CATANA AUREA SUR SAINT LUC

PRÉFACE DE L'EXPLICATION

ÉVANGILE DE SAINT LUC PAR SAINT THOMAS

SAINT THOMAS D'AQUIN CATENA AUREA SUR SAINT LUC

CHAPITRE XXII
vv. 1-2.
S. CHRYS. Les solennités des Juifs étaient l'ombre et la figure des nôtres ; si donc vous interrogez un juif sur la pâque et les azymes, il ne vous répondra rien de bien élevé, et se contentera de vous rappeler la délivrance de la captivité d'Égypte. Si, au contraire, vous me faites la même question, je ne vous parlerai ni de l'Égypte, ni de Pharaon, mais de la délivrance du péché et des ténèbres du démon, accomplie, non par Moïse, mais par le Fils de Dieu. - La GLOSE. En commençant le récit de la passion du Sauveur, l'Évangéliste parle d'abord de ce qui en était la figure : " La fête des pains sans levain, appelée la pâque, était proche. " - BEDE. Le mot pâque, en hébreu phase, ne tire pas son nom du mot souffrance, mais du mot passage, parce que l'ange exterminateur, voyant le sang de l'agneau sur les portes des Israélites, passa sans mettre à mort leurs premiers-nés ; ou encore, parce que le Seigneur lui-même vint du ciel et passa au milieu d'eux pour secourir son peuple. Or, la pâque diffère des azymes, en ce que le nom de pâque est donné exclusivement au jour où l'on devait immoler l'agneau (c'est-à-dire le quatorzième de la lune du premier mois), tandis que le quinzième de la lune, jour de la sortie d'Égypte, commençait la fête des azymes qui durait sept jours, jusqu'au vingt et unième jour du même mois. C'est pourquoi les Évangélistes emploient indifféremment ces deux noms, comme dans cet endroit : " Le jour des azymes qui est appelé la pâque. " Le sens mystique de cette interprétation est que Jésus-Christ, qui a souffert une fois pour nous, nous fait un devoir de vivre dans les azymes de la sincérité et de la vérité (1 Co 5, 7-8), pendant toute la durée de cette vie, qui se compose de révolutions successives de sept jours.
S. CHRYS. (hom. 80 sur S. Matth.) Les princes des prêtres concertent des projets criminels même pendant cette fête : " Et les princes des prêtres cherchaient un moyen pour faire mourir Jésus, " etc. D'après les prescriptions de Moïse, il ne devait y avoir qu'un seul grand prêtre, et ce n'est qu'à sa mort qu'on pouvait en créer un autre. Mais comme les observances judaïques commençaient à se relâcher, on nommait chaque année plusieurs grands prêtres. Or, en voulant faire mourir Jésus, ils ne craignent point que la justice divine ne punisse un forfait d'autant plus énorme, qu'ils le commettaient dans ces jours sacrés, et ils redoutent beaucoup plus les hommes : " Mais ils craignaient le peuple. " - BEDE. Ce n'est pas qu'ils craignissent une sédition, mais ils avaient peur que le peuple ne vînt le délivrer de leurs mains. Ceci se passa, d'après saint Matthieu, deux jours avant la pâque, dans la maison de Caïphe, où ils étaient assemblés.

vv. 3-6.
THEOPHYL. Les princes des prêtres cherchaient donc le moyen de mettre Jésus à mort, sans courir de danger ; l'Évangéliste raconte maintenant le moyen d'exécution qui vint s'offrir à eux : " Or, Satan entra dans Judas. " Il entra dans Judas sans violence, et comme dans une place ouverte ; car, absorbé tout entier par son avarice, il avait oublié tous les prodiges qu'il avait vus. - S. CHRYS. (hom. 81 sur S. Matth.) L'auteur sacré fait connaître son surnom, qui était Iscariote, parce qu'il y avait un autre Judas. Il ajoute : " L'un des douze apôtres, " car Judas complétait le nombre, mais il était loin de remplir les devoirs d'un apôtre. - S. CHRYS. Ou encore, l'Évangéliste fait mention de cette circonstance, pour établir un contraste, comme s'il disait : Il était de la première compagnie que Jésus avait choisie avec le plus de soin. "
BEDE. Il n'y a aucune contradiction entre le récit de saint Luc, et ce que dit saint Jean, que Satan entra dans Judas après le morceau de pain que Jésus lui avait présenté. (Jn 13, 27.) Il entra la première fois comme sur un terrain qui n'était pas à lui, et pour tenter Judas, il entra la seconde fois comme dans un coeur qui lui appartenait, et pour le plier à toutes ses volontés. - S. CHRYS. Considérez ici l'insigne méchanceté de Judas ; c'est lui-même qui se charge de cet odieux forfait, et il met à prix sa trahison : " Et il s'en alla conférer avec les princes des prêtres et les officiers du temple, sur les moyens de le leur livrer, et ils en furent pleins de joie. " - THEOPHYL. Ces officiers sont ceux qui étaient chargés de veiller à l'entretien et à la garde du temple, ou bien ceux que les Romains avaient établis pour prévenir les séditions auxquelles le peuple juif était porté.

S. CHRYS. Or, ce fut l'avarice qui fut la cause de la perte de Judas : " Et ils convinrent de lui donner de l'argent. " Telles sont les passions qu'engendre l'avarice, elle précipite les hommes dans l'impiété et dans l'ignorance de Dieu ; et alors même qu'ils ont reçu des bienfaits sans nombre, elle les porte à se déclarer contre leurs bienfaiteurs : " Et il le leur promit. " - THEOPHYL. C'est-à-dire qu'il s'engagea de son côté à livrer Jésus : " Et il cherchait une occasion favorable de le leur livrer, sans exciter de troubles, " c'est-à-dire qu'il épiait le moment où il le verrait éloigné de la foule. - BEDE. Combien en est-il qui ont en horreur le crime de Judas, et qui ne laissent pas de l'imiter. Car celui qui viole les droits de la charité et de la vérité, trahit Jésus-Christ (qui est la vérité et la charité), surtout lorsque sa trahison n'est l'effet ni de la faiblesse ni de l'ignorance, mais qu'à l'exemple de Judas, il cherche l'occasion de trahir sans témoin la vérité par le mensonge, et la vertu par le crime.

vv. 7-13.
TITE DE BOST. Notre-Seigneur voulait nous donner la pâque céleste, il se soumet pour cela à manger la pâque figurative, et il supprime le symbole pour lui substituer la vérité : " Vint le jour des azymes, " etc. - BEDE. L'Évangéliste appelle jour des azymes le quatorzième jour du premier mois, dans lequel on avait coutume de faire disparaître tout pain fermenté, et d'immoler vers le soir la pâque, c'est-à-dire l'agneau pascal. - EUSEBE. (Ch. des Pèr. gr.) On me dira peut-être : Puisque les disciples ont préparé, le premier jour des azymes, ce qu'il fallait pour que leur divin Maître pût manger la pâque, nous devons aussi célébrer la pâque le même jour, je réponds que ce n'est pas ici une prescription, mais le simple récit d'un fait qui a eu lieu au temps de la passion du Sauveur, et que le récit d'un fait qui s'est passé est tout différent de l'établissement d'une règle qui oblige pour l'avenir. Je dirai plus, c'est que le Sauveur n'a point mangé la pâque le jour où les Juifs immolaient l'agneau pascal ; car cette immolation n'eut lieu que la veille du sabbat, le jour même de la passion du Seigneur : c'est pour cela qu'ils n'entrèrent point dans le prétoire de Pilate, afin de pouvoir manger la pâque. (Jn 19.) Du moment qu'ils conspirèrent contre la vérité, ils ne craignirent plus de s'écarter des règles tracées par la vérité, et ils ne mangèrent plus la pâque, comme ils avaient coutume de le faire le premier jour des azymes, où la pâque devait être immolée (car ils étaient occupés de bien autre chose), mais ils la célébrèrent le jour suivant, qui était le second jour des azymes. Le Seigneur, au contraire, célébra la pâque avec ses disciples le premier jour des azymes, c'est-à-dire le cinquième jour après le sabbat.
THEOPHYL. Ce même jour qui était le cinquième, il envoya pour préparer la pâque deux de ses disciples, Pierre, le plus ardent pour son Maître, et Jean, celui qui en était le plus aimé : " Il envoya Pierre et Jean pour préparer ce qu'il fallait, " etc. C'est ainsi qu'il se montre en tout fidèle observateur de la loi jusqu'à la fin de sa vie. Il envoie ses disciples dans une maison étrangère ; car ni lui ni ses disciples n'avaient de maison en propre, autrement il eût célébré la pâque chez l'un d'eux : " Ils lui dirent donc : Où voulez-vous que nous la préparions ? " - BEDE. Comme s'ils disaient : Nous n'avons ni demeure ni habitation. Entendez ces paroles, vous qui mettez tous vos soins à vous construire des maisons sur la terre, et apprenez que le Christ, le Maître de toutes choses, n'avait même pas où reposer sa tête. - S. CHRYS (hom. 82 sur S. Matth.) Comme ils ne connaissaient point celui à qui Notre-Seigneur les envoyait, il leur donna pour le reconnaître un signe semblable à celui que Samuel avait donné à Saul (1 R 10, 2 ) : " Il leur répondit : En entrant dans la ville, vous rencontrerez un homme portant une cruche d'eau ; suivez-le dans la maison où il entrera. "
S. AMBR. Considérez d'abord la puissance de la divinité dans ces paroles du Sauveur, il s'entretient avec ses disciples, et il sait ce qui doit se passer dans un autre endroit. Admirez ensuite sa condescendance ; ce n'est ni un riche ni un puissant du siècle, mais un pauvre dont il choisit la maison, et il préfère cette étroite et modeste demeure aux palais des grands. Le Seigneur connaissait le nom de celui dont il prévoyait ainsi la mystérieuse rencontre, mais il le désigne sans le nommer, pour faire ressortir son humble condition. - THEOPHYL. Ou encore, il les adresse à un homme inconnu, pour leur faire comprendre que c'était volontairement qu'il allait souffrir dans sa passion. En effet, celui qui pouvait inspirer à cet inconnu des dispositions si favorables pour ses disciples, aurait bien pu aussi amener les Juifs à faire tout ce qu'il aurait voulu. Quelques-uns pensent que le Sauveur ne voulut point dire le nom de cet homme, de peur que le traître, venant à savoir ce nom, ne fît connaître la maison aux pharisiens, qui auraient pu venir s'emparer de lui avant qu'il eût célébré la cène et distribué aux disciples les augustes mystères ; il se contente de leur donner quelques signes pour trouver cette maison : " Et vous direz au maître de cette maison : Le Maître vous mande : Où est le lieu où je mangerai la pâque avec mes disciples ? Et il vous montrera une grande salle meublée, " etc. - LA GLOSE. Les disciples ayant reconnu les signes qui leur avaient été donnés, accomplirent exactement ce qui leur avait été prescrit : " S'en allant donc, ils trouvèrent tout comme Jésus leur avait dit, et ils préparèrent la pâque. " - BEDE. L'apôtre saint Paul, parlant de cette pâque, nous dit : " Notre agneau pascal, Jésus-Christ a été immolé, " (1 Co 5.) Il fallait que cette pâque fût alors immolée, pour obéir à un ordre tout divin, et au décret du Père céleste ; et bien que le Sauveur n'ait été crucifié que le jour suivant, c'est-à-dire le quinzième jour de la lune ; cependant il fut arrêté et chargé de chaînes la nuit même où l'agneau pascal était immolé par les Juifs, et il consacra ainsi les préliminaires de son immolation ou de sa passion.
THEOPHYL. Par le jour des azymes, il nous faut entendre cette vie lumineuse et toute spirituelle, qui n'a rien de commun avec la vie ancienne, suite de la faute de notre premier père, et lorsque nous vivons de cette vie, nous devons mettre toute notre joie dans les mystères de Jésus-Christ. C'est Jean et Pierre qui nous préparent ces mystères, c'est-à-dire l'action et la contemplation ; la ferveur du zèle et la douceur de la paix. Ces deux disciples rencontrent un homme, parce que ces deux vertus nous font retrouver l'homme qui a été créé à l'image de Dieu. Cet homme porte une cruche d'eau, symbole de la grâce de l'Esprit saint. Ce vase figure l'humilité du coeur, car Dieu ne donne sa grâce qu'aux humbles qui reconnaissent qu'ils ne sont que cendre et poussière. - S. AMBR. Ou encore, ce vase c'est la mesure de la perfection, et cette eau est celle qui a mérité de devenir la matière du sacrement de Jésus-Christ, et de purifier au lieu d'être elle-même purifiée.
BEDE. Les disciples préparent la pâque là où ils voient cet homme porter la cruche d'eau, parce que le temps était venu où le sang devait cesser de marquer la porte de ceux qui célèbrent la pâque véritable, pour être remplacé par la source vivifiante du baptême qui efface les péchés. - ORIG. (Traité 35 sur S. Matth.) Cet homme que les disciples rencontrèrent à leur entrée dans la ville, portant une cruche d'eau, était, à mon avis, un des serviteurs du père de famille, qui portait dans un vase de terre l'eau destinée à la boisson ou aux purifications légales, et je pense qu'il était la figure de Moïse, dont la doctrine spirituelle était contenue dans le récit de faits extérieurs. Ceux qui ne peuvent atteindre à cette doctrine spirituelle, ne célèbrent point la pâque avec Jésus. Montons donc avec le Seigneur lui-même, qui est au milieu de nous, à cet endroit plus élevé où se trouve le lieu du festin, et que l'intelligence (figurée par le père de famille), découvre à chacun des disciples de Jésus-Christ. Que cette salle située dans l'endroit le plus élevé de la maison, soit grande pour recevoir Jésus, le Verbe de Dieu, qui ne peut être reçu que par les âmes vraiment grandes. Que ce soit le père de famille (c'est-à-dire, l'intelligence), qui prépare cette demeure pour le Fils de Dieu, qu'elle soit purifiée et ne conserve plus aucune des souillures de l'iniquité. Que le nom du maître de cette maison ne soit point connu de la foule, comme l'indiquent ces paroles de Jésus dans saint Matthieu : " Allez dans la ville chez un tel. " - S. AMBR. Cet homme a une grande salle au haut de sa maison, ce qui vous fait comprendre quel mérite éminent doit avoir celui en qui le Seigneur vient prendre avec ses disciples un doux repos au milieu des plus sublimes vertus. - ORIG. N'oublions pas que ceux qui passent leur vie dans les plaisirs de la table et les sollicitudes de ce monde, ne montent point dans cette salle supérieure et ne célèbrent point la pâque avec Jésus. Car ce n'est qu'après que les paroles des disciples ont instruit le père de famille, c'est-à-dire, l'intelligence, que Dieu vient avec ses disciples dans cette maison pour y célébrer le festin sacré.

vv. 14-17.
S. CYR. Après que les disciples eurent préparé ce qu'il fallait pour célébrer la pâque, l'heure vint de la manger : " Et l'heure étant venue, " etc. - BEDE. L'heure de manger la pâque, c'est le soir du quatorzième jour du premier mois, au moment où la lune du quinzième jour se lève. - THEOPHYL. Mais pourquoi l'Évangéliste nous dit-il que le Seigneur se mit à table, puisque les Juifs devaient se tenir debout pour manger l'agneau pascal ? Nous répondons qu'après avoir mangé l'agneau pascal, suivant les prescriptions de la loi, ils se mirent à table, suivant l'usage, pour prendre d'autres aliments.
" Et il leur dit : J'ai désiré d'un grand désir de manger cette pâque avec vous, " etc. - S. CYR. Notre-Seigneur s'exprime de la sorte, parce que l'avare disciple épiait le moment où il pourrait livrer son divin Maître, mais le Sauveur n'avait fait connaître ni la maison ni le nom de celui chez qui il devait célébrer la pâque, pour qu'on ne pût se saisir de sa personne avant qu'il l'eût célébrée, et il donne ici la raison de cette conduite. - THEOPHYL. Ou encore : " J'ai désiré d'un grand désir, " c'est-à-dire, c'est la dernière cène que je fais avec vous, aussi m'est-elle précieuse et chère. Ainsi ceux qui partent pour un long voyage, adressent à leurs amis leurs plus tendres adieux. - S. CHRYS. Ou encore, il s'exprime ainsi, parce que cette pâque devait être suivie de sa mort sur la croix ; or, nous voyons que plusieurs fois, pendant sa vie, il prédisait sa passion et manifestait le désir ardent de la voir arriver. - BEDE. Il désire manger d'abord avec ses disciples la pâque figurative et révéler ainsi au monde les mystères de sa passion. - EUSEBE. Ou bien encore, le Seigneur étant sur le point d'instituer une pâque nouvelle, il dit avec raison : " J'ai désiré ardemment cette pâque, " c'est-à-dire, le mystère nouveau du Nouveau Testament qu'il donnait à ses disciples, et que tant de prophètes et de justes avaient désiré voir. Or, comme il avait soif du salut de tous les hommes, il instituait un mystère qui devait être célébré dans le monde entier, tandis que la pâque établie par Moïse ne pouvait être célébrée que dans un seul endroit, c'est-à-dire, à Jérusalem ; elle n'était donc point destinée à toutes les nations et ne pouvait être l'objet d'un désir si ardent. - S. EPIPH. (Liv. 1 cont. les hérés., 30, 22.) Ce fait seul peut servir à confondre l'erreur insensée des ébionites sur l'usage de la chair, puisque le Sauveur a mangé l'agneau pascal des Juifs, et il dit expressément : " J'ai désiré manger cette pâque, " afin qu'on ne puisse l'entendre autrement.

BEDE. Notre-Seigneur donne ainsi par son exemple son approbation à la pâque légale, et en même temps il en interdit désormais la célébration, en enseignant qu'elle n'était que la figure des mystères qu'il venait révéler : " Car je vous le dis, je ne la mangerai plus jusqu'à ce qu'elle soit accomplie dans le royaume de Dieu, " c'est-à-dire, je ne célébrerai plus la pâque mosaïque, jusqu'à ce que Je mystère dont elle est la figure, soit accompli dans l'Eglise, car elle est vraiment le royaume de Dieu, selon cette parole : " Le royaume de Dieu est au milieu de vous. " (Lc 17.) C'est encore à cette pâque ancienne à laquelle le Sauveur voulait mettre fin que se rapportent les paroles qui suivent : " Et prenant le calice, il rendit grâces et dit : Prenez et partagez entre vous, " etc. Il rend grâces, parce que toutes les cérémonies de l'ancienne loi allaient finir et céder la place à des rites tout nouveaux. - S. CHRYS. (Disc. 1 sur Lazare.) Lorsque vous prenez place à table, souvenez-vous que la prière doit succéder au repas ; mangez donc avec modération et sobriété, de peur qu'appesantis par les excès de la table, vous ne puissiez ni fléchir les genoux, ni prier Dieu. Après nos repas, ne nous dirigeons donc pas aussitôt vers notre lit, mais livrons-nous à la prière, car évidemment le Sauveur a voulu nous enseigner ici qu'au repas doivent succéder, non le sommeil et le repos, mais la prière et la lecture des saintes Écritures : " Car je vous le dis ; je ne boirai plus du fruit de la vigne, jusqu'à ce que vienne le royaume de Dieu. " - BEDE. Ces paroles peuvent être entendues simplement en ce sens, que le Sauveur ne devait plus boire de vin depuis cette heure de la cène jusqu'au temps de sa résurrection où il devait venir établir le royaume de Dieu. En effet, saint Pierre atteste qu'ils le virent alors manger et boire avec eux : " Il s'est manifesté… à nous qui avons mangé et bu avec lui depuis sa résurrection. " (Ac 10, 41.) - THEOPHYL. La résurrection de Jésus-Christ est appelée le royaume de Dieu, parce qu'elle a détruit l'empire de la mort, ce qui a fait dire à David : " Le Seigneur a régné, il s'est revêtu de gloire, " c'est-à-dire que, selon la prophétie d'Isaïe, il s'est dépouillé de la corruption du corps pour se revêtir d'un vêtement de magnificence et d'honneur. Or, après sa résurrection, il a voulu boire en présence de ses disciples, pour leur prouver que sa résurrection était réelle. - BEDE. Cependant, il est plus logique de dire que Notre-Seigneur déclare qu'il ne boira plus le vin de in pâque comme il a déclaré précédemment qu'il ne mangerait plus l'agneau figuratif, jusqu'à ce que la manifestation de la gloire de son royaume fît embrasser la foi chrétienne à tout l'univers, et que le changement spirituel des deux grandes prescriptions de la loi (la nourriture et le breuvage de la pâque), vous fît comprendre que toutes les observances figuratives de la loi ne seraient plus désormais accomplies que d'une manière spirituelle.

vv. 19-20.
BEDE. Après avoir accompli les cérémonies solennelles de la pâque ancienne, le Sauveur institue la nouvelle pâque, et commande à son Église de la célébrer en mémoire du mystère de la rédemption. Établi prêtre selon l'ordre de Melchisédech (Ps 109, et He 7), il remplace la chair et le sang de l'agneau par le sacrement de son corps et de son sang sous les espèces du pain et du vin : " Et ayant pris du pain il rendit grâces. " Il avait déjà rendu grâces en mettant fin à la pâque ancienne, et il nous enseigne ainsi par son exemple à louer, à glorifier Dieu au commencement comme à la fin de chacune de nos bonnes oeuvres. " Il le rompit. " Il rompt lui-même le pain qu'il donne à ses disciples, pour montrer que son corps ne sera brisé dans sa passion que par sa volonté : " Et il le leur donne en disant : Ceci est mon corps qui est donné pour vous. " - S. GREG. DE NYSSE. (sur le bapt. de Jésus-Christ.) Avant la consécration, le pain est un pain ordinaire, mais aussitôt le mystère de la consécration, il devient et il est appelé le corps de Jésus-Christ.
S. CYR. Ne doutez point de cette vérité, puisque le Fils de Dieu vous dit clairement : " Ceci est mon corps. " Mais plutôt recevez avec foi les paroles du Sauveur, car il est la vérité et ne peut mentir. C'est donc une erreur autant qu'une folie, de dire que l'effet de la consécration mystérieuse cesse, lorsqu'on réserve pour le jour suivant quelques fragments du pain consacré, car aucun changement ne se fait dans le corps sacré de Jésus-Christ, et il conserve toujours la vertu de la consécration aussi bien que la grâce qui donne la vie (Liv. 4 sur Jn 14). Car la vertu vivifiante de Dieu le Père, c'est le Verbe, son Fils unique, qui s'est fait chair sans cesser d'être le Verbe, et qui a communiqué à sa chair une vertu vivifiante (chap. 23). Si vous trempez un peu de pain dans une liqueur quelconque, il s'imprègne aussitôt du goût de cette liqueur. C'est ainsi que le Verbe de Dieu, source de vie, communique cette vertu vivifiante à sa chair par l'union étroite qu'il a contractée avec elle. Pouvons-nous en conclure que notre corps a part aussi à cette vertu vivifiante, parce que la vie de Dieu est en nous, et que le Verbe de Dieu demeure dans notre âme ? Non, car il y a une différence entre la participation que le Fils de Dieu nous donne à sa vertu lorsqu'il demeure en nous, et l'union étroite par laquelle il s'est incarné dans le corps qu'il a pris dans le sein de la vierge Marie, et dont il a fait son propre corps. Il était convenable, en effet, que le Fils de Dieu s'unit à nos corps par sa chair sacrée et son sang précieux que nous recevons sous les espèces du pain et du vin, pour nous communiquer une bénédiction vivifiante. Nous aurions eu horreur de la chair et du sang placés sur les saints autels, Dieu, plein de condescendance pour notre faiblesse, a donc communiqué aux dons offerts une vertu vivifiante en les changeant véritablement en sa propre chair, afin que ce corps vivifiant soit en nous comme une semence de vie, il ajoute : " Faites ceci en mémoire de moi. " - S. CHRYS. (hom. 46 sur S. Jean.) Jésus-Christ a institué ce mystère pour nous faire contracter avec lui une alliance plus étroite, et nous manifester toute l'étendue de son amour ; c'est pour cela que, non seulement il se rend visible à ceux qui désirent le voir, mais encore qu'ils les laissent le toucher, le manger, l'embrasser et rassasier leurs saints désirs. Nous sortons donc de cette table, semblables à des lions qui respirent la flamme, et devenus terribles au démon. - S. BAS. (Moral., règl. 21, chap. 3, et régl. abrég., quest. 172.) Apprenez à quelles conditions il nous est permis de manger le corps de Jésus-Christ, c'est-à-dire, en mémoire de l'obéissance qu'il a portée jusqu'à la mort, de sorte que ceux qui vivent, ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mort et ressuscité pour eux. (2 Co 5, 45.) - THEOPHYL. Il est question dans saint Luc de deux coupes, l'une dont Jésus dit plus haut : " Prenez-la et distribuez-la entre vous ; " la seconde qu'il distribue lui-même à ses disciples après la fraction et la distribution du pain, et dont il est dit : " De même le calice après le souper. " - BEDE. Il faut sous-entendre : Il leur donna, afin que la phrase soit complète. - S. AUG. (De l'acc. des Evang., 3, 1.) Ou encore, saint Luc parle deux fois de la coupe, d'abord avant que Jésus distribuât le pain, et une seconde fois lorsqu'il l'eût distribué ; ce qu'il en dit en premier lieu, il le fait par anticipation, selon sa coutume, et il raconte ensuite en son temps ce dont il n'avait point parlé précédemment ; or, en réunissant ces deux parties, nous avons le même récit que nous donne saint Matthieu et saint Marc. - THEOPHYL. Le Sauveur appelle ce calice le calice du Nouveau Testament : " Ce calice est le Nouveau Testament en mon sang qui sera répandu pour vous. " Il nous apprend ainsi que le Nouveau Testament commence dans son sang. En effet, dans l'Ancien Testament, le sang des animaux vint consacrer la promulgation de la loi, et maintenant le sang du Verbe de Dieu est pour nous le signe sacré de la nouvelle alliance. Ces paroles : " Qui sera répandu pour vous, " ne signifient pas que Jésus-Christ n'ait donné son corps et répandu son sang que pour les Apôtres seuls, car il a donné l'un et l'autre pour le salut du genre humain tout entier. La pâque ancienne avait pour objet la délivrance de la servitude d'Égypte, le sang de l'agneau avait été versé pour sauver de la mort les premiers nés des Hébreux ; la pâque nouvelle a pour fin la rémission des péchés, et le sang de Jésus-Christ est versé pour le salut éternel de ceux qui sont consacrés au service de Dieu. - S. CHRYS. (hom. 46 sur S. Jean.) Ce sang imprime en nous l'image auguste de notre roi, il préserve de toute flétrissure la noblesse de notre âme, il pénètre notre coeur de sa divine rosée, et lui inspire une force surhumaine. Ce sang met en fuite les démons et fait descendre en nous les anges et le Seigneur des anges ; ce sang répandu sur la terre l'a purifiée et lui a ouvert les portes des cieux. Ceux qui participent à ce sang divin sont associés aux vertus des cieux, revêtus du manteau royal de Jésus-Christ, ou plutôt revêtus de ce divin roi lui-même. Or, si vous approchez de lui avec un coeur pur, il sera pour vous un principe de grâce et de salut ; mais si vous osez vous présenter devant lui avec une conscience coupable, vous commettez un sacrilège et vous le recevez pour votre condamnation et votre supplice. En effet, si ceux qui profanent la pourpre royale sont punis du même châtiment que ceux qui la mettent en pièces, est-il contraire à la raison de dire que ceux qui reçoivent le corps de Jésus-Christ dans une conscience souillée, méritent le même supplice que ceux qui l'ont percé de clous ? - BEDE. Comme le pain a pour but de fortifier notre corps, et le vin de produire le sang dans nos membres, l'un, le pain, se rapporte au corps de Jésus-Christ, et le vin à son sang. Mais aussi comme nous devons demeurer en Jésus-Christ, et que Jésus-Christ doit demeurer en nous, on mêle au vin de l'eau dans le calice du Seigneur, car au témoignage de l'apôtre saint Jean, les eaux sont la figure des peuples (Ap 17). Le Sauveur distribue d'abord le pain, et puis ensuite le calice ; en effet, dans la vie spirituelle, il faut commencer par les actions laborieuses et pénibles qui sont comme le pain, non seulement parce que nous ne devons manger notre pain qu'à la sueur de notre front (Gn 3), mais parce que le pain quand on le mange est d'une déglutition tant soit peu difficile. Ensuite aux fatigues de cette vie laborieuse, succède la joie produite par la grâce divine dont le calice est la figure. - BEDE. Les Apôtres communièrent au corps de Jésus-Christ après la cène, parce qu'il fallait d'abord accomplir et terminer la pâque figurative avant de célébrer les mystères de la véritable pâque. Mais depuis, pour l'honneur d'un si grand sacrement, l'autorité de l'Église nous a ordonné de prendre tout d'abord cette nourriture spirituelle avant tout aliment terrestre. - EUTYCH. PATRIAR. Or, celui qui communie reçoit tout le corps et tout le sang du Seigneur, alors même qu'il ne reçoit qu'une partie des espèces consacrées ; car de même qu'un sceau imprime son empreinte tout entière sur plusieurs choses à la fois, et demeure intégralement le même après l'avoir communiquée ; de même encore qu'une seule et même parole se fait entendre à un grand nombre, nous devons croire aussi sans hésiter que le corps et le sang du Seigneur sont tout entiers dans tous ceux qui communient. Quant à la fraction du pain consacré, elle est une figure de la passion.

vv. 21-23.
S. AUG. (de l'acc. des Evang., 3, 1) Après avoir distribué le calice è ses disciples, Notre-Seigneur parle de nouveau de celui qui devait le trahir : " Cependant voici que la main de celui qui me trahit est avec moi à cette table. " - THEOPHYL. Il tient ce langage, non seulement pour montrer qu'il connaît l'avenir, mais pour faire ressortir sa grande bonté, qui épuisa tous les moyens propres à détourner Judas de son perfide dessein. C'est ainsi qu'il nous donne l'exemple du zèle avec lequel nous devons poursuivre jusqu'à la fin la conversion des pécheurs. Il veut aussi nous montrer la noire méchanceté de ce traître disciple qui ne rougit point de s'asseoir à la table de son Maître. - S. CHRYS. (hom. 83 sur S. Matth.) La participation aux divins mystères rie le fait pas renoncer à son dessein ; son crime n'en devient donc que plus monstrueux, et parce qu'il a osé s'approcher des saints mystères avec cette intention criminelle, et parce qu'il les reçoit sans en devenir meilleur, et en restant insensible à la crainte, aussi bien qu'à la reconnaissance et à l'honneur incomparable que le Sauveur lui témoigne. - BEDE. Et cependant Jésus ne le désigne pas spécialement, de peur que ce reproche public ne le rende plus audacieux, et il parle en général de celui qui doit le trahir, pour toucher de repentir celui qui se sentira coupable. Il prédit en même temps le châtiment dont le traître sera puni, pour ramener par la perspective du supplice celui que la honte n'a pu fléchir : " Pour ce qui est du Fils de l'homme, il s'en va, " etc. - THEOPHYL. Ce n'est pas qu'il n'eût pu se défendre lui-même, mais parce qu'il avait résolu de souffrir la mort pour le salut des hommes.
S. CHRYS. Quant à Judas, il accomplissait les Écritures avec une pensée criminelle ; gardons-nous de le justifier comme ayant été l'instrument de la Providence ; écoutons plutôt le Sauveur : " Cependant malheur à l'homme par lequel il sera trahi ! " - BEDE. Malheur aussi à l'homme qui s'approche indignement de la table du Seigneur, et qui, à l'exemple de Judas, trahit le Fils de l'homme, en le livrant non pas aux Juifs, mais à des membres souillés par le péché ! Les onze Apôtres savaient bien qu'ils ne méditaient rien contre leur divin Maître ; néanmoins ils s'en rapportent plus volontiers à son témoignage, qu'à celui de leur conscience, et la crainte de leur faiblesse leur fait se demander s'ils ne sont pas coupables d'une faute qu'ils ne découvrent point en eux-mêmes : " Et ils commencèrent à se demander les uns aux autres, " etc. - S. BAS. (règ. aarég. quest. 301.) Parmi les maladies du corps, il en est qui ne sont point senties par ceux mêmes qui en sont atteints, et ils ont plus de foi aux conjectures des médecins qu'à leur propre insensibilité. Il en est de même pour les maladies de l'âme, celui qui ne se sent point coupable, doit s'en rapporter plus volontiers au témoignage de ceux qui peuvent mieux connaître l'état de son âme.

vv. 24-27.
THEOPHYL. Ils venaient de rechercher entre eux quel était celui qui trahirait le Seigneur, il était donc naturel de les entendre se dire l'un à l'autre : " C'est vous qui le trahirez, " et de tirer cette conclusion : " Je suis le premier, c'est moi qui suis le plus grand, " et autres choses semblables. C'est ce que raconte l'Évangéliste : " Il s'éleva aussi parmi eux une contestation, lequel d'entre eux devait être estimé le plus grand. " - APOLLIN. (Ch. des Pèr. gr.) Ou encore, la cause de cette contestation put venir de ce que le Seigneur devant bientôt quitter la terre, il fallait que l'un d'eux fût mis à la tête des autres, et tînt la place du Sauveur. Or, de même que les bons cherchent dans les Écritures les exemples de nos pères dans la foi qui peuvent augmenter en eux le zèle pour la perfection et l'humilité, de même aussi les méchants saisissent avec joie ce qu'il peut y avoir de répréhensible dans la conduite des élus, pour autoriser et couvrir leurs propres fautes. Aussi sont-ils enchantés de lire qu'une contestation s'éleva entre les disciples de Jésus-Christ. - S. AMBR. La conduite des Apôtres dans cette circonstance, n'est point pour nous une excuse, mais un avertissement. Veillons donc à ce qu'aucune contestation sur la préséance ne s'élève entre nous pour notre perte. - BEDE. Considérons plutôt, non ce que les Apôtres ont fait sous l'impression d'un sentiment tout humain, mais la recommandation que leur a faite leur divin Maître : " Il leur dit : Les rois des nations, " etc. - S. CHRYS. (hom. 66 sur S. Matth.) Il dit : " Les rois des nations, " ce qui déjà est un préjugé défavorable contre l'action dont il s'agit ; car c'était le défaut dominant des païens d'ambitionner la primauté. - S. CYR. Ajoutons que leurs sujets leur adressent des paroles de flatterie : " Et ceux qui exercent sur elles l'autorité, sont appelés bienfaiteurs. " Comme ils sont étrangers à toutes les lois divines, ils sont en proie à toutes ces passions funestes ; mais pour vous, votre grandeur sera dans la pratique de l'humilité : " Mais pour vous, il n'en sera pas ainsi, " etc. - S. BAS. (rég. dévelop., quest. 30 et 31.) Que personne donc ne s'enorgueillisse de la préséance, s'il ne veut perdre le mérite et la récompense de la béatitude promise à l'humilité (Mt 5), et qu'il sache que la véritable humilité nous porte à être le serviteur de tous nos frères. Or, de même que celui qui est chargé du soin d'un grand nombre de blessés, et qui étanche le sang de leurs plaies, ne s'enorgueillit point des services qu'il leur rend, à plus forte raison celui à qui Dieu a confié le soin de guérir les langueurs spirituelles de ses frères, et qui doit, comme serviteur de tous, rendre compte de tout au tribunal de Dieu, doit veiller avec le plus grand soin sur lui-même, et ainsi : " Celui qui est le plus grand, doit être comme le moindre. " Il est juste encore que ceux qui sont à la tête des autres, leur rendent des services même corporels, à l'exemple de Notre-Seigneur qui a lavé les pieds de ses disciples : " Et celui qui a la préséance, doit être comme celui qui sert. " Il n'est pas à craindre que cette condescendance du supérieur ne détruise l'humilité dans, l'inférieur, c'est au contraire pour lui une éclatante leçon d'humilité.
S. AMBR. Remarquez que l'humilité ne consiste pas seulement dans les marques d'honneur que vous témoignez aux autres ; car vous pouvez agir en cela pour obtenir la faveur du monde, par crainte de ceux qui ont la puissance, ou par un motif d'intérêt personnel ; vous cherchez alors votre avantage, plutôt que l'honneur des autres ; aussi Notre-Seigneur formule-t-il pour tous la même règle qui défend toute recherche de la préséance, et ne permet que les saintes luttes de l'humilité. - BEDE. Pour suivre cette règle que prescrit le Seigneur, les supérieurs ont besoin d'un grand discernement, ils doivent éviter l'esprit de domination sur leurs inférieurs, ce qui est le propre des rois des nations, et la vaine complaisance dans les louanges qui leur sont données, sans cesser néanmoins d'être animés du zèle de la justice contre les vices des coupables. Le Sauveur confirme ensuite cette leçon par son exemple : " Car quel est le plus grand, celui qui est à table, ou celui qui sert ? Et moi cependant je suis au milieu de vous comme celui qui sert. " - S. CHRYS. Paroles qui reviennent à celles-ci : Ne croyez pas que vos inférieurs aient besoin de vous, tandis que pour vous, vous en êtes complètement indépendants ; car moi-même, qui n'ai besoin de personne, de qui, au contraire, toutes les créatures du ciel et de la terre ont besoin, je suis descendu au rang de serviteur. - THEOPHYL. Il a exercé à leur égard les fonctions de serviteur, lorsqu'il leur a distribué le pain sacré et le calice, et il fait mention de ce fait pour leur rappeler que puisqu'ils ont mangé du même pain et bu du même calice, ils doivent tous faire profession des mêmes sentiments que Jésus-Christ, qui n'a point dédaigné de se rendre leur serviteur. - BEDE. Ou encore, il veut parler de l'humble office qu'il a rempli en leur lavant les pieds, lui leur Maître et Seigneur. (Jn 13, 34.) On pourrait encore appliquer cet office de serviteur à toutes les actions de sa vie mortelle. Enfin, on peut aussi l'entendre du sang qu'il a répandu sur la croix pour notre salut.

vv. 28-30.
THEOPHYL. De même que Notre-Seigneur avait dit malheur au traître, il promet des récompenses aux disciples qui lui resteront fidèles : " Pour vous, vous êtes demeurés avec moi dans mes tentations, " etc. - BEDE. Ce n'est point aux premiers essais de la vertu de patience, mais à la persévérance qu'est donnée la gloire du royaume des cieux ; parce qu'en effet, la persévérance (qui est aussi appelée constance ou force d'âme), est comme la base et la colonne de toutes les vertus, Ce sont donc ceux qui ont persévéré avec lui dans les tentations, que le Fils de Dieu fait entrer dans son royaume éternel ; car si nous sommes implantés en lui pour la ressemblance de sa mort, nous y serons aussi entés pour sa résurrection (Rm 6, 8), comme l'ajoute le Sauveur : " Et moi, je vous prépare un royaume, " etc.
S. AMBR. Le royaume de Dieu n'est pas de ce monde. Remarquons ici que l'homme ne doit pas ambitionner la parfaite égalité avec Dieu, mais seulement la ressemblance avec lui ; car Jésus-Christ seul est la parfaite image de Dieu, parce qu'il reproduit en lui l'unité de la gloire du Père. L'homme juste porte en lui l'image de Dieu, lorsque la connaissance de Dieu le porte à mépriser le monde pour reproduire en lui la ressemblance de la vie divine. Or, nous mangeons le corps de Jésus-Christ afin de pouvoir participer à la vie éternelle, suivant la promesse du Sauveur : " Afin que vous mangiez et que vous buviez à ma table dans mon royaume. " Ce que Jésus-Christ nous promet ici pour récompense, n'est ni le manger, ni le boire, mais la communication de la grâce et de la vie des cieux. - BEDE. Ou encore, cette table qui est préparée pour le bonheur de tous les saints, c'est la gloire elle-même de la vie des cieux, dont ceux qui ont eu faim et soif de la justice seront rassasiés, par la pleine jouissance du vrai bien, objet de tous leurs désirs. - THEOPHYL. Ces paroles du Sauveur ne signifient donc point qu'il y aura dans les cieux des aliments matériels, ni que son royaume doit être extérieur et sensible ; car la vie des élus sera semblable à celle des anges, comme il l'a prédit lui-même aux sadducéens (Mt 22 ; Lc 20) ; et saint Paul, d'ailleurs, nous déclare que le royaume de Dieu n'est ni dans le manger ni dans le boire (Rm 14, 17).
S. CYR. Notre-Seigneur explique les vérités spirituelles par des comparaisons prises dans ce qui se passe au milieu de nous. En effet, ceux qui s'asseoient à la table des rois de la terre, jouissent auprès d'eux de certaines prérogatives, et c'est par cet usage qu'il veut nous faire comprendre ceux qui auront part aux premiers honneurs dans son royaume. - BEDE. C'est la droite du Très-Haut qui opère cette transformation (Ps 117) ; elle fait asseoir à la table des cieux pour les nourrir des mets de la vie éternelle ceux qui sur la terre se sont fait gloire d'être les humbles serviteurs de leurs frères ; et elle établit les justes juges de leurs persécuteurs, ceux qui sont restés fidèles avec le Seigneur au milieu des tentations et des injustes jugements des hommes : " Et que vous siégiez sur douze trônes, pour juger les douze tribus d'Israël. " - THEOPHYL. C'est-à-dire pour condamner dans les douze tribus ceux qui auront persévéré dans l'infidélité. - S. AMBR. Ces douze trônes ne sont point des siéges matériels et sensibles comme ceux dont se servent les hommes pour s'asseoir ; mais il faut les entendre dans ce sens, que de même que Jésus-Christ juge comme Dieu, récompense la vertu et punit l'impiété par la seule connaissance qu'il a des coeurs, et sans avoir besoin de discuter les actions ; ainsi les Apôtres entreront en participation de ce jugement tout spirituel, par les louanges qu'ils donneront à la foi et l'horreur qu'ils témoigneront pour l'infidélité, en condamnant l'erreur par l'exemple de leur vertu, et en poursuivant de leur haine le crime des sacrilèges.

S. CHRYS. (hom. 65 sur S. Matth.) Mais est-ce que Judas prendra place aussi avec les autres Apôtres ? Non, sans doute, écoutez la loi que Dieu proclame par la bouche du prophète Jérémie : " Lorsque j'aurai promis quelque bien ou quelque faveur, si vous vous en rendez indigne, je vous châtierai (Jr 18, 9.10). " Aussi la promesse du Sauveur n'est pas absolue, mais conditionnelle : " Vous qui avez persévéré avec moi dans les tentations. " - BEDE. Judas est donc exclus de ces magnifiques promesses ; il faut d'ailleurs admettre qu'il était sorti avant ces paroles de Notre-Seigneur. Nous devons aussi excepter de ces promesses ceux qui se retirèrent de Jésus et ne marchèrent plus avec lui après qu'ils l'eurent entendu parler de l'incompréhensible sacrement de son corps et de son sang. (Jn 6, 67.)

vv. 31-34.
BEDE. Dans la crainte que les onze Apôtres ne se laissent aller à un sentiment d'orgueil et n'attribuent à leurs propres forces d'avoir été presque les seuls de tant de milliers de Juifs, pour demeurer avec le Seigneur au milieu des tentations, le Sauveur leur déclare que s'ils n'avaient été protégés et soutenus par l'assistance divine, ils eussent été brisés comme les autres par la même tempête : " Le Seigneur dit encore Simon, Simon, voilà que Satan vous a demandés pour vous cribler comme le froment, " etc. C'est-à-dire, qu'il a demandé à vous tenter et à vous secouer, comme on secoue le froment pour le cribler, paroles qui nous apprennent que le démon ne peut tenter la foi de personne sans la permission de Dieu. - THEOPHYL. Il s'adresse à Pierre, parce qu'il était plus fort que les autres, et qu'il pouvait s'enorgueillir des promesses que Jésus-Christ lui avait faites. Ou encore, il veut nous apprendre que les hommes qui ne sont rien (tant par leur nature que par la faiblesse de leur esprit), doivent fuir tout désir de domination sur leurs frères, c'est pour cela que, laissant tous les autres disciples, il s'adresse à Pierre qui avait été placé à leur tête : " J'ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas. "

S. CHRYS. (hom. 83 sur S. Matth.) Il ne dit pas : J'ai voulu, mais : " J'ai prié, " langage plein d'humilité qu'il tient aux approches de sa passion, pour prouver la vérité de sa nature humaine. Car comment supposer que celui qui, sans recourir à la prière, avait dit avec le ton du commandement : " Sur cette pierre je bâtirai mon Église, et je te donnerai les clefs du royaume des cieux, " ait eu besoin de la prière pour confirmer dans la foi l'âme chancelante d'un homme ? Il ne lui dit pas non plus : J'ai prié, afin que tu ne me renies point, mais afin que tu ne perdes point la foi. - THEOPHYL. Tu seras, il est vrai, ébranlé pour un moment, mais tu conserveras la semence de la foi que j'ai déposée dans ton âme ; le vent des tentations fera tomber les feuilles, mais la racine demeurera ferme. Satan, jaloux de l'amour que je te porte, demande et cherche à te nuire, et bien que j'ai prié pour toi, tu ne laisseras pas de succomber à ses attaques : " Et quand tu seras converti, confirme tes frères. " C'est-à-dire, après que tu auras expié dans les larmes et dans la pénitence le crime de m'avoir renié, confirme tes frères, toi que j'ai établi le prince des Apôtres ; c'est là ton devoir, comme étant avec moi la force et la pierre fondamentale de l'Église. Ce ne sont point seulement les Apôtres qui existaient alors que Pierre devait fortifier, mais tous les fidèles qui se succéderont jusqu'à la fin du monde. Que personne donc, parmi les chrétiens, ne perde confiance en voyant cet Apôtre renier son divin Maître, et recouvrer ensuite par la pénitence la sublime prérogative qui fait de lui le souverain Pontife du monde entier.

S. CYR. Admirez ici la patience vraiment inépuisable de Dieu, pour empêcher son disciple de tomber dans la défiance et le désespoir, il lui promet le pardon avant même qu'il ait commis son crime, et il le rétablit ensuite dans tous les droits de sa dignité d'Apôtre, en lui disant : " Et toi, quand tu seras converti, confirme tes frères. " - BEDE. C'est-à-dire, j'ai préservé ta foi par mes prières, afin qu'elle ne vint point à défaillir. Souviens-toi donc aussi de fortifier la faiblesse de tes frères, afin qu'ils ne désespèrent point du pardon. - S. ATHAN. Gardez-vous donc de tout sentiment d'orgueil, gardez-vous du monde, c'est à celui qui a dit : " Nous avons tout quitté pour vous suivre, " (Mt 19) que Notre-Seigneur commande de confirmer ses frères.

BEDE. Le Seigneur ayant promis à Pierre qu'il prierait, pour que sa foi ne vînt pas à défaillir, cet Apôtre, plein de confiance dans l'amour qu'il ressent pour le Sauveur, dans la ferveur de sa foi, et ne prévoyant point la chute lamentable qu'il va faire, ne peut croire qu'il puisse jamais être infidèle à son maître : " Pierre lui dit : Seigneur, je suis prêt à aller avec vous en prison et à la mort. " - THEOPHYLACTE. La grandeur de son amour l'enflamme et lui fait promettre l'impossible, tandis qu'il aurait dû ne point s'obstiner, en entendant la vérité même lui prédire qu'il succomberait à la tentation. Or, le Seigneur voyant ce langage présomptueux, lui précise la tentation à laquelle il doit succomber ; et lui prédit qu'il le reniera " Jésus lui répondit : Je te le dis, Pierre, le coq ne chantera point aujourd'hui que tu ne m'aies renié, " etc. - S. ATHAN. Le Sauveur prédit à Pierre, dont l'esprit était prompt mais dont la chair était faible, qu'il le renierait, car il ne pouvait égaler le courage et la force d'âme de son divin Maître. Notre-Seigneur, dans sa passion, peut avoir des imitateurs mais pas d'égaux. - THEOPHYL. Il nous donne ici une grande leçon, c'est que la volonté de l'homme ne peut rien sans le secours de Dieu. Pierre, en effet, malgré toute sa ferveur, fut abandonné de Dieu, et vaincu par l'ennemi du salut.

S. BAS. (Régl. abrég., guest. 8.) Il est bon de savoir que Dieu permet quelquefois que les justes eux-mêmes fassent des chutes pour les guérir de l'orgueil dont ils se sont précédemment rendus coupables. Bien que leurs fautes paraissent avoir les mêmes caractères que celles des autres, il y a cependant une grande différence ; le juste, en effet, pèche comme par surprise, et presque sans le vouloir, tandis que les autres pèchent sans prendre aucun souci, ni d'eux-mêmes, ni de Dieu, et ne mettent même aucune distinction entre le péché et la vertu. Aussi ne doivent-ils pas être repris de la même manière, l'âme timorée a besoin d'être soutenue, et la réprimande qui lui est faite doit se borner à la faute qu'elle a commise. Quant aux autres, au contraire, qui ont détruit dans leur âme tout ce qu'il y avait de bien, il faut les soumettre aux châtiments, aux avertissements, aux reproches sévères, jusqu'à ce qu'ils comprennent qu'ils ont pour juge un Dieu juste, et qu'ils en conçoivent une crainte salutaire.

S. AMB. (De l'acc. des Evang., 3, 2.) Tous les évangélistes racontent cette prédiction que le Sauveur fit à Pierre, qu'il le renierait, mais tous ne la racontent pas dans les mêmes circonstances. Saint Matthieu et saint Marc placent cette prédiction après que Notre-Seigneur fut sorti de la maison où il avait mangé la pâque ; saint Luc et saint Jean, avant qu'il en fût sorti. Il nous serait facile de les concilier en disant que les deux derniers racontent cette prédiction, comme par récapitulation, et les deux autres par anticipation, si nous n'étions arrêtés par les paroles si diverses du Sauveur, et par les avertissements si différents, qui donnent lieu à Pierre de faire cette promesse si téméraire de mourir pour son Maître ou avec son Maître ; ce qui nous force d'admettre que Pierre fit éclater trois fois sa confiance présomptueuse à l'occasion de trois divers discours du Seigneur, et qu'à trois reprises, le Seigneur lui répondit qu'il le renierait trois fois avant que le coq eût chanté.

vv. 35-38.
S. CYR. Notre-Seigneur avait prédit à Pierre qu'il le renierait alors qu'il le verrait au pouvoir de ses ennemis ; et comme il avait déjà parlé de la manière dont les Juifs s'empareraient de sa personne, il annonce à ses disciples la lutte qu'ils vont avoir à soutenir contre les Juifs : " Il leur dit ensuite : Quand je vous ai envoyés sans bourse, " etc. En effet, le Sauveur avait envoyé ses saints Apôtres prêcher le royaume des cieux dans les villes et les bourgades, en leur défendant toute préoccupation des besoins du corps, et leur commandant de mettre en lui toute leur confiance pour lés choses de la vie,

S. CHRYS. (sur ces par. de Rm 16, 3 : Saluez Priscille et Aquilée) Celui qui enseigne l'art de la natation, commence par soutenir avec grande attention ses élèves de la main, mais ensuite il retire de temps en temps la main, et leur commande de s'aider eux-mêmes, il les laisse même s'enfoncer quelque peu. Notre-Seigneur tient cette conduite à l'égard de ses disciples. Dans les commencements il était attentif à tous leurs besoins, et leur préparait toutes choses avec une extrême abondance : " Et ils lui dirent : Nous n'avons manqué de rien. " Mais lorsque le moment fut venu pour eux de montrer leurs propres forces, il leur retira une partie de son secours et voulut qu'ils agissent un peu par eux-mêmes. Il leur dit donc : " Mais maintenant que celui qui a une bourse (pour mettre son argent), la prenne, qu'il prenne de même son sac qui porte ses vivres. " Or, lorsqu'ils n'avaient ni chaussures, ni ceinture, ni bâton, ni argent, ils n'ont manqué absolument de rien ; au contraire, dès que le Sauveur leur eut permis d'avoir une bourse et un sac, ils furent exposés à souffrir la faim, la soif, la nudité ; comme s'il leur disait : Jusqu'à présent vous avez eu tout en abondance, maintenant je veux que vous éprouviez la pauvreté ; aussi je ne vous oblige plus d'observer la loi que je vous ai donnée en premier lieu (Mt 10, 18 ; Mc 6, 8 ; Lc 9, 3), et je vous permets de porter une bourse et un sac. Dieu aurait pu sans doute les maintenir dans cette même abondance, il ne le voulut pas pour plusieurs raisons : premièrement, afin que ses disciples, loin de rien s'attribuer, fussent obligés de reconnaître que tout ce qu'ils avaient venait de Dieu ; secondement, pour leur apprendre à se conduire eux-mêmes ; troisièmement pour prévenir l'idée trop avantageuse qu'ils auraient eue d'eux-mêmes. Ainsi, comme il permet que ses disciples soient exposés à des épreuves imprévues, il adoucit la sévérité de la première loi qu'il leur avait imposée, pour que la vie ne fût pas pour eux trop dure et trop accablante. - BEDE. Le Sauveur ne prescrit pas à ses disciples la même règle de vie pour les temps de persécution et pour lés temps de paix. Lorsqu'il envoie ses disciples prêcher l'Évangile, il leur défend de rien emporter avec eux, il veut que celui qui annonce l'Évangile, vive de l'Évangile, mais quand l'heure de sa mort approche, et que le peuple juif tout entier est sur le point de persécuter à la fois le pasteur et le troupeau, il leur donne, une règle appropriée aux circonstances, et leur permet d'emporter les choses nécessaires à la vie, jusqu'à ce que la fureur des persécuteurs soit apaisée, et que le temps d'annoncer l'Évangile soit revenu. Il nous donne en même temps l'exemple de nous relâcher un peu pour une cause juste et pressante des règles sévères que nous nous sommes prescrites. - S. AUG. (cont. Faust., 12, 77.) Le Sauveur n'agit donc point ici par inconstance, mais par une sage économie, il modifie suivant la diversité de temps, ses préceptes, ses conseils ou ses permissions.

S. AMBR. Mais pourquoi Notre-Seigneur, qui défend de frapper, commande-t-il d'acheter un glaive ? C'est pour les préparer à une légitime défense, et non pour autoriser un acte de vengeance, et pour qu'il soit bien constant qu'on a renoncé à se venger, alors qu'on aurait pu le faire. Il ajoute : " Et que celui qui n'en a point, vende sa tunique et achète une épée. " - S. CHRYS. Que signifient ces paroles ? Jésus a dit à ses disciples : " Si l'on vous frappe sur la joue droite, présentez l'autre, " (Mt 6) et voilà qu'il les arme pour se défendre, et seulement d'une épée. S'il jugeait nécessaire de les armer, il fallait joindre à l'épée le bouclier et le casque. Mais encore quand ils auraient eu ces armes par milliers, comment les Apôtres auraient-ils pu lutter contre tant de violences et d'embûches venant à la fois des peuples, des tyrans, des villes et des nations. Le seul aspect des armées ennemies eût jeté la terreur dans l'âme de ces hommes, qui avaient passé leur vie sur le bord des lacs et des fleuves. Ne croyons donc pas que Notre-Seigneur commande ici à ses disciples de se munir de glaives, il se sert ici de cette expression pour figurer les embûches que les Juifs lui tendaient pour le perdre. C'est pour cela qu'il ajoute : " Car je vous le dis, il faut encore que cette parole de l'Écriture s'accomplisse en moi. " " Il a été mis au rang des malfaiteurs. " (Is 52.) - THEOPHYL. Le Sauveur, qui venait d'entendre ses disciples se disputer entre eux la préséance, leur dit : Ce n'est point ici le moment de vous occuper des premières places, c'est le temps des dangers et des blessures, moi-même qui suis votre maître, je vais être conduit à une mort ignominieuse et mis au rang des malfaiteurs, car toutes les prédictions qui me regardent touchent à leur fin, c'est-à-dire, à leur accomplissement. Sous cette image du glaive, Notre-Seigneur leur fait pressentir l'agression violente dont il va être l'objet, il ne la leur révèle pas tout entière pour ne point les frapper de terreur et d'abattement, il ne veut pas non plus la leur laisser entièrement ignorer, de peur que cette attaque subite et imprévue ne vînt les ébranler. Les disciples ainsi avertis, rappelleraient plus tard leurs souvenirs, et admireraient comment leur divin Maître s'était offert lui-même dans sa passion pour être la rançon du genre humain. - S. BAS. (Règl. abrég., quest. 31.) Ou encore, le Seigneur ne fait pas ici un commandement de porter une bourse et un sac et d'acheter un glaive, mais il prédit ce qui doit arriver à ses Apôtres, qui, oubliant les circonstances de la passion, les grâces qu'ils avaient reçues, et la loi de Dieu, oseront se servir de l'épée ; souvent, en effet, l'Écriture emploie l'impératif pour le futur dans les prophéties, quoique cependant, dans plusieurs manuscrits, on ne lise point : Qu'il prenne, qu'il porte et qu'il achète, mais : " Il prendra, il portera, il achètera. " - THEOPHYL. Ou bien, il leur annonce qu'ils auront à souffrir la faim et la soif (sous l'expression figurée du sac), et de nombreuses tribulations (figurées par le glaive).

S. CYR. Ou bien encore, ces paroles du Sauveur : " Que celui qui a une bourse la prenne, et qu'il prenne aussi un sac, " ne s'adressent pas à ses disciples, mais à tous les Juifs en général, et il semble leur dire : Si quelqu'un, parmi vous, a de grandes richesses, qu'il les réunisse et qu'il prenne la fuite ; et si quelque habitant de ce pays se trouve réduit à la dernière indigence, qu'il vende sa tunique pour acheter une épée ; car le choc de l'attaque qui viendra fondre sur eux sera si terrible, que rien ne pourra lui résister. Il leur fait connaître ensuite la cause de ces calamités, c'est-à-dire parce qu'il a été condamné au supplice destiné aux criminels, et qu'il a été crucifié avec des voleurs. Or, lorsque ce crime aura été consommé, les prophéties qui avaient pour objet la rédemption seront accomplies, et les persécuteurs subiront les châtiments prédits par les prophètes. Notre-Seigneur a donc prédit ici le sort réservé à la nation juive ; mais les disciples ne comprenaient pas la portée de ses paroles et pensaient que c'était pour résister à l'attaque du perfide disciple qu'il était besoin d'épées : " Ils lui dirent donc : Seigneur, voici deux épées. " - S. CHRYS. Si son intention était qu'ils eussent recours pour le défendre à des moyens humains, cent épées n'auraient pas suffi, et s'il ne voulait qu'ils se servissent de ces moyens naturels, ces deux épées étaient même de trop.

THEOPHYL. Le Seigneur ne voulut point les reprendre de leur peu d'intelligence, il se contenta de leur dire : " C'est assez, " c'est ce que nous disons nous-mêmes lorsqu'une personne à qui nous adressons la parole, ne nous comprend pas : C'est bien, cela suffit, pour ne pas la fatiguer davantage. Quelques-uns prétendent que c'est par ironie que le Sauveur dit : " C'est assez, " comme pour dire : Puisqu'il y a deux épées, elles suffiront pour nous défendre contre la multitude qui doit nous assaillir. - BEDE. Ou bien encore, ces deux épées suffisent pour attester que le Sauveur a souffert volontairement sa passion, l'une témoigne du courage des Apôtres pour défendre leur divin Maître, et de la puissance qu'il a de guérir les blessures ; l'autre, qui n'est point tirée du fourreau, prouve qu'il ne leur a pas permis de faire tout ce qu'ils auraient pu pour le défendre. - S. AMBR. Ou bien encore, comme la loi ne défendait pas de frapper celui qui avait frappé, peut-être le Seigneur dit-il a Pierre : " C'est assez, " pour faire entendre que cette juste vengeance n'était permise que jusqu'au règne de l'Évangile, parce que la loi ne commandait que la stricte justice, tandis que l'Évangile enseigne la charité parfaite. Il y a aussi un glaive spirituel qui porte le chrétien à vendre son patrimoine pour acheter la parole qui est comme le vêtement intérieur de l'âme. Il y a encore le glaive de la souffrance qui nous fait sacrifier notre corps, et acheter la couronne sacrée du martyre avec les dépouilles de notre chair immolée. Dans ces deux glaives que les disciples avaient avec eux, je ne puis m'empêcher de voir encore la figure de l'Ancien et du Nouveau Testament, qui sont les armes mises en nos mains contre les attaques insidieuses du démon (Ep 6, 13.17). Enfin Notre-Seigneur dit : " C'est assez, " comme pour dire que rien ne manque à celui qui a pour armes la doctrine de l'Ancien et du Nouveau Testament.

vv. 39-42.
BEDE. Le Sauveur voyant arriver l'heure où son disciple devait le trahir, se dirige vers l'endroit où il avait coutume de se retirer, pour que ses ennemis le trouvent plus facilement : ce Et étant sorti, il s'en alla, suivant sa coutume, à la montagne des Oliviers. " - S. CYR, Il passait toute la journée dans la ville de Jérusalem, et le soir venu, il se retirait avec ses disciples sur la montagne des Oliviers : " Et ses disciples le suivirent. " - BEDE. C'est avec dessein qu'après les avoir nourris des mystères de son corps et de son sang, il les conduit sur la montagne des Oliviers, pour nous apprendre que tous ceux qui ont été baptisés en sa mort, doivent être confirmés par l'onction du Saint-Esprit.

THEOPHYL. Après le repas, le Seigneur ne se laisse aller ni à l'oisiveté, ni aux douceurs du repos, ni au sommeil, mais il s'applique à la prière et à l'enseignement : ce Lorsqu'il fut arrivé en ce lieu, il leur dit : Priez, " etc. - BEDE. Il est impossible que l'âme de l'homme soit exempte de tentations. Aussi ne leur dit-il pas : Priez afin de n'être point tentés, mais : " Priez, afin de ne point entrer en tentation ; " c'est-à-dire afin de n'être pas vaincus dans cette dernière tentation.

S. CYR. Mais ce n'est pas seulement par ses paroles qu'il veut leur être utile ; il s'avance donc un peu plus loin, et se met en prière : " Et il s'éloigna d'eux à la distance d'un jet de pierre, " etc. Partout vous voyez le Sauveur se retirer à l'écart pour prier, il vous apprend ainsi la nécessité du recueillement de l'esprit et de la paix du coeur pour vous entretenir avec le Dieu très-haut, Or, s'il s'applique ainsi à la prière, ce n'est point qu'il ait besoin d'un secours étranger, lui qui est la vertu toute puissante du Père, mais il veut nous apprendre qu'il ne faut pas s'endormir dans les tentations, mais prier avec plus d'instance. - BEDE. Le Sauveur prie seul pour tous les hommes, lui qui devait seul souffrir pour tous, et il nous enseigne par là que sa prière est aussi élevée au-dessus de la nôtre, que sa passion l'est au-dessus de nos souffrances. - S. AUG. (Quest. évang., 2, 50.) Il s'éloigne de ses disciples à la distance d'un jet de pierre, comme pour les avertir par cette figure qu'ils devaient diriger vers lui la pierre, c'est-à-dire conduire jusqu'à lui le sens de la loi qui fut écrite sur la pierre.

S. GREG. DE NYSSE. (ou Isid., Ch. des Pèr. gr.) Mais pourquoi fléchit-il les genoux, selon le récit de l'Évangéliste : " Et s'étant mis à genoux, il priait ? " Les hommes ont coutume de se prosterner ainsi devant les grands pour les supplier, témoignant ainsi par leur attitude, que ceux qu'ils prient leur sont supérieurs. Or, il est évident que la nature humaine n'est rien en comparaison de celle de Dieu, c'est pourquoi dans les devoirs que nous rendons à cette nature incomparable, nous employons les marques d'honneur en usage parmi nous, pour témoigner notre respect à l'égard de ceux qui sont élevés au-dessus de nous. C'est ainsi que celui qui a pris sur lui nos misères, et s'est rendu notre médiateur, fléchit pour prier les genoux de l'humanité dont il s'est revêtu, pour nous apprendre à fuir l'orgueil pendant que nous prions, et à suivre en tout les inspirations de l'humilité ; car Dieu résiste aux superbes, et il accorde sa grâce aux humbles. (Jc 4 ; 1 P 5.)
S. CHRYS. Tout homme qui enseigne un art quelconque, doit joindre l'exemple aux paroles ; c'est pourquoi Notre-Seigneur qui est venu nous enseigner toutes les vertus, conforme sa conduite à ses enseignements. Il nous fait un devoir de prier pour ne point entrer en tentation, il appuie ce précepte de son exemple : " Il priait, disant : Mon Père, si vous le voulez, éloignez de moi ce calice. " Ces paroles : " Si vous le voulez, " ne supposent pas que le Sauveur ignorât que sa prière était agréable à son Père ; car cette connaissance n'était pas plus difficile pour lui que la science de la nature du Père, que lui seul connaît dans toute son étendue, ainsi qu'il le déclare lui-même : " Comme mon Père me connaît, ainsi je connais mon Père. " (Jn 10.) S'il parle de la sorte, ce n'est pas non plus pour éloigner sa passion, car comment admettre qu'il refusât d'être crucifié, lui qui, voyant un de ses Apôtres s'opposer à ses souffrances, l'avait repris sévèrement jusqu'à l'appeler Satan, après qu'il avait fait un si magnifique éloge de sa foi ? (Mt 16.) Pour comprendre la raison de cette prière, considérez combien il était difficile de croire qu'un Dieu ineffable et incompréhensible, ait voulu se renfermer dans le sein d'une vierge, être nourri de son lait, et souffrir toutes les infirmités humaines. Or, comme tous les mystères de sa vie mortelle étaient presque incroyables, il envoya d'abord les prophètes pour les prédire à l'avance ; puis il vint lui-même revêtu d'une chair véritable (pour bien convaincre qu'il n'était pas un fantôme), et il permit que cette chair fût soumise à toutes les infirmités de la nature humaine ; à la faim, à la soif, au sommeil, au travail, à la douleur, à l'angoisse, et c'est par suite du même dessein, et pour prouver la vérité de son humanité, qu'il demande à son Père d'éloigner de lui la mort.

S. AMBR. Il dit donc à Dieu : " Si vous le voulez, éloignez de moi ce calice ; " comme homme, il repousse la pensée de la mort ; comme Dieu, il maintient la loi qu'il a portée. - BEDE. Ou encore, il demande à Dieu d'éloigner de lui ce calice, non par crainte des souffrances, mais par un sentiment de miséricorde pour son ancien peuple, des mains duquel il ne voudrait pas recevoir ce calice. Aussi ne dit-il pas : Éloignez de moi le calice, mais : " Éloignez de moi ce calice, " c'est-à-dire le calice que me prépare le peuple juif, qui ne peut alléguer son ignorance pour excuser son crime, s'il me met à mort, puisqu'il a entre les mains la loi et les prophètes qui lui parlent tous les jours de moi. - S. DENYS D'ALEX. (Ch. des Pèr. gr.) Ou bien encore, ces paroles : " Éloignez de moi ce calice, " ne veulent pas dire : Faites qu'il ne m'arrive pas ; car on ne peut l'éloigner que parce qu'il est déjà arrivé. C'est donc lorsque le Sauveur sentit que ce calice était présent, qu'il commença à être affligé et attristé ; et c'est lorsqu'il le vit sous ses yeux, qu'il dit à son Père : " Éloignez de moi ce calice, " car ce qui passe, ne demeure pas dans le même état, Jésus donc demande à Dieu d'éloigner de lui la tentation qui commence à l'assaillir ; et c'est dans ce sens qu'il nous conseille de prier pour ne point entrer en tentation. Or, il nous indique la voie la plus parfaite et la plus sûre pour échapper aux tentations : " Cependant, que ce ne soit pas ma volonté qui se fasse, mais la vôtre. " En effet, Dieu est essentiellement étranger au mal, et il veut sincèrement nous combler de biens, au delà même de ce que nous pouvons demander et comprendre. Le Sauveur demande donc que la volonté parfaite du Père qui lui est connue, ait son plein effet, parce que cette volonté est la même que la sienne en tant qu'il est Dieu, et il renonce à l'accomplissement de la volonté humaine, qu'il appelle la sienne, et qui est inférieure à celle de son Père. - S. ATHAN. (de l'incarn. contre les Ariens.) Notre-Seigneur nous fait donc voir en lui deux volontés, la volonté humaine et la volonté divine ; la volonté humaine, qui ne voit que la faiblesse de la chair, refuse de souffrir, mais la volonté divine se soumet à la passion avec amour, parce qu'elle sait que le Fils de Dieu ne peut rester enchaîné dans les liens de la mort.

S. GREG. DE NYSSE. Apollinaire prétend que la nature humaine en Jésus-Christ n'avait pas de volonté propre, et qu'il n'y a en lui qu'une seule volonté, celle du Dieu qui est descendu du ciel. Qu'il nous dise donc quelle est cette volonté dont le Sauveur ne veut point l'accomplissement, car la divinité ne peut renoncer à sa propre volonté. - BEDE. Le Sauveur, aux approches de sa passion, a pris la voix de nos infirmités, pour nous apprendre à demander dans notre faiblesse l'éloignement des maux dont nous sommes menacés, tout en ayant la force d'être prêts à dire : Que la volonté de notre Créateur s'accomplisse, fût-elle opposée à la nôtre.

vv. 43-46.
THEOPHYL. Le Seigneur veut être fortifié par un ange alors qu'il priait, pour nous faire comprendre la puissance de la prière et nous apprendre à y recourir avant tout dans nos adversités. - BEDE. Nous lisons dans un autre endroit, que les anges s'approchèrent de lui et le servaient. (Mt 4.) Nous avons donc une preuve de sa double nature dans ces anges qui tour à tour le servent et le fortifient, car le Créateur n'a pas besoin du secours de ses créatures, mais s'étant fait homme, il a voulu être fortifié pour notre instruction, de même qu'il s'est soumis à nos tristesses par amour pour nous. - THEOPHYL. Selon quelques-uns, cet ange apparut au Sauveur pour le glorifier et lui dire : Seigneur, c'est à vous qu'appartient la puissance, car vous pouvez délivrer le genre humain de la mort et de l'enfer.

S. CHRYS. Notre-Seigneur s'est revêtu véritablement de notre chair, et c'est pour établir la vérité de son incarnation et fermer la bouche aux hérétiques, qu'il se soumet à toutes les faiblesses de notre nature : " Et étant tombé en agonie, il priait encore plus. " - S. AMBR. Cette tristesse, cette agonie, sont un sujet de difficultés pour un grand nombre de ceux qui inclinent à voir dans la tristesse du Sauveur une preuve de l'infirmité essentielle à sa nature plutôt que la suite d'une faiblesse qu'il n'avait acceptée que pour un temps. Quant à moi, non seulement je ne crois pas devoir excuser ce sentiment, mais nulle part je ne trouve plus à admirer sa miséricorde et sa puissance. En effet, la rédemption de Notre-Seigneur m'eût été beaucoup moins avantageuse, s'il n'avait pris sur lui toutes nos passions, toutes nos faiblesses, car il a pris ma tristesse pour me communiquer sa joie. C'est avec confiance que je parle de la tristesse, parce que je suis prédicateur de la croix. Le Sauveur a dû prendre sur lui nos douleurs pour en triompher, car ceux en qui les souffrances produisent la stupeur et l'insensibilité plutôt que la douleur, n'ont point le mérite du véritable courage. Jésus a donc voulu nous apprendre à triompher de la mort, et surtout des tristesses de la mort. Vous êtes affligé, Seigneur, mais ce n'est pas de vos blessures, c'est des miennes, car c'est à cause de nos péchés qu'il a été blessé. Peut-être aussi est-il triste de ce que depuis la chute d'Adam, la mort est la seule voie par laquelle nous puissions sortir de ce monde. Ajoutons qu'il n'est pas moins vraisemblable que sa tristesse eût pour cause les châtiments que le crime sacrilège de ses persécuteurs devait attirer sur eux.

S. GREG. (Moral., 7, 24.) Aux approches de sa mort, le Sauveur a voulu reproduire en lui les combats de notre âme qui est aussi en proie à la terreur et à l'effroi, lorsque la dissolution prochaine de notre corps nous annonce l'heure du jugement éternel, et ce n'est pas sans raison, puisqu'elle est sur le point d'entendre la sentence qui doit fixer immuablement son sort pour l'éternité.

THEOPHYL. Une nouvelle preuve que la prière du Sauveur était un acte de la nature humaine et non de la divinité, c'est la sueur dont il est inondé : " Et il eut une sueur comme des gouttes de sang découlant jusqu'à terre. " - BEDE. Il ne faut point attribuer cette sueur à la faiblesse, une sueur de sang est contre nature, mais reconnaître plutôt l'enseignement que Notre-Seigneur a voulu nous y donner, c'est qu'il avait obtenu l'effet de sa prière, qui était d'épurer par son sang la foi de ses disciples encore entachée des imperfections de la fragilité humaine. - S. AUG. (sur les max. de Prosp.) Cette sueur sanglante, qui accompagne la prière du Sauveur, figurait encore, que tous les martyres découleraient de son corps sacré qui est l'Église. - THEOPHYL. Ou encore, c'est ici une manière de parler au figuré, et cette sueur de sang signifie une sueur très-abondante. L'Évangéliste voulant nous représenter Notre-Seigneur inondé de sueur, nous dit qu'il eut une sueur de sang. Cependant il trouve ses disciples endormis sous le poids de la tristesse, et il leur en fait un reproche en même temps qu'il leur recommande de prier : " S'étant levé après sa prière, il vint à ses disciples, et les trouva endormis à cause de la tristesse. " - S. CHRYS. On était au milieu de la nuit, les yeux des disciples étaient appesantis par le chagrin, et ils succombaient au sommeil plutôt par tristesse que par épuisement. - S. AUG. (De l'acc. des Evang., 3, 4.) Saint Luc ne dit pas combien de fois le Seigneur avait adressé à Dieu sa prière avant de venir trouver ses disciples, mais il n'y a ici aucune contradiction entre son récit et celui de saint Marc.
BEDE. Notre-Seigneur apprend à ses disciples que c'est pour eux qu'il a prié, et il les engage à entrer en participation de ses prières, en veillant et en priant eux-mêmes. " Et il leur dit : Pourquoi dormez-vous ? levez-vous et priez, afin de ne point entrer en tentation. " - THEOPHYL. C'est-à-dire, pour n'être point vaincu par la tentation ; car ne pas entrer en tentation, signifie n'en être pas victime. Ou encore, il nous recommande de prier pour obtenir une vie calme et tranquille, exempte de tout mal, car c'est en suivant les inspirations du démon et de l'orgueil qu'os se jette dans la tentation. Aussi l'apôtre saint Jacques ne dit pas : Jetez-vous dans la tentation, mais : " Considérez comme le sujet d'une grande joie lorsque vous tomberez dans les tentations, en acceptant volontiers et avec joie ce qui vous arrive malgré vous. " (Jc 2.)

vv. 47-53.
LA GLOSE. Après le récit de la prière de Jésus-Christ, l'Évangéliste raconte sa trahison par son perfide disciple : " Il parlait encore, lorsqu'une troupe de gens parut, et à leur tête celui qui s'appelait Judas. " - S. CYR. Il dit : " Celui qui s'appelait Judas, " comme si ce nom lui faisait horreur. Il ajoute : " Un des douze, " pour faire ressortir davantage la méchanceté de ce traître disciple, qui est devenu la cause de la mort de Jésus-Christ, après avoir été élevé par lui à la sublime dignité de l'apostolat. - S. CHRYS. Il est des maladies incurables qui sont rebelles aux remèdes les plus énergiques, comme à ceux qui sont les plus doux ; ainsi l'âme une fois captivée et enchaînée volontairement dans les liens du vice, ne se rend à aucun avertissement. C'est ce qui s'est vérifié dans Judas, qui ne renonça pas au dessein de trahir son maître, bien que Jésus ait cherché à l'en détourner par tous les moyens possibles : " Et il s'approcha de Jésus pour le baiser. " - S. CYR. Il avait oublié la gloire qui avait environné la vie du Christ, il crut donc pouvoir consommer son crime en secret, et il osa donner pour signal de cette trahison sacrilège le symbole de l'affection la plus tendre.
S. CHRYS. (Disc. 1 sur Laz.) Nous ne devons pas cesser d'avertir nos frères, lorsque bien même ils ne profitent pas de nos avertissements, car les ruisseaux ne cessent pas de couler, lors même que personne ne vient y puiser. Vous ne persuadez pas aujourd'hui, peut-être serez-vous plus heureux demain. Le pêcheur traîne ses filets vides pendant toute la journée, et c'est vers le soir qu'il les remplit de poissons. Aussi bien que le Seigneur sut parfaitement qu'il ne convertirait pas Judas, il ne laissa pas de faire tout ce qui pouvait le détourner de son mauvais dessein : " Jésus lui dit : Judas, vous trahissez le Fils de l'homme par un baiser ? " - S. AMBR. Il faut donner à ces paroles la forme interrogative, comme exprimant mieux le reproche tendre et affectueux que le Sauveur fait à ce traître disciple. - S. CHRYS. Il l'appelle par son nom plutôt pour exprimer sa douleur et ramener le traître à de meilleurs sentiments que pour redoubler sa fureur. - S. AMBR, Il lui dit : " Vous trahissez par un baiser, " c'est-à-dire, vous choisissez le symbole et le gage de l'amour pour me faire le plus cruel outrage, et c'est avec le plus doux signe de la paix que vous me donnez le coup de la mort. Vous, mon serviteur, vous trahissez votre Seigneur, vous, mon disciple, vous trahissez votre maître, vous que j'ai choisi pour apôtre, vous trahissez le Dieu, auteur de votre vocation. - S. CHRYS. Cependant il ne lui dit pas en termes exprès : Vous trahissez votre maître, votre Seigneur, votre bienfaiteur ; mais " Vous trahissez le Fils de l'homme, " c'est-à-dire, la mansuétude et la douceur même, celui qui vous a témoigné tant de tendresse et de bonté, que vous ne devriez jamais songer à le trahir, quand même il ne serait pas votre Seigneur et votre maître.
S. AMBR. Le Sauveur donne ici à la fois une preuve éclatante de sa puissance divine et une grande leçon de vertu. Il dévoile le crime de son traître disciple, et il le supporte encore avec patience ; il lui montre celui qu'il trahit, en dévoilant aux yeux de tous les secrets de ses noirs desseins ; il montre celui qu'il va livrer, en disant : " Le Fils de l'homme ; " car ce n'est pas la divinité, mais l'humanité dont les ennemis de Jésus vont se saisir. Et cependant ce qui rend plus odieuse l'ingratitude du traître disciple, c'est d'avoir trahi celui qui, étant le Fils de Dieu, a voulu devenir pour nous le Fils de l'homme, et Jésus semble lui dire : Ingrat, c'est pour toi que j'ai pris cette humanité que tu trahis avec tant d'hypocrisie - S. AUG. (de l'acc. des Evang., 3, 5.) Lorsque le Seigneur fut trahi, les premières paroles qu'il prononça furent celles-ci rapportées par saint Luc : " Vous trahissez le Fils de l'homme par un baiser ; " puis celle que lui prête saint Matthieu : " Mon ami, dans quel dessein êtes-vous venu ? " Et enfin celles que rapporte saint Jean : " Qui cherchez-vous ? " - S. AMBR. Le Sauveur donne le baiser à Judas, non pour nous enseigner à dissimuler, mais pour nous montrer qu'il ne repousse pas même ce traître, et pour rendre sa trahison plus odieuse.
THEOPHYL. Cependant les disciples veulent prendre la défense de leur maître, et tirent l'épée : " Ceux qui étaient avec lui, voyant ce qui allait arriver lui dirent : Seigneur, si nous frappions de l'épée ? " Mais comment pouvaient-ils avoir des épées ou des glaives ? Parce qu'ils venaient d'immoler l'agneau et sortaient de table. Tandis que les autres disciples demandent s'ils doivent se servir de leur épée, Pierre, toujours plein de zèle pour son divin Maître, n'attend pas sa réponse, et frappe aussitôt le serviteur du grand-prêtre : " Et l'un d'eux frappa l'un des serviteurs du grand-prêtre, " etc. - S. AUG. (De l'acc. des Evang.) D'après saint Jean, celui qui frappa fut Pierre, et celui qui fut frappé s'appelait Malchus. - S. AMBR. Pierre, dont l'ardeur n'avait pas d'égale et qui était instruit dans la loi, savait que le zèle de Phinées, qui avait mis à mort des sacrilèges, lui avait été imputé à justice (Nb 25 ; Ps 105, 31 ; Si 45, 28 ; 1 M 2, 54), et il frappe sans hésiter le serviteur du grand-prêtre. - S. AMB. (De l'acc. des Evang.) Saint Luc ajoute : " Jésus dit : Arrêtez, laissez-les. " C'est ce que saint Matthieu rapporte en d'autres termes : " Remettez votre épée dans son fourreau. " Il n'y a pas de contradiction entre la réponse du Seigneur, telle que la rapporte saint Luc : " Arrêtez-vous là, " et d'après laquelle le Sauveur approuverait ce qui avait été fait, mais sans vouloir rien de plus ; et celle que saint Matthieu prête au Sauveur, qui semble désapprouver tout ce que Pierre a fait en se servant de son épée. Il est certain que lorsque les disciples lui firent cette question : " Si nous frappions avec l'épée ? " il leur répondit : " Arrêtez-vous là, laissez-les ; " c'est-à-dire, ne vous inquiétez pas de ce qui doit arriver, il faut les laisser s'avancer jusqu'au bout, c'est-à-dire, se saisir de moi pour accomplir ce que les prophètes ont écrit de moi. En effet, l'Évangéliste ne dirait pas : " Jésus répondit, " s'il ne répondait par le fait à la question de ses disciples plutôt qu'à l'action de Pierre. Or, dans l'intervalle qui s'écoule entre la question faite au Seigneur et sa réponse, Pierre, emporté par son zèle, frappa le serviteur du grand-prêtre, mais les Évangélistes n'ont pu raconter en même temps ce qui s'était passé simultanément. Alors, selon le récit de saint Luc, Jésus guérit celui qui avait été frappé : " Et ayant touché l'oreille de cet homme il le guérit. " - BEDE. Jamais le Seigneur ne cesse d'exercer sa miséricorde, ils vont faire mourir le juste, et à ce moment même il guérit les blessures de ses bourreaux.
S. AMBR. En guérissant la sanglante blessure de cet homme, Notre-Seigneur nous révèle ses divins mystères, et nous montre le serviteur du prince de ce monde réduit en servitude, non par la condition de sa nature, mais par sa fauté, et recevant une blessure à l'oreille, parce qu'il n'a point voulu écouter les enseignements de la sagesse ; ou si Pierre lui-même a voulu frapper cet homme à l'oreille, c'est pour nous enseigner que celui qui n'a point l'oreille du coeur ouverte pour les saints mystères, ne mérite point d'avoir l'oreille du corps qui en est la figure, Mais pourquoi est-ce Pierre plutôt qu'un autre disciple ? Parce qu'il a reçu le pouvoir de lier et de délier, et c'est pour cela qu'il coupe avec le glaive spirituel l'oreille intérieure de celui dont l'intelligence est rebelle aux divins enseignements. Mais le Seigneur rend aussitôt à cet homme l'usage de l'ouïe, pour nous apprendre que ceux mêmes qui ont été blessés et scandalisés de sa passion, peuvent parvenir au salut, s'ils veulent se convertir, parce qu'il n'y a point de péché qui ne puisse être effacé par la puissance mystérieuse des sacrements de la foi. - BEDE. Ou encore, ce serviteur est la figure du peuple juif, réduit injustement en servitude par les princes des prêtres, et qui, dans la passion du Sauveur, perd l'oreille droite, c'est-à-dire, l'intelligence spirituelle de la loi. Cette oreille est coupée par le glaive de Pierre, non que cet Apôtre ôte le sens de l'intelligence à ceux qui en font un bon usage, mais il le retranche aux âmes négligentes qui méritent de le perdre par un juste jugement de Dieu. Cependant la bonté divine rétablit dans son premier état l'oreille droite de ceux qui, parmi le peuple juif, ont embrassé la foi.
" Or, Jésus leur dit : Vous êtes venus comme à un voleur, avec des épées et des bâtons, " etc. - S. CHRYS. Ils étaient venus de nuit, parce qu'ils craignaient le soulèvement de la multitude, et Jésus leur dit : " Qu'aviez-vous besoin de ces armes pour prendre celui qui est tous les jours au milieu de vous, puisque j'étais tous les jours avec vous dans le temple ? " - S. CYR. Notre-Seigneur ne blâme pas les principaux d'entre les Juifs de n'avoir pas cherché plutôt à le mettre à mort, mais il leur reproche de s'imaginer, dans leur aveuglement, qu'ils peuvent se saisir de lui contre sa volonté ; et tel est le sens de ses paroles : Vous n'avez pu vous saisir de moi alors, parce que je ne le voulais pas, et aujourd'hui encore vous ne le pourriez pas davantage, si je ne me livrais moi-même entre vos mains : " Mais voici votre heure, " c'est-à-dire mon Père qui se rend à mes voeux, vous accorde ce peu de temps pour exercer contre moi votre cruauté. Il ajoute que cette puissance de sévir contre le Christ, a été donnée aux ténèbres (c'est-à-dire au démon et aux Juifs) ; mais voici votre heure et la puissance des ténèbres. - BEDE. C'est-à-dire : Vous vous réunissez contre moi dans les ténèbres, parce que la puissance dont vous vous armez contre la lumière est la puissance des ténèbres. On se demande comment saint Luc a pu dire que Jésus parlait ainsi aux princes des prêtres, aux officiers du temple, et aux anciens qui étaient venus pour le prendre ; tandis que d'après les autres Évangélistes, ils ne vinrent pas en personne, mais envoyèrent leurs serviteurs, et attendirent dans la maison de Caïphe. Nous répondons que cette contradiction n'est qu'apparente, et que les princes des prêtres vinrent effectivement, non par eux-mêmes, mais par ceux qu'ils envoyèrent en leur nom, et qui avaient reçu d'eux l'ordre de se saisir de Jésus-Christ.

vv. 54-62.
S. AMBR. Ces infortunés ne comprirent point le mystère de cette guérison, et n'eurent aucun égard pour ce sentiment de bonté et de clémence, qui ne peut souffrir que ses ennemis mêmes soient blessés : " S'étant donc saisis de lui, ils l'amenèrent, " etc. Lorsque nous lisons qu'ils se saisirent de Jésus, gardons-nous de l'entendre de sa divinité, ou de croire que ce fut malgré lui, et par suite de sa faiblesse ; ils ne s'emparent de lui et ne le chargent de chaînes qu'en tant qu'il est revêtu d'un corps véritable semblable au nôtre. - BEDE. Le prince des prêtres était Caïphe, qui était grand-prêtre pour cette année. - S. AUG. (de l'acc. des Evang) Cependant Jésus fut conduit premièrement chez Anne, beau-père de Caïphe, selon le récit plus circonstancié de saint Jean, et non chez Caïphe, comme le raconte saint Matthieu. Saint Marc et saint Luc ne disent pas le nom du grand-prêtre. - S. CHRYS. (hom. 84 sur S. Matth,) Il fut conduit dans la maison du grand-prêtre, pour que tout se fit de son consentement et par son ordre ; car c'est là qu'ils s'étaient tous réunis pour attendre Jésus. Pierre donne ici une preuve de son ardent amour, il a vu tous les disciples prendre la fuite, et ne les a point imités : " Et Pierre le suivait de loin. " - S. AMBR. Remarquez cependant qu'il le suivait de loin, parce qu'il allait bientôt le renier ; car il n'eût pu se rendre coupable de ce crime, s'il se fût tenu plus près de Jésus-Christ. Toutefois il est digne d'éloges pour n'avoir point abandonné le Sauveur, malgré la crainte qu'il éprouvait ; cette crainte était un sentiment naturel, mais son zèle était l'effet de son amour. - BEDE. Pierre, suivant de loin le Seigneur qui se dirige vers le lieu de ses souffrances, est la figure de l'Église, qui suit, il est vrai, c'est-à-dire qui doit imiter la passion du Sauveur, mais d'une manière bien différente ; car l'Église souffre pour elle-même, tandis que Jésus-Christ souffre pour l'Église.
S. AMBR. Or, on avait allumé du feu dans la maison du prince des prêtres : " Après avoir allumé du feu au milieu de la cour, ils s'assirent autour, et Pierre s'assit parmi eux. " Pierre s'approcha pour se réchauffer, parce qu'à la vue du Seigneur chargé de chaînes, la chaleur de son âme s'était déjà refroidie. - S. AUG. (serm. 124 du temps.) Pierre avait reçu les clefs du royaume des cieux, et devait avoir la charge d'une multitude innombrable de peuples encore ensevelis dans leurs péchés. Mais il avait encore quelque dureté dans le caractère, comme il le fait voir en coupant l'oreille au serviteur du grand-prêtre. Or, avec cette sévérité et cette dureté, quelle indulgence aurait-il eue pour les peuples qui devaient lui être confiés, s'il avait reçu le privilège de l'impeccabilité ? La Providence divine permit donc qu'il tombât le premier dans le péché, pour que le souvenir de sa propre chute modérât la sévérité de ses jugements à l'égard des pécheurs. Comme il était près du feu pour se chauffer, une jeune fille s'approcha de lui : " Une servante qui le vit assis devant le feu, l'ayant considéré attentivement, " etc. - S. AMBR. Pourquoi est-ce une servante qui découvre la première la présence de Pierre, alors que c'était bien plutôt aux hommes à la reconnaître ? N'est-ce point que Dieu permit que ce sexe ne se rendît coupable dans la passion du Seigneur, pour qu'il eût part aussi à la grâce de la rédemption par sa passion ? Pierre étant reconnu, renie son Maître ; je préfère voir Pierre renier Jésus, plutôt que de dire que le Seigneur s'est trompé : " Et Pierre le nia, disant : Femme, je ne le connais point. " - S. AUG. (comme précéd.) Que faites-vous, Pierre ? votre langage est tout à coup changé ; votre bouche, pleine de foi et d'amour, ne laisse plus sortir que des paroles de haine et de perfidie ? Vous n'avez encore à craindre ni violences, ni tortures ; aucun de ceux qui vous interrogent, n'a assez d'autorité pour vous faire trembler ; une femme vous fait une simple question, sans intention peut-être d'abuser de votre réponse pour vous faire connaître ; que dis-je, ce n'est pas une femme, c'est une jeune fille chargée de garder la porte, c'est une humble servante.
S. AMBR. Or, Pierre a renié Jésus, parce que sa promesse a été présomptueuse. Il ne le renie pas sur la montagne, ni dans le temple, ni dans sa maison, mais dans le prétoire des Juifs, il renie Jésus là où il est enchaîné, là où ne se trouve point la vérité. Il le renie en disant " Je ne le connais point ; " il eût été téméraire, en effet, de dire qu'il connaissait celui que l'esprit humain ne peut comprendre : " Car personne ne connaît le Fils, si ce n'est le Père. " (Mt 11, 47.) Bientôt il renie Jésus une seconde fois : " Un peu après, un autre le voyant, lui dit : Vous aussi, vous êtes de ces gens là. " - S. AUG. (de l'accord des Evang.) Lors de ce second reniement, Pierre fut interpellé par deux personnes ; par cette servante dont parlent saint Matthieu et saint Marc, et par une autre personne, dont fait mention saint Luc. Au moment dont saint Luc dit : " Un peu après, " Pierre était déjà sorti, et le coq avait chanté pour la première fois, comme le raconte saint Marc, puis il était rentré (selon le récit de saint Jean), et se tenait devant le feu près de renier Jésus pour la seconde fois. En effet, écoutez-le : " Pierre répondit : Mon ami, je n'en suis point. " - S. AMBR. Il aime mieux se renier lui-même que de renier Jésus-Christ ; ou encore, c'est en niant qu'il soit de la société de Jésus, qu'il se renie lui-même. - BEDE. Ce reniement de Pierre nous apprend qu'on ne renie pas seulement Jésus-Christ en soutenant qu'il n'est pas le Christ, mais en niant qu'on soit chrétien, lorsqu'on l'est en effet.

S. AMBR. La même question est répétée à Pierre une troisième fois : " Une heure environ s'était écoulée, lorsqu'un autre vint dire avec assurance : Certainement cet homme était avec lui. " - S. AUG. (de l'accord des Evang.) Saint Luc précise l'intervalle qui s'écoula entre le deuxième et le troisième renoncement : " Une heure environ s'était écoulée, " intervalle dont saint Matthieu et saint Marc ne parlent qu'en ces termes généraux : " Un peu après, " saint Jean n'en fait point mention. De même saint Matthieu et saint Marc parlent au pluriel de ceux qui adressaient ces questions à Pierre, tandis que saint Luc et saint Jean ne font mention que d'un seul. Il est facile de résoudre cette contradiction apparente en disant : ou bien que saint Matthieu et saint Marc ont suivi l'usage souvent adopté de mettre le pluriel pour le singulier ; ou bien qu'un seul surtout affirmait avoir vu Pierre, et que tous les autres insistaient en s'appuyant sur son témoignage. D'un autre côté, saint Matthieu raconte qu'un de ceux qui étaient présents dit à saint Pierre : " Certainement vous êtes aussi de ces gens-là ; car votre langage même vous trahit, " et saint Jean qu'un autre lui dit également : " Est-ce que je ne vous ai pas vu dans le jardin ? " tandis que selon saint Marc et saint Luc, ils s'entretenaient de Pierre à peu près dans les mêmes termes. On peut adopter l'opinion de ceux qui croient que d'après tous les Évangélistes Pierre fut interpellé directement (car parler de lui devant lui-même, n'était-ce pas la même chose que lui parler à lui-même), ou bien qu'on s'est servi de ces deux manières de parler, et que les Évangélistes n'en ont raconté qu'une seule des deux. - BEDE. On ajoute : " Car il est aussi Galiléen, " non pas sans doute que les Galiléens eussent une langue différente de celle des habitants de Jérusalem (qui étaient aussi des hébreux), mais parce que chaque province et chaque pays ayant ses usages propres, ne pouvait éviter, en parlant, l'accent qui lui était particulier.
" Pierre répondit : Mon ami, je ne sais ce que vous dites. " - S. AMBR. C'est-à-dire, je ne connais point vos discours sacrilèges. Nous cherchons à excuser Pierre, mais lui-même ne s'excusa point, c'est qu'en effet, ce n'est pas avec une réponse vague que l'on peut confesser Jésus-Christ, il faut une déclaration claire et formelle ; aussi ne peut-on dire que Pierre ait eu dessein de répondre dans ce sens, puisque bientôt le. souvenir de son reniement lui fit verser des larmes amères.
BEDE. L'Écriture sainte a coutume de caractériser le mérite des faits par les différentes circonstances des temps ; ainsi Pierre, qui avait renié son divin Maître au milieu de la nuit, se repentit de son péché au chant du coq : " Et aussitôt, comme il parlait encore, le coq chanta, " le souvenir de la vraie lumière lui fait expier le crime qu'il a commis dans les ténèbres de l'oubli. - S. AUG. (de l'accord des Evang., 3, 7.) Le chant du coq se fit entendre après le triple reniement de Pierre, comme saint Marc le dit expressément. - BEDE. Dans le sens figuré, ce coq représente les docteurs qui excitent les âmes languissantes et engourdies, en leur adressant ces paroles de l'Apôtre : Justes, tenez-vous dans la vigilance, et gardez-vous du péché. " (1 Co 15, 34.)
S. CHRYS. (hom. 42 sur S. Jean.) Admirez la tendre sollicitude du Sauveur, il est chargé de chaînes et il veille avec amour sur son disciple, et d'un seul regard, il le touche et lui fait verser un torrent de larmes : " Et le Seigneur, se retournant, regarda Pierre. " - S. AUG. (de l'accord des Evang.) Il faut examiner attentivement dans quel sens il faut entendre ces paroles. En effet, d'après saint Matthieu, " Pierre était assis au dehors dans la cour, " et il ne se fût pas exprimé de la sorte, si Notre-Seigneur n'eût été alors dans l'intérieur de la maison. Saint Marc, de son côté, nous dit que " Pierre était en bas, dans la cour, " paroles qui indiquent que les faits qui concernent Jésus, et font l'objet de son récit, se passaient non seulement dans l'intérieur, mais dans le haut de la maison. Comment donc le Seigneur a-t-il regardé Pierre ? Ce ne fut pas des yeux du corps, puisque Pierre alors se trouvait en dehors, dans la cour, avec ceux qui se chauffaient, pendant que tout le reste se passait dans l'intérieur de la maison. Il est donc ici question d'un regard tout divin, tel que celui qu'implorait le Psalmiste, lorsqu'il disait : " Regardez-moi, et exaucez-moi ; " (Ps 13) et encore " Tournez-vous vers moi, et délivrez mon âme ; " (Ps 6) et c'est dans ce sens qu'il faut entendre ces paroles : " Et le Seigneur, se retournant, regarda Pierre. " - BEDE. En effet, pour Jésus, regarder, c'est faire miséricorde, et cette miséricorde nous est nécessaire non seulement pour faire pénitence, mais même pour en concevoir la résolution.

S. AMBR. Ceux sur lesquels Jésus daigne ainsi jeter un regard, pleurent amèrement leurs fautes : " Et Pierre se ressouvint de la parole que le Seigneur lui avait dite : " Avant que le coq chante, tu me renieras trois fois. Et Pierre étant sorti, pleura amèrement. " Quelle fut la cause de ses larmes ? la faute qu'il avait commise. Je lis bien que Pierre a pleuré ; je ne vois point qu'il ait cherché à s'excuser ; ses larmes effacent le crime qu'il avait honte d'avouer. Il avait renié son divin Maître une première et une seconde fois, mais sans verser de larmes, parce que le Seigneur ne l'avait pas encore regardé ; il le renie une troisième fois, Jésus le regarde, et il pleure amèrement. Si donc vous voulez mériter votre pardon, vous aussi lavez vos fautes dans vos larmes. - S. CYR. Cependant Pierre n'osait pleurer publiquement, de peur que ses larmes ne le fissent découvrir, mais il sortit dehors pour donner un libre cours à ses larmes. Or, il pleurait non par crainte du châtiment qu'il avait mérité, mais parce qu'il avait renié son Maître bien-aimé, pensée plus accablante pour lui que tous les supplices.

vv. 63-71.
S. AUG. (De l'acc. des Evang., 3, 6.) Tous les évangélistes ne rapportent pas dans le même ordre le reniement de Pierre, qui eut lieu pendant que le Seigneur était en butte aux outrages de ses ennemis. Saint Matthieu et saint Marc racontent d'abord ces outrages, et puis la chute de Pierre ; saint Luc suit un ordre contraire, et ce n'est qu'après le reniement de Pierre, qu'il parle de ces outrages en ces termes : " Cependant ceux qui tenaient Jésus le raillaient, " etc. - S. CHRYS. Jésus, le Seigneur du ciel et de la terre, supporte et souffre les dérisions des impies, pour nous donner un sublime exemple de patience. - THEOPHYL. Ajoutons que le Seigneur des prophètes est l'objet de leurs moqueries comme un faux prophète.

" Puis lui ayant bandé les yeux, ils le frappaient au visage, " etc. - BEDE. Ils lui faisaient subir cet indigne traitement, parce qu'il avait voulu se faire passer aux yeux du peuple pour un prophète. Or, ce même Jésus qui fut alors souffleté par les Juifs, est encore aujourd'hui outragé de la même manière par les blasphèmes des faux chrétiens. Ils lui bandèrent les yeux, non pour lui dérober le spectacle de leurs violences, mais pour dérober à eux-mêmes la vue de sa face adorable. C'est ainsi que les hérétiques, les Juifs et les mauvais catholiques, qui continuent de l'outrager par leur conduite criminelle, lui disent encore pour se moquer de lui : " Qui t'a frappé ? " lorsqu'ils s'imaginent qu'il ne peut connaître leurs pensées et leurs oeuvres de ténèbres.
S. AUG. (De l'accord des Evang.) Le Seigneur fut donc en butte à ces outrages pendant toute la nuit dans la maison du prince des prêtres où il avait d'abord été conduit : " Et dès qu'il fut jour, les anciens du peuple, les princes des prêtres et les scribes s'assemblèrent, et l'ayant fait amener devant eux, ils lui dirent : Si vous êtes le Christ, dites-le nous. " - BEDE. Ils ne désirent point connaître la vérité, mais ils attendent sa réponse pour le calomnier. Le Christ dont ils espéraient la venue, devait être de la race de David, et ils lui font cette question, pour lui faire un crime de s'être attribué la puissance royale, s'il répondait affirmativement : " Je suis le Christ. "

THEOPHYL. Mais Jésus connaissait leurs dispositions intérieures, et il savait bien que n'ayant point voulu croire à ses oeuvres, ils se rendraient encore bien moins à ses discours : " Et il leur répondit : Si je vous le dis, vous ne me croirez pas. " - BEDE. Souvent en effet, il leur avait déclaré qu'il était le Christ ; par exemple lorsqu'il leur disait : " Mon Père et moi nous sommes un, " (Jn 10) et en d'autres termes semblables : " Et si je vous interroge, vous ne me répondrez pas. " C'est ainsi qu'il leur avait demandé comment ils pouvaient dire que le Christ fût le Fils de David, puisque David inspiré l'appelait son Seigneur (cf. Mt 22, 42 ; Mc 12, 35.36 ; Lc 20, 42, etc). Or, ils n'avaient voulu ni croire à sa parole, ni répondre à ses questions, et comme ils s'attachaient à calomnier le fils de David, il leur fait entendre une vérité beaucoup plus importante : " Désormais le Fils de l'homme sera assis à la droite de la puissance de Dieu. " - THEOPHYL. Paroles dont voici le sens : Le temps des discours et des enseignements est passé pour vous ; désormais c'est le temps du jugement, où vous me verrez, moi le Fils de l'homme assis à la droite de la puissance de Dieu. - S. CYR. Lorsque la sainte Écriture nous représente Dieu comme assis, et qu'elle nous parle de son trône, elle veut exprimer qu'il est le Roi de l'univers, et qu'il a sur tous les hommes une puissance souveraine. Nous ne pouvons admettre, en effet, qu'il existe un tribunal où le Seigneur de toutes choses vienne siéger, ni que la nature divine ait une droite ou une gauche, car il n'appartient qu'aux corps d'avoir une forme, d'occuper une place, ou d'être assis. Mais comment le Fils de l'homme pourra-t-il paraître dans la même gloire et au même rang que son Père, s'il n'est pas son Fils par nature, s'il n'a pas en lui l'essence même du Père ? - THEOPHYL. Cette déclaration solennelle aurait dû leur inspirer une crainte salutaire, loin de là, elle ne fait que redoubler leur acharnement : " Alors ils dirent tous : Vous êtes donc le Fils de Dieu ? " - BEDE. ils comprirent qu'il s'était déclaré le Fils de Dieu en disant de lui-même : " Désormais le Fils de l'homme sera assis à la droite de la puissance de Dieu. " - S. AMBR. Notre-Seigneur aime mieux prouver qu'il était roi plutôt que de le dire, afin de leur ôter tout motif de le condamner, puisqu'ils étaient forcés d'avouer eux-mêmes ce dont ils lui faisaient un crime : " il répondit : Vous le dites, je le suis. " - S. CYR. A ces paroles, toute la troupe des pharisiens entre en fureur, et l'accuse de blasphème : " Et ils repartirent : Qu'avons-nous besoin d'autre témoignage ? nous l'avons entendu nous-mêmes de sa propre bouche. " - THEOPHYL. Cette conduite des Juifs nous montre que les esprits rebelles ne tirent aucun avantage des mystères qui leur sont révélés, mais qu'ils n'en deviennent que plus coupables, aussi vaut-il mieux les leur laisser ignorer.