CATANA AUREA SUR SAINT LUC

PRÉFACE DE L'EXPLICATION

ÉVANGILE DE SAINT LUC PAR SAINT THOMAS

SAINT THOMAS D'AQUIN CATENA AUREA SUR SAINT LUC

CHAPITRE III
vv. 1, 2.
S. GREG. (hom. 20 sur les Evang.) L'époque où le Précurseur du divin Rédempteur reçut la mission de prêcher et d'annoncer la parole de Dieu, est solennellement désignée par le nom de l'empereur romain et des princes qui régnaient sur la Judée : " L'an quinzième de l'empire de Tibère César, Ponce-Pilate étant gouverneur de la Judée, Hérode, tétrarque de la Galilée, " etc. Jean-Baptiste venait annoncer celui qui venait racheter une partie des Juifs et un grand nombre d'entre les Gentils, et c'est pour cela que sa prédication se trouve datée du règne de l'empereur des Gentils et des rois de Judée ; et comme la gentilité devait être réunie en un seul corps, il n'est parlé que d'un seul prince qui gouvernait l'empire romain : " L'an quinzième de l'empire de Tibère César, " etc. - CH. DES PER. GR. Après la mort de l'empereur Auguste, de qui les empereurs romains prirent le nom d'Auguste, Tibère lui succéda, et il était alors dans la quinzième année de son règne.
ORIG. (Hom. 21.) Les oracles prophétiques qui ne s'adressaient qu'aux Juifs ne font mention que du règne des princes de la nation juive : " Vision d'Isaïe, au temps d'Ozias, de Joathan, d'Achaz et d'Ezéchias, rois de Juda (Is 1). Mais la prédication de l'Évangile qui devait retentir dans tout l'univers est datée de l'empire de Tibère César, qui paraissait être le maître du monde. Si les Gentils seuls avaient dû avoir part à la grâce du salut, il aurait suffi de parler de Tibère ; mais comme les Juifs devaient aussi embrasser la foi, il est également fait mention des principautés et des tétrarchies de la Judée : " Ponce Pilate étant gouverneur de la Judée, Hérode, tétrarque de la Galilée, " etc. - S. GREG. La Judée se trouvait alors divisée en plusieurs petites principautés, comme un signe de la division et de la ruine dont Dieu devait punir la coupable perfidie des Juifs ; selon ces paroles du Sauveur : " Tout royaume divisé contre lui-même sera désolé. " (Lc 11.) - BEDE. Pilate fut envoyé comme gouverneur en Judée la douzième année du règne de Tibère César, et il conserva ce gouvernement pendant dix années consécutives, presque jusqu'à la fin de la vie de Tibère. Hérode, Philippe et Lysanias sont les fils du roi Hérode, sous le règne duquel naquit le Sauveur. Il faut ajouter à ces trois frères, Hérode Archélaüs, qui régna dix ans, et qui ayant été accusé auprès d'Auguste par les Juifs, fut exilé à Vienne où il mourut. L'empereur Auguste, pour affaiblir re royaume de Judée, le partagea alors en plusieurs tétrarchies.

S. GRÉG. (hom. 20.) Jean-Baptiste venait annoncer celui qui était roi et prêtre à la fois, L'évangéliste saint Luc précise donc l'époque de sa prédication, non seulement par ceux qui régnaient alors sur la Judée, mais par les grands-prêtres actuels des Juifs : " Sous les grands-prêtres Anne et Caïphe. " - BEDE. Tous deux étaient grands-prêtres lorsque Jean commença sa prédication, mais Aune exerçait le souverain pontificat cette année-là même, Caïphe, l'année même où Notre-Seigneur Jésus-Christ fut crucifié. Il y eut bien dans l'intervalle trois autres grands-prêtres, mais l'Évangéliste ne fait mention que de ceux qui ont pris une part plus active à la passion du Sauveur. Les préceptes de la loi étaient obligés de céder devant la violence et l'ambition ; ce n'était ni le mérite personnel, ni la dignité de la famille qui obtenait le souverain pontificat, la puissance romaine en disposait à son gré. En effet, l'historien Josèphe nous rapporte qu'un des premiers actes de Valérius Gratus, avait été de dépouiller le pontife Anne de la souveraine sacrificature, pour en revêtir Ismaël, fils de Baphi. Quelque temps après, Ismaël en était dépouillé à son tour, et avait pour successeur Eléazar, fils du grand-prêtre Ananias. L'année suivante, Valérius ôtait à Ismaël les insignes sacrés du pontificat pour les remettre à un certain Simon, fils de Caïphe. Un an après, Simon avait pour successeur Joseph, qui s'appelait aussi Caïphe. Tout le temps de la prédication de Notre-Seigneur se trouve ainsi compris dans un espace de quatre ans.

S. AMBR. Le Fils de Dieu qui devait former et rassembler son Église, commence à opérer par sa grâce dans son serviteur : " La parole du Seigneur se fit entendre à Jean, " etc. Ainsi ce n'est pas un homme, mais le Verbe de Dieu qui préside à la première formation de l'Église. Saint Luc proclame Jean prophète par cette formule abrégée : " La parole de Dieu se fit entendre à Jean. " En effet, celui qui est rempli de la parole de Dieu a-t-il besoin d'une autre recommandation, et l'Évangéliste n'a-t-il pas tout dit dans ces seules paroles ? Saint Matthieu et saint Luc ont voulu au contraire rehausser en Jean-Baptiste le titre de prophète par la description de son vêtement, de sa ceinture et de sa nourriture. - S. CHRYS. (hom. 40 sur S. Matth.) La parole de Dieu, c'est ici le commandement de Dieu, parce qu'en effet, le fils de Zacharie n'est point venu de son chef, mais par l'impulsion de Dieu lui-même. - THEOPHYL. Pendant tout le temps qui s'écoula depuis son enfance jusqu'au jour où il devait paraître en Israël, il demeura caché dans le désert, et l'Évangéliste ajoute ici : " Dans le désert ; " pour détourner jusqu'à l'ombre du soupçon que les liens du sang ou d'une amitié contractée dès l'enfance portaient Jean-Baptiste à rendre témoignage à Jésus. Aussi le saint Précurseur nous assure-t-il expressément qu'il ne le connaissait pas (Jn 1). - S. GREG. DE NYSS. (de la Virgin.) Celui qui était venu dans l'esprit et la vertu d'Elie, devait aussi se séparer du commerce des hommes, et s'appliquer à la contemplation des choses invisibles, de peur qu'habitué aux illusions que produisent les sens, il ne vînt à perdre ces clartés intérieures et celles qui devaient lui faire discerner et reconnaître le Sauveur. Aussi il fut rempli d'une telle abondance des grâces divines, qu'aucun prophète n'en reçut jamais de semblables, parce que durant tout le cours de sa vie, il ne cessa d'offrir aux regards de Dieu une âme pure de tout désir vicieux et de toute passion naturelle. - S. AMBR. L'Église elle-même est comme un désert, parce que celle qui était abandonnée a plus d'enfants que celle qui avait un mari (Is 54, 1; voyez aussi Gal 4, 27). Le Verbe de Dieu s'est donc fait entendre, pour que la terre qui était auparavant déserte, nous produisît des fruits de salut.

vv. 3-6.

S. AMBR. Le Verbe s'est fait entendre, la voix suivit de près, car le Verbe agit d'abord à l'intérieur, et la voix lui sert ensuite d'instrument et d'interprète : " Et il vint dans toute la région du Jourdain. " - ORIG. (hom. 2.) Le mot Jourdain signifie qui descend, parce que le fleuve des eaux salutaires descend des hauteurs de Dieu. Or quels lieux Jean-Baptiste devait-il parcourir de préférence, si ce n'est les bords du Jourdain ; ainsi lorsque le repentir touchait un coeur, on pouvait aussitôt recevoir le baptême de la pénitence dans les eaux du fleuve : " Prêchant le baptême de pénitence pour la rémission des péchés. " - S. GREG. (hom. 20.) Chacun voit par ces paroles que non seulement Jean prêchait le baptême de la pénitence, mais qu'il le donnait à quelques-uns, et cependant ce baptême ne pouvait en réalité remettre les péchés. - S. CHRYS. (hom. 10 sur S. Matth.) Et quelle rémission des péchés était possible, alors que la victime pour les péchés du monde n'était pas encore immolée, et que l'Esprit saint n'était pas encore descendu sur la terre ? Pourquoi donc ces paroles de saint Luc : " Pour la rémission des péchés ? " Les Juifs étaient profondément ignorants, et vivaient dans une grande indifférence à l'égard de leurs fautes, c'était là la cause de tous leurs maux. Ce fut donc pour les obliger à reconnaître leurs péchés et à chercher le Rédempteur, que Jean vint les exhorter à faire pénitence, afin que contrits de leurs fautes et revenus à de meilleurs sentiments, ils fissent tous leurs efforts pour obtenir leur pardon. C'est donc avec dessein que l'Évangéliste, après avoir dit que " Jean vint prêchant le baptême de la pénitence, " ajoute : " Pour la rémission des péchés, " comme s'il disait. Il les exhortait à se repentir, pour les disposer à obtenir plus facilement leur pardon par la foi en Jésus-Christ. Si en effet ils n'avaient pas été conduits par la pénitence, ils n'auraient pas songé à demander la grâce de la rémission de leurs péchés. Or ce baptême les préparait à croire en Jésus-Christ. - S. GREG. (hom. 20.) Ou bien l'Évangéliste dit que Jean prêchait le baptême de la pénitence pour la rémission des péchés, parce qu'il avait la mission de prêcher le baptême qui remet les péchés, baptême qu'il ne pouvait donner. Ainsi de même qu'il était par le Verbe ou la parole de sa prédication le Précurseur du Verbe incarné, de même son baptême impuissant pour la rémission des péchés précédait le baptême de la pénitence qui les remet véritablement. - S. AMBR. C'est pour cela qu'il en est plusieurs qui virent dans saint Jean la figure de la loi, parce que la loi pouvait bien faire connaître le péché, mais ne pouvait le remettre.
S. GRÉG. DE NAZIANZE. (Disc. 39.) Disons quelques mots de la nature et du caractère des différents baptêmes. Moïse a baptisé dans l'eau, dans la nuée et dans la mer (mais d'une manière figurative). Jean a baptisé, mais non pas selon le rit des Juifs, car il ne baptisait pas seulement dans l'eau, mais pour la rémission des péchés, cependant son baptême n'était pas tout à fait spirituel, car l'Évangéliste n'ajoute point : Par l'Esprit. Jésus baptise, mais par l'Esprit, et c'est le baptême parfait. Il est encore un quatrième baptême, le baptême du martyre et du sang que Jésus-Christ lui-même a voulu recevoir, baptême plus auguste et plus vénérable que les autres, parce qu'il n'est point exposé à être profané par les rechutes dans le péché. On peut encore compter un cinquième baptême, baptême des larmes, baptême laborieux, dans lequel David se purifiait en arrosant chaque nuit de ses larmes le lit où il prenait son repos.
" Comme il est écrit dans le livre du prophète Isaïe (Is 40). Voix de celui qui crie dans le désert. " - S. AMBR. C'est avec raison que Jean-Baptiste, le Précurseur du Verbe est appelé " la voix, " car la voix précède le Verbe dont elle dépend, tandis que le Verbe qui vient après lui est supérieur. - S. GREG. (hom. 7 et 20.) Jean-Baptiste crie dans le désert, parce qu'il vient annoncer les consolations de la rédemption aux Juifs. abandonnés et plongés dans la détresse. Et quel était le sens de ses prédications ? " Préparez le chemin du Seigneur, " etc. Tout homme qui prêche la véritable foi et la nécessité des bonnes oeuvres, que fait-il autre chose que de préparer la voie du Seigneur dans les coeurs de ceux qui l'écoutent, et de rendre droits ses sentiers en faisant naître dans les âmes des pensées pures par ses saintes prédications. - ORIG. (hom. 21.) Ou bien encore, c'est nous-mêmes qui devons préparer la voie au Seigneur dans notre coeur. Car le cœur de l'homme est grand et spacieux, si toutefois il est pur, car sa grandeur ne consiste pas dans les dimensions extérieures, mais dans la force de son intelligence qui le rend capable de contenir la vérité. Préparez donc par une vie sainte la voie au Seigneur dans votre coeur, redressez le sentier de votre vie par l'excellence et la perfection de vos oeuvres, afin que la parole de Dieu puisse pénétrer en vous sans obstacle. - S. BAS. (Ch. des Pèr. gr.) Ce sentier, c'est la voie qu'ont parcourue leurs ancêtres, et que les premiers hommes ont faussée et corrompue ; la parole de Dieu commande donc à ceux qui sont loin d'imiter le zèle de leurs pères de redresser de nouveau ce sentier. - S. CHRYS. (Ch. des Pèr. gr.) Ce n'était point à lui de crier : " Préparez la voie du Seigneur, " c'était l'office du Précurseur, et il est appelé la voix, parce qu'il était le Précurseur du Verbe.

S. CYR. (Liv. 3, sur Isaïe, ch. 40.) Jean-Baptiste prévient cette question qu'on pouvait lui faire : Comment préparerons-nous la voie du Seigneur ? Comment encore redresserons-nous ses sentiers ? Ceux qui veulent mener une vie vertueuse rencontrent tant d'obstacles ! Il y a, en effet, des chemins et des sentiers qui ne sont nullement praticables, parce que tantôt ils s'élèvent sur les collines et sur des endroits abruptes, tantôt ils descendent brusquement dans les vallées ; c'est pour éloigner cette difficulté que le saint Précurseur ajoute : " Toute vallée sera comblée, toute montagne et toute colline seront abaissées. " C'est ce que Notre-Seigneur a opéré spirituellement par sa puissance. Autrefois, en effet, le chemin de la vertu et de la sainteté évangélique était difficile à parcourir, parce que les âmes étaient comme appesanties sous le poids des plaisirs sensuels ; mais aussitôt qu'un Dieu fait homme eut expié le péché dans sa chair (Rm 8), toutes les voies furent aplanies, aucune colline, aucune vallée ne fit plus obstacle à ceux qui voulaient avancer. - ORIG. (hom. 22.) Lorsque Jésus fut venu et qu'il eut envoyé son Esprit, toute vallée a été remplie de bonnes oeuvres et des fruits de l'Esprit saint ; si vous possédez ces fruits, non seulement vous cesserez d'être une vallée, mais vous commencerez à devenir la montagne de Dieu. - S. GREG. DE NYSSE. (Ch. des Pèr. gr.) Ou bien les vallées sont ici la figure de la pratique paisible et tranquille des vertus, selon cette parole du Roi-prophète : Les vallées seront pleines de froment. " (Ps 69.) - S. CHRYS. (Ch. des Pèr. gr.) Sous le nom de montagne, Jean-Baptiste désigne les orgueilleux et les superbes que Jésus-Christ a humiliés, les collines sont ceux qui sont désespérés, non seulement à cause de l'orgueil de leur esprit, mais par suite de l'impuissance et de la stérilité de leur désespoir, car une colline ne produit aucun fruit. - ORIG. (hom. 22.) Par ces collines et ces montagnes, vous pourriez encore entendre les puissances ennemies qui ont été abaissées par la venue du Christ. - S. BAS. Comme les collines, si on les compare aux montagnes, en diffèrent par la grandeur, mais leur sont semblables pour le reste ; ainsi les puissances ennemies sont toutes égales par la volonté qu'elles ont de nous nuire, mais diffèrent entre elles par l'énormité du mal qu'elles causent. - S. GREG. (hom. 20.) Ou bien cette vallée qui croît en se comblant, cette montagne qui décroît en s'abaissant, c'est la gentilité que la foi en Jésus-Christ a remplie de la plénitude de la grâce, et les Juifs qui, par leur coupable perfidie, ont perdu cette hauteur dont ils étaient si fiers, car les humbles reçoivent les grâces que les superbes éloignent de leur coeur par leur orgueil. - S. CHRYS. (hom. 40 sur S. Matth.) Ou bien par cette comparaison il nous apprend qu'aux difficultés de la loi va succéder la facilité de la foi, comme s'il disait : Vous n'aurez plus à craindre ni travaux pénibles, ni douleurs, mais la grâce et la rémission des péchés vous ouvriront une voie facile pour arriver au salut. - S. GREG. DE Nysse. Ou bien, il ordonne de combler les vallées et d'abaisser les collines et les montagnes, pour nous apprendre que la vertu bien réglée ne doit ni présenter de vide causé par le défaut des bonnes oeuvres, ni offrir d'inégalités par l'excès du bien. - S. GREG. (hom. 20.) Les chemins tortueux deviennent droits lorsque les coeurs des méchants, que l'iniquité avait rendus tortueux, rentrent dans la droiture de la justice, et les chemins raboteux deviennent unis, lorsque les âmes irascibles et violentes reviennent à la bénignité de la douceur par l'infusion de la grâce céleste.

S. CHRYS. Le saint Précurseur motive ensuite la nécessité de tous ces changements : " Et toute chair verra le salut de Dieu. " Il nous apprend ainsi que la vertu et la connaissance de l'Évangile se répandront jusqu'aux extrémités de la terre pour changer en douceur et en bonté les moeurs féroces et l'opiniâtre volonté du genre humain. Ce ne sont pas seulement les Juifs appelés prosélytes, mais toute la nature humaine qui est appelée à contempler le salut de Dieu. - S. CYR. (sur Isaïe, 3, 40.) C'est-à-dire le salut de Dieu le Père qui a envoyé son Fils pour être notre Sauveur. La chair est prise ici pour l'homme tout entier. - S. GREG. (hom. 20.) Ou bien dans un autre sens, toute chair, c'est-à-dire tout homme, n'a pu voir en cette vie le salut de Dieu qui est Jésus-Christ ; le saint prophète porte donc ses regards jusqu'au jour du jugement dernier, où tous les hommes, les réprouvés comme les élus, verront également le salut de Dieu.

vv. 7-9.
ORIG. (hom. 22.) Celui qui persévère dans son premier état de vie, et qui ne quitte ni ses moeurs ni ses habitudes, n'est pas digne de se présenter au baptême. S'il veut mériter cette grâce, qu'il sorte tout d'abord de sa vie ancienne. Aussi l'Évangéliste dit-il en termes exprès : " Jean-Baptiste s'adressait à la foule qui sortait pour être baptisée par lui. " C'est donc à la foule qui sortait pour venir à son baptême, qu'il adresse les paroles suivantes, car si elle fût entièrement sortie, il ne l'eût pas appelée race de vipères. - S. CHRYS. (hom. 41 sur S. Matth.) Cet habitant du désert, à la vue de tous les habitants de la Palestine qui l'entourent, pleins d'admiration pour sa personne, ne se laisse pas influencer par ces témoignages de profonde vénération, mais il s'élève avec force contre eux, et ne craint pas de leur reprocher leurs crimes. (Et hom. 12 sur la Gen.) La sainte Écriture caractérise ordinairement les hommes en leur donnant des noms d'animaux en rapport avec les passions qui les dominent, elle les appelle des chiens à cause de leur insolence, des chevaux à cause de leur penchant à la luxure, des ânes à cause de leur défaut d'intelligence, des lions et des léopards à cause de leur voracité et de leur caractère violent, des aspics à cause de leur esprit rusé, des serpents et des vipères à cause de leur venin et de leurs démarches tortueuses, et c'est pour cela que Jean-Baptiste appelle ouvertement les Juifs, " race de vipères. "
S. BAS. (cont. Eunom., 2.) Les noms de fils et d'engendré se donnent aux êtres animés ; le mot race peut s'appliquer au germe avant sa formation, on donne aussi quelquefois ce nom aux productions des arbres ; mais rarement on l'emploie en parlant des animaux, et toujours en mauvaise part. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) On dit que la vipère tue le mâle qui la féconde, et que les petits, à leur tour, tuent leur mère en naissant, et viennent au monde en déchirant son sein, comme pour venger la mort de leur père. La race de la vipère est donc une race parricide. Tels étaient les Juifs qui mettaient à mort leurs pères spirituels et leurs docteurs. Mais comment expliquer ce langage, puisque les Juifs ne persévèrent plus dans leurs péchés, mais qu'ils commencent à se convertir ? Au lieu de les outrager, ne devait-il pas chercher à les attirer ? Nous répondons que Jean ne s'arrêtait pas à ces démonstrations extérieures, Dieu lui avait révélé le secret de leurs coeurs, et il y voyait qu'ils étaient trop fiers de leurs ancêtres. C'est pour détruire dans sa racine cette vaine présomption, qu'il les appelle " race de vipères, " sans faire remonter ce reproche jusqu'aux patriarches, qu'il se garde bien de traiter de la sorte. - S. GREG. (hom. 20.) Il se sert de cette expression, parce que pleins d'envie à l'égard des justes qu'ils persécutaient, ils suivaient en cela les voies de leurs ancêtres selon la chair, semblables à des enfants infectés du poison que leurs pères, remplis eux-mêmes de venin, leur ont communiqué en leur donnant le jour. Comme les paroles qui précèdent, se rapportent à la manifestation de Jésus-Christ en présence de tous les hommes au jour du jugement dernier, Jean-Baptiste leur dit : " Qui vous a enseigné à fuir la colère à venir ? " La colère à venir, ce sont les effets de la vengeance du dernier jour. - S. AMB. Nous voyons par là que la miséricorde de Dieu leur avait inspiré la prudence qui les portait à se repentir de leurs péchés, en redoutant, par une religieuse prévoyance, les terreurs du jugement dernier. Ou bien peut-être, le saint Précurseur veut-il dire que, conformément à ces paroles du Sauveur : " Soyez prudents comme des serpents, " les Juifs ont cette prudence naturelle qui fait voir et rechercher ce qui est utile, mais qui n'est pas assez puissante pour éloigner entièrement de ce qui est nuisible.

S. GRÉG. (hom. 20.) Comme le pécheur qui ne recourt pas maintenant aux larmes de la pénitence, ne pourra se dérober alors aux effets de la colère de Dieu, Jean-Baptiste ajoute : " Faites donc de dignes fruits de pénitence. " - S. CHRYS. (hom. 10 sur S. Matth.) En effet, il ne suffit pas aux pécheurs repentants de renoncer à leurs péchés, il faut encore qu'ils produisent des fruits de pénitence, selon cette parole du Psalmiste : " Eloignez-vous du mal, et faites le bien " (Ps 30) ; de même qu'il ne suffit pas pour être guéri, d'arracher le fer de la plaie, mais il faut encore appliquer sur la blessure les médicaments qui doivent hâter sa guérison. Jean-Baptiste ne dit pas ici : Faites du fruit, mais : " Faites des fruits, " pour indiquer qu'elle en doit être l'abondance. - S. GREG. (hom. 20.) Ce ne sont pas seulement des fruits, mais de dignes fruits de pénitence qu'ils doivent produire. Celui, en effet, qui n'a commis aucune action défendue, peut se permettre l'usage des choses licites. Mais celui qui est tombé dans des fautes graves, doit s'interdire d'autant plus rigoureusement les choses permises, qu'il se souvient d'en avoir commis de défendues. Les fruits des bonnes oeuvres ne doivent pas être les mêmes pour celui qui s'est rendu moins coupable et pour celui qui l'est davantage, pour celui qui n'est tombé dans aucun crime, et pour celui qui en a plusieurs à se reprocher. Le saint Précurseur fait donc ici un appel à la conscience de chacun, pour l'engager à devenir d'autant plus riche en bonnes oeuvres, qu'il a éprouvé par ses fautes des pertes plus considérables. - S. MAX. (Ch. des Pèr. gr.) Le fruit de la pénitence, c'est une espèce d'impassibilité de l'âme vis-à-vis du mal, impassibilité qui ne nous est pleinement acquise que lorsque nous sommes insensibles aux instigations de nos passions ; jusque là, nous n'avons pas fait de dignes fruits de pénitence. Que notre repentir soit donc sincère, afin que, délivrés de nos passions, nous obtenions le pardon de nos péchés.

S. GRÉG. (hom. 22.) Mais les Juifs, fiers de la noblesse de leurs ancêtres, ne voulaient point se reconnaître pécheurs, parce qu'ils descendaient de la race d'Abraham. Aussi Jean-Baptiste les pousse dans ce dernier retranchement : " Et ne vous mettez point à dire : Abraham est notre père. " - S. CHRYS. (Ch. des Pèr. gr.) Il ne leur conteste pas qu'ils descendent d'Abraham par une filiation naturelle, mais il veut leur faire entendre qu'il ne leur sert de rien de descendre d'Abraham, s'ils ne peuvent montrer en même temps la descendance qui vient de la vertu. En effet, dans le style de l'Écriture, les liens de la parenté ne sont pas ceux qui sont formés par le sang, mais ceux qui viennent de la ressemblance des vertus ou des vices, et chacun est appelé le fils ou le frère de ceux dont il reproduit en lui la ressemblance. - S. CYR. Que sert, en effet, d'être d'une descendance illustre, si on ne cherche à l'appuyer, à la maintenir par de nobles instincts. C'est donc une vanité que de se glorifier de la noblesse et des vertus de ses ancêtres, et de ne prendre aucun souci d'imiter leurs vertus. - S. BAS. (Ch. des Pèr. gr.) Ce n'est point l'agilité de son père qui rend un cheval prompt à la course. Or, de même que ce qui fait le mérite de tous les autres animaux, ce sont les qualités personnelles ; ainsi ce qui rend un homme digne d'éloges, ce sont les bonnes oeuvres dont il peut donner la preuve ; car il est honteux de se parer de la gloire d'autrui, quand on ne peut la soutenir par ses vertus personnelles.

S. GREG. DE NYSSE. Après avoir prédit l'exil des Juifs et prophétisé leur réprobation, il prédit comme une suite nécessaire la vocation des Gentils, qu'il appelle des pierres : " Je vous déclare, " etc. - S. CHRYS. (sur S. Matth.) Il semble leur dire : Ne croyez pas que si vous venez à périr, le patriarche Abraham cessera d'avoir des enfants ; car Dieu peut susciter des hommes de ces pierres mêmes, et en faire de véritables enfants d'Abraham. Et c'est ce qu'il a fait autrefois ; car en faisant naître un fils du sein stérile de Sara, n'a-t-il pas opéré un prodige semblable à celui de faire sortir des hommes des pierres elles-mêmes. - S. AMBR. Mais quoique Dieu puisse à son gré changer et transformer les natures créées, cependant le mystère que renferme ces paroles m'est plus avantageux que le miracle ; car qu'étaient-ils autre chose que des pierres ceux qui adoraient des idoles de pierre, semblables à ceux qui les avaient faites ? Jean-Baptiste prophétise donc que la foi pénétrera les coeurs de pierre des Gentils, et prédit qu'ils deviendront, par la foi, de véritables enfants d'Abraham. Pour nous faire mieux comprendre quels hommes il a comparés à des pierres, il les compare encore à des arbres, dans les paroles suivantes : " La cognée est déjà à la racine de l'arbre. " Il change de comparaison pour vous faire comprendre par cette allégorie déjà plus relevée, qu'il s'est fait dans l'homme un certain progrès qui les approche du bien.

ORIG. (hom. 23.) Si la consommation de toutes choses était proche, si nous touchions à la fin des temps, il n'y aurait pour moi aucune difficulté, et je dirais tout simplement que cette prophétie doit recevoir alors son accomplissement. Mais puisqu'il s'est écoulé tant de siècles depuis cette prédiction de l'Esprit saint ; je pense que cette prophétie s'adresse au peuple juif, à qui Jean-Baptiste prédit sa destruction prochaine ; car c'est à ceux qui venaient à lui pour être baptisés qu'il tenait ce langage. - S. CYR. (Ch. des Pèr. gr.) Cette cognée qui doit les frapper dans le temps présent, c'est la vengeance exterminatrice qui vint fondre sur les Juifs du haut du ciel, pour punir l'attentat impie et sacrilège qu'ils commirent sur la personne de Jésus-Christ. Il ne dit point cependant que la cognée va trancher la racine, mais qu'elle a été mise à la racine de l'arbre, (c'est-à-dire auprès de la racine), car les branches ont été retranchées sans que l'arbre ait été détruit jusque dans sa racine, parce que les restes du peuple d'Israël doivent être sauvés.

S. GRÉG. (hom. 20.) Ou bien dans un autre sens, cet arbre c'est le genre humain tout entier. La cognée, c'est notre Rédempteur, que l'on peut tenir par l'humanité dont il s'est revêtu, et qui est comme le manche de la cognée, mais qui tient de la divinité la vertu de couper et de retrancher. Cette cognée est déjà mise à la racine de l'arbre ; car bien qu'elle attende avec longanimité, on voit cependant le coup qu'elle s'apprête à frapper. Et remarquez qu'il ne dit point : La cognée est déjà placée sur les branches, mais : " A la racine. " En effet, lorsque les enfants des méchants sont détruits, ce sont les branches de l'arbre stérile qui sont retranchées. Mais lorsque toute la race des méchants est exterminée avec son père, c'est l'arbre infructueux qui est coupé jusque dans sa racine. Or, tout homme vicieux et criminel doit s'attendre à être jeté dans le feu de l'enfer qui lui a été préparé pour punir sa négligence à produire le fruit des bonnes oeuvres. - S. CHRYS. (Ch. des Pèr. gr.) Le saint Précurseur dit judicieusement : " Qui ne fait point de fruit, et même de bon fruit ; " car Dieu a créé l'homme pour travailler et pour produire, et l'application persévérante au travail lui est naturelle, tandis que l'oisiveté est contre sa nature. En effet, l'inaction est nuisible à tous les membres de son corps, mais bien plus encore à son âme, qui, étant essentiellement active, ne peut rester un instant dans l'oisiveté. Mais de même que l'oisiveté est funeste, le mouvement et le travail ont aussi leur danger (lorsqu'ils servent au mal.) Après avoir exhorté à faire pénitence, il annonce que la cognée est à la racine, non encore pour couper et pour retrancher, mais pour menacer et inspirer une salutaire terreur. - S. AMBR. Que celui donc qui le peut, produise des fruits de grâce ; que celui pour qui c'est un devoir rigoureux, fasse des fruits de pénitence ; voici le Seigneur qui vient chercher des fruits, et donner la vie à ceux qui produisent des fruits abondants, et condamner ceux qui sont stériles.

vv. 10-14.
S. GRÉG. (hom. 20.) Ces paroles de Jean-Baptiste prouvent qu'il avait fait naître un trouble salutaire dans l'âme de ses auditeurs, puisqu'ils viennent lui demander ce qu'ils doivent faire : " Et la foule l'interrogeait, " etc. - ORIG. (hom. 23.) Trois sortes d'hommes viennent demander à Jean ce qu'ils doivent faire pour être sauvés ; les uns que l'Écriture appelle le peuple ou la foule, les autres qui sont les publicains, et les troisièmes qu'elle comprend sous le nom de soldats. - THEOPHYL. Or, il recommande aux publicains et aux soldats de s'abstenir de tout mal, mais quant au peuple, qu'il regarde comme moins enclin au mal, il prescrit la pratique des bonnes oeuvres : " Il leur répondit : Que celui qui a deux tuniques en donne une à celui qui n'en a point, " etc. - S. GREG. (hom. 20.) La tunique est d'un usage plus nécessaire que le manteau ; aussi un des fruits principaux de la pénitence est de nous faire partager avec le prochain non seulement les choses extérieures plus ou moins utiles, mais celles qui nous sont le plus nécessaires, comme la tunique dont nous sommes vêtus, les aliments qui soutiennent notre existence : " Et que celui qui a de quoi manger fasse de même. " - S. BAS. (Ch. des Pèr. gr.) Nous apprenons de là l'obligation où nous sommes de donner pour Dieu tout notre superflu à ceux qui sont dans l'indigence, parce que c'est Dieu qui nous a donné tout ce que nous possédons.

S. GRÉG. (hom. 20.) Il est écrit dans la loi : " Vous aimerez votre prochain comme vous-même. " Donc on n'aime pas son prochain, quand on ne partage pas même son nécessaire avec celui qui se trouve dans l'extrême besoin. Il est commandé de partager avec le prochain une des deux tuniques que l'on possède, car si on n'en avait qu'une à partager, elle ne pourrait servir de vêtement à aucun des deux. Nous pouvons juger par toutes ces recommandations, de quel prix sont les oeuvres de miséricorde, puisqu'elles tiennent le premier rang parmi les dignes fruits de pénitence. - S. AMBR. Chaque condition a ses devoirs particuliers, la pratique de la miséricorde est un devoir commun à tous les hommes, et c'est pour tous les hommes une obligation rigoureuse de donner à celui qui est dans l'indigence. La miséricorde comprend pour ainsi dire toutes les vertus ; cependant la pratique de la miséricorde a ses règles, et doit se mesurer sur les moyens et les ressources de chacun, elle n'oblige pas à se dépouiller entièrement de ce qu'on possède, mais à le partager avec celui qui n'a rien.

ORIG. (hom. 23.) Ce passage renferme un sens plus profond : en effet, de même que nous ne pouvons servir deux maîtres, de même nous ne devons pas avoir deux tuniques, dont l'une serait le vêtement du vieil homme, et l'autre le vêtement de l'homme nouveau. Nous devons au contraire dépouiller le vieil homme et revêtir celui qui est nu, car l'un a Dieu dans son coeur, et l'autre en est privé. Il est écrit que nous devons précipiter nos péchés au fond de la mer ; nous devons également repousser loin de nous nos fautes et nos vices, et les rejeter pour ainsi dire sur celui qui en a été pour nous la cause. - THEOPHYL. Il en est qui voient dans ces deux tuniques l'esprit et la lettre de l'Écriture. Jean recommande à celui qui possède l'un et l'autre, d'instruire les ignorants et de leur enseigner an moins la lettre de la sainte Écriture.

BEDE. La puissance de la parole de Jean-Baptiste était si grande, qu'elle forçait les publicains et les soldats eux-mêmes à venir lui demander ce qu'ils devaient faire pour être sauvés : " Des publicains vinrent aussi, " etc. - S. CHRYS. (hom. 24 ou 25.) Qu'elle est grande la puissance de la vertu, puisqu'elle amène les riches du monde à venir demander à celui qui n'a rien le chemin du vrai bonheur ? - BEDE. Le saint Précurseur leur recommande de n'exiger rien au delà de ce qui leur est prescrit : " Il leur dit : N'exigez rien de plus de ce qui vous a été prescrit. " On appelait publicains ceux qui levaient les impôts, qui avaient la charge de collecteurs des contributions ou des revenus publies, et on donnait ce nom par extension à ceux qui cherchaient à augmenter leurs richesses par le négoce et les affaires. Jean-Baptiste leur fait à tous un précepte de s'abstenir de toute fraude, et en réprimant ainsi tout désir de s'emparer du bien d'autrui, il les amène à partager leurs propres biens avec le prochain : " Et des soldats vinrent aussi l'interroger, " etc. Il leur donne cette règle de juste et sage modération, de ne dépouiller jamais injustement ceux qu'ils doivent défendre et protéger par état : " Et il leur dit : Abstenez-vous de toute concussion (ou de toute violence), ne commettez aucune injustice (par des voies frauduleuses), et contentez-vous de votre paie. - S. AMBR. Il enseigne par là que la milice reçoit une paie légalement établie, de peur qu'en laissant aux soldats de pourvoir à leur subsistance, on n'ouvre ainsi la porte au pillage. - S. GREG. DE NAZ. (Disc. 9 contr. Jul.) Il donne ici le nom de paie à la solde impériale et au traitement assigné par la loi à ceux qui étaient en place. - S. AUG. (contr. Faust., liv. 22, ch. 7.) Jean-Baptiste savait que les soldats, lorsqu'ils font la guerre, ne sont pas des homicides, mais les exécuteurs de la loi, qu'ils ne sont point les vengeurs des injures particulières, mais les défenseurs du salut public. Autrement il leur eût répondu : Dépouillez-vous de vos armes, et quittez le service militaire, ne frappez, ne blessez, ne tuez personne. Qu'y a-t-il en effet de coupable dans la guerre ? Est-ce de donner la mort aux uns pour laisser les autres régner en paix après la victoire ? Condamner la guerre à ce point de vue n'est point un acte de religion, mais de lâcheté. Ce qui est justement condamné dans les guerres, c'est le désir de nuire, c'est la cruauté dans la vengeance, c'est d'avoir une âme impitoyable, implacable, c'est la férocité dans le combat, c'est la fureur de dominer et autres excès semblables. Or c'est pour punir ces excès ou les violences de ceux qui se révoltent, soit contre Dieu, soit contre le commandement d'une autorité légitime, que les bons eux-mêmes font la guerre, lorsqu'ils se trouvent dans des circonstances telles que l'ordre et la justice leur font un devoir ou de commander de prendre les armes, ou d'obéir à ce commandement.
S. CHRYS. (hom. 25 sur S. Matth.) En traçant ces règles si simples de conduite aux publicains et aux soldats, Jean-Baptiste voulait les élever à une perfection plus grande, mais comme ils n'en étaient pas encore capables, il leur donne des préceptes plus faciles, car s'il leur avait proposé tout d'abord les obligations d'une vie plus parfaite, ils n'y auraient donné aucune attention, et seraient demeurés privés de la connaissance des devoirs plus ordinaires et plus faciles.

vv. 15-17.
ORIG. (hom. 23.) Il était juste que Jean fût environné de plus d'honneurs que les autres hommes, lui dont la vie était plus parfaite que celle de tous les autres mortels. Aussi les Juifs avaient-ils pour lui une bien légitime prédilection, mais qui cependant était par trop exagérée : " Or, comme tout le peuple flottait dans ses pensées, et que tous se demandaient dans leurs coeurs s'il ne serait pas le Christ. " - S. AMBR. Quoi de plus insensé que de refuser de croire, lorsqu'il vint lui-même en personne, celui qu'ils voulaient reconnaître dans la personne d'un autre ? Ils pensaient que le Messie devait naître d'une femme, et ils ne veulent pas croire qu'il ait pu naître d'une Vierge, et cependant le signe que Dieu avait donné de l'avènement du Sauveur, c'était l'enfantement d'une Vierge et non celui d'une femme.
ORIG. (hom. 25.) L'affection a ses périls, si elle franchit les justes bornes. Quand on aime quelqu'un, on doit considérer attentivement la nature et les motifs de son affection, et la proportionner au mérite de celui qu'on aime, car si l'on dépasse la mesure et les limites de la charité, celui qui aime comme celui qui est aimé se rendent coupables. - CH. DES PER. GR. Aussi Jean ne pensa pas à se glorifier de l'opinion que tous avaient de lui, et ne parut jamais désirer d'être le premier ; loin de là, il fit toujours profession de l'humilité la plus profonde : " Mais Jean répondit, " etc. - BEDE Comment put-il répondre à ceux qui pensaient dans leurs coeurs qu'il pouvait être le Christ ? C'est que non seulement telle était leur pensée, mais qu'ils lui avaient député des prêtres et des lévites pour lui demander s'il était le Christ, comme le raconte un autre Évangéliste.

S. AMBR. Ou bien, c'est que Jean lisait dans le secret des coeurs, mais considérez de qui lui venait cette prérogative, car la grâce de Dieu seule peut révéler ce qu'il y a de plus caché dans le fond des coeurs, et non la puissance de l'homme qui reçoit bien plus de lumières du secours d'en haut, que de ses facultés naturelles. Or, il répondit aussitôt et sans hésiter qu'il n'était pas le Christ, lui qui n'exerçait qu'un ministère extérieur et visible. L'homme, en effet, est un composé de deux natures, c'est-à-dire, de l'âme et du corps ; la partie visible est consacrée par une action visible, la partie invisible reçoit une consécration intérieure et invisible. Ainsi l'eau lave le corps et le purifie, mais l'Esprit purifie l'âme de ses fautes, quoique l'eau elle-même soit comme pénétrée du souffle de la grâce divine. Le baptême de la pénitence est donc différent du baptême de la grâce, celui-ci opère par ces deux choses réunies, l'eau et l'Esprit ; celui-là par l'eau seulement : l'oeuvre de l'homme c'est de faire pénitence de ses fautes, c'est la part exclusive de Dieu de réaliser la grâce du mystère. Aussi Jean-Baptiste repoussant tout désir ambitieux de grandeur, déclare, non par ses paroles, mais par ses oeuvres, qu'il n'est pas le Christ, c'est pour cela qu'il ajoute : " Un autre va venir plus puissant que moi, " etc. En disant : " Plus puissant que moi, " il n'établit point une comparaison, car aucune comparaison n'est possible entre le Fils de Dieu et un homme, mais il veut simplement dire que s'il y en a beaucoup parmi les anges et les hommes qui aient de la puissance, le Christ seul est plus puissant qu'eux tous. Enfin, il est si loin de vouloir faire une comparaison, qu'il ajoute : " Dont je ne suis pas digne de dénouer la courroie de la chaussure. " - S. AUG. (de l'accord des Evang., 2, 12.) Saint Matthieu dit au contraire : " Dont je ne suis pas digne de porter la chaussure. " S'il y a quelque intérêt à donner un sens différent à ces deux locutions : " Porter la chaussure, " ou : " Dénouer les cordons de la chaussure, " de manière qu'un Évangéliste ait rapporté la première de ces deux locutions, et l'autre la seconde, il faut admettre que tous deux ont dit la vérité. Si au contraire, en parlant de la chaussure du Seigneur, Jean-Baptiste ne s'est proposé que de faire ressortir la supériorité du Christ et son humble dépendance, ces deux locutions figurées, rapportées l'une par saint Matthieu et l'autre par saint Luc, expriment la même vérité, et ont pour but de faire ressortir la profonde humilité du saint Précurseur.

S. AMBR. Ces paroles : " Je ne suis pas digne de porter sa chaussure, " signifient encore que le ministère et la grâce de la prédication ont été confiés aux Apôtres qui ont aux pieds la chaussure de l'Évangile (Ep 6, 15). Cependant on peut dire que Jean-Baptiste s'exprime de la sorte, parce qu'il représente la personne du peuple juif.

S. GRÉG. (hom. 7.) Jean-Baptiste se déclare indigne de dénouer la courroie de sa chaussure, comme s'il disait : Je ne puis découvrir les pieds du Rédempteur puisque je ne puis prendre le nom d'époux qui ne m'appartient pas. C'était la coutume, en effet, chez les anciens, que lorsqu'un homme ne voulait point prendre la femme qu'il devait épouser, celui qui devenait alors son époux ôtait la chaussure du premier qui l'avait refusée (cf. Dt 25) ; ou bien encore, comme les chaussures sont faites avec la peau des animaux qui sont morts, Notre-Seigneur, par son incarnation, est venu dans le monde portant aux pieds les dépouilles mortelles de notre nature corruptible. La courroie de la chaussure est comme le noeud du mystère. Jean-Baptiste ne peut donc dénouer la courroie de la chaussure du Sauveur, parce qu'il est incapable de pénétrer le mystère de l'incarnation que l'esprit prophétique seul lui a fait connaître.

S. CHRYS. (hom. 11.) Il venait de déclarer que son baptême n'était qu'un baptême d'eau, il montre maintenant l'excellence du baptême institué par le Christ : " Pour lui, il vous baptisera dans l'Esprit saint et le feu, exprimant ainsi par cette métaphore l'abondance de la grâce, car il ne dit pas : Il vous donnera l'Esprit saint, mais : " Il vous baptisera dans l'Esprit saint. " Il ajoute : " Et dans le feu, " pour montrer toute la puissance de la grâce. Et de même que Jésus-Christ exprime sous la figure de l'eau (cf. Jn 4, 14) la grâce de l'Esprit saint, c'est-à-dire, la pureté qu'elle produit et l'ineffable consolation dont elle inonde les âmes qui en sont dignes ; ainsi Jean-Baptiste, sous l'image du feu, veut exprimer la ferveur et la pureté que la grâce produit dans l'âme avec la destruction complète du péché. - BEDE. Sous la figure du feu, on peut encore entendre l'Esprit saint qui embrase par l'amour et tout à la fois éclaire par la sagesse les coeurs qu'il remplit de sa présence, et c'est pour exprimer cette vérité que les Apôtres ont reçu le baptême de l'Esprit sous l'image d'un feu visible. Il en est qui expliquent ce passage en disant que le baptême de l'Esprit est pour le temps présent, et le baptême du feu pour la vie à venir ; en ce sens que de même que nous puisons une nouvelle naissance dans l'eau et l'Esprit saint pour la rémission de tous nos péchés, de même nous serons purifiés de nos fautes plus légères par le baptême de feu du purgatoire. - ORIG. (hom. 24.) De même encore que Jean-Baptiste attendait sur les bords du fleuve du Jourdain ceux qui venaient demander son baptême, qu'il repoussait les uns, en les appelant : " Race de vipères, " et recevait les autres qui faisaient l'aveu sincère de leurs péchés, ainsi le Seigneur Jésus se tiendra sur les bords du fleuve de feu près du glaive flamboyant. Tout homme qui, au sortir de cette vie voudra entrer dans le paradis et aura besoin d'être purifié, sera baptisé dans ce bain de feu avant d'être introduit dans le paradis. Quant à celui qui ne portera point le signe des premiers baptêmes, il ne pourra être baptisé dans ce baptême de feu.

S. BAS. (traité de l'Esprit saint, ch. 2.) De ces paroles de Jean-Baptiste : " Il vous baptisera dans l'Esprit saint. " N'allez pas conclure que la seule invocation de l'Esprit saint rend le baptême parfait, car pour les signes sacrés qui nous confèrent la grâce, nous devons suivre dans toute leur intégrité les règles de la tradition. Vouloir y ajouter ou en retrancher quelque chose, c'est se retrancher de la vie éternelle, car nous baptisons au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, pour conformer notre baptême à notre croyance. - CH. DES PER. GR. Ces paroles : " Il vous baptisera dans l'Esprit saint, " signifient donc l'abondance de la grâce et la richesse du bienfait. Mais parce qu'on pourrait croire que c'est le propre de la puissance et de la volonté du Créateur de répandre ses bienfaits, tandis qu'il n'entre nullement dans ses attributs de punir les rebelles ; Jean-Baptiste ajoute : " Il tient le van en sa main, " nous enseignant ainsi qu'il est aussi sévère pour venger les prévaricateurs qu'il est magnifique pour récompenser la vertu. Le van signifie la promptitude dans l'exécution du jugement, car en un instant, sans aucun débat, sans acun délai, il séparera les damnés de la société des élus.

S. CYR. (Trés., 2, 4) En ajoutant : " Et il nettoiera son aire, " Jean-Baptiste nous apprend que Jésus-Christ est le souverain Maître de l'Église. - BEDE. L'aire est en effet la figure de l'Église de la terre, où il y a beaucoup d'appelés et peu d'élus. Cette aire se nettoie en partie dans la vie présente, lorsqu'un mauvais chrétien est retranché de l'Église par le jugement sacerdotal, en punition de ses fautes publiques et scandaleuses ; ou bien lorsque après sa mort il est condamné au tribunal de Dieu pour des crimes secrets ; et elle sera nettoyée entièrement à la fin du monde, quand le Fils de l'homme enverra ses anges pour faire disparaître de son royaume tous les scandales. - S. AUG. Le van, que le Seigneur tient en sa main, signifie qu'à lui seul appartient le droit de discerner les mérites des hommes, parce qu'en effet, lorsqu'on vanne le blé dans l'aire, le souffle de l'air fait comme une espèce de discernement du bon grain d'avec le mauvais : " Et il amassera le froment dans son grenier, " etc. Par cette comparaison, le Seigneur nous enseigne qu'au jour du jugement, il fera le discernement des mérites solides et des véritables fruits de vertu d'avec la légèreté stérile de toutes ces actions vaines, aussi chétives que présomptueuses, et placera dans la demeure des cieux les hommes d'une vertu parfaite. Or, les hommes qui sont des fruits parfaits sont ceux qui ont été jugés dignes de ressembler à celui qui a été semé comme un grain de blé pour produire ensuite des fruits plus abondants. (Jn 12.) - S. CYR. La paille, au contraire, est l'emblème des âmes indolentes et vaines, et dont la mobilité flotte à tout vent de péché. - S. BAS. Les chrétiens de cette espèce ne laissent pas d'être utiles à ceux qui sont jugés dignes du royaume des cieux, soit en leur communiquant les dons spirituels, soit en leur donnant des secours extérieurs, bien qu'ils ne le fassent point par un motif d'amour de Dieu ou de charité du prochain.

ORIG. (hom. 26) Comme le blé ne peut être séparé de la paille que par le mouvement de l'air, le juste juge est représenté tenant à la main un van, qui fait connaître que les uns sont de la paille et les autres du froment. En effet, lorsque vous n'étiez qu'une paille légère (c'est-à-dire incrédule), la tentation vous a fait voir ce que vous étiez sans le savoir, mais lorsque vous avez supporté courageusement les épreuves, la tentation ne vous rend pas fidèle et patient, mais elle fait éclater la vertu qui était au dedans de votre âme.

S. GREG. DE NYSSE. Il est utile de se rappeler que les biens qui nous sont promis et que Dieu tient en réserve pour ceux qui vivent saintement, dépassent de beaucoup toutes les explications que nous pouvons en donner ; car ni l'oeil de l'homme n'a vu, ni son oreille n'a entendu, ni son coeur n'a compris l'excellence de ces biens. Il en est de même des châtiments réservés aux pécheurs, ils n'ont aucune proportion avec les peines sensibles de cette vie. Nous les exprimons sans doute par les noms dont nous faisons usage dans notre langue, mais quelle distance les sépare de nos peines ordinaires ! car lorsque vous entendez parler de feu, et que l'Évangéliste ajoute : " inextinguible, " aussitôt votre attention se porte sur un feu tout différent du nôtre, auquel ne convient point cette expression. - S. GRÉG. (Moral., 15, 17.) Expression merveilleuse et étonnante pour désigner le feu de l'enfer. En effet, notre feu matériel ne peut être entretenu que par la quantité de bois qu'on y jette, et il ne dure qu'à la condition d'être toujours alimenté ; au contraire, le feu de l'enfer, quoiqu'il soit matériel et qu'il brûle corporellement les réprouvés qui y sont précipités, n'est point alimenté par le bois, mais une fois créé, il dure toujours et ne s'éteint jamais.

vv. 18-20.
ORIG. Jean-Baptiste avait annoncé Jésus-Christ, il avait prêché le baptême de l'Esprit saint et les autres vérités que nous rapporte le récit évangélique. Mais il en prêchait d'autres encore, comme nous le voyons par ces paroles : " Il disait beaucoup d'autres choses au peuple dans les discours qui lui faisait. - THEOPHYL. Ses exhortations contenaient la bonne doctrine, et l'auteur sacré les appelle avec raison l'Évangile. - ORIG. De même que nous lisons dans l'Evangile selon saint Jean, qu'il fit encore beaucoup d'autres discours, et beaucoup d'autres miracles ; ainsi ces paroles de saint Luc doivent nous faire comprendre que Jean-Baptiste enseignait encore des vérités d'une trop haute portée pour pouvoir être rapportées par écrit. Nous sommes remplis d'admiration pour Jean-Baptiste, parce qu'il est le plus grand de tous ceux qui sont nés de la femme, parce que son éminente vertu l'a élevé à une si haute renommée, que plusieurs ont pensé qu'il était le Christ, mais qu'il parut bien plus admirable encore de n'avoir ni craint Hérode ni redouté la mort : " Mais Hérode le Tétrarque ayant été repris, " etc.

EUSEBE. (hist. ecclés., 1, 43.) Cet Hérode est appelé Tétrarque pour le distinguer de l'autre Hérode qui régnait sur la Judée lors de la naissance du Christ : ce dernier était roi, l'autre n'était que tétrarque. Or, il avait pour femme la fille d'Arétas, roi d'Arabie, avec laquelle il avait contracté une union sacrilège, puisqu'elle était la femme de son frère Philippe, et qu'elle en avait eu des enfants ; car ces sortes d'unions n'étaient permises qu'à ceux dont les frères étaient morts sans poStérité. C'est de ce crime que Jean-Baptiste avait repris Hérode. D'abord ce prince se rendit attentif aux paroles du saint Précurseur, pleines à la fois de sévérité et de douceur, mais la passion qu'il avait pour Hérodiade le portait à mépriser les reproches de Jean-Baptiste, c'est pourquoi il le fit mettre en prison : " Il ajouta ce crime à tous les autres, dit l'Évangéliste, et fit mettre Jean en prison. "

BEDE. Ce ne fut point à l'époque dont il est ici question que Jean-Baptiste fut fait captif, mais d'après l'Évangile selon saint Jean ce fut après que le Sauveur eut opéré quelques miracles, et après que la renommée de son baptême se fut répandue au loin. Cependant, saint Luc place ici la captivité du saint Précurseur, pour faire ressortir toute la méchanceté d'Hérode, qui, voyant la foule accourir à la prédication de Jean, les soldats croire à sa parole, les publicains se convertir, tout le peuple recevoir le baptême, à l'encontre de tous les autres, non seulement ne fait aucun cas des paroles de Jean-Baptiste, mais le charge de chaînes et le jette en prison. - LA GLOSE. C'est avant que saint Luc ait commencé le récit des actions de Jésus, qu'il raconte la captivité de Jean, pour nous montrer qu'il va s'appliquer uniquement à raconter les événements qui se sont passés depuis l'année où Jean-Baptiste fut jeté dans les fers ou mis à mort.

vv. 21-22.
S. AMBR. Saint Luc abrège à dessein ce qui a été raconté par les autres Évangélistes, et il laisse à entendre plutôt qu'il ne raconte lui-même, le baptême du Sauveur par Jean-Baptiste " Or, il arriva que comme tout le peuple recevait le baptême, Jésus ayant été aussi baptisé, " etc. Notre-Seigneur voulut être baptisé, non pour se purifier, lui qui n'a pas connu le péché, mais pour communiquer aux eaux, par le contact de sa chair immaculée, la vertu de purifier les hommes dans le baptême. - S. GREG. DE NAZIANZE. Jésus-Christ voulut encore être baptisé, peut-être pour sanctifier Jean-Baptiste lui-même, mais sans aucun doute pour submerger et détruire dans l'eau le vieil Adam tout entier. - S. AMBR. Notre-Seigneur nous apprend d'ailleurs lui-même pourquoi il voulut recevoir le baptême, quand il dit : " C'est ainsi qu'il nous faut accomplir toute justice. " Or, en quoi consiste la justice ? à commencer par faire ce que vous voulez qu'on vous fasse à vous-mêmes et à donner le premier l'exemple. Que personne donc ne se refuse à recevoir le baptême de la grâce, quand Jésus-Christ n'a pas dédaigné de recevoir le baptême de la pénitence.

S. CHRYS. Il y avait un baptême chez les Juifs qui purifiait le corps de ses souillures, mais sans purifier la conscience de ses crimes ; notre baptême, au contraire, efface les péchés, purifie l'âme et communique l'abondance de l'Esprit saint. Le baptême de Jean était supérieur au baptême des Juifs ; car il ne demandait pas comme disposition nécessaire l'observance des purifications extérieures et légales, mais la conversion sincère du vice à la vertu. Cependant il était beaucoup moins efficace que le nôtre, parce qu'il ne conférait pas l'Esprit saint et ne donnait pas la rémission des péchés par la grâce sanctifiante ; c'était comme un milieu entre ces deux baptêmes. Or, Notre-Seigneur Jésus-Christ ne voulut recevoir ni le baptême des Juifs, ni le nôtre, parce qu'il n'avait aucun besoin de la rémission des péchés, et que sa chair, conçue dès le commencement par l'opération de l'Esprit saint, n'en avait jamais été séparée. Mais il voulut recevoir le baptême de Jean, pour que la nature même de ce baptême vous fit comprendre qu'il n'était baptisé ni pour obtenir la rémission des péchés, ni pour recevoir les dons de l'Esprit saint. L'Évangéliste nous dit que Jésus ayant été baptisé, priait, pour vous apprendre qu'après avoir reçu le baptême, la prière continuelle est un devoir pour tout chrétien. - BEDE. Tous les péchés, sans doute, sont effacés dans le baptême, mais la fragilité de cette chair périssable et mortelle est loin d'être affermie ; nous nous félicitons d'avoir traversé la mer Rouge où les Égyptiens ont été engloutis (Ex 14, 17), mais nous rencontrons dans le désert de la vie du monde d'autres ennemis dont il nous faut triompher par de grands efforts, sous la conduite de la grâce de Jésus-Christ, jusqu'à ce que nous parvenions à notre patrie. - S. CHRYS. L'Évangéliste ajoute : " Le ciel s'ouvrit, comme s'il était demeuré fermé jusque-là ; " mais désormais le bercail du ciel et celui de la terre n'en font plus qu'un, il n'y a plus qu'un seul pasteur des brebis, le ciel est ouvert, et l'homme, habitant de la terre, est associé aux anges qui habitent les cieux. - BEDE. Le ciel ne s'ouvrit pas pour Jésus, dont les yeux pénétraient jusque dans les profondeurs des cieux, mais ce miracle eut lieu pour nous montrer la vertu du baptême ; la porte du ciel est immédiatement ouverte à celui qui vient de le recevoir, et en même temps que sa chair innocente est plongée dans les eaux, le glaive de feu qui menaçait autrefois les, coupables se trouve éteint.

S. CHRYS. L'Esprit saint descendit aussi sur le Sauveur comme sur le principe et l'auteur de notre race, pour être premièrement en Jésus-Christ qui le reçut, non pas pour lui, mais bien plutôt pour nous-même : " Et l'Esprit saint descendit sur lui, " etc. Que personne donc ne pense qu'il reçut l'Esprit saint, comme s'il ne l'avait pas eu jusqu'alors ; car c'est lui-même qui, comme Dieu, l'envoyait du haut du ciel, et lui-même qui le recevait comme homme sur la terre. L'Esprit saint descendait de lui, c'est-à-dire de sa divinité, pour venir se reposer sur lui, c'est-à-dire sur son humanité. - S. AUG. (de la Trin., 15, 26.) Ce serait une énorme absurdité de penser que Jésus reçut l'Esprit saint à l'âge de trente ans ; il vint alors pour recevoir le baptême sans avoir de péché, mais non sans avoir l'Esprit saint ; car s'il est dit de Jean-Baptiste : " Il sera rempli de l'Esprit saint dès le sein de sa mère " (Lc 1), que doit-on penser de Jésus-Christ l'Homme-Dieu, dont la conception ne fut pas l'oeuvre de la chair, mais l'opération du Saint-Esprit ? Aujourd'hui donc il daigne porter la figure de son corps, c'est-à-dire de son Église, dans laquelle tous ceux qui sont baptisés reçoivent l'Esprit saint - S. CHRYS. Ce baptême présentait un mélange tout à la fois d'ancienneté et de nouveauté ; d'ancienneté, parce que Jésus recevait le baptême des mains d'un prophète ; de nouveauté, parce que l'Esprit saint descendit sur lui.

S. AMBR. Or, le Saint-Esprit apparut sous la forme d'une colombe, parce qu'il ne peut être vu dans la substance de sa divinité. Considérons encore les autres raisons mystérieuses pour lesquelles il apparut sous la forme d'une colombe. La grâce du baptême exige la simplicité, et veut que nous soyons simples comme des colombes ; la grâce du baptême exige aussi la paix du coeur, figurée par cette branche d'olivier qu'une colombe rapporta autrefois dans l'arche, qui fut seule préservée des eaux du déluge. - S. CHRYS. Ou bien encore, l'Esprit saint apparaît sous la forme d'une colombe, comme signe de la douceur du divin Maître, tandis que le jour de la Pentecôte, il descend sous l'image du feu, pour figurer les châtiments réservés aux coupables. En effet, lorsqu'il fallait pardonner les péchés, la douceur était nécessaire, mais maintenant que nous avons reçu la grâce, nous n'avons plus à attendre, si nous sommes infidèles, que le jugement et la condamnation. - S. CYPR. (de l'unité de l'Église.) La colombe est un animal aimable et simple, qui n'a ni fiel ni morsures cruelles, ni griffes déchirantes ; elle aime l'habitation de l'homme, elle s'attache à une seule maison. Lorsque les colombes ont des petits, ni le père ni la mère ne les quittent ; lorsqu'elles prennent leur essor, c'est toujours ensemble et de concert ; leurs baisers réciproques sont le signe et l'expression de l'affection qui les unit et de la parfaite concorde qui ne cesse de régner entre elles.

S. CHRYS. A la naissance de Jésus-Christ, bien des oracles avaient manifesté sa divinité, mais les hommes n'y prêtèrent aucune attention. Lors donc qu'il eût mené, pour un temps, une vie obscure et cachée, il se manifesta de nouveau par des signes plus éclatants. Une étoile, du haut du ciel, avait révélé sa naissance, mais dans les eaux du Jourdain, c'est l'Esprit saint qui descend sur lui, c'est le Père qui fait entendre sa voix au-dessus de sa tête pendant qu'on le baptise : " Et, du ciel, une voix se fit entendre : vous êtes mon Fils bien-aimé, " etc. - S. AMBR. Nous avons vu l'Esprit saint, mais sous une forme visible, écoutons maintenant la voix du Père que nous ne pouvons, voir. En effet, le Père est invisible, le Fils l'est également dans sa divinité, mais il s'est rendu visible dans le corps dont il s'est revêtu ; et comme le Père n'avait point ce corps, il a voulu nous prouver qu'il était présent dans le Fils en disant : " Vous êtes mon Fils bien-aimé. " - S. ATHAN. La sainte Écriture donne au nom de Fils deux significations différentes, la première, comme dans ce passage de l'Évangile : " Il leur a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu ; " la seconde, lorsque par exemple elle dit qu'Isaac est fils d'Abraham. Or, Jésus-Christ est appelé non pas simplement Fils de Dieu, mais avec l'addition de l'article : " Vous êtes mon Fils, " pour nous faire comprendre qu'il est le seul qui soit véritablement le Fils de Dieu par nature. Aussi est-il appelé encore : " Fils unique. " S'il était Fils de Dieu dans le sens absurde d'Arius, comme ceux qui n'obtiennent ce nom que par un effet de la grâce, il ne différerait en rien de nous autres. Il ne nous reste donc qu'à dire, dans le second sens, que Jésus-Christ est vraiment le Fils de Dieu, comme Isaac est vraiment le fils d'Abraham. En effet, celui qui est engendré naturellement par un autre, et qui ne tire point son origine d'un autre principe extérieur, est regardé comme le Fils par nature. Mais dira-t-on peut-être : Est-ce que la naissance du Fils a été accompagnée de souffrance comme la naissance de l'homme ? nullement. Dieu est indivisible, il est donc le Père impassible de son Fils, qui est appelé Verbe du Père, parce que le Verbe de l'homme lui-même est produit sans aucune souffrance. De plus, comme la nature divine est simple, Dieu est Père d'un seul Fils, c'est pourquoi il ajoute : " Bien-aimé. " - S. CHRYS. Car celui qui n'a qu'un fils concentre dans ce fils toute son affection, si au contraire il est père de plusieurs enfants, son affection s'affaiblit en se répandant sur chacun d'eux.

S. ATHAN. Le prophète avait été autrefois l'organe des promesses de Dieu, lorsqu'il disait par sa bouche : " J'enverrai le Christ mon Fils. " Aujourd'hui que cette promesse reçoit son accomplissement sur les bords du Jourdain, Dieu ajoute : " J'ai mis en vous mes complaisances. " - BEDE. Comme s'il disait : J'ai mis en vous mon bon plaisir, c'est-à-dire, j'ai résolu d'exécuter par vous toutes mes volontés. - S. GREG. (hom. 8 sur Ezéch.) Ou bien dans un autre sens, tout homme qui répare en se repentant, le mal qu'il a commis ; par le fait même de son repentir, indique qu'il se déplaît à lui-même, puisqu'il corrige le mal qu'il a fait. Ainsi le Père tout-puissant a parlé des pécheurs à la manière des hommes, quand il a dit : " Je me repens d'avoir fait l'homme, " et pour ainsi parler, il s'est déplu dans les pécheurs qu'il a créés. Mais Jésus-Christ est le seul dans lequel il s'est complu, parce qu'il est le seul dans lequel il n'a point trouvé de faute qui pût devenir pour lui l'objet d'un blâme ou d'un repentir.

S. AUG. (de l'acc. des Evang., 2, 14.) D'après saint Matthieu, Dieu aurait dit : " Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; " d'après saint Luc : " Vous êtes mon Fils bien-aimé ; " mais ces deux variantes expriment la même pensée. La voix céleste ne s'est servi que de l'une des deux, mais saint Matthieu a voulu montrer que ces paroles " Celui-ci est mon Fils bien-aimé, " avaient surtout pour objet de faire connaître à ceux qui les entendaient, que Jésus était le Fils de Dieu, car elles ne pouvaient apprendre à Jésus-Christ ce qu'il savait, c'est donc pour ceux qui étaient présents que cette voix se fit entendre.


vv. 23-38.
ORIG. (hom. 28.) Après avoir raconté le baptême du Seigneur, l'Évangéliste donne sa généalogie, non point en descendant des pères aux enfants, mais en remontant de Jésus-Christ jusqu'à Dieu même. Or Jésus avait, quand il commença son ministère, environ trente ans. Saint Luc dit qu'il commença, lorsqu'il eut reçu dans le baptême, comme une seconde et mystérieuse naissance, pour vous enseigner la nécessité de détruire la première naissance, afin de renaître mystérieusement une seconde fois. - S. GREG. (disc. 39.) Considérons quel est celui qui est baptisé, de qui il reçoit le baptême et à quel temps. C'est celui qui est la pureté même, qui reçoit le baptême des mains de Jean, après qu'il a déjà commencé à opérer des miracles, apprenons de là l'obligation de purifier d'abord notre âme, de pratiquer l'humilité, et de ne point nous charger du ministère de la prédication avant d'avoir atteint l'âge parfait aussi bien pour l'esprit que polir le corps. La première de ces leçons s'adresse à ceux qui veulent recevoir le baptême sans aucune disposition, sans y être aucunement préparés, sans y apporter cette vertu solide qui garantit les effets de la justification par la grâce, car le baptême remet sans doute et efface les péchés passés, mais on doit toujours craindre de retourner à son vomissement. La seconde leçon est pour ceux qui se montrent dédaigneux et fiers à l'égard des dispensateurs des saints mystères qu'ils voient plus élevés en dignité. La troisième leçon s'adresse à ceux qui, pleins de confiance dans leur jeunesse, s'imaginent qu'on peut à tout âge se charger de l'enseignement ou des fonctions redoutables de l'épiscopat. Eh quoi ! Jésus s'abaisse jusqu'à se purifier, et vous, vous dédaignez fièrement de le faire. Il s'humilie jusqu'à recevoir le baptême des mains de Jean-Baptiste, et vous affectez vis-à-vis de votre Maître un esprit d'indocilité et d'indépendance ? Jésus a trente ans lorsqu'il commence à enseigner, et vous à peine sorti de l'adolescence, vous croyez pouvoir enseigner les vieillards, sans avoir ni l'autorité de l'âge ni celle qui vient de la vertu ? M'alléguerez-vous l'exemple de Daniel et d'autres semblables, car celui qui fait mal est toujours prêt à justifier sa conduite. Je vous répondrai, moi, que ce qui arrive rarement, ne fait pas loi dans l'Église ; une seule hirondelle ne fait pas le printemps (on n'est pas géomètre pour avoir tracé une seule ligne, on n'est pas bon pilote après une seule navigation). S. CHRYS. On peut dire encore que Jésus attend pour accomplir toute la loi, l'âge où l'on est capable de tous les péchés, afin qu'on ne pût dire qu'il détruisait la loi parce qu'il ne pouvait l'observer. - CH. DES PER. GR. (Séver. d'Antioch.) On peut dire aussi qu'il reçoit le baptême à trente ans, pour montrer que la régénération spirituelle rend les hommes parfaits en proportion de l'âge spirituel. - BEDE. Enfin on peut dire que Notre-Seigneur a voulu être baptisé à l'âge de trente ans comme figure du mystère de notre baptême, où nous faisons profession de croire à la sainte Trinité et de pratiquer les préceptes du Décalogue. - S. GREG. DE NAZ. (Disc. 40.) Cependant on doit baptiser les petits enfants s'il y a nécessité, car il vaut mieux recevoir la justification sans en avoir la conscience, que de sortir de cette vie sans être marqué du signe sacré du baptême. Vous me direz peut-être Quoi ! Jésus-Christ qui était Dieu, attend l'âge de trente ans pour se faire baptiser, et vous voulez qu'on se hâte de recevoir le baptême ? En reconnaissant que Jésus-Christ était Dieu, vous avez répondu à cette objection. Il n'avait aucun besoin d'être purifié, il ne courait aucun danger en différant de recevoir le baptême ; pour vous, au contraire, vous vous exposez au plus grand des malheurs, si vous quittez cette vie avec cette seule naissance qui vous a engendré à une vie de corruption, et sans être revêtu du vêtement incorruptible de la grâce. Sans doute il est bon de conserver l'innocence et la pureté du baptême, mais il vaut mieux s'exposer à quelques légères souillures que d'être entièrement privé de la grâce qui sanctifie.

S. CYR. Quoique Jésus-Christ n'eût pas de père selon la chair, on croyait assez généralement qu'il en avait un, c'est cette opinion que l'Évangéliste exprime en disant : " Etant, comme l'on croyait, fils de Joseph. " - S. AMBR. Cette expression, " comme l'on croyait, " est très juste, car il ne l'était pas en effet, mais il passait pour l'être, parce que Marie sa mère était l'épouse de Joseph. Mais pourquoi donner la généalogie de Joseph plutôt que celle de Marie, alors que Marie a enfanté Jésus-Christ par l'opération de l'Esprit saint, et que Joseph est tout à fait étranger à cette divine naissance ? Nous aurions lieu d'en être surpris, si nous ne savions que c'est la coutume de l'Écriture, de remonter toujours à l'origine du mari plutôt que de la femme, ce qui est ici d'autant plus naturel, que Marie et Joseph avaient une même origine. En effet, comme Joseph était un homme juste, il dut choisir une épouse de sa tribu et de sa famille. Aussi à l'époque du dénombrement, nous voyons Joseph, qui était de la maison et de la famille de David, se rendre à Bethléem pour s'y faire inscrire avec Marie son épouse, qui était enceinte. Puisqu'elle se fait inscrire comme étant de la même tribu et de la même famille, c'est qu'elle en était en effet ; voilà donc pourquoi l'Évangéliste nous donne la génération de Joseph et la commence ainsi : " Qui fut fils d'Héli. " Mais remarquons que d'après saint Matthieu, Jacob, qui fut père de Joseph, est fils de Nathan, tandis que d'après saint Luc, Joseph, époux de Marie, est fils d'Héli. Or, comment un seul et même homme peut-il avoir deux pères, Héli et Jacob ? - S. GREG. DE NAZ. Quelques-uns prétendent qu'il n'y a qu'une seule généalogie de David à Joseph, mais reproduite sous des noms différents par les deux Evangélistes. Mais cette opinion est tout simplement absurde, puisque en tête de cette généalogie, nous voyons deux frères, Nathan et Salomon, tous deux souches de deux générations tout à fait distinctes.

EUSÈBE. (Hist. eccl., 1, 6.) Entrons plus avant dans l'intelligence de ces paroles si tandis que saint Matthieu affirme que Joseph est fils de Jacob, saint Luc, de son côté, affirmait également que Joseph est fils d'Héli, il y aurait quelque difficulté. Mais comme en face de l'affirmation de saint Matthieu, saint Luc ne fait qu'exprimer l'opinion d'un certain nombre de personnes, et non pas la sienne, en disant " Comme l'on croyait, " il ne peut y avoir de place pour le doute. En effet, il y avait parmi les Juifs partage d'opinions sur la personne du Christ ; tous le faisaient descendre de David par suite des promesses que Dieu lui avait faites ; mais la plupart croyaient qu'il devait descendre de David par Salomon et par les autres rois ses successeurs, tandis que d'autres rejetaient cette opinion à cause des crimes énormes dont plusieurs de ces rois s'étaient rendus coupables, et aussi parce que Jérémie avait prédit de Jéchonias, qu'aucun rejeton de sa race ne s'assoierait sur le trône de David (Jr 21). Or, c'est cette dernière opinion que rapporte saint Luc, bien qu'il sût que la généalogie rapportée par saint Matthieu, fût seule la vraie. A cette première raison nous pouvons en ajouter une plus profonde ; saint Matthieu commence son Évangile avant le récit de la conception et de la naissance temporelle de Jésus-Christ ; il était donc naturel qu'il fit précéder ce récit, comme dans toute histoire, de la généalogie de ses ancêtres selon la chair. Voilà pourquoi il donne cette généalogie en descendant des ancêtres aux enfants, parce qu'en effet, le Verbe divin est descendu en se revêtant de notre chair. Saint Luc, au contraire, saute comme d'un bond jusqu'à la nouvelle naissance que Jésus semble prendre dans les eaux du baptême, et il dresse une autre généalogie en remontant des derniers aux premiers, des enfants à leurs pères. De plus, il passe sous silence le nom des rois coupables que saint Matthieu avait inséré dans sa généalogie, parce que tout homme qui reçoit de Dieu une nouvelle naissance, devient étranger à ses parents coupables, en qualité d'enfant de Dieu, et il ne fait mention que de ceux qui ont mené une vie vertueuse aux yeux de Dieu. Car ainsi qu'il fut dit à Abraham : " Vous irez rejoindre vos pères, " (Gn 15), non pas vos pères selon la chair, mais vos pères selon Dieu, à cause de la conformité de votre vie avec leurs vertus. Ainsi saint Luc donne à celui qui a reçu de Dieu une nouvelle naissance des ancêtres selon Dieu, à cause de la ressemblance de moeurs qui existe entre les pères et les enfants. - S. AUG. (quest. sur l'Anc. et le Nouv. Test., quest. 65.) Oui bien encore, saint Matthieu descend de David par Salomon jusqu'à Joseph ; saint Luc au contraire remonte d'Héli contemporain du Sauveur par la ligne de Nathan fils de David, et il réunit les tribus d'Héli et de Joseph ; montrant ainsi qu'ils sont de la même famille, et qu'ainsi le Sauveur n'est pas seulement fils de Joseph, mais d'Héli. Par la même raison, en effet, que le Sauveur est appelé fils de Joseph, il est aussi le fils d'Héli et de tous les ancêtres de la même tribu ; vérité que l'Apôtre exprime en ces termes : " Qui ont pour pères les patriarches, et de qui est sorti selon la chair Jésus-Christ. " - S. AUG. (quest. év., 2, 5.) On peut donner trois différentes explications de cette divergence entre les deux généalogies de saint Matthieu et de saint Luc, ou bien, l'un donne le nom du père de Joseph, l'autre celui de son aïeul maternel ou d'un de ses ancêtres ; ou bien d'un côté nous avons le père naturel de Joseph, de l'autre son père adoptif ; ou bien encore l'un des deux qui nous sont donnés comme pères de Joseph, étant mort sans enfants, son plus proche parent aura épousé sa femme, selon la coutume des Juifs, et donné ainsi un enfant à celui qui était mort. - S. AMBR. La tradition nous apprend en effet, que Nathan qui descend de Salomon, eut un fils nommé Jacob, et mourut avant sa femme que Melchi épousa, et dont il eut un fils appelé Héli. Jacob à son tour étant mort sans enfants, Héli épousa sa femme et en eut pour fils Joseph, qui, d'après la loi, est appelé fils de Jacob, parce qu'Héli, conformément aux dispositions de la loi (Dt 25), donnait des enfants à son frère mort. - BEDE. Ou bien encore, on peut dire que Jacob, pour obéir à la loi, a épousé la femme de son frère Héli, mort sans enfants, et qu'il en eut Joseph, qui était son fils dans l'ordre naturel, mais qui d'après les prescriptions de la loi, était le fils d'Héli. - S. AUG. (de l'acc. des Evang., 1, 3.) Il est plus probable que saint Luc nous a donné la généalogie des ancêtres adoptifs de Joseph, puisqu'il ne dit pas que Joseph ait été engendré par celui dont il l'appelle le fils. On conçoit mieux, en effet, qu'on puisse appeler un homme le fils de celui qui l'a adopté, que de dire qu'il a été engendré par celui qui n'est pas son père naturel. Saint Matthieu, au contraire, en s'exprimant de la sorte : " Abraham engendra Isaac, Isaac engendra Jacob, " et en continuant ainsi jusqu'à la fin de la généalogie, qu'il termine en disant : " Jacob engendra Joseph, " nous indique assez clairement qu'il a voulu donner la généalogie des ancêtres naturels de Joseph, plutôt que la généalogie de ses ancêtres adoptifs. Mais supposons même que saint Luc ait dit que Joseph ait été engendré par Héli, il n'y aurait pas de quoi nous troubler ; ne peut-on pas dire en effet, sans absurdité, que celui qui adopte un fils l'engendre, non selon la chair, mais par l'affection qu'il lui porte ? Or saint Luc nous donne la généalogie des ancêtres adoptifs de saint Joseph, parce que c'est la foi au Fils de Dieu qui nous fait enfants adoptifs de Dieu, tandis que la généalogie naturelle nous apprend plutôt que c'est pour nous que le Fils de Dieu est devenu Fils de l'homme.

S. CHRYS. (hom. 31 sur l'Ep. aux Rom.) Comme cette partie de l'Évangile ne se compose que d'une suite de noms, elle ne parait offrir à quelques-uns rien de bien important. Pour ne pas tomber dans cette erreur, approfondissons cette partie de l'Évangile, car on peut trouver un riche trésor dans ces noms qui, pour la plupart, renferment de précieuses significations, puisqu'ils nous rappellent la bonté divine et la pieuse reconnaissance des saintes femmes qui donnaient aux enfants qu'ils avaient obtenus un nom commémoratif de la grâce qu'ils avaient reçue.

LA GLOSE. (interlin.) Héli signifie mon Dieu, ou celui qui monte, il fut fils de Mathat, c'est-à-dire qui pardonne les péchés, qui fût fils de Lévi, c'est-à-dire qui est ajouté. Saint Luc ne pouvait faire entrer dans sa généalogie un plus grand nombre des enfants de Jacob, sous peine de s'étendre inutilement dans une série de noms étrangers au but qu'il se proposait ; cependant il n'a point voulu passer entièrement sous silence les noms antiques et vénérables des patriarches, et il choisit entre tous les autres, Joseph, Juda, Siméon et Lévi, en qui semblent se personnifier quatre espèces de vertus. Juda, en effet, est la figure prophétique du mystère de la passion du Seigneur ; Joseph est le parfait modèle de la chasteté ; Siméon, le vengeur de la pudeur outragée, et Lévi, le représentant du ministère sacerdotal. - SUITE. Il fut fils de Melchi, c'est-à-dire mon roi ; qui le fut de Janné, c'est-à-dire main droite ; qui le fut de Joseph, c'est-à-dire accroissement (ce Joseph est différent du premier) ; qui le fut de Mathathias, c'est-à-dire don de Dieu ou quelquefois ; qui le fut d'Amos, c'est-à-dire qui charge ou qui a chargé ; qui le fut de Nahum, c'est-à-dire secourez-moi ; qui le fut de Mathat, c'est-à-dire désir ; qui le fut de Mathathias, même signification que ci-dessus ; qui le fut de Séméi, c'est-à-dire obéissant ; qui le fut de Joseph, c'est-à-dire accroissement ; qui le fut de Juda, c'est-à-dire qui loue ; qui le fut de Joanna, c'est-à-dire grâce du Seigneur ou miséricorde du Seigneur ; qui le fut de Résa, c'est-à-dire miséricordieux ; qui le fut de Zorobabel, c'est-à-dire prince ou maître de Babylone ; qui le fut de Salathiel, c'est-à-dire Dieu est l'objet de ma demande ; qui le fut de Néri, c'est-à-dire mon flambeau ; qui le fut de Melchi, c'est-à-dire mon royaume ; qui le fût d'Addi, c'est-à-dire robuste ou violent ; qui le fut de Cosan, c'est-à-dire prévoyant ; qui le fut d'Her, c'est-à-dire qui est vigilant, ou veille ou séduisant ; qui le fut de Jésus, c'est-à-dire Sauveur ; qui le fut d'Eliézer, c'est-à-dire mon Dieu est mon secours ; qui le fut de Jorim, c'est-à-dire secours de Dieu ; qui le fut de Mathath, même signification que ci-dessus ; qui le fut de Lévi, comme ci-dessus ; qui le fut de Siméon, c'est-à-dire qui a entendu la tristesse ou le signe ; qui le fut de Juda, c'est-à-dire qui loue ; qui le fut de Jona, c'est-à-dire colombe ou plaintif ; qui le fut d'Eliachim, c'est-à-dire résurrection de Dieu ; qui le fut de Melcha, c'est-à-dire son roi ; qui le fut de Menna, c'est-à-dire mes entrailles ; qui le fut de Mathathias, c'est-à-dire don de Dieu ; qui le fut de Nathan, c'est-à-dire qui a donné ou qui donne.

S. AMBR. Nathan personnifie le symbole de la dignité prophétique ; ainsi comme le seul Jésus-Christ réunit toutes les vertus, ces différents genres de vertus ont commencé par briller dans chacun de ses ancêtres.

" Qui fut fils de David. " - ORIG. (hom. 28.) Le Seigneur, en descendant du ciel sur la terre, s'est soumis en tout à la condition des pécheurs, et a voulu, comme le rapporte saint Matthieu, descendre de Salomon, dont les crimes sont inscrits dans les livres saints, et d'autres rois qui ont fait le mal devant Dieu. Mais quand il monte des eaux du baptême, où il vient de prendre comme une nouvelle naissance, ce n'est point de Salomon que saint Luc le fait descendre, mais de Nathan, qui vint reprocher à son père, David, la mort d'Urie et la naissance de Salomon.

S. GREG. DE NAZIANZE. A partir de David, la succession de la généalogie est la même dans les deux Évangélistes. - SUITE. " Qui fut fils de Jessé. " - GLOSE. (interl.) David veut dire qui est puissant, et Jessé signifie encens. - SUITE. Qui fut fils d'Obed, qui veut dire servitude ; qui le fut de Booz, c'est-à-dire fort ; qui le fût de Salomon, c'est-à-dire sensible ou pacifique ; qui le fut de Naasson, c'est-à-dire augure ou qui tient du serpent ; qui le fut d'Aminadab, c'est-à-dire le peuple volontaire ; qui le fut d'Aram, c'est-à-dire dressé ou élevé ; qui le fut d'Esrom, c'est-à-dire flèche ; qui le fut de Pharès, c'est-à-dire division ; qui le fut de Juda, c'est-à-dire qui loue ; qui le fut de Jacob, c'est-à-dire qui supplante ; qui le fut d'Isaac, c'est-à-dire rire ou joie ; qui le fut d'Abraham, qui veut dire père de beaucoup de nations ou qui voit le peuple.

S. CHRYS. (hom. 1.) Saint Matthieu, qui écrivait pour les Juifs, s'est proposé seulement d'établir dans son récit que Jésus-Christ descendait d'Abraham et de David, ce qui devait surtout satisfaire les Juifs. Saint Luc, au contraire, dont l'Évangile s'adressait à tous, poursuit la généalogie jusqu'à Adam. - SUITE. " Qui fût fils de Tharé. " - LA GLOSE. (interlin.) Tharé veut dire épreuve ou injustice ; qui fut fils de Nachor, c'est-à-dire repos de la lumière ; qui le fut de Sarug, c'est-à-dire courroie, ou qui tient les rênes ou perfection ; qui le fut de Ragaü, c'est-à-dire malade ou paissant ; qui le fut de Pharès, c'est-à-dire qui divise ou qui est divisé ; qui le fut d'Héber, c'est-à-dire passage ; qui le fut de Salé, c'est-à-dire qui enlève ; qui le fut de Cainan, qui veut dire lamentation ou leur possession. - BEDE. Ni le nom ni la génération de Cainan ne se trouvent dans le texte hébreu de la Genèse ou du livre des jours, où il est dit qu'Arphaxad fut le père immédiat de Sélaa ou Salé. Saint Luc a pris cette génération intermédiaire dans la version des Septante, où il est écrit qu'Arphaxad, âgé de cent trente-cinq ans, engendra Sélaa. - SUITE. " Qui fut fils d'Arphaxad. " - LA GLOSE. (interl.) Arphaxad veut dire qui répare la désolation ; qui fut fils de Sem, c'est-à-dire nom ou nommé ; qui le fut de Noé, c'est-à-dire repos. - S. AMBR. Le nom du juste Noé ne devait pas être omis dans la généalogie du Seigneur ; car puisqu'il venait au monde pour fonder son Église, il était juste qu'il comptât parmi ses ancêtres celui qui avait figuré l'établissement de l'Église dans la construction de l'arche. - SUITE. " Qui fut fils de Lamech. " - LA GLOSE. (interl.) Lamech veut dire humilié ou qui frappe, ou qui est frappé ou qui est humble ; qui le fut de Mathusalem, c'est-à-dire envoi de la mort ou qui est mort, ou qui interrogea. Les années de Mathusalem sont comptées avant le déluge ; car Jésus-Christ n'ayant été soumis dans sa vie à aucunes vicissitudes de l'âge, ne devait point non plus ressentir les effets du déluge dans ses ancêtres. " Qui fut fils d'Enoch. " Enoch est un signe éclatant de la sainteté du Seigneur et de sa divinité, en ce que le Seigneur n'a pas été soumis à la mort, et qu'il est remonté au ciel, de même qu'Enoch, un de ses ancêtres avait été enlevé dans le ciel. Nous voyons par là que Jésus-Christ aurait pu ne pas mourir, mais qu'il a voulu mourir à cause des grands avantages que devait nous procurer sa mort. Enoch fut enlevé dans le ciel de peur que le mal ne vînt à changer les dispositions de son coeur (Sg 4, 11 ; He 11, 5). Mais quant au Seigneur, qui était inaccessible à la méchanceté du siècle, il est remonté par un effet de sa puissance divine dans le lieu d'où il était descendu. - BEDE. En remontant du Fils de Dieu baptisé jusqu'à Dieu le Père, saint Luc place comme à dessein le soixante-dixième. Enoch qui fut transporté dans le paradis sans passer par la mort, pour signifier que ceux qui ont été régénérés dans l'eau et l'Esprit saint, par la grâce de l'adoption des enfants, seront reçus dans le repos éternel ; car le nombre soixante-dix, à cause du jour du sabbat qui est le septième, figure le repos de ceux qui ont accompli le décalogue de la loi par le secours de la grâce de Dieu. - LA GLOSE. (interl.) Enoch veut dire dédicace ; qui fut fils de Jared, c'est-à-dire qui descend ou qui contient ; qui le fut de Malalehel, c'est-à-dire loué de Dieu ou louant Dieu ; qui le fut de Caïnan, dont la signification est la même que précédemment ; qui le fut d'Enos, c'est-à-dire homme, ou désespérant ou violent ; qui le fut de Seth, c'est-à-dire position ou qui posa. - S. AMBR. Le nom de Seth, le dernier fils d'Adam, n'est pas omis dans cette généalogie ; car comme il y a deux générations de peuples différents, le nom de Seth signifie que le Christ doit faire partie de la seconde génération plutôt que de la première.

" Qui fut fils d'Adam. " - LA GLOSE. (interlin.) Adam veut dire homme ou terrestre, ou qui a besoin. - S. AMBR. Quoi de plus beau et de plus convenable que de commencer cette sainte généalogie par le Fils de Dieu, et de la conduire jusqu'au Fils de Dieu. Ainsi celui qui est créé, précède comme figure celui qui naît ensuite Fils de Dieu en vérité. Nous voyons paraître d'abord celui qui a été fait à l'image de Dieu et pour le salut duquel l'image substantielle de Dieu est descendue sur la terre. Saint Luc a cru encore devoir faire remonter jusqu'à Dieu l'origine de Jésus-Christ, parce que Dieu a véritablement engendré le Christ, soit dans l'éternelle et véritable génération, soit dans le baptême, où il lui communique comme une nouvelle et mystérieuse naissance. Aussi n'a-t-il point commencé son Évangile par la généalogie du Sauveur, mais il ne la place qu'après le récit de son baptême, pour montrer ainsi qu'il était le Fils de Dieu et par nature, et par la grâce. Et encore, quelle preuve plus évidente de la divine génération de Jésus-Christ que de faire précéder l'exposé de sa généalogie de ces paroles solennelles du Père : " Celui-ci est mon Fils bien-aimé. " - S. AUG. (de l'acc. des Evang., 2, 3.) Saint Luc, en donnant Joseph comme fils d'Héli, n'a point voulu nous faire entendre qu'il était son fils naturel et véritable, mais son fils adoptif, et une preuve évidente, c'est qu'il dit dans le même sens qu'Adam est fils de Dieu, lorsque chacun sait qu'après avoir été créé de Dieu, Adam fut placé dans le paradis, et qu'il devint comme le Fils de Dieu par un effet de cette grâce, qu'il perdit bientôt par son péché. -THEOPHYL. L'Évangéliste poursuit la généalogie jusqu'à Dieu, qui la termine, et il nous apprend ainsi, d'abord que Jésus-Christ élèvera jusqu'à Dieu les personnages qui en forment la succession intermédiaire, et qui deviendront ainsi fils de Dieu ; secondement, il veut nous convaincre que la génération du Christ était toute en dehors des voies naturelles, comme s'il disait : Si vous ne pouvez croire que la génération du second Adam n'est point due aux causes naturelles, remontez jusqu'au premier Adam, et vous trouverez que Dieu lui a donné l'existence sans avoir besoin de ces causes naturelles.

S. AUG. (de l'accord des Evang., 2, 4.) Saint Matthieu a voulu surtout nous représenter le Seigneur descendant jusqu'à notre nature faible et mortelle ; dans ce dessein, il commence son Évangile par la généalogie de Jésus-Christ en descendant d'Abraham jusqu'à Jésus-Christ. Saint Luc, au contraire, ne donne cette généalogie qu'après le récit du baptême de Jésus-Christ, et il suit un ordre tout différent, c'est-à-dire qu'il remonte des enfants à leurs pères ; son but est surtout de faire ressortir dans la personne du Sauveur le caractère du. pontife qui doit effacer les péchés, c'est pourquoi il donne sa généalogie après qu'une voix du ciel a fait connaître ce qu'il était, après que Jean-Baptiste lui a rendu ce témoignage : " Voilà celui qui efface les péchés du monde ", et en remontant ainsi des enfants à leurs pères, il arrive jusqu'à Dieu avec lequel nous sommes réconciliés par la grâce qui expie nos crimes et nous en purifie. - S. AMBR. Ceux qui ont suivi l'ordre ancien ne sont pas pour cela en contradiction avec notre Évangéliste. Ne soyez pas non plus surpris si d'Abraham à Jésus-Christ vous trouvez dans saint Luc un plus grand nombre de générations que dans saint Matthieu, puisque vous reconnaissez que ces deux Évangélistes donnent la généalogie du Sauveur par des personnages tout différents. Il a pu très bien arriver, en effet, que les personnages d'une généalogie aient vécu plus longtemps, tandis que les personnages de l'autre sont morts dans un âge peu avancé ; puisque nous voyons des vieillards vivre assez longtemps pour voir leurs petits enfants, tandis que nous en voyons d'autres mourir presque aussitôt la naissance de leurs propres enfants. - S. AUG. (Quest. évang., 2, 6.) C'est par une raison pleine de convenance que saint Luc compte soixante-dix-sept personnes dans sa généalogie, et qu'il suit l'ordre ascendant ; il figure ainsi notre élévation vers Dieu, avec lequel nous sommes réconciliés par la rémission de nos péchés ; car le baptême remet tous les péchés figurés par ce nombre. En effet, onze fois sept font soixante-dix-sept. Or, le nombre dix exprime le bonheur parfait, donc le nombre supérieur au nombre dix représente le péché qui, par orgueil, vent avoir plus. Ce nombre se trouve multiplié sept fois pour indiquer que cette transgression vient de l'action volontaire de l'homme. En effet, le nombre trois représente dans l'homme la partie immatérielle (cf. Lc 10, 27) ; et le nombre quatre, la partie corporelle. Or, le mouvement et l'action ne sont point représentés par les nombres, lorsque nous disons : un, deux, trois ; mais bien lorsque nous comptons une fois, deux fois, trois fois ; donc la multiplication du nombre sept par onze, signifie que la transgression est le résultat de la volonté de l'homme.