CATANA AUREA SUR SAINT LUC
ÉVANGILE DE SAINT LUC PAR SAINT THOMAS
SAINT THOMAS D'AQUIN CATENA AUREA SUR SAINT LUC
CHAPITRE
XX
vv. 1-8.
S. AUG. (De l'acc. des Evang., 2, 69.) Saint Luc ayant raconté comment
Jésus avait chassé du temple les vendeurs et les acheteurs, passe
sous silence qu'il retournait chaque jour à Béthanie, et revenait
le lendemain à Jérusalem, ne dit rien du figuier qu'il dessécha,
ni de la réponse qu'il fit à ses disciples étonnés
sur la vertu de la foi (Mt 21, 21 ; Mc 11, 28), et au lieu de suivre par ordre
les événements de chaque jour, il continue ainsi son récit
: " Un de ces jours-là, " etc., paroles qui doivent s'entendre
du jour où saint Matthieu et saint Marc placent les mêmes faits.
- EUSEBE. Tandis que les principaux d'entre les Juifs auraient dû être
dans l'admiration devant la doctrine tonte céleste du Sauveur, et reconnaître
à ses paroles comme à ses actions qu'il, était le Christ
prédit par les prophètes, ils ne cherchent qu'à soulever
le peuple contre lui et à entraver son enseignement : " Et ils lui
parlèrent de la sorte : Dites-nous par quelle autorité vous faites
ces choses, " etc. - S. CYR. C'est-à-dire, d'après la loi
de Moïse, il n'y a que ceux qui sont de la tribu de Lévi, qui aient
reçu le droit d'enseigner et le pouvoir de remplir les fonctions sacrées
dans le temple ; or, comme vous êtes de la tribu de Juda, vous usurpez
évidemment les fonctions qui nous ont été confiées.
Mais, ô pharisien ! si vous connaissiez les Écritures, vous vous
rappelleriez qu'il est le prêtre selon l'ordre de Melchisédech,
qui doit offrir à Dieu ceux qui croient en lui par le moyen d'un culte
bien supérieur à la loi. Pourquoi donc vous tourmenter de ce qu'il
a chassé et banni des parvis sacrés des coutumes qui n'avaient
leur raison d'être que dans les sacrifices prescrits par la loi, puisqu'il
vient appeler les hommes à la véritable justification par la foi.
BEDE. Ou encore : Quand ils font au Sauveur cette question : Par quelle autorité
faites-vous ces choses ? ils doutent que ce soit par la puissance de Dieu, et
veulent faire entendre que ses oeuvres sont les oeuvres du démon. D'ailleurs,
en ajoutant : Qui vous a donné cette puissance, ils nient ouvertement
qu'il soit le Fils de Dieu, puisqu'ils attribuent les miracles qu'il opère
à une puissance autre que la sienne. Notre-Seigneur pouvait confondre
cette atroce calomnie par une réponse péremptoire, mais il préfère
leur adresser une question pleine de sagesse pour les confondre et les condamner
par leur silence ou par leur propre réponse : " Jésus leur
répondit : Moi aussi, je vous ferai une question, " etc. - THEOPHYL.
Il veut leur prouver qu'ils ont toujours résisté à l'Esprit
saint, et qu'ils ont refusé de croire non seulement à Isaïe
dont ils ne se souvenaient plus, mais à Jean-Baptiste qui avait paru
récemment au milieu d'eux, Il leur adresse donc à son tour une
question pour leur faire entendre que s'ils n'ont point voulu croire au témoignage
que lui rendait Jean-Baptiste, un si grand prophète, et qui jouissait
parmi eux d'une si grande considération, ils ne le croiraient pas davantage
lui-même lorsqu'il leur dirait par quelle puissance il fait ces choses.
EUSEBE. Le Sauveur demande non pas quelle était l'origine de Jean-Baptiste,
mais d'où venait son baptême ? - S. CYR. Et ils ne rougirent pas
de reculer devant la vérité, car n'est-ce pas Dieu qui avait envoyé
Jean comme une voix qui criait : " Préparez la voie du Seigneur
(Is 40, 3 ; Mt 3, 3 ; Mc 1, 3 ; Lc, 3, 4). " Or, ils craignirent de dire
la vérité de peur de s'attirer cette réponse : Pourquoi
donc n'y avez-vous pas cru ? Et ils n'osent d'ailleurs blâmer le saint
précurseur, non par un sentiment de crainte de Dieu, mais par crainte
du peuple : " Et ils faisaient en eux-mêmes cette réflexion
: Si nous répondons : Du ciel, il dira : Pourquoi donc n'y avez-vous
pas cru ? " - BEDE. C'est-à-dire : Celui qui de votre aveu a reçu
du ciel le don de prophétie, m'a rendu témoignage, et vous avez
appris de lui par quelle puissance je fais ces choses : " Et si nous répondons
: Des hommes, tout le peuple nous lapidera, car il est persuadé que Jean
était un prophète. " Ils comprirent donc que quelle que fût
leur réponse, ils tomberaient dans un piége ; car ils craignaient
d'être lapidés ; mais plus encore peut-être de confesser
la vérité : " Ils lui répondirent donc qu'ils ne savaient
d'où il était. " Ils n'ont pas voulu avouer ce qu'il savaient
; par un juste retour Notre-Seigneur ne veut pas leur dire non plus ce qu'il
sait : " Et moi, leur dit Jésus, je ne vous dirai pas non plus par
quelle autorité je fais ces choses. " Il y a deux raisons en effet
qui autorisent à cacher la connaissance de la vérité :
lorsque celui qui demande à la connaître n'a pas assez d'intelligence
pour comprendre ce qu'il demande, ou qu'il est indigne de la connaître
par la haine ou le mépris qu'il affecte pour la vérité.
vv. 9-18.
EusÈBE. Les princes des Juifs s'étant trouvés réunis
dans le temple, Jésus leur prédit sous le voile de cette parabole
les excès auxquels ils allaient se porter contre lui, et la destruction
de leur nation qui devait en être le châtiment : " Alors il
commença à dire au peuple cette parabole : Un homme planta une
vigne, " etc. - S. AUG, (acc. des Evang., 2, 70.) Saint Matthieu, pour
abréger, passe sous silence cette circonstance rapportée par saint
Luc : que le Sauveur raconta cette parabole, non seulement aux principaux d'entre
les Juifs qui l'avaient interrogé sur sa puissance, mais encore à
tout le peuple. - S. AMBR. La plupart des interprètes diffèrent
sur la signification de la vigne dont parle ici Notre-Seigneur, mais il faut
s'en tenir à l'explication d'Isaïe, qui dit clairement que la vigne
du Dieu des armées, c'est la maison d'Israël. (Is 5.) Quel autre
que Dieu a planté cette vigne ? - BEDE. Cet homme qui a planté
cette vigne est le même qui, dans une autre parabole, loue des ouvriers
pour travailler à sa vigne. - EUSEBE. Mais dans la parabole d'Isaïe
c'est à la vigne que le Seigneur adresse ses reproches ; ici au contraire,
ce n'est pas à la vigne, mais aux vignerons : " Il la loua à
des vignerons, c'est-à-dire, aux anciens du peuple, aux princes des prêtres
et aux grands de la nation. - THEOPHYL. Ou bien encore : tout homme est à
la fois la vigne et je vigneron, car chacun de nous se cultive lui-même.
Or, après avoir ainsi confié sa vigne aux vignerons, il s'en alla,
c'est-à-dire qu'il les laissa faire à leur gré : "
Puis il s'en alla pour longtemps en voyage. " - S. AMBR. Ce n'est pas que
le Seigneur se transporte d'un lieu dans un autre, lui qui est toujours présent
partout, mais parce qu'il fait sentir plus particulièrement sa présence
à ceux qui l'aiment, et son absence à ceux qui l'oublient. Il
fut longtemps absent, pour que la demande de ce qui lui était dû
ne parût point prématurée ; car plus la générosité
à fait preuve d'indulgence, plus la résistance est inexcusable.
S. CYR. Ou encore : Dieu fut absent de sa vigne pendant une longue suite d'années,
parce qu'en effet depuis qu'il apparut au milieu du feu sur le mont Sinaï
(Ex 19), il ne manifesta plus sa présence d'une manière sensible.
Cependant il ne cessa d'envoyer sans interruption à son peuple des prophètes
et des justes pour lui rappeler ses devoirs : " Le temps de la vendange
étant venu, il envoya un de ses serviteurs aux vignerons, afin qu'ils
lui donnassent du fruit de la vigne. " - THEOPHYL. Il dit : " Du fruit
de la vigne, " parce qu'il ne réclamait pas la totalité,
mais seulement une partie des fruits ; car qu'est-ce que Dieu peut gagner de
nous, si ce n'est la connaissance que nous avons de lui et qui encore tourne
à notre avantage ? - BEDE. C'est à dessein qu'il parle du fruit
et non du revenu de la vigne, car elle ne produisit jamais aucun revenu. Or,
le premier serviteur que Dieu envoya, fut Moïse, qui pendant quarante ans
(Ps 94, 19) demanda aux vignerons quelque fruit de la loi qu'il leur avait donnée
; mais au contraire : " Il fut affligé à cause d'eux, car
ils aigrirent son esprit " (Ps 105, 32) : " Mais eux l'ayant battu,
dit Notre-Seigneur, le renvoyèrent les mains vides. "
S. AMBR. Il leur envoya encore plusieurs autres serviteurs que les Juifs renvoyèrent
avec toute sorte d'outrages, et sans en avoir tiré aucun profit : "
Il envoya encore un autre serviteur, " etc. - BEDE. Cet autre serviteur,
c'est David qui fut envoyé de Dieu après la promulgation de toutes
les observances de la loi, pour exciter par les chants harmonieux des psaumes
; les ouvriers de la vigne à la pratique des bonnes oeuvres. Mais au
lieu de l'écouter, ils dirent : " Quelle part avons-nous avec David,
et qu'attendons-nous du fils d'Isaïe ? " (2 R 20, 1 ; 3 R 12, 16)
: " Et ayant aussi battu et chargé d'outrages ce second serviteur,
ils le renvoyèrent les mains vides. " Cependant le maître
ne s'en tint pas là : " Il en envoya un troisième, "
c'est-à-dire le choeur des prophètes, qui ne cessèrent
de faire entendre au peuple leurs enseignements et leurs réclamations.
Mais quel est celui des prophètes que ce peuple n'ait persécuté
? " Ils le blessèrent, et le jetèrent dehors. " Notre-Seigneur,
dans ces trois serviteurs différents, a voulu comprendre les docteurs
de la loi mosaïque ; interprétation qu'il autorise lui-même
lorsqu'il dit dans un autre endroit : " il est nécessaire que tout
ce qui est écrit de moi dans la loi de Moïse, dans les prophètes
et dans les psaumes s'accomplisse. " (Lc 24, 44.)
THEOPHYL. Après que les prophètes eurent souffert tous ces outrages,
Dieu résolut d'envoyer son Fils. Alors le maître de la vigne dit
: " Que ferai-je ? " - BEDE. Si le Seigneur s'exprime ici en termes
dubitatifs, ce n'est point par ignorance de ce qu'il doit faire, (car qu'est-ce
que Dieu peut ignorer ?) mais il emploie cette forme dubitative pour laisser
à l'homme le libre usage de sa volonté. - S. CYR. (Ch. des Pèr.
gr.) Le maître de la vigne parait délibérer en lui-même
sur ce qu'il doit faire, non pas qu'il manque de serviteurs, mais parce qu'après
avoir tenté tous les moyens de sauver les hommes, sans qu'ils en aient
jamais profité, il a eu recours à un moyen qui surpasse tous les
autres : " J'enverrai mon fils bien aimé, peut-être qu'en
le voyant ils le respecteront. " - THEOPHYL. S'il parle de la sorte, ce
n'est pas qu'il ignorât qu'ils le traiteraient plus cruellement encore
qu'ils n'avaient traité les prophètes, mais parce que le fils
avait plus de droits à leurs respects que les serviteurs, et qu'ils mettraient
le comble à leurs crimes en refusant de lui obéir et en le mettant
à mort. S'il emploie encore ici la forme dubitative, c'est donc pour
qu'on ne pût dire que la prescience divine avait été la
cause de leur désobéissance.
S. AMBR. Les Juifs perfides voulant se défaire du Fils unique que Dieu
leur envoyait, et qu'ils refusaient de reconnaître pour héritier,
le chassèrent en le reniant, et le mirent à mort en l'attachant
à une croix : " Les vignerons l'ayant vu, dirent en eux-mêmes
: Voici l'héritier, tuons-le, afin que l'héritage soit pour nous.
" Jésus-Christ est tout à la fois l'héritier et le
testateur ; l'héritier, parce qu'il a survécu à sa propre
mort, et que nos progrès dans le bien sont comme les biens héréditaires
qu'il reçoit en vertu des testaments qu'il a faits en notre faveur. -
BEDE. Notre-Seigneur prouve ici de la manière la plus évidente
que ce n'est point par ignorance, mais par envie que les princes des Juifs ont
crucifié le Fils de Dieu. Car ils comprirent que c'était à
lui que s'appliquaient ces paroles du Roi-prophète : " Je vous donnerai
les nations pour héritage, " (Ps 2.) " Et l'ayant jeté
hors de la vigne, ils le tuèrent. " En effet, " Jésus,
afin de sanctifier le peuple par son propre sang, a souffert hors la porte de
la ville. " (He 13.) - THEOPHYL. Comme nous avons expliqué plus
haut la vigne du peuple juif plutôt que de la ville de Jérusalem,
peut-être serait-il plus naturel de dire ici que le peuple a mis à
mort le Fils hors de la vigne, dans ce sens que le Fils de Dieu n'a point souffert
par ses mains, parce qu'en effet, il ne le fit pas mourir de ses propres mains,
mais le livra à Pilate et aux mains des Gentils. Il en est qui par la
vigne entendent la sainte Écriture, ce fut pour avoir, refusé
d'y croire qu'ils mirent le Seigneur à mort, et c'est pour cela qu'il
est dit qu'ils le firent mourir hors de la vigne, c'est-à-dire hors de
l'Écriture. - BEDE. Ou bien encore : il a été jeté
hors de la vigne avant d'être mis à mort, parce qu'il a été
repoussé du coeur des infidèles avant d'être attaché
à la croix.
S. CHRYS. C'est par un dessein de miséricorde et non par oubli ou indifférence
que Dieu a envoyé Jésus-Christ après les prophètes.
En effet, Dieu ne précipite pas l'exécution de ses oeuvres, mais
son amour use à notre égard d'une grande condescendance ; n'est-il
pas vrai que si les Juifs ont maltraité le fils qui venait après
les serviteurs, à plus forte raison ne l'auraient-ils pas écouté
tout d'abord ? Comment auraient-ils pu entendre des enseignements plus élevés,
eux qui ne voulaient même pas entendre les plus simples ?
S. AMBR. Le Sauveur leur adresse ensuite une question pour qu'ils prononcent
eux-mêmes leur condamnation : " Que leur fera donc le maître
de la vigne ? " - S. BAS. (sur le chap. 6 d'Isaïe.) Il leur parle
de la sorte comme à des criminels qui n'ont rien à opposer à
la justice de leur condamnation. Or, c'est le propre de la miséricorde
divine de ne jamais punir sans avertir, sans prédire les châtiments
dont les coupables sont menacés pour exciter en eux un repentir salutaire
: " Il viendra et exterminera ces vignerons et donnera sa vigne à
d'autres. " - S. AMBR. Il annonce que le maître de la vigne viendra,
parce que le Fils a la même majesté et la même puissance
que le Père, ou parce que dans les derniers temps il fera sentir plus
sensiblement sa présence pour répondre aux désirs des hommes.
S. CYR. Les principaux d'entre les Juifs ont donc été rejetés
comme rebelles à la volonté du Seigneur, et pour avoir laissé
stérile la vigne qui leur avait été confiée. La
culture de cette vigne a été donnée aux prêtres du
Nouveau-Testament. Or, dès qu'ils comprirent l'application de cette parabole,
ils voulurent s'y soustraire : " Ce qu'ayant entendu, ils lui dirent :
A Dieu rie plaise. " Et cependant ils n'en devinrent pas meilleurs, par
suite de leur opiniâtreté et de leur résistance à
la foi en Jésus-Christ.
THEOPHYL. Le récit de saint Matthieu paraît tant soi peu différent,
puisqu'à cette question du Seigneur : " Que fera donc aux vignerons
le maître de la vigne ? " les Juifs répondent : " Il
fera périr misérablement ces misérables. " (Mt 21.)
Cependant il n'y a ici aucune contradiction, et les deux récits sont
également vrais. En effet, les Juifs ont d'abord rendu cette sentence
; puis, quand ils comprirent le but de cette parabole, ils se récrièrent
et dirent : " A Dieu ne plaise, " comme saint Luc le raconte ici.
- S. AUG. (De l'accord des Evang., 4, 70.) Ou bien encore, dans la multitude
qui entourait le Sauveur, il en était qui lui avaient demandé
astucieusement par quelle puissance il faisait ces choses ; il en était
aussi qui, sans aucun artifice et de bonne foi, l'avaient acclamé en
disant : " Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur. "
Et ce sont ces derniers qui ont pu dire : " Il fera périr misérablement
ces misérables, et donnera sa vigne à d'autres. " On peut
aussi attribuer cette parole au Seigneur, soit qu'il l'ait dite véritablement,
soit à cause de l'union de ses membres avec leur chef. D'autres aussi
ont pu répondre à ceux qui prononçaient cette sentence
: " A Dieu ne plaise, " parce qu'ils comprenaient que cette parabole
était dirigée contre eux.
" Mais Jésus les regardant, dit : Qu'est-ce donc que cette parole
de l'Écriture : " La pierre qu'ont rejetée ceux qui bâtissaient,
est devenue le sommet de l'angle ? " - BEDE. C'est-à-dire, comment
s'accomplira cette prophétie, si ce n'est lorsque le Christ que vous
avez rejeté et mis à mort, sera prêché aux Gentils,
qui croiront en lui, et que, comme une pierre angulaire, il se bâtira
un seul temple avec les deux peuples. - EUSEBE. Le Christ est comparé
ici à une pierre à cause de son corps d'une nature terrestre ;
cette pierre a été détachée de la montagne sans
la main d'aucun homme, selon la vision de Daniel (Dn 2, 34), parce qu'il est
né d'une vierge : cette pierre n'est ni d'argent ni d'or, parce qu'il
n'a point paru comme un roi resplendissant de gloire, mais comme un homme humble
et méprisé ; aussi ceux qui bâtissaient l'ont rejeté.
- THEOPHYL. Les princes du peuple l'ont rejeté, lorsqu'ils ont dit "
Cet homme ne vient pas de Dieu. " (Jn 7, 16.) Et cependant cette pierre
était si utile et d'un si grand choix, qu'elle est devenue le sommet
de l'angle. - S. CYR. L'angle, dans le langage de la sainte Écriture,
représente l'union des deux peuples Juif et Gentil dans une même
foi (Ep 2; 1 P 2), car de ces deux peuples le Sauveur n'a formé lui-même
qu'un seul homme nouveau, et les réunissant tous deux en un seul corps,
les a réconciliés à Dieu. Il est donc une pierre de salut
pour l'angle qu'il a construit, mais il devient une cause de ruine pour les
Juifs qui s'opposent à cette union spirituelle des deux peuples.
THEOPHYL. Notre-Seigneur distingue ici deux condamnations ou deux ruines des
Juifs : la ruine de leurs âmes, lorsque Jésus-Christ leur a été
un objet de scandale, et il y fait allusion par ces paroles : " Quiconque
tombera sur cette pierre sera brisé ; " la ruine de leur nation
et sa dispersion dans tout l'univers, qui eurent pour cause cette pierre qu'ils
avaient rejetée, comme l'indique le Sauveur : " Et celui sur qui
elle tombera elle l'écrasera " (ou le réduira en poussière).
En effet, les Juifs ont été dispersés loin de la Judée,
dans tout l'univers, comme la paille qui est emportée par le vent. Et
remarquez l'ordre des événements, d'abord le crime énorme
qu'ils ont commis contre Jésus-Christ, et puis à la suite la juste
vengeance de Dieu. - BEDE. Ou encore, celui qui pèche, mais qui néanmoins
continue de croire en Jésus-Christ, tombe sur la pierre et s'y brise,
mais la pénitence lui ouvre encore une voie de salut ; celui au contraire
sur qui tombera cette pierre (parce qu'il l'a rejetée), elle l'écrasera
comme un vase dont il ne restera pas même un fragment pour aller puiser
un peu d'eau. Ou bien encore, ceux qui tombent sur lui sont ceux qui le méprisent
et qui ne périssent pas encore entièrement, mais qui sont brisés,
en sorte qu'ils ne peuvent plus marcher droit. Mais pour ceux sur lesquels il
tombe, il descendra du ciel pour leur infliger le juste châtiment de leurs
crimes, et ils seront écrasés comme la poussière que, le
vent disperse de dessus la face de la terre. (Ps 1.)
S. AMBR. Cette vigne est encore notre image, Dieu le Père est le laboureur, Jésus-Christ est la vigne, nous sommes les branches. (Jn 15.) C'est à juste titre que le peuple chrétien est appelé la vigne du Christ, ou parce qu'il porte sur le front le signe de la Croix, soit parce que son fruit n'est cueilli que dans la dernière saison de l'année, soit parce que dans l'Église, les pauvres et les riches, les serviteurs et les maîtres sont placés indistinctement comme les ceps de la vigne. De même que la vigne se marie aux arbres autour desquels elle s'enlace, ainsi le corps est étroitement uni à l'âme. Le vigneron diligent prend soin de cultiver et de tailler cette vigne, pour retrancher la trop grande abondance de feuilles et cette stérile ostentation de paroles qui paralyse la force naturelle de la vigne et empêche son fruit de parvenir à sa maturité. Enfin la vendange de cette vigne se fait par tout l'univers, puisqu'elle est répandue jusqu'aux extrémités du monde. - BEDE. (sur S. Marc.) Ou encore, dans le sens moral, Dieu donne à chaque fidèle la vigne à cultiver, lorsqu'il lui confie le soin de faire fructifier le baptême qu'il a reçu. Il lui envoie cm premier, un second, un troisième serviteur, lorsqu'il lui fait lire la loi, les psaumes et les prophètes. Le serviteur qu'il envoie est couvert d'outrages et déchiré de coups, lorsqu'on méprise ou qu'on blasphème la parole qu'on entend ; et on met à mort l'héritier (autant qu'on peut le faire), lorsqu'on foule aux pieds le Fils de Dieu par ses péchés. (He 6.) Le mauvais vigneron ayant reçu le châtiment qu'il mérite, la vigne est confiée à un autre, lorsque l'humble fidèle s'enrichit du don de la grâce que le superbe a méprisé.
vv. 19-26.
S. CYR. Les princes des prêtres, comprenant que cette parabole s'appliquait
à eux, et instruits de ce qui devait leur arriver, auraient dû
renoncer à leurs mauvais desseins ; mais loin de là, ils cherchent
l'occasion de les mettre à exécution : " Les princes des
prêtres cherchaient à se saisir de lui, " etc. Ils ne sont
point retenus par ce commandement de la loi : " Tu ne feras périr
ni l'innocent ni le juste. " (Ex 23.) Et s'ils ajournent l'accomplissement
de leurs criminels desseins, c'est par crainte du peuple : " Mais ils craignaient
le peuple. " Ils mettent la crainte des hommes au-dessus de la crainte
de Dieu. Or, quel motif leur fit concevoir ce coupable projet ? le voici : "
Car ils comprirent que cette parabole s'appliquait à eux. " - BEDE.
(sur S. Marc.) En cherchant à faire mourir le Sauveur, ils confirmaient
la vérité de ce qu'il avait dit dans cette parabole, car il était
l'héritier dont la mort injuste devait être vengée par le
châtiment des meurtriers, et ils étaient eux-mêmes ces méchants
vignerons, qui cherchaient à faire mourir le Fils de Dieu. La même
chose se renouvelle encore tous les jours dans l'Église, lorsqu'un chrétien
qui ne l'est que de nom, n'a aucune affection pour l'unité de la foi
et de la paix dans l'Église, quoiqu'il rougisse ou qu'il craigne de la
combattre, à cause de la multitude des fidèles dont il est environné.
Les princes des prêtres voulaient se saisir de la personne de Jésus
et ne pouvant le faire par eux-mêmes, ils cherchaient à le livrer
aux mains du gouverneur : " C'est pourquoi l'épiant, ils lui envoyèrent
des gens apostés, " etc. - S. CYR. Ils paraissaient agir avec légèreté,
mais au fond ils agissaient avec une malice réfléchie, ils oubliaient
que Dieu a dit : " Qui est celui-là qui prétend dérober
à Dieu le secret de ses desseins ? " (Jb 42.) Ils viennent trouver
le Sauveur comme un homme ordinaire : " Pour le surprendre dans ses paroles.
"
THEOPHYL. Ils voulurent tendre un piége au Seigneur, et ils y tombèrent
eux-mêmes les premiers. Écoutez, en effet, leur question astucieuse
: " Et ils vinrent donc ainsi l'interroger : Maître, nous savons
que vous parlez et que vous enseignez avec droiture. " - BEDE (de S. Jér.
sur S. Matth.) Par cette flatterie mensongère et cette question insidieuse,
ils veulent le forcer à déclarer qu'il craint plus Dieu que César
: " Et vous ne faites acception de personne, mais vous enseignez la voie
de Dieu dans la vérité. " En parlant ainsi, ils veulent l'amener
à dire qu'on ne doit pas payer le tribut, afin que les satellites du
gouverneur, qui étaient présents, selon les autres Évangélistes,
se saisissent de lui, comme cherchant à soulever le peuple contre les
Romains. C'est pour cela qu'ils lui font cette question : " Nous est-il
permis de payer le tribut à César, ou non ? " Il y avait,
en effet, une grande division d'opinions parmi le peuple, les uns soutenaient
qu'à raison de la paix et de la sécurité, dont toute la
nation jouissait sous les Romains, on devait leur payer le tribut ; les pharisiens,
au contraire, prétendaient que le peuple de Dieu, qui donnait déjà
la dîme et les prémices, ne devait pas être soumis à
des lois qui venaient des hommes. - THEOPHYL. Ils épiaient donc la réponse
qu'il allait faire : s'il faisait une obligation de payer le tribut à
César, le peuple l'accuserait de vouloir réduire la nation en
servitude ; s'il défendait, au contraire, de le payer, on le dénoncerait
au gouverneur comme rebelle. Mais Jésus échappe au piége
qu'ils lui tendent : " Considérant leur démarche astucieuse,
il leur dit : Pourquoi me tentez-vous ? Montrez-moi un denier, quelle image
et quel nom porte-t-il ? " - S. AMBR. Notre-Seigneur nous apprend ici avec
quelle circonspection nous devons répondre aux hérétiques
ou aux Juifs, comme il nous l'a recommandé ailleurs : " Soyez prudents
comme des serpents. " (Mt 10.)
BEDE. Ceux qui pensent que le Seigneur interrogeait par ignorance, doivent reconnaître
ici que Jésus pouvait parfaitement savoir de qui cette monnaie portait
l'image, cependant il interroge les Juifs pour leur répondre d'après
leurs propres paroles : " Ils lui répondirent : De César.
" Ce César n'est pas César Auguste, mais Tibère ;
car tous les empereurs romains, depuis le premier, Caius César, ont porté
le nom de César. Notre-Seigneur résoud la difficulté qu'ils
lui ont proposée, d'après leur réponse : " Et il leur
dit : Rendez donc à César ce qui est à César, et
à Dieu ce qui est à Dieu. " - TITE. Comme s'il leur disait
: Vous me tentez par vos paroles, conformez votre conduite à vos oeuvres
; vous avez accepté la domination de César, vous jouissez des
avantages qu'elle vous procure, rendez-lui donc le tribut, et à Dieu
la crainte qui lui est due ; car Dieu ne vous demande point votre argent, mais
votre foi. - BEDE. Rendez aussi à Dieu ce qui appartient à Dieu,
c'est-à-dire les dîmes, les prémices, les offrandes et les
victimes. - THEOPHYL. Et remarquez qu'il ne dit pas : " Donnez, "
mais : " Rendez, " parce que c'est une dette qu'il nous faut payer.
Le prince vous protège contre vos ennemis, il assure la tranquillité
de votre vie, vous lui devez donc en retour le tribut qu'il exige de vous. Cette
pièce de monnaie, même que vous lui payez, c'est de lui que vous
la tenez, rendez donc au roi, la monnaie qui vient du roi. Dieu vous a donné
aussi l'intelligence et la raison, rendez-lui ces biens, en vous gardant de
devenir rendre semblable aux animaux (cf. Ps 48, 12, 21), et en prenant, au
contraire, la raison pour guide dans toutes vos actions. - S. AMBR. Si donc
vous ne voulez point vous rendre tributaire de César, ne désirez
posséder aucune chose du monde. C'est avec raison qu'il veut qu'on rende
d'abord à César ce qui lui appartient ; car on ne peut se donner
au Seigneur sans avoir tout d'abord renoncé au monde. Quelle grave responsabilité
de promettre à Dieu et de ne rien donner ! Les obligations souscrites
par la foi, sont plus pressantes que les obligations qui ont pour objet une
somme d'argent.
ORIG. (hom. 39 sur S. Luc.) Ce passage a aussi un sens mystique. En effet, il
y a deux images dans l'homme, l'une qu'il a reçue de Dieu, comme il est
écrit dans la Genèse : " Faisons l'homme à notre image,
" l'autre qui est l'image de son ennemi, et que le péché
et la désobéissance ont comme gravée sur son âme,
lorsqu'il s'est laissé gagner et entraîner par les séductions
du prince de ce monde. Car de même qu'une pièce de monnaie porte
l'image du roi de la terre, ainsi celui qui fait les oeuvres du prince des ténèbres,
porte en lui l'image de celui dont il fait les oeuvres. Le Sauveur dit donc
: " Rendez à César ce qui est à César, "
c'est-à-dire : Effacez cette image terrestre, afin que, retraçant
en vous l'image céleste, vous puissiez rendre à Dieu ce qui est
à Dieu, c'est-à-dire, l'aimer de tout votre coeur, car c'est là
ce que Dieu demande de vous, comme Moïse le disait à son peuple
(Dt 10, 12.) Or, Dieu nous le demande, ce n'est pas qu'il en ait besoin, mais
parce qu'il veut rendre profitable à notre salut ce que nous lui avons
donné.
BEDE. Une réponse aussi sage aurait dû les déterminer à
croire en lui ; ils se contentent d'admirer comment leur ruse n'avait pu réussir
à le faire tomber dans le piége : " Et ils ne purent reprendre
aucune de ses paroles devant le peuple, et ayant admiré sa réponse,
ils se turent. " - THEOPHYL. Le but principal qu'ils se proposaient était
de le prendre en défaut en présence du peuple, mais ils ne purent
y parvenir, tant sa réponse était pleine de sagesse.
vv. 27-40.
BEDE. (de S. Jér. sur S. Matth.) Il y avait parmi les Juifs deux sectes
principales, l'une des pharisiens, qui faisaient consister toute leur justice
dans l'observance des traditions, ce qui leur faisait donner par le peuple le
nom de séparés ; l'autre des sadducéens, dont le nom signifie
justes, et qui s'attribuaient une justice qu'ils n'avaient pas. Les premiers
donc s'étant retirés, ceux-ci s'approchent pour tenter le Sauveur
: " Quelques-uns des sadducéens, qui nient la résurrection,
s'approchèrent alors, " etc. - ORIG. La secte des sadducéens
ne niait pas seulement la résurrection des morts, mais enseignait que
l'âme meurt avec le corps. Comme ils veulent aussi surprendre le Sauveur
dans ses paroles, ils lui proposent cette difficulté au moment où
il venait de parler à ses disciples de la résurrection : "
Maître, lui dirent-ils, Moïse a écrit pour nous cette loi
: Si un homme, ayant une femme, meurt sans laisser d'enfants, " etc. -
S. AMBR. La lettre de la loi oblige cette veuve à se remarier, même
contre son gré, mais l'esprit conseille bien plutôt la chasteté
(Rm 2, 29 ; 7, 6, 9 ; 2 Co 3, 6).
THEOPHYL. Les sadducéens, sur un fondement des plus fragiles, refusaient
de croire à la résurrection des morts. Persuadés qu'ils
étaient que la vie future, dans la résurrection, ne pouvait être
que charnelle, ils tombaient dans une grossière erreur, qui les amenait
à nier la possibilité de la résurrection, ce qu'ils font
en inventant le récit suivant : " Il y avait sept frères,
" etc. - BEDE. Ils imaginent cette fable pour convaincre de folie ceux
qui affirment la résurrection des morts, et ils opposent l'inconvenance
de ce récit fabuleux pour s'inscrire en faux contre la vérité
de la résurrection : " Dans la résurrection donc, duquel
sera-t-elle la femme ?
S. AMBR. Dans le sens figuré, cette femme représente la synagogue
qui a eu sept maris. Notre-Seigneur dit à la Samaritaine : " Vous
avez eu cinq maris, " (Jn 4) parce que la Samaritaine n'admettait que cinq
livres de Moïse, tandis que la synagogue en reconnaissait sept principaux.
Mais par suite de son infidélité, elle n'en eut aucune postérité,
elle ne put donc être unie à ses maris dans la résurrection,
parce qu'elle a entendu dans un sens charnel les préceptes spirituels
de la loi. Ce ne fut point un frère selon la chair qui l'épousa
pour donner des enfants à celui qui était mort ; mais le frère
qui lui fut donné, prit pour épouse, après la mort du peuple
juif, la sagesse du culte divin, et en fit naître des enfants spirituels
dans la personne des Apôtres. Ceux-ci qui étaient comme les restes
du peuple juif, et qui avaient été comme abandonnés dans
le sein de la synagogue, avant d'être formés, ont mérité
d'être sauvés selon l'élection de la grâce, comme
fruits de cette union toute spirituelle. - BEDE. Ou bien ces sept frères
figurent les réprouvés qui, pendant toute cette vie (laquelle
se compose de semaines de sept jours), sont tout à fait stériles
en bonnes oeuvres ; ils sont enlevés successivement par la mort, et leur
vie toute mondaine passe de l'un à l'autre jusqu'au dernier, comme une
épouse stérile.
THEOPHYL. Cependant Notre-Seigneur, voulant démontrer qu'après
la résurrection, la vie des sens et de la chair cesserait d'exister,
renverse là croyance des sadducéens avec le fragile fondement
sur lequel ils l'appuyaient : " Et Jésus leur dit : Les enfants
de ce siècle se marient, " etc. - S. AUG. (Quest. évang.,
2, 49.) En effet, la fin du mariage est d'avoir des enfants, on a des enfants
pour en faire ses héritiers, et on leur laisse son héritage, parce
que la mort en fait une obligation. Là donc où il n'y a plus de
mort, il n'y a plus de mariage : " Mais ceux qui sont trouvés dignes
du siècle à venir et de la résurrection des morts, ne se
marieront point, " etc. - BEDE. Ces paroles ne veulent pas dire qu'il n'y
aura que ceux qui seront dignes de la résurrection pour ressusciter et
ne point se marier, car les pécheurs eux-mêmes ressusciteront,
sans également se marier dans le siècle futur. Mais le Sauveur,
voulant nous inspirer un vif désir pour la gloire de la résurrection,
n'a voulu parler ici que des élus.
S. AUG. (Quest. évang.) Nos paroles se composent de qui se suivent et
se succèdent ; de même les hommes, auteurs de la parole, se succèdent
et se remplacent les uns les autres, et ils composent et forment ainsi l'ordre
du monde présent, qui résulte de l'ensemble et de la beauté
des choses extérieures. Dans la vie future, au contraire, le Verbe de
Dieu, dont nous jouirons, ne se compose d'aucune suite, d'aucune succession
de syllabes tout en lui est immuable et simultané ; ainsi pour ceux qui
seront admis à la participation de sa félicité, et dont
il sera l'unique principe de vie, il n'y aura plus ni destruction par la mort,
ni succession par la naissance, ils seront comme sont les anges : " Ils
ne pourront plus mourir, parce qu'ils seront égaux aux anges et enfants
de Dieu, " etc. - S. CYR. La multitude innombrable des anges ne se propage
point par la génération, elle ne doit son existence qu'à
la création, ainsi le mariage cessera d'être nécessaire
à ceux qui seront comme créés de nouveau par la résurrection
: " Ils seront enfants de Dieu, et enfants de la résurrection. "
- THEOPHYL. C'est-à-dire : Comme Dieu est le principe de la résurrection,
ceux qui reprennent une nouvelle vie en ressuscitant, sont appelés avec
raison les enfants de Dieu. En effet, nous ne voyons rien de charnel dans cette
nouvelle vie de la résurrection, ni l'union des époux, ni le sein
de la mère, ni l'enfantement. - BEDE. Ou bien encore : " Ils seront
égaux aux anges et enfants de Dieu, " parce qu'étant renouvelés
par la gloire de la résurrection, ils jouiront de l'éternelle
vision de Dieu, sans aucune crainte de la mort, sans aucune atteinte de la corruption,
sans aucune des vicissitudes de la vie présente.
ORIG. D'après saint Matthieu, Notre-Seigneur aurait ajouté ici
ces paroles omises par saint Luc : " Vous vous trompez, ne comprenant pas
les Écritures ; " (Mt 22) or, je me demande où sont écrites
ces paroles : " Ils ne se marieront point et n'épouseront point
de femmes. " Autant que je le puis savoir, on ne trouve rien de semblable
ni dans l'Ancien, ni dans le Nouveau Testament. Notre-Seigneur veut donc dire
que l'erreur des sadducéens vient tout entière de ce qu'ils lisent
l'Écriture sans la comprendre. En effet, on lit dans le prophète
Isaïe : " Ils n'engendreront point d'enfants soumis à la malédiction,
" etc. (Is 65, 23) ; ils s'imaginent que ces choses existeront encore après
la résurrection. Mais saint Paul interprète toutes ces bénédictions
dans un sens spirituel, et pour en éloigner toute idée charnelle,
il dit aux Ephésiens : " Dieu le Père nous a comblés
de toutes sortes de bénédictions spirituelles. " (Ep 1, 3.)
- THEOPHYL. A, la raison qu'il avait donnée plus haut, Notre-Seigneur
ajoute le témoignage de l'Écriture : " Or, que les morts
ressuscitent, Moïse le déclare lui-même dans le récit
du buisson, quand il appelle le Seigneur, le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac
et le Dieu de Jacob, " c'est-à-dire : Si les patriarches étaient
rentrés dans le néant, et ne vivaient pas en Dieu dans l'espérance
de la résurrection, Dieu n'eût pas dit : " Je suis, "
mais : " J'ai été ; " en effet, lorsque nous parlons
des choses qui ne sont plus ou qui sont passées, nous disons : "
J'étais maître de cette chose, " mais Dieu dit au contraire
: " Je suis le Dieu et le Seigneur des vivants ; car tous sont vivants
devant lui ; et bien que ces patriarches soient morts pour les hommes, ils vivent
à ses yeux dans l'espérance de la résurrection. - BEDE.
Ou bien en parlant ici, Notre-Seigneur veut établir que les âmes
survivent à leur séparation d'avec le corps (ce que niaient les
sadducéens), et en tirer comme conséquence la résurrection
des corps qui ont participé aux bonnes et aux mauvaises actions des âmes.
Il y a, en effet, une véritable vie, dont les justes vivent en Dieu,
même après la mort du corps. Le Sauveur eût pu établir
la vérité de la résurrection sur des témoignages
plus évidents, empruntés aux prophètes, mais les sadducéens
rejetaient tous les livres des prophètes, et n'admettaient que les cinq
livres de Moïse.
S. CHRYS. Les saints ne diminuent en rien le souverain domaine de Dieu, en appelant
spécialement : " Mon Dieu, " le Maître commun de l'univers
; ils ne font que manifester l'étendue de leur amour, et agissent en
cela comme ceux qui, dominés par une affection vive, ne veulent point
que leur amour soit partagé par un grand nombre, mais qu'il soit pour
ainsi dire exclusif et privilégié. Ainsi Dieu se dit spécialement
le Dieu de ces patriarches, sans restreindre pour cela son domaine, mais en
l'agrandissant au contraire ; car ce qui étend le domaine de Dieu, ce
n'est pas tant la multitude des créatures qui lui sont soumises, que
la vertu de ses fidèles serviteurs. Aussi se glorifie-t-il moins d'être
appelé le Dieu du ciel et de la terre, que le Dieu d'Abraham, le Dieu
d'Isaac, et le Dieu de Jacob. Voyez d'ailleurs parmi les hommes, les serviteurs
sont désignés par le nom de leur maître (nous disons, par
exemple, le fermier de tel seigneur), ici, au contraire, Dieu s'appelle le Dieu
d'Abraham, son serviteur.
THEOPHYL. Les scribes qui étaient les ennemis déclarés
des sadducéens, approuvent hautement Jésus qui vient de les confondre
: " Quelques-uns des scribes, prenant la parole, lui dirent : Maître,
vous avez bien parlé. " - BEDE. Honteux d'avoir été
ainsi confondus, ils cessent de l'interroger : " Et ils n'osaient plus
lui faire aucune question. " Mais ils se saisirent bientôt de sa
personne pour le livrer au pouvoir des Romains, preuve trop évidente
qu'on peut triompher de l'envie, mais qu'il est bien difficile de jamais l'apaiser.
vv. 41-44.
THEOPHYL. Le Seigneur était près de sa passion, il n'en proclame
pas moins sa divinité, non pas sans précaution et avec fierté,
mais avec la plus grande modération. En effet, il se contente de leur
adresser une question qui jette le doute dans leur esprit, et leur permet de
tirer eux-mêmes la conséquence de ses paroles : " Alors Jésus
leur demanda : Comment dit-on que le Christ est Fils ne David, " etc. -
S. AMBR. Le Sauveur ne leur reproche point de l'appeler Fils de David, puisque
c'est en lui donnant ce nom, que l'aveugle avait mérité sa guérison
(Lc 13) ; et que les enfants avaient offert à Dieu le plus beau tribut
de louanges et de gloire par cette acclamation : " Hosanna au Fils de David.
" Mais il leur fait un reproche de ne pas le reconnaître pour le
Fils de Dieu ; voilà pourquoi il ajoute : " David lui-même
dit dans le livre des Psaumes (Ps 109) : Le Seigneur a dit à mon Seigneur.
" Ce n'est pas qu'il y ait deux Seigneurs ; il n'y en a qu'un seul, parce
que le Père est dans le Fils, et le Fils est dans le Père, fi
est assis à la droite du Père, parce qu'étant égal
et consubstantiel au Père, il n'a personne au-dessus de lui : "
Asseyez-vous à ma droite. " Il n'est pas supérieur au Père,
parce qu'il est assis à sa droite ; il ne lui est pas inférieur,
parce qu'il est envoyé, la dignité ne peut être plus ou
moins grande, là où se trouve la plénitude de la divinité.
S. AUG. (du Symb., 2, 7.) Il ne faut pas entendre ces paroles " Asseyez-vous
à ma droite, " dans un sens matériel, comme si le Père
était réellement assis à la gauche, et le Fils à
la droite ; mais la droite ici signifie la puissance de l'humanité unie
à la divinité, puissance en vertu de laquelle le Sauveur viendra
juger les hommes, lui qui, dans son premier avènement, était venu
pour être jugé. - S. CYR. Ou bien encore : Il est assis à
la droite du Père, parce que sa gloire est la gloire souveraine de Dieu
; ceux, en effet, qui ont un même trône, ont une même majesté.
Or, cette expression figurée : être assis exprime la souveraineté
et la puissance de Dieu sur toutes choses. Il est donc assis à la droite
du Père, parce que le Verbe consubstantiel au Père n'a pas cessé
d'être Dieu en se faisant homme. - THEOPHYL. Il leur fait voir ensuite
que loin d'être opposé à Dieu le Père, il est avec
lui dans la plus parfaite union, puisque le Père se déclare contre
ses ennemis : " Asseyez-vous à ma droite, jusqu'à ce que
je fasse de vos ennemis l'escabeau de vos pieds. " - S. AMBR. Croyons donc
que Jésus-Christ est à la fois Dieu et homme, et que Dieu le Père
lui a soumis tous ses ennemis ; non que le Fils lui soit inférieur en
puissance, mais parce qu'ils ont une seule et même nature, et que l'un
opère nécessairement avec l'autre ; car le Fils lui-même
assujettit aussi ses ennemis à son Père, par la gloire qu'il lui
procure sur la terre. (Jn 17.) - THEOPHYL. Notre-Seigneur les interroge donc
lui-même, et après avoir fait naître le doute dans leur esprit,
il leur laisse tirer la conséquence de ce qu'il vient de dire : "
David l'appelle son Seigneur, comment peut-il être son fils. " -
S. CHRYS. David est à la fois père et serviteur du Christ, père
selon la chair, et serviteur selon l'esprit. - S. CYR. Et nous aussi nous adressons
la même question à ces nouveaux pharisiens qui refusent d'admettre
que celui qui est né de la très-sainte Vierge soit le vrai Fils
de Dieu et Dieu lui-même, et qui le divisent en deux personnes, et nous
leur demandons : Comment le Fils de David est-il son Seigneur, en vertu d'une
puissance qui n'est pas une puissance humaine, mais une souveraineté
toute divine ?
vv. 45-47.
S. CHRYS. Rien n'est plus fort que les preuves tirées des prophètes,
elles sont bien supérieures aux faits eux-mêmes. Voyez eu effet,
malgré les miracles que Jésus opérait, ses ennemis ne laissaient
pas de le contredire, mais lorsqu'il eut cité les témoignages
des prophètes, ils se turent, parce qu'ils n'avaient rien à répliquer.
Or, comme ils gardaient le silence, Notre-Seigneur leur adresse les reproches
qu'ils méritaient : " Il dit ensuite à ses disciples, devant
tout le peuple qui l'écoutait. " - THEOPHYL. Il les envoyait pour
être les docteurs de l'univers, il leur recommande donc avec raison de
ne point imiter les prétentions ambitieuses des pharisiens : " Gardez-vous
des scribes qui affectent de se promener vêtus de longues robes. - BEDE.
C'est-à-dire qui aiment à paraître en public vêtus
d'habits magnifiques et somptueux ; ce qui est relevé comme une des fautes
dont le mauvais riche s'est rendu coupable.
S. CYR. Les principaux vices des scribes étaient l'amour de la gloire et de l'argent. C'est contre ces vices les pires de tous que Notre-Seigneur prémunit ses disciples en leur disant : " Ils aiment à être salués dans les places publiques. " - THEOPHYL. C'est le propre de ceux qui recherchent et poursuivent l'éclat de la renommée, Ou encore, ils agissaient ainsi par un motif d'intérêt pécuniaire.
" Ils
aiment à occuper les premiers siéges dans les synagogues. "
- BEDE. Il ne défend point de s'asseoir les premiers dans les synagogues
ou dans les festins, à ceux que leur position appelle à occuper
ces premières places, mais il recommande à ses disciples de se
garder de ceux qui les recherchent sans y avoir droit. C'est l'intention qu'il
condamne ici et non le rang qu'on occupe, bien qu'on ne puisse entièrement
excuser ceux qui veulent à la fois se mêler aux discussions, aux
litiges de la place publique, et en même temps être appelés
maîtres dans les synagogues. Or, le Sauveur nous donne deux raisons pour
nous engager à nous prémunir contre les sectateurs de la vaine
gloire : la première, afin que nous ne soyons pas dupes de leur hypocrisie,
en regardant leur conduite comme irrépréhensible ; la seconde,
afin que nous ne soyons pas tentés de les imiter, en mettant follement
notre joie dans les louanges que l'on donne à leurs vertus apparentes.
Et ce ne sont pas seulement les louanges qu'ils recherchent, mais encore les
richesses : " Et qui sous prétexte de longues prières dévorent
les maisons des veuves. " Ils affectent en effet d'être justes et
de jouir d'un grand crédit auprès de Dieu, et ils n'hésitent
pas à recevoir de l'argent des personnes faibles et troublées
par la conscience de leurs péchés, pour se constituer leurs défenseurs
au jugement de Dieu. - S. CHRYS. (Ch. des Pèr. gr.) Ils absorbent les
biens des veuves, et foulent aux pieds la pauvreté, car ils n'épuisent
pas ces biens d'une manière quelconque, mais ils les dévorent,
et font servir la prière d'instrument à leurs iniquités,
ce qui les rend dignes d'un plus terrible châtiment : " Ils subiront
une condamnation plus rigoureuse ". THEOPHYL. Car non seulement ils font
le mal, mais ils se servent de leurs prières pour le commettre, et veulent
faire de la vertu l'excuse du crime. Ils dépouillent d'ailleurs les veuves
dont ils devraient avoir pitié, en exigeant d'elles des rétributions
pour la protection qu'ils leur accordent. - BEDE. Ou encore : " Ils subiront
une condamnation plus rigoureuse parce qu'ils cherchent à obtenir à
la fois des louanges et de l'argent. "