CATANA AUREA SUR SAINT LUC

PRÉFACE DE L'EXPLICATION

ÉVANGILE DE SAINT LUC PAR SAINT THOMAS

SAINT THOMAS D'AQUIN CATENA AUREA SUR SAINT LUC

CHAPITRE XIX
vv. 1-10.
S. AMBR. Zachée était monté sur un sycomore, l'aveugle était assis le long du chemin ; le Seigneur attend l'un pour le guérir, il honore l'autre en daignant descendre dans sa maison : " Jésus étant entré dans Jéricho, traversait la ville, " etc. C'est par un dessein particulier de Dieu que nous voyons paraître ici un chef de publicains ; car qui pourra désespérer de son salut, puisque cet homme, dont les richesses venaient en grande partie de la fraude, a cependant trouvé grâce devant Dieu ? Il était fort riche, pour vous apprendre que tous les riches ne sont pas nécessairement des avares. - S. CYR. Mais Zachée, de son côté, n'a point mis le moindre retard, et s'est ainsi montré digne de la miséricorde de Dieu, qui rend la vue aux aveugles, et appelle ceux qui sont éloignés.

TITE DE BOST. La semence du salut avait germé dans son âme, puisqu'il désirait voir Jésus : " Et il cherchait à voir Jésus pour le connaître. " Il ne l'avait jamais vu, car s'il l'eût vu une seule fois, il aurait renoncé depuis longtemps aux injustices de sa vie ; en effet, lorsqu'on a vu Jésus, il est impossible de persévérer dans l'iniquité. Or, deux choses s'opposaient à ce que Zachée pût voir Jésus : il en était empêché par la foule, moins des hommes que de ses péchés et de ses crimes, et il était d'ailleurs petit de taille : " Et il ne le pouvait à cause de la foule, parce qu'il était fort petit, " ajoute l'Évangéliste. - S. AMBR. D'où vient qu'il n'est fait mention dans l'évangile de la taille d'aucun autre que de celle de Zachée ? La raison n'en serait-elle pas qu'il était petit par suite de sa malice, ou qu'il était petit par son peu de foi ? car il n'était pas encore bien zélé, lorsqu'il monta sur cet arbre, il n'avait pas encore vu le Christ. - TITE DE BOST. Mais il eut une bonne inspiration, car il courut en avant et monta sur un sycomore, et il vit ainsi passer Jésus qu'il désirait tant de connaître : " Courant donc en avant, dit l'Évangéliste, il monta sur un sycomore pour le voir, parce qu'il devait passer par là. " Il désirait seulement voir Jésus, mais celui qui nous accorde toujours plus que nous ne demandons, lui donne au delà de ses espérances : " Arrivé à cet endroit, Jésus le vit. " Il vit son âme pleine du désir ardent de mener une vie sainte, et il l'inclina doucement vers la piété. - S. AMBR. Sans être invité, il s'invite lui-même à descendre chez lui : " Et l'ayant vu, il lui dit : Zachée, descendez vite, " etc. Il savait que l'hospitalité qu'il demandait serait largement récompensée, et bien qu'il n'eût pas encore entendu Zachée lui adresser d'invitation, il voyait les sentiments de son cœur.

BEDE. Voici que le chameau a déposé la lourde protubérance qu'il portait sur son dos, et il passe par le trou d'une aiguille, c'est-à-dire, un riche, un publicain, sacrifie l'amour des richesses, renonce à tous ses profits frauduleux, et reçoit la bénédiction que lui apporte la visite du Sauveur : " Et il se hâta de descendre, et il le reçut avec joie. " - S. AMBR. Que les riches apprennent donc que le crime n'est pas dans les richesses, mais dans le mauvais usage qu'on en fait ; car si les richesses sont un moyen de perdition pour les méchants, elles sont dans la main des bons un puissant auxiliaire de leur vertu.

S. CHRYS. (Ch. des Pèr. gr.) Considérez l'excessive bonté du Sauveur : innocent, il se mêle aux coupables ; source de toute justice, il entre en relation avec l'avarice qui est la cause de toute perversité ; en entrant dans la maison d'un publicain, sa sainteté n'est point obscurcie par les sombres vapeurs de l'avarice, qu'il dissipe au contraire par l'éclat de sa justice. Cependant les envieux, et ceux qui ne cherchaient qu'à le calomnier, s'efforcent d'incriminer sa conduite : " Voyant cela, tous murmuraient en disant : " Il est descendu chez un pécheur. " Mais Jésus, accusé d'être le convive et l'ami des publicains, dédaigne ces calomnies pour accomplir son oeuvre ; car le médecin ne peut guérir les malades qu'à la condition de supporter ce que leurs plaies ont de rebutant. C'est ce qui arriva, le publicain changea de vie et devint meilleur : " Mais Zachée, se tenant devant Jésus, lui dit : Voici, Seigneur, que je donne la moitié de mes biens aux pauvres, " etc. Entendez cette admirable résolution, Jésus n'a point encore parlé, et il obéit déjà. De même que le soleil, dont les rayons pénètrent dans une maison, l'éclaire non point par des paroles, mais par son action, ainsi le Sauveur dissipe les ténèbres de l'iniquité par les seuls rayons de sa justice, car il est la lumière qui luit dans les ténèbres. Tout ce qui est uni est fort, tout ce qui est divisé est faible, c'est pourquoi Zachée fait le partage de ses biens. Il faut avoir soin de remarquer que les richesses de Zachée n'étaient pas toutes le fruit de l'injustice, mais qu'elles provenaient aussi de son patrimoine. Comment aurait-il pu sans cela rendre le quadruple de ce qu'il avait acquis injustement ? Il savait que la loi prescrit de rendre le quadruple de tout bien mal acquis (Ex 22), afin que si l'on ne craint pas de violer la loi, on soit au moins arrêté par l'obligation onéreuse qu'elle impose. Mais Zachée n'attend pas la condamnation de la loi, il se fait lui-même son propre juge.

THEOPHYL. Si nous voulons pénétrer plus avant, nous trouverons qu'il ne restait plus rien à Zachée de ses biens. Après avoir donné la moitié de ses biens aux pauvres, il emploie le reste à rendre le quadruple à tous ceux qu'il avait pu léser. Et non seulement il le promet, mais il le fait aussitôt, car il ne dit pas : Je donnerai la moitié de mes biens, et je rendrai quatre fois autant à ceux à qui j'ai fait tort, mais voici que je donne, et que je restitue. Aussi Jésus-Christ lui annonce-t-il qu'il a reçu le salut : " Jésus lui dit : Le salut est entré aujourd'hui dans cette maison. " La maison ici signifie celui qui l'habite, et le Sauveur veut dire que Zachée a obtenu la grâce du salut. Il ajoute, en effet : " Parce que celui-ci est aussi enfant d'Abraham. " Or, il n'aurait pu dire d'un édifice matériel et inanimé qu'il était enfant d'Abraham. - BEDE. Zachée est appelé enfant d'Abraham, non parce qu'il est né de sa race, mais parce qu'il a été l'imitateur de sa foi, et qu'il a renoncé à ses biens pour les distribuer aux pauvres, de même qu'Abraham avait quitté son pays et la maison de son père. Notre-Seigneur dit : " Il est aussi enfant d'Abraham, " pour nous apprendre que ce ne sont pas seulement ceux qui ont vécu dans la sainteté, mais ceux qui renoncent à leur vie injuste qui sont enfants de la promesse.

THEOPHYL. Jésus ne dit pas que Zachée était fils d'Abraham, mais qu'il l'est maintenant ; car tant qu'il était chef des publicains, il n'avait aucun trait de ressemblance avec le juste Abraham, et ne pouvait être son fils. Cependant comme quelques-uns murmuraient de ce que le Sauveur était descendu dans la maison d'un pécheur, il calme leur indignation en ajoutant : " Car le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. " - S. CHRYS. Pourquoi me faire un crime de chercher à ramener les pécheurs ? Je suis si loin de les haïr, qu'ils sont la cause de ma venue sur la terre ; je suis venu comme médecin et non comme juge, aussi je ne dédaigne pas de devenir le convive des malades, et je supporte la mauvaise odeur de leurs plaies, afin de pouvoir y appliquer des remèdes plus efficaces. Mais on me demandera comment saint Paul défend aux chrétiens de manger avec un de leurs frères qui serait ou fornicateur, ou avare (1 Co 5, 11), tandis que nous voyons Jésus-Christ s'asseoir à la table des publicains. Je réponds que les publicains n'étaient pas encore élevés à la dignité de frères ; et d'ailleurs saint Paul défend tout commerce avec ceux de nos frères qui persévèrent dans le mal. Or, tels n'étaient point les publicains avec qui le Sauveur ne dédaignait pas de manger.

BEDE. Dans le sens figuré, Zachée, qui veut dire justifié, représente le peuple des Gentils qui a embrassé la foi. Il était comme amoindri et rapetissé par les préoccupations de la terre, mais Dieu l'a grandi et sanctifié. Il a désiré voir Jésus qui entre dans Jéricho, lorsqu'il a cherché à participer à la foi que le Sauveur était venu apporter au monde. - S. CYR. La foule représente cette multitude ignorante et tumultueuse qui n'a pu élever ses regards jusqu'au sommet de la sagesse ; aussi longtemps que Zachée demeure dans la foule, il ne peut voir Jésus-Christ, mais aussitôt qu'il s'élève au-dessus de cette multitude ignorante, il mérite de recevoir dans sa maison celui qu'il désirait simplement de voir. - BEDE. Ou bien encore la foule (c'est-à-dire les habitudes criminelles), qui défendait à l'aveugle de demander à Jésus par ses cris qu'il lui rendit la vue, est aussi l'obstacle qui empêche Zachée de voir le Sauveur. Or, de même que l'aveugle a triomphé de la foule en redoublant ses cris suppliants, ainsi Zachée qui était petit, s'est élevé au-dessus des obstacles de la foule, en abandonnant toutes les choses de la terre, et en montant sur l'arbre de la croix. En effet, le sycomore, dont les feuilles sont semblables à celles du mûrier, mais qui s'élève à une plus grande hauteur (ce qui lui a fait donner par les latins le nom de celsa, élevé), porte aussi le nom de figuier sauvage. Or, la croix du Seigneur est comme le figuier qui nourrit les fidèles, tandis que les incrédules s'en moquent comme d'une folie. Zachée qui était petit, monte sur cet arbre pour grandir sa taille ; ainsi le chrétien qui est humble et qui a la conscience de sa propre misère s'écrie : A Dieu ne plaise que je me glorifie, si ce n'est dans la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ. (Ga 6.) - S. AMBR. L'Évangéliste ajoute avec dessein : " Parce que le Seigneur devait passer par là, " soit où était le sycomore, soit où Zachée se trouvait lui-même. Le Sauveur voulait observer l'ordre mystérieux d'après lequel la grâce de la foi devait se répandre, et son dessein était d'annoncer l'Évangile aux Juifs avant de le porter aux Gentils. Il voit donc Zachée sur l'arbre, car déjà la sublimité de sa foi l'élevait au milieu des fruits des bonnes oeuvres à la hauteur d'un arbre fécond, Zachée est monté sur l'arbre, parce qu'en effet, il s'élève au-dessus de la loi.

BEDE. Le Seigneur, en traversant la ville, arrive à l'endroit où Zachée était monté sur le sycomore. C'est ainsi qu'après avoir envoyé des prédicateurs dans la personne desquels il allait prêcher lui-même l'Évangile, Jésus arriva au milieu du peuple des Gentils, qui déjà s'était relevé de son état d'abaissement par la foi à sa passion ; le Sauveur jette sur lui un regard en le choisissant par sa grâce. Notre-Seigneur était aussi entré quelquefois dans la maison d'un des chefs des pharisiens, mais tandis qu'il y opérait des oeuvres dignes d'un Dieu, ils trouvaient le moyen de calomnier sa conduite. Aussi ne pouvant plus souffrir leur audace criminelle, il les abandonne en leur disant : " Votre maison sera laissée déserte. " (Mt 23.) Aujourd'hui, au contraire, il faut qu'il descende dans la maison de Zachée qui était petit, c'est-à-dire qu'il se repose dans le coeur des Gentils devenus humbles, en faisant briller à leurs yeux la grâce de la nouvelle loi. Zachée reçoit l'ordre de descendre de ce sycomore, et de préparer à Jésus une demeure dans sa maison ; c'est ce que l'Apôtre nous recommande par ces paroles : " Si nous avons connu Jésus-Christ selon la chair, maintenant nous ne le connaissons plus de cette sorte ; " (2 Co 5, 16) ; et par ces autres : " Encore qu'il ait été crucifié selon la faiblesse de la chair ; il vit néanmoins maintenant par la vertu de Dieu. " (2 Co 13, 4.) Il est manifeste que les Juifs ont toujours été opposés au salut des Gentils ; mais cette grâce du salut qui remplissait autrefois les demeures des Juifs, brille aujourd'hui aux yeux des Gentils, parce qu'ils sont devenus eux-mêmes enfants d'Abraham, en imitant la foi qu'il avait en Dieu.

THEOPHYL. Il est facile de tirer de ce récit des inductions morales. Ainsi celui qui a sur les autres la triste prééminence du vice, est très petit au point de vue spirituel, et il ne peut voir Jésus à cause de la foule, car embarrassé qu'il est par ses passions et par les préoccupations du monde, il ne voit point Jésus marcher, c'est-à-dire agir en nous, et il ne reconnaît aucune de ses opérations. Il monte sur un sycomore (c'est-à-dire qu'il s'élève au-dessus des fausses douceurs de la volupté figurées par cet arbre), il le domine, et de cette hauteur, il voit Jésus-Christ et en est vu. - S. GREG. (Moral., 27, vers la fin.) Ou encore, comme le sycomore est aussi appelé figuier sauvage (ficus fatua), Zachée, qui est petit, monte sur un sycomore, et voit ainsi le Seigneur, parce que ceux qui embrassent ce qui est une folie aux yeux du monde, contemplent dans tout son éclat la sagesse de Dieu. En effet, quelle folie plus grande pour le monde, que de ne pas chercher à recouvrer ce qu'on a perdu, d'abandonner ses biens à ceux qui les ravissent, et de ne pas rendre injure pour injure ? Or, c'est justement cette sage folie qui nous obtient de voir la sagesse de Dieu, sinon pleinement telle qu'elle est, du moins par la lumière de la contemplation.

THEOPHYL. Or, le Seigneur lui dit : " Hâtez-vous de descendre, " c'est-à-dire : Vous êtes monté par la pénitence en un lieu élevé, descendez maintenant par un sentiment d'humilité, de peur que l'orgueil ne soit la cause de votre ruine, car je ne puis descendre que dans la maison de celui qui est humble. Il y a en nous deux sortes de biens, les biens du corps, et ceux de l'âme ; le juste se dépouille donc de tous ses biens corporels, mais il conserve les biens spirituels. De plus, s'il a fait tort à quelqu'un, il lui en rend quatre fois autant ; c'est-à-dire que celui qui, sous la conduite de la pénitence, marche dans un sentier tout opposé à la voie de ses anciennes iniquités, répare ainsi par ses nombreuses vertus tous ses péchés passés, il mérite ainsi la grâce du salut, et le nom d'enfant d'Abraham, parce qu'il s'est séparé de sa propre famille, c'est-à-dire de ses anciennes iniquités.

vv. 11-27.
EUSEBE. Il en était qui pensaient que le premier avènement du Sauveur serait immédiatement suivi de l'établissement de son royaume, et ils croyaient que ce royaume commencerait lors de son entrée à Jérusalem, tant la vue des miracles qu'il avait opérés les avait frappés d'étonnement. Il les avertit donc que son père ne le mettrait pas en possession de son royaume, avant qu'il eût quitté les hommes pour retourner à son Père : " Comme ils écoutaient ces discours, il ajouta encore une parabole sur ce qu'il était près de Jérusalem, " etc. - THEOPHYL. Le Seigneur leur fait voir qu'ils sont dans l'illusion ; car le royaume de Dieu n'est pas une chose extérieure et sensible. Il leur montre aussi que comme Dieu il connaît leurs pensées, en leur proposant la parabole suivante : " Il dit donc : Un homme de grande naissance s'en alla en un pays lointain pour prendre possession d'un royaume et revenir ensuite. "

S. CYR. L'explication de cette parabole retrace tous les mystères de Jésus-Christ, depuis le premier jusqu'au dernier. En effet, le Verbe qui était Dieu s'est fait homme, et quoiqu'il ait pris la forme d'esclave, il est cependant d'une noblesse éclatante par sa naissance ineffable au sein du Père. - S. BAS. (sur Is 13.) Cette noblesse, il ne la tire pas seulement de sa divinité, mais de son humanité, puisqu'il est né selon la chair de la race de David. Il s'en est allé dans un pays lointain, non point par la distance matérielle qui nous sépare de lui, mais par l'effet des rapports qui existent entre lui et nous. Dieu est près de chacun de nous, toutes les fois que nous lui sommes unis par la pratique des bonnes oeuvres, et il s'en éloigne, toutes les fois que poursuivant notre perte, nous nous séparons de lui. Il s'en alla donc dans cette région terrestre si éloignée de Dieu, pour prendre possession du royaume des nations, selon cette prédiction du Roi-prophète : " Demandez-moi, et je vous donnerai toutes les nations pour héritage. " (Ps 2 ; cf. Ac 13, 3 ; He 1, 5 ; He 5, 5) - S. AUG. (Quest. évang., 2, 40.) Ou bien cette région lointaine, c'est l'Église des Gentils qui s'est étendue jusqu'aux extrémités de la terre ; car le Sauveur s'en est allé pour faire entrer la plénitude des nations, et il reviendra pour que tout le peuple d'Israël obtienne la grâce du salut.

EUSEBE. Ou bien ce départ pour un pays lointain, signifie son ascension de la terre aux cieux ; et lorsqu'il ajoute " Pour prendre possession de son royaume et revenir, " il fait allusion à la gloire et à la majesté de son second avènement. Il prend seulement d'abord le nom d'homme, à cause de sa naissance temporelle, il y ajoute le titre de noble, mais il n'y joint pas celui de roi, parce que lors de son premier avènement il n'était pas environné de l'éclat de la majesté royale. Il ajoute avec raison : " Pour entrer en possession de son royaume, car il l'a reçu des mains de son Père qui le lui a donné, selon ces paroles de Daniel : " Le Fils de l'homme venait sur les nuées, et le royaume lui fut donné. " (Dn 7.) - S. CYR. En effet, lorsqu'il monte dans les cieux, il va s'asseoir à la droite de la majesté du Très-Haut ; et en y montant il répand suivant certaine mesure les grâces divines sur ceux qui croient en lui, de même qu'un maître confie ses biens à ses serviteurs pour qu'ils les fassent fructifier, et qu'ils méritent ainsi la récompense de leurs services : " Ayant appelé dix de ses serviteurs, il leur donna dix mines. " - S. CHRYS. (Ch. des Pèr. gr.) La sainte Écriture emploie ordinairement le nombre dix pour exprimer la perfection. En effet, lorsqu'on veut dépasser ce nombre, il faut commencer de nouveau par l'unité, comme si le dernier était la limite du nombre parfait ; voilà pourquoi dans la distribution des talents, celui qui atteint la limite des devoirs que Dieu lui impose, reçoit dix mines. - S. AUG. (quest. Evang.) Ou bien encore, les dix mines signifient le décalogue de la loi, et les dix serviteurs, tous ceux qui étaient soumis à la loi et auxquels la grâce de l'Évangile a été annoncée. Car nous devons entendre que ces dix mines ne leur ont été confiées, que lorsqu'ils comprirent que la loi, débarrassée de ses voiles, se rapportait à l'Évangile. - BEDE. La mine que les Grecs appellent µ?a, pesait cent drachmes, et tout discours de l'Écriture qui nous enseigne la perfection de la vie des cieux a, pour ainsi dire, la valeur éclatante du nombre cent.

EUSEBE. Ceux qui reçoivent ces mines représentent ses disciples, à chacun desquels il confie la même somme, en leur recommandant à tous le même emploi, c'est-à-dire de la faire fructifier : " Et il leur dit : Faites-les valoir jusqu'à ce que je revienne. " Or, le seul moyen pour les disciples de les faire valoir, était d'annoncer aux hommes attentifs la doctrine de son royaume, doctrine qui est la même pour tous, c'est la même foi, le même baptême, et c'est pour cela que chacun d'eux reçoit une mine. - S. CYR. Mais il y a une grande différence entre ces derniers, et ceux qui ont refusé de recevoir le royaume de Dieu, et dont il ajoute : " Or, ceux de son pays le haïssaient, " etc. C'est le reproche que Jésus-Christ adressait aux Juifs : " Maintenant ils ont vu les oeuvres que j'ai faites, et ils ont haï, et mon Père et moi. " (Jn 15.) Ils ont refusé de se soumettre à son règne, lorsqu'ils dirent à Pilate : " Nous n'avons pas d'autre roi que César. " (Jn 19.) Dans ceux qu'il appelle ses concitoyens, les Juifs se trouvent clairement désignés, puisqu'ils avaient les mêmes ancêtres selon la chair, et parce qu'il se conformait comme eux aux prescriptions de la loi. S. AUG. (quest. Evang.) Ils envoyèrent une députation après lui, parce que même après sa résurrection ils poursuivirent les Apôtres par de continuelles persécutions, et rejetèrent ouvertement la prédication de l'Évangile

EUSEBE. Le Sauveur, après avoir parlé de ce qui a trait à son premier avènement, prédit son retour dans tout l'éclat de sa gloire et de sa majesté : " Etant donc revenu après avoir été mis en possession de son royaume. " - S. CHRYS. (hom. 39, sur la 1re Epît. aux Cor.) (1 Co 15, 24). La sainte Écriture distingue deux règnes de Dieu sur les hommes, l'un qu'il tient de la création, et qu'il possède comme Roi universel de tout ce qui existe, en vertu de son droit de Créateur ; l'autre qui est un règne d'affection qu'il n'exerce que sur les justes qui lui sont librement et volontairement soumis ; c'est ce dernier royaume dont il prend ici possession.

S. AUG. (quest. Evang.) Il revient après avoir pris possession de ce royaume, parce qu'il doit revenir dans tout l'éclat de sa gloire, lui qui avait apparu d'abord si humble au milieu des hommes, lorsqu'il disait : " Mon royaume n'est pas de ce monde. " (Jn 18.)

S. CYR. Or, lorsque Jésus-Christ reviendra, après avoir pris possession de son royaume, il donnera aux ministres de sa parole les éloges qu'ils ont mérités, et les comblera de joie et d'honneurs dans les cieux, parce qu'en faisant valoir le talent qui leur avait été confié, ils en ont acquis un grand nombre d'autres : " Le premier vint et dit : Seigneur, votre mine a produit dix autres mines. " Ce premier serviteur représente l'ordre des docteurs qui ont été envoyés au peuple de la circoncision, il a reçu une mine pour la faire valoir, parce que les docteurs ont reçu l'ordre de prêcher une seule et même foi. Cette mine en a produit dix autres, parce que leurs enseignements ont fait entrer en société avec eux le peuple qui vivait sous la loi.

" Il lui dit : Fort bien, bon serviteur, parce que vous avez été fidèle en peu de choses, " etc. Ce serviteur a été fidèle en peu de choses, c'est-à-dire qu'il n'a point altéré la parole de Dieu ; car tous les dons que nous pouvons recevoir dans la vie présente, ne sont rien en comparaison de ceux qui nous sont réservés pour l'avenir. - EVAGR. (Ch. des Pèr. gr.) L'Évangile nous dit que ce serviteur reçoit le gouvernement de dix villes, parce qu'il reçoit la récompense de ses propres biens. Il en est qui interprétant ces promesses dans un sens grossier et laissant encore dominer dans leur âme l'ambition du pouvoir et des honneurs, s'imaginent qu'ils recevront les dignités de préteurs et de gouverneurs dans la Jérusalem terrestre qu'ils espèrent voir rebâtir avec des pierres précieuses. - S. AMBR. Ces dix villes sont les âmes à la tête desquelles est placé à juste titre celui qui a fait fructifier dans le coeur des hommes les trésors du Seigneur, c'est-à-dire : " Les paroles du Seigneur qui sont pures comme l'argent éprouvé par le feu. " (Ps 11.) Jérusalem est bâtie comme une ville (Ps 121) ; ainsi en est-il des âmes pacifiques, et ceux qui ont été jugés dignes de la vie des anges, sont établis comme les anges au-dessus de ces âmes pour les diriger et les conduire.

" Un autre vint et dit : Seigneur, votre mine a produit cinq autres mines. " - BEDE. Ce serviteur représente la phalange de ceux qui ont été envoyés pour prêcher l'Évangile aux Gentils. La mine qui leur a été confiée, (c'est-à-dire la foi de l'Évangile) a produit cinq mines, parce qu'ils ont converti à la grâce de la foi les nations qui étaient auparavant esclaves des sens du corps : " Vous, lui répondit-il, vous aurez puissance sur cinq villes, " c'est-à-dire la perfection de votre vie brillera d'un éclat supérieur à celui des âmes que vous, avez initiées à la foi.

S. AMBR. Ou bien dans un autre sens : Celui qui a gagné cinq mines est celui qui est chargé d'enseigner les préceptes de la morale, parce que notre corps a cinq sens qui ont chacun leurs obligations distinctes ; celui qui en a gagné dix, reçoit le double, le pouvoir d'enseigner les mystères de la loi, et la sainteté de la morale chrétienne. Nous pouvons encore voir dans les dix mines, les dix commandements de la loi (c'est-à-dire la doctrine de la loi), et dans les cinq mines, les conseils de la perfection ; mais je veux que le docteur de la loi soit parfait en toutes choses. Comme il est ici question des Juifs, il n'y a que deux serviteurs qui apportent le produit de leur argent, non de l'argent de lui-même, mais de leur bonne administration ; car le produit de la doctrine céleste ne ressemble point au produit de l'argent que l'on prête à intérêt. - S. CHRYS. Pour les biens de la terre, l'on ne peut guère devenir riche sans qu'un autre s'appauvrisse ; pour les biens spirituels, au contraire, on ne peut s'enrichir qu'à la condition d'enrichir les autres ; c'est qu'en effet, le partage des biens extérieurs les diminue nécessairement, tandis que les biens spirituels ne font que s'accroître en se partageant.

S. AUG. (Quest. évang., 2, 46.) On peut dire encore que les dix et les cinq mines qui ont été gagnées par les deux serviteurs qui ont fait un bon emploi de la somme qui leur était confiée, représentent ceux à qui la grâce avait déjà donné l'intelligence de la loi et qui ont été comme acquis au troupeau de Dieu ; analogie fondée sur les dix préceptes de la loi, ou sur les cinq livres écrits par Moïse qui a été chargé de donner la loi. Les dix et les cinq villes, à la tête desquelles le Seigneur place ces fidèles serviteurs, se rapportent au même sujet ; car la multiplicité des interprétations variées qui sortent en abondance de chaque précepte ou de chaque livre, ramenées ou réduites à un seul et même objet, forme comme la ville des intelligences, qui vivent des pensées éternelles. En effet, une ville n'est pas une agglomération d'êtres quelconques, mais une multitude d'êtres raisonnables unis entre eux par les liens d'une loi commune. Les serviteurs qui reçoivent des éloges pour avoir fait valoir et fructifier la somme qui leur était confiée, représentent ceux qui justifieront du bon emploi qu'ils ont fait du talent qu'ils ont reçu en multipliant les richesses du Seigneur, c'est-à-dire le nombre de ceux qui croient en lui. Ceux qui ne peuvent rendre compte sont figurés par le serviteur qui avait gardé dans un linge la mine qu'il avait reçue : " Et un troisième vint et dit : Seigneur, voilà votre mine que j'ai gardée enveloppée dans un suaire, " etc. Il y a, en effet, des hommes qui se rassurent dans cette coupable erreur, qu'il suffit que chacun rende compte de lui-même. A quoi bon, disent-ils, prêcher aux autres et travailler à leur salut, pour assumer ainsi devant Dieu la responsabilité des autres ? puisque d'ailleurs ceux-mêmes qui n'ont pas reçu la loi, sont inexcusables devant Dieu, aussi bien que ceux qui sont morts sans que l'Évangile leur ait été annoncé, parce que les uns et les autres pouvaient connaître le Créateur par les créatures : " Je vous ai craint, parce que vous êtes un homme sévère, " etc. En effet, Dieu semble moissonner ce qu'il n'a pas semé, en condamnant comme coupables d'impiété, ceux qui n'ont jamais entendu parler ni de la loi, ni de l'Évangile. Or, c'est sous le prétexte d'éviter la responsabilité de ce jugement sévère, qu'ils vivent dans l'oisiveté, et négligent le ministère de la parole, et c'est comme s'ils enveloppaient dans un suaire le talent qu'ils ont reçu. - THEOPHYL. C'est avec un suaire que l'on couvre la face des morts. Ce n'est donc pas sans raison qu'il est dit que ce serviteur paresseux avait enveloppé dans un suaire la mine qu'il avait reçue, parce qu'il l'avait laissée comme ensevelie et sans emploi, sans la faire ni valoir ni fructifier.

BEDE. On peut dire encore qu'envelopper l'argent dans un suaire, c'est ensevelir dans l'oisiveté d'une indolente apathie les dons qu'on a reçus de Dieu. Or, ce que ce serviteur prétendait donner comme excuse, est justement ce qui le fait déclarer plus coupable : " Le maitre lui répondit : Je te juge sur tes paroles, méchant serviteur. " Il l'appelle méchant serviteur, tant pour sa négligence à faire valoir le talent qui lui était confié, que pour l'orgueilleuse hardiesse avec laquelle il accuse Injustice du Seigneur : " Vous saviez que j'étais un homme sévère, reprenant ce que je n'ai pas déposé, et moissonnant ce que je n'ai pas semé, pourquoi donc n'avez-vous pas mis mon argent à la banque ? " c'est-à-dire : Vous saviez que j'étais dur et prêt à reprendre ce qui ne m'appartenait pas, pourquoi cette pensée ne vous a-t-elle pas inspiré la crainte que j'exigerais avec bien plus de sévérité encore ce qui m'appartient ? Cet argent, c'est la prédication de l'Évangile et la parole divine, car la parole de Dieu est pure comme l'argent éprouvé par le feu. (Ps 11.) Cette parole de Dieu devait être mise à la banque, c'est-à-dire déposée dans des coeurs ouverts et bien disposés. - S. AUG. (Quest. évang.) Ou encore, cette banque à laquelle l'argent doit être placé, c'est la profession extérieure et publique de la religion qui nous est imposée comme un moyen nécessaire de salut.

S. CHRYS. (Ch. des Pèr. gr.) Dans l'ordre des richesses matérielles, les débiteurs ne sont obligés qu'à représenter la somme qui leur a été donnée ; ils ne doivent rendre qu'autant qu'ils ont reçu, et on ne leur en demande pas davantage. Mais pour la parole divine, non seulement nous sommes obligés de la garder fidèlement, mais nous devons encore la faire fructifier, comme le Sauveur nous en avertit par les paroles qui suivent : " Afin qu'à mon retour, je reprisse mon argent avec intérêt. " - BEDE. Celui, en effet, qui reçoit par la foi l'argent de la parole divine que lui confient les docteurs de l'Évangile, doit le rendre avec usure, soit par la pratique des bonnes oeuvres, soit en se servant de ce qu'il a entendu pour chercher à comprendre ce que les prédicateurs ne lui ont point encore expliqué. - S. CYR. Le devoir des docteurs c'est d'annoncer aux fidèles les salutaires enseignements de l'Évangile ; mais il n'appartient qu'à la grâce divine de leur faire comprendre ce qu'ils écoutent avec docilité, et de seconder leur intelligence. Or, ce serviteur n'a mérité ni louange, ni honneur, loin de là, il a été condamné comme un serviteur paresseux et inutile : " Et il dit à ceux qui étaient présents : ôtez-lui la mine, et la donnez à celui qui en a dix. " - S. AUG. (Quest. évang.) Nous apprenons de là qu'on peut perdre les dons de Dieu, si on les a sans les avoir, c'est-à-dire sans en faire usage, et qu'on mérite, au contraire, de les voir augmenter lorsqu'on les possède véritablement, c'est-à-dire quand on en fait un salutaire emploi.

BEDE. Dans le sens figuré, cette dernière circonstance signifie je pense, que lorsque la plénitude des nations sera entrée dans l'Église, tout Israël sera sauvé (Rm 11), et qu'alors la grâce spirituelle se répandra avec abondance sur les docteurs. - S. CHRYS. (hom. 43 sur les Actes.) Le Seigneur dit à ceux qui étaient présents : " Ôtez-lui la mine, " parce qu'il ne convient pas à l'homme sage de punir par lui-même, et il se sert d'un autre pour infliger le châtiment qu'il a prononcé comme juge ; ainsi Dieu ne punit point par lui-même les pécheurs, mais par le ministère des anges. - S. AMBR. On ne dit rien des autres serviteurs, qui, comme des débiteurs prodigues, ont laissé perdre ce qui leur avait été confié. Les deux serviteurs qui ont fait fructifier ce qu'ils avaient reçu, représentent le petit nombré de ceux qui, par deux fois, sont appelés à cultiver la vigne du Seigneur ; les autres représentent tous les Juifs : " Seigneur, lui dirent-ils, il a déjà dix mines. " Mais pour justifier cette mesure de toute injustice, le Seigneur ajoute : " On donnera à celui qui a, et il sera dans l'abondance. "

THEOPHYL. Puisqu'il a décuplé la mine qu'il avait reçue, et en a représenté dix à son maître, il est évident que s'il en multiplie un plus grand nombre dans la même proportion, le profit de son maître sera plus considérable. Quant au serviteur oisif et paresseux, qui n'a point cherché à augmenter ce qu'il avait reçu, on lui ôtera même ce qu'il possède : " Et à celui qui n'a pas, on ôtera même ce qu'il a, " afin que l'argent du maître ne demeure pas infructueux, tandis qu'il peut être donné à d'autres qui le feront fructifier. Cette vérité s'applique non seulement à la prédication et à l'enseignement, mais à la pratique des vertus morales. En effet, Dieu nous donne pour ces vertus des grâces et une aptitude particulière, il donne à l'un la grâce du jeûne, à l'autre celle de la prière, à un troisième la grâce de la douceur et de l'humilité. Si nous sommes attentifs à profiter de ces grâces, nous les multiplierons, mais si nous sommes indifférents, nous les perdrons sans retour. Notre-Seigneur ajoute ensuite pour ses ennemis : " Quant à mes ennemis, qui n'ont pas voulu m'avoir pour roi, amenez-les ici, et tuez-les devant moi. " - S. AUG. (Quest. évang.) Il désigne ici l'impiété des Juifs qui n'ont pas voulu se convertir à lui. - THEOPHYL. Il les livrera à la mort en les jetant dans le feu extérieur (cf. Mt 8, 22 ; 25), et dès cette vie même, ils ont été massacrés impitoyablement par les armées romaines.

S. CHRYS. (Ch. des Pèr. gr.) Cette sentence tombe directement sur les Marcionites. Jésus-Christ dit ici : " Amenez mes ennemis, et qu'on les mette à mort en ma présence ; " et cependant ils prétendent que le Christ est bon, et que le Dieu de l'Ancien Testament est mauvais. Or, il est évident que le Père et le Fils font ici la même chose, le Père envoie une armée à la vigne pour détruire ses ennemis (Mt 21), et le fils les fait mettre à mort en sa présence. - S. CHRYS. (hom. 79 sur S. Matth.) Cette parabole est différente de la parabole des talents racontée par saint Matthieu (Mt 25). Nous voyons ici le même capital donner divers produits, puisqu'une seule mine rapporte d'un côté cinq, de l'autre, dix mines. Dans la parabole de saint Matthieu, c'est le contraire, celui qui a reçu deux talents, en a gagné deux autres, celui qui en avait reçu cinq, en a gagné autant ; et c'est la raison pour laquelle ils ne reçoivent pas la même récompense.


vv. 28-37.
TITE DE BOSTR. (Ch. des Pèr. gr.) Les disciples qui avaient entendu dire au Sauveur : " Le royaume de Dieu est proche, " et qui le voyaient se diriger vers Jérusalem, pensaient qu'il allait commencer à y établir le royaume de Dieu. Dans la parabole qui précède, Jésus a redressé cette erreur, et montré qu'il n'avait pas encore triomphé de la mort qu'on lui préparait. Cette parabole achevée, il va au-devant de sa passion en continuant sa marche vers Jérusalem : " Après ce discours, il continua de marcher vers Jérusalem. " - BEDE. Il leur apprend en même temps que cette parabole est une prédiction de la triste destinée de cette ville qui allait le mettre à mort, et devait périr elle-même au milieu des horreurs de la guerre : " Comme il approchait de Bethphagé et de Béthanie, " etc. Bethphagé était une bourgade habitée par les prêtres, et située sur le versant du mont des Oliviers ; Béthanie était aussi une petite ville située sur le penchant de la même montagne, à quinze stades environ de Jérusalem (cf. Mc 11, 1 ; Lc 19, 59 ; Jn 11, 1.14).
S. CHRYS. (hom. 67, sur S. Matth.) Dans les commencements de sa vie publique, Jésus se mêlait simplement et sans distinction avec les Juifs ; mais lorsqu'il eut donné assez de preuves de sa puissance, toutes ses actions sont empreintes d'une grande autorité. Les miracles se multiplient, il annonce à ses disciples qu'ils trouveront un ânon qui n'a pas encore été monté : " Allez à ce village qui est devant vous, " etc. Il leur prédit également que personne ne les empêchera, mais qu'aussitôt qu'ils auront parlé, on les laissera faire sans dire un seul mot. Il ajoute donc : " Déliez-le, et me l'amenez. "

TITE DE BOSTR. Il y eut ici un ordre divin bien clairement connu, car personne ne peut résister à Dieu, quand il réclame ce qui lui appartient. Or, les disciples chargés de conduire cet ânon, ne refusèrent point de remplir cette office comme peu relevé, mais ils partirent aussitôt pour l'amener : " Ceux qui étaient envoyés, s'en allèrent, " etc. - S. BAS. C'est ainsi que nous devons accepter avec empressement et avec zèle les plus humbles fonctions, persuadés qu'aucune action n'est petite lorsqu'elle est faite en vue de Dieu, et qu'elle est digne du royaume des cieux.
TITE DE BOSTR. Ceux qui avaient attaché l'ânon, obéissent en silence à cet acte de puissance du Sauveur, et ne peuvent résister à l'ordre qu'il leur donne : " Comme ils détachaient l'ânon, ses maîtres leur dirent : Pourquoi déliez-vous cet ânon ? Ils répondirent : Parce que le Seigneur en a besoin. " C'est qu'en effet le nom du Seigneur annonce la majesté, et qu'il allait paraître comme un roi à la vue de tout le peuple.
S. AUG. (de l'acc. des Evang., 2, 66.) Ne soyez pas surpris que saint Matthieu parle de l'ânesse et de son ânon, tandis que les autres ne disent rien de l'ânesse ; car lorsque deux faits peuvent se concilier, il n'y a aucune contradiction à les admettre, alors même que chaque évangéliste y mêlerait des circonstances différentes, a plus forte raison quand un évangéliste raconte une circonstance qu'un autre passe tout simplement sous silence.
LA GLOSE. Les disciples témoignent ici leur empressement et leur zèle pour Jésus-Christ, non seulement en lui amenant l'ânon qui ne leur appartenait pas, mais en se dépouillant de leurs propres vêtements qu'ils jetèrent sur l'ânon, et qu'ils étendirent le long du chemin : " Et ils l'amenèrent à Jésus, et jetant leurs vêtements sur l'ânon, " etc. - BEDE. D'après les autres évangélistes, ce ne furent pas seulement les disciples, mais une grande partie de la foule, qui étendirent leurs vêtements le long du chemin.
S. AMBR. Dans le sens figuré, Notre-Seigneur vient sur la montagne des Oliviers, pour planter de nouveaux oliviers en vertu de sa souveraine puissance ; or, cette montagne, c'est Jésus-Christ lui-même, car quel autre que lui pourrait produire ces olives fécondées par la plénitude de l'Esprit ? - BEDE. Les villes dont il est ici question, sont situées sur le versant du mont des Oliviers, c'est-à-dire sur le Seigneur lui-même, qui entretient l'onction des grâces spirituelles par la double lumière de la science et de la piété.
ORIG. (hom. 37, sur S. Luc.) Béthanie veut dire maison d'obéissance, et Bethphagé, ville habitée par les prêtres, signifie maison des mâchoires, parce que la loi attribuait aux prêtres les mâchoires des victimes dans les sacrifices. C'est donc dans la maison de l'obéissance et dans une ville habitée par les prêtres, que le Sauveur envoie ses disciples pour délier le petit de l'ânesse. - S. AMBR. Ils trouvèrent donc dans ce village l'ânon qui était lié avec l'ânesse : il ne pouvait être délié que par l'ordre du Seigneur, et ce fut la main des Apôtres qui le délia. Telles sont les actions, telle est la vie, telle est la grâce. Soyez donc tels que vous méritiez de rompre les liens de ceux qui sont attachés. Dans l'ânesse, saint Matthieu a comme figuré la mère de l'erreur ; et saint Luc représente dans l'ânon l'universalité du peuple des Gentils. Notre-Seigneur ajoute avec dessein : " Sur lequel aucun homme ne s'est encore assis, " parce qu'avant Jésus-Christ, personne n'avait appelé les Gentils à faire partie de l'Église. Ce peuple était retenu dans les liens de l'infidélité, attaché à un maître injuste, et esclave de l'erreur. Il ne pouvait revendiquer son indépendance, parce qu'elle était enchaînée non par sa nature, mais par sa faute. Aussi quand on parle ici du Seigneur, on ne veut parler que d'un seul. Misérable servitude que celle dont les droits ne sont pas clairement définis ; car celui qui n'est pas soumis à un seul maître en a nécessairement plusieurs. Les maîtres étrangers lient pour posséder, celui-ci délie pour retenir, car il sait que les bienfaits sont plus forts pour retenir que tous les liens. - ORIG. (hom. 37, sur S. Luc.) Cet ânon avait donc plusieurs maîtres avant que le Sauveur en eût besoin, mais dès qu'il en fut devenu le véritable maître, les autres cessèrent d'avoir autorité sur lui, car personne ne peut servir Dieu et l'argent. (Mt 12.) Lorsque nous étions esclaves du péché, nous étions sous la domination d'une multitude de passions et de vices. Or, le Seigneur déclare qu'il a besoin de l'ânon, parce que son grand désir est de rompre les liens qui nous attachent au péché.
ORIG. (Traité 11, sur S. Jean.) Ce n'est pas sans raison que le lieu où l'ânesse et l'ânon se trouvaient attachés, était un village ; parce que la terre tout entière, en comparaison du monde céleste, n'est elle-même que comme un simple hameau.
S. AMBR. Ce n'est pas non plus sans un dessein particulier qu'il envoie deux de ses disciples, ils figurent Pierre qui fut envoyé au centurion Corneille, et Paul au reste de la gentilité ; et c'est pourquoi l'Évangéliste se contente d'indiquer le nombre sans désigner les personnes. Si cependant on veut ici une désignation spéciale, ou peut appliquer ceci à Philippe que l'Esprit-Saint envoya dans la ville de Gaza, lorsqu'il baptisa l'eunuque de la reine Candace. (Ac 8.) - THEOPHYL. Ou bien encore, ces deux disciples figurent les deux ordres des prophètes et des Apôtres qui doivent amener à l'Église, et soumettre à Jésus-Christ le peuple des Gentils, Us amènent cet ânon d'un simple village, pour signifier la grossièreté et l'ignorance de ce peuple avant sa conversion. - S. AMBR. Ces deux disciples envoyés pour délier l'ânon, ne parlent point en leur propre nom, ils reproduisent les paroles de Jésus, pour vous apprendre que ce n'est point par la vertu de leurs discours, mais par la parole de Dieu, ni en leur nom, mais au nom de Jésus-Christ qu'ils ont converti les Gentils à la foi, et que les puissances ennemies qui exerçaient sur les nations un empire tyrannique ont cédé devant l'ordre de Dieu. - ORIG. Les disciples jettent leurs vêtements sur l'ânon et y font asseoir le Sauveur, lorsqu'ils prennent la parole de Dieu et la déposent sur l'âme de ceux qui les écoutent. Ils se dépouillent de leurs vêtements, et les étendent le long du chemin ; les vêtements des Apôtres, ce sont leurs bonnes oeuvres, et il est vrai de dire que l'ânon délié par les disciples, et qui porte Jésus, marchent sur les vêtements des Apôtres, quand il pratique leur doctrine et qu'il imite leurs vertus. Qui de nous est assez heureux pour porter ainsi Jésus ? - S. AMBR. Ce n'est pas que le Maître du monde trouve aucun plaisir à être ainsi porté par une ânesse ; mais cette action est un emblème mystérieux de sa présence sur le siège intime de notre âme où il est assis comme un guide invisible pour diriger les démarches de notre âme, et réprimer tous les mouvements de la concupiscence de la chair par la vertu de sa parole dont il se sert à la fois comme de rênes et d'aiguillon.

vv. 37-40.
ORIG. (sur S. Luc.) Tant que le Seigneur fut sur la montagne, il était avec les Apôtres seuls ; mais lorsqu'il est près de descendre, le peuple vient à sa rencontre : " Et comme il approchait de la descente du mont des Oliviers, les disciples en foule, " etc. - THEOPHYL. L'Évangéliste appelle disciples non seulement les douze, ou les soixante-douze, mais encore tous ceux qui suivaient Jésus-Christ, entraînés par l'éclat de ses miracles ou par le charme de sa doctrine qui attirait même jusqu'aux enfants, comme le racontent les autres évangélistes : " Ils commencèrent à louer Dieu de tous les prodiges qu'ils avaient vus. " - BEDE Le Sauveur les avaient rendus témoins d'un grand nombre de miracles, mais ils étaient surtout frappés de la résurrection de Lazare, car comme le dit saint Jean : " Une grande multitude de peuple vint à sa rencontre, parce qu'ils avaient entendu parler de ce miracle. " (Jn 12, 48.) Il faut remarquer aussi que ce n'est pas la première fois que Notre-Seigneur venait à Jérusalem, nous voyons dans l'Évangile selon saint Jean, qu'il y était déjà venu plusieurs fois.
S. AMBR. La foule reconnaît sa dignité, elle l'appelle son roi, elle lui applique les oracles des prophètes, et proclame que le Fils de David selon la chair qu'ils attendaient, est arrivé : " Béni soit, disaient ils, le roi qui vient au nom du Seigneur ! " - BEDE. C'est-à-dire, au nom de Dieu le Père ; bien qu'on puisse entendre aussi, en son propre nom, car il est Dieu lui-même ; mais il vaut mieux adopter ici le sens que nous indiquent les propres paroles : " Je suis venu, nous dit-il, au nom de mon Père, " (Jn 5, 43) car Jésus est le maître et le modèle de l'humilité. Si donc il consent à être appelé roi, ce n'est ni pour exiger des impôts, lever des armées, et combattre visiblement contre ses ennemis ; mais parce qu'il est le roi des coeurs, et qu'il veut conduire dans le royaume des cieux tous ceux qui croient, espèrent en lui, et qui l'aiment ; car s'il a voulu être roi d'Israël, c'est pour nous montrer sa miséricorde et non pour augmenter sa puissance. Or, comme Jésus-Christ s'est manifesté dans une chair mortelle pour être la victime de propitiation du monde entier, le ciel est la terre s'unissent dans un admirable concert pour célébrer ses louanges. A sa naissance, les armées des cieux ont, chanté un cantique de louanges sur son berceau, et lorsqu'il est sur le point de retourner dans les cieux, les hommes publient à leur tour ses louanges : " Paix dans les cieux ! " - THEOPHYL. C'est-à-dire que la guerre que nous faisions depuis si longtemps à Dieu a enfin cessé : " Gloire à Dieu au plus haut des cieux ! " parce qu'en effet les anges louent Dieu d'avoir opéré cette réconciliation, car n'est-ce pas une preuve que Dieu est en paix avec nous, de le voir se manifester sous une forme visible au milieu même de ses ennemis ? Cependant les pharisiens murmuraient d'entendre la foule le proclamer roi, et le louer comme un Dieu. Lui donner le nom de roi, c'est à leurs yeux un acte de sédition, lui donner celui, de Dieu un blasphème " Alors quelques pharisiens qui étaient parmi le peuple, lui dirent : Maître, faites taire vos disciples. " - BEDE. Dans quel excès de folie tombent les envieux ; ils n'ont pas hésité à lui donner le nom de Maître, parce qu'ils ont reconnu la vérité de sa doctrine, et comme s'ils étaient maintenant mieux instruits, ils veulent empêcher ses disciples de publier ses louanges.
S. CYR. Mais le Sauveur, loin de faire taire ceux qui publiaient ses louanges, comme s'il était Dieu, impose silence à ceux qui veulent les reprendre, et atteste lui-même la gloire de sa divinité : " Il leur répondit : Je vous le dis, si ceux-ci se taisent, les pierres crieront. - THEOPHYL. C'est-à-dire, ce n'est pas sans raison qu'ils publient mes louanges, mais ils agissent sous l'impression des miracles dont ils ont été les témoins.
BEDE. Lorsque le Seigneur fut crucifié, tandis que la crainte fermait la bouche à ses amis, les pierres et les rochers publièrent sa gloire, alors qu'au moment où il rendait le dernier soupir la terre trembla, les rochers se fendirent, et les tombeaux s'ouvrirent. - S. AMBR. Or, il n'est pas étonnant que les rochers, contre leur nature, publient sa divinité, puisque ses bourreaux, plus durs que les rochers, sont obligés de la reconnaître. N'entendons-nous pas, en effet, cette même foule qui, dans quelques jours, doit crucifier son Dieu, et renier dans son coeur celui dont sa voix confesse aujourd'hui la divinité ? Ne peut-on pas dire aussi qu'au milieu du silence gardé par les Juifs après la passion du Seigneur, les pierres vivantes (selon le langage de saint Pierre) (1 P 2, 5), élèveront la voix. - ORIG. (sur S. Luc.) Lorsque nous gardons le silence (c'est-à-dire lorsque la charité d'un grand nombre se refroidit, les pierres élèvent la voix ; car Dieu, des pierres mêmes, peut susciter des enfants d'Abraham. - S. AMBR. Ce n'est pas sans un dessein mystérieux que nous voyons la foule qui louait Dieu, venir à la rencontre du Sauveur, lorsqu'il descendait de la montagne, elle nous apprend par cette démarche que celui qui doit accomplir les mystères du salut de nos âmes est descendu du ciel. La multitude descend avec le Seigneur de la montagne des Oliviers, pour nous apprendre encore, à nous qui avons besoin de la miséricorde du Sauveur, à marcher sur les traces de l'auteur de la miséricorde qui s'est si profondément humilié pour notre salut.

vv. 41-44.
ORIG. (hom. 38 sur S. Luc.) Jésus a confirmé par son exemple toutes les béatitudes qu'il a proclamées dans son Évangile. Il a dit " Bienheureux ceux qui sont doux, " et il confirme cette vérité en disant de lui-même : " Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur. " Il a dit : " Bienheureux ceux qui pleurent, " et il a pleuré lui-même sur la ville de Jérusalem : " Et comme il approchait, voyant la ville, il pleura sur elle, " etc. - S. CYR. Jésus-Christ, qui veut sincèrement le salut de tous les hommes, était ému de compassion, mais comment aurions-nous pu en être certains, si le Sauveur ne nous en avait donné une preuve sensible ? Les larmes, en effet, sont le signe de la tristesse.
S. GREG. (hom. 39 sur les Evang.) Notre miséricordieux Rédempteur pleure donc la ruine de cette ville infidèle qui ne savait pas que cette ruine était si proche : " Si tu connaissais, toi aussi, a dit-il ; sous entendez : Tu verserais des larmes, toi qui te livres aux transports de la joie dans l'ignorance où tu es de ta triste destinée. Il ajoute : " Du moins en ce jour qui t'est encore donné, " etc. Comme elle s'abandonnait aux plaisirs sensibles, elle avait ce qui pouvait lui apporter la paix. Notre-Seigneur donne ensuite la raison pour laquelle elle mettait sa paix dans les biens sensibles : " Mais maintenant ces choses sont cachées à tes yeux. " En effet, si les malheurs qui la menacent, n'étaient pas cachés aux yeux de son coeur, elle ne placerait pas sa joie dans les prospérités de la vie présente. Aussi lui prédit-il aussitôt le châtiment dont elle était menacée : " Viendront des jours sur toi. "
S. CYR. " Si tu connaissais, toi aussi. " Ils n'étaient pas dignes, en effet, de comprendre les Écritures divinement inspirées, qui annoncent les mystères de Jésus-Christ. Car toutes les fois qu'ils lisent les livres de Moïse, le voile qui est sur leur coeur ne leur permet pas de voir l'accomplissement de la loi en Jésus-Christ qui, étant la vérité, dissipe toutes les ombres ; et pour n'avoir pas voulu voir la vérité, ils se sont rendus indignes du salut que Jésus-Christ leur apportait : " Du moins en ce jour, ce qui importe à ta paix. " - EUSEBE. Il nous apprend ainsi que son avènement a eu pour objet la paix du monde entier ; il est venu, en effet, pour annoncer la paix à ceux qui étaient près, comme à ceux qui étaient loin (Ep 2, 17), mais cette paix est restée cachée pour eux, parce qu'ils n'ont pas voulu la recevoir, lorsqu'elle était annoncée " Mais maintenant ces choses sont cachées à tes yeux. " Il lui prédit donc dans les termes les plus clairs le siège qui la menace : " Viendront des jours sur toi, " etc. - S. GREG. (comme précéd.) Il veut parler des généraux qui commandaient les armées romaines, car il décrit ici la ruine de Jérusalem qui eut lieu sous Vespasien et sous Tite : " ils t'environneront, " etc.
EUSEBE. Nous pouvons vérifier l'accomplissement de ces paroles dans le récit de Josèphe, qui, tout juif qu'il était, a raconté ces événements d'une manière conforme à ce qui avait été prédit par Jésus-Christ. - S. GREG. La translation même de cette ville vient rendre témoignage à ces paroles du Sauveur : " Et ils ne laisseront pas sur toi pierre sur pierre ; " car elle est rebâtie aujourd'hui hors de la porte où Notre-Seigneur a été crucifié, tandis que l'ancienne Jérusalem est totalement détruite. Quelle a été la cause de cette entière destruction ? Parce que tu n'as pas connu le temps où tu as été visitée. " - THEOPHYL. C'est-à-dire le temps de mon avènement ; car je suis venu pour te visiter et te sauver ; si tu m'avais connu, et si tu avais voulu croire en moi, tu serais restée en paix avec les Romains, préservée de tout danger, comme l'ont été tous ceux qui ont embrassé la foi en Jésus-Christ.
ORIG. (hom. 36 sur S. Luc.) J'admets que cette Jérusalem a été détruite en punition des crimes de ses habitants ; mais je me demande si ces larmes du Sauveur n'ont pas été versées sur une autre Jérusalem qui est la vôtre. Si après avoir connu les mystères de la vérité, un chrétien retombe dans le péché, Jésus pleure sur lui, il ne pleure point sur les Gentils, mais sur celui qui appartenait à Jérusalem, et qui a cessé d'en faire partie. - S. GREG. (comme précéd.) Notre Rédempteur ne cesse de pleurer dans la personne de ses élus, lorsqu'il en voit un certain nombre faire succéder à une vie sainte, une conduite criminelle. S'ils pouvaient connaître le jugement de condamnation qui les menace, ils mêleraient leurs larmes à celles des élus. L'âme coupable a ici-bas son jour, parce qu'elle met sa joie dans des jouissances passagères ; elle a ce qui importe à sa paix, puisqu'elle met son bonheur dans les biens de la terre, et elle ne veut pas prévoir l'avenir dont la vue pourrait troubler sa joie présente : " Mais maintenant ces choses sont cachées à tes yeux. "
ORIG. (hom. 36 sur S. Luc.) Le Sauveur pleure sur notre Jérusalem, c'est-à-dire sur notre âme, de ce qu'en punition des péchés qu'elle a commis, ses ennemis (c'est-à-dire les esprits mauvais), l'environnent et l'entourent de tranchées pour en faire le siège, et ne pas laisser dans son enceinte pierre sur pierre. Tel est surtout le sort de celui qui, après une longue pratique de la continence, après plusieurs années de chasteté, succombe à la tentation, et séduit par les attraits des plaisirs de la chair, perd le sentiment de la pudeur. S'il devient impudique, les démons ne laisseront pas en lui pierre sur pierre, selon cet oracle d'Ézéchiel (18) : " Je ne me souviendrai plus de ses premières justices.
S. GREG. (comme précéd.) Ou encore, les esprits mauvais assiègent l'âme lorsqu'elle est sur le point de sortir du corps. Comme ils l'ont toujours vue dominée par l'amour de la chair, ils la séduisent par l'attrait des plaisirs trompeurs. Ils l'environnent de tranchées, en ramenant devant ses yeux toutes les iniquités qu'elle a commises, et en la resserrant par la triste perspective des compagnons de sa damnation ; et ainsi, cette pauvre âme, saisie de toutes parts au dernier moment de sa vie, voit quels ennemis l'environnent, sans qu'elle trouve aucune issue pour leur échapper, parce qu'elle ne peut plus faire le bien qu'elle a négligé de pratiquer, lorsqu'elle le pouvait. Ils la serrent de toutes parts, en lui représentant tous ses péchés, non seulement d'actions, mais de paroles et de pensées ; et parce qu'elle s'est donnée autrefois toute latitude pour le crime, elle se voit resserrée dans cette extrémité, par les angoisses du châtiment qu'elle a mérité. Cette âme, alors en punition de ses crimes, est renversée par terre, lorsque ce corps, qu'elle croyait être toute sa vie, est forcé de retourner dans la poussière. Ses enfants tombent sous les coups de la mort, alors que les pensées coupables, qui prenaient naissance au milieu d'elles, se dissipent dans ce dernier jour de la vengeance. Ces pensées peuvent aussi être représentées par les pierres. En effet, lorsque l'âme coupable ajoute à une pensée mauvaise une pensée plus criminelle encore, elle met pour ainsi dire pierre sur pierre ; mais lorsqu'arrive le jour de la vengeance et du châtiment, tout cet édifice de pensées mauvaises s'écroule. Or, Dieu visite l'âme continuellement en lui rappelant ses préceptes, quelquefois par des châtiments, quelquefois par des miracles, pour lui faire entendre la vérité qu'elle ne connaissait pas, lui faire mépriser ce qu'elle aimait, afin que, ramenée à lui par la douleur du repentir ou vaincue par ses bienfaits, elle rougisse du mal qu'elle a fait. Mais comme elle n'a point voulu connaître le jour où Dieu l'a visitée, elle est livrée à ses ennemis, avec lesquels la sentence du jugement dernier doit l'unir par les tristes liens d'une éternelle damnation.

vv. 45-48.
S. GREG. (hom. 39 sur les Evang.) Après avoir prédit les malheurs qui devaient fondre sur Jérusalem, Jésus entre aussitôt dans le temple, pour en chasser les vendeurs et les acheteurs, montrant ainsi que la ruine du peuple a pour cause la conduite coupable des prêtres : " Et étant entré dans le temple, il commença à chasser ceux qui y vendaient et y achetaient. " - S. AMBR. Dieu ne veut pas que son temple soit un rendez-vous de marchands, mais la maison de la sainteté, et son dessein, en instituant le ministère sacerdotal, n'a pas été que ses fonctions augustes devinssent l'objet d'un trafic sacrilège, mais qu'elles fussent remplies avec un désintéressement parfait.
S. CYR. Il y avait, en effet, dans le temple, une multitude de marchands qui vendaient les animaux destinés à être immolés conformément aux prescriptions de la loi. Mais le temps était venu où les ombres allaient faire place au brillant éclat de la vérité en Jésus-Christ. C'est pourquoi Notre-Seigneur, qui était adoré dans le temple avec son Père, commence à réformer les rites défectueux de la loi, et rappelle que le temple est une maison de prières : " Il est écrit : Ma maison est une maison de prières, et vous en faites une caverne de voleurs. " - S. GREG. C'est, qu'en effet, ceux qui demeuraient dans le temple pour recevoir les offrandes, commettaient souvent des exactions à l'égard de ceux qui refusaient de donner.
THEOPHYL. Notre-Seigneur avait déjà vengé de la sorte la sainteté du temple au commencement de sa prédication, comme nous le voyons dans saint Jean, il le fait encore aujourd'hui, et fait ainsi ressortir en même temps la conduite sacrilège des Juifs, que le premier avertissement n'avait pu corriger.
S. AUG. (Quest. évang., 2, 48.) Dans le sens figuré, le temple, c'est l'humanité de Jésus-Christ, ou le corps qu'il s'est uni, qui est l'Église. C'est comme chef de l'Église qu'il disait : " Détruisez ce temple et je le rebâtirai en trois jours ; " et c'est en tant qu'il est uni à l'Église, qu'il dit en cet endroit : " Emportez tout cela d'ici, " etc. Il a voulu nous signifier par là qu'il s'en trouverait qui chercheraient leurs intérêts dans l'Église, ou qui s'en feraient un asile pour cacher leurs crimes au lieu de pratiquer la charité de Jésus-Christ, et de réformer leur vie après avoir obtenu le pardon de leurs fautes par une confession sincère.
S. GRÉG. (hom. 39.) Notre divin Rédempteur ne veut pas priver de ses divins enseignements les indignes mêmes et les ingrats, et après cet acte de vigueur pour venger la sainteté du temple, en chassant ceux qui l'outrageaient, il répand sur eux les dons de sa grâce : " Et il enseignait tous les jours dans le temple. " - S. CYR. La doctrine de Jésus-Christ, aussi bien que ses oeuvres, auraient dû les convaincre qu'ils devaient l'adorer comme leur Dieu, mais loin de là, ils cherchaient à le mettre à mort : " Cependant les princes des prêtres, les scribes et les principaux du peuple cherchaient à le perdre. " - BEDE. Ou parce qu'il enseignait tous les jours dans le temple, ou parce qu'il en avait chassé les voleurs, ou enfin, parce qu'en y entrant comme roi et Seigneur, il avait été reçu par la foule de ceux qui croyaient en lui au milieu des louanges et des chants des hymnes célestes. - S. CYR. Mais le peuple avait conçu de Jésus-Christ une idée meilleure et plus juste que les scribes, les pharisiens et les princes des Juifs, qui, refusant de croire en lui, blâmaient ceux qui proclamaient ses louanges : " Mais ils ne trouvaient aucun moyen de rien faire contre lui, car tout le peuple était ravi en l'écoutant. " - BEDE. Ces paroles peuvent s'entendre de deux manières ; soit que dans la crainte de soulever le peuple, ils ne sussent que faire de Jésus, qu'ils avaient résolu de mettre à mort, soit qu'ils cherchassent à le perdre, parce qu'ils en voyaient un grand nombre abandonner leur enseignement pour se presser en foule autour du Sauveur.
S. GRÉG. (hom. 39.) Dans un sens figuré, de même que le temple est au milieu de la ville, ainsi ceux qui sont consacrés à Dieu, se trouvent au milieu du peuple fidèle. Or, il arrive souvent que quelques-uns de ceux qui prennent l'habit religieux et qui remplissent les fonctions des saints ordres, font de cet auguste ministère l'objet d'un commerce terrestre. Les vendeurs dans les temples sont ceux qui ne veulent donner qu'à prix d'argent ce qui appartient de droit aux fidèles, car c'est vendre la justice de ne vouloir en faire part que moyennant une somme d'argent. Ceux à leur tour qui achètent dans le temple, sont ceux qui ne veulent pas rendre au prochain ce qui lui est dû, et qui en refusant de faire ce qui est juste, achètent à prix d'argent les coupables faveurs de leurs supérieurs.
ORIG. (Hom. 37 sur S. Luc.) Celui qui vend sera donc chassé du temple et surtout s'il vend les colombes. En effet, si je vends au peuple à prix d'argent les vérités qui m'ont été révélées et confiées par l'Esprit saint, ou que je refuse de les enseigner gratuitement, que fais-je autre chose que de vendre une colombe, c'est-à-dire l'Esprit saint ? - S. AMBR. Le Seigneur nous apprend donc en général que toute transaction commerciale doit être bannie du temple. Dans un sens spirituel, il chasse les changeurs qui cherchent à trafiquer avec l'argent du Seigneur, c'est-à-dire avec les divines Écritures, et qui ne mettent plus de distinction entre le bien et le mal. - S. GREG. (hom. 39 sur S. Luc.) Ils font de la maison de Dieu une caverne de voleurs, car lorsque des hommes pervers remplissent les fonctions du ministère sacerdotal, ils mettent à mort avec le glaive de leur malice ceux qu'ils auraient dû vivifier par leurs prières médiatrices. Le temple, c'est encore l'âme des fidèles, si elle se laisse aller à des pensées préjudiciables aux intérêts du prochain, elle devient comme une caverne de voleurs. Au contraire, la vérité enseigne tous les jours dans le temple, lorsqu'elle instruit soigneusement l'âme des fidèles des moyens à prendre pour éviter le mal.