CATANA AUREA SUR SAINT LUC
ÉVANGILE DE SAINT LUC PAR SAINT THOMAS
SAINT THOMAS D'AQUIN CATENA AUREA SUR SAINT LUC
CHAPITRE V
vv. 1-3.
S. AMBR. Après que Notre-Seigneur eut opéré un grand nombre
de guérisons, l'empressement du peuple pour recourir à sa puissance
salutaire ne put être arrêté ni par le temps, ni par les
lieux ; le soir est venu, ils ne cessent de marcher à sa suite, un lac
se présente, ils se pressent autour de lui " Un jour que la foule
se précipitait sur lui, " etc. - S. CHRYS. Ils étaient comme
enchaînés à sa divine personne, pleins d'amour et d'admiration
pour lui, et ils voulaient le retenir au milieu d'eux. Et, en effet, qui aurait
voulu se séparer de lui pendant qu'il opérait de si grands miracles
? Qui aurait refusé de contempler cette face adorable et cette bouche
d'où sortaient tant de merveilles. Car le Sauveur n'était pas
seulement admirable dans les miracles qu'il opérait, mais son aspect
seul était rempli de grâce ; aussi quand il parlait, on l'écoutait
dans un profond silence, sans jamais oser l'interrompre : " La foule, se
précipitant sur lui pour entendre la parole de Dieu, " etc.
" Il était sur le bord du lac de Génésareth. " - BEDE. Le lac de Génésareth est le même qui porte le nom de mer de Galilée ou de Tibériade. On l'appelle mer de Galilée, de la province qui est baignée par ses eaux, et mer de Tibériade, de la ville qui en est voisine. Le nom de Génésareth vient de la nature même du lac, dont les ondes, en se ridant, produisent d'elles-mêmes les vents qui agitent ses flots. En effet, le mot Génésareth signifie qui produit de lui-même le vent. Les eaux, au lieu d'être calmes et tranquilles comme celles des autres lacs, sont souvent agitées par le souffle des vents, elles sont douces et agréables à boire. Mais dans la langue hébraïque, toute grande étendue d'eau douce ou salée, reçoit le nom de mer.
THEOPHYL. Plus la gloire s'attache au Sauveur, plus il cherche à s'y dérober, c'est pourquoi nous le voyons s'éloigner de la foule et monter dans une barque : " Et il vit deux barques arrêtées au bord du lac, et dont les pêcheurs étaient descendus pour laver leurs filets. " - S. CHRYS. C'était un signe que les pécheurs se reposaient. Selon saint Matthieu, Jésus les trouva raccommodant leurs filets ; car ils étaient si pauvres qu'ils étaient obligés de réparer leurs filets déchirés, dans l'impossibilité d'en avoir de nouveaux. Il monte dans une barque pour rassembler convenablement toute la multitude, de manière que personne ne fût derrière lui, mais que tous puissent le voir en face : " Montant dans une des barques qui appartenaient à Simon, il le pria, " etc. - THEOPHYL. Voyez l'humilité de Jésus-Christ, qui s'abaisse jusqu'à prier Pierre, et la soumission de Pierre, qui obéit en toutes choses à son divin Maître.
S. CHRYS.
Après avoir opéré un grand nombre de miracles, il enseigne
de nouveau sa doctrine, et tout en étant sur la mer, il prêche
ceux qui sont sur la terre : " Et étant assis, il enseignait le
peuple de dessus la barque. " - S. GREG. DE NAZIANZE. (disc. 31.) Il se
montre plein de condescendance pour tous, afin de tirer le poisson de l'abîme,
c'est-à-dire l'homme qui nage pour ainsi dire au milieu des choses inconstantes
et mobiles, et parmi les violentes tempêtes de cette vie.
BEDE. Dans le sens allégorique, ces deux barques figurent les Juifs et
les Gentils. Le Seigneur les voit toutes deux, parce qu'il connaît dans
chaque peuple ceux qui sont à lui, et en les voyant près du rivage,
c'est-à-dire en les visitant dans sa miséricorde, il les conduit
au port tranquille de la vie éternelle. Les pêcheurs sont les docteurs
de l'Église qui nous prennent dans les filets de la foi, et nous amènent
au rivage de la terre des vivants. Ces filets, tantôt les pêcheurs
les jettent pour pêcher, tantôt ils les plient après les
avoir lavés, parce qu'en effet, tous les temps ne sont pas également
propres à la prédication, et que le docteur doit tantôt
se livrer à l'enseignement, tantôt s'occuper de lui-même,
et prendre soin de son âme. La barque de Simon, c'est l'Église
primitive dont saint Paul a dit : " Celui qui a opéré en
Pierre pour l'apostolat de la circoncision. " (Ga 2.) Notre-Seigneur monte
dans une seule de ces barques, parce que la multitude de ceux qui croyaient
n'avait qu'un coeur et qu'une âme, (Ac 4.) - S. AUG. (Quest. évang.,
2, 2.) De cette barque, il enseignait la foule, car c'est par l'autorité
de l'Église que Pierre instruit les nations. Le Seigneur, en montant
dans cette barque, prie son disciple de s'éloigner un peu de la terre,
pour nous apprendre qu'il faut parler au peuple un langage plein de modération
et de réserve, il ne faut pas lui prêcher une doctrine terrestre,
mais il faut se garder également de trop l'éloigner de la terre
pour le jeter dans les profondeurs insondables des mystères. Cette circonstance
peut encore signifier qu'il faut d'abord prêcher l'Évangile aux
peuples des pays voisins, de même que bientôt il dira : " Avancez
en pleine mer, " c'est-à-dire prêchez aux nations plus éloignées.
v. 4-7.
S. CYR. (Ch. des Pèr. gr.) Après avoir donné au peuple
les enseignements qu'il jugeait convenables, le Sauveur reprend le cours de
ses opérations merveilleuses et divines, et en favorisant à ses
disciples l'exercice de la pêche, il les prend lui-même dans ses
filets : " Lorsqu'il eut cessé de parler, il dit à Simon
: " Avancez en pleine mer, et jetez vos filets pour pêcher. "
- S. CHRYS. (hom. 6 sur S. Matth.) Il s'accommode aux dispositions comme aux
diverses occupations des hommes, c'est par une étoile qu'il avait appelé
les mages, c'est par le métier de la pêche qu'il appelle à
lui les pécheurs. - THEOPHYL. Pierre ne fait aucune difficulté
d'obéir : " Et Simon lui répondit : Maître, nous avons
travaillé toute la nuit sans rien prendre. " Il n'ajoute pas : Je
ne me rendrai pas à votre parole, je ne veux pas m'exposer à de
nouvelles fatigues. Loin de là, il s'empresse de répondre : "
Mais sur votre parole, je jetterai le filet. " C'était de la barque
de Pierre que Notre-Seigneur avait enseigné le peuple, il ne veut pas
laisser sans récompense le maître de la barque ; et il le récompense
doublement, d'abord il lui fait prendre une multitude innombrable de poissons,
et en second lieu, il en fait lui-même son disciple : " Et l'ayant
jeté, ils prirent une si grande quantité de poissons, que leur
filet se rompait. " Pierre prit une telle quantité de poissons,
qu'il ne pouvait les tirer hors de l'eau, et qu'il demanda du secours à
ses compagnons : " Et ils firent signe à leurs compagnons qui étaient
dans l'autre barque de venir, etc. Il les appelle en leur faisant signe ; car
l'étonnement que lui causait cette pèche abondante, lui ôtait
pour ainsi dire l'usage de la parole. Les autres disciples répondent
à son appel : " Et ils vinrent, et ils remplirent les deux barques,
" etc. L'évangéliste saint Jean paraît raconter un
miracle semblable, mais qui est cependant tout autre, et qui eut lieu après
la résurrection du Sauveur sur la mer de Tibériade. Ces deux miracles
diffèrent et quant au temps, et quant à la nature même du
fait. Dans saint Jean, les filets, jetés à la droite de la barque,
prennent cent cinquante-trois grands poissons, et l'Évangéliste
a soin de dire que, malgré la grandeur des poissons, les filets ne se
rompirent pas. Et il avait alors en vue le fait miraculeux raconté par
saint Luc, où le filet se rompait sous le poids énorme des poissons
qu'il contenait.
S. AMBR. Dans le sens allégorique, la barque de Pierre qui, selon saint
Matthieu, est agitée par les flots, et qui, selon saint Luc, est remplie
de poissons, figure l'Église jouet des flots à son origine, et
dans la suite, se réjouissant de la multitude innombrable de ses enfants.
La barque qui porte Pierre n'est point agitée, mais celle qui portait
Judas est ballottée par les flots. Pierre, il est vrai, se trouvait dans
ces deux barques, mais bien qu'il demeurât ferme dans la conscience de
son innocence personnelle, il était cependant agité par suite
des crimes d'un autre. Gardons-nous donc de toute société avec
les traîtres, il n'en faut qu'un seul pour nous jeter dans l'agitation
et le trouble. Là où la foi est faible, il y a nécessairement
trouble, là, au contraire, où la charité est parfaite,
il y a pleine et entière sécurité. Remarquez enfin que
si Notre-Seigneur commande à tous les disciples de jeter leurs filets,
c'est à Pierre seul qu'il dit : " Avance en pleine mer, " c'est-à-dire
dans la profondeur des controverses. Qu'y a-t-il de plus profond que la connaissance
du Fils de Dieu ? Mais quels sont ces filets qu'il commande aux Apôtres
de jeter, sinon les réseaux des paroles, les détours des discussions
et les profondes sinuosités des discours, qui ne laissent point échapper
ceux qu'ils ont pris ? Les instruments dont se servent les Apôtres pour
cette pèche spirituelle sont justement comparés à des filets
qui ne tuent point ceux qu'ils prennent, mais les tiennent en réserve,
et qui les retirent des flots agités, pour les transporter jusque dans
les cieux. Pierre dit à Jésus : " Maître, nous avons
travaillé toute la nuit sans rien prendre, " parce que ce n'est
point ici l'oeuvre de l'éloquence humaine, mais un don de la vocation
céleste. Aussi ceux dont les efforts avaient été jusque
là infructueux, prennent, sur la parole du Seigneur, une grande quantité
de poissons. - S. CYR. C'était la figure de ce qui devait arriver dans
la suite aux prédicateurs de l'Évangile ; car ceux qui jetteront
le filet de la doctrine évangélique ne travailleront pas inutilement,
mais parviendront à réunir la multitude des nations. - S. AUG.
(Question évang., 2, 9.) Leurs filets se rompaient, et les barques étaient
remplies de cette quantité de poissons, au point qu'elles étaient
près de couler à fond, figure de cette multitude d'hommes charnels,
qui devaient abonder un jour dans l'Église, au point de rompre la paix
et de déchirer l'Église par les hérésies et par
les schismes. - BEDE. Le filet se rompt, mais le poisson ne s'échappe
pas, parce que le Seigneur conserve les siens au milieu des scandales de ceux
qui les persécutent. - S. AMBR. L'autre barque représente la Judée,
dans laquelle Jean et Jacques sont choisis ; ils viennent de la synagogue à
la barque de Pierre (c'est-à-dire à l'Église), et ils viennent
pour remplir les deux barques, car tous juifs, ou grecs, doivent fléchir
le genou au nom de Jésus. - BEDE. Ou bien encore, la seconde barque c'est
l'Église des Gentils qui, pour suppléer à l'insuffisance
de la première est aussi remplie de poissons, qui représentent
les élus ; car le Seigneur connaît ceux qui sont à lui,
il a déterminé le nombre précis de ses élus ; et
comme il n'a pas trouvé dans la Judée autant de fidèles
qu'il en avait prédestinés à la vie éternelle, il
cherche pour ainsi dire une autre barque pour recevoir les poissons qui sont
à lui, et il répand la grâce de la foi dans le coeur des
Gentils. Le filet venant à se rompre, on a recours à la barque
voisine ; ainsi lorsque Judas le traître, Simon le Magicien, Ananie et
Saphire, et un grand nombre de disciples se séparent de l'unité,
Paul et Barnabé sont choisis pour exercer l'apostolat parmi les Gentils.
- S. AMBR. Nous pouvons encore voir dans cette seconde barque la figure d'une
autre Église ; car l'Église de Jésus-Christ qui est une,
se divise en plusieurs Églises particulières. - S. CYR. Pierre
fait signe à ses compagnons de venir à son secours, un grand nombre,
en effet, se sont associés aux travaux des Apôtres d'abord ceux
qui ont écrit les Évangiles, ensuite les autres évêques
ou pasteurs des peuples, et les docteurs versés dans la science de la
vérité. - BEDE. Ces barques ne cessent de se remplir jusqu'à
la fin du monde ; lorsqu'elles sont pleines, elles s'enfoncent, ou plutôt
elles sont exposées au danger d'être submergées ; car elles
ne le sont jamais en réalité. C'est ce qu'enseigne l'Apôtre,
lorsqu'il dit : " Dans les derniers temps, il y aura des temps périlleux,
les hommes s'aimeront eux-mêmes, " etc. En effet, les barques sont
submergées lorsque les hommes que Dieu avait retirés du siècle
par la vocation à la foi y sont de nouveau entraînés par
la corruption des moeurs.
vv. 8-11.
BEDE. Pierre était dans l'admiration des dons de Dieu, et plus il avait
éprouvé de crainte, moins il était porté à
la présomption : " Ce que voyant Simon Pierre, il tomba aux pieds
de Jésus, en disant : Eloignez-vous de moi, Seigneur, parce que je suis
un pécheur. " - S. CYR. Rappelant en son souvenir les fautes qu'il
avait commises, il est saisi de crainte et d'effroi, il n'ose croire, impur
qu'il est, qu'il puisse recevoir celui qui est la pureté même ;
car il avait appris de la loi, que ce qui est souillé doit être
séparé de ce qui est saint (Lv 10, 10 ; cf. Ez 22, 26 ; 44, 23).
- S. GREG. DE NYSSE. Dès que Jésus eut ordonné de jeter
les filets, on prit le nombre de poissons que lui, le Seigneur de la mer et
de la terre, avait déterminé ; car la voix du Verbe est toujours
une voix de puissance, et c'est par son commandement, que l'origine du monde,
la lumière et les autres créatures sortirent du néant.
À la vue de ce miracle, Pierre est dans l'admiration : " Il était
plongé dans la stupeur, lui et tous ceux qui étaient avec lui.
" - S. AUG. (de l'acc. des Evang., 2 17.) Saint Luc ne fait point mention
d'André, bien qu'il fût dans cette barque, d'après le récit
de saint Matthieu et de saint Marc.
" Jésus dit à Simon : Ne craignez point. " - S. AMBR. Et vous aussi, dites à Jésus : Eloignez-vous de moi, parce que je suis un pécheur, et Dieu vous répondra : " Ne craignez point, " confessez votre péché au Seigneur qui est disposé à vous pardonner. Vous voyez combien il est bon, lui qui daigne accorder à des hommes le pouvoir de communiquer la vie : " Désormais, dit-il à Simon, vous serez pêcheurs d'hommes. " - BEDE. C'est à Pierre que cette prérogative est spécialement accordée ; le Seigneur lui explique le sens mystérieux de cette pêche miraculeuse, c'est-à-dire qu'il prendra un jour des hommes par ses discours, comme il vient de prendre des poissons dans ses filets ; et toute la suite de ce fait miraculeux montre ce qui se fait tous les jours dans l'Église, dont Pierre est ici la figure. - S. CHRYS. (Hom. 14 sur S. Matth.) Considérez la foi et l'obéissance des Apôtres. Au milieu même des occupations de la pèche (et vous savez combien les pêcheurs sont avides du succès de leur pêche), dès qu'ils entendent l'ordre du Sauveur, sans aucun délai, ils quittent tout, et le suivent. Telle est l'obéissance que Jésus-Christ demande de nous, elle doit être notre premier soin, au milieu même des diverses nécessités de la vie : " Et, aussitôt, ramenant leurs barques à terre. " etc. - S. AUG. (de l'acc. des Evang.) Le récit de saint Matthieu et de saint Marc est ici beaucoup plus court que celui de saint Luc, qui raconte le fait dans tous ses détails. Il y a d'ailleurs entre les deux récits cette différence que, d'après saint Luc, c'est à Pierre seul que le Sauveur aurait dit : " Désormais vous serez pécheur d'hommes, " tandis que suivant les deux autres Évangélistes, c'est aux deux frères que Jésus aurait adressé ces paroles. Mais Notre-Seigneur a pu très bien les dire d'abord à Pierre seul, surpris et étonné de la grande quantité de poissons qu'on avait pris, comme saint Luc paraît l'insinuer, et les avoir redites ensuite aux deux frères, ainsi que le racontent les deux premiers Évangélistes. Ou bien encore, on peut entendre que la pèche miraculeuse, racontée par saint Luc, arriva en premier lieu, mais sans que les deux disciples fussent dès lors appelés par le Seigneur Jésus. Il se contenta de prédire à Pierre qu'il serait un jour pêcheur d'hommes. On peut donc légitimement supposer qu'ils retournèrent au métier de la pêche, et qu'alors eut lieu le fait raconté par saint Matthieu et saint Marc ; alors, en effet, ils ne ramenèrent pas leurs barques à terre, avec la pensée de retourner à leurs anciennes occupations, mais ils suivirent Jésus en obéissant pleinement à l'ordre qu'il leur avait donné. Une autre difficulté se présente ; si, d'après saint Jean, ce fut sur les bords du Jourdain que Pierre et André se mirent à la suite de Jésus, comment les autres Évangélistes peuvent dire que c'est dans la Galilée qu'il les trouva se livrant à la pèche, et qu'il les appela à l'apostolat ? Nous répondons que lorsqu'ils virent le Seigneur sur les bords du Jourdain, ils ne s'attachèrent pas inséparablement à lui, ils connurent seulement qu'il était le Messie, et pleins d'admiration pour lui, ils retournèrent à leurs occupations.
S. AMBR. Dans le sens allégorique, Pierre, en disant : " Seigneur, éloignez-vous de moi, " refuse de reconnaître que ceux qu'il prend dans les filets de ses enseignements soient sa conquête et son butin. Vous aussi, n'hésitez pas à renvoyer à Dieu le bien qui est en vous, puisque c'est Dieu qui vous communique ses propres dons - S AUG. (Quest. évang.) Ou bien dans un autre sens, Pierre représente l'Église remplie d'hommes charnels, quand il dit au Seigneur : " Eloignez-vous de moi, parce que je suis un pécheur. " L'Église, remplie de cette foule d'hommes charnels et presque submergée par leurs moeurs dépravées, semble éloigner d'elle le règne des hommes spirituels (dont la personne de Jésus-Christ est la plus haute représentation.) Ce n'est point de bouche que les hommes tiennent ce langage aux vertueux ministres de Dieu pour les éloigner d'eux, c'est par la voix de leurs moeurs et de leurs actions, qu'ils les pressent de se retirer pour se soustraire à la direction des bons. Et leurs instances sont d'autant plus vives, qu'ils leur témoignent en même temps de l'honneur et du respect. Pierre figurait ce respect, en se jetant aux pieds du Seigneur, et leurs moeurs, en disant : " Eloignez-vous de moi. " - BEDE. Or, le Seigneur dissipe la crainte des hommes charnels qui, tremblant pour quelques-uns à la vue de leur conscience coupable, ou découragés par le spectacle de l'innocence des autres, redouteraient d'entrer dans la voie de la sainteté. - S. AUG. (Quest. évang.) Le Seigneur, en ne se rendant pas à leurs désirs, apprend aux hommes vertueux et spirituels à ne pas se laisser aller au désir d'abandonner le ministère ecclésiastique pour mener une vie plus calme et plus tranquille, parce qu'ils ne peuvent supporter les désordres de la foule. Ils ramènent leurs barques à terre, et quittent tout pour suivre Jésus ; et en cela ils figurent la fin des temps, où ceux qui se seront attachés à Jésus-Christ quitteront pour toujours la mer agitée du monde.
vv. 12-16.
S. AMBR. La guérison de ce lépreux est le quatrième miracle
que fit Jésus depuis son entrée à Capharnaüm. Si,
lors de la création, Dieu a éclairé le quatrième
jour des splendeurs du soleil, et l'a ainsi rendu plus brillant que les autres
jours, nous devons regarder aussi ce miracle comme plus éclatant que
les autres miracles. " Or, il arriva, comme il était dans une ville,
qu'un homme couvert de lèpre, " etc. L'Évangéliste
ne désigne pas d'une manière précise le lieu où
ce lépreux fut guéri, pour nous apprendre que ce ne fut pas le
peuple particulier d'une seule ville, mais tous les peuples de la terre qui
eurent part à la guérison spirituelle de l'âme. - S. ATHAN.
(lettre à Adelph. contre les Ar.) Ce lépreux adora le Seigneur
son Dieu sous une forme humaine, la chair mortelle qu'il avait sous les yeux
ne lui fit point croire que le Verbe de Dieu fut une simple créature
; quoique reconnaissant dans Jésus le Verbe de Dieu, il ne méprisa
point la chair dont il était revêtu ; au contraire, il se prosterne
le visage contre terre, pour adorer, comme dans un temple créé,
le Créateur de toutes choses : " Apercevant Jésus, il se
prosterna la face contre terre, et le pria. " - S. AMBR. Il se prosterne
la face contre terre par un sentiment d'humilité et de confusion, et
nous apprend ainsi à tous à rougir des souillures de notre vie.
Cependant cette confusion n'étouffe point l'aveu qu'il veut faire de
son infirmité ; il montre les plaies de son corps, et en demande la guérison
: " Seigneur, si vous voulez, vous pouvez me guérir. " Ce n'est
point qu'il soit incrédule et qu'il doute de la bonté et de la
volonté du Seigneur ; mais la conscience qu'il avait de sa honteuse maladie,
réprime chez lui tout sentiment de présomption. D'ailleurs quelle
profession de foi, de religion plus parfaite que celle qui fait découler
toute puissance de la volonté du Seigneur. - S. CYR. Il savait que la
lèpre dont il était couvert ne pouvait être guérie
par toutes les ressources de la science médicale, mais il vit la divine
majesté chasser les démons, guérir toutes les maladies,
et il en conclut que la droite de Dieu pouvait seule opérer ces merveilles.
- TITE DE BOSTR. Apprenons, par ces paroles du lépreux, à ne pas
rechercher avec trop d'empressement la guérison de nos infirmités
corporelles, mais à tout remettre entre les mains de Dieu, qui fait chaque
chose en son temps et dispose tout avec sagesse.
S. AMBR. Notre-Seigneur emploie dans la guérison du lépreux le
moyen qu'il lui a comme indiqué dans sa prière : " Et Jésus,
étendant la main, le toucha en disant : Je le veux, soyez guéri.
" La loi défend de toucher les lépreux, mais le Maître
de la loi n'est pas soumis à la loi, c'est lui qui en est l'auteur. Si
donc il touche ce lépreux, ce n'est pas qu'il n'eût pu le guérir
autrement, mais c'était pour prouver qu'il n'était pas assujetti
à la loi, et que loin de craindre d'être atteint par cette maladie
contagieuse, il était inaccessible à toute souillure, lui qui
venait en délivrer les autres. Il voulait, au contraire, que la lèpre
qui souille ordinairement la main qui la touche, disparût au simple contact
de sa main divine. - THEOPHYL. En effet, sa chair sacrée purifie et donne
la vie, parce qu'elle est la chair du Verbe de Dieu. - S. AMBR. Dans ces paroles
: " Je le veux, soyez guéri, vous voyez à la fois l'expression
de sa volonté bienfaisante et de sa tendre compassion. - S. CYR. (Tres.,
12, 14.) Ce commandement suprême ne peut venir que de la divine majesté,
comment donc pourrait-on assimiler le Fils unique aux serviteurs, lui qui peut
tout par sa seule volonté ? Il est dit de Dieu le Père, "
qu'il a fait tout ce qu'il a voulu " (Ps 113 ; 134) ; comment donc celui
qui exerce la puissance de son Père, serait-il d'une nature différente
? Tout ce qui a la même puissance, a ordinairement la même nature.
Cependant admirez comment Jésus-Christ joint ici l'opération divine
à l'action humaine ; car c'est le propre de la nature divine que la volonté
soit aussitôt suivie de son effet, comme étendre la main est un
acte de la nature humaine. Or, la personne unique de Jésus se compose
de ces deux natures, parce qu'il est le Verbe fait chair. - S. GREG. DE NYSSE.
(disc. sur la résurr. de J.-C.) En Jésus-Christ, la divinité
était unie aux deux substances constitutives de l'homme, à l'âme
et au corps, et les attributs de la nature divine se manifestaient par l'une
et l'autre de ces deux substances. Le corps révélait la divinité
qu'il recouvrait en donnant la guérison par un simple attouchement, et
l'âme faisait éclater la toute-puissance de Dieu par l'efficacité
de sa volonté ; car la volonté est l'action propre de l'âme,
comme le toucher est le sens propre du corps, l'âme veut, le corps touche.
S. AMBR. Notre-Seigneur dit : " Je veux, " pour combattre l'hérétique
Photius ; il commande, pour condamner Arius, il touche le lépreux, pour
confondre Manès. Aucun intervalle entre l'action de Dieu et son commandement,
pour vous faire comprendre et l'affection du médecin, et la puissance
de son opération : " Et aussitôt sa lèpre disparut.
" Mais que chacun de nous évite toute vaine gloire en imitant l'exemple
de l'humilité du Sauveur, s'il ne veut que la lèpre n'atteigne
le médecin lui-même : " Et il lui ordonna de n'en parler à
personne. " Il nous enseigne ainsi à ne point publier nos bienfaits,
mais à les cacher et à ne rechercher ni rémunération
pécuniaire, ni la récompense plus délicate de la reconnaissance.
Peut-être aussi Notre-Seigneur commande le silence à ce lépreux,
parce qu'il préférait de beaucoup ceux qui croient par une foi
spontanée, à ceux dont la foi a pour motifs les bienfaits qu'ils
espèrent. - S. CYR. Mais quand même le lépreux eût
gardé le silence, la voix seule de ce miracle suffisait pour faire connaître
la puissance de celui qui avait opéré cette guérison à
tous ceux qui en seraient témoins.
S. CHRYS.
(hom. 26 sur S. Matth.) Le plus souvent, la maladie réveille dans les
hommes la pensée de Dieu, mais ils l'oublient bien vite, aussitôt
qu'ils sont guéris ; Jésus recommande donc au lépreux d'avoir
toujours Dieu devant les yeux, et de lui rendre gloire : " Allez, montrez-vous
au prêtre. " Le Sauveur voulait qu'il se soumît à l'examen
et au jugement du prêtre, et que ce fût sur sa déclaration
qu'il fût réintégré dans la société
de ceux qui étaient purs. - S. AMBR. Il voulait aussi apprendre au prêtre
que ce n'était point par l'observation des prescriptions de la loi, mais
par la puissance bien supérieure à la loi de la grâce de
Dieu, que ce lépreux avait été guéri. En ordonnant
au lépreux d'offrir le sacrifice prescrit par Moïse, le Seigneur
fait voir qu'il ne venait pas détruire la loi, mais l'accomplir : "
Et offrez pour votre guérison, le don prescrit par Moïse. "
- S. AUG. (Quest. évang., 2, 3.) Le Sauveur paraît approuver ici
le sacrifice prescrit par Moïse, et que cependant l'Église n'a point
conservé. Si donc Notre-Seigneur en fait ici un précepte au lépreux,
c'est que le sacrifice du Saint des Saints, c'est-à-dire de son corps,
n'était pas encore institué ; car les sacrifices figuratifs ne
devaient être abolis que lorsque le témoignage de la prédication
des Apôtres et la foi des peuples fidèles auraient établi
le véritable sacrifice qu'ils figuraient. - S. AMBR. Ou bien encore,
comme la loi est spirituelle, il commande au lépreux d'offrir un sacrifice
spirituel, c'est pourquoi il ajoute : " C'est que Moïse a ordonné,
" et ensuite " En témoignage pour eux. " - TITE DE BOST.
Les hérétiques donnent une fausse signification à ces paroles,
et prétendent qu'elles sont dans la pensée du Sauveur un blâme
jeté sur la loi. Mais comment supposer qu'il commande à ce lépreux
d'offrir un sacrifice pour sa guérison, comme Moïse l'a prescrit,
s'il avait l'intention de blâmer ici la loi ? - S. CYR. Il ajoute "
En témoignage pour eux, " parce que cette guérison prouve
l'excellence incomparable de Jésus-Christ sur Moïse. Moïse,
en effet, n'ayant pu guérir sa soeur de la lèpre, priait le Seigneur
de l'en délivrer (Nb 12) ; au contraire, c'est avec une souveraine autorité
que le Sauveur prononce ces paroles : " Je le veux, soyez guéri.
"
S. CHRYS. (hom. 26 sur S. Matth.) Ou bien encore, pour leur être en témoignage,
c'est-à-dire pour leur condamnation et pour leur prouver que je respecte
fa loi ; car après vous avoir guéri, je vous renvoie à
l'examen des prêtres, pour être une preuve que je ne suis point
un violateur de la loi. Le Seigneur, en guérissant ce lépreux,
lui avait recommandé de n'en parler à personne, pour nous apprendre
à fuir l'orgueil et la vaine gloire ; mais malgré cette recommandation,
sa renommée se répandait partout et publiait le miracle qu'il
venait d'opérer : " Cependant sa renommée se répandait
de plus en plus, " etc. - BEDE. La guérison parfaite d'un seul en
amène une multitude autour de lui : " Et on venait par troupes nombreuses
pour l'entendre, et pour être guéri de ses maladies, " etc.
Car le lépreux, pour montrer qu'il était guéri extérieurement
et intérieurement, publiait partout (au témoignage de saint Marc)
et malgré la défense qui lui avait été faite, le
bienfait de sa guérison.
S. GREG. (Moral., 6, 17). Notre divin Rédempteur consacre le jour à
opérer des miracles dans les villes, et il passe les nuits dans le saint
exercice de la prière : " Et il se retirait dans la solitude, et
priait. " Il enseignait ainsi aux prédicateurs qui tendent à
la perfection à ne pas renoncer entièrement à la vie active
par un trop grand amour de la vie contemplative ; comme aussi à ne pas
sacrifier les joies de la contemplation aux occupations absorbantes de la vie
active, mais à puiser dans le calme de la contemplation les vérités
qu'ils verseront ensuite dans les âmes lorsqu'ils travailleront au salut
du prochain. - BEDE. Lorsque vous voyez le Sauveur se retirer dans la solitude,
n'attribuez pas cette action à la nature qui dit : " Je le veux,
soyez guéri ; " mais à celle qui étend la main pour
toucher le lépreux. Ce n'est pas, sans doute, qu'il y ait deux personnes
en Jésus-Christ, comme le prétend Nestorius ; mais il y a deux
opérations dans une seule et même personne, comme il y a deux natures.
- S. GREG. DE NAZIANZE. (disc. 28.) Notre-Seigneur opère ordinairement
ses oeuvres au milieu du peuple, et se livre à la prière dans
la solitude, et il autorise ainsi un repos momentané, qui nous permet
de nous entretenir avec Dieu dans la sincérité de notre âme.
En effet, il n'avait besoin pour lui-même ni de retraite ni de solitude,
puisque étant Dieu, il n'était sujet ni au relâchement ni
à la dissipation de l'âme, il voulait donc nous apprendre qu'il
est une heure pour la vie active, une autre pour des occupations plus élevées
; et nous enseigner le temps qui convient à l'action, et celui qui est
favorable à l'exercice plus sublime de la contemplation.
BEDE. Dans le sens allégorique, ce lépreux représente le
genre humain languissant et affaibli par suite de ses péchés ;
et tout couvert de lèpre ; " car tous ont péché et
ont besoin de la grâce de Dieu " (Rom., III), c'est-à-dire
qu'ils ont besoin que Dieu, étendant la main (c'est-à-dire que
le Verbe de Dieu contractant une union étroite avec la nature humaine),
il les purifie de leurs anciennes erreurs, et leur permette d'offrir, pour leur
guérison, leurs corps comme une hostie vivante. - S. AMBR. Si le Verbe
est le remède tout puissant de la lèpre, le mépris du Verbe
est donc la lèpre de l'âme. - THEOPHYL. Remarquez encore que celui
qui est purifié devient digne de présenter à Dieu son offrande,
c'est-à-dire le corps et le sang du Seigneur, qui sont unis à
la nature divine.
vv. 17-26.
S. CYR. (Ch. des Pèr. gr.) Les scribes et les pharisiens qui avaient
été témoins des miracles de Jésus-Christ, venaient
aussi entendre ses divines leçons : " Un jour qu'il enseignait étant
assis, des pharisiens et des docteurs de la loi étaient également
assis près de lui, et la vertu du Seigneur opérait pour guérir
les malades. " Cette vertu n'était pas une puissance d'emprunt,
c'était comme Dieu et comme Seigneur qu'il faisait ces miracles, par
sa propre puissance. Souvent les hommes se rendent dignes de recevoir les dons
spirituels, mais souvent aussi ils s'écartent du but que s'est proposé
l'auteur de ces dons. Il n'en fut pas ainsi de Jésus-Christ, car une
vertu toute divine affluait en lui pour guérir les malades. Or, il était
nécessaire de donner à cette foule réunie de scribes et
de pharisiens un témoignage éclatant de sa puissance, pour confondre
ceux qui n'avaient pour lui que du mépris ; il guérit donc miraculeusement
ce paralytique. Toutes les ressources de la médecine avaient été
impuissantes pour le guérir, ceux qui s'intéressent à lui
l'apportent donc au céleste et tout-puissant médecin : "
Et voilà que des gens portaient sur un lit un homme paralytique, "
etc. - S. CHRYS. Les hommes qui portent ce paralytique sont vraiment admirables,
ils ne peuvent le faire entrer par la porte, ils ont recours à un moyen
nouveau et singulier : " Et ne trouvant point par où le faire entrer,
ils montèrent sur le toit, " etc. Ils découvrirent le toit
pour descendre le lit, et ils déposèrent le paralytique au milieu
de la maison : " Et ils le descendirent par les tuiles. " L'endroit
par où ils descendirent le lit du paralytique par les tuiles était
sans doute peu élevé.
BEDE. Avant
de guérir cet homme de sa paralysie, le Seigneur l'affranchit d'abord
des liens du péché ; il lui apprend ainsi que l'affaiblissement,
la défaillance de ses membres est la punition des fautes dont son âme
est comme enchaînée, et qu'il faut rompre ces chaînes spirituelles
pour qu'il puisse recouvrer la santé. - S. AMBR. Qu'il est grand le Seigneur
qui pardonne aux uns, en considération du mérite des autres, qui
accueille favorablement les uns, et pardonne aux autres leurs égarements
! O homme ! comment pourriez-vous refuser d'écouter les prières
de vos semblables, lorsqu'auprès de Dieu, un serviteur a le droit d'intervenir
par ses mérites et d'obtenir ce qu'il demande ? Si donc vous désespérez
d'obtenir le pardon de fautes énormes, ayez recours aux prières
des autres, ayez recours à la médiation de l'Église, qui
priera pour vous, et en sa considération, Dieu vous accordera le pardon
qu'il aurait pu vous refuser à vous-même. - S. CHRYS. (Hom. 30
sur S. Matth.) Disons cependant que la foi de ce paralytique concourait aussi
pour demander sa guérison, car s'il n'avait eu la foi, il n'aurait pas
consenti à ce qu'on le descendît ainsi aux pieds de Jésus.
S. AUG. (de l'acc. des Evang., 2, 25.) Notre-Seigneur lui dit : " O homme
! vos péchés vous sont remis. " Et en parlant ainsi, il insinue
que les péchés étaient remis à un homme qui, par
là même qu'il était homme, ne pouvait dire : " Je suis
sans péché. " Il voulait encore faire entendre que celui
qui remettait les péchés était Dieu. - S. CHRYS. (tiré
des hom. 14, 30 sur S. Matth.) Lorsque nous sommes atteints de souffrances corporelles,
nous nous empressons bien vite de les faire cesser ; si, au contraire, notre
âme vient à être malade, nous différons de recourir
aux remèdes, et c'est pour cela que nous n'obtenons pas la guérison
de nos infirmités corporelles. Retranchons donc courageusement la source
du mal, et le cours de ces infirmités s'arrêtera. Or, les pharisiens,
dans la crainte de la multitude, n'osaient manifester leurs pensées,
ils se contentaient de s'en occuper dans leurs coeurs : " Et ils commencèrent
à dire en eux-mêmes : Qui est celui qui profère des blasphèmes
? " - S. CYR. En formulant cette accusation, ils se hâtent bien légèrement
de prononcer la sentence de mort. Car la loi ordonnait de punir de mort tout
homme coupable de blasphème contre Dieu. - S. AMBR. C'est ainsi qu'ils
viennent eux-mêmes témoigner en faveur de l'oeuvre de la toute
puissance du Fils de Dieu, car rien n'établit plus fortement la foi qu'un
aveu involontaire et forcé, comme aussi rien n'augmente la culpabilité
comme la négation de ceux qui se condamnent par leurs propres assertions
: " Qui peut remettre les péchés que Dieu seul ? " Quelle
folie de la part de ce peuple infidèle, de reconnaître d'un côté
que Dieu seul peut remettre les péchés, et de ne point croire
de l'autre au Dieu qui remet les péchés. - BEDE. Ils disent vrai,
Dieu seul peut remettre les péchés, et il les remet aussi par
ceux auxquels il a donné ce pouvoir. Nous avons donc ici une preuve que
Jésus-Christ est vraiment Dieu, puisqu'il peut remettre les péchés
comme Dieu.
S. AMBR. Mais comme la volonté du Seigneur est de sauver les pécheurs,
il leur prouve sa divinité par la connaissance qu'il a des choses cachées
: " Mais, afin que vous sachiez, " etc. - S. CYR. Il semble leur dire
: Vous dites, ô pharisiens : " Qui peut remettre les péchés
que Dieu seul, " et moi je vous réponds : " Qui peut scruter
les secrets des coeurs, si ce n'est Dieu seul ? " Lui qui dit par la bouche
des prophètes : " Je suis le Seigneur qui scrute les coeurs et pénètre
les reins (Jr 10 ; Ps 7, 10 ; 1 Paralip 28, 9 ; Sg 6, 4 ; Sof 12 ; Ap 2, 23).
" - S. CHRYS. (hom. 30 sur S. Matth.) Si vous refusez de croire le premier
miracle (la rémission des péchés), j'en ajoute un second,
en dévoilant vos pensées les plus secrètes, et un troisième
en rendant la santé et la force au corps de ce paralytique : " Lequel
est le plus facile, " etc. Il est évident qu'il est beaucoup plus
facile de rendre la force à un corps affaibli, car l'âme est beaucoup
plus noble que le corps, et la rémission de ses fautes est d'autant plus
excellente. Mais comme vous refusez de croire au premier miracle, parce qu'il
reste cache, j'en ajouterai un autre qui lui est inférieur, mais qui
est visible et qui vous démontrera la vérité de celui qui
est invisible. Remarquez encore qu'en adressant la parole au paralytique, Notre-Seigneur
ne lui dit pas : " Je vous remets vos péchés, " pour
établir sa propre puissance, mais lorsqu il y est force par la malice
de ses ennemis, il la déclare ouvertement, en disant : " Or, afin
que vous sachiez, " etc. - THEOPHYL. Vous le voyez, c'est sur la terre
qu'il remet les péchés ; en effet, tant que nous sommes sur la
terre, nous pouvons effacer nos péchés, mais lorsque nous l'aurons
quittée, nous ne pourrons plus les confesser, car la porte sera fermée.
S. CHRYS (hom. 30 sur S. Matth) Le Sauveur prouve la rémission des péchés
par la guérison du corps : " Il dit au paralytique : Je vous le
commande, levez-vous, " et il prouve la guérison du corps de ce
paralytique, en lui commandant d'emporter son lit, ce qui confirmait invinciblement
la réalité de cette guérison : " Prenez votre lit,
" etc., comme s'il lui disait : Je voulais me servir de votre infirmité
pour guérir ceux qui paraissent pleins de saute, mais dont l'âme
est bien malade, puisqu'ils refusent la guérison, allez convertir votre
famille. - S. AMBR. La guérison s'opère immédiatement,
et sans retard, le Sauveur guérit cet homme au même moment qu'il
parle " Et se levant aussitôt, " etc. - S. CYR. Ce miracle prouve
que le Fils de l'homme a sur la terre le pouvoir de remettre les péchés
; ce qu'il déclare ici pour rétablir sa divinité et pour
notre instruction. En effet, c'est en tant que Dieu fait homme, et comme maître
de la loi, qu'il remet lui-même les péchés ; mais nous avons
reçu nous-mêmes ce pouvoir admirable, car il a dit à ses
disciples : " Les péchés seront remis à ceux à
qui vous les remettrez. " Et comment n'aurait-il pas à un plus haut
degré le pouvoir de remettre les péchés, lui qui a communiqué
ce pouvoir aux autres ? Les rois et les princes de la terre, quand ils font
grâce aux homicides, les délivrent du supplice qu'ils devaient
subir en ce monde, mais ils ne peuvent les absoudre de leurs crimes.
S. AMBR.
Les Juifs incrédules voient le paralytique se lever et s'étonnent
qu'il marche : " Et ils furent tous frappés de stupeur, " etc.
- S. CHRYS. (hom. 30 sur S. Matth.) Les Juifs rampent encore dans des pensées
terrestres, tout en louant Dieu, mais sans reconnaître que Jésus-Christ
lui-même était Dieu, car la chair était pour eux un obstacle,
et toutefois, c'était beaucoup déjà de le reconnaître
comme le premier des mortels et comme l'envoyé de Dieu. - S. AMBR. Ils
sont témoins des miracles de sa toute-puissance, et ils aiment mieux
se laisser dominer par la crainte que diriger par la foi : " Et ils furent
remplis de crainte, " etc. S'ils avaient cru, ils eussent cessé
de craindre pour aimer, car l'amour parfait chasse la crainte (1 Jn 4). Or,
la guérison de ce paralytique nous donne un enseignement important ;
Notre-Seigneur commença par prier, non par nécessité, mais
pour nous donner l'exemple. - S. AUG. (Quest. évang., 2, 4.) On peut
voir dans ce paralytique une image de l'âme privée de ses membres,
c'est-à-dire, de ses opérations, cherchant Jésus-Christ
(c'est-à-dire, la volonté du Verbe de Dieu). Elle ne peut arriver
jusqu'à lui, empêchée qu'elle en est par la foule tumultueuse
de ses pensées ; il faut qu'elle découvre le toit, c'est-à-dire,
le voile des Écritures, pour arriver ainsi à la connaissance de
Jésus-Christ, c'est-à-dire, pour descendre pieusement jusqu'à
l'humilité de la foi. - BEDE. Ce n'est pas sans dessein que la maison
où se trouve Jésus nous est représentée comme couverte
de tuiles, parce que, sous le voile grossier de la lettre, nous trouvons la
vertu de la grâce spirituelle.
S. AMBR. Chacun de nous, s'il est malade, doit recourir aux prières de
ses frères pour obtenir sa guérison, pour que l'assemblage tout
brisé de notre vie et les pas chancelants de nos oeuvres soient raffermis
par le remède de la parole céleste. Il faut donc pour les âmes
de sages directeurs, qui élèvent vers le ciel l'esprit de l'homme
appesanti par l'infirmité du corps. Il faut aussi que l'homme se prête
facilement à tous les mouvements qu'on lui imprime, qu'il se laisse élever,
abaisser, pour être placé devant Jésus, et être rendu
digne de ses regards, car le Seigneur abaisse ses regards sur les humbles (cf.
Lc 1, 48). - S. AUG. (Quest. évang.) Ceux donc qui déposent le
paralytique peuvent représenter les vrais docteurs de l'Église,
et le lit sur lequel il est déposé signifie que c'est pendant
que l'homme est revêtu d'un corps mortel qu'il doit chercher à
connaître Jésus-Christ. - S. AMBR. Le Seigneur voulant établir
l'espérance pleine et entière de la résurrection, pardonne
les péchés de l'âme et guérit l'infirmité
de la chair, c'est la guérison de l'homme tout entier. Il est grand sans
doute de remettre aux hommes leurs péchés, mais il est plus divin
de rendre la vie aux corps par la résurrection, puisque Dieu lui-môme
est la résurrection ; or, le lit qu'on ordonne au paralytique d'emporter
c'est le corps humain. - S. AUG. (Quest. évang.) Il ne faut pas que l'infirmité
de l'âme se repose davantage dans les joies charnelles, comme sur un lit,
mais au contraire, qu'elle réprime les affections de la chair, et se
dirige vers sa maison, c'est-à-dire, vers le repos mystérieux
de son coeur. - S. AMB. Ou bien encore, regagner sa maison c'est retourner au
paradis. C'est en effet la véritable maison, qui fut la première
habitation de l'homme et qu'il a perdue contre toute justice par la fraude du
démon. Il faut donc que cette habitation lui soit rendue à l'avènement
de celui qui est venu pour détruire la fraude du démon, et rendre
à la justice tous ses droits.
v. 27-32.
S. AUG. (de l'acc. des Evang., 1, 26.) Après la guérison du paralytique,
l'Évangéliste raconte la conversion du publicain : " Après
cela, Jésus étant sorti, vit un publicain, nommé Lévi,
assis au bureau des impôts. " Matthieu et Lévi sont une seule
et même personne. - BEDE. Saint Luc et saint Marc, par honneur pour cet
Évangéliste, ne font point connaître le nom qu'il portait
ordinairement, au contraire, saint Matthieu, devenant lui-même son accusateur
(Pr 18, 17) au commencement de son récit, se fait connaître sous
le nom de Matthieu et de publicain ; que personne donc ne désespère
de son salut à cause de l'énormité de ses péchés,
puisque Matthieu, de publicain, est devenu apôtre " - S. CYR. Lévi
avait été publicain, dominé par l'avarice, avide du superflu,
convoitant le bien d'autrui (ce qui était le caractère propre
des publicains), mais il est arraché à toutes ces pratiques injustes
par la voix de Jésus-Christ qui l'appelle : " Et il lui dit Suivez-moi.
" - S. AMBR. Il lui ordonne de le suivre, non par le mouvement du corps,
mais par les affections de l'âme. Docile à cette parole qui l'appelle,
Matthieu abandonne ses propres biens, lui, le ravisseur du bien d'autrui : "
Et ayant tout quitté, il se leva et le suivit. " - S. CHRYS. (hom.
31 sur S. Matth.) Considérez tout à la fois la puissance de celui
qui appelle, et l'obéissance de celui qui est appelé, il obéit
aussitôt sans résister, sans hésiter ; il ne veut pas même
retourner chez lui, pour faire connaître aux siens sa généreuse
résolution ; ainsi avaient fait les pêcheurs eux-mêmes. -
S. BAS. (Ascet.) Non seulement il sacrifie volontiers tous les profits de l'impôt,
mais encore il compte pour rien les dangers que lui et les siens pouvaient courir,
en laissant les comptes de l'impôt sans être réglés.
- THEOPHYL. C'est ainsi que Jésus-Christ leva l'impôt sur celui
qui le percevait sur tous les passants, non pas, sans doute, en recevant de
lui une somme d'argent, mais en le faisant entrer dans la pleine et entière
participation de tous ses biens.
S. CHRYS. Après avoir appelé Lévi, le Seigneur s'empressa
de l'honorer, en acceptant le repas qu'il lui offre, pour lui inspirer plus
de confiance. " Et Lévi lui fit un grand banquet dans sa maison.
" Non seulement il se met à table avec lui, mais avec beaucoup d'autres
: " Et il y avait une foule nombreuse de publicains, et d'autres qui étaient
à table avec eux. " Les publicains s'étaient réunis
chez lui comme chez un collègue et un homme de la même profession
; mais lui, heureux et fier de la présence de Jésus-Christ, les
invita tous à ce banquet. Jésus-Christ profitait de toutes les
occasions comme moyen de faire le bien ; ce n'était pas seulement en
discutant, en guérissant les malades, ou en confondant ses ennemis, mais
même en prenant ses repas, qu'il redressait les erreurs et ramenait les
âmes égarées ; c'est ainsi qu'il nous apprenait à
rendre utiles toutes les circonstances comme toutes nos actions. Il ne déclinait
pas même la société des publicains en vue du bien qui devait
en résulter, agissant comme un médecin qui ne peut guérir
une maladie, s'il ne touche la plaie. - S. AMBR. En mangeant avec les pécheurs,
il nous autorise à nous asseoir à la table des Gentils. - S. CHRYS.
Et cependant les pharisiens jaloux, et qui voulaient séparer de lui ses
disciples, lui en font un reproche : " Et les pharisiens et les scribes
murmuraient et disaient à ses disciples : Pourquoi mangez-vous et buvez-vous
avec des publicains et des pécheurs ? - S. AMBR. Cette parole vient du
serpent, n'est-ce pas lui, en effet, qui prononça le premier cette parole
en disant à Eve (Gn 3) : " Pourquoi Dieu vous a-t-il dit : Ne mangez
point ? " etc. C'est ainsi qu'ils cherchent à répandre le
venin de leur père.
S. AUG. (de l'acc. des Evang., 2, 27.) Le récit de saint Luc paraît
ici tant soit peu différent de celui des autres Évangélistes.
D'après saint Luc, ce n'est pas personnellement à Notre-Seigneur
qu'ils font un reproche de manger avec les publicains et les pharisiens, mais
à ses disciples, reproche cependant qui s'adresse aussi bien à
Jésus-Christ qu'à ses disciples. Aussi d'après le récit
de saint Matthieu et de saint Marc, le reproche est fait et au Sauveur et à
ses disciples, mais c'est surtout au Maître que ce reproche s'adresse,
puisqu'en mangeant avec les publicains et les pécheurs ses disciples
ne faisaient que l'imiter. Nous avons donc ici la même pensée,
le même sens, d'autant plus clairement expliqués, que les expressions
sont différentes, sans que la vérité soit altérée.
S. CHRYS. (hom. 31 sur S. Matth.) Notre-Seigneur tire une conclusion toute contraire
du reproche qui lui est fait ; il déclare que non seulement ce n'est
pas une faute que de vivre avec les pécheurs, mais que c'est une oeuvre
de miséricorde. " Jésus leur répondant, leur dit :
Ce ne sont point ceux qui se portent bien qui ont besoin de médecin,
mais ceux qui sont malades. " Il leur rappelle ainsi qu'ils sont atteints
de l'infirmité commune, et qu'ils sont du nombre des malades, et qu'il
est lui-même le médecin. - SUITE. " Car je ne suis pas venu
appeler les justes, mais les pécheurs, " c'est-à-dire : Je
suis si loin de fuir la société des pécheurs, que c'est
pour eux seuls que je suis venu, non pour qu'ils demeurent pécheurs,
mais pour qu'ils se convertissent et deviennent vertueux. - S. AUG. (de l'acc.
des Evang.) Aussi, ajoute-t-il : " A la pénitence, " ce qui
explique parfaitement sa pensée, et prévient cette erreur que
les pécheurs seraient aimés de Jésus-Christ en tant que
pécheurs. En effet, la comparaison empruntée aux malades, exprime
très bien quelle est la volonté de Dieu qui appelle les pécheurs
de même qu'un médecin appelle les malades, pour les guérir
de leurs iniquités comme d'une maladie. - S. AMBR. Mais comment est-il
écrit que Dieu aime la justice (Ps 10) ? Comment David n'a-t-il jamais
vu le juste délaissé (Ps 26) ? si cependant le pécheur
est appelé, tandis que le juste est abandonné. Les justes dont
le Sauveur parle ici sont donc peut-être ceux qui placent dans la loi
une confiance présomptueuse, et ne recherchent pas la grâce de
l'Évangile. Or, nul n'est justifié par la loi, et tous sont rachetés
par la grâce. Le Sauveur n'appelle donc pas ceux qui se proclament justes
; car ceux qui s'attribuent eux-mêmes la justice, ne peuvent être
appelés à la grâce, et si la grâce vient de la pénitence,
celui qui dédaigne la pénitence, renonce à la grâce
- BEDE Les pécheurs dont il est ici question sont ceux qui, pénétrés
de la grandeur de leurs fautes, et n'attendant point leur justification de la
loi, se disposent à recevoir la grâce de Jésus-Christ par
la pénitence. - S. CHRYS. (hom. 31.) C'est par ironie qu'il donne aux
derniers le nom de justes, comme autrefois, lorsque Dieu dit a l'homme "
Voici Adam devenu comme l'un de nous ". En effet, saint Paul, affirme que
personne absolument n'était juste sur la terre, lorsqu'il dit : "
Tous ont péché et ont besoin de la grâce de Dieu. "
(Rm 3.) - S. GREG DE NYSSE. Ou bien encore, il dit que ceux qui se portent bien
et les justes, c'est-à-dire les anges n'ont pas besoin de médecin,
mais bien les malades et les pécheurs, c'est-à-dire nous, qui
sommes tombés dans la maladie du péché, qui ne peut exister
dans le ciel.
BEDE. L'élection de saint Matthieu représente la vocation et la
foi des Gentils, qui ne soupiraient qu'après les choses de la terre,
et qui maintenant nourrissent le corps de Jésus-Christ avec une tendre
dévotion (Mt 25). - THEOPHYL. Ou bien encore, ce publicain est tout homme
qui est l'esclave du prince du monde, et qui accorde à sa chair tout
ce qu'elle demande, les mets exquis, s'il est sensuel, la volupté, s'il
est adultère, et ainsi des autres passions. Mais lorsque le Seigneur
le voit assis au bureau des impôts, c'est-à-dire, ne se donnant
plus de mouvement pour commettre de plus grandes injustices, il le retire du
mal, et alors cet homme marche à la suite de Jésus, et reçoit
le Seigneur dans la demeure de son âme. - S. AMBR. Or, celui qui reçoit
Jésus-Christ dans cette demeure intérieure, se nourrit au sein
des plus pures délices et des plus ineffables voluptés, aussi
est-ce avec joie que le Seigneur entre dans son âme, et se repose dans
son affection. Mais alors l'envie des méchants se rallume, et nous représente
leurs tourments de la vie future, car pendant que les fidèles prennent
part au banquet du royaume des cieux, les infidèles seront tourmentés
par un jeûne éternel. - BEDE. Ou bien encore, c'est la figure de
l'envie des Juifs qui s'affligent du salut des Gentils. - S. AMBR. Nous y voyons
aussi combien est différent le sort des disciples de la loi et des disciples
de la grâce, car les sectateurs de la loi souffriront la faim éternelle
de l'âme, tandis que ceux qui auront reçu le Verbe dans l'intérieur
de leur âme, fortifiés par cet aliment céleste et par les
eaux de cette source abondante, ne peuvent éprouver ni la faim ni la
soif, et c'est ce qui excite les murmures de ceux dont l'âme est privée
de toute nourriture.
vv. 33-39
S. CYR. (Ch. des Pèr. gr.) Jésus-Christ ayant répondu à
leur première question, ils passent à un autre point, et veulent
lui montrer que les disciples et Jésus lui-même ne prennent aucun
soin d'observer la loi : " Alors ils lui demandèrent : Pourquoi
les disciples de Jean jeûnent-ils, etc., tandis que les vôtres mangent
? " etc., c'est-à-dire : Vous mangez avec les publicains et avec
les pécheurs, bien que la loi défende toute communication avec
ceux qui sont impurs (Lv 15), et vous excusez cette transgression par un motif
de miséricorde ; mais pourquoi donc ne jeûnez-vous pas comme tous
ceux qui conforment leur conduite aux prescriptions de la loi ? Les saints jeûnent,
il est vrai, pour réprimer leurs passions par la mortification du corps
; mais Jésus-Christ n'avait pas besoin du jeûne pour s'élever
à la perfection de la vertu, puisque, comme Dieu, il était inaccessible
à tout entraînement des passions. Le jeûne n'était
pas plus nécessaire à son humanité, puisqu'elle participait
à la grâce qui était en lui, et y puisait une force qui
la maintenait au même degré de vertu. Si donc le Sauveur se soumit
à un jeûne de quarante jours, ce ne fut point pour réprimer
en lui les passions, mais pour donner aux hommes charnels une leçon et
une règle de mortification. - S. AUG. (de l'accord des Evang., 2, 27.)
Evidemment saint Luc paraît faire entendre que cette question fut adressée
au Sauveur de différents côtés, et qu'elle embrassait plusieurs
personnes ; comment donc saint Matthieu s'exprime-t-il de la sorte : "
Alors les disciples de Jean s'approchèrent et dirent : Pourquoi, tandis
que les pharisiens et nous nous jeûnons souvent, vos disciples ne jeûnent-ils
pas ? " si ce n'est parce que les disciples de Jean étaient présents,
et que tous à l'envi s'empressèrent de faire cette objection.
S. AUG. (Quest. évang., 2, 18.) Il y a deux sortes de jeûnes, le
jeûne de l'affliction pour obtenir de Dieu le pardon des péchés
; et le jeûne de la joie, où l'âme est d'autant moins sensible
aux plaisirs de la chair, qu'elle jouit en plus grande abondance des délices
spirituelles. Or, le Sauveur, interrogé pourquoi ses disciples ne jeûnaient
pas, s'explique successivement sur ces deux sortes de jeûne, et d'abord
sur le jeûne de la tribulation : " Il leur répondit : Pouvez-vous
faire jeûner les fils de l'Epoux, tandis que l'Epoux est avec eux ? "
- S. CHRYS. (hom. 31 sur S. Matth.) Comme s'il leur disait : Le temps actuel
est un temps de joie et d'allégresse, pourquoi donc vouloir y mêler
la tristesse ? - S. CYR. La manifestation de notre Sauveur dans ce monde fut
comme une véritable fête, il venait célébrer des
noces toutes spirituelles avec notre nature, pour la rendre féconde,
de stérile qu'elle était ; les fils de l'Epoux sont donc tous
ceux qui sont appelés par la loi nouvelle de l'Évangile, et non
les scribes et les pharisiens qui ne considèrent que l'ombre de la loi.
- S. AUG. (de l'harm. des Evang., 2, 27.) La réponse du Sauveur d'après
saint Luc : " Pouvez-vous faire jeûner les amis de l'Epoux, "
donne à entendre que ceux qua lui faisaient cette question, feraient
pleurer et jeûner les fils de l'Epoux, parce qu'ils devaient être
un jour les auteurs de la mort de l'Epoux.
S. CYR. En établissant qu'il ne convient pas aux fils de l'Epoux de s'affliger, alors qu'ils célèbrent une fête toute spirituelle, Notre-Seigneur ne veut point détruire le jeûne, aussi fait-il cette réserve : " Mais viendront des jours où l'Epoux leur sera enlevé ; ils jeûneront en ces jours-là ". - S. AUG. (Quest evang, 2, 18 ) C'est-à-dire ils seront dans la désolation, dans la tristesse et les larmes, jusqu'à ce que la joie et la consolation leur aient été rendues par l'Esprit saint. - S. AMBR. Ou bien encore, le jeûne, dont Notre Seigneur ajourne ici la pratique, n'est pas celui qui mortifie la chair et réprime les penchants de la concupiscence (car ce jeûne, au contraire, nous rend agréables à Dieu), mais il veut dire que nous ne pouvons jeûner, nous qui possédons le Christ, et qui sommes nourris de sa chair et de son sang. - S. BAS. (Ch. des Pèr. gr.) Ou encore, les fils de l'Epoux ne peuvent jeûner, c'est-à-dire se priver de la nourriture de l'âme, mais ils doivent vivre de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. - S. AMBR. Mais quels sont donc ces jours dans lesquels le Christ nous sera enlevé, alors que lui-même nous dit : " Je suis avec vous jusqu'à la consommation des siècles ? " Non, personne ne peut vous enlever le Christ, si vous-même ne commencez par vous détacher de lui. - BEDE. Tant que l'Epoux est avec nous, nous sommes dans la joie, et nous ne pouvons ni jeûner, ni pleurer ; mais quand nos péchés nous séparent de lui, c'est alors qu'il faut recourir au jeûne et nous condamner aux larmes.
S. ATHAN. Disons enfin que Notre-Seigneur veut parler ici du jeûne de l'âme, comme le prouvent les paroles suivantes : " Il leur proposa aussi cette comparaison : Personne ne met à un vieux vêtement un morceau pris à un vêtement neuf. " Il appelle le jeûne un vêtement vieux, dont l'Apôtre nous exhorté à nous dépouiller, lorsqu'il dit : " Dépouillez-vous du vieil homme et de ses actes. " (Col 3.) Toute la suite des préceptes de Notre-Seigneur concourt donc à établir cette vérité que nous ne devons pas mêler les actes du vieil homme avec ceux du nouveau. - S. AUG. (Quest. évang., 2, 18.) On peut encore donner cette autre explication : Après avoir reçu le don de l'Esprit saint, quoi de plus convenable que les fils de l'Epoux déjà renouvelés dans la vie spirituelle, pratiquent le jeûne qui s'accomplit sans la joie ? Avant qu'ils aient reçu l'Esprit saint, le Sauveur les compare à des vêtements vieux auxquels il ne faut pas coudre un morceau de drap neuf, c'est-à-dire un fragment de la doctrine qui a pour objet la tempérance de la loi nouvelle ; car alors la doctrine est comme divisée et rompue par ce fragment, puisque le jeûne qu'elle prêche est un jeûne général, qui interdit non seulement le désir des aliments, mais toute joie qui vient des plaisirs de la terre. Notre-Seigneur ne veut pas que l'on donne ce fragment de doctrine, qui a pour objet les aliments, à ceux qui sont encore esclaves des anciennes coutumes, autrement il se fera mie déchirure, et ce fragment de doctrine nouvelle ne pourra s'unir avec ce qui est vieux. Le Sauveur les compare encore à des outres : " De même personne ne met du vin nouveau dans de vieilles outres. " - S. AMBR. il nous fait voir la fragilité de la condition humaine, en comparant nos corps aux dépouilles des animaux morts. - S. AUG. (Quest. évang.) Il compare les Apôtres à des outres déjà vieilles, parce qu'ils se rompent sous l'effort du vin nouveau des préceptes spirituels qu'ils ne peuvent contenir : " Autrement le vin nouveau rompra les outres et se répandra, et les outres seront perdues. " Ils étaient déjà devenus des outres neuves, lorsqu'après l'ascension du Seigneur, l'Esprit saint vint les renouveler, en leur inspirant le désir de ses divines consolations, l'esprit de prière et d'espérance : " Mais il faut mettre le vin nouveau dans des outres neuves, et l'un et l'autre sont conservées. " - BEDE. Le vin nous donne des forces à l'intérieur ; le vêtement couvre extérieurement notre corps ; les bonnes oeuvres que nous faisons en dehors et qui font luire notre lumière devant les hommes, sont donc le vêtement ; et la ferveur de la foi, de l'espérance et de la charité, est comme le vin. On peut dire encore que les vieilles outres sont les scribes et les pharisiens, tandis que le fragment de drap neuf et le vin nouveau sont les préceptes de l'Évangile. - S. GREG. DE NYSSE. (disc. sur Abrah.) Le vin nouveau, par la fermentation qui lui est naturelle, chasse au dehors, par un mouvement qui tient également à sa nature, l'écume et la lie impure qu'il contient. Ce vin, c'est le Nouveau Testament, que les outres anciennes, vieillies par leur incrédulité, ne peuvent contenir ; bien plus, elles se rompent par la force de l'excellence de la doctrine, et laissent ainsi s'écouler la grâce de l'Esprit saint ; car la sagesse n'entre pas dans une âme qui veut le mal. (Sg 1.) - BEDE. On ne doit donc point donner les sacrements des mystères nouveaux à une âme qui n'est pas renouvelée et qui persévère encore dans son ancienne malice. Ceux encore qui veulent mêler la pratique du christianisme aux préceptes de la loi (Ga 3), mettent le vin nouveau dans de vieilles outres. " Et personne, venant de boire du vin vieux, n'en veut aussitôt du nouveau, car il dit : Le vieux est meilleur. " Notre-Seigneur veut parler ici des Juifs qui, pénétrés de la saveur de la vie ancienne, n'avaient que du dégoût pour les préceptes de la loi de grâce ; et qui, souillés par les traditions de leurs ancêtres, étaient incapables de goûter la douceur des enseignements spirituels.