CATANA AUREA SUR SAINT LUC

PRÉFACE DE L'EXPLICATION

ÉVANGILE DE SAINT LUC PAR SAINT THOMAS

SAINT THOMAS D'AQUIN CATENA AUREA SUR SAINT LUC

CHAPITRE VIII

vv. 1-3.
THEOPHYL. Celui qui est descendu des cieux pour nous tracer la voie et nous donner l'exemple, nous enseigne à ne jamais négliger le devoir de l'instruction : " Et il arriva ensuite que Jésus parcourait les villes, " etc. - S. GREG. DE NAZ. Il va de pays en pays, non seulement pour gagner à Dieu un plus grand nombre d'âmes, mais encore pour consacrer par sa présence un plus grand nombre d'endroits. Il dort et se fatigue pour sanctifier notre sommeil et nos travaux ; il pleure pour donner du prix à nos larmes, il annonce les mystères du ciel pour élever et agrandir l'esprit de ceux qui l'écoutent. - TITE DE BOSTR. Celui qui est descendu du ciel sur la terre, annonce le royaume des cieux aux habitants de la terre, pour changer la terre et en faire un ciel anticipé. Mais qui peut annoncer dignement ce royaume, que le Fils de Dieu qui en est le souverain Maître ? Bien des prophètes ont paru sur la terre, mais sans annoncer le royaume des cieux, car comment auraient-ils pu parler des choses qu'ils n'avaient pas vues ? - S. ISID. (Liv. XXIII, lettre 206.) Il en est qui pensent que ce royaume de Dieu est plus élevé et plus parfait que le royaume céleste ; d'autres prétendent au contraire que c'est le même dans sa nature, mais auquel on donne des noms différents. On l'appelle royaume de Dieu, parce qu'il a Dieu pour souverain ; et quelquefois le royaume des cieux, quand on considère ce royaume dans ses sujets, c'est-à-dire, dans les anges et les saints auxquels la sainte Écriture donne le nom de cieux.

BEDE. Comme l'aigle qui excite ses petits à voler (Dt 32), le Seigneur élève successivement ses disciples vers les choses sublimes. Ainsi, il commence par enseigner dans les synagogues, et par faire des miracles, puis il choisit les douze auxquels il donne le nom d'Apôtres ; ensuite il les prend seuls avec lui, lorsqu'il va prêcher dans les villes et dans les bourgades, comme le rapporte l'Évangéliste : " Et les douze étaient avec lui. " - THEOPHYL. Ce n'est ni pour enseigner ni pour prêcher qu'il les prend avec lui, mais pour continuer de les instruire. Afin de montrer que les femmes n'étaient point exclues de la suite de Jésus-Christ, l'Évangéliste ajoute : " Il y avait aussi quelques femmes qu'il avait délivrées des esprits malins, et guéries de leurs infirmités : Marie-Magdeleine, de laquelle étaient sortis sept démons. " - BEDE. Marie-Magdeleine est celle dont saint Luc a raconté la pénitence dans le chapitre précédent. Admirons comment l'Évangéliste désigne cette femme sous son nom propre, lorsqu'il nous la montre à la suite du Sauveur, tandis qu'en racontant ses désordres et sa pénitence, il lui donne simplement le nom de femme, de peur que le scandale de ses premiers égarements ne flétrit un nom aussi connu que le sien. Sept démons étaient sortis d'elle, c'est-à-dire qu'elle avait été remplie de tous les vices. - S. GREG. Que signifient, en effet, ces sept démons, sinon tous les vices réunis. Comme la division des sept jours comprend l'universalité du temps, le nombre sept est le symbole de l'universalité, Marie-Magdeleine était donc possédée de sept démons, parce qu'elle avait en elle tous les vices.
" Et Jeanne, femme de Chusa, intendant de la maison d'Hérode, Suzanne, et plusieurs autres qui l'assistaient de leurs biens. " - S. JER. (sur S. Mt 27.) Suivant une coutume des Juifs, et qui n'avait rien de répréhensible dans les moeurs anciennes de cette nation, les femmes se chargeaient de fournir à ceux qui les enseignaient la nourriture et le vêtement. Saint Paul nous apprend qu'il ne voulut point user de ce droit, pour ne pas scandaliser les Gentils (1 Co 9.) Ces femmes assistaient le Seigneur de leurs biens ; il était juste, en effet, qu'il moissonnât leurs biens temporels, alors qu'elles recueillaient de lui les richesses spirituelles. Ce n'est pas sans doute que le souverain Maître des créatures eût besoin d'être nourri par elles, mais il voulait être le modèle de tous ceux qui enseignent, et leur apprendre à se contenter de la nourriture et du vêtement que leur donneraient leurs disciples. - BEDE. Marie veut dire mère pleine d'amertumes, à cause des gémissements de sa pénitence ; Magdeleine signifie tour, ou qui a la forme d'une tour, par allusion à cette tour dont parle le Roi-prophète : " Vous êtes devenu mon espérance, une forte tour contre l'ennemi (Ps 60). " Jeanne signifie grâce du Seigneur, ou le Seigneur miséricordieux, c'est-à-dire, que tout ce qui soutient notre vie, lui appartient. Or, si Marie purifiée de la souillure de ses vices, représente l'Église des nations, pourquoi Jeanne ne serait-elle pas aussi la figure de cette même Église, autrefois livrée au culte des idoles ? Ajoutons que tout malin esprit qui travaille à l'extension du royaume du démon, est comme l'intendant de la maison d'Hérode. Suzanne signifie loi ou grâce, à cause de la blancheur odoriférante d'une vie céleste, et de la flamme d'or de la charité intérieure.

vv. 4-15.
THEOPHYL. Notre-Seigneur accomplit ici ce qu'avait prédit David, qui était la figure du Christ (cf. Mt 13, 35) : " J'ouvrirai ma bouche pour parler en paraboles : " (Ps 77.) " Or, comme le peuple s'assemblait en foule et se pressait de sortir des villes pour venir à lui, il leur dit en paraboles. " Le Sauveur parle en paraboles, pour rendre ceux qui l'écoutent plus attentifs, car les hommes aiment à exercer leur intelligence sur les choses obscures, et dédaignent au contraire celles qui sont trop claires et trop faciles ; secondement, afin que son langage demeurât inintelligible pour ceux qui étaient indignes de le comprendre. - ORIG. (Ch. des Pèr. gr.) Aussi est-ce avec une intention marquée que l'Évangéliste dit : " Comme le peuple s'assemblait en foule et se pressait de sortir des villes, " etc. Car ce n'est point la multitude, mais le petit nombre qui marchent dans la voie étroite, et qui trouvent le chemin qui conduit à la vie, c'est pour cette raison que saint Matthieu fait remarquer qu'il enseignait au dehors en paraboles, et que, rentré dans la maison, il expliquait la parabole à ses disciples.
EUSEBE. Remarquez la convenance de cette première parabole que Jésus propose à la multitude, non seulement de ceux qui étaient présents, mais encore de tous ceux qui devaient venir après eux, et comme il excite vivement leur attention par ces premières paroles : " Celui qui sème sortit pour semer. "

BEDE. À nul autre ne convient mieux cette qualité de semeur qu'au Fils de Dieu, qui est sorti du sein de son Père (inaccessible à toute créature), pour venir en ce monde rendre témoignage à la vérité (Jn 19). - S. CHRYS. (hom. 45 sur S. Matth.) Celui qui remplit tout de son immensité est sorti, non point en allant d'un lieu dans un autre, mais en se revêtant de notre chair pour s'approcher de nous. Jésus-Christ donne avec raison à son avènement le nom de sortie, car nous étions exclus de la présence de Dieu ; or lorsque des rebelles condamnés par leur roi sont bannis, celui qui veut les réconcilier sort pour venir les trouver, et converse en dehors avec eux jusqu'à ce qu'il les ait rendus dignes de paraître devant le roi, et qu'il les introduise en sa présence, c'est ce qu'a fait Jésus-Christ. - THEOPHYL. Il sort maintenant, non pour perdre les laboureurs ou pour réduire la terre en cendres, mais il sort pour semer, car souvent le laboureur qui sème, sort pour autre chose que pour semer. - EUSEBE. Un grand nombre de fidèles serviteurs de Dieu sont sortis de la céleste patrie et sont descendus au milieu des hommes ; mais ce n'était point pour semer, car ils n'étaient point semeurs, mais des esprits que Dieu envoyait pour remplir un ministère. (He 1, 14.) Moïse lui-même et les prophètes après lui n'ont point semé dans le coeur des hommes les mystères du royaume des cieux, mais en les arrachant à de coupables erreurs et au culte des idoles, ils cultivaient les âmes des hommes, et les défrichaient pour eu faire une terre bien préparée. Seul le Verbe de Dieu, créateur et auteur de toutes les semences, est sorti pour répandre par la prédication de nouvelles semences, c'est-à-dire, les mystères du royaume des cieux. - THEOPHYL. Or, le Fils de Dieu ne cesse pas de semer dans nos âmes, car ce n'est pas seulement comme maître et docteur, mais comme créateur qu'il répand dans nos âmes la bonne semence. - TITE DE BOSTR. " Il sortit pour semer sa semence, " sa parole n'est point une parole d'emprunt, puisqu'il est par nature le Verbe du Dieu vivant. Ce n'était point leur propre semence que répandaient Paul ou Jean, mais celle qu'ils avaient reçue ; Jésus-Christ, au contraire, sème sa propre semence, parce qu'il tire ses divins enseignements de sa propre nature ; aussi les Juifs étonnés disaient-ils : " Comment connaît-il les Écritures, puisqu'il ne les a point apprises ? " (Jn 7.)

EUSEBE. Ceux qui reçoivent la divine semence se partagent donc en deux classes, la première se compose de ceux qui sont jugés dignes de la vocation céleste, mais qui perdent cette grâce par suite de leur négligence et de leur tiédeur ; la seconde comprend ceux qui multiplient la semence en produisant de bons fruits. D'après saint Matthieu, le Sauveur établit trois degrés différents dans chaque classe ; ceux ; en effet, qui reçoivent inutilement la semence, ne la perdent pas de la même manière, et ceux qui la rendent féconde, ne produisent pas du fruit au même degré. Le Sauveur expose donc les différentes circonstances où on laisse perdre la semence. Les uns, sans même qu'ils aient péché, ont perdu la semence salutaire qui avait été jetée dans leurs âmes ; les esprits mauvais, les démons qui volent dans l'air, ou les hommes fourbes et astucieux qu'il désigne sous le nom d'oiseaux, viennent enlever la semence de leur esprit et leur en font perdre le souvenir : " Et pendant qu'il semait, une partie de la semence tomba le long du chemin. " - THEOPHYL. Il ne dit pas que celui qui sème a jeté sa semence le long du chemin, mais que la semence y est tombée, car celui qui sème enseigne une doctrine pure et irréprochable, mais cette doctrine tombe diversement dans l'esprit de ceux qui l'entendent, et quelques-uns d'entre eux sont représentés par ce chemin où elle fut foulée aux pieds et mangée par les oiseaux du ciel. - S. CYR. Tout chemin est inculte et stérile, parce qu'il est sans cesse foulé aux pieds, et aucune semence ne peut y être enfouie. Ainsi les coeurs indociles sont impénétrables aux divins enseignements, et aucune vertu ne peut y germer, c'est un chemin qui n'est fréquenté que par les esprits impurs. D'autres portent légèrement la foi en eux-mêmes, en ne s'attachant qu'aux simples paroles ; leur foi manque de racines, et c'est d'eux que le Sauveur ajoute : " Une autre partie tomba sur la pierre, et ayant levée elle sécha, parce qu'elle n'avait pas d'humidité. - BEDE. La pierre est la figure des coeurs durs et indomptables, l'humidité est à la semence ce qu'est dans une autre parabole l'huile qui doit alimenter les lampes des vierges (Mt 25), et représente l'amour de la vertu et la persévérance dans le bien. - EUSEBE. Il en est d'autres qui laissent étouffer la semence qu'ils reçoivent par l'avarice, par le désir des voluptés, par les sollicitudes du monde, que Notre-Seigneur compare à des épines : " Et une autre partie tomba parmi les épines, " etc. - S. CHRYS. (hom. 45 sur S. Matth.) Semblables, en effet, aux épines qui ne permettent pas à la semence de lever et de croître, mais l'étouffent par leur épaisseur, les sollicitudes de la vie présente ne permettent pas à la semence spirituelle de croître et de fructifier. Le laboureur qui sèmerait sur les épines matérielles, sur la pierre, sur le chemin, serait digne de blâme, car il est impossible que la pierre se change jamais en terre, que le chemin cesse d'être un chemin, que les épines ne soient plus des épines. Mais il n'en est pas de même dans les choses spirituelles, car la pierre peut devenir une terre fertile, le chemin peut n'être plus foulé aux pieds, et il est possible d'arracher les épines.

S. CYR. La terre riche et fertile, ce sont les âmes bonnes et vertueuses qui reçoivent dans leur profondeur la semence de la parole, qui ha retiennent et la fécondent, et c'est d'elles qu'il est dit : " Une autre partie tomba dans une bonne terre, et ayant levé, elle produisit du fruit au centuple. " En effet, lorsque la parole divine tombe dans une âme libre de toute agitation, elle pousse de profondes racines, elle produit des épis et les fait arriver à une maturité parfaite. - BEDE. Le fruit au centuple, c'est le fruit dans sa perfection, car le nombre dix exprime toujours la perfection, parce que l'accomplissement de la loi consiste dans l'observation des dix commandements ; mais le nombre dix multiplié par lui-même, produit le nombre cent, qui est ainsi le symbole de la plus grande perfection possible.

S. CYR. Écoutons l'explication de cette parabole de la bouche même de celui qui en est l'auteur : " En disant cela, il criait : Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende. " - S. BAS. (Ch. des Pèr. gr.) Entendre, est un acte de l'intelligence, et par ces paroles, Notre-Seigneur invite ceux qui l'écoutent à prêter une grande attention à l'explication qu'il va donner. - BEDE. Toutes les fois, en effet, que nous rencontrons cet avertissement, soit dans l'Évangile, soit dans l'Apocalypse de saint Jean, il s'agit d'une vérité mystérieuse dont on nous engage à pénétrer le sens avec une attention plus scrupuleuse. Aussi les disciples reconnaissant leur ignorance, interrogent le Sauveur : " Or, ses disciples lui demandaient quel était le sens de cette parabole. " Cependant ce ne fut pas immédiatement après que Jésus eut achevé d'exposer cette parabole, que les disciples lui adressèrent cette question, mais comme le dit saint Marc : " Ils l'interrogèrent lorsqu'il se trouva seul (Mc 4). " - ORIG. La parabole est comme le récit d'un fait imaginaire mais possible et vraisemblable, c'est un récit symbolique et figuré de quelque vérité dont on obtient le sens par l'application de toutes les circonstances de la parabole. L'énigme est le récit d'un événement qui n'est ni réel ni possible, elle est l'enveloppe d'une vérité cachée, comme dans ce trait du livre des Juges (Jg 9), où nous lisons que les arbres s'assemblèrent pour se choisir un roi. Ce récit que l'Évangéliste raconte comme un fait historique : " Celui qui sème sortit pour semer, " n'est point arrivé à la lettre, quoiqu'il soit dans les choses possibles.

EUSEBE. Or, le Seigneur fait connaître à ses disciples la raison pour laquelle il parlait au peuple en paraboles : " Il leur dit : A vous il a été donné de connaître le royaume de Dieu. " - S. GREG. de NAZ. En entendant ces paroles, n'allez pas croire qu'il existe des natures différentes, avec certains hérétiques, qui prétendent qu'il est des hommes dont la nature est de se perdre, d'autres dont la nature est de se sauver, d'autres, au contraire, qui doivent à leur propre volonté de devenir bons ou mauvais ; mais à ces paroles du Sauveur : " Il vous a été donné, " ajoutez : A vous qui le voulez, à vous qui en êtes dignes. - THEOPHYL. Mais pour ceux qui sont indignes de si grands mystères, un voile recouvre ces vérités : " Tandis qu'aux autres il est annoncé en paraboles, en sorte que voyant ils ne voient point, et qu'en entendant ils ne comprennent pas. " ils croient voir, mais ils ne voient point, ils entendent, mais ils ne comprennent pas. Or, Jésus-Christ leur cache ces vérités, pour leur faire éviter un plus grand crime, celui de mépriser les mystères du Christ, après les avoir connus, car celui qui n'a que du mépris pour les vérités dont l'intelligence lui a été révélée, sera puni plus sévèrement. - BEDE. Ceux-là donc entendent en paraboles, qui ferment les sens et leur coeur pour ne point connaître la vérité et qui oublient cette recommandation du Seigneur : " Que celui-là entende, qui a des oreilles pour entendre. "
S. GREG. (Hom. 45 sur les Evang.) Cependant le Seigneur consent à expliquer à ses disciples cette parabole, pour nous apprendre à chercher le sens caché des choses qu'il n'a point voulu nous expliquer : " Voici donc le sens de cette parabole, la semence c'est la parole de Dieu. " - EUSEBE. Or, il y a pour la semence qui est jetée dans nos âmes, trois causes de destruction, Les uns détruisent cette semence en prêtant une oreille trop légère aux discours des hommes qui ne veulent que les tromper : " Ce qui tombe le long du chemin, ce sont ceux qui écoutent, le diable vient ensuite, et enlève la parole de leur coeur. " - BEDE. Ce sont ceux qui écoutent la parole de Dieu sans aucune foi, sans aucune intelligence, sans aucun désir de la mettre en pratique. - EUSEBE. D'autres ne reçoivent cette parole qu'à la surface de leur âme, et la laissent se dessécher et périr aux premières atteintes de l'adversité. C'est d'eux que Notre-Seigneur ajoute : " Ce qui tombe sur la pierre, ce sont ceux qui, ayant écouté la parole, la reçoivent avec joie, mais ceux-ci n'ont pas de racine, ils croient pour un temps, et au temps de la tentation ils se retirent. " - S. CYR. Lorsqu'ils entrent dans l'Église, ils écoutent avec joie la prédication des divins mystères, mais avec une volonté bien faible ; et à peine sortis de l'Église, ils oublient les enseignements sacrés. Si la foi chrétienne n'est l'objet d'aucune attaque, ils demeurent fidèles, mais si la persécution vient à se déclarer, ils se dérobent par la fuite au danger, parce que leur foi n'a point de racine. - S. GREG. (hom. 15 sur les Evang.) Il en est beaucoup qui se proposent de commencer à faire le bien, mais bientôt fatigués par l'adversité ou par les tentations, ils abandonnent leur entreprise. Cette terre pierreuse n'avait donc point l'humidité nécessaire, puisqu'elle n'a pu conduire à la maturité parfaite la semence qu'elle avait fait germer. - EUSEBE. D'autres enfin étouffent la semence qu'ils ont reçue dans les préoccupations des richesses et des plaisirs, qui sont comme autant d'épines qui étouffent la semence : " Ce qui tombe parmi les épines, ce sont ceux qui écoutent la parole, mais les sollicitudes des richesses et des plaisirs l'étouffent peu à peu, et ils ne portent point de fruit. - S. GREG. (hom. 15 sur les Evang.) Comment donc Notre-Seigneur a-t-il pu comparer les richesses aux épines, alors que les épines piquent et déchirent, tandis que les richesses sont pleines de charmes. Et cependant ce sont des épines, parce qu'elles déchirent l'âme par les pointes acérées de leurs préoccupations, et lorsqu'elles entraînent jusqu'au péché, elles font des blessures sanglantes. Le Sauveur joint deux choses aux richesses : les sollicitudes et les plaisirs parce qu'elles accablent de soucis et énervent l'âme par leur abondance même. Toutes ces choses étouffent la semence, parce qu'elles étranglent pour ainsi dire l'âme par leurs pensées importunes, et en fermant ainsi l'accès du coeur à tout bon désir, elles étouffent la respiration et tuent la vie.

EUSEBE. C'est en vertu de sa prescience divine que Notre-Seigneur prédit ces choses, et les faits se chargent de vérifier ces prédictions, car on ne s'éloigne ries prescriptions de la divine parole que d'une de ces trois manières. - S. CHRYS. (hom. 45 sur S. Matth.) Pour résumer en peu de mots cette doctrine, on quitte la voie du bien, les uns par leur négligence à écouter la parole de Dieu, les autres par immortification ou par faiblesse, d'autres enfin, parce qu'ils se rendent esclaves de la volupté et des biens de ce monde. Remarquez encore dans quel ordre naturel se présentent d'abord le chemin, puis le terrain pierreux et les épines ; il faut donc d'abord de la mémoire et de la vigilance, puis du courage, et enfin le mépris pour les choses présentes. Notre-Seigneur oppose ensuite les qualités de la bonne terre aux qualités défectueuses du chemin, du terrain pierreux et des épines : " Mais ce qui tombe dans la bonne terre, ce sont ceux qui, écoutant la parole, la conservent dans un coeur bon et excellent, et portent du fruit par la patience. " Ceux qui sont représentés par le chemin, ne retiennent point la parole et laissent enlever la semence par le démon ; ceux qui ressemblent au terrain pierreux ne soutiennent pas les assauts de la tentation trop forte pour leur faiblesse ; enfin, ceux qui sont figurés par les épines ne portent aucun fruit, mais étouffent la parole dans son germe. - S. GREG. (hom. 45 sur les Ev.) Or, la bonne terre produit du fruit par la patience, parce que le bien que nous faisons est nul, si nous ne supportons en même temps avec patience le mal qui nous est fait. Ainsi ceux qui sont représentés par cette bonne terre, produisent du fruit par la patience, car après avoir supporté en toute humilité et en toute patience les épreuves qui leur sont envoyées, ils entrent dans le repos et dans la joie de l'éternité.

vv. 16-18.
BEDE. Notre-Seigneur venait de dire aux Apôtres : " Pour vous, il vous a été donné de connaître le mystère du royaume de Dieu ; mais pour les autres, il leur est proposé en paraboles, " il leur apprend maintenant qu'ils doivent un jour révéler ce même mystère aux autres : " Personne, après avoir allumé une lampe, ne la couvre d'un vase ou ne la met sous un lit, " etc.

EUSEBE. C'est-à-dire, de même qu'on n'allume une lampe que pour éclairer, et non pour la mettre sous un boisseau ou sous un lit, ainsi les secrets du royaume des cieux proposés en paraboles, restent cachés pour ceux qui n'ont pas la foi, mais cependant ils ne seront pas toujours incompréhensibles pour tous. Car il n'y a rien de caché qui ne soit découvert, rien de secret qui ne soit connu et ne vienne au grand jour. Comme s'il disait : Bien qu'un grand nombre de vérités leur aient été proposées sous forme de paraboles, de sorte qu'en voyant, ils ne voient point, et qu'en entendant ils ne comprennent point, par suite de leur incrédulité, cependant. toute vérité sera un jour éclaircie. - S. AUG. (Quest. évang.) Ou bien autrement, Notre-Seigneur enseigne ici dans un sens figuré, avec quelle sainte confiance on doit prêcher la parole de Dieu, sans que jamais la crainte d'un préjudice ou d'un dommage temporel porte à cacher la lumière de la science. En effet, le vase et le lit signifient la chair, de même que la lampe est le symbole de la parole. Celui qui cache la parole par crainte de quelque dommage temporel, préfère la chair à la manifestation de la vérité, et celui qui tremble d'annoncer cette parole la couvre pour ainsi dire avec la chair, Au contraire, celui qui consacre son corps au ministère de cette divine parole, place la lumière sur le chandelier, de manière que la prédication de la vérité domine toutes les exigences de la servitude du corps.
ORIG. Ceux qui, dans cette lampe veulent voir la figure des disciples plus parfaits de Jésus-Christ, rendent leur interprétation plausible, parce que l'Évangile dit de Jean-Baptiste, qu'il était une lumière ardente et luisante (Jn 5). Que celui donc qui allume dans son âme cette lampe spirituelle, ne la cache ni sous un lit destiné au repos, ni sous un vase quelconque ; agir de la sorte, c'est ne prendre aucun soin de ceux qui entrent dans la maison, et pour lesquels cette lampe est préparée ; il faut donc placer cette lumière surie chandelier, c'est-à-dire, sur toute l'Église.

S. CHRYS. (hom. 45 sur S. Matth.) En leur parlant de la sorte, le Sauveur exhorte ses disciples à une sainte exactitude pour tous les devoirs de la vie, il veut qu'ils soient pleins de courage comme des hommes exposés aux regards de tous, et qui combattent au milieu du monde comme sur un théâtre ; ne considérez pas, semble-t-il leur dire, que nous n'habitons qu'une faible partie de l'espace, vous serez connus de tous les hommes, parce qu'il est impossible qu'une si grande vertu demeure cachée. - S. MAX. Ou bien encore, c'est lui-même que le Seigneur veut désigner par cette lampe qui brille aux yeux des habitants de la maison, c'est-à-dire, du monde, puisqu'il est Dieu par nature, et qu'il s'est fait chair par une économie toute divine, et c'est ainsi que, semblable à la lumière d'une lampe, il est retenu par l'intermédiaire de son âme dans la terre de sa chair, comme la lumière est retenue par la mèche dans le vase de terre d'une lampe. Le chandelier, c'est l'Église, sur laquelle la parole divine brille de tout son éclat, et la remplit comme une maison des rayons de la vérité. Or il compare le culte matériel de la loi à un vase ou à un lit sous lequel il ne veut point rester caché.

BEDE. Le Seigneur nous presse avec instance d'écouter la divine parole, afin que nous puissions la ruminer continuellement dans notre coeur, et la donner en nourriture aux autres : " Prenez donc garde comme vous écoutez, car on donnera à celui qui a, " etc. Comme s'il disait : Appliquez-vous à écouter cette divine parole avec toute l'attention possible, car celui qui aime cette parole, recevra l'intelligence pour comprendre ce qu'il aime, mais pour celui qui n'a point l'amour de cette divine parole, eût-il d'ailleurs du génie, et fût-il versé dans la connaissance des lettres, jamais il ne goûtera la douceur et la joie de la sagesse. Souvent, en effet, celui qui est atteint de paresse spirituelle, reçoit le don de l'Esprit, pour rendre ainsi sa négligence plus coupable, parce qu'il dédaigne de savoir ce qu'il aurait pu apprendre sans aucun travail. Quelquefois au contraire, celui qui est zélé pour s'instruire, souffre de la lenteur de son intelligence, afin de recevoir une récompense d'autant plus grande, qu'il a travaillé avec plus d'efforts pour apprendre.

vv. 19-21.
TITE DE BOSTR. Notre-Seigneur avait quitté ses parents selon la chair pour se livrer à la prédication de la doctrine de son père ; et comme ils désiraient le voir, ils vinrent le trouver : " Cependant, sa mère et ses frères vinrent vers lui, " etc. Lorsque vous entendez parler des frères du Seigneur, que ce nom vous rappelle sa miséricorde et vous fasse comprendre l'étendue de sa grâce. En effet, personne ne peut être frère du Sauveur en tant qu'il est Dieu, puisqu'il est le Fils unique du Père, mais par un effet de son amour, il a daigné s'unir notre chair, notre sang, et il est devenu notre frère, lui qui était Dieu par nature (cf. He 2, 11. 13). - BEDE. Ces frères du Seigneur, selon la chair, ne sont ni les fils de la bienheureuse Marie, mère de Dieu, comme le veut Helvidius, ni les fils de Joseph et d'une autre épouse, comme d'autres le prétendent, mais tout simplement ses cousins.

TITE DE BOSTR. Les frères de Jésus espéraient qu'en apprenant leur arrivée, par respect pour le nom de sa mère et pour l'amour qu'elle lui témoignait, il s'empresserait de laisser la multitude qui l'écoutait : " On vint donc lui dire : Votre mère et vos frères sont là dehors, " etc. - S. CHRYS. (hom. 45 sur S. Matth.) Considérez quelle indiscrétion c'était que d'enlever le Sauveur à tout ce peuple qui l'entourait et qui, suspendu à ses lèvres, écoutait ses divins enseignements. Aussi, Notre-Seigneur leur en fait-il un reproche : " Il leur répondit : Ma mère et mes frères sont ceux qui écoutent la parole de Dieu, " etc. - S. AMBR. Comme un sage maître, Jésus commence par donner l'exemple à ses disciples avant de leur enseigner, que celui qui ne quitte point son père où sa mère n'est pas digne du Fils de Dieu. Il veut donc pratiquer le premier ce commandement, non qu'il refuse d'accomplir à l'égard de sa mère les devoirs de la piété filiale (puisqu'il est l'auteur de ce commandement : " Quiconque n'honorera point son père ou sa mère sera puni de mort "), mais parce qu'il sait qu'il doit plus à la mission divine qu'il a reçue de son Père, qu'à l'affection filiale qu'il a pour sa mère (cf. Ga 4, 19). Toutefois, sa réponse ne contient rien de blessant pour ses parents, mais elle nous apprend que l'union des âmes est plus auguste que les liens de la chair et du sang. Le Sauveur ne renie donc point sa mère (comme l'affirment certains hérétiques qui tendent des pièges à la simplicité), puisqu'il l'a reconnue du haut même de la croix, mais il nous enseigne à sacrifier les exigences du sang à l'accomplissement des devoirs célestes. - BEDE. Ceux donc qui écoutent et qui pratiquent la parole de Dieu, méritent le nom glorieux de mère de Dieu, parce que chaque jour, par leurs exemples ou par leurs paroles, ils l'engendrent dans le coeur du prochain, et ils méritent également d'être appelés ses frères, puisqu'ils font aussi la volonté de son Père qui est dans les cieux.

S. CHRYS. (hom. 43 sur S. Matth.) Notre-Seigneur ne veut pas non plus faire ici un reproche à sa mère, mais lui accorder une grâce signalée. En effet, s'il avait tant à coeur de donner une juste idée de sa personne au reste des hommes, combien plus devait-il le désirer pour sa mère, car jamais il ne l'eût élevé à un si haut degré de grandeur, si elle eût pu croire qu'il lui obéirait toujours comme un fils, et si au contraire elle ne l'eût reconnu comme son Dieu. - THEOPHYL. Quelques-uns entendent ce passage dans un autre sens : Pendant que Jésus enseignait, disent-ils, des envieux qui voulaient jeter du discrédit sur sa doctrine, vinrent lui dire : " Votre mère et vos frères veulent vous voir, " comme pour rappeler l'obscurité de sa naissance. Or Jésus, qui connaît leurs pensées, leur déclare qu'on n'est nullement rabaissé par une humble et pauvre famille, mais que si un homme d'une constitution obscure, écoute la parole de Dieu, il le regarde comme son frère. Cependant, comme il ne suffit pas d'écouter pour être sauvé, et que la parole de Dieu serait plutôt alors une cause de condamnation, il ajoute : " Et qui la pratiquent, " car il faut tout à la fois écouter et mettre en pratique. La parole de Dieu, c'est sa doctrine, puisque tout ce qu'il enseignait venait de son Père.

S. AMBR. Dans le sens mystique, celui qui cherche Jésus-Christ, ne doit pas se tenir dehors, c'est pour cela que le Roi-prophète a dit : " Approchez-vous de lui, et vous serez éclairés. " (Ps 33.) Ceux qui restent dehors, ne sont pas reconnus de Jésus, fussent-ils ses parents ; peut-être est-ce pour notre instruction qu'il ne veut pas les reconnaître, or comment espérer qu'il nous reconnaîtra, si nous persistons à rester dehors ? On peut encore dire que les parents de Jésus sont la figure des Juifs, dont le Sauveur était issu par sa naissance temporelle, et qu'il veut nous apprendre ici la préférence donnée à l'Église sur la synagogue. - BEDE. Tandis que Jésus enseigne dans l'intérieur de la maison, ceux qui négligent de s'appliquer au sens spirituel de ses paroles, ne peuvent entrer. Cependant la foule se presse pour entrer dans la maison, parce qu'en effet, tandis que les Juifs usaient de lenteurs et de retards, les Gentils accoururent en foule à Jésus-Christ, Ceux qui se tiennent au dehors, veulent voir Jésus-Christ, parce que sans s'occuper du sens spirituel de la loi, ils s'attachent au dehors à l'observation de la lettre, et ils veulent pour ainsi dire contraindre Jésus-Christ à sortir pour leur enseigner une doctrine tout humaine, plutôt que de consentir à entrer eux-mêmes pour recevoir des enseignements tout spirituels.


vv. 22-25.
S. Cyit. Les disciples étaient tous les jours témoins des bienfaits que Jésus-Christ répandait à profusion, il était juste qu'il en fît découler sur eux une partie ; nous ne voyons pas en effet du même oeil le bien que l'on fait aux autres, et celui qui nous est fait à nous-mêmes ; le Sauveur permet donc qu'ils soient exposés à une tempête sur la mer : " Un jour, étant monté sur une barque avec ses disciples, il leur dit : Passons à l'autre bord du lac, et ils partirent. " - S. CHRYS. (hom. 29 sur S. Matth.) Saint Luc évite la question que pourrait soulever le temps précis où eut lieu ce miracle, en disant simplement que Jésus monta un jour sur une barque. Si cette tempête fût arrivée pendant que le Sauveur veillait, les disciples n'auraient eu aucune crainte, ou bien ils n'auraient pas cru que leur divin Maître pût opérer un si grand prodige ; il se laisse donc aller au sommeil pour donner à la crainte tout le temps de se développer : " Comme ils naviguaient, il s'endormit, et un vent impétueux s'éleva sur le lac. " - S. AMBR. L'Évangéliste nous a rapporté plus haut, qu'il passait les nuits en prière ; pourquoi donc le voyons-nous dormir ici pendant la tempête ? C'est pour exprimer la sécurité de la toute-puissance, qu'il repose seul sans crainte, alors que tous sont saisis d'effroi, mais ce sommeil n'atteignait que le corps ; et, comme Dieu, il avait l'oeil ouvert sur ses disciples pour les protéger ; car rien absolument ne se fait sans le Verbe. (Jn 1.)

S. CYR. C'est par un dessein particulier de la providence divine que les disciples ne crièrent pas au secours au premier moment que la barque fut assaillie par la tempête, mais lorsque le danger devint imminent, pour faire éclater davantage la toute-puissance du Sauveur : " Et ils étaient en péril, " dit l'Évangéliste. Le Sauveur le permit pour exercer leur vertu ; car en confessant la grandeur du danger, ils étaient forcés de reconnaître la grandeur du miracle qui les en délivrait. Lors donc que l'imminence du péril les eut jetés dans une crainte inexprimable, ils reconnaissent qu'ils n'ont plus d'autre espoir de salut que dans le Seigneur des vertus, et ils se déterminent à l'éveiller.

" S'approchant donc, ils le réveillèrent en disant : Maître, nous périssons. " - S. AUG. (de l'acc. des Evang., 2, 24.) D'après saint Matthieu, ils lui auraient dit : " Seigneur, sauvez-nous, nous périssons ; " d'après saint Marc : " Maître, n'avez-vous pas de souci que nous périssions ? " De part et d'autre, ils expriment le même désir, de réveiller le Sauveur et d'être sauvés du danger. Il est tout à fait inutile de chercher quelle formule précise de prière les Apôtres ont employée ? Se sont-ils servi d'une de celles qui sont rapportées par ces trois Évangélistes, ou d'une autre dont aucun n'aurait parlé, mais dont les termes seraient équivalents ? peu importe. D'ailleurs, on peut fort bien admettre que tous les disciples s'empressèrent d'éveiller leur divin Maître, mais que chacun lui parla d'une de ces trois différentes manières.

S. CYR. Il était du reste impossible que les Apôtres, ayant avec eux le Tout-Puissant, pussent jamais périr. Aussi Jésus-Christ, qui exerce une puissance souveraine sur tout ce qui existe, apaise subitement la tempête et la fureur des vents : " Et la tempête cessa, et il se fit un grand calme. " Il prouve ainsi qu'il est le Dieu dont le Psalmiste a chanté : " Vous dominez la puissance de la mer, vous apaisez ses flots soulevés. " (Ps 88.) - BEDE. Dans cet événement de sa vie, le Seigneur fait voir clairement en lui deux natures dans une seule et même personne, puisque nous le voyons livré au sommeil, comme homme, et apaisant d'un seul mot, comme Dieu, la fureur de la mer.

S. CYR. Or, Jésus apaise eu même temps la tempête extérieure de la mer, et la tempête intérieure des âmes : " Alors il leur dit : Où est donc votre foi ? " En leur parlant de la sorte, il nous apprend que ce n'est point la tentation, mais la faiblesse de l'âme qui produit la crainte ; car les tentations éprouvent la foi, comme le feu éprouve l'or. - S. AUG. (de l'acc. des Evang.) Les autres Évangélistes rapportent diversement les paroles du Sauveur. D'après saint Matthieu, il aurait dit à ses disciples : " Pourquoi craignez-vous, hommes de peu de foi ? " suivant le récit de saint Marc : " Pourquoi craignez-vous ? est-ce que vous n'avez pas encore la foi ? c'est-à-dire la foi parfaite, comme le grain de sénevé. " D'après saint Marc, il leur reproche donc aussi leur peu de foi, tandis que d'après saint Luc, il leur demande : " Ou est votre foi ? " Or, Notre-Seigneur a pu fort bien employer toutes ces locutions diverses : " Pourquoi craignez-vous ? où est votre foi ? hommes de peu de foi, " et les Évangélistes nous rapportent chacun une d'entre elles.

S. CYR. A la vue de la tempête subitement apaisée à la parole de Jésus-Christ, les disciples, comme stupéfaits d'un tel miracle, s'interrogeaient les uns les autres : " Remplis de crainte et d'admiration, ils se disaient les uns aux autres, " etc. Ce n'est point par ignorance de ce qu'était Jésus, que les disciples parlent ainsi entre eux, car ils savaient très-bien qu'il était Dieu et Fils de Dieu ; mais ils sont remplis d'admiration à la vue de l'étendue de cette puissance qu'il possède de toute éternité, et de la gloire de sa divinité qu'il fait éclater dans ce corps visible et semblable au nôtre dont il s'est revêtu. " Et ils s'écrient : Quel est celui-ci ? " c'est-à-dire quelle grandeur, quelle puissance, quelle majesté ! car c'est une action faite avec empire, c'est le commandement d'un maître, ce n'est point l'humble demande d'un serviteur. - BEDE. On peut dire aussi que ce ne sont pas les disciples, mais les matelots et ceux qui étaient avec eux dans la barque, qui sont remplis de crainte et d'admiration.
Dans le sens allégorique, cette mer, ce lac agités représentent l'agitation de la mer ténébreuse du monde. La barque est le symbole de l'arbre de la croix, à l'aide duquel les fidèles traversent les flots de cette mer du monde, et parviennent an rivage de la céleste patrie. - S. AMBR. Notre-Seigneur quitte ses parents pour monter dans cette barque, parce qu'il sait qu'il est venu dans le monde pour l'accomplissement de mystères tout divins. - BEDE. Les disciples, sur l'invitation du Sauveur, montent avec lui dans la barque. Il leur dit en effet : " Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il se renonce lui-même, qu'il porte sa croix et qu'il me suive. " Pendant que les disciples font cette traversée, c'est-à-dire pendant que les fidèles foulent aux pieds le monde et méditent dans leur coeur les douceurs du repos éternel ; pendant que, poussés par le souffle de l'Esprit saint, et aussi parleurs propres efforts, ils rejettent à l'envi derrière eux les vanités inconstantes et perfides du monde, le Seigneur s'endort tout à coup, c'est-à-dire que le temps de la passion du Seigneur est arrivé, et que la tempête vient fondre sur la terre, parce que pendant le sommeil de la mort, qu'il consent à subir sur la croix, les flots de la persécution se soulèvent sous l'impulsion du souffle des démons (cf. Ps 3, 5). La patience du Seigneur n'en est point troublée, mais la faiblesse des disciples en est ébranlée et saisie d'effroi. Ils s'empressent donc de réveiller le Seigneur dans la crainte de périr pendant son sommeil, parce qu'en effet, après avoir été témoins de sa mort, ils désirent vivement sa résurrection, dont le retard prolongé les exposerait à une perte certaine. Le Sauveur se lève et commande avec menace à la tempête, c'est-à-dire, que par sa prompte résurrection d'entre les morts, il a détruit l'orgueil du démon qui avait l'empire de la mort. (He 2.) Il calme l'agitation des flots, c'est-à-dire qu'en ressuscitant, il fait tomber la rage des Juifs qui insultaient à sa mort. - S. AMBR. Il veut nous apprendre qu'il est impossible de traverser sans tentations le cours de cette vie, parce que la tentation est l'épreuve naturelle de la foi. Nous sommes donc exposés aux tempêtes soulevées par les esprits mauvais ; mais ayons soin, comme de vigilants matelots, d'éveiller le pilote de la barque qui ne cède pas aux vents, mais qui leur commande ; et lors même qu'il est éveillé, prenons garde qu'il ne dorme encore pour nous, en punition du sommeil de notre corps. Ceux qui se laissent aller à la crainte dans la compagnie de Jésus-Christ, méritent le juste reproche qu'il leur fait, car celui qui s'attache à lui ne peut périr. - BEDE. Nous voyons quelque chose de semblable à ce qui se passe ici, lorsque Jésus apparut après sa mort à ses disciples, et leur reprocha leur incrédulité (Mc 16), et qu'ayant apaisé la mer agitée jusque dans ses profondeurs, il fit éclater aux yeux de tous la puissance de sa divinité.

vv. 26-39.
S. CYR. Le Sauveur ayant traversé le lac, parvint au rivage opposé : " Ils abordèrent ensuite au pays des Géraséniens, qui est vis-à-vis de la Galilée. " - TITE DE BOST. Les manuscrits les plus authentiques ne portent ni Géraséniens, ni Gadariens, mais Gergéséniens. En effet, Gadara est une ville de Judée, près de laquelle on ne trouve ni lac, ni mer ; Gérasa est une ville d'Arabie, qui n'est elle-même voisine d'aucun lac, ni d'aucune mer. Mais Gergésa, d'où vient le nom de Gergéséniens, est une ville fort ancienne, située sur les bords du lac de Tibériade, dans les environs de laquelle se trouve un rocher qui domine le lac dans lequel les démons précipitèrent les pourceaux. Cependant comme les villes de Gérasa et de Gadara touchent aux confins du pays des Gergéséniens, il est vraisemblable que c'est de ces deux villes, que les pourceaux avaient été amenés dans le pays des Gergéséniens. - BEDE. Gérasa est une ville célèbre d'Arabie, qui échut autrefois à la tribu de Manassé (cf. Nb 34, 14 ; Dt 3, 13 ; 19, 8 ; Jos 12, 6 ; 13, 29 ; 17, 6.8.11 ; 22, 9), située au delà du Jourdain, près de la montagne de Galaad, non loin du lac de Tibériade, dans lequel les pourceaux se précipitèrent.

S. CHRYS. (hom. 29 sur S. Matth.) Lorsque le Sauveur fut descendu à terre, il fut témoin d'un phénomène bien plus surprenant que la tempête ; un possédé du démon, comme un esclave en présence de son maître, vient confesser sa dépendance et sa servitude : " Lorsqu'il fut descendu à terre, il vint au devant de lui un homme, " etc. - S. AUG. (de l'acc. des Evang.) Saint Matthieu rapporte qu'ils étaient deux possédés ; saint Marc et saint Luc ne parlent que d'un seul, il faut donc entendre que l'un d'eux était un homme plus considérable et plus connu, dont tout le pays plaignait le triste sort, et désirait vivement la guérison. C'est ce que veulent faire entendre saint Marc et saint Luc en ne parlant que de celui des deux, dont l'état et la guérison avait eu une immense notoriété dans toute la contrée. - S. CHRYS. (hom. 29 sur S. Matth.) Ou bien, peut-être saint Luc s'est-il attaché à celui des deux qui était le plus furieux, et dont il fait un si triste tableau : " Il ne portait aucun vêtement, et n'avait d'autre habitation que les sépulcres, " etc. Or, les démons fréquentent les tombeaux des morts pour insinuer plus facilement aux hommes cette pernicieuse doctrine, que les âmes des morts deviennent des démons. - S. CYR. Il errait sans vêtements dans les sépulcres des morts, preuve de la fureur des démons qui le possédaient. Or, la providence de Dieu permet que quelques-uns soient ainsi soumis au pouvoir des démons, pour nous faire considérer ce qu'ils sont à notre égard, nous faire renoncer à leur empire tyrannique, et par le triste spectacle d'un seul homme, victime de leur méchanceté, donner à tous une leçon salutaire.
S. CHRYS. (Hom. 29.) Comme la multitude ne voyait dans Jésus qu'un homme, les démons viennent publier hautement sa divinité que la mer elle-même avait proclamée en calmant la fureur de ses flots soulevés : " Aussitôt qu'il vit Jésus, il se prosterna devant lui et il s'écria, " etc. - S. CYR. Considérez quel mélange à la fois de crainte, d'audace et de désespoir extrêmes ; c'est le désespoir, en effet, qui lui dicte ces paroles pleines d'audace : " Qu'y a-t-il entre vous et moi, Jésus, Fils du Dieu très-haut ? et c'est sous l'impression de la crainte qu'il lui fait cette prière : " Je vous en conjure, ne me tourmentez pas. " Mais situ reconnais qu'il est le Fils du Dieu très-haut ! tu avoues donc qu'il est le Dieu du ciel et de la terre, et de tout ce qu'ils renferment. Pourquoi donc oses-tu usurper ce qui n'est pas à toi, mais n'appartient qu'à Dieu seul, en lui tenant ce langage : " Qu'y a-t-il entre vous et moi ? " Quel est le prince de la terre qui laisserait impunément les barbares attaquer les sujets de son empire : " Car Jésus commandait à l'esprit impur de sortir de cet homme, " et l'Évangéliste justifie l'urgence de ce commandement, en ajoutant : " Depuis longtemps, en effet, il était sous sa puissance, " etc. - S. CHRYS. (hom. 99.) Personne n'osait ni s'approcher de ce possédé, ni s'en rendre maître, tandis que Jésus vient lui-même le trouver et lui adresse la parole.

" Jésus lui demanda : Quel est ton nom ? " - BEDE. Si Jésus lui demande son nom, ce n'est pas qu'il l'ignore, mais pour que l'aveu public du mal terrible auquel il est en proie, fasse ressortir avec plus d'éclat la toute-puissance qui doit le guérir. C'est ainsi que les prêtres de notre temps qui chassent les démons par la grâce des exorcismes, nous disent qu'il n'y a pour les possédés d'autre moyen de guérison que l'aveu sincère et public de tout ce que les esprits immondes leur font souffrir durant le jour ou pendant leur sommeil, surtout lorsqu'ils paraissent désirer ou qu'ils semblent accomplir avec eux l'oeuvre de la chair, c'est pour cela que Jésus exige ici une espèce de confession : " Le démon lui répondit : Je m'appelle Légion, " parce qu'en effet, plusieurs démons étaient entrés dans cet homme.
S. GREG. DE NYSSE. (hom. sur les Cant.) C'est à l'exemple des milices célestes et des légions des anges, que les démons s'appellent légion, de même que le premier d'entre eux se vantait d'établir son trône au-dessus des astres, pour devenir semblable au Très-Haut (Is 25).

S. CHRYS. (hom. 29 sur S. Matth.) Le Seigneur était descendu sur la terre pour détruire l'empire du démon, qui jetait le trouble et le désordre parmi les créatures de Dieu ; les démons craignaient donc que le Sauveur n'attendît pas le temps marqué pour punir l'excès de leur malice, et comme ils ne pouvaient dissimuler leurs crimes, ils le supplient de retarder au moins leur châtiment : " Et ils le priaient de ne pas leur commander d'aller dans l'abîme. " - THEOPHYL. Les démons font cette demande, parce qu'ils veulent encore rester parmi les hommes. - S. CYR. Nous avons ici une preuve évidente, que les phalanges ennemies de la majesté divine étaient précipitées dans les enfers par la puissance ineffable du Sauveur. - S. MAX. Or, le Seigneur a établi pour chaque espèce de péché un châtiment correspondant : le feu de l'enfer pour punir les ardeurs coupables de la chair, le grincement de dents pour les rires lascifs, une soif intolérable pour la volupté et l'intempérance, le ver qui ne meurt pas pour le coeur dissimulé et méchant, les ténèbres éternelles pour l'ignorance et la fourberie, les profondeurs de l'abîme pour l'orgueil, et c'est pour cela que l'abîme est destiné aux démons qui sont des esprits d'orgueil.

" Or, il y avait là un nombreux troupeau de porcs, " etc. - S. AUG. (de l'accord des Evang., 2, 24.) Saint Marc dit que ce troupeau était autour de la montagne, et saint Luc, qu'il paissait sur la montagne ; il n'y a ici aucune contradiction. Ce troupeau était si nombreux, qu'une partie pouvait être autour de la montagne, et l'autre partie se trouver sur la montagne, puisqu'il y avait jusqu'à deux mille pourceaux, comme saint Marc le raconte (Mc 5). - S. AMBr. Les démons ne peuvent supporter l'éclat de la lumière céleste, de même que ceux qui ont les yeux malades ne peuvent supporter les rayons du soleil. - S. CYR. C'est pour ce motif que cette légion d'esprits immondes demande à être envoyée dans un troupeau de pourceaux immondes, à cause de la conformité de leurs instincts : " Et ils le prièrent de leur permettre d'y entrer, et il le leur permit. " - S. ATHAN. (Vie de saint Ant.) Si les démons n'ont point de pouvoir sur les pourceaux, à plus forte raison n'en ont-ils aucun sur les hommes qui sont faits à l'image de Dieu ; c'est donc Dieu seul qu'il faut craindre et n'avoir que du mépris pour eux. - S. CYR. Notre-Seigneur leur accorda cette permission, afin que cet événement devînt pour nous une cause de salut et un motif d'espérance ou de confiance. - SUITE. " Et il le leur permit. " Considérez combien la méchanceté des démons est grande, et le mal qu'ils font à ceux qui sont soumis à leur empire en les voyant précipiter et noyer dans la mer ce troupeau de pourceaux : " Sortant donc de cet homme, les démons entrèrent dans les pourceaux ; et le troupeau prenant sa course, se précipita dans le lac par un endroit escarpé et s'y noya. " Jésus-Christ accéda à leur demande, pour faire ressortir toute leur cruauté. Il fallut aussi montrer que le Fils de Dieu avait le gouvernement de toutes choses, aussi bien que le Père, et qu'il possédait une même gloire et une puissance égale.
TITE DE BOSTR. Cependant les gardiens prennent la fuite dans la crainte de périr avec leurs pourceaux : " Ce qu'ayant vu, les gardiens s'enfuirent, et en portèrent la nouvelle dans la ville et dans les villages, " semant dans l'âme de leurs habitants la crainte et l'effroi, par le récit de cet événement. La perte qu'ils viennent d'essuyer les fait venir trouver le Sauveur : " Plusieurs sortirent pour voir ce qui était arrivé, et ils vinrent à Jésus. " Voyez comme en châtiant les hommes dans leurs biens temporels, Dieu se rend le bienfaiteur de leurs âmes. Lorsqu'ils furent arrivés, ils trouvèrent parfaitement guéri celui que le démon ne laissait pas un seul moment en repos : " Et ils trouvèrent assis à ses pieds l'homme de qui les démons étaient sortis, vêtu et sain d'esprit, lui qui, jusque-là, était toujours sans vêtement, car cet homme ne quittait pas les pieds de celui à qui il devait sa guérison. A la vue de cette guérison miraculeuse, ils furent saisis d'admiration et d'étonnement : " Et ils furent remplis de crainte, " ajoute l'Évangéliste, tant parce qu'ils virent de leurs yeux que parce qui leur était raconté : " Et ceux qui avaient vu, leur racontèrent comment il avait été délivré de la légion. " Leur premier sentiment devait être de supplier le Seigneur de ne point s'éloigner, mais de garder leur pays contre les nouvelles attaques du démon, mais non, la crainte leur fait sacrifier leur propre salut, et ils prient le Sauveur de s'éloigner d'eux.
" Alors tous les habitants du pays de Gérasa le prièrent de s'éloigner d'eux, parce qu'ils étaient saisis d'une grande frayeur. " - THEOPHYL. Ils craignaient d'être encore exposés à de nouveaux dommages, comme celui qu'ils venaient de souffrir par la perte des pourceaux. - S. CHRYS. (hom. 29 sur S. Matth.) Admirez la mansuétude de Jésus-Christ, après de si grands bienfaits, on le renvoie, il ne résiste point, il se retire et abandonne ceux qui se déclarent ainsi indignes de recevoir sa doctrine.
" Il monta donc dans la barque pour s'en retourner. " - TITE DE BOSTR. (sur S. Matth) Le Sauveur s'éloigne, mais celui qu'il venait de délivrer ne veut pas le quitter : " Et l'homme de qui les démons étaient sortis, le priait de l'admettre à sa suite. " - THEOPHYL. Une triste expérience lui faisait craindre de retomber au pouvoir des démons, s'il s'éloignait de Jésus. Mais Notre-Seigneur lui fait comprendre que, sans demeurer avec lui, il pouvait le protéger par sa puissance : " Jésus le renvoya, en disant : Retournez en votre maison, et racontez les grandes choses que Dieu a faites pour vous. " Il ne dit point : Que j'ai faites pour vous, et il nous donne en cela cet exemple d'humilité, de rapporter à Dieu tout le mérite de nos bonnes actions. - TITE DE BOSTR, (sur S. Matth.) Il ne se met pas toutefois en contradiction avec la vérité en parlant de la sorte, car tout ce que fait le Fils, le Père le fait avec lui. Mais pourquoi Jésus qui, toujours défendait à ceux qu'il guérissait de leurs infirmités, d'en parler à personne, dit à cet homme qu'il venait de délivrer d'une légion de démons : " Racontez les grandes choses que Dieu a faites pour vous ? " Parce que ce peuple était plongé dans l'ignorance de Dieu et livré tout entier au culte des démons ; ou bien, si l'on veut une explication plus vraie, lorsqu'il rapporte un miracle à son Père, il commande de le publier ; lorsqu'il s'agit personnellement de lui-même, il défend d'en parler à qui que ce soit. Mais cet homme qu'il venait d'arracher à la tyrannie des démons, savait que Jésus était Dieu, c'est pourquoi il s'empresse de publier la grâce extraordinaire qui venait de lui être faite : " Et il s'en alla, publiant par toute la ville les grandes choses que Jésus lui avait faites. " - S. CHRYS. (hom. 29 sur S. Matth.) C'est ainsi que Notre-Seigneur abandonne ceux qui se sont déclarés indignes de ses divins enseignements, en leur laissant pour maître celui qu'il venait de délivrer de la servitude des démons.

BEDE. Dans le sens mystique, Gérasa représente les Gentils, que le Seigneur a visités par ses prédicateurs, après sa mort et sa résurrection. En effet, Gérasa, ou Gergésa (comme lisent plusieurs), signifie, qui chasse l'habitant, c'est-à-dire, le démon qui l'habitait auparavant, ou encore, arrivée de l'étranger, qui s'en trouvait éloigné.

S. AMBR. Le nombre de ceux qui furent guéris dans cette circonstance par Jésus-Christ, est différent dans saint Luc et dans saint Matthieu, mais le sens mystérieux de ce miracle est le même, car cet homme qui était possédé est, dans saint Luc, la figure du peuple des Gentils, comme les deux possédés dont parle saint Matthieu, le sont également. En effet, Noé ayant eu trois fils, Sem, Cham et Japhet, la postérité de Sem eut seul le privilège d'être le peuple de Dieu, et les deux autres furent la. souche de tous les autres peuples. Cet homme était depuis longtemps, possédé du démon, parce que depuis le déluge, ces peuples étaient sous la domination de l'esprit mauvais. Il était, nu, c'est-à-dire, qu'il avait perdu les vertus qui servaient de vêtement et à la fois d'ornement à sa nature. - S AUG. (Quest. évang., 1, 14.) Il n'habitait point de maison, c'est-à-dire, qu'il ne se reposait pas dans sa conscience ; il demeurait dans les tombeaux, parce qu'il se plaisait dans les oeuvres mortes, c'est-à-dire, dans les péchés. - S. AMBR. Ou bien encore, que sont les corps des infidèles, sinon des espèces de tombeaux dans lesquels la parole de Dieu ne peut habiter ?

S. AUG. (Quest. évang., 2, 13.) Les entraves et les chaînes de fer qui liaient ses membres, représentent les lois sévères et accablantes qui réprimaient les crimes dans les gouvernements des infidèles. Cet homme ayant brisé ses chaînes, était entraîné par le démon dans le désert, c'est-à-dire que, lorsqu'on a transgressé ces lois, la passion conduit à des forfaits qui dépassent la mesure des crimes ordinaires. Il était possédé d'une légion de démons, et figurait les nations esclaves elles-mêmes d'une multitude de démons. Le Sauveur permet à ces esprits mauvais d'entrer dans des pourceaux qui paissaient sur les montagnes, et qui sont la figure de ces hommes à la fois immondes et superbes que le culte impur des idoles place sous la tyrannie des démons. - S. AMBR. Les pourceaux sont ces hommes qui, semblables à ces animaux immondes, et privés de la parole et de la raison, souillent l'éclat et la beauté des vertus naturelles par l'infamie de leurs moeurs. - S. AUG. (Quest. évang.) Ils sont précipités dans la mer, c'est-à-dire, que lorsque l'Église est enfin glorifiée et le peuple des Gentils délivré de la domination des démons, ceux qui n'ont pas voulu croire à Jésus-Christ, précipités dans les abîmes par leur curiosité aveugle et démesurée, sont condamnés à célébrer dans des retraites cachées leurs rites sacrilèges.

S. AMBR. Les pourceaux sont précipités avec impétuosité dans la mer, parce que ces hommes ne sont retenus par la considération d'aucune vertu, mais sont entraînés dans la profondeur des abîmes sur le penchant rapide de la corruption, et vont perdre la respiration et la vie au milieu des flots de ce monde. Il est impossible, en effet, à ceux qui sont le jouet des flots agités de la volupté, de pouvoir conserver la respiration et la vie de l'âme. Nous voyons par là que l'homme est lui-même l'auteur de son malheur, car s'il ne vivait pas de la vie des animaux immondes, jamais le démon n'eût reçu de pouvoir sur lui, ou bien ce n'eût été que pour l'éprouver et non pour le perdre. On peut dire aussi que le démon, dans l'impuissance où il est de s'attaquer aux bons depuis la venue du Sauveur, ne cherche plus à perdre tous les hommes, mais seulement les âmes légères et inconstantes, de même qu'un voleur n'attaque pas ceux qui sont armés, mais ceux qu'il voit sans défense. Les gardiens des troupeaux, témoins de cet événement, s'enfuirent. En effet, ce ne sont ni les maîtres de la philosophie, ni les chefs de la synagogue, qui peuvent donner des remèdes efficaces aux peuples atteints de maladies mortelles, Jésus-Christ est le seul qui peut les délivrer de leurs péchés. - S. AUG. (Quest. évang., 2, 14.) Ou bien encore, ces gardiens de pourceaux qui s'enfuirent, représentent les chefs des impies qui ne veulent point observer la loi chrétienne, mais qui, néanmoins, sont remplis d'admiration pour elle, et ne peuvent s'empêcher de publier parmi les infidèles son étonnante puissance. Les Géraséniens qui, en apprenant ce qui s'est passé, prient Jésus de s'éloigner, figurent cette multitude d'hommes qui, séduits et retenus par les plaisirs dans lesquels s'est écoulée toute leur vie, honorent la religion chrétienne, mais ne veulent point embrasser ses prescriptions, sous le prétexte qu'ils ne pourraient les accomplir ; ils ne laissent pas toutefois d'admirer le peuple fidèle qu'ils voient guéri de l'état désespéré où ses crimes l'avaient réduit. - S. AMBR. Ou bien encore, la ville des Géraséniens est la figure de la synagogue, ses habitants supplient le Seigneur de s'éloigner, parce qu'ils sont saisis d'épouvante, car l'âme qui est encore faible n'est point capable d'entendre la parole de Dieu, et ne peut supporter le poids de la sagesse. Aussi le Sauveur ne vent point leur être plus longtemps importun, il quitte ces lieux peu élevés pour gagner les hauteurs, c'est-à-dire, qu'il se rend de la synagogue à l'Église. Il traverse de nouveau le lac, car personne ne peut passer de l'Église à la synagogue, sans danger pour son salut. Pour celui qui veut accomplir ce passage, qu'il porte sa croix s'il veut éviter tout danger. - S. AUG. (Quest. évang.) Cet homme que Jésus vient de guérir, veut rester avec lui, et le Sauveur s'y oppose " Retournez en votre maison, lui dit-il, et racontez les grandes choses que Dieu a faites pour vous. Apprenons de là, qu'après avoir obtenu la rémission de nos péchés, nous devons rentrer dans notre bonne conscience comme dans une demeure assurée, et chercher à étendre l'Évangile pour le salut des autres, si nous voulons un jour nous reposer avec Jésus-Christ ; car en désirant être réuni à Jésus-Christ avant le temps marqué, on s'expose à négliger le ministère de la prédication, qui a pour objet le salut de nos frères.

vv. 43-48.
S. AUG. (de l'accord des Evang., 2, 28.) Après avoir raconté le miracle opéré chez les Géraséniens, l'Évangéliste passe à la résurrection de la fille du chef de la synagogue : " Jésus étant revenu, le peuple le reçut avec joie, parce qu'il était attendu de tous. " - THEOPHYL. Ils l'attendaient pour entendre sa doctrine et pour être témoins de ses miracles. - S. AUG. (de l'acc. des Evang.) Le fait que salut Luc rapporte en cet endroit : " Un homme, appelé Jaïre, " etc., n'arriva point aussitôt après celui qu'il vient de raconter. Il faut placer auparavant le repas des publicains dont parle saint Matthieu, et auquel il fait succéder si étroitement (Mt 9, 18) ce miracle de la résurrection de la fille de Jaïre, qu'aucun autre ne peut être placé entre les deux. - TITE DE BOST. L'Évangéliste donne le nom de ce chef de la synagogue, à cause des Juifs qui connurent alors cet événement, et pour rendre plus évidente la preuve du miracle. Ce n'est point un des derniers du peuple, mais un chef de synagogue qui vient trouver Jésus pour mieux confondre les Juifs et leur ôter toute excuse : " Il était chef de la synagogue. " Il vint trouver Jésus, parce qu'il y était comme forcé par la nécessité ; car quelquefois c'est la douleur qui nous porte au bien, selon cette parole du Psalmiste : " Resserrez avec le mors et le frein la bouche de ceux qui ne veulent point s'approcher de vous. " - THEOPHYL. Il vient donc, sous l'impulsion de la douleur qu'il éprouve, se jeter aux pieds de Jésus. Il aurait dû, sans y être contraint par la nécessité, se prosterner à ses pieds, et reconnaître sa divinité. - S. CHRYS. (hom. 32 sur S. Matth., et TITE DE BOST.) Voyez quelle est encore son ignorance, il demande à Jésus-Christ de venir chez lui : " Il le suppliait de venir dans sa maison, " c'est-à-dire qu'il ignorait que Jésus pût guérir sa fille sans être extérieurement présent ; car s'il l'avait su, il eût dit à Jésus comme le centurion : " Dites seulement une parole, et ma fille sera guérie. " (Mt 8.) - ASTERIUS. (Ch. des Pèr. gr.) L'Évangéliste nous fait connaître la cause de sa démarche : " Il avait une fille unique, l'espérance de sa maison et de la perpétuité de sa race ; elle avait environ douze ans, c'est-à-dire à la fleur de l'âge ; elle se mourait, et au lieu du lit nuptial, elle allait être portée au tombeau. " - S. CHRYS. (Ch. des Pèr. gr.) Or, le Seigneur n'était pas venu sur la terre pour juger le monde, mais pour le sauver, il n'a donc point égard à la dignité de celui qui l'implore, mais il poursuit tranquillement son oeuvre, sachant bien qu'il allait opérer un miracle plus grand que celui qu'on lui demandait. En effet, on l'appelait pour guérir une jeune fille malade, mais il savait qu'il allait la ressusciter après sa mort, et inspirer ainsi aux hommes l'espérance certaine de la résurrection.
S. AMBR. Avant de ressusciter cette jeune fille, il guérit l'hémorroïsse pour exciter la foi du chef de la synagogue ; c'est ainsi que nous célébrons la résurrection temporelle dans la passion du Sauveur, pour affermir notre foi à la résurrection éternelle : " Comme Jésus s'en allait aveu lui, et qu'il était pressé par la foule. " - S. CYR. Preuve évidente qu'il avait pris une chair véritable, et qu'il foulait aux pieds tout sentiment d'orgueil ; car la foule ne le suivait pas à distance, mais l'entourait et le pressait.
ASTERIUS. Or, une femme atteinte d'une grave maladie, dont l'infirmité avait épuisé les forces corporelles, et les médecins la fortune, n'a plus d'autre espérance dans une si grande extrémité, que devenir se jeter aux pieds du Seigneur : " Et une femme malade d'une perte de sang depuis douze ans, " etc. - TITE DE BOST. (sur S. Matth.) Quels éloges ne méritent pas, cette femme qui, dans l'épuisement de ses forces, causé par cette perte continuelle de sang, au milieu de tout ce peuple qui s'empresse autour du Seigneur, soutenue par sa foi et par le désir d'être guérie, traverse la foule, et, se dérobant aux regards du Sauveur, se tient derrière lui, et touche la frange de son vêtement (cf. Nb 15, 38)
" Et elle toucha la frange de son vêtement. " - S. CYR. Car il était défendu à ceux qui étaient souillés de quelque impureté, de toucher ceux qui étaient purs, ou de s'approcher de ceux que la loi réputait pour saints. - S. CHRYS. (hom. 32 sur S. Matth.) D'après la loi, cette maladie était regardée comme une des plus grandes souillures. (Lv 15.) D'ailleurs cette femme n'avait pas encore une bien juste idée du Sauveur, puisqu'elle espérait pouvoir lui cacher cette démarche ; cependant elle s'approche de lui dans la ferme espérance d'être guérie.

THEOPHYL. Celui qui approche l'oeil d'une vive lumière, en ressent aussitôt les effets ; les épines s'embrasent au premier contact du feu ; ainsi, quiconque s'approche avec foi de celui qui peut le guérir, obtient aussitôt sa guérison : " Et aussitôt sa perte de sang s'arrêta. " Ce ne furent pas les seuls vêtements du Sauveur qui produisirent ce merveilleux effet (car les soldats les tirèrent au sort entre eux, sans éprouver rien de semblable) (cf. Mt 27, 35 ; Mc 15, 34 ; Jn 19, 23 et 24), mais elle fut guérie par la vivacité de sa foi. - THEOPHYL. Elle crut, et aussitôt elle fut guérie, et elle suivit ici un ordre vraiment admirable en ne touchant extérieurement le Sauveur qu'après l'avoir touché spirituellement par la foi.
ASTERIUS. Or, Notre-Seigneur entendit les pensées de cette femme, toute muettes qu'elles étaient, et il guérit sans proférer une seule parole celle qui le priait en silence, en lui laissant pour ainsi dire dérober sa guérison, mais il publie ensuite ce miracle : " Et Jésus dit : Qui m'a touché ? " - S. CYR. Le Seigneur ne pouvait ignorer le miracle qu'il venait d'opérer, mais bien qu'il connaisse toutes choses, il interroge comme s'il ne savait rien. - S. GREG. (ou Victor d'Antioche.) Or, les disciples ne comprenant pas la vraie signification de cette question, et pensant que Jésus voulait parler d'un simple attouchement ordinaire, lui répondent dans ce dernier sens : " Tous s'en défendant, Pierre dit : La foule vous presse de toutes parts, et vous dites : Qui m'a touché ? " etc. Aussi Notre-Seigneur, dans sa réponse, précise la nature de cet attouchement : " Jésus dit : Quelqu'un m'a touché. " C'est dans ce même sens qu'il disait : " Que celui qui a des oreilles pour entendre, qu'il entende, " quoique tous aient les oreilles du corps, parce que ce n'est pas entendre véritablement, que d'entendre sans attention ; de même qu'on ne touche véritablement, que lorsqu'on est inspiré par la foi. - S. CYR. Le Sauveur fait connaître ce qui vient d'arriver : " Car j'ai senti qu'une vertu était sortie de moi. " En parlant de la sorte, il se conforme aux idées de ceux qui l'écoutent, mais il leur découvre en même temps sa divinité, tant par le miracle qu'il vient d'opérer, que par ses paroles ; car ni la nature humaine, ni peut-être la nature angélique ne peuvent produire d'elles-mêmes une vertu, une puissance semblable, c'est un privilège qui n'appartient qu'à la nature divine ; nulle créature, en effet, ne possède en propre la puissance de guérir les maladies ou d'opérer tout autre miracle de ce genre, elle ne peut la recevoir que de Dieu. Or, ce n'est point par un vain désir de gloire qu'il voulut que cet acte de la puissance divine fût connu de tous, lui qui si souvent avait défendu de publier ses miracles, mais dans l'intérêt de ceux qui sont appelés à la grâce de la justification par la foi. - S. CHRYS. (hom. 36 sur S. Matth.) Il commence par calmer la crainte de cette femme, dont la conscience alarmée aurait pu lui reprocher d'avoir comme dérobé la grâce de sa guérison ; troisièmement, il fait l'éloge de sa foi devant tous ceux qui sont présents, et la propose à leur imitation ; et en faisant voir que toutes choses lui sont connues, il ne fait pas un moindre miracle que celui de la guérison de cette femme. - S. CYR. Par là enfin, il amenait le chef de la synagogue à croire, sans hésiter, qu'il délivrerait sa fille des liens de la mort.
S. CHRYS. Notre-Seigneur ne fit pas connaître immédiatement cette femme, il voulait, en montrant que rien ne lui est caché, la déterminer à publier ce qui venait d'arriver et qu'il ne pût exister aucun doute sur la vérité du miracle : " Cette femme, se voyant découverte, vint toute tremblante, " etc. - ORIG. Le Sauveur confirme alors, par ses paroles, la guérison qu'elle a obtenue en touchant ses vêtements : " Et Jésus lui dit : Ma fille, votre foi vous a guérie, allez en paix, " c'est-à-dire soyez délivrée de l'épreuve qui vous affligeait. Il ne guérit donc le corps qu'après avoir guéri l'âme par la foi. - TITE DE BOST. Il l'appelle sa fille, parce que sa foi a été la cause de sa guérison, et que la foi nous obtient aussi la grâce de l'adoption.
EUSEBE. (hist. ecclés., 7, 14.) On rapporte que cette femme fit ériger dans la ville de Panéade (Césarée de Philippe), d'où elle était originaire, un monument remarquable, en souvenir du bienfait qu'elle avait reçu du Sauveur. On voyait à l'entrée de la porte de sa demeure, sur un piédestal élevé, une statue d'airain, représentant une femme à genoux, les mains jointes, dans l'attitude de la prière ; de l'autre côté se dressait une autre statue de même matière, représentant un homme vêtu d'un manteau, la main étendue vers cette femme ; à ses pieds, sur la base, on voyait une plante exotique, qui montais jusqu'au bord du manteau d'airain, et à laquelle on attribuait la propriété de guérir toutes les douleurs. Cette statue, disait-on, représentait Jésus-Christ, et l'empereur Maximin la fit détruire.

S. AMBR. Dans un sens mystique, Jésus-Christ avait quitté la synagogue en s'éloignant des Géraséniens, et nous qui sommes étrangers, nous recevons celui que les siens n'ont pas voulu recevoir. - BEDE. Ou encore, le Seigneur reviendra trouver les Juifs à la fin des temps, et ils le recevront en s'empressant d'embrasser la foi. - S. AMBR. Mais que représente ce chef de la synagogue, sinon la loi, en considération de laquelle le Seigneur n'a pas entièrement abandonné la synagogue ? - BEDE. Ou bien ce prince de la synagogue, c'est Moïse. Il porte avec raison le nom de Jaïre (c'est-à-dire qui éclaire ou qui est éclairé), parce que celui qui reçoit les paroles de vie pour nous les communiquer, éclaire les autres, et est éclairé lui-même par l'Esprit-Saint. Le chef de la synagogue se prosterne aux pieds de Jésus, parce que le législateur des Juifs, et toute la succession des patriarches reconnurent que le Christ fait homme leur était de beaucoup supérieur. Car si Dieu est la tête du Christ (1 Co 11), il est juste de voir dans ses pieds son incarnation par laquelle il a touché la terre de notre mortalité. Il prie Jésus d'entrer dans sa maison, parce qu'il désirait voir son avènement. Sa fille unique, c'est la synagogue, qui seule est établie en vertu d'une institution légale ; elle allait mourir, âgée seulement de douze ans (c'est-à-dire aux approches de sa puberté), parce qu'en effet, après avoir reçu des prophètes une éducation distinguée, elle devait, une fois parvenue à l'âge du discernement, produire pour Dieu des fruits spirituels ; mais la multiplicité de ses erreurs l'ayant fait tomber en langueur, elle ne put entrer dans les voies de la vie spirituelle, et si Jésus-Christ ne fût venu à son secours, elle eût succombé à une mort certaine. Tandis que le Seigneur se dirige vers la maison de la jeune fille qu'il va guérir, il est pressé par la foule, parce qu'en effet, il est comme accablé par les moeurs de ceux qui mènent une vie charnelle, alors qu'il annonce aux Juifs les enseignements du salut. - S. AMBR. Mais tandis que le Verbe de Dieu se rend chez cette fille du chef de la synagogue pour sauver les enfants d'Israël, la sainte Église, composée des Gentils, et qui allait périr victime de ses désordres et de ses crimes, dérobe par la foi la grâce de la guérison qui était réservée à d'autres. - BEDE. Cette perte de sang peut s'entendre de deux manières, et de la prostitution de l'idolâtrie, et des honteuses jouissances de la chair et du sang. - S. AMBR. Mais que signifient cette fille du chef de la synagogue, qui meurt à l'âge de douze ans, et cette femme qui souffrait depuis douze ans d'une perte de sang, sinon que l'Église a été dans le travail et la souffrance, tant que la synagogue a existé ? - BEDE. Car ce fut presque dans le même siècle que la synagogue prit naissance dans la personne des patriarches, et que les Gentils se souillèrent par les pratiques d'un culte idolâtrique.
S. AMBR. Cette femme avait épuisé toute sa fortune pour se faire traiter par les médecins ; ainsi le peuple des Gentils avait perdu tous les dons de la nature. - BEDE. Ces médecins représentent ou les faux théologiens, ou les philosophes, et les docteurs des lois humaines, qui font de longues dissertations sur les vertus et sur les vices, et promettent aux hommes de leur donner des règles utiles pour les diriger dans la conduite de la vie. Ou bien encore, ces médecins sont les esprits immondes qui, sous le voile d'un intérêt hypocrite, se faisaient adorer par les hommes à la place de Dieu. Or, plus la gentilité avait dépensé de facultés naturelles pour écouter tous ces docteurs, et plus il était difficile de la purifier des souillures de ses crimes. - S. AMBR. Mais dès que la gentilité apprit que le peuple juif était lui-même malade, elle conçut l'espoir de sa guérison, elle reconnut que le temps était arrivé où un divin médecin devait descendre du ciel, elle se leva pour aller à sa rencontre, puisant un saint empressement dans sa foi, mais retenue par sa timidité naturelle ; car c'est le propre de la pudeur et de la foi de reconnaître son infirmité, sans désespérer du pardon. Elle touche le bord du vêtement du Sauveur honteuse et craintive, elle s'approche avec confiance, elle croit d'une foi religieuse et sincère, et reconnaît sagement qu'elle a obtenu sa guérison. Ainsi le peuple des Gentils qui a cru au vrai Dieu, a rougi des crimes auxquels il voulait renoncer, a embrassé la foi qu'il devait professer, fait preuve de piété dans ses prières, de sagesse, en reconnaissant sa guérison, de confiance, en avouant qu'il avait comme soustrait la grâce qui était destinée à d'autres. Cette femme s'approche de Jésus par derrière, pour toucher son vêtement, parce qu'il est écrit : " Vous marcherez après le Seigneur votre Dieu. " (Dt 13.) - BEDE. Et Jésus-Christ lui-même a dit : " Si quelqu'un veut être mon serviteur, qu'il me suive. " (Jn 13.) Ou bien encore, parce que celui qui ne voit point le Seigneur dans sa chair mortelle, après l'accomplissement et la consommation des mystères de sa vie temporelle, marche cependant sur ses traces par la foi.
S. GRÉG. (Mor., 3, 11.) Tandis que la foule presse de tous côtés le Rédempteur, une seule femme le touche véritablement, parce que dans l'Église, tous ceux qui suivent les penchants de la chair pressent le Sauveur, dont ils sont cependant bien éloignés, et ceux-là seuls le touchent, qui lui sont véritablement unis par l'humilité. Ainsi la foule le presse sans le toucher, parce qu'elle est importune par sa présence, et absente par sa vie. - BEDE. Ou bien encore, il n'y a qu'une seule femme pour toucher le Seigneur avec foi, parce qu'on ne peut chercher avec foi que par le coeur de l'Église catholique celui qui est affligé par le désordre des diverses hérésies. - S. AMBR. Ceux qui le pressent, ne croient point en lui, ceux-là seuls ont la foi, qui le touchent ; c'est par la foi que l'on touche Jésus-Christ, c'est par la foi qu'on le voit. Enfin, pour manifester la foi de cette femme qui le touche, il dit : " J'ai senti qu'une vertu était sortie de moi, " preuve évidente que la divinité n'est pas renfermée dans les bornes étroites de la nature humaine, et dans la prison du corps, mais que sa puissance éternelle déborde au delà des limites de notre faible nature. Ce n'est pas, en effet, par un acte de la puissance humaine, que le peuple des Gentils est délivré, c'est la grâce de Dieu qui réunit toutes les nations qui, par une foi encore imparfaite, inclinent vers elle la miséricorde éternelle. En effet, si nous considérons d'un côté l'étendue de notre foi ; de l'autre la grandeur du Fils de Dieu, nous verrons qu'en comparaison de cette grandeur divine, nous touchons seulement le bord de son vêtement, sans que nous puissions en atteindre le haut. Si donc nous voulons obtenir notre guérison, touchons par la foi le bord du vêtement de Jésus-Christ, personne ne peut le toucher sans qu'il le sache. Heureux celui qui touchera la moindre partie du Verbe, car qui peut le comprendre tout entier ?

vv. 49-56.
S. CHRYS. (hom. 32 sur S. Matth.) C'est par un dessein providentiel que Notre-Seigneur attendait que cette jeune fille fût morte, afin de rendre plus éclatant le miracle de sa résurrection ; c'est dans cette intention qu'il marche lentement, qu'il prolonge son entretien avec cette femme, jusqu'à ce que la fille du chef de la synagogue expirât, et que la nouvelle lui en fût apportée : " Comme il parlait encore, quelqu'un vint dire au chef de la synagogue : Votre fille est morte, " etc. - S. AUG. (de l'acc. des Evang., 2, 28.) Que saint Matthieu raconte que le chef de la synagogue annonce au Seigneur, non que sa fille allait mourir, mais qu'elle était morte, tandis que saint Luc et saint Marc rapportent qu'elle n'était pas encore morte, tellement qu'ils ajoutent qu'on vint ensuite annoncer sa mort, il n'y a ici aucune contradiction. Saint Matthieu, pour abréger, a voulu dire tout d'abord, que le Seigneur fut prié de faire ce qu'il fit en réalité, c'est-à-dire, de ressusciter cette jeune fille qui était morte ; il a donc moins égard aux paroles du père, qu'à son désir et à sa volonté, ce qui est beaucoup plus important, sans doute. Si les deux autres Évangélistes, ou l'un d'eux seulement avait mis dans la bouche du père le langage de ceux qui vinrent de chez lui, c'est-à-dire, qu'il ne fallait pas davantage tourmenter Jésus, parce que la jeune fille était morte ; les paroles que lui prête saint Matthieu, seraient en opposition avec sa pensée, mais on ne lit nullement que le père se soit joint aux envoyés pour empêcher le divin Maître de venir. Aussi Notre-Seigneur, sans lui reprocher son manque de confiance, affermit au contraire sa foi et la rend inébranlable : " Jésus, ayant entendu cette parole, dit au père de la jeune fille : Croyez seulement et elle sera sauvée. " - S. ATHAN. (disc. sur la pass. et la croix du Seigneur.) Le Seigneur exige la foi de ceux qui l'invoquent, non qu'il ait besoin du secours d'autrui (puisqu'il est le maître et le distributeur de la foi), mais pour ne point paraître faire acception de personne dans la distribution de ses dons. Il montre ainsi qu'il n'accorde ses grâces qu'à ceux qui croient, parce qu'il ne veut pas que ses bienfaits tombent dans une âme dépourvue de foi, qui les laissera bientôt perdre par son infidélité, Il veut au contraire que la grâce de ses bienfaits persévère, et que la guérison qu'il accorde soit constante et durable.
THEOPHYL. Avant de ressusciter cette jeune fille qui était morte, il fit sortir tout le monde, pour nous apprendre à fuir toute vaine gloire et à ne rien faire par ostentation Ainsi, lorsque Dieu donne à quelqu'un la grâce de faire des miracles, il ne doit point rester dans la foule, mais rechercher la solitude et se séparer du monde : " Etant arrivé à la maison, il ne permit à personne d'entrer avec lui, si ce n'est à Pierre, à Jacques et à Jean. " Il ne laisse entrer que les premiers de ses disciples, comme plus capables de tenir secret ce miracle, car il ne voulait pas qu'il fût divulgué avant les temps marqué, peut-être à cause de l'envie que lui portaient les Juifs. Ainsi, lorsque nous sommes pour un de nos frères un objet d'envie, gardons-nous de lui faire connaître nos bonnes oeuvres, pour ne pas donner à sa jalousie une nouvelle pâture. - S. CHRYS. (hom. 32 sur S. Matth.) Il ne prit point avec lui les autres disciples, pour stimuler leurs désirs, et aussi parce que leurs dispositions n'étaient pas assez parfaites. Il choisit Pierre et les fils de Zébédée, pour exciter les autres à les imiter. Il prend aussi comme témoins les parents de la jeune fille, afin que personne ne pût s'inscrire en faux contre les preuves de cette résurrection. Remarquez encore qu'il fit retirer tous ceux qui pleuraient, et qu'il juge indignes de voir ce miracle : " Or, tous pleuraient et se lamentaient sur elle. " Si le Sauveur bannit alors les pleurs et les larmes, à plus forte raison, devons-nous maintenant imiter cet exemple ? Car on ne comprenait pas aussi clairement alors que la mort ne fût qu'un sommeil pour le chrétien. Que personne donc ne s'abandonne à une douleur exagérée, et ne fasse ainsi injure à la victoire que Jésus-Christ a remportée sur la mort, qui n'est plus maintenant qu'un simple sommeil, comme Notre-Seigneur l'établit, en ajoutant : " Ne pleurez pas, elle n'est, pas morte, mais elle dort. " Il montre ainsi que toutes choses lui sont faciles, et qu'il peut aussi facilement la rappeler à la vie que la réveiller de son sommeil : " Et ils se moquaient de lui, sachant bien qu'elle était morte. " Le Sauveur ne leur fait aucun reproche, il n'arrête pas leurs dérisions qui seront une preuve évidente de la mort de cette jeune fille. Comme la plupart du temps, les hommes, malgré les miracles dont ils sont témoins, persévèrent dans leur incrédulité, il veut les convaincre d'avance par leurs propres paroles, et pour les disposer à croire à la résurrection par le spectacle qu'ils avaient sous les yeux, il prend la main de la jeune fille : " Alors prenant sa main, il dit à haute voix : Jeune fille, levez-vous. " Et dès qu'il eut pris sa main, elle fut ressuscitée : " Et son âme revint dans son corps, et elle se leva à l'instant. " En effet, le Sauveur ne lui donne pas une âme différente de la sienne, mais il lui rend la même qu'elle avait perdue avec le dernier soupir. Non seulement il ressuscite cette jeune fille, mais il veut qu'on lui donne à manger : " Et Jésus commanda de lui donner à manger, " preuve évidente que cette résurrection n'était pas imaginaire. Et il ne veut pas lui donner à manger lui-même, il la fait servir par d'autres ; il agit de même dans la résurrection de Lazare, il dit à ses disciples : " Déliez-le, " et l'admet ensuite à sa table.

SEVERE D'ANTIOCHE. Les parents de cette jeune fille sont plongés dans la stupeur et prêts à pousser des exclamations d'étonnement et de joie ; Jésus les contient : " Son père et sa mère étaient hors d'eux-mêmes d'étonnement, et il leur commanda de ne dire à personne ce qui était arrivé. " Il montre ainsi qu'il est l'auteur et la source de tous les biens, qu'il les répand sans aucune recherche personnelle, et qu'il donne tout sans rien recevoir. Celui, au contraire, qui poursuit avec empressement la vaine gloire dans ses bonnes oeuvres, donne, il est vrai d'un côté, mais pour recevoir de l'autre.

BEDE. Dans le sens mystique, à peine cette femme malade d'une perte de sang, est-elle guérie, qu'on vient annoncer à Jésus la mort de la fille du chef de la synagogue. C'est qu'en effet, lorsque l'Église fut purifiée des souillures de ses vices, la synagogue expira aussitôt victime de son infidélité et de sa noire envie ; de son infidélité parce qu'elle refuse de croire en Jésus-Christ, de jalousie, parce qu'elle s'attrista de voir l'Église embrasser la foi.
S. AMBR. Les serviteurs du prince de la synagogue eux-mêmes ne pouvaient croire encore à la résurrection que Jésus-Christ avait prédite dans la loi (Ps 15), et qu'il accomplit plus tard sous le règne de l'Évangile, et ils disent au père de la jeune fille : " Ne le tourmentez pas davantage, " comme s'il lui était impossible de rappeler cette jeune fille à la vie. - BEDE. C'est le même langage que tiennent encore aujourd'hui ceux qui regardent l'état de la synagogue comme tellement désespéré, qu'ils ne croient pas qu'elle puisse être jamais rétablie, mais ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu (Lc 18). Aussi le Sauveur dit au chef de la synagogue : " Ne craignez pas, croyez seulement, et elle sera sauvée. " Le père de la jeune fille représente la réunion des docteurs de la loi, s'ils consentent à embrasser la foi, la synagogue qui leur est soumise sera également sauvée. - S. AMBR. Lorsque Jésus fut venu dans la maison, il ne prit avec lui que quelques témoins de la résurrection qu'il allait opérer ; c'est qu'en effet, la résurrection n'a été crue d'abord que par un petit nombre. Mais pourquoi cette manière d'agir si différente ? Précédemment, il a ressuscité publiquement le fils d'une veuve ; ici il éloigne la foule des témoins ; dans cette première circonstance, Notre-Seigneur voulait manifester sa bonté, parce que la douleur de cette veuve qui pleurait son fils unique, ne souffrait aucun retard. Il voulait aussi dans sa sagesse, nous donner une figure, dans le fils de la veuve de Naïm, de l'Église, qui devait embrasser promptement la foi, et dans la fille du chef de la synagogue, les Juifs qui devaient croire, mais en très-petit nombre. Enfin, lorsque Notre-Seigneur leur dit : " Cette jeune fille n'est pas morte, mais elle dort. " Ils se riaient de lui, car quand on ne croit pas, on devient nécessairement moqueur. Laissons donc pleurer leurs morts à ceux qui les regardent comme morts sans retour ; avec la foi en la résurrection, il n'y a plus de mort, il n'y a plus qu'un sommeil passager. Quant à la synagogue qui a perdu la joie de l'époux qui faisait sa vie, elle reste étendue comme morte au milieu de ceux qui la pleurent, sans même comprendre le sujet de leurs larmes. - S. AMBR. Le Seigneur prend la main de la jeune fille pour la rappeler à la vie ; heureux celui que la sagesse prend ainsi par la main pour l'introduire dans sa maison, et commander qu'on lui donne à manger ! Car le Verbe de Dieu est vraiment le pain descendu du ciel, aussi entendez la Sagesse qui a multiplié sur les autels le corps et le sang d'un Dieu pour être notre nourriture, vous dire : " Venez, mangez le pain que je vous donne, et buvez le vin que je vous ai préparé. " (Pv 9.) - BÈDE. La jeune fille se leva à l'instant, car dès que Jésus-Christ prend et soutient la main de l'homme, son âme revient aussitôt à la vie. Or, il en est quelques-uns qui trouvent la mort de l'âme dans une simple pensée coupable qui ne se manifeste par aucun acte ; le Seigneur leur rend la vie dans la fille du chef de la synagogue. D'autres en viennent aux actes extérieurs du mal dans lequel ils se complaisent, et portent pour ainsi dire leur mort publiquement hors des portes, ils sont figurés par le fils de la veuve, que Jésus ressuscita hors des portes de la ville, et il montre ainsi qu'il peut les ressusciter. D'autres enfin sont ensevelis dans les habitudes du péché comme dans la corruption du tombeau, et la grâce du Sauveur est également puissante pour leur rendre la vie, c'est pour le prouver qu'il ressuscite Lazare, qui était déjà depuis quatre jours dans le tombeau. Or, plus les crimes qui ont donné la mort à l'âme sont graves, plus doit être vive la ferveur de la pénitence. Aussi, Notre-Seigneur parle à voix modérée pour ressusciter la jeune fille étendue morte dans la maison de ses parents ; il prend un ton plus élevé, et en dit davantage pour rappeler à la vie le jeune homme qu'on portait au tombeau ; mais pour ressusciter Lazare mort depuis quatre jours, il frémit en son esprit, il verse : des larmes, et jette un grand cri. Remarquons encore que les fautes publiques exigent un remède public, tandis que les péchés moins graves peuvent être effacés par les oeuvres secrètes de la pénitence. Cette jeune fille étendue morte dans la maison de ses parents, revient à la vie devant un petit nombre de témoins ; le fils de la veuve de Naïm est ressuscité hors de la maison et devant tout le peuple, et Lazare, rappelé du tombeau, eut pour témoins de sa résurrection un nombre considérable de Juifs.