CATANA AUREA SUR SAINT LUC
ÉVANGILE DE SAINT LUC PAR SAINT THOMAS
SAINT THOMAS D'AQUIN CATENA AUREA SUR SAINT LUC
CHAPITRE VIII
vv. 1-3.
THEOPHYL. Celui qui est descendu des cieux pour nous tracer la voie et nous
donner l'exemple, nous enseigne à ne jamais négliger le devoir
de l'instruction : " Et il arriva ensuite que Jésus parcourait les
villes, " etc. - S. GREG. DE NAZ. Il va de pays en pays, non seulement
pour gagner à Dieu un plus grand nombre d'âmes, mais encore pour
consacrer par sa présence un plus grand nombre d'endroits. Il dort et
se fatigue pour sanctifier notre sommeil et nos travaux ; il pleure pour donner
du prix à nos larmes, il annonce les mystères du ciel pour élever
et agrandir l'esprit de ceux qui l'écoutent. - TITE DE BOSTR. Celui qui
est descendu du ciel sur la terre, annonce le royaume des cieux aux habitants
de la terre, pour changer la terre et en faire un ciel anticipé. Mais
qui peut annoncer dignement ce royaume, que le Fils de Dieu qui en est le souverain
Maître ? Bien des prophètes ont paru sur la terre, mais sans annoncer
le royaume des cieux, car comment auraient-ils pu parler des choses qu'ils n'avaient
pas vues ? - S. ISID. (Liv. XXIII, lettre 206.) Il en est qui pensent que ce
royaume de Dieu est plus élevé et plus parfait que le royaume
céleste ; d'autres prétendent au contraire que c'est le même
dans sa nature, mais auquel on donne des noms différents. On l'appelle
royaume de Dieu, parce qu'il a Dieu pour souverain ; et quelquefois le royaume
des cieux, quand on considère ce royaume dans ses sujets, c'est-à-dire,
dans les anges et les saints auxquels la sainte Écriture donne le nom
de cieux.
BEDE. Comme
l'aigle qui excite ses petits à voler (Dt 32), le Seigneur élève
successivement ses disciples vers les choses sublimes. Ainsi, il commence par
enseigner dans les synagogues, et par faire des miracles, puis il choisit les
douze auxquels il donne le nom d'Apôtres ; ensuite il les prend seuls
avec lui, lorsqu'il va prêcher dans les villes et dans les bourgades,
comme le rapporte l'Évangéliste : " Et les douze étaient
avec lui. " - THEOPHYL. Ce n'est ni pour enseigner ni pour prêcher
qu'il les prend avec lui, mais pour continuer de les instruire. Afin de montrer
que les femmes n'étaient point exclues de la suite de Jésus-Christ,
l'Évangéliste ajoute : " Il y avait aussi quelques femmes
qu'il avait délivrées des esprits malins, et guéries de
leurs infirmités : Marie-Magdeleine, de laquelle étaient sortis
sept démons. " - BEDE. Marie-Magdeleine est celle dont saint Luc
a raconté la pénitence dans le chapitre précédent.
Admirons comment l'Évangéliste désigne cette femme sous
son nom propre, lorsqu'il nous la montre à la suite du Sauveur, tandis
qu'en racontant ses désordres et sa pénitence, il lui donne simplement
le nom de femme, de peur que le scandale de ses premiers égarements ne
flétrit un nom aussi connu que le sien. Sept démons étaient
sortis d'elle, c'est-à-dire qu'elle avait été remplie de
tous les vices. - S. GREG. Que signifient, en effet, ces sept démons,
sinon tous les vices réunis. Comme la division des sept jours comprend
l'universalité du temps, le nombre sept est le symbole de l'universalité,
Marie-Magdeleine était donc possédée de sept démons,
parce qu'elle avait en elle tous les vices.
" Et Jeanne, femme de Chusa, intendant de la maison d'Hérode, Suzanne,
et plusieurs autres qui l'assistaient de leurs biens. " - S. JER. (sur
S. Mt 27.) Suivant une coutume des Juifs, et qui n'avait rien de répréhensible
dans les moeurs anciennes de cette nation, les femmes se chargeaient de fournir
à ceux qui les enseignaient la nourriture et le vêtement. Saint
Paul nous apprend qu'il ne voulut point user de ce droit, pour ne pas scandaliser
les Gentils (1 Co 9.) Ces femmes assistaient le Seigneur de leurs biens ; il
était juste, en effet, qu'il moissonnât leurs biens temporels,
alors qu'elles recueillaient de lui les richesses spirituelles. Ce n'est pas
sans doute que le souverain Maître des créatures eût besoin
d'être nourri par elles, mais il voulait être le modèle de
tous ceux qui enseignent, et leur apprendre à se contenter de la nourriture
et du vêtement que leur donneraient leurs disciples. - BEDE. Marie veut
dire mère pleine d'amertumes, à cause des gémissements
de sa pénitence ; Magdeleine signifie tour, ou qui a la forme d'une tour,
par allusion à cette tour dont parle le Roi-prophète : "
Vous êtes devenu mon espérance, une forte tour contre l'ennemi
(Ps 60). " Jeanne signifie grâce du Seigneur, ou le Seigneur miséricordieux,
c'est-à-dire, que tout ce qui soutient notre vie, lui appartient. Or,
si Marie purifiée de la souillure de ses vices, représente l'Église
des nations, pourquoi Jeanne ne serait-elle pas aussi la figure de cette même
Église, autrefois livrée au culte des idoles ? Ajoutons que tout
malin esprit qui travaille à l'extension du royaume du démon,
est comme l'intendant de la maison d'Hérode. Suzanne signifie loi ou
grâce, à cause de la blancheur odoriférante d'une vie céleste,
et de la flamme d'or de la charité intérieure.
vv. 4-15.
THEOPHYL. Notre-Seigneur accomplit ici ce qu'avait prédit David, qui
était la figure du Christ (cf. Mt 13, 35) : " J'ouvrirai ma bouche
pour parler en paraboles : " (Ps 77.) " Or, comme le peuple s'assemblait
en foule et se pressait de sortir des villes pour venir à lui, il leur
dit en paraboles. " Le Sauveur parle en paraboles, pour rendre ceux qui
l'écoutent plus attentifs, car les hommes aiment à exercer leur
intelligence sur les choses obscures, et dédaignent au contraire celles
qui sont trop claires et trop faciles ; secondement, afin que son langage demeurât
inintelligible pour ceux qui étaient indignes de le comprendre. - ORIG.
(Ch. des Pèr. gr.) Aussi est-ce avec une intention marquée que
l'Évangéliste dit : " Comme le peuple s'assemblait en foule
et se pressait de sortir des villes, " etc. Car ce n'est point la multitude,
mais le petit nombre qui marchent dans la voie étroite, et qui trouvent
le chemin qui conduit à la vie, c'est pour cette raison que saint Matthieu
fait remarquer qu'il enseignait au dehors en paraboles, et que, rentré
dans la maison, il expliquait la parabole à ses disciples.
EUSEBE. Remarquez la convenance de cette première parabole que Jésus
propose à la multitude, non seulement de ceux qui étaient présents,
mais encore de tous ceux qui devaient venir après eux, et comme il excite
vivement leur attention par ces premières paroles : " Celui qui
sème sortit pour semer. "
BEDE. À nul autre ne convient mieux cette qualité de semeur qu'au Fils de Dieu, qui est sorti du sein de son Père (inaccessible à toute créature), pour venir en ce monde rendre témoignage à la vérité (Jn 19). - S. CHRYS. (hom. 45 sur S. Matth.) Celui qui remplit tout de son immensité est sorti, non point en allant d'un lieu dans un autre, mais en se revêtant de notre chair pour s'approcher de nous. Jésus-Christ donne avec raison à son avènement le nom de sortie, car nous étions exclus de la présence de Dieu ; or lorsque des rebelles condamnés par leur roi sont bannis, celui qui veut les réconcilier sort pour venir les trouver, et converse en dehors avec eux jusqu'à ce qu'il les ait rendus dignes de paraître devant le roi, et qu'il les introduise en sa présence, c'est ce qu'a fait Jésus-Christ. - THEOPHYL. Il sort maintenant, non pour perdre les laboureurs ou pour réduire la terre en cendres, mais il sort pour semer, car souvent le laboureur qui sème, sort pour autre chose que pour semer. - EUSEBE. Un grand nombre de fidèles serviteurs de Dieu sont sortis de la céleste patrie et sont descendus au milieu des hommes ; mais ce n'était point pour semer, car ils n'étaient point semeurs, mais des esprits que Dieu envoyait pour remplir un ministère. (He 1, 14.) Moïse lui-même et les prophètes après lui n'ont point semé dans le coeur des hommes les mystères du royaume des cieux, mais en les arrachant à de coupables erreurs et au culte des idoles, ils cultivaient les âmes des hommes, et les défrichaient pour eu faire une terre bien préparée. Seul le Verbe de Dieu, créateur et auteur de toutes les semences, est sorti pour répandre par la prédication de nouvelles semences, c'est-à-dire, les mystères du royaume des cieux. - THEOPHYL. Or, le Fils de Dieu ne cesse pas de semer dans nos âmes, car ce n'est pas seulement comme maître et docteur, mais comme créateur qu'il répand dans nos âmes la bonne semence. - TITE DE BOSTR. " Il sortit pour semer sa semence, " sa parole n'est point une parole d'emprunt, puisqu'il est par nature le Verbe du Dieu vivant. Ce n'était point leur propre semence que répandaient Paul ou Jean, mais celle qu'ils avaient reçue ; Jésus-Christ, au contraire, sème sa propre semence, parce qu'il tire ses divins enseignements de sa propre nature ; aussi les Juifs étonnés disaient-ils : " Comment connaît-il les Écritures, puisqu'il ne les a point apprises ? " (Jn 7.)
EUSEBE. Ceux qui reçoivent la divine semence se partagent donc en deux classes, la première se compose de ceux qui sont jugés dignes de la vocation céleste, mais qui perdent cette grâce par suite de leur négligence et de leur tiédeur ; la seconde comprend ceux qui multiplient la semence en produisant de bons fruits. D'après saint Matthieu, le Sauveur établit trois degrés différents dans chaque classe ; ceux ; en effet, qui reçoivent inutilement la semence, ne la perdent pas de la même manière, et ceux qui la rendent féconde, ne produisent pas du fruit au même degré. Le Sauveur expose donc les différentes circonstances où on laisse perdre la semence. Les uns, sans même qu'ils aient péché, ont perdu la semence salutaire qui avait été jetée dans leurs âmes ; les esprits mauvais, les démons qui volent dans l'air, ou les hommes fourbes et astucieux qu'il désigne sous le nom d'oiseaux, viennent enlever la semence de leur esprit et leur en font perdre le souvenir : " Et pendant qu'il semait, une partie de la semence tomba le long du chemin. " - THEOPHYL. Il ne dit pas que celui qui sème a jeté sa semence le long du chemin, mais que la semence y est tombée, car celui qui sème enseigne une doctrine pure et irréprochable, mais cette doctrine tombe diversement dans l'esprit de ceux qui l'entendent, et quelques-uns d'entre eux sont représentés par ce chemin où elle fut foulée aux pieds et mangée par les oiseaux du ciel. - S. CYR. Tout chemin est inculte et stérile, parce qu'il est sans cesse foulé aux pieds, et aucune semence ne peut y être enfouie. Ainsi les coeurs indociles sont impénétrables aux divins enseignements, et aucune vertu ne peut y germer, c'est un chemin qui n'est fréquenté que par les esprits impurs. D'autres portent légèrement la foi en eux-mêmes, en ne s'attachant qu'aux simples paroles ; leur foi manque de racines, et c'est d'eux que le Sauveur ajoute : " Une autre partie tomba sur la pierre, et ayant levée elle sécha, parce qu'elle n'avait pas d'humidité. - BEDE. La pierre est la figure des coeurs durs et indomptables, l'humidité est à la semence ce qu'est dans une autre parabole l'huile qui doit alimenter les lampes des vierges (Mt 25), et représente l'amour de la vertu et la persévérance dans le bien. - EUSEBE. Il en est d'autres qui laissent étouffer la semence qu'ils reçoivent par l'avarice, par le désir des voluptés, par les sollicitudes du monde, que Notre-Seigneur compare à des épines : " Et une autre partie tomba parmi les épines, " etc. - S. CHRYS. (hom. 45 sur S. Matth.) Semblables, en effet, aux épines qui ne permettent pas à la semence de lever et de croître, mais l'étouffent par leur épaisseur, les sollicitudes de la vie présente ne permettent pas à la semence spirituelle de croître et de fructifier. Le laboureur qui sèmerait sur les épines matérielles, sur la pierre, sur le chemin, serait digne de blâme, car il est impossible que la pierre se change jamais en terre, que le chemin cesse d'être un chemin, que les épines ne soient plus des épines. Mais il n'en est pas de même dans les choses spirituelles, car la pierre peut devenir une terre fertile, le chemin peut n'être plus foulé aux pieds, et il est possible d'arracher les épines.
S. CYR. La terre riche et fertile, ce sont les âmes bonnes et vertueuses qui reçoivent dans leur profondeur la semence de la parole, qui ha retiennent et la fécondent, et c'est d'elles qu'il est dit : " Une autre partie tomba dans une bonne terre, et ayant levé, elle produisit du fruit au centuple. " En effet, lorsque la parole divine tombe dans une âme libre de toute agitation, elle pousse de profondes racines, elle produit des épis et les fait arriver à une maturité parfaite. - BEDE. Le fruit au centuple, c'est le fruit dans sa perfection, car le nombre dix exprime toujours la perfection, parce que l'accomplissement de la loi consiste dans l'observation des dix commandements ; mais le nombre dix multiplié par lui-même, produit le nombre cent, qui est ainsi le symbole de la plus grande perfection possible.
S. CYR. Écoutons l'explication de cette parabole de la bouche même de celui qui en est l'auteur : " En disant cela, il criait : Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende. " - S. BAS. (Ch. des Pèr. gr.) Entendre, est un acte de l'intelligence, et par ces paroles, Notre-Seigneur invite ceux qui l'écoutent à prêter une grande attention à l'explication qu'il va donner. - BEDE. Toutes les fois, en effet, que nous rencontrons cet avertissement, soit dans l'Évangile, soit dans l'Apocalypse de saint Jean, il s'agit d'une vérité mystérieuse dont on nous engage à pénétrer le sens avec une attention plus scrupuleuse. Aussi les disciples reconnaissant leur ignorance, interrogent le Sauveur : " Or, ses disciples lui demandaient quel était le sens de cette parabole. " Cependant ce ne fut pas immédiatement après que Jésus eut achevé d'exposer cette parabole, que les disciples lui adressèrent cette question, mais comme le dit saint Marc : " Ils l'interrogèrent lorsqu'il se trouva seul (Mc 4). " - ORIG. La parabole est comme le récit d'un fait imaginaire mais possible et vraisemblable, c'est un récit symbolique et figuré de quelque vérité dont on obtient le sens par l'application de toutes les circonstances de la parabole. L'énigme est le récit d'un événement qui n'est ni réel ni possible, elle est l'enveloppe d'une vérité cachée, comme dans ce trait du livre des Juges (Jg 9), où nous lisons que les arbres s'assemblèrent pour se choisir un roi. Ce récit que l'Évangéliste raconte comme un fait historique : " Celui qui sème sortit pour semer, " n'est point arrivé à la lettre, quoiqu'il soit dans les choses possibles.
EUSEBE.
Or, le Seigneur fait connaître à ses disciples la raison pour laquelle
il parlait au peuple en paraboles : " Il leur dit : A vous il a été
donné de connaître le royaume de Dieu. " - S. GREG. de NAZ.
En entendant ces paroles, n'allez pas croire qu'il existe des natures différentes,
avec certains hérétiques, qui prétendent qu'il est des
hommes dont la nature est de se perdre, d'autres dont la nature est de se sauver,
d'autres, au contraire, qui doivent à leur propre volonté de devenir
bons ou mauvais ; mais à ces paroles du Sauveur : " Il vous a été
donné, " ajoutez : A vous qui le voulez, à vous qui en êtes
dignes. - THEOPHYL. Mais pour ceux qui sont indignes de si grands mystères,
un voile recouvre ces vérités : " Tandis qu'aux autres il
est annoncé en paraboles, en sorte que voyant ils ne voient point, et
qu'en entendant ils ne comprennent pas. " ils croient voir, mais ils ne
voient point, ils entendent, mais ils ne comprennent pas. Or, Jésus-Christ
leur cache ces vérités, pour leur faire éviter un plus
grand crime, celui de mépriser les mystères du Christ, après
les avoir connus, car celui qui n'a que du mépris pour les vérités
dont l'intelligence lui a été révélée, sera
puni plus sévèrement. - BEDE. Ceux-là donc entendent en
paraboles, qui ferment les sens et leur coeur pour ne point connaître
la vérité et qui oublient cette recommandation du Seigneur : "
Que celui-là entende, qui a des oreilles pour entendre. "
S. GREG. (Hom. 45 sur les Evang.) Cependant le Seigneur consent à expliquer
à ses disciples cette parabole, pour nous apprendre à chercher
le sens caché des choses qu'il n'a point voulu nous expliquer : "
Voici donc le sens de cette parabole, la semence c'est la parole de Dieu. "
- EUSEBE. Or, il y a pour la semence qui est jetée dans nos âmes,
trois causes de destruction, Les uns détruisent cette semence en prêtant
une oreille trop légère aux discours des hommes qui ne veulent
que les tromper : " Ce qui tombe le long du chemin, ce sont ceux qui écoutent,
le diable vient ensuite, et enlève la parole de leur coeur. " -
BEDE. Ce sont ceux qui écoutent la parole de Dieu sans aucune foi, sans
aucune intelligence, sans aucun désir de la mettre en pratique. - EUSEBE.
D'autres ne reçoivent cette parole qu'à la surface de leur âme,
et la laissent se dessécher et périr aux premières atteintes
de l'adversité. C'est d'eux que Notre-Seigneur ajoute : " Ce qui
tombe sur la pierre, ce sont ceux qui, ayant écouté la parole,
la reçoivent avec joie, mais ceux-ci n'ont pas de racine, ils croient
pour un temps, et au temps de la tentation ils se retirent. " - S. CYR.
Lorsqu'ils entrent dans l'Église, ils écoutent avec joie la prédication
des divins mystères, mais avec une volonté bien faible ; et à
peine sortis de l'Église, ils oublient les enseignements sacrés.
Si la foi chrétienne n'est l'objet d'aucune attaque, ils demeurent fidèles,
mais si la persécution vient à se déclarer, ils se dérobent
par la fuite au danger, parce que leur foi n'a point de racine. - S. GREG. (hom.
15 sur les Evang.) Il en est beaucoup qui se proposent de commencer à
faire le bien, mais bientôt fatigués par l'adversité ou
par les tentations, ils abandonnent leur entreprise. Cette terre pierreuse n'avait
donc point l'humidité nécessaire, puisqu'elle n'a pu conduire
à la maturité parfaite la semence qu'elle avait fait germer. -
EUSEBE. D'autres enfin étouffent la semence qu'ils ont reçue dans
les préoccupations des richesses et des plaisirs, qui sont comme autant
d'épines qui étouffent la semence : " Ce qui tombe parmi
les épines, ce sont ceux qui écoutent la parole, mais les sollicitudes
des richesses et des plaisirs l'étouffent peu à peu, et ils ne
portent point de fruit. - S. GREG. (hom. 15 sur les Evang.) Comment donc Notre-Seigneur
a-t-il pu comparer les richesses aux épines, alors que les épines
piquent et déchirent, tandis que les richesses sont pleines de charmes.
Et cependant ce sont des épines, parce qu'elles déchirent l'âme
par les pointes acérées de leurs préoccupations, et lorsqu'elles
entraînent jusqu'au péché, elles font des blessures sanglantes.
Le Sauveur joint deux choses aux richesses : les sollicitudes et les plaisirs
parce qu'elles accablent de soucis et énervent l'âme par leur abondance
même. Toutes ces choses étouffent la semence, parce qu'elles étranglent
pour ainsi dire l'âme par leurs pensées importunes, et en fermant
ainsi l'accès du coeur à tout bon désir, elles étouffent
la respiration et tuent la vie.
EUSEBE. C'est en vertu de sa prescience divine que Notre-Seigneur prédit ces choses, et les faits se chargent de vérifier ces prédictions, car on ne s'éloigne ries prescriptions de la divine parole que d'une de ces trois manières. - S. CHRYS. (hom. 45 sur S. Matth.) Pour résumer en peu de mots cette doctrine, on quitte la voie du bien, les uns par leur négligence à écouter la parole de Dieu, les autres par immortification ou par faiblesse, d'autres enfin, parce qu'ils se rendent esclaves de la volupté et des biens de ce monde. Remarquez encore dans quel ordre naturel se présentent d'abord le chemin, puis le terrain pierreux et les épines ; il faut donc d'abord de la mémoire et de la vigilance, puis du courage, et enfin le mépris pour les choses présentes. Notre-Seigneur oppose ensuite les qualités de la bonne terre aux qualités défectueuses du chemin, du terrain pierreux et des épines : " Mais ce qui tombe dans la bonne terre, ce sont ceux qui, écoutant la parole, la conservent dans un coeur bon et excellent, et portent du fruit par la patience. " Ceux qui sont représentés par le chemin, ne retiennent point la parole et laissent enlever la semence par le démon ; ceux qui ressemblent au terrain pierreux ne soutiennent pas les assauts de la tentation trop forte pour leur faiblesse ; enfin, ceux qui sont figurés par les épines ne portent aucun fruit, mais étouffent la parole dans son germe. - S. GREG. (hom. 45 sur les Ev.) Or, la bonne terre produit du fruit par la patience, parce que le bien que nous faisons est nul, si nous ne supportons en même temps avec patience le mal qui nous est fait. Ainsi ceux qui sont représentés par cette bonne terre, produisent du fruit par la patience, car après avoir supporté en toute humilité et en toute patience les épreuves qui leur sont envoyées, ils entrent dans le repos et dans la joie de l'éternité.
vv. 16-18.
BEDE. Notre-Seigneur venait de dire aux Apôtres : " Pour vous, il
vous a été donné de connaître le mystère du
royaume de Dieu ; mais pour les autres, il leur est proposé en paraboles,
" il leur apprend maintenant qu'ils doivent un jour révéler
ce même mystère aux autres : " Personne, après avoir
allumé une lampe, ne la couvre d'un vase ou ne la met sous un lit, "
etc.
EUSEBE.
C'est-à-dire, de même qu'on n'allume une lampe que pour éclairer,
et non pour la mettre sous un boisseau ou sous un lit, ainsi les secrets du
royaume des cieux proposés en paraboles, restent cachés pour ceux
qui n'ont pas la foi, mais cependant ils ne seront pas toujours incompréhensibles
pour tous. Car il n'y a rien de caché qui ne soit découvert, rien
de secret qui ne soit connu et ne vienne au grand jour. Comme s'il disait :
Bien qu'un grand nombre de vérités leur aient été
proposées sous forme de paraboles, de sorte qu'en voyant, ils ne voient
point, et qu'en entendant ils ne comprennent point, par suite de leur incrédulité,
cependant. toute vérité sera un jour éclaircie. - S. AUG.
(Quest. évang.) Ou bien autrement, Notre-Seigneur enseigne ici dans un
sens figuré, avec quelle sainte confiance on doit prêcher la parole
de Dieu, sans que jamais la crainte d'un préjudice ou d'un dommage temporel
porte à cacher la lumière de la science. En effet, le vase et
le lit signifient la chair, de même que la lampe est le symbole de la
parole. Celui qui cache la parole par crainte de quelque dommage temporel, préfère
la chair à la manifestation de la vérité, et celui qui
tremble d'annoncer cette parole la couvre pour ainsi dire avec la chair, Au
contraire, celui qui consacre son corps au ministère de cette divine
parole, place la lumière sur le chandelier, de manière que la
prédication de la vérité domine toutes les exigences de
la servitude du corps.
ORIG. Ceux qui, dans cette lampe veulent voir la figure des disciples plus parfaits
de Jésus-Christ, rendent leur interprétation plausible, parce
que l'Évangile dit de Jean-Baptiste, qu'il était une lumière
ardente et luisante (Jn 5). Que celui donc qui allume dans son âme cette
lampe spirituelle, ne la cache ni sous un lit destiné au repos, ni sous
un vase quelconque ; agir de la sorte, c'est ne prendre aucun soin de ceux qui
entrent dans la maison, et pour lesquels cette lampe est préparée
; il faut donc placer cette lumière surie chandelier, c'est-à-dire,
sur toute l'Église.
S. CHRYS. (hom. 45 sur S. Matth.) En leur parlant de la sorte, le Sauveur exhorte ses disciples à une sainte exactitude pour tous les devoirs de la vie, il veut qu'ils soient pleins de courage comme des hommes exposés aux regards de tous, et qui combattent au milieu du monde comme sur un théâtre ; ne considérez pas, semble-t-il leur dire, que nous n'habitons qu'une faible partie de l'espace, vous serez connus de tous les hommes, parce qu'il est impossible qu'une si grande vertu demeure cachée. - S. MAX. Ou bien encore, c'est lui-même que le Seigneur veut désigner par cette lampe qui brille aux yeux des habitants de la maison, c'est-à-dire, du monde, puisqu'il est Dieu par nature, et qu'il s'est fait chair par une économie toute divine, et c'est ainsi que, semblable à la lumière d'une lampe, il est retenu par l'intermédiaire de son âme dans la terre de sa chair, comme la lumière est retenue par la mèche dans le vase de terre d'une lampe. Le chandelier, c'est l'Église, sur laquelle la parole divine brille de tout son éclat, et la remplit comme une maison des rayons de la vérité. Or il compare le culte matériel de la loi à un vase ou à un lit sous lequel il ne veut point rester caché.
BEDE. Le Seigneur nous presse avec instance d'écouter la divine parole, afin que nous puissions la ruminer continuellement dans notre coeur, et la donner en nourriture aux autres : " Prenez donc garde comme vous écoutez, car on donnera à celui qui a, " etc. Comme s'il disait : Appliquez-vous à écouter cette divine parole avec toute l'attention possible, car celui qui aime cette parole, recevra l'intelligence pour comprendre ce qu'il aime, mais pour celui qui n'a point l'amour de cette divine parole, eût-il d'ailleurs du génie, et fût-il versé dans la connaissance des lettres, jamais il ne goûtera la douceur et la joie de la sagesse. Souvent, en effet, celui qui est atteint de paresse spirituelle, reçoit le don de l'Esprit, pour rendre ainsi sa négligence plus coupable, parce qu'il dédaigne de savoir ce qu'il aurait pu apprendre sans aucun travail. Quelquefois au contraire, celui qui est zélé pour s'instruire, souffre de la lenteur de son intelligence, afin de recevoir une récompense d'autant plus grande, qu'il a travaillé avec plus d'efforts pour apprendre.
vv. 19-21.
TITE DE BOSTR. Notre-Seigneur avait quitté ses parents selon la chair
pour se livrer à la prédication de la doctrine de son père
; et comme ils désiraient le voir, ils vinrent le trouver : " Cependant,
sa mère et ses frères vinrent vers lui, " etc. Lorsque vous
entendez parler des frères du Seigneur, que ce nom vous rappelle sa miséricorde
et vous fasse comprendre l'étendue de sa grâce. En effet, personne
ne peut être frère du Sauveur en tant qu'il est Dieu, puisqu'il
est le Fils unique du Père, mais par un effet de son amour, il a daigné
s'unir notre chair, notre sang, et il est devenu notre frère, lui qui
était Dieu par nature (cf. He 2, 11. 13). - BEDE. Ces frères du
Seigneur, selon la chair, ne sont ni les fils de la bienheureuse Marie, mère
de Dieu, comme le veut Helvidius, ni les fils de Joseph et d'une autre épouse,
comme d'autres le prétendent, mais tout simplement ses cousins.
TITE DE BOSTR. Les frères de Jésus espéraient qu'en apprenant leur arrivée, par respect pour le nom de sa mère et pour l'amour qu'elle lui témoignait, il s'empresserait de laisser la multitude qui l'écoutait : " On vint donc lui dire : Votre mère et vos frères sont là dehors, " etc. - S. CHRYS. (hom. 45 sur S. Matth.) Considérez quelle indiscrétion c'était que d'enlever le Sauveur à tout ce peuple qui l'entourait et qui, suspendu à ses lèvres, écoutait ses divins enseignements. Aussi, Notre-Seigneur leur en fait-il un reproche : " Il leur répondit : Ma mère et mes frères sont ceux qui écoutent la parole de Dieu, " etc. - S. AMBR. Comme un sage maître, Jésus commence par donner l'exemple à ses disciples avant de leur enseigner, que celui qui ne quitte point son père où sa mère n'est pas digne du Fils de Dieu. Il veut donc pratiquer le premier ce commandement, non qu'il refuse d'accomplir à l'égard de sa mère les devoirs de la piété filiale (puisqu'il est l'auteur de ce commandement : " Quiconque n'honorera point son père ou sa mère sera puni de mort "), mais parce qu'il sait qu'il doit plus à la mission divine qu'il a reçue de son Père, qu'à l'affection filiale qu'il a pour sa mère (cf. Ga 4, 19). Toutefois, sa réponse ne contient rien de blessant pour ses parents, mais elle nous apprend que l'union des âmes est plus auguste que les liens de la chair et du sang. Le Sauveur ne renie donc point sa mère (comme l'affirment certains hérétiques qui tendent des pièges à la simplicité), puisqu'il l'a reconnue du haut même de la croix, mais il nous enseigne à sacrifier les exigences du sang à l'accomplissement des devoirs célestes. - BEDE. Ceux donc qui écoutent et qui pratiquent la parole de Dieu, méritent le nom glorieux de mère de Dieu, parce que chaque jour, par leurs exemples ou par leurs paroles, ils l'engendrent dans le coeur du prochain, et ils méritent également d'être appelés ses frères, puisqu'ils font aussi la volonté de son Père qui est dans les cieux.
S. CHRYS. (hom. 43 sur S. Matth.) Notre-Seigneur ne veut pas non plus faire ici un reproche à sa mère, mais lui accorder une grâce signalée. En effet, s'il avait tant à coeur de donner une juste idée de sa personne au reste des hommes, combien plus devait-il le désirer pour sa mère, car jamais il ne l'eût élevé à un si haut degré de grandeur, si elle eût pu croire qu'il lui obéirait toujours comme un fils, et si au contraire elle ne l'eût reconnu comme son Dieu. - THEOPHYL. Quelques-uns entendent ce passage dans un autre sens : Pendant que Jésus enseignait, disent-ils, des envieux qui voulaient jeter du discrédit sur sa doctrine, vinrent lui dire : " Votre mère et vos frères veulent vous voir, " comme pour rappeler l'obscurité de sa naissance. Or Jésus, qui connaît leurs pensées, leur déclare qu'on n'est nullement rabaissé par une humble et pauvre famille, mais que si un homme d'une constitution obscure, écoute la parole de Dieu, il le regarde comme son frère. Cependant, comme il ne suffit pas d'écouter pour être sauvé, et que la parole de Dieu serait plutôt alors une cause de condamnation, il ajoute : " Et qui la pratiquent, " car il faut tout à la fois écouter et mettre en pratique. La parole de Dieu, c'est sa doctrine, puisque tout ce qu'il enseignait venait de son Père.
S. AMBR. Dans le sens mystique, celui qui cherche Jésus-Christ, ne doit pas se tenir dehors, c'est pour cela que le Roi-prophète a dit : " Approchez-vous de lui, et vous serez éclairés. " (Ps 33.) Ceux qui restent dehors, ne sont pas reconnus de Jésus, fussent-ils ses parents ; peut-être est-ce pour notre instruction qu'il ne veut pas les reconnaître, or comment espérer qu'il nous reconnaîtra, si nous persistons à rester dehors ? On peut encore dire que les parents de Jésus sont la figure des Juifs, dont le Sauveur était issu par sa naissance temporelle, et qu'il veut nous apprendre ici la préférence donnée à l'Église sur la synagogue. - BEDE. Tandis que Jésus enseigne dans l'intérieur de la maison, ceux qui négligent de s'appliquer au sens spirituel de ses paroles, ne peuvent entrer. Cependant la foule se presse pour entrer dans la maison, parce qu'en effet, tandis que les Juifs usaient de lenteurs et de retards, les Gentils accoururent en foule à Jésus-Christ, Ceux qui se tiennent au dehors, veulent voir Jésus-Christ, parce que sans s'occuper du sens spirituel de la loi, ils s'attachent au dehors à l'observation de la lettre, et ils veulent pour ainsi dire contraindre Jésus-Christ à sortir pour leur enseigner une doctrine tout humaine, plutôt que de consentir à entrer eux-mêmes pour recevoir des enseignements tout spirituels.
vv. 22-25.
S. Cyit. Les disciples étaient tous les jours témoins des bienfaits
que Jésus-Christ répandait à profusion, il était
juste qu'il en fît découler sur eux une partie ; nous ne voyons
pas en effet du même oeil le bien que l'on fait aux autres, et celui qui
nous est fait à nous-mêmes ; le Sauveur permet donc qu'ils soient
exposés à une tempête sur la mer : " Un jour, étant
monté sur une barque avec ses disciples, il leur dit : Passons à
l'autre bord du lac, et ils partirent. " - S. CHRYS. (hom. 29 sur S. Matth.)
Saint Luc évite la question que pourrait soulever le temps précis
où eut lieu ce miracle, en disant simplement que Jésus monta un
jour sur une barque. Si cette tempête fût arrivée pendant
que le Sauveur veillait, les disciples n'auraient eu aucune crainte, ou bien
ils n'auraient pas cru que leur divin Maître pût opérer un
si grand prodige ; il se laisse donc aller au sommeil pour donner à la
crainte tout le temps de se développer : " Comme ils naviguaient,
il s'endormit, et un vent impétueux s'éleva sur le lac. "
- S. AMBR. L'Évangéliste nous a rapporté plus haut, qu'il
passait les nuits en prière ; pourquoi donc le voyons-nous dormir ici
pendant la tempête ? C'est pour exprimer la sécurité de
la toute-puissance, qu'il repose seul sans crainte, alors que tous sont saisis
d'effroi, mais ce sommeil n'atteignait que le corps ; et, comme Dieu, il avait
l'oeil ouvert sur ses disciples pour les protéger ; car rien absolument
ne se fait sans le Verbe. (Jn 1.)
S. CYR. C'est par un dessein particulier de la providence divine que les disciples ne crièrent pas au secours au premier moment que la barque fut assaillie par la tempête, mais lorsque le danger devint imminent, pour faire éclater davantage la toute-puissance du Sauveur : " Et ils étaient en péril, " dit l'Évangéliste. Le Sauveur le permit pour exercer leur vertu ; car en confessant la grandeur du danger, ils étaient forcés de reconnaître la grandeur du miracle qui les en délivrait. Lors donc que l'imminence du péril les eut jetés dans une crainte inexprimable, ils reconnaissent qu'ils n'ont plus d'autre espoir de salut que dans le Seigneur des vertus, et ils se déterminent à l'éveiller.
" S'approchant donc, ils le réveillèrent en disant : Maître, nous périssons. " - S. AUG. (de l'acc. des Evang., 2, 24.) D'après saint Matthieu, ils lui auraient dit : " Seigneur, sauvez-nous, nous périssons ; " d'après saint Marc : " Maître, n'avez-vous pas de souci que nous périssions ? " De part et d'autre, ils expriment le même désir, de réveiller le Sauveur et d'être sauvés du danger. Il est tout à fait inutile de chercher quelle formule précise de prière les Apôtres ont employée ? Se sont-ils servi d'une de celles qui sont rapportées par ces trois Évangélistes, ou d'une autre dont aucun n'aurait parlé, mais dont les termes seraient équivalents ? peu importe. D'ailleurs, on peut fort bien admettre que tous les disciples s'empressèrent d'éveiller leur divin Maître, mais que chacun lui parla d'une de ces trois différentes manières.
S. CYR. Il était du reste impossible que les Apôtres, ayant avec eux le Tout-Puissant, pussent jamais périr. Aussi Jésus-Christ, qui exerce une puissance souveraine sur tout ce qui existe, apaise subitement la tempête et la fureur des vents : " Et la tempête cessa, et il se fit un grand calme. " Il prouve ainsi qu'il est le Dieu dont le Psalmiste a chanté : " Vous dominez la puissance de la mer, vous apaisez ses flots soulevés. " (Ps 88.) - BEDE. Dans cet événement de sa vie, le Seigneur fait voir clairement en lui deux natures dans une seule et même personne, puisque nous le voyons livré au sommeil, comme homme, et apaisant d'un seul mot, comme Dieu, la fureur de la mer.
S. CYR. Or, Jésus apaise eu même temps la tempête extérieure de la mer, et la tempête intérieure des âmes : " Alors il leur dit : Où est donc votre foi ? " En leur parlant de la sorte, il nous apprend que ce n'est point la tentation, mais la faiblesse de l'âme qui produit la crainte ; car les tentations éprouvent la foi, comme le feu éprouve l'or. - S. AUG. (de l'acc. des Evang.) Les autres Évangélistes rapportent diversement les paroles du Sauveur. D'après saint Matthieu, il aurait dit à ses disciples : " Pourquoi craignez-vous, hommes de peu de foi ? " suivant le récit de saint Marc : " Pourquoi craignez-vous ? est-ce que vous n'avez pas encore la foi ? c'est-à-dire la foi parfaite, comme le grain de sénevé. " D'après saint Marc, il leur reproche donc aussi leur peu de foi, tandis que d'après saint Luc, il leur demande : " Ou est votre foi ? " Or, Notre-Seigneur a pu fort bien employer toutes ces locutions diverses : " Pourquoi craignez-vous ? où est votre foi ? hommes de peu de foi, " et les Évangélistes nous rapportent chacun une d'entre elles.
S. CYR.
A la vue de la tempête subitement apaisée à la parole de
Jésus-Christ, les disciples, comme stupéfaits d'un tel miracle,
s'interrogeaient les uns les autres : " Remplis de crainte et d'admiration,
ils se disaient les uns aux autres, " etc. Ce n'est point par ignorance
de ce qu'était Jésus, que les disciples parlent ainsi entre eux,
car ils savaient très-bien qu'il était Dieu et Fils de Dieu ;
mais ils sont remplis d'admiration à la vue de l'étendue de cette
puissance qu'il possède de toute éternité, et de la gloire
de sa divinité qu'il fait éclater dans ce corps visible et semblable
au nôtre dont il s'est revêtu. " Et ils s'écrient :
Quel est celui-ci ? " c'est-à-dire quelle grandeur, quelle puissance,
quelle majesté ! car c'est une action faite avec empire, c'est le commandement
d'un maître, ce n'est point l'humble demande d'un serviteur. - BEDE. On
peut dire aussi que ce ne sont pas les disciples, mais les matelots et ceux
qui étaient avec eux dans la barque, qui sont remplis de crainte et d'admiration.
Dans le sens allégorique, cette mer, ce lac agités représentent
l'agitation de la mer ténébreuse du monde. La barque est le symbole
de l'arbre de la croix, à l'aide duquel les fidèles traversent
les flots de cette mer du monde, et parviennent an rivage de la céleste
patrie. - S. AMBR. Notre-Seigneur quitte ses parents pour monter dans cette
barque, parce qu'il sait qu'il est venu dans le monde pour l'accomplissement
de mystères tout divins. - BEDE. Les disciples, sur l'invitation du Sauveur,
montent avec lui dans la barque. Il leur dit en effet : " Si quelqu'un
veut venir après moi, qu'il se renonce lui-même, qu'il porte sa
croix et qu'il me suive. " Pendant que les disciples font cette traversée,
c'est-à-dire pendant que les fidèles foulent aux pieds le monde
et méditent dans leur coeur les douceurs du repos éternel ; pendant
que, poussés par le souffle de l'Esprit saint, et aussi parleurs propres
efforts, ils rejettent à l'envi derrière eux les vanités
inconstantes et perfides du monde, le Seigneur s'endort tout à coup,
c'est-à-dire que le temps de la passion du Seigneur est arrivé,
et que la tempête vient fondre sur la terre, parce que pendant le sommeil
de la mort, qu'il consent à subir sur la croix, les flots de la persécution
se soulèvent sous l'impulsion du souffle des démons (cf. Ps 3,
5). La patience du Seigneur n'en est point troublée, mais la faiblesse
des disciples en est ébranlée et saisie d'effroi. Ils s'empressent
donc de réveiller le Seigneur dans la crainte de périr pendant
son sommeil, parce qu'en effet, après avoir été témoins
de sa mort, ils désirent vivement sa résurrection, dont le retard
prolongé les exposerait à une perte certaine. Le Sauveur se lève
et commande avec menace à la tempête, c'est-à-dire, que
par sa prompte résurrection d'entre les morts, il a détruit l'orgueil
du démon qui avait l'empire de la mort. (He 2.) Il calme l'agitation
des flots, c'est-à-dire qu'en ressuscitant, il fait tomber la rage des
Juifs qui insultaient à sa mort. - S. AMBR. Il veut nous apprendre qu'il
est impossible de traverser sans tentations le cours de cette vie, parce que
la tentation est l'épreuve naturelle de la foi. Nous sommes donc exposés
aux tempêtes soulevées par les esprits mauvais ; mais ayons soin,
comme de vigilants matelots, d'éveiller le pilote de la barque qui ne
cède pas aux vents, mais qui leur commande ; et lors même qu'il
est éveillé, prenons garde qu'il ne dorme encore pour nous, en
punition du sommeil de notre corps. Ceux qui se laissent aller à la crainte
dans la compagnie de Jésus-Christ, méritent le juste reproche
qu'il leur fait, car celui qui s'attache à lui ne peut périr.
- BEDE. Nous voyons quelque chose de semblable à ce qui se passe ici,
lorsque Jésus apparut après sa mort à ses disciples, et
leur reprocha leur incrédulité (Mc 16), et qu'ayant apaisé
la mer agitée jusque dans ses profondeurs, il fit éclater aux
yeux de tous la puissance de sa divinité.
vv. 26-39.
S. CYR. Le Sauveur ayant traversé le lac, parvint au rivage opposé
: " Ils abordèrent ensuite au pays des Géraséniens,
qui est vis-à-vis de la Galilée. " - TITE DE BOST. Les manuscrits
les plus authentiques ne portent ni Géraséniens, ni Gadariens,
mais Gergéséniens. En effet, Gadara est une ville de Judée,
près de laquelle on ne trouve ni lac, ni mer ; Gérasa est une
ville d'Arabie, qui n'est elle-même voisine d'aucun lac, ni d'aucune mer.
Mais Gergésa, d'où vient le nom de Gergéséniens,
est une ville fort ancienne, située sur les bords du lac de Tibériade,
dans les environs de laquelle se trouve un rocher qui domine le lac dans lequel
les démons précipitèrent les pourceaux. Cependant comme
les villes de Gérasa et de Gadara touchent aux confins du pays des Gergéséniens,
il est vraisemblable que c'est de ces deux villes, que les pourceaux avaient
été amenés dans le pays des Gergéséniens.
- BEDE. Gérasa est une ville célèbre d'Arabie, qui échut
autrefois à la tribu de Manassé (cf. Nb 34, 14 ; Dt 3, 13 ; 19,
8 ; Jos 12, 6 ; 13, 29 ; 17, 6.8.11 ; 22, 9), située au delà du
Jourdain, près de la montagne de Galaad, non loin du lac de Tibériade,
dans lequel les pourceaux se précipitèrent.
S. CHRYS.
(hom. 29 sur S. Matth.) Lorsque le Sauveur fut descendu à terre, il fut
témoin d'un phénomène bien plus surprenant que la tempête
; un possédé du démon, comme un esclave en présence
de son maître, vient confesser sa dépendance et sa servitude :
" Lorsqu'il fut descendu à terre, il vint au devant de lui un homme,
" etc. - S. AUG. (de l'acc. des Evang.) Saint Matthieu rapporte qu'ils
étaient deux possédés ; saint Marc et saint Luc ne parlent
que d'un seul, il faut donc entendre que l'un d'eux était un homme plus
considérable et plus connu, dont tout le pays plaignait le triste sort,
et désirait vivement la guérison. C'est ce que veulent faire entendre
saint Marc et saint Luc en ne parlant que de celui des deux, dont l'état
et la guérison avait eu une immense notoriété dans toute
la contrée. - S. CHRYS. (hom. 29 sur S. Matth.) Ou bien, peut-être
saint Luc s'est-il attaché à celui des deux qui était le
plus furieux, et dont il fait un si triste tableau : " Il ne portait aucun
vêtement, et n'avait d'autre habitation que les sépulcres, "
etc. Or, les démons fréquentent les tombeaux des morts pour insinuer
plus facilement aux hommes cette pernicieuse doctrine, que les âmes des
morts deviennent des démons. - S. CYR. Il errait sans vêtements
dans les sépulcres des morts, preuve de la fureur des démons qui
le possédaient. Or, la providence de Dieu permet que quelques-uns soient
ainsi soumis au pouvoir des démons, pour nous faire considérer
ce qu'ils sont à notre égard, nous faire renoncer à leur
empire tyrannique, et par le triste spectacle d'un seul homme, victime de leur
méchanceté, donner à tous une leçon salutaire.
S. CHRYS. (Hom. 29.) Comme la multitude ne voyait dans Jésus qu'un homme,
les démons viennent publier hautement sa divinité que la mer elle-même
avait proclamée en calmant la fureur de ses flots soulevés : "
Aussitôt qu'il vit Jésus, il se prosterna devant lui et il s'écria,
" etc. - S. CYR. Considérez quel mélange à la fois
de crainte, d'audace et de désespoir extrêmes ; c'est le désespoir,
en effet, qui lui dicte ces paroles pleines d'audace : " Qu'y a-t-il entre
vous et moi, Jésus, Fils du Dieu très-haut ? et c'est sous l'impression
de la crainte qu'il lui fait cette prière : " Je vous en conjure,
ne me tourmentez pas. " Mais situ reconnais qu'il est le Fils du Dieu très-haut
! tu avoues donc qu'il est le Dieu du ciel et de la terre, et de tout ce qu'ils
renferment. Pourquoi donc oses-tu usurper ce qui n'est pas à toi, mais
n'appartient qu'à Dieu seul, en lui tenant ce langage : " Qu'y a-t-il
entre vous et moi ? " Quel est le prince de la terre qui laisserait impunément
les barbares attaquer les sujets de son empire : " Car Jésus commandait
à l'esprit impur de sortir de cet homme, " et l'Évangéliste
justifie l'urgence de ce commandement, en ajoutant : " Depuis longtemps,
en effet, il était sous sa puissance, " etc. - S. CHRYS. (hom. 99.)
Personne n'osait ni s'approcher de ce possédé, ni s'en rendre
maître, tandis que Jésus vient lui-même le trouver et lui
adresse la parole.
" Jésus
lui demanda : Quel est ton nom ? " - BEDE. Si Jésus lui demande
son nom, ce n'est pas qu'il l'ignore, mais pour que l'aveu public du mal terrible
auquel il est en proie, fasse ressortir avec plus d'éclat la toute-puissance
qui doit le guérir. C'est ainsi que les prêtres de notre temps
qui chassent les démons par la grâce des exorcismes, nous disent
qu'il n'y a pour les possédés d'autre moyen de guérison
que l'aveu sincère et public de tout ce que les esprits immondes leur
font souffrir durant le jour ou pendant leur sommeil, surtout lorsqu'ils paraissent
désirer ou qu'ils semblent accomplir avec eux l'oeuvre de la chair, c'est
pour cela que Jésus exige ici une espèce de confession : "
Le démon lui répondit : Je m'appelle Légion, " parce
qu'en effet, plusieurs démons étaient entrés dans cet homme.
S. GREG. DE NYSSE. (hom. sur les Cant.) C'est à l'exemple des milices
célestes et des légions des anges, que les démons s'appellent
légion, de même que le premier d'entre eux se vantait d'établir
son trône au-dessus des astres, pour devenir semblable au Très-Haut
(Is 25).
S. CHRYS. (hom. 29 sur S. Matth.) Le Seigneur était descendu sur la terre pour détruire l'empire du démon, qui jetait le trouble et le désordre parmi les créatures de Dieu ; les démons craignaient donc que le Sauveur n'attendît pas le temps marqué pour punir l'excès de leur malice, et comme ils ne pouvaient dissimuler leurs crimes, ils le supplient de retarder au moins leur châtiment : " Et ils le priaient de ne pas leur commander d'aller dans l'abîme. " - THEOPHYL. Les démons font cette demande, parce qu'ils veulent encore rester parmi les hommes. - S. CYR. Nous avons ici une preuve évidente, que les phalanges ennemies de la majesté divine étaient précipitées dans les enfers par la puissance ineffable du Sauveur. - S. MAX. Or, le Seigneur a établi pour chaque espèce de péché un châtiment correspondant : le feu de l'enfer pour punir les ardeurs coupables de la chair, le grincement de dents pour les rires lascifs, une soif intolérable pour la volupté et l'intempérance, le ver qui ne meurt pas pour le coeur dissimulé et méchant, les ténèbres éternelles pour l'ignorance et la fourberie, les profondeurs de l'abîme pour l'orgueil, et c'est pour cela que l'abîme est destiné aux démons qui sont des esprits d'orgueil.
" Or,
il y avait là un nombreux troupeau de porcs, " etc. - S. AUG. (de
l'accord des Evang., 2, 24.) Saint Marc dit que ce troupeau était autour
de la montagne, et saint Luc, qu'il paissait sur la montagne ; il n'y a ici
aucune contradiction. Ce troupeau était si nombreux, qu'une partie pouvait
être autour de la montagne, et l'autre partie se trouver sur la montagne,
puisqu'il y avait jusqu'à deux mille pourceaux, comme saint Marc le raconte
(Mc 5). - S. AMBr. Les démons ne peuvent supporter l'éclat de
la lumière céleste, de même que ceux qui ont les yeux malades
ne peuvent supporter les rayons du soleil. - S. CYR. C'est pour ce motif que
cette légion d'esprits immondes demande à être envoyée
dans un troupeau de pourceaux immondes, à cause de la conformité
de leurs instincts : " Et ils le prièrent de leur permettre d'y
entrer, et il le leur permit. " - S. ATHAN. (Vie de saint Ant.) Si les
démons n'ont point de pouvoir sur les pourceaux, à plus forte
raison n'en ont-ils aucun sur les hommes qui sont faits à l'image de
Dieu ; c'est donc Dieu seul qu'il faut craindre et n'avoir que du mépris
pour eux. - S. CYR. Notre-Seigneur leur accorda cette permission, afin que cet
événement devînt pour nous une cause de salut et un motif
d'espérance ou de confiance. - SUITE. " Et il le leur permit. "
Considérez combien la méchanceté des démons est
grande, et le mal qu'ils font à ceux qui sont soumis à leur empire
en les voyant précipiter et noyer dans la mer ce troupeau de pourceaux
: " Sortant donc de cet homme, les démons entrèrent dans
les pourceaux ; et le troupeau prenant sa course, se précipita dans le
lac par un endroit escarpé et s'y noya. " Jésus-Christ accéda
à leur demande, pour faire ressortir toute leur cruauté. Il fallut
aussi montrer que le Fils de Dieu avait le gouvernement de toutes choses, aussi
bien que le Père, et qu'il possédait une même gloire et
une puissance égale.
TITE DE BOSTR. Cependant les gardiens prennent la fuite dans la crainte de périr
avec leurs pourceaux : " Ce qu'ayant vu, les gardiens s'enfuirent, et en
portèrent la nouvelle dans la ville et dans les villages, " semant
dans l'âme de leurs habitants la crainte et l'effroi, par le récit
de cet événement. La perte qu'ils viennent d'essuyer les fait
venir trouver le Sauveur : " Plusieurs sortirent pour voir ce qui était
arrivé, et ils vinrent à Jésus. " Voyez comme en châtiant
les hommes dans leurs biens temporels, Dieu se rend le bienfaiteur de leurs
âmes. Lorsqu'ils furent arrivés, ils trouvèrent parfaitement
guéri celui que le démon ne laissait pas un seul moment en repos
: " Et ils trouvèrent assis à ses pieds l'homme de qui les
démons étaient sortis, vêtu et sain d'esprit, lui qui, jusque-là,
était toujours sans vêtement, car cet homme ne quittait pas les
pieds de celui à qui il devait sa guérison. A la vue de cette
guérison miraculeuse, ils furent saisis d'admiration et d'étonnement
: " Et ils furent remplis de crainte, " ajoute l'Évangéliste,
tant parce qu'ils virent de leurs yeux que parce qui leur était raconté
: " Et ceux qui avaient vu, leur racontèrent comment il avait été
délivré de la légion. " Leur premier sentiment devait
être de supplier le Seigneur de ne point s'éloigner, mais de garder
leur pays contre les nouvelles attaques du démon, mais non, la crainte
leur fait sacrifier leur propre salut, et ils prient le Sauveur de s'éloigner
d'eux.
" Alors tous les habitants du pays de Gérasa le prièrent
de s'éloigner d'eux, parce qu'ils étaient saisis d'une grande
frayeur. " - THEOPHYL. Ils craignaient d'être encore exposés
à de nouveaux dommages, comme celui qu'ils venaient de souffrir par la
perte des pourceaux. - S. CHRYS. (hom. 29 sur S. Matth.) Admirez la mansuétude
de Jésus-Christ, après de si grands bienfaits, on le renvoie,
il ne résiste point, il se retire et abandonne ceux qui se déclarent
ainsi indignes de recevoir sa doctrine.
" Il monta donc dans la barque pour s'en retourner. " - TITE DE BOSTR.
(sur S. Matth) Le Sauveur s'éloigne, mais celui qu'il venait de délivrer
ne veut pas le quitter : " Et l'homme de qui les démons étaient
sortis, le priait de l'admettre à sa suite. " - THEOPHYL. Une triste
expérience lui faisait craindre de retomber au pouvoir des démons,
s'il s'éloignait de Jésus. Mais Notre-Seigneur lui fait comprendre
que, sans demeurer avec lui, il pouvait le protéger par sa puissance
: " Jésus le renvoya, en disant : Retournez en votre maison, et
racontez les grandes choses que Dieu a faites pour vous. " Il ne dit point
: Que j'ai faites pour vous, et il nous donne en cela cet exemple d'humilité,
de rapporter à Dieu tout le mérite de nos bonnes actions. - TITE
DE BOSTR, (sur S. Matth.) Il ne se met pas toutefois en contradiction avec la
vérité en parlant de la sorte, car tout ce que fait le Fils, le
Père le fait avec lui. Mais pourquoi Jésus qui, toujours défendait
à ceux qu'il guérissait de leurs infirmités, d'en parler
à personne, dit à cet homme qu'il venait de délivrer d'une
légion de démons : " Racontez les grandes choses que Dieu
a faites pour vous ? " Parce que ce peuple était plongé dans
l'ignorance de Dieu et livré tout entier au culte des démons ;
ou bien, si l'on veut une explication plus vraie, lorsqu'il rapporte un miracle
à son Père, il commande de le publier ; lorsqu'il s'agit personnellement
de lui-même, il défend d'en parler à qui que ce soit. Mais
cet homme qu'il venait d'arracher à la tyrannie des démons, savait
que Jésus était Dieu, c'est pourquoi il s'empresse de publier
la grâce extraordinaire qui venait de lui être faite : " Et
il s'en alla, publiant par toute la ville les grandes choses que Jésus
lui avait faites. " - S. CHRYS. (hom. 29 sur S. Matth.) C'est ainsi que
Notre-Seigneur abandonne ceux qui se sont déclarés indignes de
ses divins enseignements, en leur laissant pour maître celui qu'il venait
de délivrer de la servitude des démons.
BEDE. Dans le sens mystique, Gérasa représente les Gentils, que le Seigneur a visités par ses prédicateurs, après sa mort et sa résurrection. En effet, Gérasa, ou Gergésa (comme lisent plusieurs), signifie, qui chasse l'habitant, c'est-à-dire, le démon qui l'habitait auparavant, ou encore, arrivée de l'étranger, qui s'en trouvait éloigné.
S. AMBR. Le nombre de ceux qui furent guéris dans cette circonstance par Jésus-Christ, est différent dans saint Luc et dans saint Matthieu, mais le sens mystérieux de ce miracle est le même, car cet homme qui était possédé est, dans saint Luc, la figure du peuple des Gentils, comme les deux possédés dont parle saint Matthieu, le sont également. En effet, Noé ayant eu trois fils, Sem, Cham et Japhet, la postérité de Sem eut seul le privilège d'être le peuple de Dieu, et les deux autres furent la. souche de tous les autres peuples. Cet homme était depuis longtemps, possédé du démon, parce que depuis le déluge, ces peuples étaient sous la domination de l'esprit mauvais. Il était, nu, c'est-à-dire, qu'il avait perdu les vertus qui servaient de vêtement et à la fois d'ornement à sa nature. - S AUG. (Quest. évang., 1, 14.) Il n'habitait point de maison, c'est-à-dire, qu'il ne se reposait pas dans sa conscience ; il demeurait dans les tombeaux, parce qu'il se plaisait dans les oeuvres mortes, c'est-à-dire, dans les péchés. - S. AMBR. Ou bien encore, que sont les corps des infidèles, sinon des espèces de tombeaux dans lesquels la parole de Dieu ne peut habiter ?
S. AUG. (Quest. évang., 2, 13.) Les entraves et les chaînes de fer qui liaient ses membres, représentent les lois sévères et accablantes qui réprimaient les crimes dans les gouvernements des infidèles. Cet homme ayant brisé ses chaînes, était entraîné par le démon dans le désert, c'est-à-dire que, lorsqu'on a transgressé ces lois, la passion conduit à des forfaits qui dépassent la mesure des crimes ordinaires. Il était possédé d'une légion de démons, et figurait les nations esclaves elles-mêmes d'une multitude de démons. Le Sauveur permet à ces esprits mauvais d'entrer dans des pourceaux qui paissaient sur les montagnes, et qui sont la figure de ces hommes à la fois immondes et superbes que le culte impur des idoles place sous la tyrannie des démons. - S. AMBR. Les pourceaux sont ces hommes qui, semblables à ces animaux immondes, et privés de la parole et de la raison, souillent l'éclat et la beauté des vertus naturelles par l'infamie de leurs moeurs. - S. AUG. (Quest. évang.) Ils sont précipités dans la mer, c'est-à-dire, que lorsque l'Église est enfin glorifiée et le peuple des Gentils délivré de la domination des démons, ceux qui n'ont pas voulu croire à Jésus-Christ, précipités dans les abîmes par leur curiosité aveugle et démesurée, sont condamnés à célébrer dans des retraites cachées leurs rites sacrilèges.
S. AMBR. Les pourceaux sont précipités avec impétuosité dans la mer, parce que ces hommes ne sont retenus par la considération d'aucune vertu, mais sont entraînés dans la profondeur des abîmes sur le penchant rapide de la corruption, et vont perdre la respiration et la vie au milieu des flots de ce monde. Il est impossible, en effet, à ceux qui sont le jouet des flots agités de la volupté, de pouvoir conserver la respiration et la vie de l'âme. Nous voyons par là que l'homme est lui-même l'auteur de son malheur, car s'il ne vivait pas de la vie des animaux immondes, jamais le démon n'eût reçu de pouvoir sur lui, ou bien ce n'eût été que pour l'éprouver et non pour le perdre. On peut dire aussi que le démon, dans l'impuissance où il est de s'attaquer aux bons depuis la venue du Sauveur, ne cherche plus à perdre tous les hommes, mais seulement les âmes légères et inconstantes, de même qu'un voleur n'attaque pas ceux qui sont armés, mais ceux qu'il voit sans défense. Les gardiens des troupeaux, témoins de cet événement, s'enfuirent. En effet, ce ne sont ni les maîtres de la philosophie, ni les chefs de la synagogue, qui peuvent donner des remèdes efficaces aux peuples atteints de maladies mortelles, Jésus-Christ est le seul qui peut les délivrer de leurs péchés. - S. AUG. (Quest. évang., 2, 14.) Ou bien encore, ces gardiens de pourceaux qui s'enfuirent, représentent les chefs des impies qui ne veulent point observer la loi chrétienne, mais qui, néanmoins, sont remplis d'admiration pour elle, et ne peuvent s'empêcher de publier parmi les infidèles son étonnante puissance. Les Géraséniens qui, en apprenant ce qui s'est passé, prient Jésus de s'éloigner, figurent cette multitude d'hommes qui, séduits et retenus par les plaisirs dans lesquels s'est écoulée toute leur vie, honorent la religion chrétienne, mais ne veulent point embrasser ses prescriptions, sous le prétexte qu'ils ne pourraient les accomplir ; ils ne laissent pas toutefois d'admirer le peuple fidèle qu'ils voient guéri de l'état désespéré où ses crimes l'avaient réduit. - S. AMBR. Ou bien encore, la ville des Géraséniens est la figure de la synagogue, ses habitants supplient le Seigneur de s'éloigner, parce qu'ils sont saisis d'épouvante, car l'âme qui est encore faible n'est point capable d'entendre la parole de Dieu, et ne peut supporter le poids de la sagesse. Aussi le Sauveur ne vent point leur être plus longtemps importun, il quitte ces lieux peu élevés pour gagner les hauteurs, c'est-à-dire, qu'il se rend de la synagogue à l'Église. Il traverse de nouveau le lac, car personne ne peut passer de l'Église à la synagogue, sans danger pour son salut. Pour celui qui veut accomplir ce passage, qu'il porte sa croix s'il veut éviter tout danger. - S. AUG. (Quest. évang.) Cet homme que Jésus vient de guérir, veut rester avec lui, et le Sauveur s'y oppose " Retournez en votre maison, lui dit-il, et racontez les grandes choses que Dieu a faites pour vous. Apprenons de là, qu'après avoir obtenu la rémission de nos péchés, nous devons rentrer dans notre bonne conscience comme dans une demeure assurée, et chercher à étendre l'Évangile pour le salut des autres, si nous voulons un jour nous reposer avec Jésus-Christ ; car en désirant être réuni à Jésus-Christ avant le temps marqué, on s'expose à négliger le ministère de la prédication, qui a pour objet le salut de nos frères.
vv. 43-48.
S. AUG. (de l'accord des Evang., 2, 28.) Après avoir raconté le
miracle opéré chez les Géraséniens, l'Évangéliste
passe à la résurrection de la fille du chef de la synagogue :
" Jésus étant revenu, le peuple le reçut avec joie,
parce qu'il était attendu de tous. " - THEOPHYL. Ils l'attendaient
pour entendre sa doctrine et pour être témoins de ses miracles.
- S. AUG. (de l'acc. des Evang.) Le fait que salut Luc rapporte en cet endroit
: " Un homme, appelé Jaïre, " etc., n'arriva point aussitôt
après celui qu'il vient de raconter. Il faut placer auparavant le repas
des publicains dont parle saint Matthieu, et auquel il fait succéder
si étroitement (Mt 9, 18) ce miracle de la résurrection de la
fille de Jaïre, qu'aucun autre ne peut être placé entre les
deux. - TITE DE BOST. L'Évangéliste donne le nom de ce chef de
la synagogue, à cause des Juifs qui connurent alors cet événement,
et pour rendre plus évidente la preuve du miracle. Ce n'est point un
des derniers du peuple, mais un chef de synagogue qui vient trouver Jésus
pour mieux confondre les Juifs et leur ôter toute excuse : " Il était
chef de la synagogue. " Il vint trouver Jésus, parce qu'il y était
comme forcé par la nécessité ; car quelquefois c'est la
douleur qui nous porte au bien, selon cette parole du Psalmiste : " Resserrez
avec le mors et le frein la bouche de ceux qui ne veulent point s'approcher
de vous. " - THEOPHYL. Il vient donc, sous l'impulsion de la douleur qu'il
éprouve, se jeter aux pieds de Jésus. Il aurait dû, sans
y être contraint par la nécessité, se prosterner à
ses pieds, et reconnaître sa divinité. - S. CHRYS. (hom. 32 sur
S. Matth., et TITE DE BOST.) Voyez quelle est encore son ignorance, il demande
à Jésus-Christ de venir chez lui : " Il le suppliait de venir
dans sa maison, " c'est-à-dire qu'il ignorait que Jésus pût
guérir sa fille sans être extérieurement présent
; car s'il l'avait su, il eût dit à Jésus comme le centurion
: " Dites seulement une parole, et ma fille sera guérie. "
(Mt 8.) - ASTERIUS. (Ch. des Pèr. gr.) L'Évangéliste nous
fait connaître la cause de sa démarche : " Il avait une fille
unique, l'espérance de sa maison et de la perpétuité de
sa race ; elle avait environ douze ans, c'est-à-dire à la fleur
de l'âge ; elle se mourait, et au lieu du lit nuptial, elle allait être
portée au tombeau. " - S. CHRYS. (Ch. des Pèr. gr.) Or, le
Seigneur n'était pas venu sur la terre pour juger le monde, mais pour
le sauver, il n'a donc point égard à la dignité de celui
qui l'implore, mais il poursuit tranquillement son oeuvre, sachant bien qu'il
allait opérer un miracle plus grand que celui qu'on lui demandait. En
effet, on l'appelait pour guérir une jeune fille malade, mais il savait
qu'il allait la ressusciter après sa mort, et inspirer ainsi aux hommes
l'espérance certaine de la résurrection.
S. AMBR. Avant de ressusciter cette jeune fille, il guérit l'hémorroïsse
pour exciter la foi du chef de la synagogue ; c'est ainsi que nous célébrons
la résurrection temporelle dans la passion du Sauveur, pour affermir
notre foi à la résurrection éternelle : " Comme Jésus
s'en allait aveu lui, et qu'il était pressé par la foule. "
- S. CYR. Preuve évidente qu'il avait pris une chair véritable,
et qu'il foulait aux pieds tout sentiment d'orgueil ; car la foule ne le suivait
pas à distance, mais l'entourait et le pressait.
ASTERIUS. Or, une femme atteinte d'une grave maladie, dont l'infirmité
avait épuisé les forces corporelles, et les médecins la
fortune, n'a plus d'autre espérance dans une si grande extrémité,
que devenir se jeter aux pieds du Seigneur : " Et une femme malade d'une
perte de sang depuis douze ans, " etc. - TITE DE BOST. (sur S. Matth.)
Quels éloges ne méritent pas, cette femme qui, dans l'épuisement
de ses forces, causé par cette perte continuelle de sang, au milieu de
tout ce peuple qui s'empresse autour du Seigneur, soutenue par sa foi et par
le désir d'être guérie, traverse la foule, et, se dérobant
aux regards du Sauveur, se tient derrière lui, et touche la frange de
son vêtement (cf. Nb 15, 38)
" Et elle toucha la frange de son vêtement. " - S. CYR. Car
il était défendu à ceux qui étaient souillés
de quelque impureté, de toucher ceux qui étaient purs, ou de s'approcher
de ceux que la loi réputait pour saints. - S. CHRYS. (hom. 32 sur S.
Matth.) D'après la loi, cette maladie était regardée comme
une des plus grandes souillures. (Lv 15.) D'ailleurs cette femme n'avait pas
encore une bien juste idée du Sauveur, puisqu'elle espérait pouvoir
lui cacher cette démarche ; cependant elle s'approche de lui dans la
ferme espérance d'être guérie.
THEOPHYL.
Celui qui approche l'oeil d'une vive lumière, en ressent aussitôt
les effets ; les épines s'embrasent au premier contact du feu ; ainsi,
quiconque s'approche avec foi de celui qui peut le guérir, obtient aussitôt
sa guérison : " Et aussitôt sa perte de sang s'arrêta.
" Ce ne furent pas les seuls vêtements du Sauveur qui produisirent
ce merveilleux effet (car les soldats les tirèrent au sort entre eux,
sans éprouver rien de semblable) (cf. Mt 27, 35 ; Mc 15, 34 ; Jn 19,
23 et 24), mais elle fut guérie par la vivacité de sa foi. - THEOPHYL.
Elle crut, et aussitôt elle fut guérie, et elle suivit ici un ordre
vraiment admirable en ne touchant extérieurement le Sauveur qu'après
l'avoir touché spirituellement par la foi.
ASTERIUS. Or, Notre-Seigneur entendit les pensées de cette femme, toute
muettes qu'elles étaient, et il guérit sans proférer une
seule parole celle qui le priait en silence, en lui laissant pour ainsi dire
dérober sa guérison, mais il publie ensuite ce miracle : "
Et Jésus dit : Qui m'a touché ? " - S. CYR. Le Seigneur ne
pouvait ignorer le miracle qu'il venait d'opérer, mais bien qu'il connaisse
toutes choses, il interroge comme s'il ne savait rien. - S. GREG. (ou Victor
d'Antioche.) Or, les disciples ne comprenant pas la vraie signification de cette
question, et pensant que Jésus voulait parler d'un simple attouchement
ordinaire, lui répondent dans ce dernier sens : " Tous s'en défendant,
Pierre dit : La foule vous presse de toutes parts, et vous dites : Qui m'a touché
? " etc. Aussi Notre-Seigneur, dans sa réponse, précise la
nature de cet attouchement : " Jésus dit : Quelqu'un m'a touché.
" C'est dans ce même sens qu'il disait : " Que celui qui a des
oreilles pour entendre, qu'il entende, " quoique tous aient les oreilles
du corps, parce que ce n'est pas entendre véritablement, que d'entendre
sans attention ; de même qu'on ne touche véritablement, que lorsqu'on
est inspiré par la foi. - S. CYR. Le Sauveur fait connaître ce
qui vient d'arriver : " Car j'ai senti qu'une vertu était sortie
de moi. " En parlant de la sorte, il se conforme aux idées de ceux
qui l'écoutent, mais il leur découvre en même temps sa divinité,
tant par le miracle qu'il vient d'opérer, que par ses paroles ; car ni
la nature humaine, ni peut-être la nature angélique ne peuvent
produire d'elles-mêmes une vertu, une puissance semblable, c'est un privilège
qui n'appartient qu'à la nature divine ; nulle créature, en effet,
ne possède en propre la puissance de guérir les maladies ou d'opérer
tout autre miracle de ce genre, elle ne peut la recevoir que de Dieu. Or, ce
n'est point par un vain désir de gloire qu'il voulut que cet acte de
la puissance divine fût connu de tous, lui qui si souvent avait défendu
de publier ses miracles, mais dans l'intérêt de ceux qui sont appelés
à la grâce de la justification par la foi. - S. CHRYS. (hom. 36
sur S. Matth.) Il commence par calmer la crainte de cette femme, dont la conscience
alarmée aurait pu lui reprocher d'avoir comme dérobé la
grâce de sa guérison ; troisièmement, il fait l'éloge
de sa foi devant tous ceux qui sont présents, et la propose à
leur imitation ; et en faisant voir que toutes choses lui sont connues, il ne
fait pas un moindre miracle que celui de la guérison de cette femme.
- S. CYR. Par là enfin, il amenait le chef de la synagogue à croire,
sans hésiter, qu'il délivrerait sa fille des liens de la mort.
S. CHRYS. Notre-Seigneur ne fit pas connaître immédiatement cette
femme, il voulait, en montrant que rien ne lui est caché, la déterminer
à publier ce qui venait d'arriver et qu'il ne pût exister aucun
doute sur la vérité du miracle : " Cette femme, se voyant
découverte, vint toute tremblante, " etc. - ORIG. Le Sauveur confirme
alors, par ses paroles, la guérison qu'elle a obtenue en touchant ses
vêtements : " Et Jésus lui dit : Ma fille, votre foi vous
a guérie, allez en paix, " c'est-à-dire soyez délivrée
de l'épreuve qui vous affligeait. Il ne guérit donc le corps qu'après
avoir guéri l'âme par la foi. - TITE DE BOST. Il l'appelle sa fille,
parce que sa foi a été la cause de sa guérison, et que
la foi nous obtient aussi la grâce de l'adoption.
EUSEBE. (hist. ecclés., 7, 14.) On rapporte que cette femme fit ériger
dans la ville de Panéade (Césarée de Philippe), d'où
elle était originaire, un monument remarquable, en souvenir du bienfait
qu'elle avait reçu du Sauveur. On voyait à l'entrée de
la porte de sa demeure, sur un piédestal élevé, une statue
d'airain, représentant une femme à genoux, les mains jointes,
dans l'attitude de la prière ; de l'autre côté se dressait
une autre statue de même matière, représentant un homme
vêtu d'un manteau, la main étendue vers cette femme ; à
ses pieds, sur la base, on voyait une plante exotique, qui montais jusqu'au
bord du manteau d'airain, et à laquelle on attribuait la propriété
de guérir toutes les douleurs. Cette statue, disait-on, représentait
Jésus-Christ, et l'empereur Maximin la fit détruire.
S. AMBR.
Dans un sens mystique, Jésus-Christ avait quitté la synagogue
en s'éloignant des Géraséniens, et nous qui sommes étrangers,
nous recevons celui que les siens n'ont pas voulu recevoir. - BEDE. Ou encore,
le Seigneur reviendra trouver les Juifs à la fin des temps, et ils le
recevront en s'empressant d'embrasser la foi. - S. AMBR. Mais que représente
ce chef de la synagogue, sinon la loi, en considération de laquelle le
Seigneur n'a pas entièrement abandonné la synagogue ? - BEDE.
Ou bien ce prince de la synagogue, c'est Moïse. Il porte avec raison le
nom de Jaïre (c'est-à-dire qui éclaire ou qui est éclairé),
parce que celui qui reçoit les paroles de vie pour nous les communiquer,
éclaire les autres, et est éclairé lui-même par l'Esprit-Saint.
Le chef de la synagogue se prosterne aux pieds de Jésus, parce que le
législateur des Juifs, et toute la succession des patriarches reconnurent
que le Christ fait homme leur était de beaucoup supérieur. Car
si Dieu est la tête du Christ (1 Co 11), il est juste de voir dans ses
pieds son incarnation par laquelle il a touché la terre de notre mortalité.
Il prie Jésus d'entrer dans sa maison, parce qu'il désirait voir
son avènement. Sa fille unique, c'est la synagogue, qui seule est établie
en vertu d'une institution légale ; elle allait mourir, âgée
seulement de douze ans (c'est-à-dire aux approches de sa puberté),
parce qu'en effet, après avoir reçu des prophètes une éducation
distinguée, elle devait, une fois parvenue à l'âge du discernement,
produire pour Dieu des fruits spirituels ; mais la multiplicité de ses
erreurs l'ayant fait tomber en langueur, elle ne put entrer dans les voies de
la vie spirituelle, et si Jésus-Christ ne fût venu à son
secours, elle eût succombé à une mort certaine. Tandis que
le Seigneur se dirige vers la maison de la jeune fille qu'il va guérir,
il est pressé par la foule, parce qu'en effet, il est comme accablé
par les moeurs de ceux qui mènent une vie charnelle, alors qu'il annonce
aux Juifs les enseignements du salut. - S. AMBR. Mais tandis que le Verbe de
Dieu se rend chez cette fille du chef de la synagogue pour sauver les enfants
d'Israël, la sainte Église, composée des Gentils, et qui
allait périr victime de ses désordres et de ses crimes, dérobe
par la foi la grâce de la guérison qui était réservée
à d'autres. - BEDE. Cette perte de sang peut s'entendre de deux manières,
et de la prostitution de l'idolâtrie, et des honteuses jouissances de
la chair et du sang. - S. AMBR. Mais que signifient cette fille du chef de la
synagogue, qui meurt à l'âge de douze ans, et cette femme qui souffrait
depuis douze ans d'une perte de sang, sinon que l'Église a été
dans le travail et la souffrance, tant que la synagogue a existé ? -
BEDE. Car ce fut presque dans le même siècle que la synagogue prit
naissance dans la personne des patriarches, et que les Gentils se souillèrent
par les pratiques d'un culte idolâtrique.
S. AMBR. Cette femme avait épuisé toute sa fortune pour se faire
traiter par les médecins ; ainsi le peuple des Gentils avait perdu tous
les dons de la nature. - BEDE. Ces médecins représentent ou les
faux théologiens, ou les philosophes, et les docteurs des lois humaines,
qui font de longues dissertations sur les vertus et sur les vices, et promettent
aux hommes de leur donner des règles utiles pour les diriger dans la
conduite de la vie. Ou bien encore, ces médecins sont les esprits immondes
qui, sous le voile d'un intérêt hypocrite, se faisaient adorer
par les hommes à la place de Dieu. Or, plus la gentilité avait
dépensé de facultés naturelles pour écouter tous
ces docteurs, et plus il était difficile de la purifier des souillures
de ses crimes. - S. AMBR. Mais dès que la gentilité apprit que
le peuple juif était lui-même malade, elle conçut l'espoir
de sa guérison, elle reconnut que le temps était arrivé
où un divin médecin devait descendre du ciel, elle se leva pour
aller à sa rencontre, puisant un saint empressement dans sa foi, mais
retenue par sa timidité naturelle ; car c'est le propre de la pudeur
et de la foi de reconnaître son infirmité, sans désespérer
du pardon. Elle touche le bord du vêtement du Sauveur honteuse et craintive,
elle s'approche avec confiance, elle croit d'une foi religieuse et sincère,
et reconnaît sagement qu'elle a obtenu sa guérison. Ainsi le peuple
des Gentils qui a cru au vrai Dieu, a rougi des crimes auxquels il voulait renoncer,
a embrassé la foi qu'il devait professer, fait preuve de piété
dans ses prières, de sagesse, en reconnaissant sa guérison, de
confiance, en avouant qu'il avait comme soustrait la grâce qui était
destinée à d'autres. Cette femme s'approche de Jésus par
derrière, pour toucher son vêtement, parce qu'il est écrit
: " Vous marcherez après le Seigneur votre Dieu. " (Dt 13.)
- BEDE. Et Jésus-Christ lui-même a dit : " Si quelqu'un veut
être mon serviteur, qu'il me suive. " (Jn 13.) Ou bien encore, parce
que celui qui ne voit point le Seigneur dans sa chair mortelle, après
l'accomplissement et la consommation des mystères de sa vie temporelle,
marche cependant sur ses traces par la foi.
S. GRÉG. (Mor., 3, 11.) Tandis que la foule presse de tous côtés
le Rédempteur, une seule femme le touche véritablement, parce
que dans l'Église, tous ceux qui suivent les penchants de la chair pressent
le Sauveur, dont ils sont cependant bien éloignés, et ceux-là
seuls le touchent, qui lui sont véritablement unis par l'humilité.
Ainsi la foule le presse sans le toucher, parce qu'elle est importune par sa
présence, et absente par sa vie. - BEDE. Ou bien encore, il n'y a qu'une
seule femme pour toucher le Seigneur avec foi, parce qu'on ne peut chercher
avec foi que par le coeur de l'Église catholique celui qui est affligé
par le désordre des diverses hérésies. - S. AMBR. Ceux
qui le pressent, ne croient point en lui, ceux-là seuls ont la foi, qui
le touchent ; c'est par la foi que l'on touche Jésus-Christ, c'est par
la foi qu'on le voit. Enfin, pour manifester la foi de cette femme qui le touche,
il dit : " J'ai senti qu'une vertu était sortie de moi, " preuve
évidente que la divinité n'est pas renfermée dans les bornes
étroites de la nature humaine, et dans la prison du corps, mais que sa
puissance éternelle déborde au delà des limites de notre
faible nature. Ce n'est pas, en effet, par un acte de la puissance humaine,
que le peuple des Gentils est délivré, c'est la grâce de
Dieu qui réunit toutes les nations qui, par une foi encore imparfaite,
inclinent vers elle la miséricorde éternelle. En effet, si nous
considérons d'un côté l'étendue de notre foi ; de
l'autre la grandeur du Fils de Dieu, nous verrons qu'en comparaison de cette
grandeur divine, nous touchons seulement le bord de son vêtement, sans
que nous puissions en atteindre le haut. Si donc nous voulons obtenir notre
guérison, touchons par la foi le bord du vêtement de Jésus-Christ,
personne ne peut le toucher sans qu'il le sache. Heureux celui qui touchera
la moindre partie du Verbe, car qui peut le comprendre tout entier ?
vv. 49-56.
S. CHRYS. (hom. 32 sur S. Matth.) C'est par un dessein providentiel que Notre-Seigneur
attendait que cette jeune fille fût morte, afin de rendre plus éclatant
le miracle de sa résurrection ; c'est dans cette intention qu'il marche
lentement, qu'il prolonge son entretien avec cette femme, jusqu'à ce
que la fille du chef de la synagogue expirât, et que la nouvelle lui en
fût apportée : " Comme il parlait encore, quelqu'un vint dire
au chef de la synagogue : Votre fille est morte, " etc. - S. AUG. (de l'acc.
des Evang., 2, 28.) Que saint Matthieu raconte que le chef de la synagogue annonce
au Seigneur, non que sa fille allait mourir, mais qu'elle était morte,
tandis que saint Luc et saint Marc rapportent qu'elle n'était pas encore
morte, tellement qu'ils ajoutent qu'on vint ensuite annoncer sa mort, il n'y
a ici aucune contradiction. Saint Matthieu, pour abréger, a voulu dire
tout d'abord, que le Seigneur fut prié de faire ce qu'il fit en réalité,
c'est-à-dire, de ressusciter cette jeune fille qui était morte
; il a donc moins égard aux paroles du père, qu'à son désir
et à sa volonté, ce qui est beaucoup plus important, sans doute.
Si les deux autres Évangélistes, ou l'un d'eux seulement avait
mis dans la bouche du père le langage de ceux qui vinrent de chez lui,
c'est-à-dire, qu'il ne fallait pas davantage tourmenter Jésus,
parce que la jeune fille était morte ; les paroles que lui prête
saint Matthieu, seraient en opposition avec sa pensée, mais on ne lit
nullement que le père se soit joint aux envoyés pour empêcher
le divin Maître de venir. Aussi Notre-Seigneur, sans lui reprocher son
manque de confiance, affermit au contraire sa foi et la rend inébranlable
: " Jésus, ayant entendu cette parole, dit au père de la
jeune fille : Croyez seulement et elle sera sauvée. " - S. ATHAN.
(disc. sur la pass. et la croix du Seigneur.) Le Seigneur exige la foi de ceux
qui l'invoquent, non qu'il ait besoin du secours d'autrui (puisqu'il est le
maître et le distributeur de la foi), mais pour ne point paraître
faire acception de personne dans la distribution de ses dons. Il montre ainsi
qu'il n'accorde ses grâces qu'à ceux qui croient, parce qu'il ne
veut pas que ses bienfaits tombent dans une âme dépourvue de foi,
qui les laissera bientôt perdre par son infidélité, Il veut
au contraire que la grâce de ses bienfaits persévère, et
que la guérison qu'il accorde soit constante et durable.
THEOPHYL. Avant de ressusciter cette jeune fille qui était morte, il
fit sortir tout le monde, pour nous apprendre à fuir toute vaine gloire
et à ne rien faire par ostentation Ainsi, lorsque Dieu donne à
quelqu'un la grâce de faire des miracles, il ne doit point rester dans
la foule, mais rechercher la solitude et se séparer du monde : "
Etant arrivé à la maison, il ne permit à personne d'entrer
avec lui, si ce n'est à Pierre, à Jacques et à Jean. "
Il ne laisse entrer que les premiers de ses disciples, comme plus capables de
tenir secret ce miracle, car il ne voulait pas qu'il fût divulgué
avant les temps marqué, peut-être à cause de l'envie que
lui portaient les Juifs. Ainsi, lorsque nous sommes pour un de nos frères
un objet d'envie, gardons-nous de lui faire connaître nos bonnes oeuvres,
pour ne pas donner à sa jalousie une nouvelle pâture. - S. CHRYS.
(hom. 32 sur S. Matth.) Il ne prit point avec lui les autres disciples, pour
stimuler leurs désirs, et aussi parce que leurs dispositions n'étaient
pas assez parfaites. Il choisit Pierre et les fils de Zébédée,
pour exciter les autres à les imiter. Il prend aussi comme témoins
les parents de la jeune fille, afin que personne ne pût s'inscrire en
faux contre les preuves de cette résurrection. Remarquez encore qu'il
fit retirer tous ceux qui pleuraient, et qu'il juge indignes de voir ce miracle
: " Or, tous pleuraient et se lamentaient sur elle. " Si le Sauveur
bannit alors les pleurs et les larmes, à plus forte raison, devons-nous
maintenant imiter cet exemple ? Car on ne comprenait pas aussi clairement alors
que la mort ne fût qu'un sommeil pour le chrétien. Que personne
donc ne s'abandonne à une douleur exagérée, et ne fasse
ainsi injure à la victoire que Jésus-Christ a remportée
sur la mort, qui n'est plus maintenant qu'un simple sommeil, comme Notre-Seigneur
l'établit, en ajoutant : " Ne pleurez pas, elle n'est, pas morte,
mais elle dort. " Il montre ainsi que toutes choses lui sont faciles, et
qu'il peut aussi facilement la rappeler à la vie que la réveiller
de son sommeil : " Et ils se moquaient de lui, sachant bien qu'elle était
morte. " Le Sauveur ne leur fait aucun reproche, il n'arrête pas
leurs dérisions qui seront une preuve évidente de la mort de cette
jeune fille. Comme la plupart du temps, les hommes, malgré les miracles
dont ils sont témoins, persévèrent dans leur incrédulité,
il veut les convaincre d'avance par leurs propres paroles, et pour les disposer
à croire à la résurrection par le spectacle qu'ils avaient
sous les yeux, il prend la main de la jeune fille : " Alors prenant sa
main, il dit à haute voix : Jeune fille, levez-vous. " Et dès
qu'il eut pris sa main, elle fut ressuscitée : " Et son âme
revint dans son corps, et elle se leva à l'instant. " En effet,
le Sauveur ne lui donne pas une âme différente de la sienne, mais
il lui rend la même qu'elle avait perdue avec le dernier soupir. Non seulement
il ressuscite cette jeune fille, mais il veut qu'on lui donne à manger
: " Et Jésus commanda de lui donner à manger, " preuve
évidente que cette résurrection n'était pas imaginaire.
Et il ne veut pas lui donner à manger lui-même, il la fait servir
par d'autres ; il agit de même dans la résurrection de Lazare,
il dit à ses disciples : " Déliez-le, " et l'admet ensuite
à sa table.
SEVERE D'ANTIOCHE. Les parents de cette jeune fille sont plongés dans la stupeur et prêts à pousser des exclamations d'étonnement et de joie ; Jésus les contient : " Son père et sa mère étaient hors d'eux-mêmes d'étonnement, et il leur commanda de ne dire à personne ce qui était arrivé. " Il montre ainsi qu'il est l'auteur et la source de tous les biens, qu'il les répand sans aucune recherche personnelle, et qu'il donne tout sans rien recevoir. Celui, au contraire, qui poursuit avec empressement la vaine gloire dans ses bonnes oeuvres, donne, il est vrai d'un côté, mais pour recevoir de l'autre.
BEDE. Dans
le sens mystique, à peine cette femme malade d'une perte de sang, est-elle
guérie, qu'on vient annoncer à Jésus la mort de la fille
du chef de la synagogue. C'est qu'en effet, lorsque l'Église fut purifiée
des souillures de ses vices, la synagogue expira aussitôt victime de son
infidélité et de sa noire envie ; de son infidélité
parce qu'elle refuse de croire en Jésus-Christ, de jalousie, parce qu'elle
s'attrista de voir l'Église embrasser la foi.
S. AMBR. Les serviteurs du prince de la synagogue eux-mêmes ne pouvaient
croire encore à la résurrection que Jésus-Christ avait
prédite dans la loi (Ps 15), et qu'il accomplit plus tard sous le règne
de l'Évangile, et ils disent au père de la jeune fille : "
Ne le tourmentez pas davantage, " comme s'il lui était impossible
de rappeler cette jeune fille à la vie. - BEDE. C'est le même langage
que tiennent encore aujourd'hui ceux qui regardent l'état de la synagogue
comme tellement désespéré, qu'ils ne croient pas qu'elle
puisse être jamais rétablie, mais ce qui est impossible aux hommes
est possible à Dieu (Lc 18). Aussi le Sauveur dit au chef de la synagogue
: " Ne craignez pas, croyez seulement, et elle sera sauvée. "
Le père de la jeune fille représente la réunion des docteurs
de la loi, s'ils consentent à embrasser la foi, la synagogue qui leur
est soumise sera également sauvée. - S. AMBR. Lorsque Jésus
fut venu dans la maison, il ne prit avec lui que quelques témoins de
la résurrection qu'il allait opérer ; c'est qu'en effet, la résurrection
n'a été crue d'abord que par un petit nombre. Mais pourquoi cette
manière d'agir si différente ? Précédemment, il
a ressuscité publiquement le fils d'une veuve ; ici il éloigne
la foule des témoins ; dans cette première circonstance, Notre-Seigneur
voulait manifester sa bonté, parce que la douleur de cette veuve qui
pleurait son fils unique, ne souffrait aucun retard. Il voulait aussi dans sa
sagesse, nous donner une figure, dans le fils de la veuve de Naïm, de l'Église,
qui devait embrasser promptement la foi, et dans la fille du chef de la synagogue,
les Juifs qui devaient croire, mais en très-petit nombre. Enfin, lorsque
Notre-Seigneur leur dit : " Cette jeune fille n'est pas morte, mais elle
dort. " Ils se riaient de lui, car quand on ne croit pas, on devient nécessairement
moqueur. Laissons donc pleurer leurs morts à ceux qui les regardent comme
morts sans retour ; avec la foi en la résurrection, il n'y a plus de
mort, il n'y a plus qu'un sommeil passager. Quant à la synagogue qui
a perdu la joie de l'époux qui faisait sa vie, elle reste étendue
comme morte au milieu de ceux qui la pleurent, sans même comprendre le
sujet de leurs larmes. - S. AMBR. Le Seigneur prend la main de la jeune fille
pour la rappeler à la vie ; heureux celui que la sagesse prend ainsi
par la main pour l'introduire dans sa maison, et commander qu'on lui donne à
manger ! Car le Verbe de Dieu est vraiment le pain descendu du ciel, aussi entendez
la Sagesse qui a multiplié sur les autels le corps et le sang d'un Dieu
pour être notre nourriture, vous dire : " Venez, mangez le pain que
je vous donne, et buvez le vin que je vous ai préparé. "
(Pv 9.) - BÈDE. La jeune fille se leva à l'instant, car dès
que Jésus-Christ prend et soutient la main de l'homme, son âme
revient aussitôt à la vie. Or, il en est quelques-uns qui trouvent
la mort de l'âme dans une simple pensée coupable qui ne se manifeste
par aucun acte ; le Seigneur leur rend la vie dans la fille du chef de la synagogue.
D'autres en viennent aux actes extérieurs du mal dans lequel ils se complaisent,
et portent pour ainsi dire leur mort publiquement hors des portes, ils sont
figurés par le fils de la veuve, que Jésus ressuscita hors des
portes de la ville, et il montre ainsi qu'il peut les ressusciter. D'autres
enfin sont ensevelis dans les habitudes du péché comme dans la
corruption du tombeau, et la grâce du Sauveur est également puissante
pour leur rendre la vie, c'est pour le prouver qu'il ressuscite Lazare, qui
était déjà depuis quatre jours dans le tombeau. Or, plus
les crimes qui ont donné la mort à l'âme sont graves, plus
doit être vive la ferveur de la pénitence. Aussi, Notre-Seigneur
parle à voix modérée pour ressusciter la jeune fille étendue
morte dans la maison de ses parents ; il prend un ton plus élevé,
et en dit davantage pour rappeler à la vie le jeune homme qu'on portait
au tombeau ; mais pour ressusciter Lazare mort depuis quatre jours, il frémit
en son esprit, il verse : des larmes, et jette un grand cri. Remarquons encore
que les fautes publiques exigent un remède public, tandis que les péchés
moins graves peuvent être effacés par les oeuvres secrètes
de la pénitence. Cette jeune fille étendue morte dans la maison
de ses parents, revient à la vie devant un petit nombre de témoins
; le fils de la veuve de Naïm est ressuscité hors de la maison et
devant tout le peuple, et Lazare, rappelé du tombeau, eut pour témoins
de sa résurrection un nombre considérable de Juifs.