CATANA AUREA SUR SAINT LUC
ÉVANGILE DE SAINT LUC PAR SAINT THOMAS
SAINT THOMAS D'AQUIN CATENA AUREA SUR SAINT LUC
CHAPITRE
XXII
vv. 1-2.
S. CHRYS. Les solennités des Juifs étaient l'ombre et la figure
des nôtres ; si donc vous interrogez un juif sur la pâque et les
azymes, il ne vous répondra rien de bien élevé, et se contentera
de vous rappeler la délivrance de la captivité d'Égypte.
Si, au contraire, vous me faites la même question, je ne vous parlerai
ni de l'Égypte, ni de Pharaon, mais de la délivrance du péché
et des ténèbres du démon, accomplie, non par Moïse,
mais par le Fils de Dieu. - La GLOSE. En commençant le récit de
la passion du Sauveur, l'Évangéliste parle d'abord de ce qui en
était la figure : " La fête des pains sans levain, appelée
la pâque, était proche. " - BEDE. Le mot pâque, en hébreu
phase, ne tire pas son nom du mot souffrance, mais du mot passage, parce que
l'ange exterminateur, voyant le sang de l'agneau sur les portes des Israélites,
passa sans mettre à mort leurs premiers-nés ; ou encore, parce
que le Seigneur lui-même vint du ciel et passa au milieu d'eux pour secourir
son peuple. Or, la pâque diffère des azymes, en ce que le nom de
pâque est donné exclusivement au jour où l'on devait immoler
l'agneau (c'est-à-dire le quatorzième de la lune du premier mois),
tandis que le quinzième de la lune, jour de la sortie d'Égypte,
commençait la fête des azymes qui durait sept jours, jusqu'au vingt
et unième jour du même mois. C'est pourquoi les Évangélistes
emploient indifféremment ces deux noms, comme dans cet endroit : "
Le jour des azymes qui est appelé la pâque. " Le sens mystique
de cette interprétation est que Jésus-Christ, qui a souffert une
fois pour nous, nous fait un devoir de vivre dans les azymes de la sincérité
et de la vérité (1 Co 5, 7-8), pendant toute la durée de
cette vie, qui se compose de révolutions successives de sept jours.
S. CHRYS. (hom. 80 sur S. Matth.) Les princes des prêtres concertent des
projets criminels même pendant cette fête : " Et les princes
des prêtres cherchaient un moyen pour faire mourir Jésus, "
etc. D'après les prescriptions de Moïse, il ne devait y avoir qu'un
seul grand prêtre, et ce n'est qu'à sa mort qu'on pouvait en créer
un autre. Mais comme les observances judaïques commençaient à
se relâcher, on nommait chaque année plusieurs grands prêtres.
Or, en voulant faire mourir Jésus, ils ne craignent point que la justice
divine ne punisse un forfait d'autant plus énorme, qu'ils le commettaient
dans ces jours sacrés, et ils redoutent beaucoup plus les hommes : "
Mais ils craignaient le peuple. " - BEDE. Ce n'est pas qu'ils craignissent
une sédition, mais ils avaient peur que le peuple ne vînt le délivrer
de leurs mains. Ceci se passa, d'après saint Matthieu, deux jours avant
la pâque, dans la maison de Caïphe, où ils étaient
assemblés.
vv. 3-6.
THEOPHYL. Les princes des prêtres cherchaient donc le moyen de mettre
Jésus à mort, sans courir de danger ; l'Évangéliste
raconte maintenant le moyen d'exécution qui vint s'offrir à eux
: " Or, Satan entra dans Judas. " Il entra dans Judas sans violence,
et comme dans une place ouverte ; car, absorbé tout entier par son avarice,
il avait oublié tous les prodiges qu'il avait vus. - S. CHRYS. (hom.
81 sur S. Matth.) L'auteur sacré fait connaître son surnom, qui
était Iscariote, parce qu'il y avait un autre Judas. Il ajoute : "
L'un des douze apôtres, " car Judas complétait le nombre,
mais il était loin de remplir les devoirs d'un apôtre. - S. CHRYS.
Ou encore, l'Évangéliste fait mention de cette circonstance, pour
établir un contraste, comme s'il disait : Il était de la première
compagnie que Jésus avait choisie avec le plus de soin. "
BEDE. Il n'y a aucune contradiction entre le récit de saint Luc, et ce
que dit saint Jean, que Satan entra dans Judas après le morceau de pain
que Jésus lui avait présenté. (Jn 13, 27.) Il entra la
première fois comme sur un terrain qui n'était pas à lui,
et pour tenter Judas, il entra la seconde fois comme dans un coeur qui lui appartenait,
et pour le plier à toutes ses volontés. - S. CHRYS. Considérez
ici l'insigne méchanceté de Judas ; c'est lui-même qui se
charge de cet odieux forfait, et il met à prix sa trahison : " Et
il s'en alla conférer avec les princes des prêtres et les officiers
du temple, sur les moyens de le leur livrer, et ils en furent pleins de joie.
" - THEOPHYL. Ces officiers sont ceux qui étaient chargés
de veiller à l'entretien et à la garde du temple, ou bien ceux
que les Romains avaient établis pour prévenir les séditions
auxquelles le peuple juif était porté.
S. CHRYS. Or, ce fut l'avarice qui fut la cause de la perte de Judas : " Et ils convinrent de lui donner de l'argent. " Telles sont les passions qu'engendre l'avarice, elle précipite les hommes dans l'impiété et dans l'ignorance de Dieu ; et alors même qu'ils ont reçu des bienfaits sans nombre, elle les porte à se déclarer contre leurs bienfaiteurs : " Et il le leur promit. " - THEOPHYL. C'est-à-dire qu'il s'engagea de son côté à livrer Jésus : " Et il cherchait une occasion favorable de le leur livrer, sans exciter de troubles, " c'est-à-dire qu'il épiait le moment où il le verrait éloigné de la foule. - BEDE. Combien en est-il qui ont en horreur le crime de Judas, et qui ne laissent pas de l'imiter. Car celui qui viole les droits de la charité et de la vérité, trahit Jésus-Christ (qui est la vérité et la charité), surtout lorsque sa trahison n'est l'effet ni de la faiblesse ni de l'ignorance, mais qu'à l'exemple de Judas, il cherche l'occasion de trahir sans témoin la vérité par le mensonge, et la vertu par le crime.
vv. 7-13.
TITE DE BOST. Notre-Seigneur voulait nous donner la pâque céleste,
il se soumet pour cela à manger la pâque figurative, et il supprime
le symbole pour lui substituer la vérité : " Vint le jour
des azymes, " etc. - BEDE. L'Évangéliste appelle jour des
azymes le quatorzième jour du premier mois, dans lequel on avait coutume
de faire disparaître tout pain fermenté, et d'immoler vers le soir
la pâque, c'est-à-dire l'agneau pascal. - EUSEBE. (Ch. des Pèr.
gr.) On me dira peut-être : Puisque les disciples ont préparé,
le premier jour des azymes, ce qu'il fallait pour que leur divin Maître
pût manger la pâque, nous devons aussi célébrer la
pâque le même jour, je réponds que ce n'est pas ici une prescription,
mais le simple récit d'un fait qui a eu lieu au temps de la passion du
Sauveur, et que le récit d'un fait qui s'est passé est tout différent
de l'établissement d'une règle qui oblige pour l'avenir. Je dirai
plus, c'est que le Sauveur n'a point mangé la pâque le jour où
les Juifs immolaient l'agneau pascal ; car cette immolation n'eut lieu que la
veille du sabbat, le jour même de la passion du Seigneur : c'est pour
cela qu'ils n'entrèrent point dans le prétoire de Pilate, afin
de pouvoir manger la pâque. (Jn 19.) Du moment qu'ils conspirèrent
contre la vérité, ils ne craignirent plus de s'écarter
des règles tracées par la vérité, et ils ne mangèrent
plus la pâque, comme ils avaient coutume de le faire le premier jour des
azymes, où la pâque devait être immolée (car ils étaient
occupés de bien autre chose), mais ils la célébrèrent
le jour suivant, qui était le second jour des azymes. Le Seigneur, au
contraire, célébra la pâque avec ses disciples le premier
jour des azymes, c'est-à-dire le cinquième jour après le
sabbat.
THEOPHYL. Ce même jour qui était le cinquième, il envoya
pour préparer la pâque deux de ses disciples, Pierre, le plus ardent
pour son Maître, et Jean, celui qui en était le plus aimé
: " Il envoya Pierre et Jean pour préparer ce qu'il fallait, "
etc. C'est ainsi qu'il se montre en tout fidèle observateur de la loi
jusqu'à la fin de sa vie. Il envoie ses disciples dans une maison étrangère
; car ni lui ni ses disciples n'avaient de maison en propre, autrement il eût
célébré la pâque chez l'un d'eux : " Ils lui
dirent donc : Où voulez-vous que nous la préparions ? " -
BEDE. Comme s'ils disaient : Nous n'avons ni demeure ni habitation. Entendez
ces paroles, vous qui mettez tous vos soins à vous construire des maisons
sur la terre, et apprenez que le Christ, le Maître de toutes choses, n'avait
même pas où reposer sa tête. - S. CHRYS (hom. 82 sur S. Matth.)
Comme ils ne connaissaient point celui à qui Notre-Seigneur les envoyait,
il leur donna pour le reconnaître un signe semblable à celui que
Samuel avait donné à Saul (1 R 10, 2 ) : " Il leur répondit
: En entrant dans la ville, vous rencontrerez un homme portant une cruche d'eau
; suivez-le dans la maison où il entrera. "
S. AMBR. Considérez d'abord la puissance de la divinité dans ces
paroles du Sauveur, il s'entretient avec ses disciples, et il sait ce qui doit
se passer dans un autre endroit. Admirez ensuite sa condescendance ; ce n'est
ni un riche ni un puissant du siècle, mais un pauvre dont il choisit
la maison, et il préfère cette étroite et modeste demeure
aux palais des grands. Le Seigneur connaissait le nom de celui dont il prévoyait
ainsi la mystérieuse rencontre, mais il le désigne sans le nommer,
pour faire ressortir son humble condition. - THEOPHYL. Ou encore, il les adresse
à un homme inconnu, pour leur faire comprendre que c'était volontairement
qu'il allait souffrir dans sa passion. En effet, celui qui pouvait inspirer
à cet inconnu des dispositions si favorables pour ses disciples, aurait
bien pu aussi amener les Juifs à faire tout ce qu'il aurait voulu. Quelques-uns
pensent que le Sauveur ne voulut point dire le nom de cet homme, de peur que
le traître, venant à savoir ce nom, ne fît connaître
la maison aux pharisiens, qui auraient pu venir s'emparer de lui avant qu'il
eût célébré la cène et distribué aux
disciples les augustes mystères ; il se contente de leur donner quelques
signes pour trouver cette maison : " Et vous direz au maître de cette
maison : Le Maître vous mande : Où est le lieu où je mangerai
la pâque avec mes disciples ? Et il vous montrera une grande salle meublée,
" etc. - LA GLOSE. Les disciples ayant reconnu les signes qui leur avaient
été donnés, accomplirent exactement ce qui leur avait été
prescrit : " S'en allant donc, ils trouvèrent tout comme Jésus
leur avait dit, et ils préparèrent la pâque. " - BEDE.
L'apôtre saint Paul, parlant de cette pâque, nous dit : " Notre
agneau pascal, Jésus-Christ a été immolé, "
(1 Co 5.) Il fallait que cette pâque fût alors immolée, pour
obéir à un ordre tout divin, et au décret du Père
céleste ; et bien que le Sauveur n'ait été crucifié
que le jour suivant, c'est-à-dire le quinzième jour de la lune
; cependant il fut arrêté et chargé de chaînes la
nuit même où l'agneau pascal était immolé par les
Juifs, et il consacra ainsi les préliminaires de son immolation ou de
sa passion.
THEOPHYL. Par le jour des azymes, il nous faut entendre cette vie lumineuse
et toute spirituelle, qui n'a rien de commun avec la vie ancienne, suite de
la faute de notre premier père, et lorsque nous vivons de cette vie,
nous devons mettre toute notre joie dans les mystères de Jésus-Christ.
C'est Jean et Pierre qui nous préparent ces mystères, c'est-à-dire
l'action et la contemplation ; la ferveur du zèle et la douceur de la
paix. Ces deux disciples rencontrent un homme, parce que ces deux vertus nous
font retrouver l'homme qui a été créé à l'image
de Dieu. Cet homme porte une cruche d'eau, symbole de la grâce de l'Esprit
saint. Ce vase figure l'humilité du coeur, car Dieu ne donne sa grâce
qu'aux humbles qui reconnaissent qu'ils ne sont que cendre et poussière.
- S. AMBR. Ou encore, ce vase c'est la mesure de la perfection, et cette eau
est celle qui a mérité de devenir la matière du sacrement
de Jésus-Christ, et de purifier au lieu d'être elle-même
purifiée.
BEDE. Les disciples préparent la pâque là où ils
voient cet homme porter la cruche d'eau, parce que le temps était venu
où le sang devait cesser de marquer la porte de ceux qui célèbrent
la pâque véritable, pour être remplacé par la source
vivifiante du baptême qui efface les péchés. - ORIG. (Traité
35 sur S. Matth.) Cet homme que les disciples rencontrèrent à
leur entrée dans la ville, portant une cruche d'eau, était, à
mon avis, un des serviteurs du père de famille, qui portait dans un vase
de terre l'eau destinée à la boisson ou aux purifications légales,
et je pense qu'il était la figure de Moïse, dont la doctrine spirituelle
était contenue dans le récit de faits extérieurs. Ceux
qui ne peuvent atteindre à cette doctrine spirituelle, ne célèbrent
point la pâque avec Jésus. Montons donc avec le Seigneur lui-même,
qui est au milieu de nous, à cet endroit plus élevé où
se trouve le lieu du festin, et que l'intelligence (figurée par le père
de famille), découvre à chacun des disciples de Jésus-Christ.
Que cette salle située dans l'endroit le plus élevé de
la maison, soit grande pour recevoir Jésus, le Verbe de Dieu, qui ne
peut être reçu que par les âmes vraiment grandes. Que ce
soit le père de famille (c'est-à-dire, l'intelligence), qui prépare
cette demeure pour le Fils de Dieu, qu'elle soit purifiée et ne conserve
plus aucune des souillures de l'iniquité. Que le nom du maître
de cette maison ne soit point connu de la foule, comme l'indiquent ces paroles
de Jésus dans saint Matthieu : " Allez dans la ville chez un tel.
" - S. AMBR. Cet homme a une grande salle au haut de sa maison, ce qui
vous fait comprendre quel mérite éminent doit avoir celui en qui
le Seigneur vient prendre avec ses disciples un doux repos au milieu des plus
sublimes vertus. - ORIG. N'oublions pas que ceux qui passent leur vie dans les
plaisirs de la table et les sollicitudes de ce monde, ne montent point dans
cette salle supérieure et ne célèbrent point la pâque
avec Jésus. Car ce n'est qu'après que les paroles des disciples
ont instruit le père de famille, c'est-à-dire, l'intelligence,
que Dieu vient avec ses disciples dans cette maison pour y célébrer
le festin sacré.
vv. 14-17.
S. CYR. Après que les disciples eurent préparé ce qu'il
fallait pour célébrer la pâque, l'heure vint de la manger
: " Et l'heure étant venue, " etc. - BEDE. L'heure de manger
la pâque, c'est le soir du quatorzième jour du premier mois, au
moment où la lune du quinzième jour se lève. - THEOPHYL.
Mais pourquoi l'Évangéliste nous dit-il que le Seigneur se mit
à table, puisque les Juifs devaient se tenir debout pour manger l'agneau
pascal ? Nous répondons qu'après avoir mangé l'agneau pascal,
suivant les prescriptions de la loi, ils se mirent à table, suivant l'usage,
pour prendre d'autres aliments.
" Et il leur dit : J'ai désiré d'un grand désir de
manger cette pâque avec vous, " etc. - S. CYR. Notre-Seigneur s'exprime
de la sorte, parce que l'avare disciple épiait le moment où il
pourrait livrer son divin Maître, mais le Sauveur n'avait fait connaître
ni la maison ni le nom de celui chez qui il devait célébrer la
pâque, pour qu'on ne pût se saisir de sa personne avant qu'il l'eût
célébrée, et il donne ici la raison de cette conduite.
- THEOPHYL. Ou encore : " J'ai désiré d'un grand désir,
" c'est-à-dire, c'est la dernière cène que je fais
avec vous, aussi m'est-elle précieuse et chère. Ainsi ceux qui
partent pour un long voyage, adressent à leurs amis leurs plus tendres
adieux. - S. CHRYS. Ou encore, il s'exprime ainsi, parce que cette pâque
devait être suivie de sa mort sur la croix ; or, nous voyons que plusieurs
fois, pendant sa vie, il prédisait sa passion et manifestait le désir
ardent de la voir arriver. - BEDE. Il désire manger d'abord avec ses
disciples la pâque figurative et révéler ainsi au monde
les mystères de sa passion. - EUSEBE. Ou bien encore, le Seigneur étant
sur le point d'instituer une pâque nouvelle, il dit avec raison : "
J'ai désiré ardemment cette pâque, " c'est-à-dire,
le mystère nouveau du Nouveau Testament qu'il donnait à ses disciples,
et que tant de prophètes et de justes avaient désiré voir.
Or, comme il avait soif du salut de tous les hommes, il instituait un mystère
qui devait être célébré dans le monde entier, tandis
que la pâque établie par Moïse ne pouvait être célébrée
que dans un seul endroit, c'est-à-dire, à Jérusalem ; elle
n'était donc point destinée à toutes les nations et ne
pouvait être l'objet d'un désir si ardent. - S. EPIPH. (Liv. 1
cont. les hérés., 30, 22.) Ce fait seul peut servir à confondre
l'erreur insensée des ébionites sur l'usage de la chair, puisque
le Sauveur a mangé l'agneau pascal des Juifs, et il dit expressément
: " J'ai désiré manger cette pâque, " afin qu'on
ne puisse l'entendre autrement.
BEDE. Notre-Seigneur donne ainsi par son exemple son approbation à la pâque légale, et en même temps il en interdit désormais la célébration, en enseignant qu'elle n'était que la figure des mystères qu'il venait révéler : " Car je vous le dis, je ne la mangerai plus jusqu'à ce qu'elle soit accomplie dans le royaume de Dieu, " c'est-à-dire, je ne célébrerai plus la pâque mosaïque, jusqu'à ce que Je mystère dont elle est la figure, soit accompli dans l'Eglise, car elle est vraiment le royaume de Dieu, selon cette parole : " Le royaume de Dieu est au milieu de vous. " (Lc 17.) C'est encore à cette pâque ancienne à laquelle le Sauveur voulait mettre fin que se rapportent les paroles qui suivent : " Et prenant le calice, il rendit grâces et dit : Prenez et partagez entre vous, " etc. Il rend grâces, parce que toutes les cérémonies de l'ancienne loi allaient finir et céder la place à des rites tout nouveaux. - S. CHRYS. (Disc. 1 sur Lazare.) Lorsque vous prenez place à table, souvenez-vous que la prière doit succéder au repas ; mangez donc avec modération et sobriété, de peur qu'appesantis par les excès de la table, vous ne puissiez ni fléchir les genoux, ni prier Dieu. Après nos repas, ne nous dirigeons donc pas aussitôt vers notre lit, mais livrons-nous à la prière, car évidemment le Sauveur a voulu nous enseigner ici qu'au repas doivent succéder, non le sommeil et le repos, mais la prière et la lecture des saintes Écritures : " Car je vous le dis ; je ne boirai plus du fruit de la vigne, jusqu'à ce que vienne le royaume de Dieu. " - BEDE. Ces paroles peuvent être entendues simplement en ce sens, que le Sauveur ne devait plus boire de vin depuis cette heure de la cène jusqu'au temps de sa résurrection où il devait venir établir le royaume de Dieu. En effet, saint Pierre atteste qu'ils le virent alors manger et boire avec eux : " Il s'est manifesté à nous qui avons mangé et bu avec lui depuis sa résurrection. " (Ac 10, 41.) - THEOPHYL. La résurrection de Jésus-Christ est appelée le royaume de Dieu, parce qu'elle a détruit l'empire de la mort, ce qui a fait dire à David : " Le Seigneur a régné, il s'est revêtu de gloire, " c'est-à-dire que, selon la prophétie d'Isaïe, il s'est dépouillé de la corruption du corps pour se revêtir d'un vêtement de magnificence et d'honneur. Or, après sa résurrection, il a voulu boire en présence de ses disciples, pour leur prouver que sa résurrection était réelle. - BEDE. Cependant, il est plus logique de dire que Notre-Seigneur déclare qu'il ne boira plus le vin de in pâque comme il a déclaré précédemment qu'il ne mangerait plus l'agneau figuratif, jusqu'à ce que la manifestation de la gloire de son royaume fît embrasser la foi chrétienne à tout l'univers, et que le changement spirituel des deux grandes prescriptions de la loi (la nourriture et le breuvage de la pâque), vous fît comprendre que toutes les observances figuratives de la loi ne seraient plus désormais accomplies que d'une manière spirituelle.
vv. 19-20.
BEDE. Après avoir accompli les cérémonies solennelles de
la pâque ancienne, le Sauveur institue la nouvelle pâque, et commande
à son Église de la célébrer en mémoire du
mystère de la rédemption. Établi prêtre selon l'ordre
de Melchisédech (Ps 109, et He 7), il remplace la chair et le sang de
l'agneau par le sacrement de son corps et de son sang sous les espèces
du pain et du vin : " Et ayant pris du pain il rendit grâces. "
Il avait déjà rendu grâces en mettant fin à la pâque
ancienne, et il nous enseigne ainsi par son exemple à louer, à
glorifier Dieu au commencement comme à la fin de chacune de nos bonnes
oeuvres. " Il le rompit. " Il rompt lui-même le pain qu'il donne
à ses disciples, pour montrer que son corps ne sera brisé dans
sa passion que par sa volonté : " Et il le leur donne en disant
: Ceci est mon corps qui est donné pour vous. " - S. GREG. DE NYSSE.
(sur le bapt. de Jésus-Christ.) Avant la consécration, le pain
est un pain ordinaire, mais aussitôt le mystère de la consécration,
il devient et il est appelé le corps de Jésus-Christ.
S. CYR. Ne doutez point de cette vérité, puisque le Fils de Dieu
vous dit clairement : " Ceci est mon corps. " Mais plutôt recevez
avec foi les paroles du Sauveur, car il est la vérité et ne peut
mentir. C'est donc une erreur autant qu'une folie, de dire que l'effet de la
consécration mystérieuse cesse, lorsqu'on réserve pour
le jour suivant quelques fragments du pain consacré, car aucun changement
ne se fait dans le corps sacré de Jésus-Christ, et il conserve
toujours la vertu de la consécration aussi bien que la grâce qui
donne la vie (Liv. 4 sur Jn 14). Car la vertu vivifiante de Dieu le Père,
c'est le Verbe, son Fils unique, qui s'est fait chair sans cesser d'être
le Verbe, et qui a communiqué à sa chair une vertu vivifiante
(chap. 23). Si vous trempez un peu de pain dans une liqueur quelconque, il s'imprègne
aussitôt du goût de cette liqueur. C'est ainsi que le Verbe de Dieu,
source de vie, communique cette vertu vivifiante à sa chair par l'union
étroite qu'il a contractée avec elle. Pouvons-nous en conclure
que notre corps a part aussi à cette vertu vivifiante, parce que la vie
de Dieu est en nous, et que le Verbe de Dieu demeure dans notre âme ?
Non, car il y a une différence entre la participation que le Fils de
Dieu nous donne à sa vertu lorsqu'il demeure en nous, et l'union étroite
par laquelle il s'est incarné dans le corps qu'il a pris dans le sein
de la vierge Marie, et dont il a fait son propre corps. Il était convenable,
en effet, que le Fils de Dieu s'unit à nos corps par sa chair sacrée
et son sang précieux que nous recevons sous les espèces du pain
et du vin, pour nous communiquer une bénédiction vivifiante. Nous
aurions eu horreur de la chair et du sang placés sur les saints autels,
Dieu, plein de condescendance pour notre faiblesse, a donc communiqué
aux dons offerts une vertu vivifiante en les changeant véritablement
en sa propre chair, afin que ce corps vivifiant soit en nous comme une semence
de vie, il ajoute : " Faites ceci en mémoire de moi. " - S.
CHRYS. (hom. 46 sur S. Jean.) Jésus-Christ a institué ce mystère
pour nous faire contracter avec lui une alliance plus étroite, et nous
manifester toute l'étendue de son amour ; c'est pour cela que, non seulement
il se rend visible à ceux qui désirent le voir, mais encore qu'ils
les laissent le toucher, le manger, l'embrasser et rassasier leurs saints désirs.
Nous sortons donc de cette table, semblables à des lions qui respirent
la flamme, et devenus terribles au démon. - S. BAS. (Moral., règl.
21, chap. 3, et régl. abrég., quest. 172.) Apprenez à quelles
conditions il nous est permis de manger le corps de Jésus-Christ, c'est-à-dire,
en mémoire de l'obéissance qu'il a portée jusqu'à
la mort, de sorte que ceux qui vivent, ne vivent plus pour eux-mêmes,
mais pour celui qui est mort et ressuscité pour eux. (2 Co 5, 45.) -
THEOPHYL. Il est question dans saint Luc de deux coupes, l'une dont Jésus
dit plus haut : " Prenez-la et distribuez-la entre vous ; " la seconde
qu'il distribue lui-même à ses disciples après la fraction
et la distribution du pain, et dont il est dit : " De même le calice
après le souper. " - BEDE. Il faut sous-entendre : Il leur donna,
afin que la phrase soit complète. - S. AUG. (De l'acc. des Evang., 3,
1.) Ou encore, saint Luc parle deux fois de la coupe, d'abord avant que Jésus
distribuât le pain, et une seconde fois lorsqu'il l'eût distribué
; ce qu'il en dit en premier lieu, il le fait par anticipation, selon sa coutume,
et il raconte ensuite en son temps ce dont il n'avait point parlé précédemment
; or, en réunissant ces deux parties, nous avons le même récit
que nous donne saint Matthieu et saint Marc. - THEOPHYL. Le Sauveur appelle
ce calice le calice du Nouveau Testament : " Ce calice est le Nouveau Testament
en mon sang qui sera répandu pour vous. " Il nous apprend ainsi
que le Nouveau Testament commence dans son sang. En effet, dans l'Ancien Testament,
le sang des animaux vint consacrer la promulgation de la loi, et maintenant
le sang du Verbe de Dieu est pour nous le signe sacré de la nouvelle
alliance. Ces paroles : " Qui sera répandu pour vous, " ne
signifient pas que Jésus-Christ n'ait donné son corps et répandu
son sang que pour les Apôtres seuls, car il a donné l'un et l'autre
pour le salut du genre humain tout entier. La pâque ancienne avait pour
objet la délivrance de la servitude d'Égypte, le sang de l'agneau
avait été versé pour sauver de la mort les premiers nés
des Hébreux ; la pâque nouvelle a pour fin la rémission
des péchés, et le sang de Jésus-Christ est versé
pour le salut éternel de ceux qui sont consacrés au service de
Dieu. - S. CHRYS. (hom. 46 sur S. Jean.) Ce sang imprime en nous l'image auguste
de notre roi, il préserve de toute flétrissure la noblesse de
notre âme, il pénètre notre coeur de sa divine rosée,
et lui inspire une force surhumaine. Ce sang met en fuite les démons
et fait descendre en nous les anges et le Seigneur des anges ; ce sang répandu
sur la terre l'a purifiée et lui a ouvert les portes des cieux. Ceux
qui participent à ce sang divin sont associés aux vertus des cieux,
revêtus du manteau royal de Jésus-Christ, ou plutôt revêtus
de ce divin roi lui-même. Or, si vous approchez de lui avec un coeur pur,
il sera pour vous un principe de grâce et de salut ; mais si vous osez
vous présenter devant lui avec une conscience coupable, vous commettez
un sacrilège et vous le recevez pour votre condamnation et votre supplice.
En effet, si ceux qui profanent la pourpre royale sont punis du même châtiment
que ceux qui la mettent en pièces, est-il contraire à la raison
de dire que ceux qui reçoivent le corps de Jésus-Christ dans une
conscience souillée, méritent le même supplice que ceux
qui l'ont percé de clous ? - BEDE. Comme le pain a pour but de fortifier
notre corps, et le vin de produire le sang dans nos membres, l'un, le pain,
se rapporte au corps de Jésus-Christ, et le vin à son sang. Mais
aussi comme nous devons demeurer en Jésus-Christ, et que Jésus-Christ
doit demeurer en nous, on mêle au vin de l'eau dans le calice du Seigneur,
car au témoignage de l'apôtre saint Jean, les eaux sont la figure
des peuples (Ap 17). Le Sauveur distribue d'abord le pain, et puis ensuite le
calice ; en effet, dans la vie spirituelle, il faut commencer par les actions
laborieuses et pénibles qui sont comme le pain, non seulement parce que
nous ne devons manger notre pain qu'à la sueur de notre front (Gn 3),
mais parce que le pain quand on le mange est d'une déglutition tant soit
peu difficile. Ensuite aux fatigues de cette vie laborieuse, succède
la joie produite par la grâce divine dont le calice est la figure. - BEDE.
Les Apôtres communièrent au corps de Jésus-Christ après
la cène, parce qu'il fallait d'abord accomplir et terminer la pâque
figurative avant de célébrer les mystères de la véritable
pâque. Mais depuis, pour l'honneur d'un si grand sacrement, l'autorité
de l'Église nous a ordonné de prendre tout d'abord cette nourriture
spirituelle avant tout aliment terrestre. - EUTYCH. PATRIAR. Or, celui qui communie
reçoit tout le corps et tout le sang du Seigneur, alors même qu'il
ne reçoit qu'une partie des espèces consacrées ; car de
même qu'un sceau imprime son empreinte tout entière sur plusieurs
choses à la fois, et demeure intégralement le même après
l'avoir communiquée ; de même encore qu'une seule et même
parole se fait entendre à un grand nombre, nous devons croire aussi sans
hésiter que le corps et le sang du Seigneur sont tout entiers dans tous
ceux qui communient. Quant à la fraction du pain consacré, elle
est une figure de la passion.
vv. 21-23.
S. AUG. (de l'acc. des Evang., 3, 1) Après avoir distribué le
calice è ses disciples, Notre-Seigneur parle de nouveau de celui qui
devait le trahir : " Cependant voici que la main de celui qui me trahit
est avec moi à cette table. " - THEOPHYL. Il tient ce langage, non
seulement pour montrer qu'il connaît l'avenir, mais pour faire ressortir
sa grande bonté, qui épuisa tous les moyens propres à détourner
Judas de son perfide dessein. C'est ainsi qu'il nous donne l'exemple du zèle
avec lequel nous devons poursuivre jusqu'à la fin la conversion des pécheurs.
Il veut aussi nous montrer la noire méchanceté de ce traître
disciple qui ne rougit point de s'asseoir à la table de son Maître.
- S. CHRYS. (hom. 83 sur S. Matth.) La participation aux divins mystères
rie le fait pas renoncer à son dessein ; son crime n'en devient donc
que plus monstrueux, et parce qu'il a osé s'approcher des saints mystères
avec cette intention criminelle, et parce qu'il les reçoit sans en devenir
meilleur, et en restant insensible à la crainte, aussi bien qu'à
la reconnaissance et à l'honneur incomparable que le Sauveur lui témoigne.
- BEDE. Et cependant Jésus ne le désigne pas spécialement,
de peur que ce reproche public ne le rende plus audacieux, et il parle en général
de celui qui doit le trahir, pour toucher de repentir celui qui se sentira coupable.
Il prédit en même temps le châtiment dont le traître
sera puni, pour ramener par la perspective du supplice celui que la honte n'a
pu fléchir : " Pour ce qui est du Fils de l'homme, il s'en va, "
etc. - THEOPHYL. Ce n'est pas qu'il n'eût pu se défendre lui-même,
mais parce qu'il avait résolu de souffrir la mort pour le salut des hommes.
S. CHRYS. Quant à Judas, il accomplissait les Écritures avec une
pensée criminelle ; gardons-nous de le justifier comme ayant été
l'instrument de la Providence ; écoutons plutôt le Sauveur : "
Cependant malheur à l'homme par lequel il sera trahi ! " - BEDE.
Malheur aussi à l'homme qui s'approche indignement de la table du Seigneur,
et qui, à l'exemple de Judas, trahit le Fils de l'homme, en le livrant
non pas aux Juifs, mais à des membres souillés par le péché
! Les onze Apôtres savaient bien qu'ils ne méditaient rien contre
leur divin Maître ; néanmoins ils s'en rapportent plus volontiers
à son témoignage, qu'à celui de leur conscience, et la
crainte de leur faiblesse leur fait se demander s'ils ne sont pas coupables
d'une faute qu'ils ne découvrent point en eux-mêmes : " Et
ils commencèrent à se demander les uns aux autres, " etc.
- S. BAS. (règ. aarég. quest. 301.) Parmi les maladies du corps,
il en est qui ne sont point senties par ceux mêmes qui en sont atteints,
et ils ont plus de foi aux conjectures des médecins qu'à leur
propre insensibilité. Il en est de même pour les maladies de l'âme,
celui qui ne se sent point coupable, doit s'en rapporter plus volontiers au
témoignage de ceux qui peuvent mieux connaître l'état de
son âme.
vv. 24-27.
THEOPHYL. Ils venaient de rechercher entre eux quel était celui qui trahirait
le Seigneur, il était donc naturel de les entendre se dire l'un à
l'autre : " C'est vous qui le trahirez, " et de tirer cette conclusion
: " Je suis le premier, c'est moi qui suis le plus grand, " et autres
choses semblables. C'est ce que raconte l'Évangéliste : "
Il s'éleva aussi parmi eux une contestation, lequel d'entre eux devait
être estimé le plus grand. " - APOLLIN. (Ch. des Pèr.
gr.) Ou encore, la cause de cette contestation put venir de ce que le Seigneur
devant bientôt quitter la terre, il fallait que l'un d'eux fût mis
à la tête des autres, et tînt la place du Sauveur. Or, de
même que les bons cherchent dans les Écritures les exemples de
nos pères dans la foi qui peuvent augmenter en eux le zèle pour
la perfection et l'humilité, de même aussi les méchants
saisissent avec joie ce qu'il peut y avoir de répréhensible dans
la conduite des élus, pour autoriser et couvrir leurs propres fautes.
Aussi sont-ils enchantés de lire qu'une contestation s'éleva entre
les disciples de Jésus-Christ. - S. AMBR. La conduite des Apôtres
dans cette circonstance, n'est point pour nous une excuse, mais un avertissement.
Veillons donc à ce qu'aucune contestation sur la préséance
ne s'élève entre nous pour notre perte. - BEDE. Considérons
plutôt, non ce que les Apôtres ont fait sous l'impression d'un sentiment
tout humain, mais la recommandation que leur a faite leur divin Maître
: " Il leur dit : Les rois des nations, " etc. - S. CHRYS. (hom. 66
sur S. Matth.) Il dit : " Les rois des nations, " ce qui déjà
est un préjugé défavorable contre l'action dont il s'agit
; car c'était le défaut dominant des païens d'ambitionner
la primauté. - S. CYR. Ajoutons que leurs sujets leur adressent des paroles
de flatterie : " Et ceux qui exercent sur elles l'autorité, sont
appelés bienfaiteurs. " Comme ils sont étrangers à
toutes les lois divines, ils sont en proie à toutes ces passions funestes
; mais pour vous, votre grandeur sera dans la pratique de l'humilité
: " Mais pour vous, il n'en sera pas ainsi, " etc. - S. BAS. (rég.
dévelop., quest. 30 et 31.) Que personne donc ne s'enorgueillisse de
la préséance, s'il ne veut perdre le mérite et la récompense
de la béatitude promise à l'humilité (Mt 5), et qu'il sache
que la véritable humilité nous porte à être le serviteur
de tous nos frères. Or, de même que celui qui est chargé
du soin d'un grand nombre de blessés, et qui étanche le sang de
leurs plaies, ne s'enorgueillit point des services qu'il leur rend, à
plus forte raison celui à qui Dieu a confié le soin de guérir
les langueurs spirituelles de ses frères, et qui doit, comme serviteur
de tous, rendre compte de tout au tribunal de Dieu, doit veiller avec le plus
grand soin sur lui-même, et ainsi : " Celui qui est le plus grand,
doit être comme le moindre. " Il est juste encore que ceux qui sont
à la tête des autres, leur rendent des services même corporels,
à l'exemple de Notre-Seigneur qui a lavé les pieds de ses disciples
: " Et celui qui a la préséance, doit être comme celui
qui sert. " Il n'est pas à craindre que cette condescendance du
supérieur ne détruise l'humilité dans, l'inférieur,
c'est au contraire pour lui une éclatante leçon d'humilité.
S. AMBR. Remarquez que l'humilité ne consiste pas seulement dans les
marques d'honneur que vous témoignez aux autres ; car vous pouvez agir
en cela pour obtenir la faveur du monde, par crainte de ceux qui ont la puissance,
ou par un motif d'intérêt personnel ; vous cherchez alors votre
avantage, plutôt que l'honneur des autres ; aussi Notre-Seigneur formule-t-il
pour tous la même règle qui défend toute recherche de la
préséance, et ne permet que les saintes luttes de l'humilité.
- BEDE. Pour suivre cette règle que prescrit le Seigneur, les supérieurs
ont besoin d'un grand discernement, ils doivent éviter l'esprit de domination
sur leurs inférieurs, ce qui est le propre des rois des nations, et la
vaine complaisance dans les louanges qui leur sont données, sans cesser
néanmoins d'être animés du zèle de la justice contre
les vices des coupables. Le Sauveur confirme ensuite cette leçon par
son exemple : " Car quel est le plus grand, celui qui est à table,
ou celui qui sert ? Et moi cependant je suis au milieu de vous comme celui qui
sert. " - S. CHRYS. Paroles qui reviennent à celles-ci : Ne croyez
pas que vos inférieurs aient besoin de vous, tandis que pour vous, vous
en êtes complètement indépendants ; car moi-même,
qui n'ai besoin de personne, de qui, au contraire, toutes les créatures
du ciel et de la terre ont besoin, je suis descendu au rang de serviteur. -
THEOPHYL. Il a exercé à leur égard les fonctions de serviteur,
lorsqu'il leur a distribué le pain sacré et le calice, et il fait
mention de ce fait pour leur rappeler que puisqu'ils ont mangé du même
pain et bu du même calice, ils doivent tous faire profession des mêmes
sentiments que Jésus-Christ, qui n'a point dédaigné de
se rendre leur serviteur. - BEDE. Ou encore, il veut parler de l'humble office
qu'il a rempli en leur lavant les pieds, lui leur Maître et Seigneur.
(Jn 13, 34.) On pourrait encore appliquer cet office de serviteur à toutes
les actions de sa vie mortelle. Enfin, on peut aussi l'entendre du sang qu'il
a répandu sur la croix pour notre salut.
vv. 28-30.
THEOPHYL. De même que Notre-Seigneur avait dit malheur au traître,
il promet des récompenses aux disciples qui lui resteront fidèles
: " Pour vous, vous êtes demeurés avec moi dans mes tentations,
" etc. - BEDE. Ce n'est point aux premiers essais de la vertu de patience,
mais à la persévérance qu'est donnée la gloire du
royaume des cieux ; parce qu'en effet, la persévérance (qui est
aussi appelée constance ou force d'âme), est comme la base et la
colonne de toutes les vertus, Ce sont donc ceux qui ont persévéré
avec lui dans les tentations, que le Fils de Dieu fait entrer dans son royaume
éternel ; car si nous sommes implantés en lui pour la ressemblance
de sa mort, nous y serons aussi entés pour sa résurrection (Rm
6, 8), comme l'ajoute le Sauveur : " Et moi, je vous prépare un
royaume, " etc.
S. AMBR. Le royaume de Dieu n'est pas de ce monde. Remarquons ici que l'homme
ne doit pas ambitionner la parfaite égalité avec Dieu, mais seulement
la ressemblance avec lui ; car Jésus-Christ seul est la parfaite image
de Dieu, parce qu'il reproduit en lui l'unité de la gloire du Père.
L'homme juste porte en lui l'image de Dieu, lorsque la connaissance de Dieu
le porte à mépriser le monde pour reproduire en lui la ressemblance
de la vie divine. Or, nous mangeons le corps de Jésus-Christ afin de
pouvoir participer à la vie éternelle, suivant la promesse du
Sauveur : " Afin que vous mangiez et que vous buviez à ma table
dans mon royaume. " Ce que Jésus-Christ nous promet ici pour récompense,
n'est ni le manger, ni le boire, mais la communication de la grâce et
de la vie des cieux. - BEDE. Ou encore, cette table qui est préparée
pour le bonheur de tous les saints, c'est la gloire elle-même de la vie
des cieux, dont ceux qui ont eu faim et soif de la justice seront rassasiés,
par la pleine jouissance du vrai bien, objet de tous leurs désirs. -
THEOPHYL. Ces paroles du Sauveur ne signifient donc point qu'il y aura dans
les cieux des aliments matériels, ni que son royaume doit être
extérieur et sensible ; car la vie des élus sera semblable à
celle des anges, comme il l'a prédit lui-même aux sadducéens
(Mt 22 ; Lc 20) ; et saint Paul, d'ailleurs, nous déclare que le royaume
de Dieu n'est ni dans le manger ni dans le boire (Rm 14, 17).
S. CYR. Notre-Seigneur explique les vérités spirituelles par des
comparaisons prises dans ce qui se passe au milieu de nous. En effet, ceux qui
s'asseoient à la table des rois de la terre, jouissent auprès
d'eux de certaines prérogatives, et c'est par cet usage qu'il veut nous
faire comprendre ceux qui auront part aux premiers honneurs dans son royaume.
- BEDE. C'est la droite du Très-Haut qui opère cette transformation
(Ps 117) ; elle fait asseoir à la table des cieux pour les nourrir des
mets de la vie éternelle ceux qui sur la terre se sont fait gloire d'être
les humbles serviteurs de leurs frères ; et elle établit les justes
juges de leurs persécuteurs, ceux qui sont restés fidèles
avec le Seigneur au milieu des tentations et des injustes jugements des hommes
: " Et que vous siégiez sur douze trônes, pour juger les douze
tribus d'Israël. " - THEOPHYL. C'est-à-dire pour condamner
dans les douze tribus ceux qui auront persévéré dans l'infidélité.
- S. AMBR. Ces douze trônes ne sont point des siéges matériels
et sensibles comme ceux dont se servent les hommes pour s'asseoir ; mais il
faut les entendre dans ce sens, que de même que Jésus-Christ juge
comme Dieu, récompense la vertu et punit l'impiété par
la seule connaissance qu'il a des coeurs, et sans avoir besoin de discuter les
actions ; ainsi les Apôtres entreront en participation de ce jugement
tout spirituel, par les louanges qu'ils donneront à la foi et l'horreur
qu'ils témoigneront pour l'infidélité, en condamnant l'erreur
par l'exemple de leur vertu, et en poursuivant de leur haine le crime des sacrilèges.
S. CHRYS. (hom. 65 sur S. Matth.) Mais est-ce que Judas prendra place aussi avec les autres Apôtres ? Non, sans doute, écoutez la loi que Dieu proclame par la bouche du prophète Jérémie : " Lorsque j'aurai promis quelque bien ou quelque faveur, si vous vous en rendez indigne, je vous châtierai (Jr 18, 9.10). " Aussi la promesse du Sauveur n'est pas absolue, mais conditionnelle : " Vous qui avez persévéré avec moi dans les tentations. " - BEDE. Judas est donc exclus de ces magnifiques promesses ; il faut d'ailleurs admettre qu'il était sorti avant ces paroles de Notre-Seigneur. Nous devons aussi excepter de ces promesses ceux qui se retirèrent de Jésus et ne marchèrent plus avec lui après qu'ils l'eurent entendu parler de l'incompréhensible sacrement de son corps et de son sang. (Jn 6, 67.)
vv. 31-34.
BEDE. Dans la crainte que les onze Apôtres ne se laissent aller à
un sentiment d'orgueil et n'attribuent à leurs propres forces d'avoir
été presque les seuls de tant de milliers de Juifs, pour demeurer
avec le Seigneur au milieu des tentations, le Sauveur leur déclare que
s'ils n'avaient été protégés et soutenus par l'assistance
divine, ils eussent été brisés comme les autres par la
même tempête : " Le Seigneur dit encore Simon, Simon, voilà
que Satan vous a demandés pour vous cribler comme le froment, "
etc. C'est-à-dire, qu'il a demandé à vous tenter et à
vous secouer, comme on secoue le froment pour le cribler, paroles qui nous apprennent
que le démon ne peut tenter la foi de personne sans la permission de
Dieu. - THEOPHYL. Il s'adresse à Pierre, parce qu'il était plus
fort que les autres, et qu'il pouvait s'enorgueillir des promesses que Jésus-Christ
lui avait faites. Ou encore, il veut nous apprendre que les hommes qui ne sont
rien (tant par leur nature que par la faiblesse de leur esprit), doivent fuir
tout désir de domination sur leurs frères, c'est pour cela que,
laissant tous les autres disciples, il s'adresse à Pierre qui avait été
placé à leur tête : " J'ai prié pour toi, afin
que ta foi ne défaille pas. "
S. CHRYS. (hom. 83 sur S. Matth.) Il ne dit pas : J'ai voulu, mais : " J'ai prié, " langage plein d'humilité qu'il tient aux approches de sa passion, pour prouver la vérité de sa nature humaine. Car comment supposer que celui qui, sans recourir à la prière, avait dit avec le ton du commandement : " Sur cette pierre je bâtirai mon Église, et je te donnerai les clefs du royaume des cieux, " ait eu besoin de la prière pour confirmer dans la foi l'âme chancelante d'un homme ? Il ne lui dit pas non plus : J'ai prié, afin que tu ne me renies point, mais afin que tu ne perdes point la foi. - THEOPHYL. Tu seras, il est vrai, ébranlé pour un moment, mais tu conserveras la semence de la foi que j'ai déposée dans ton âme ; le vent des tentations fera tomber les feuilles, mais la racine demeurera ferme. Satan, jaloux de l'amour que je te porte, demande et cherche à te nuire, et bien que j'ai prié pour toi, tu ne laisseras pas de succomber à ses attaques : " Et quand tu seras converti, confirme tes frères. " C'est-à-dire, après que tu auras expié dans les larmes et dans la pénitence le crime de m'avoir renié, confirme tes frères, toi que j'ai établi le prince des Apôtres ; c'est là ton devoir, comme étant avec moi la force et la pierre fondamentale de l'Église. Ce ne sont point seulement les Apôtres qui existaient alors que Pierre devait fortifier, mais tous les fidèles qui se succéderont jusqu'à la fin du monde. Que personne donc, parmi les chrétiens, ne perde confiance en voyant cet Apôtre renier son divin Maître, et recouvrer ensuite par la pénitence la sublime prérogative qui fait de lui le souverain Pontife du monde entier.
S. CYR. Admirez ici la patience vraiment inépuisable de Dieu, pour empêcher son disciple de tomber dans la défiance et le désespoir, il lui promet le pardon avant même qu'il ait commis son crime, et il le rétablit ensuite dans tous les droits de sa dignité d'Apôtre, en lui disant : " Et toi, quand tu seras converti, confirme tes frères. " - BEDE. C'est-à-dire, j'ai préservé ta foi par mes prières, afin qu'elle ne vint point à défaillir. Souviens-toi donc aussi de fortifier la faiblesse de tes frères, afin qu'ils ne désespèrent point du pardon. - S. ATHAN. Gardez-vous donc de tout sentiment d'orgueil, gardez-vous du monde, c'est à celui qui a dit : " Nous avons tout quitté pour vous suivre, " (Mt 19) que Notre-Seigneur commande de confirmer ses frères.
BEDE. Le Seigneur ayant promis à Pierre qu'il prierait, pour que sa foi ne vînt pas à défaillir, cet Apôtre, plein de confiance dans l'amour qu'il ressent pour le Sauveur, dans la ferveur de sa foi, et ne prévoyant point la chute lamentable qu'il va faire, ne peut croire qu'il puisse jamais être infidèle à son maître : " Pierre lui dit : Seigneur, je suis prêt à aller avec vous en prison et à la mort. " - THEOPHYLACTE. La grandeur de son amour l'enflamme et lui fait promettre l'impossible, tandis qu'il aurait dû ne point s'obstiner, en entendant la vérité même lui prédire qu'il succomberait à la tentation. Or, le Seigneur voyant ce langage présomptueux, lui précise la tentation à laquelle il doit succomber ; et lui prédit qu'il le reniera " Jésus lui répondit : Je te le dis, Pierre, le coq ne chantera point aujourd'hui que tu ne m'aies renié, " etc. - S. ATHAN. Le Sauveur prédit à Pierre, dont l'esprit était prompt mais dont la chair était faible, qu'il le renierait, car il ne pouvait égaler le courage et la force d'âme de son divin Maître. Notre-Seigneur, dans sa passion, peut avoir des imitateurs mais pas d'égaux. - THEOPHYL. Il nous donne ici une grande leçon, c'est que la volonté de l'homme ne peut rien sans le secours de Dieu. Pierre, en effet, malgré toute sa ferveur, fut abandonné de Dieu, et vaincu par l'ennemi du salut.
S. BAS. (Régl. abrég., guest. 8.) Il est bon de savoir que Dieu permet quelquefois que les justes eux-mêmes fassent des chutes pour les guérir de l'orgueil dont ils se sont précédemment rendus coupables. Bien que leurs fautes paraissent avoir les mêmes caractères que celles des autres, il y a cependant une grande différence ; le juste, en effet, pèche comme par surprise, et presque sans le vouloir, tandis que les autres pèchent sans prendre aucun souci, ni d'eux-mêmes, ni de Dieu, et ne mettent même aucune distinction entre le péché et la vertu. Aussi ne doivent-ils pas être repris de la même manière, l'âme timorée a besoin d'être soutenue, et la réprimande qui lui est faite doit se borner à la faute qu'elle a commise. Quant aux autres, au contraire, qui ont détruit dans leur âme tout ce qu'il y avait de bien, il faut les soumettre aux châtiments, aux avertissements, aux reproches sévères, jusqu'à ce qu'ils comprennent qu'ils ont pour juge un Dieu juste, et qu'ils en conçoivent une crainte salutaire.
S. AMB. (De l'acc. des Evang., 3, 2.) Tous les évangélistes racontent cette prédiction que le Sauveur fit à Pierre, qu'il le renierait, mais tous ne la racontent pas dans les mêmes circonstances. Saint Matthieu et saint Marc placent cette prédiction après que Notre-Seigneur fut sorti de la maison où il avait mangé la pâque ; saint Luc et saint Jean, avant qu'il en fût sorti. Il nous serait facile de les concilier en disant que les deux derniers racontent cette prédiction, comme par récapitulation, et les deux autres par anticipation, si nous n'étions arrêtés par les paroles si diverses du Sauveur, et par les avertissements si différents, qui donnent lieu à Pierre de faire cette promesse si téméraire de mourir pour son Maître ou avec son Maître ; ce qui nous force d'admettre que Pierre fit éclater trois fois sa confiance présomptueuse à l'occasion de trois divers discours du Seigneur, et qu'à trois reprises, le Seigneur lui répondit qu'il le renierait trois fois avant que le coq eût chanté.
vv. 35-38.
S. CYR. Notre-Seigneur avait prédit à Pierre qu'il le renierait
alors qu'il le verrait au pouvoir de ses ennemis ; et comme il avait déjà
parlé de la manière dont les Juifs s'empareraient de sa personne,
il annonce à ses disciples la lutte qu'ils vont avoir à soutenir
contre les Juifs : " Il leur dit ensuite : Quand je vous ai envoyés
sans bourse, " etc. En effet, le Sauveur avait envoyé ses saints
Apôtres prêcher le royaume des cieux dans les villes et les bourgades,
en leur défendant toute préoccupation des besoins du corps, et
leur commandant de mettre en lui toute leur confiance pour lés choses
de la vie,
S. CHRYS. (sur ces par. de Rm 16, 3 : Saluez Priscille et Aquilée) Celui qui enseigne l'art de la natation, commence par soutenir avec grande attention ses élèves de la main, mais ensuite il retire de temps en temps la main, et leur commande de s'aider eux-mêmes, il les laisse même s'enfoncer quelque peu. Notre-Seigneur tient cette conduite à l'égard de ses disciples. Dans les commencements il était attentif à tous leurs besoins, et leur préparait toutes choses avec une extrême abondance : " Et ils lui dirent : Nous n'avons manqué de rien. " Mais lorsque le moment fut venu pour eux de montrer leurs propres forces, il leur retira une partie de son secours et voulut qu'ils agissent un peu par eux-mêmes. Il leur dit donc : " Mais maintenant que celui qui a une bourse (pour mettre son argent), la prenne, qu'il prenne de même son sac qui porte ses vivres. " Or, lorsqu'ils n'avaient ni chaussures, ni ceinture, ni bâton, ni argent, ils n'ont manqué absolument de rien ; au contraire, dès que le Sauveur leur eut permis d'avoir une bourse et un sac, ils furent exposés à souffrir la faim, la soif, la nudité ; comme s'il leur disait : Jusqu'à présent vous avez eu tout en abondance, maintenant je veux que vous éprouviez la pauvreté ; aussi je ne vous oblige plus d'observer la loi que je vous ai donnée en premier lieu (Mt 10, 18 ; Mc 6, 8 ; Lc 9, 3), et je vous permets de porter une bourse et un sac. Dieu aurait pu sans doute les maintenir dans cette même abondance, il ne le voulut pas pour plusieurs raisons : premièrement, afin que ses disciples, loin de rien s'attribuer, fussent obligés de reconnaître que tout ce qu'ils avaient venait de Dieu ; secondement, pour leur apprendre à se conduire eux-mêmes ; troisièmement pour prévenir l'idée trop avantageuse qu'ils auraient eue d'eux-mêmes. Ainsi, comme il permet que ses disciples soient exposés à des épreuves imprévues, il adoucit la sévérité de la première loi qu'il leur avait imposée, pour que la vie ne fût pas pour eux trop dure et trop accablante. - BEDE. Le Sauveur ne prescrit pas à ses disciples la même règle de vie pour les temps de persécution et pour lés temps de paix. Lorsqu'il envoie ses disciples prêcher l'Évangile, il leur défend de rien emporter avec eux, il veut que celui qui annonce l'Évangile, vive de l'Évangile, mais quand l'heure de sa mort approche, et que le peuple juif tout entier est sur le point de persécuter à la fois le pasteur et le troupeau, il leur donne, une règle appropriée aux circonstances, et leur permet d'emporter les choses nécessaires à la vie, jusqu'à ce que la fureur des persécuteurs soit apaisée, et que le temps d'annoncer l'Évangile soit revenu. Il nous donne en même temps l'exemple de nous relâcher un peu pour une cause juste et pressante des règles sévères que nous nous sommes prescrites. - S. AUG. (cont. Faust., 12, 77.) Le Sauveur n'agit donc point ici par inconstance, mais par une sage économie, il modifie suivant la diversité de temps, ses préceptes, ses conseils ou ses permissions.
S. AMBR. Mais pourquoi Notre-Seigneur, qui défend de frapper, commande-t-il d'acheter un glaive ? C'est pour les préparer à une légitime défense, et non pour autoriser un acte de vengeance, et pour qu'il soit bien constant qu'on a renoncé à se venger, alors qu'on aurait pu le faire. Il ajoute : " Et que celui qui n'en a point, vende sa tunique et achète une épée. " - S. CHRYS. Que signifient ces paroles ? Jésus a dit à ses disciples : " Si l'on vous frappe sur la joue droite, présentez l'autre, " (Mt 6) et voilà qu'il les arme pour se défendre, et seulement d'une épée. S'il jugeait nécessaire de les armer, il fallait joindre à l'épée le bouclier et le casque. Mais encore quand ils auraient eu ces armes par milliers, comment les Apôtres auraient-ils pu lutter contre tant de violences et d'embûches venant à la fois des peuples, des tyrans, des villes et des nations. Le seul aspect des armées ennemies eût jeté la terreur dans l'âme de ces hommes, qui avaient passé leur vie sur le bord des lacs et des fleuves. Ne croyons donc pas que Notre-Seigneur commande ici à ses disciples de se munir de glaives, il se sert ici de cette expression pour figurer les embûches que les Juifs lui tendaient pour le perdre. C'est pour cela qu'il ajoute : " Car je vous le dis, il faut encore que cette parole de l'Écriture s'accomplisse en moi. " " Il a été mis au rang des malfaiteurs. " (Is 52.) - THEOPHYL. Le Sauveur, qui venait d'entendre ses disciples se disputer entre eux la préséance, leur dit : Ce n'est point ici le moment de vous occuper des premières places, c'est le temps des dangers et des blessures, moi-même qui suis votre maître, je vais être conduit à une mort ignominieuse et mis au rang des malfaiteurs, car toutes les prédictions qui me regardent touchent à leur fin, c'est-à-dire, à leur accomplissement. Sous cette image du glaive, Notre-Seigneur leur fait pressentir l'agression violente dont il va être l'objet, il ne la leur révèle pas tout entière pour ne point les frapper de terreur et d'abattement, il ne veut pas non plus la leur laisser entièrement ignorer, de peur que cette attaque subite et imprévue ne vînt les ébranler. Les disciples ainsi avertis, rappelleraient plus tard leurs souvenirs, et admireraient comment leur divin Maître s'était offert lui-même dans sa passion pour être la rançon du genre humain. - S. BAS. (Règl. abrég., quest. 31.) Ou encore, le Seigneur ne fait pas ici un commandement de porter une bourse et un sac et d'acheter un glaive, mais il prédit ce qui doit arriver à ses Apôtres, qui, oubliant les circonstances de la passion, les grâces qu'ils avaient reçues, et la loi de Dieu, oseront se servir de l'épée ; souvent, en effet, l'Écriture emploie l'impératif pour le futur dans les prophéties, quoique cependant, dans plusieurs manuscrits, on ne lise point : Qu'il prenne, qu'il porte et qu'il achète, mais : " Il prendra, il portera, il achètera. " - THEOPHYL. Ou bien, il leur annonce qu'ils auront à souffrir la faim et la soif (sous l'expression figurée du sac), et de nombreuses tribulations (figurées par le glaive).
S. CYR. Ou bien encore, ces paroles du Sauveur : " Que celui qui a une bourse la prenne, et qu'il prenne aussi un sac, " ne s'adressent pas à ses disciples, mais à tous les Juifs en général, et il semble leur dire : Si quelqu'un, parmi vous, a de grandes richesses, qu'il les réunisse et qu'il prenne la fuite ; et si quelque habitant de ce pays se trouve réduit à la dernière indigence, qu'il vende sa tunique pour acheter une épée ; car le choc de l'attaque qui viendra fondre sur eux sera si terrible, que rien ne pourra lui résister. Il leur fait connaître ensuite la cause de ces calamités, c'est-à-dire parce qu'il a été condamné au supplice destiné aux criminels, et qu'il a été crucifié avec des voleurs. Or, lorsque ce crime aura été consommé, les prophéties qui avaient pour objet la rédemption seront accomplies, et les persécuteurs subiront les châtiments prédits par les prophètes. Notre-Seigneur a donc prédit ici le sort réservé à la nation juive ; mais les disciples ne comprenaient pas la portée de ses paroles et pensaient que c'était pour résister à l'attaque du perfide disciple qu'il était besoin d'épées : " Ils lui dirent donc : Seigneur, voici deux épées. " - S. CHRYS. Si son intention était qu'ils eussent recours pour le défendre à des moyens humains, cent épées n'auraient pas suffi, et s'il ne voulait qu'ils se servissent de ces moyens naturels, ces deux épées étaient même de trop.
THEOPHYL. Le Seigneur ne voulut point les reprendre de leur peu d'intelligence, il se contenta de leur dire : " C'est assez, " c'est ce que nous disons nous-mêmes lorsqu'une personne à qui nous adressons la parole, ne nous comprend pas : C'est bien, cela suffit, pour ne pas la fatiguer davantage. Quelques-uns prétendent que c'est par ironie que le Sauveur dit : " C'est assez, " comme pour dire : Puisqu'il y a deux épées, elles suffiront pour nous défendre contre la multitude qui doit nous assaillir. - BEDE. Ou bien encore, ces deux épées suffisent pour attester que le Sauveur a souffert volontairement sa passion, l'une témoigne du courage des Apôtres pour défendre leur divin Maître, et de la puissance qu'il a de guérir les blessures ; l'autre, qui n'est point tirée du fourreau, prouve qu'il ne leur a pas permis de faire tout ce qu'ils auraient pu pour le défendre. - S. AMBR. Ou bien encore, comme la loi ne défendait pas de frapper celui qui avait frappé, peut-être le Seigneur dit-il a Pierre : " C'est assez, " pour faire entendre que cette juste vengeance n'était permise que jusqu'au règne de l'Évangile, parce que la loi ne commandait que la stricte justice, tandis que l'Évangile enseigne la charité parfaite. Il y a aussi un glaive spirituel qui porte le chrétien à vendre son patrimoine pour acheter la parole qui est comme le vêtement intérieur de l'âme. Il y a encore le glaive de la souffrance qui nous fait sacrifier notre corps, et acheter la couronne sacrée du martyre avec les dépouilles de notre chair immolée. Dans ces deux glaives que les disciples avaient avec eux, je ne puis m'empêcher de voir encore la figure de l'Ancien et du Nouveau Testament, qui sont les armes mises en nos mains contre les attaques insidieuses du démon (Ep 6, 13.17). Enfin Notre-Seigneur dit : " C'est assez, " comme pour dire que rien ne manque à celui qui a pour armes la doctrine de l'Ancien et du Nouveau Testament.
vv. 39-42.
BEDE. Le Sauveur voyant arriver l'heure où son disciple devait le trahir,
se dirige vers l'endroit où il avait coutume de se retirer, pour que
ses ennemis le trouvent plus facilement : ce Et étant sorti, il s'en
alla, suivant sa coutume, à la montagne des Oliviers. " - S. CYR,
Il passait toute la journée dans la ville de Jérusalem, et le
soir venu, il se retirait avec ses disciples sur la montagne des Oliviers :
" Et ses disciples le suivirent. " - BEDE. C'est avec dessein qu'après
les avoir nourris des mystères de son corps et de son sang, il les conduit
sur la montagne des Oliviers, pour nous apprendre que tous ceux qui ont été
baptisés en sa mort, doivent être confirmés par l'onction
du Saint-Esprit.
THEOPHYL. Après le repas, le Seigneur ne se laisse aller ni à l'oisiveté, ni aux douceurs du repos, ni au sommeil, mais il s'applique à la prière et à l'enseignement : ce Lorsqu'il fut arrivé en ce lieu, il leur dit : Priez, " etc. - BEDE. Il est impossible que l'âme de l'homme soit exempte de tentations. Aussi ne leur dit-il pas : Priez afin de n'être point tentés, mais : " Priez, afin de ne point entrer en tentation ; " c'est-à-dire afin de n'être pas vaincus dans cette dernière tentation.
S. CYR. Mais ce n'est pas seulement par ses paroles qu'il veut leur être utile ; il s'avance donc un peu plus loin, et se met en prière : " Et il s'éloigna d'eux à la distance d'un jet de pierre, " etc. Partout vous voyez le Sauveur se retirer à l'écart pour prier, il vous apprend ainsi la nécessité du recueillement de l'esprit et de la paix du coeur pour vous entretenir avec le Dieu très-haut, Or, s'il s'applique ainsi à la prière, ce n'est point qu'il ait besoin d'un secours étranger, lui qui est la vertu toute puissante du Père, mais il veut nous apprendre qu'il ne faut pas s'endormir dans les tentations, mais prier avec plus d'instance. - BEDE. Le Sauveur prie seul pour tous les hommes, lui qui devait seul souffrir pour tous, et il nous enseigne par là que sa prière est aussi élevée au-dessus de la nôtre, que sa passion l'est au-dessus de nos souffrances. - S. AUG. (Quest. évang., 2, 50.) Il s'éloigne de ses disciples à la distance d'un jet de pierre, comme pour les avertir par cette figure qu'ils devaient diriger vers lui la pierre, c'est-à-dire conduire jusqu'à lui le sens de la loi qui fut écrite sur la pierre.
S. GREG.
DE NYSSE. (ou Isid., Ch. des Pèr. gr.) Mais pourquoi fléchit-il
les genoux, selon le récit de l'Évangéliste : " Et
s'étant mis à genoux, il priait ? " Les hommes ont coutume
de se prosterner ainsi devant les grands pour les supplier, témoignant
ainsi par leur attitude, que ceux qu'ils prient leur sont supérieurs.
Or, il est évident que la nature humaine n'est rien en comparaison de
celle de Dieu, c'est pourquoi dans les devoirs que nous rendons à cette
nature incomparable, nous employons les marques d'honneur en usage parmi nous,
pour témoigner notre respect à l'égard de ceux qui sont
élevés au-dessus de nous. C'est ainsi que celui qui a pris sur
lui nos misères, et s'est rendu notre médiateur, fléchit
pour prier les genoux de l'humanité dont il s'est revêtu, pour
nous apprendre à fuir l'orgueil pendant que nous prions, et à
suivre en tout les inspirations de l'humilité ; car Dieu résiste
aux superbes, et il accorde sa grâce aux humbles. (Jc 4 ; 1 P 5.)
S. CHRYS. Tout homme qui enseigne un art quelconque, doit joindre l'exemple
aux paroles ; c'est pourquoi Notre-Seigneur qui est venu nous enseigner toutes
les vertus, conforme sa conduite à ses enseignements. Il nous fait un
devoir de prier pour ne point entrer en tentation, il appuie ce précepte
de son exemple : " Il priait, disant : Mon Père, si vous le voulez,
éloignez de moi ce calice. " Ces paroles : " Si vous le voulez,
" ne supposent pas que le Sauveur ignorât que sa prière était
agréable à son Père ; car cette connaissance n'était
pas plus difficile pour lui que la science de la nature du Père, que
lui seul connaît dans toute son étendue, ainsi qu'il le déclare
lui-même : " Comme mon Père me connaît, ainsi je connais
mon Père. " (Jn 10.) S'il parle de la sorte, ce n'est pas non plus
pour éloigner sa passion, car comment admettre qu'il refusât d'être
crucifié, lui qui, voyant un de ses Apôtres s'opposer à
ses souffrances, l'avait repris sévèrement jusqu'à l'appeler
Satan, après qu'il avait fait un si magnifique éloge de sa foi
? (Mt 16.) Pour comprendre la raison de cette prière, considérez
combien il était difficile de croire qu'un Dieu ineffable et incompréhensible,
ait voulu se renfermer dans le sein d'une vierge, être nourri de son lait,
et souffrir toutes les infirmités humaines. Or, comme tous les mystères
de sa vie mortelle étaient presque incroyables, il envoya d'abord les
prophètes pour les prédire à l'avance ; puis il vint lui-même
revêtu d'une chair véritable (pour bien convaincre qu'il n'était
pas un fantôme), et il permit que cette chair fût soumise à
toutes les infirmités de la nature humaine ; à la faim, à
la soif, au sommeil, au travail, à la douleur, à l'angoisse, et
c'est par suite du même dessein, et pour prouver la vérité
de son humanité, qu'il demande à son Père d'éloigner
de lui la mort.
S. AMBR. Il dit donc à Dieu : " Si vous le voulez, éloignez de moi ce calice ; " comme homme, il repousse la pensée de la mort ; comme Dieu, il maintient la loi qu'il a portée. - BEDE. Ou encore, il demande à Dieu d'éloigner de lui ce calice, non par crainte des souffrances, mais par un sentiment de miséricorde pour son ancien peuple, des mains duquel il ne voudrait pas recevoir ce calice. Aussi ne dit-il pas : Éloignez de moi le calice, mais : " Éloignez de moi ce calice, " c'est-à-dire le calice que me prépare le peuple juif, qui ne peut alléguer son ignorance pour excuser son crime, s'il me met à mort, puisqu'il a entre les mains la loi et les prophètes qui lui parlent tous les jours de moi. - S. DENYS D'ALEX. (Ch. des Pèr. gr.) Ou bien encore, ces paroles : " Éloignez de moi ce calice, " ne veulent pas dire : Faites qu'il ne m'arrive pas ; car on ne peut l'éloigner que parce qu'il est déjà arrivé. C'est donc lorsque le Sauveur sentit que ce calice était présent, qu'il commença à être affligé et attristé ; et c'est lorsqu'il le vit sous ses yeux, qu'il dit à son Père : " Éloignez de moi ce calice, " car ce qui passe, ne demeure pas dans le même état, Jésus donc demande à Dieu d'éloigner de lui la tentation qui commence à l'assaillir ; et c'est dans ce sens qu'il nous conseille de prier pour ne point entrer en tentation. Or, il nous indique la voie la plus parfaite et la plus sûre pour échapper aux tentations : " Cependant, que ce ne soit pas ma volonté qui se fasse, mais la vôtre. " En effet, Dieu est essentiellement étranger au mal, et il veut sincèrement nous combler de biens, au delà même de ce que nous pouvons demander et comprendre. Le Sauveur demande donc que la volonté parfaite du Père qui lui est connue, ait son plein effet, parce que cette volonté est la même que la sienne en tant qu'il est Dieu, et il renonce à l'accomplissement de la volonté humaine, qu'il appelle la sienne, et qui est inférieure à celle de son Père. - S. ATHAN. (de l'incarn. contre les Ariens.) Notre-Seigneur nous fait donc voir en lui deux volontés, la volonté humaine et la volonté divine ; la volonté humaine, qui ne voit que la faiblesse de la chair, refuse de souffrir, mais la volonté divine se soumet à la passion avec amour, parce qu'elle sait que le Fils de Dieu ne peut rester enchaîné dans les liens de la mort.
S. GREG. DE NYSSE. Apollinaire prétend que la nature humaine en Jésus-Christ n'avait pas de volonté propre, et qu'il n'y a en lui qu'une seule volonté, celle du Dieu qui est descendu du ciel. Qu'il nous dise donc quelle est cette volonté dont le Sauveur ne veut point l'accomplissement, car la divinité ne peut renoncer à sa propre volonté. - BEDE. Le Sauveur, aux approches de sa passion, a pris la voix de nos infirmités, pour nous apprendre à demander dans notre faiblesse l'éloignement des maux dont nous sommes menacés, tout en ayant la force d'être prêts à dire : Que la volonté de notre Créateur s'accomplisse, fût-elle opposée à la nôtre.
vv. 43-46.
THEOPHYL. Le Seigneur veut être fortifié par un ange alors qu'il
priait, pour nous faire comprendre la puissance de la prière et nous
apprendre à y recourir avant tout dans nos adversités. - BEDE.
Nous lisons dans un autre endroit, que les anges s'approchèrent de lui
et le servaient. (Mt 4.) Nous avons donc une preuve de sa double nature dans
ces anges qui tour à tour le servent et le fortifient, car le Créateur
n'a pas besoin du secours de ses créatures, mais s'étant fait
homme, il a voulu être fortifié pour notre instruction, de même
qu'il s'est soumis à nos tristesses par amour pour nous. - THEOPHYL.
Selon quelques-uns, cet ange apparut au Sauveur pour le glorifier et lui dire
: Seigneur, c'est à vous qu'appartient la puissance, car vous pouvez
délivrer le genre humain de la mort et de l'enfer.
S. CHRYS. Notre-Seigneur s'est revêtu véritablement de notre chair, et c'est pour établir la vérité de son incarnation et fermer la bouche aux hérétiques, qu'il se soumet à toutes les faiblesses de notre nature : " Et étant tombé en agonie, il priait encore plus. " - S. AMBR. Cette tristesse, cette agonie, sont un sujet de difficultés pour un grand nombre de ceux qui inclinent à voir dans la tristesse du Sauveur une preuve de l'infirmité essentielle à sa nature plutôt que la suite d'une faiblesse qu'il n'avait acceptée que pour un temps. Quant à moi, non seulement je ne crois pas devoir excuser ce sentiment, mais nulle part je ne trouve plus à admirer sa miséricorde et sa puissance. En effet, la rédemption de Notre-Seigneur m'eût été beaucoup moins avantageuse, s'il n'avait pris sur lui toutes nos passions, toutes nos faiblesses, car il a pris ma tristesse pour me communiquer sa joie. C'est avec confiance que je parle de la tristesse, parce que je suis prédicateur de la croix. Le Sauveur a dû prendre sur lui nos douleurs pour en triompher, car ceux en qui les souffrances produisent la stupeur et l'insensibilité plutôt que la douleur, n'ont point le mérite du véritable courage. Jésus a donc voulu nous apprendre à triompher de la mort, et surtout des tristesses de la mort. Vous êtes affligé, Seigneur, mais ce n'est pas de vos blessures, c'est des miennes, car c'est à cause de nos péchés qu'il a été blessé. Peut-être aussi est-il triste de ce que depuis la chute d'Adam, la mort est la seule voie par laquelle nous puissions sortir de ce monde. Ajoutons qu'il n'est pas moins vraisemblable que sa tristesse eût pour cause les châtiments que le crime sacrilège de ses persécuteurs devait attirer sur eux.
S. GREG. (Moral., 7, 24.) Aux approches de sa mort, le Sauveur a voulu reproduire en lui les combats de notre âme qui est aussi en proie à la terreur et à l'effroi, lorsque la dissolution prochaine de notre corps nous annonce l'heure du jugement éternel, et ce n'est pas sans raison, puisqu'elle est sur le point d'entendre la sentence qui doit fixer immuablement son sort pour l'éternité.
THEOPHYL.
Une nouvelle preuve que la prière du Sauveur était un acte de
la nature humaine et non de la divinité, c'est la sueur dont il est inondé
: " Et il eut une sueur comme des gouttes de sang découlant jusqu'à
terre. " - BEDE. Il ne faut point attribuer cette sueur à la faiblesse,
une sueur de sang est contre nature, mais reconnaître plutôt l'enseignement
que Notre-Seigneur a voulu nous y donner, c'est qu'il avait obtenu l'effet de
sa prière, qui était d'épurer par son sang la foi de ses
disciples encore entachée des imperfections de la fragilité humaine.
- S. AUG. (sur les max. de Prosp.) Cette sueur sanglante, qui accompagne la
prière du Sauveur, figurait encore, que tous les martyres découleraient
de son corps sacré qui est l'Église. - THEOPHYL. Ou encore, c'est
ici une manière de parler au figuré, et cette sueur de sang signifie
une sueur très-abondante. L'Évangéliste voulant nous représenter
Notre-Seigneur inondé de sueur, nous dit qu'il eut une sueur de sang.
Cependant il trouve ses disciples endormis sous le poids de la tristesse, et
il leur en fait un reproche en même temps qu'il leur recommande de prier
: " S'étant levé après sa prière, il vint à
ses disciples, et les trouva endormis à cause de la tristesse. "
- S. CHRYS. On était au milieu de la nuit, les yeux des disciples étaient
appesantis par le chagrin, et ils succombaient au sommeil plutôt par tristesse
que par épuisement. - S. AUG. (De l'acc. des Evang., 3, 4.) Saint Luc
ne dit pas combien de fois le Seigneur avait adressé à Dieu sa
prière avant de venir trouver ses disciples, mais il n'y a ici aucune
contradiction entre son récit et celui de saint Marc.
BEDE. Notre-Seigneur apprend à ses disciples que c'est pour eux qu'il
a prié, et il les engage à entrer en participation de ses prières,
en veillant et en priant eux-mêmes. " Et il leur dit : Pourquoi dormez-vous
? levez-vous et priez, afin de ne point entrer en tentation. " - THEOPHYL.
C'est-à-dire, pour n'être point vaincu par la tentation ; car ne
pas entrer en tentation, signifie n'en être pas victime. Ou encore, il
nous recommande de prier pour obtenir une vie calme et tranquille, exempte de
tout mal, car c'est en suivant les inspirations du démon et de l'orgueil
qu'os se jette dans la tentation. Aussi l'apôtre saint Jacques ne dit
pas : Jetez-vous dans la tentation, mais : " Considérez comme le
sujet d'une grande joie lorsque vous tomberez dans les tentations, en acceptant
volontiers et avec joie ce qui vous arrive malgré vous. " (Jc 2.)
vv. 47-53.
LA GLOSE. Après le récit de la prière de Jésus-Christ,
l'Évangéliste raconte sa trahison par son perfide disciple : "
Il parlait encore, lorsqu'une troupe de gens parut, et à leur tête
celui qui s'appelait Judas. " - S. CYR. Il dit : " Celui qui s'appelait
Judas, " comme si ce nom lui faisait horreur. Il ajoute : " Un des
douze, " pour faire ressortir davantage la méchanceté de
ce traître disciple, qui est devenu la cause de la mort de Jésus-Christ,
après avoir été élevé par lui à la
sublime dignité de l'apostolat. - S. CHRYS. Il est des maladies incurables
qui sont rebelles aux remèdes les plus énergiques, comme à
ceux qui sont les plus doux ; ainsi l'âme une fois captivée et
enchaînée volontairement dans les liens du vice, ne se rend à
aucun avertissement. C'est ce qui s'est vérifié dans Judas, qui
ne renonça pas au dessein de trahir son maître, bien que Jésus
ait cherché à l'en détourner par tous les moyens possibles
: " Et il s'approcha de Jésus pour le baiser. " - S. CYR. Il
avait oublié la gloire qui avait environné la vie du Christ, il
crut donc pouvoir consommer son crime en secret, et il osa donner pour signal
de cette trahison sacrilège le symbole de l'affection la plus tendre.
S. CHRYS. (Disc. 1 sur Laz.) Nous ne devons pas cesser d'avertir nos frères,
lorsque bien même ils ne profitent pas de nos avertissements, car les
ruisseaux ne cessent pas de couler, lors même que personne ne vient y
puiser. Vous ne persuadez pas aujourd'hui, peut-être serez-vous plus heureux
demain. Le pêcheur traîne ses filets vides pendant toute la journée,
et c'est vers le soir qu'il les remplit de poissons. Aussi bien que le Seigneur
sut parfaitement qu'il ne convertirait pas Judas, il ne laissa pas de faire
tout ce qui pouvait le détourner de son mauvais dessein : " Jésus
lui dit : Judas, vous trahissez le Fils de l'homme par un baiser ? " -
S. AMBR. Il faut donner à ces paroles la forme interrogative, comme exprimant
mieux le reproche tendre et affectueux que le Sauveur fait à ce traître
disciple. - S. CHRYS. Il l'appelle par son nom plutôt pour exprimer sa
douleur et ramener le traître à de meilleurs sentiments que pour
redoubler sa fureur. - S. AMBR, Il lui dit : " Vous trahissez par un baiser,
" c'est-à-dire, vous choisissez le symbole et le gage de l'amour
pour me faire le plus cruel outrage, et c'est avec le plus doux signe de la
paix que vous me donnez le coup de la mort. Vous, mon serviteur, vous trahissez
votre Seigneur, vous, mon disciple, vous trahissez votre maître, vous
que j'ai choisi pour apôtre, vous trahissez le Dieu, auteur de votre vocation.
- S. CHRYS. Cependant il ne lui dit pas en termes exprès : Vous trahissez
votre maître, votre Seigneur, votre bienfaiteur ; mais " Vous trahissez
le Fils de l'homme, " c'est-à-dire, la mansuétude et la douceur
même, celui qui vous a témoigné tant de tendresse et de
bonté, que vous ne devriez jamais songer à le trahir, quand même
il ne serait pas votre Seigneur et votre maître.
S. AMBR. Le Sauveur donne ici à la fois une preuve éclatante de
sa puissance divine et une grande leçon de vertu. Il dévoile le
crime de son traître disciple, et il le supporte encore avec patience
; il lui montre celui qu'il trahit, en dévoilant aux yeux de tous les
secrets de ses noirs desseins ; il montre celui qu'il va livrer, en disant :
" Le Fils de l'homme ; " car ce n'est pas la divinité, mais
l'humanité dont les ennemis de Jésus vont se saisir. Et cependant
ce qui rend plus odieuse l'ingratitude du traître disciple, c'est d'avoir
trahi celui qui, étant le Fils de Dieu, a voulu devenir pour nous le
Fils de l'homme, et Jésus semble lui dire : Ingrat, c'est pour toi que
j'ai pris cette humanité que tu trahis avec tant d'hypocrisie - S. AUG.
(de l'acc. des Evang., 3, 5.) Lorsque le Seigneur fut trahi, les premières
paroles qu'il prononça furent celles-ci rapportées par saint Luc
: " Vous trahissez le Fils de l'homme par un baiser ; " puis celle
que lui prête saint Matthieu : " Mon ami, dans quel dessein êtes-vous
venu ? " Et enfin celles que rapporte saint Jean : " Qui cherchez-vous
? " - S. AMBR. Le Sauveur donne le baiser à Judas, non pour nous
enseigner à dissimuler, mais pour nous montrer qu'il ne repousse pas
même ce traître, et pour rendre sa trahison plus odieuse.
THEOPHYL. Cependant les disciples veulent prendre la défense de leur
maître, et tirent l'épée : " Ceux qui étaient
avec lui, voyant ce qui allait arriver lui dirent : Seigneur, si nous frappions
de l'épée ? " Mais comment pouvaient-ils avoir des épées
ou des glaives ? Parce qu'ils venaient d'immoler l'agneau et sortaient de table.
Tandis que les autres disciples demandent s'ils doivent se servir de leur épée,
Pierre, toujours plein de zèle pour son divin Maître, n'attend
pas sa réponse, et frappe aussitôt le serviteur du grand-prêtre
: " Et l'un d'eux frappa l'un des serviteurs du grand-prêtre, "
etc. - S. AUG. (De l'acc. des Evang.) D'après saint Jean, celui qui frappa
fut Pierre, et celui qui fut frappé s'appelait Malchus. - S. AMBR. Pierre,
dont l'ardeur n'avait pas d'égale et qui était instruit dans la
loi, savait que le zèle de Phinées, qui avait mis à mort
des sacrilèges, lui avait été imputé à justice
(Nb 25 ; Ps 105, 31 ; Si 45, 28 ; 1 M 2, 54), et il frappe sans hésiter
le serviteur du grand-prêtre. - S. AMB. (De l'acc. des Evang.) Saint Luc
ajoute : " Jésus dit : Arrêtez, laissez-les. " C'est
ce que saint Matthieu rapporte en d'autres termes : " Remettez votre épée
dans son fourreau. " Il n'y a pas de contradiction entre la réponse
du Seigneur, telle que la rapporte saint Luc : " Arrêtez-vous là,
" et d'après laquelle le Sauveur approuverait ce qui avait été
fait, mais sans vouloir rien de plus ; et celle que saint Matthieu prête
au Sauveur, qui semble désapprouver tout ce que Pierre a fait en se servant
de son épée. Il est certain que lorsque les disciples lui firent
cette question : " Si nous frappions avec l'épée ? "
il leur répondit : " Arrêtez-vous là, laissez-les ;
" c'est-à-dire, ne vous inquiétez pas de ce qui doit arriver,
il faut les laisser s'avancer jusqu'au bout, c'est-à-dire, se saisir
de moi pour accomplir ce que les prophètes ont écrit de moi. En
effet, l'Évangéliste ne dirait pas : " Jésus répondit,
" s'il ne répondait par le fait à la question de ses disciples
plutôt qu'à l'action de Pierre. Or, dans l'intervalle qui s'écoule
entre la question faite au Seigneur et sa réponse, Pierre, emporté
par son zèle, frappa le serviteur du grand-prêtre, mais les Évangélistes
n'ont pu raconter en même temps ce qui s'était passé simultanément.
Alors, selon le récit de saint Luc, Jésus guérit celui
qui avait été frappé : " Et ayant touché l'oreille
de cet homme il le guérit. " - BEDE. Jamais le Seigneur ne cesse
d'exercer sa miséricorde, ils vont faire mourir le juste, et à
ce moment même il guérit les blessures de ses bourreaux.
S. AMBR. En guérissant la sanglante blessure de cet homme, Notre-Seigneur
nous révèle ses divins mystères, et nous montre le serviteur
du prince de ce monde réduit en servitude, non par la condition de sa
nature, mais par sa fauté, et recevant une blessure à l'oreille,
parce qu'il n'a point voulu écouter les enseignements de la sagesse ;
ou si Pierre lui-même a voulu frapper cet homme à l'oreille, c'est
pour nous enseigner que celui qui n'a point l'oreille du coeur ouverte pour
les saints mystères, ne mérite point d'avoir l'oreille du corps
qui en est la figure, Mais pourquoi est-ce Pierre plutôt qu'un autre disciple
? Parce qu'il a reçu le pouvoir de lier et de délier, et c'est
pour cela qu'il coupe avec le glaive spirituel l'oreille intérieure de
celui dont l'intelligence est rebelle aux divins enseignements. Mais le Seigneur
rend aussitôt à cet homme l'usage de l'ouïe, pour nous apprendre
que ceux mêmes qui ont été blessés et scandalisés
de sa passion, peuvent parvenir au salut, s'ils veulent se convertir, parce
qu'il n'y a point de péché qui ne puisse être effacé
par la puissance mystérieuse des sacrements de la foi. - BEDE. Ou encore,
ce serviteur est la figure du peuple juif, réduit injustement en servitude
par les princes des prêtres, et qui, dans la passion du Sauveur, perd
l'oreille droite, c'est-à-dire, l'intelligence spirituelle de la loi.
Cette oreille est coupée par le glaive de Pierre, non que cet Apôtre
ôte le sens de l'intelligence à ceux qui en font un bon usage,
mais il le retranche aux âmes négligentes qui méritent de
le perdre par un juste jugement de Dieu. Cependant la bonté divine rétablit
dans son premier état l'oreille droite de ceux qui, parmi le peuple juif,
ont embrassé la foi.
" Or, Jésus leur dit : Vous êtes venus comme à un voleur,
avec des épées et des bâtons, " etc. - S. CHRYS. Ils
étaient venus de nuit, parce qu'ils craignaient le soulèvement
de la multitude, et Jésus leur dit : " Qu'aviez-vous besoin de ces
armes pour prendre celui qui est tous les jours au milieu de vous, puisque j'étais
tous les jours avec vous dans le temple ? " - S. CYR. Notre-Seigneur ne
blâme pas les principaux d'entre les Juifs de n'avoir pas cherché
plutôt à le mettre à mort, mais il leur reproche de s'imaginer,
dans leur aveuglement, qu'ils peuvent se saisir de lui contre sa volonté
; et tel est le sens de ses paroles : Vous n'avez pu vous saisir de moi alors,
parce que je ne le voulais pas, et aujourd'hui encore vous ne le pourriez pas
davantage, si je ne me livrais moi-même entre vos mains : " Mais
voici votre heure, " c'est-à-dire mon Père qui se rend à
mes voeux, vous accorde ce peu de temps pour exercer contre moi votre cruauté.
Il ajoute que cette puissance de sévir contre le Christ, a été
donnée aux ténèbres (c'est-à-dire au démon
et aux Juifs) ; mais voici votre heure et la puissance des ténèbres.
- BEDE. C'est-à-dire : Vous vous réunissez contre moi dans les
ténèbres, parce que la puissance dont vous vous armez contre la
lumière est la puissance des ténèbres. On se demande comment
saint Luc a pu dire que Jésus parlait ainsi aux princes des prêtres,
aux officiers du temple, et aux anciens qui étaient venus pour le prendre
; tandis que d'après les autres Évangélistes, ils ne vinrent
pas en personne, mais envoyèrent leurs serviteurs, et attendirent dans
la maison de Caïphe. Nous répondons que cette contradiction n'est
qu'apparente, et que les princes des prêtres vinrent effectivement, non
par eux-mêmes, mais par ceux qu'ils envoyèrent en leur nom, et
qui avaient reçu d'eux l'ordre de se saisir de Jésus-Christ.
vv. 54-62.
S. AMBR. Ces infortunés ne comprirent point le mystère de cette
guérison, et n'eurent aucun égard pour ce sentiment de bonté
et de clémence, qui ne peut souffrir que ses ennemis mêmes soient
blessés : " S'étant donc saisis de lui, ils l'amenèrent,
" etc. Lorsque nous lisons qu'ils se saisirent de Jésus, gardons-nous
de l'entendre de sa divinité, ou de croire que ce fut malgré lui,
et par suite de sa faiblesse ; ils ne s'emparent de lui et ne le chargent de
chaînes qu'en tant qu'il est revêtu d'un corps véritable
semblable au nôtre. - BEDE. Le prince des prêtres était Caïphe,
qui était grand-prêtre pour cette année. - S. AUG. (de l'acc.
des Evang) Cependant Jésus fut conduit premièrement chez Anne,
beau-père de Caïphe, selon le récit plus circonstancié
de saint Jean, et non chez Caïphe, comme le raconte saint Matthieu. Saint
Marc et saint Luc ne disent pas le nom du grand-prêtre. - S. CHRYS. (hom.
84 sur S. Matth,) Il fut conduit dans la maison du grand-prêtre, pour
que tout se fit de son consentement et par son ordre ; car c'est là qu'ils
s'étaient tous réunis pour attendre Jésus. Pierre donne
ici une preuve de son ardent amour, il a vu tous les disciples prendre la fuite,
et ne les a point imités : " Et Pierre le suivait de loin. "
- S. AMBR. Remarquez cependant qu'il le suivait de loin, parce qu'il allait
bientôt le renier ; car il n'eût pu se rendre coupable de ce crime,
s'il se fût tenu plus près de Jésus-Christ. Toutefois il
est digne d'éloges pour n'avoir point abandonné le Sauveur, malgré
la crainte qu'il éprouvait ; cette crainte était un sentiment
naturel, mais son zèle était l'effet de son amour. - BEDE. Pierre,
suivant de loin le Seigneur qui se dirige vers le lieu de ses souffrances, est
la figure de l'Église, qui suit, il est vrai, c'est-à-dire qui
doit imiter la passion du Sauveur, mais d'une manière bien différente
; car l'Église souffre pour elle-même, tandis que Jésus-Christ
souffre pour l'Église.
S. AMBR. Or, on avait allumé du feu dans la maison du prince des prêtres
: " Après avoir allumé du feu au milieu de la cour, ils s'assirent
autour, et Pierre s'assit parmi eux. " Pierre s'approcha pour se réchauffer,
parce qu'à la vue du Seigneur chargé de chaînes, la chaleur
de son âme s'était déjà refroidie. - S. AUG. (serm.
124 du temps.) Pierre avait reçu les clefs du royaume des cieux, et devait
avoir la charge d'une multitude innombrable de peuples encore ensevelis dans
leurs péchés. Mais il avait encore quelque dureté dans
le caractère, comme il le fait voir en coupant l'oreille au serviteur
du grand-prêtre. Or, avec cette sévérité et cette
dureté, quelle indulgence aurait-il eue pour les peuples qui devaient
lui être confiés, s'il avait reçu le privilège de
l'impeccabilité ? La Providence divine permit donc qu'il tombât
le premier dans le péché, pour que le souvenir de sa propre chute
modérât la sévérité de ses jugements à
l'égard des pécheurs. Comme il était près du feu
pour se chauffer, une jeune fille s'approcha de lui : " Une servante qui
le vit assis devant le feu, l'ayant considéré attentivement, "
etc. - S. AMBR. Pourquoi est-ce une servante qui découvre la première
la présence de Pierre, alors que c'était bien plutôt aux
hommes à la reconnaître ? N'est-ce point que Dieu permit que ce
sexe ne se rendît coupable dans la passion du Seigneur, pour qu'il eût
part aussi à la grâce de la rédemption par sa passion ?
Pierre étant reconnu, renie son Maître ; je préfère
voir Pierre renier Jésus, plutôt que de dire que le Seigneur s'est
trompé : " Et Pierre le nia, disant : Femme, je ne le connais point.
" - S. AUG. (comme précéd.) Que faites-vous, Pierre ? votre
langage est tout à coup changé ; votre bouche, pleine de foi et
d'amour, ne laisse plus sortir que des paroles de haine et de perfidie ? Vous
n'avez encore à craindre ni violences, ni tortures ; aucun de ceux qui
vous interrogent, n'a assez d'autorité pour vous faire trembler ; une
femme vous fait une simple question, sans intention peut-être d'abuser
de votre réponse pour vous faire connaître ; que dis-je, ce n'est
pas une femme, c'est une jeune fille chargée de garder la porte, c'est
une humble servante.
S. AMBR. Or, Pierre a renié Jésus, parce que sa promesse a été
présomptueuse. Il ne le renie pas sur la montagne, ni dans le temple,
ni dans sa maison, mais dans le prétoire des Juifs, il renie Jésus
là où il est enchaîné, là où ne se
trouve point la vérité. Il le renie en disant " Je ne le
connais point ; " il eût été téméraire,
en effet, de dire qu'il connaissait celui que l'esprit humain ne peut comprendre
: " Car personne ne connaît le Fils, si ce n'est le Père.
" (Mt 11, 47.) Bientôt il renie Jésus une seconde fois : "
Un peu après, un autre le voyant, lui dit : Vous aussi, vous êtes
de ces gens là. " - S. AUG. (de l'accord des Evang.) Lors de ce
second reniement, Pierre fut interpellé par deux personnes ; par cette
servante dont parlent saint Matthieu et saint Marc, et par une autre personne,
dont fait mention saint Luc. Au moment dont saint Luc dit : " Un peu après,
" Pierre était déjà sorti, et le coq avait chanté
pour la première fois, comme le raconte saint Marc, puis il était
rentré (selon le récit de saint Jean), et se tenait devant le
feu près de renier Jésus pour la seconde fois. En effet, écoutez-le
: " Pierre répondit : Mon ami, je n'en suis point. " - S. AMBR.
Il aime mieux se renier lui-même que de renier Jésus-Christ ; ou
encore, c'est en niant qu'il soit de la société de Jésus,
qu'il se renie lui-même. - BEDE. Ce reniement de Pierre nous apprend qu'on
ne renie pas seulement Jésus-Christ en soutenant qu'il n'est pas le Christ,
mais en niant qu'on soit chrétien, lorsqu'on l'est en effet.
S. AMBR.
La même question est répétée à Pierre une
troisième fois : " Une heure environ s'était écoulée,
lorsqu'un autre vint dire avec assurance : Certainement cet homme était
avec lui. " - S. AUG. (de l'accord des Evang.) Saint Luc précise
l'intervalle qui s'écoula entre le deuxième et le troisième
renoncement : " Une heure environ s'était écoulée,
" intervalle dont saint Matthieu et saint Marc ne parlent qu'en ces termes
généraux : " Un peu après, " saint Jean n'en
fait point mention. De même saint Matthieu et saint Marc parlent au pluriel
de ceux qui adressaient ces questions à Pierre, tandis que saint Luc
et saint Jean ne font mention que d'un seul. Il est facile de résoudre
cette contradiction apparente en disant : ou bien que saint Matthieu et saint
Marc ont suivi l'usage souvent adopté de mettre le pluriel pour le singulier
; ou bien qu'un seul surtout affirmait avoir vu Pierre, et que tous les autres
insistaient en s'appuyant sur son témoignage. D'un autre côté,
saint Matthieu raconte qu'un de ceux qui étaient présents dit
à saint Pierre : " Certainement vous êtes aussi de ces gens-là
; car votre langage même vous trahit, " et saint Jean qu'un autre
lui dit également : " Est-ce que je ne vous ai pas vu dans le jardin
? " tandis que selon saint Marc et saint Luc, ils s'entretenaient de Pierre
à peu près dans les mêmes termes. On peut adopter l'opinion
de ceux qui croient que d'après tous les Évangélistes Pierre
fut interpellé directement (car parler de lui devant lui-même,
n'était-ce pas la même chose que lui parler à lui-même),
ou bien qu'on s'est servi de ces deux manières de parler, et que les
Évangélistes n'en ont raconté qu'une seule des deux. -
BEDE. On ajoute : " Car il est aussi Galiléen, " non pas sans
doute que les Galiléens eussent une langue différente de celle
des habitants de Jérusalem (qui étaient aussi des hébreux),
mais parce que chaque province et chaque pays ayant ses usages propres, ne pouvait
éviter, en parlant, l'accent qui lui était particulier.
" Pierre répondit : Mon ami, je ne sais ce que vous dites. "
- S. AMBR. C'est-à-dire, je ne connais point vos discours sacrilèges.
Nous cherchons à excuser Pierre, mais lui-même ne s'excusa point,
c'est qu'en effet, ce n'est pas avec une réponse vague que l'on peut
confesser Jésus-Christ, il faut une déclaration claire et formelle
; aussi ne peut-on dire que Pierre ait eu dessein de répondre dans ce
sens, puisque bientôt le. souvenir de son reniement lui fit verser des
larmes amères.
BEDE. L'Écriture sainte a coutume de caractériser le mérite
des faits par les différentes circonstances des temps ; ainsi Pierre,
qui avait renié son divin Maître au milieu de la nuit, se repentit
de son péché au chant du coq : " Et aussitôt, comme
il parlait encore, le coq chanta, " le souvenir de la vraie lumière
lui fait expier le crime qu'il a commis dans les ténèbres de l'oubli.
- S. AUG. (de l'accord des Evang., 3, 7.) Le chant du coq se fit entendre après
le triple reniement de Pierre, comme saint Marc le dit expressément.
- BEDE. Dans le sens figuré, ce coq représente les docteurs qui
excitent les âmes languissantes et engourdies, en leur adressant ces paroles
de l'Apôtre : Justes, tenez-vous dans la vigilance, et gardez-vous du
péché. " (1 Co 15, 34.)
S. CHRYS. (hom. 42 sur S. Jean.) Admirez la tendre sollicitude du Sauveur, il
est chargé de chaînes et il veille avec amour sur son disciple,
et d'un seul regard, il le touche et lui fait verser un torrent de larmes :
" Et le Seigneur, se retournant, regarda Pierre. " - S. AUG. (de l'accord
des Evang.) Il faut examiner attentivement dans quel sens il faut entendre ces
paroles. En effet, d'après saint Matthieu, " Pierre était
assis au dehors dans la cour, " et il ne se fût pas exprimé
de la sorte, si Notre-Seigneur n'eût été alors dans l'intérieur
de la maison. Saint Marc, de son côté, nous dit que " Pierre
était en bas, dans la cour, " paroles qui indiquent que les faits
qui concernent Jésus, et font l'objet de son récit, se passaient
non seulement dans l'intérieur, mais dans le haut de la maison. Comment
donc le Seigneur a-t-il regardé Pierre ? Ce ne fut pas des yeux du corps,
puisque Pierre alors se trouvait en dehors, dans la cour, avec ceux qui se chauffaient,
pendant que tout le reste se passait dans l'intérieur de la maison. Il
est donc ici question d'un regard tout divin, tel que celui qu'implorait le
Psalmiste, lorsqu'il disait : " Regardez-moi, et exaucez-moi ; " (Ps
13) et encore " Tournez-vous vers moi, et délivrez mon âme
; " (Ps 6) et c'est dans ce sens qu'il faut entendre ces paroles : "
Et le Seigneur, se retournant, regarda Pierre. " - BEDE. En effet, pour
Jésus, regarder, c'est faire miséricorde, et cette miséricorde
nous est nécessaire non seulement pour faire pénitence, mais même
pour en concevoir la résolution.
S. AMBR. Ceux sur lesquels Jésus daigne ainsi jeter un regard, pleurent amèrement leurs fautes : " Et Pierre se ressouvint de la parole que le Seigneur lui avait dite : " Avant que le coq chante, tu me renieras trois fois. Et Pierre étant sorti, pleura amèrement. " Quelle fut la cause de ses larmes ? la faute qu'il avait commise. Je lis bien que Pierre a pleuré ; je ne vois point qu'il ait cherché à s'excuser ; ses larmes effacent le crime qu'il avait honte d'avouer. Il avait renié son divin Maître une première et une seconde fois, mais sans verser de larmes, parce que le Seigneur ne l'avait pas encore regardé ; il le renie une troisième fois, Jésus le regarde, et il pleure amèrement. Si donc vous voulez mériter votre pardon, vous aussi lavez vos fautes dans vos larmes. - S. CYR. Cependant Pierre n'osait pleurer publiquement, de peur que ses larmes ne le fissent découvrir, mais il sortit dehors pour donner un libre cours à ses larmes. Or, il pleurait non par crainte du châtiment qu'il avait mérité, mais parce qu'il avait renié son Maître bien-aimé, pensée plus accablante pour lui que tous les supplices.
vv. 63-71.
S. AUG. (De l'acc. des Evang., 3, 6.) Tous les évangélistes ne
rapportent pas dans le même ordre le reniement de Pierre, qui eut lieu
pendant que le Seigneur était en butte aux outrages de ses ennemis. Saint
Matthieu et saint Marc racontent d'abord ces outrages, et puis la chute de Pierre
; saint Luc suit un ordre contraire, et ce n'est qu'après le reniement
de Pierre, qu'il parle de ces outrages en ces termes : " Cependant ceux
qui tenaient Jésus le raillaient, " etc. - S. CHRYS. Jésus,
le Seigneur du ciel et de la terre, supporte et souffre les dérisions
des impies, pour nous donner un sublime exemple de patience. - THEOPHYL. Ajoutons
que le Seigneur des prophètes est l'objet de leurs moqueries comme un
faux prophète.
" Puis
lui ayant bandé les yeux, ils le frappaient au visage, " etc. -
BEDE. Ils lui faisaient subir cet indigne traitement, parce qu'il avait voulu
se faire passer aux yeux du peuple pour un prophète. Or, ce même
Jésus qui fut alors souffleté par les Juifs, est encore aujourd'hui
outragé de la même manière par les blasphèmes des
faux chrétiens. Ils lui bandèrent les yeux, non pour lui dérober
le spectacle de leurs violences, mais pour dérober à eux-mêmes
la vue de sa face adorable. C'est ainsi que les hérétiques, les
Juifs et les mauvais catholiques, qui continuent de l'outrager par leur conduite
criminelle, lui disent encore pour se moquer de lui : " Qui t'a frappé
? " lorsqu'ils s'imaginent qu'il ne peut connaître leurs pensées
et leurs oeuvres de ténèbres.
S. AUG. (De l'accord des Evang.) Le Seigneur fut donc en butte à ces
outrages pendant toute la nuit dans la maison du prince des prêtres où
il avait d'abord été conduit : " Et dès qu'il fut
jour, les anciens du peuple, les princes des prêtres et les scribes s'assemblèrent,
et l'ayant fait amener devant eux, ils lui dirent : Si vous êtes le Christ,
dites-le nous. " - BEDE. Ils ne désirent point connaître la
vérité, mais ils attendent sa réponse pour le calomnier.
Le Christ dont ils espéraient la venue, devait être de la race
de David, et ils lui font cette question, pour lui faire un crime de s'être
attribué la puissance royale, s'il répondait affirmativement :
" Je suis le Christ. "
THEOPHYL. Mais Jésus connaissait leurs dispositions intérieures, et il savait bien que n'ayant point voulu croire à ses oeuvres, ils se rendraient encore bien moins à ses discours : " Et il leur répondit : Si je vous le dis, vous ne me croirez pas. " - BEDE. Souvent en effet, il leur avait déclaré qu'il était le Christ ; par exemple lorsqu'il leur disait : " Mon Père et moi nous sommes un, " (Jn 10) et en d'autres termes semblables : " Et si je vous interroge, vous ne me répondrez pas. " C'est ainsi qu'il leur avait demandé comment ils pouvaient dire que le Christ fût le Fils de David, puisque David inspiré l'appelait son Seigneur (cf. Mt 22, 42 ; Mc 12, 35.36 ; Lc 20, 42, etc). Or, ils n'avaient voulu ni croire à sa parole, ni répondre à ses questions, et comme ils s'attachaient à calomnier le fils de David, il leur fait entendre une vérité beaucoup plus importante : " Désormais le Fils de l'homme sera assis à la droite de la puissance de Dieu. " - THEOPHYL. Paroles dont voici le sens : Le temps des discours et des enseignements est passé pour vous ; désormais c'est le temps du jugement, où vous me verrez, moi le Fils de l'homme assis à la droite de la puissance de Dieu. - S. CYR. Lorsque la sainte Écriture nous représente Dieu comme assis, et qu'elle nous parle de son trône, elle veut exprimer qu'il est le Roi de l'univers, et qu'il a sur tous les hommes une puissance souveraine. Nous ne pouvons admettre, en effet, qu'il existe un tribunal où le Seigneur de toutes choses vienne siéger, ni que la nature divine ait une droite ou une gauche, car il n'appartient qu'aux corps d'avoir une forme, d'occuper une place, ou d'être assis. Mais comment le Fils de l'homme pourra-t-il paraître dans la même gloire et au même rang que son Père, s'il n'est pas son Fils par nature, s'il n'a pas en lui l'essence même du Père ? - THEOPHYL. Cette déclaration solennelle aurait dû leur inspirer une crainte salutaire, loin de là, elle ne fait que redoubler leur acharnement : " Alors ils dirent tous : Vous êtes donc le Fils de Dieu ? " - BEDE. ils comprirent qu'il s'était déclaré le Fils de Dieu en disant de lui-même : " Désormais le Fils de l'homme sera assis à la droite de la puissance de Dieu. " - S. AMBR. Notre-Seigneur aime mieux prouver qu'il était roi plutôt que de le dire, afin de leur ôter tout motif de le condamner, puisqu'ils étaient forcés d'avouer eux-mêmes ce dont ils lui faisaient un crime : " il répondit : Vous le dites, je le suis. " - S. CYR. A ces paroles, toute la troupe des pharisiens entre en fureur, et l'accuse de blasphème : " Et ils repartirent : Qu'avons-nous besoin d'autre témoignage ? nous l'avons entendu nous-mêmes de sa propre bouche. " - THEOPHYL. Cette conduite des Juifs nous montre que les esprits rebelles ne tirent aucun avantage des mystères qui leur sont révélés, mais qu'ils n'en deviennent que plus coupables, aussi vaut-il mieux les leur laisser ignorer.