doit arriver encore au temps de l'Antéchrist ; mais bien plus encore à la fin des temps, lorsque les tribulations seront parvenues à leur comble.
EUSEBE. Notre-Seigneur nous apprend par là que le fils de perdition soulèvera une violente persécution contre les fidèles disciples du Christ. Ce jour dont il parle, c'est le temps qui précédera la fin du monde ; temps où celui qui prendra la fuite ne devra ni revenir sur ses pas, ni s'inquiéter des biens qu'il perd, et ne point imiter la femme de Loth qui, s'étant retournée lorsqu'elle fuyait de la ville de Sodome, fut frappée de mort et changée en colonne de sel : " Souvenez-vous de la femme de Loth, " dit Notre-Seigneur. - S. AMBR. C'est pour avoir jeté un regard en arrière qu'elle a perdu le privilège de sa nature ; car Satan, comme Sodome, est en arrière : fuyez donc l'intempérance, évitez toute dissolution, souvenez-vous que Loth se sauva et parvint jusqu'à la montagne, parce qu'il n'a point jeté un regard en arrière sur les occupations de sa vie passée ; sa femme, au contraire, cédant au mouvement qui la fit regarder en arrière, ne put parvenir à cette montagne même avec le secours de son mari, et resta en chemin. - S. AUG. (Quest. évang., 2, 43.)La femme de Loth signifie donc ceux qui, dans la tribulation, regardent en arrière, et détournent, les yeux de l'espérance des promesses divines ; elle fut changée en statue de sel pour avertir les hommes de ne point imiter son exemple, devenant pour ainsi dire le sel qui préserve leur coeur de l'affadissement et de la corruption.
THEOPHYL. Notre-Seigneur tire ensuite la conclusion de ce qu'il vient de dire, en ajoutant : " Quiconque cherchera à sauver sa vie la perdra, " comme s'il disait : Que personne ne cherche à sauver sa vie dans les persécutions de l'Antéchrist, car il la perdra ; celui, au contraire, qui bravera les persécutions et les dangers, la conservera : " Et quiconque l'aura perdue, la sauvera, " en ne cédant pas aux menaces du tyran, dans la crainte de perdre la vie. - S. CYR. Saint Paul nous apprend comment on doit perdre sa vie pour la sauver, lorsqu'il, parle de ceux qui ont crucifié leur chair avec ses vices et ses concupiscences (Ga 5, 24), c'est-à-dire qui soutiennent avec courage et piété les combats de la vie chrétienne.

vv. 34-37.
BEDE. Notre-Seigneur avait recommandé plus haut à celui qui serait dans les champs, de ne point revenir dans sa maison ; paroles qui ne s'adressaient pas seulement à ceux qui devaient revenir ouvertement des champs, c'est-à-dire à ceux qui devaient hautement nier le Seigneur, comme le Sauveur le démontre, en ajoutant qu'il en est dont le coeur regarde en arrière, bien qu'extérieurement ils semblent jeter les yeux en avant : " Je vous le dis : En cette nuit-là, deux personnes seront dans un lit ; l'une sera prise, et l'autre laissée. " - S. AMBR. C'est bien avec raison qu'il dit : " Dans cette nuit, " car l'heure de l'Antéchrist est l'heure des ténèbres, parce que l'Antéchrist répand d'épaisses ténèbres sur le coeur des hommes, en affirmant qu'il est le Christ. Le Christ, au contraire, brillera comme la foudre étincelante, afin que dans cette nuit nous puissions voir la gloire de la résurrection. - S. AUG. (Quest. évang., 2, 44.) Ou bien : " dans cette nuit, " c'est-à-dire dans cette tribulation.
THEOPHYL. Ou bien par ces paroles : " Dans cette nuit, " le Sauveur veut nous apprendre qu'il viendra sans être attendu, et comme à l'improviste. Il avait dit aussi précédemment que les riches seraient difficilement sauvés, et il fait voir ici que cependant tous les riches ne seront pas tous réprouvés, de même que tous les pauvres ne seront pas indistinctement sauvés. - S. CYR. Ces deux personnes qui se trouvent dans le même lit, semblent désigner ceux qui placent leur repos dans les plaisirs du monde ; car le lit est l'emblème du repos. Or, tous ceux qui ont de grandes richesses en partage, ne sont pas pour cela des impies (Ps 61), il en est qui sont vertueux et du nombre des élus dans la foi ; ceux-là donc seront choisis, et les autres dont les moeurs sont différentes, seront laissés. En effet, lorsque le Seigneur descendra pour juger les hommes, il enverra ses anges qui laisseront sur la terre tous ceux qui sont destinés aux supplices éternels, et amèneront les saints en sa présence, selon ces paroles de l'Apôtre : " Nous serons enlevés avec eux sur les nuées, pour aller dans les airs au-devant de Jésus-Christ. " (2 Th 4, 16.) - S. AMBR. Ou bien encore sur le même lit de l'infirmité humaine, l'un est laissé, c'est-à-dire réprouvé ; et l'autre est enlevé pour aller dans les airs au-devant de Jésus-Christ : " Deux femmes moudront ensemble, " etc. - S. CYR. Ces deux femmes qui tournent la meule représentent ceux dont la vie s'écoule dans la pauvreté et les pénibles travaux, de même que les deux qui sont dans les champs. Il existe, en effet, une grande différence dans les pauvres ; les uns supportent courageusement le fardeau de la pauvreté, mènent une vie vertueuse et humble, et sont du nombre de ceux qui seront choisis ; les autres sont toujours prêts à se porter au crime, et seront laissés. - S. AMBR. Peut-être encore ces deux femmes qui tournent la meule, représentent ceux qui cherchent leur nourriture spirituelle dans les choses secrètes, et qui la produisent au dehors des substances où elle était cachée. En effet, on peut comparer ce monde à un moulin ; et notre âme est enfermée dans le corps comme dans une prison. Or, dans ce moulin, la synagogue, ou l'âme esclave de ses vices, semblable au blé mouillé et corrompu par une trop grande humidité, ne peut séparer l'intérieur de l'écorce extérieure, et elle est laissée, parce que sa farine est mauvaise. Au contraire, la sainte Église ou l'âme pure de toute faute, qui moud un froment séché aux rayons du soleil éternel, offrent à Dieu une bonne farine, qu'elles tirent du coeur des hommes. Il nous sera facile de comprendre ceux que représentent ceux qui sont dans les champs, si nous nous rappelons que nous avons comme deux hommes en nous (2 Co 4, 14), l'homme extérieur qui s'altère de jour en jour ; l'homme intérieur qui se renouvelle par les sacrements. Ce sont ces deux hommes qui travaillent dans notre champ, l'un produit de bons fruits par son zèle, J'autre le perd par sa négligence. Ou bien encore ces deux hommes qui sont dans les champs, représentent les deux peuples qui sont dans ce monde, l'un qui est fidèle est pris ; l'autre qui est infidèle est laissé.
S. AUG. (Quest. évang., 2, 44.) Ou bien Notre-Seigneur veut nous représenter ici trois classes différentes d'hommes. La première est composée de ceux qui préfèrent mener une vie de loisir et de repos, affranchie de toute occupation, soit séculière, soit ecclésiastique ; leur repos est figuré par le lit. La seconde comprend ceux qui, faisant partie du peuple, sont conduits par les docteurs et sont occupés des choses de ce monde. Ils sont ici figurés par des femmes, parce qu'il leur est avantageux de se laisser diriger par les conseils de leurs supérieurs ; et ces femmes tournent la meule, figure de ceux qui sont dans le cercle des affaires de ce monde. Notre-Seigneur les représente comme tournant la meule ensemble, c'est-à-dire qu'ils s'occupent de ces affaires du siècle, en faisant servir leurs biens à l'utilité de l'Église. La troisième classe est composée de ceux qui travaillent dans les divers ministères de l'Église, comme dans le champ de Dieu. Ces trois classes à leur tour en renferment deux autres, c'est-à-dire que les uns demeurent dans l'Église et sont pris et choisis ; les autres sont infidèles et sont laissés. - S. AMBR. Dieu, en effet, ne peut être injuste et refuser la même récompense à ceux qui sont unis par une entière conformité de sentiments et d'action. Cependant ce n'est pas la communauté de vie qui produit l'identité de mérites, car tous n'accomplissent pas entièrement ce qu'ils commencent, et celui-là seul qui persévérera jusqu'à la fin sera sauvé. (Mt 10, 22 ; 24, 43.)
S. CYR. Notre-Seigneur ayant dit que les uns seraient choisis et les autres laissés, les disciples sont fondés à lui demander dans quel endroit ils seraient pris : " Ils lui demandèrent : Où sera-ce Seigneur ? " - BEDE. Cette demande comprenait ces deux questions : Dans quel endroit les bons devaient être pris et où les méchants devaient être laissés, le Sauveur répond à la première de ces questions, et laisse sous-entendue la réponse à la seconde : " Il leur répondit : Partout où sera le corps, les aigles s'y assembleront. " - S. CYR. C'est-à-dire, de même que les oiseaux carnivores s'assemblent autour d'un cadavre abandonné ; ainsi lors de l'avènement du Fils de l'homme, tous les aigles, c'est-à-dire les saints, s'empresseront autour de lui. - S. AMBR. Les âmes des saints sont comparées à des aigles qui s'élèvent sur les hauteurs, s'éloignent de tout ce qui est sur la terre et passent pour vivre très-longtemps. Nous ne pouvons douter quel est ce corps, surtout si nous nous rappelons que Joseph obtint de Pilate le corps de Jésus. Est-ce que vous ne voyez pas les aigles autour du corps dans la personne des femmes et des Apôtres, qui se réunissent autour du tombeau du Sauveur ? Ne voyez-vous pas ces aigles autour de son corps, lorsqu'il viendra sur les nuées et que tout oeil le verra ? (Ap 5.) Or, le corps est celui dont il est écrit : " Ma chair est vraiment une nourriture. " (Jn 6.) Autour de ce corps sont les aigles qui volent avec les ailes spirituelles. Les aigles autour du corps sont encore ceux qui croient que Jésus-Christ est venu sur la terre dans une chair véritable. C'est aussi l'Église où nous sommes renouvelés dans l'Esprit par la grâce du baptême. - EUSEBE. Ou bien encore, les aigles qui se nourrissent de la chair des animaux morts, figurent les princes de ce monde, et ceux qui persécuteront alors les saints de Dieu, et il laisse en leur pouvoir ceux qui n'ont point mérité d'être pris et auxquels il donne le nom de corps ou de cadavres, ces aigles peuvent encore représenter ces puissances vengeresses qui voleront vers les impies. - S. AUG. (De l'ac. des Evang., 2, 7.) Les enseignements que place ici saint Luc (dans un discours différent de celui où saint Matthieu les fait entrer), sont rapportés par avance et n'ont été donnés que plus tard par le Seigneur, ou bien il faut dire qu'il les a donnés deux fois.