CATANA AUREA SUR SAINT LUC

PRÉFACE DE L'EXPLICATION

ÉVANGILE DE SAINT LUC PAR SAINT THOMAS

SAINT THOMAS D'AQUIN CATENA AUREA SUR SAINT LUC

CHAPITRE VI

vv. 1-5.
S. AMBR. Ce n'est pas seulement par ses enseignements, mais par sa conduite et par ses actes, que Notre-Seigneur commence à dépouiller l'homme des observances de l'ancienne loi. " Or, un jour de sabbat, appelé le second-premier, comme Jésus passait le long des blés, ses disciples cueillaient des épis, " etc. - BEDE. L'importunité de la foule ne laissait pas aux disciples le temps de manger, et comme ils éprouvaient le besoin de la faim, ils l'apaisent en mangeant les épis qu'ils froissent entre leurs mains, preuve d'une vie simple et austère, qui, loin de chercher des mets apprêtés, se contente des aliments les plus simples. - THEOPHYL. C'était, dit l'Évangéliste, le sabbat second-premier, parce que les Juifs donnaient le nom de sabbat à toutes les fêtes. En effet, le mot sabbat signifie repos. Or, il arrivait souvent qu'une fête tombait la veille du sabbat, et on appelait ce jour sabbat à cause de la fête ; puis alors le véritable jour du sabbat était appelé second-premier, comme étant le second après la fête qui avait précédé. - S. CHRYS. (hom. 40 sur S. Matth.) Il y avait alors une double fête, celle du jour même du sabbat et celle de la solennité qui lui succédait, et à laquelle on donnait aussi le nom de sabbat. - S. ISID. Il appelle ce sabbat second-premier, parce que c'était le second jour de Pâque, et le premier des Azymes. En effet, on immolait la pâque le soir, et le jour suivant on célébrait la fête des Azymes. Ce qui rend cette explication plus vraisemblable, c'est que nous voyons les Apôtres arracher des épis et les manger ; car dans cette époque de l'année, les épis s'inclinent sous le poids des grains qu'ils contiennent. - S. EPIPH. (contre les hérés., liv. I, ch. xxx.) Ils passaient donc le long des champs de blé un jour de sabbat, et ils mangeaient des épis pour montrer que la loi du sabbat a cessé d'exister depuis la venue du grand sabbat, c'est-à-dire de Jésus-Christ, qui nous a donné le repos après les fatigues que nos crimes nous avaient causées.

S. CYR. Les pharisiens et les scribes, dans leur ignorance des saintes Écritures, conspiraient entre eux pour accuser les disciples de Jésus-Christ : " Alors quelques-uns des pharisiens leur dirent : Pourquoi faites-vous ce qu'il n'est pas permis de faire ? " etc. Mais dites-moi vous-mêmes, lorsque la table est servie devant vous le jour du sabbat, hésitez-vous à rompre le pain ? Pourquoi donc reprenez-vous les autres ? - BEDE. Il en est qui prétendent que ce reproche fut fait à Notre-Seigneur en personne, mais il a pu très-bien être fait par différentes personnes et au Sauveur lui-même, et à ses disciples ; et quoiqu'il en soit, c'était surtout à lui que le reproche s'adressait.

S. AMBR. Or, le Seigneur accuse à son tour les défenseurs de la loi, de ne pas connaître ce que la loi renferme, et il leur cite à l'appui l'exemple de David : " Jésus leur répondit : N'avez-vous pas lu, " etc. - S. CYR. Comme s'il disait : La loi de Moïse fait cette recommandation expressément : " Jugez selon la justice, ne faites point acception de personnes dans vos jugements ; " pourquoi donc accusez-vous mes disciples, vous qui ne cessez d'exalter David comme un saint et comme un prophète, bien qu'il n'ait pas observé le commandement de Moïse ? - S. CHRYS. (hom. 40 sur S. Matth.) Remarquez que, lorsque Notre-Seigneur prend la défense de ses serviteurs (c'est-à-dire de ses disciples), il cite à l'appui l'exemple de simples serviteurs, celui de David et des prêtres, mais quand il répond à ses propres accusateurs, il en appelle à l'exemple de son Père, comme lorsqu'il dit : " Mon Père agit sans cesse, et moi j'agis aussi (Jn 5, 17). "

THEOPHYL. Il leur répond encore d'une autre manière : " Et il ajouta : Le Fils de l'homme est maître même du sabbat ; " comme s'il disait : Je suis maître du sabbat, et j'en dispose à mon gré, et comme législateur, j'ai le pouvoir de supprimer le sabbat. Jésus-Christ était appelé Fils de l'homme, parce que tout Fils de Dieu qu'il était, il a daigné devenir miraculeusement Fils de l'homme et en porter le nom par amour pour les hommes. - S. CHRYS. D'après saint Marc, Notre-Seigneur justifie ses disciples par une considération propre à tous les hommes : " Le sabbat, leur dit-il, a été fait pour les hommes, et non l'homme pour le sabbat. " Donc il faut mettre le sabbat au-dessous de l'homme, plutôt que de placer l'homme sous le joug du sabbat,

S. AMBR. Cette action des disciples renferme un grand mystère. Le champ de blé, c'est le monde entier ; la moisson, dont ce champ est couvert, c'est la prodigieuse fécondité des saints répandus dans le champ du genre humain ; les épis sont les fruits de l'Église ; les Apôtres en font tomber les grains et les mangent, c'est-à-dire qu'ils se nourrissent de nos progrès dans la vertu, en séparant de leur enveloppe extérieure les oeuvres et les fruits de l'âme pour les faire paraître à la lumière de la foi par les miracles éclatants de leurs oeuvres. - BEDE. Ils broient les épis dans leurs mains, c'est-à-dire qu'ils font mourir le vieil homme dans ceux qu'ils veulent unir au corps de Jésus-Christ, en les séparant de toute intention terrestre. - S. AMBR. Les Juifs croyaient que c'était là une action défendue le jour du sabbat ; mais Jésus-Christ, en venant apporter le bienfait inestimable de la grâce nouvelle, voulait désigner à la fois le repos de la loi et le travail de la grâce. C'est dans un dessein tout particulier que saint Luc appelle ce jour le sabbat second-premier, et non premier-second, parce qu'en effet, le sabbat établi par la loi, qui était le premier, est supprimé, et celui qui était le second par ordre de temps est devenu le premier. Il est donc appelé second par ordre de temps, et premier, à cause de l'excellence de l'opération de la grâce ; car le sabbat qui délivre du châtiment est supérieur à celui qui prescrit la punition. Ou encore, ce sabbat est le premier dans les desseins éternels de Dieu, et le second par ordre d'institution. David, qui fuit avec ses compagnons, est dans la loi la figure de Jésus-Christ qui se dérobe avec ses disciples à la connaissance et aux poursuites du prince du monde. Mais pourquoi ce fidèle observateur et ce zélé défenseur de la loi mange-t-il lui-même de ces pains, et en donne-t-il à ceux qui étaient avec lui (alors que les prêtres seuls pouvaient en manger) ? C'était pour nous montrer par cette action, que la nourriture réservée jusqu'alors aux prêtres, deviendrait la nourriture des peuples, ou bien que tous nous devions imiter les vertus de la vie sacerdotale, ou enfin que tous les enfants de l'Église sont de véritables prêtres. En effet, nous recevons l'onction sainte qui nous consacre prêtres pour nous offrir nous-mêmes à Dieu comme des hosties spirituelles. (1 P 2)
Mais puisque le sabbat a été fait pour les hommes, et que leur utilité demandait que l'homme ne fût plus soumis au jeûne prolongé d'une faim mortelle (lui qui avait été si longtemps privé des fruits de la terre), la loi, loin d'être détruite, reçoit ici son accomplissement.

vv. 6-11.
S. AMBR. Notre-Seigneur passe à des oeuvres différentes ; il venait pour sauver l'homme tout entier, il commence par le guérir partiellement, un membre après l'autre : " Un autre jour de sabbat, Jésus entra dans la synagogue pour y enseigner. " - BEDE. Il choisit de préférence le jour du sabbat, pour enseigner et pour guérir, non seulement afin d'annoncer ainsi le sabbat spirituel, mais aussi parce que le peuple se trouvait réuni en plus grand nombre. - S. CYR. Il enseignait des vérités qui surpassaient l'intelligence, et il ouvrait à ceux qui l'entendaient la voix du salut, qu'il venait apporter au monde ; et ensuite il donnait pour appui à sa doctrine les oeuvres de sa toute-puissance : " Et il y avait là un homme dont la main droite était desséchée. "
BEDE. Le Maître vient de justifier par un exemple des plus louables la conduite de ses disciples, accusés de violer le jour du sabbat ; ses ennemis l'observent maintenant lui-même pour le calomnier : " Or, les scribes et les pharisiens l'observaient pour voir s'il le guérirait le jour du sabbat, " tout disposés à l'accuser de cruauté et d'impuissance, s'il ne le guérissait point, ou de violer le sabbat s'il le guérissait : " Afin dit l'Évangéliste, d'avoir sujet de l'accuser. " - S. CYR. Tel est bien le caractère de l'homme envieux, il nourrit en lui-même sa douleur avec les louanges qu'il entend donner aux autres ; mais le Seigneur connaît toutes choses et pénètre le secret des coeurs : " Or comme il connaissait leurs pensées, il dit à l'homme qui avait la main desséchée : Levez-vous, et tenez-vous là debout au milieu, et se levant, il se tint debout. " Peut-être le Sauveur voulait-il exciter la commisération de ces pharisiens cruels, et amortir le feu de la passion qui les dévorait.

BEDE. Cependant Notre-Seigneur, voulant prévenir l'accusation qu'ils préparaient contre lui, leur reproche de mal interpréter les prescriptions de la loi, eux qui croyaient qu'on devait s'interdire même les bonnes oeuvres le jour du sabbat, tandis que la loi ne défend que les oeuvres serviles, c'est-à-dire les oeuvres mauvaises : " Alors Jésus leur dit : Je vous le demande, est-il permis de faire du bien le jour du sabbat ? " - S. CYR. Cette question était pleine d'opportunité. En effet, s'il est permis de faire le bien le jour du sabbat, et que rien ne s'oppose à ce que la miséricorde de Dieu vienne au secours de ceux qui souffrent, cessez donc de réunir vos accusations calomnieuses contre Jésus-Christ. Si au contraire, il n'est pas permis de faire du bien le jour du sabbat, et si la loi défend de sauver les âmes, vous devenez l'accusateur de la loi. De plus, si nous voulons examiner les motifs de l'institution du sabbat, nous trouverons qu'il a été établi dans un but de miséricorde. En effet, Dieu commande le repos le jour du sabbat, " afin, dit-il, que votre serviteur, votre servante et vos animaux puissent se reposer. " (Ex 20, 22.) Or, celui qui a compassion du boeuf et des autres animaux, pourrait-il être sans pitié pour un homme qui souffre d'une maladie cruelle ? - S. AMBR. La loi était dans le temps présent la figure de la vie future, où nous nous reposerons en nous abstenant de toute oeuvre corporelle, mais non des bonnes oeuvres, telle que la louange de Dieu. - S. AUG. (Quest. évang., 2, 7.) Lorsque Notre-Seigneur eut guéri cet homme, il fait cette question aux pharisiens : " Est-il permis de sauver l'âme ou de la laisser périr ? " Il parle de la sorte, parce qu'il opérait ses miracles pour établir la foi qui est le salut de l'âme ; ou encore, parce que la guérison de la main droite était le symbole du salut de l'âme qui, en cessant de faire des bonnes oeuvres, avait pour ainsi dire la main droite desséchée ; ou bien enfin, l'âme ici est prise pour l'homme tout entier, comme lorsqu'on dit : " Il y avait là tant d'âmes (Gn 46, 27). "

S. AUG. (de l'accord des Evang., 2, 35.) On peut se demander comment, d'après saint Matthieu, ce sont les pharisiens qui demandent à Notre-Seigneur s'il est permis de guérir le jour du sabbat, tandis que, d'après saint Luc, c'est le Sauveur lui-même qui leur fit cette question. Nous répondons que les pharisiens ont pu très-bien demander les premiers à Notre-Seigneur, s'il était permis de guérir le jour du sabbat ; et que lui-même ensuite connaissant leurs pensées, et sachant qu'ils cherchaient une occasion de l'accuser, plaça au milieu d'eux cet homme qu'il voulait guérir, et leur adressa la question que saint Marc et saint Luc mettent dans sa bouche.

" Et les ayant tous regardés, " etc. - TITE DE BOST. Il attire par là les regards de tous ceux qui sont présents, il concentre en même temps toute leur attention sur l'oeuvre qu'il va faire, et il dit à cet homme : " Étendez votre main, " je vous le commande, moi qui ai créé l'homme, cet homme qui avait la main paralysée, obéit, et il est guéri sur le champ : " Il l'étendit, et elle fut guérie, " etc. Ce miracle qui aurait dû les remplir d'admiration, ne fait qu'augmenter leurs mauvaises dispositions : " Mais eux, remplis de fureur, se consultaient sur ce qu'ils feraient de Jésus. " - S. CHRYS. (hom. 41.) Et comme le rapporte saint Matthieu, ils s'en vont et tiennent conseil pour le faire mourir. - S. CYR. Vous êtes témoin, pharisien, des oeuvres divines de sa toute-puissance, vous le voyez guérir les malades par une vertu toute céleste, et, par un noir sentiment d'envie, vous conspirez pour le faire mourir.

BEDE. Cet homme représente le genre humain frappé de stérilité pour le bien, et dont la main a été comme desséchée pour s'être étendue vers le fruit que mangea notre premier père. Nous voyons cette main paralysée jusqu'au milieu de la synagogue ; car plus le don de la science est grand, plus aussi la transgression de la loi est coupable. - S. AMBR. Vous avez entendu les paroles du Sauveur : " Étendez votre main. " C'est le remède général qu'il propose à tous les hommes. Vous donc qui croyez avoir la main saine, craignez que l'avarice ou le sacrilège ne vienne à la fermer ; étendez-la continuellement pour secourir le prochain, pour protéger la veuve, pour délivrer de l'injustice celui que vous voyez sous le poids d'une accusation inique ; étendez-la vers le pauvre qui vous supplie, étendez-la vers Dieu pour vos péchés : c'est ainsi qu'il faut étendre la main, et c'est ainsi qu'elle est guérie.


v. 12-16.
LA GLOSE. Pendant que les ennemis de Jésus-Christ se déclarent contre ses miracles et sa doctrine, il choisit ses Apôtres pour être les défenseurs et les témoins de la vérité, et avant de les choisir il se livre à la prière : " En ces jours là, il se retira sur la montagne pour prier. " - S. AMBR. Prenez garde d'entendre ces paroles avec un esprit prévenu, et de penser que si le Fils de Dieu prie, c'est dans le sentiment de sa faiblesse et pour obtenir ce qu'il ne peut faire de lui-même, car l'auteur de toute-puissance a voulu se rendre maître de l'obéissance, et nous enseigner par son exemple les préceptes de la vertu.

S. CYR. Méditons attentivement dans la conduite de Jésus-Christ, l'exemple qu'il nous donne de persévérer dans la prière, en nous tenant à l'écart, dans le secret, loin des regards des hommes, séparé de toutes les préoccupations du monde, afin que notre esprit puisse s'élever librement sur les sommets de la contemplation divine ; c'est ce que nous apprend Notre-Seigneur en se retirant sur la montagne pour prier. - S. AMBR. En toute circonstance, Jésus prie seul et sans témoins ; en effet, les voeux des hommes ne peuvent s'élever jusqu'aux conseils de Dieu, et personne ne peut entrer en participation des pensées intimes du Christ. Tous ceux qui prient ne montent point sur la montagne, mais celui-là seul qui, dans sa prière, s'élève des préoccupations de la terre aux pensées du ciel, et jamais celui qui poursuit avec sollicitude les richesses et les honneurs du siècle. Les âmes détachées de la terre montent sur la montagne ; aussi dans l'Évangile, vous voyez les disciples seuls monter sur la montagne avec leur divin Maître. L'Évangéliste vous donne, chrétiens, la règle et l'exemple que vous devez imiter dans les paroles suivantes : " Et il passait la nuit à prier. " Que ne devez-vous pas faire pour votre salut, quand vous voyez Jésus-Christ passer pour vous toute la nuit en prières. - S. CHRYS. Levez-vous donc aussi vous-même pendant la nuit, car alors l'âme est plus pure, et le silence et l'obscurité de la nuit sont on ne peut plus favorable à la componction du coeur. D'ailleurs, si vous considérez le ciel parsemé d'étoiles, et cette multitude innombrables d'astres lumineux ; si d'un autre côté vous réfléchissez que tous ceux qui, pendant le jour, se livrent aux plaisirs et aux oeuvres d'iniquité, sont alors absolument semblables à des morts, comment pourrez-vous ne pas détester tous les crimes des hommes. Que ces pensées sont puissantes pour élever l'âme, elle n'est alors ni tourmentée par la vaine gloire, ni dominée par la mollesse ou par une passion violente ; non, l'action du feu n'est pas si puissante pour faire disparaître la rouille du fer, que la prière pendant la nuit pour effacer la rouille des péchés. Elle rafraîchit pendant la nuit celui que l'ardeur du soleil a brûlé durant le jour, il n'est point de rosée comparable aux larmes versées pendant la nuit, elles triomphent de la concupiscence et de tout sentiment de crainte ; mais si l'homme n'est point humecté de cette rosée féconde, il a tout à craindre des feux du jour. Si donc vous ne pouvez prier beaucoup pendant la nuit, priez au moins une fois lorsque vous vous éveillez, cela suffit, et montrez ainsi que le repos de la nuit n'est pas seulement utile au corps mais à l'âme.
S. AMBR. Vous voyez encore ce que vous devez faire avant d'entreprendre quelque oeuvre de piété, puisque Jésus-Christ a prié avant de choisir ses Apôtres : " Et dès l'aurore, il appela près de lui ses disciples, " etc., c'est-à-dire, ceux qu'il destinait à propager parmi les hommes tous les moyens de salut, et à répandre par toute la terre la semence de la foi. Et remarquez ici l'ordre des conseils de Dieu ; ce ne sont point des sages, des riches, des nobles, mais des pêcheurs et des publicains qu'il choisit pour cette mission ; il ne veut point qu'on puisse attribuer à l'influence puissante des richesses, de l'autorité, de la noblesse, la conversion des hommes à la grâce de l'Évangile, il veut triompher par la puissance naturelle de la vérité, et non par la supériorité du raisonnement et de l'éloquence.
S. CYR. Remarquez encore avec quel soin l'Évangéliste, non seulement raconte l'élection des saints Apôtres, mais en fait une énumération exacte pour que personne n'osât en inscrire d'autres que ceux qu'il énumère. " Simon, auquel il donna le nom de Pierre, et André son frère. " - BEDE. Ce ne fut point alors que Pierre reçut pour la première fois ce surnom, mais longtemps auparavant, lorsqu'ayant été amené à Jésus par André, Jésus lui dit : " Tu t'appelleras Céphas, qui veut dire Pierre. " (Jn 1, 42,) Saint Luc avait l'intention de donner l'énumération des noms des Apôtres, il devait nécessairement y faire entrer le nom de Pierre, il indique donc brièvement que ce nom n'était pas primitivement le sien, mais qu'il lui a été donné par le Sauveur. - EUSEBE. (Ch. des Pèr. gr.) Le second couple est composé de Jacques et de Jean ; ils étaient tous deux fils de Zébédée et pécheurs de profession. Viennent ensuite Philippe et Barthélemi ; Philippe, d'après saint Jean, était de Bethsaïde, concitoyen d'André et de Pierre, ainsi que Barthélemi, homme simple, étranger à la science du monde, sans fiel et sans aigreur. Matthieu fut appelé alors qu'il était receveur des impôts : " Matthieu et Thomas. " - BEDE. Matthieu, par humilité, met son nom après celui de Thomas, son collègue, tandis que les autres Évangélistes le mettent avant. - SUITE. " Jacques, fils d'Alphée, et Simon, qui est appelé le zélé. " - LA GLOSE. Il est ainsi appelé, parce qu'il était de Cana, en Galilée ; or, Cana vent dire zèle, et on l'appelle ainsi pour le distinguer de Simon Pierre : " Judas, fils de Jacques, et Judas Iscariote, qui le trahit. " - S. AUG. (de l'accord des Evang., 2, 30.) Saint Luc paraît différer ici de saint Matthieu, qui donne à Judas le nom de Thaddée ; mais qui empêche qu'un même homme ait porté deux ou trois noms ? Le Sauveur choisit pour Apôtre Judas le traître, non par imprévoyance de l'avenir, mais par un dessein providentiel, il avait pris volontairement la fragilité de la nature humaine, il ne refuse pas même cette triste et douloureuse épreuve ; il a voulu être trahi par un de ses Apôtres, afin que si vous êtes vous-même victime de la trahison d'un ami, vous supportiez patiemment les suites de l'opinion erronée que vous aviez de lui, et l'inutilité de vos bienfaits.
BEDE. Dans le sens mystique, la montagne sur laquelle Jésus-Christ choisit les Apôtres, représente la hauteur de la justice, à laquelle ils devaient parvenir et qu'ils devaient prêcher, et c'est pour ce motif que la loi fut donnée sur une montagne. - S. CYR. Si vous êtes désireux de connaître la signification des noms des Apôtres, Pierre veut dire qui délie, ou qui reconnaît, André, puissance brillante, ou qui répond ; Jacques, qui supplante la douleur ; Jean, la grâce du Seigneur ; Matthieu, qui est donné ; Philippe, bouche grande ou orifice de la lampe ; Barthélemi, fils de celui qui suspend les eaux ; Thomas, abîme ou jumeau ; Jacques, fils d'Alphée, qui supplante les pas de la vie ; Jude, confession, Simon, obéissance.

vv. 17-1 9.
S. CYR. Après avoir choisi ses Apôtres, alors qu'il voyait rassemblée autour de lui une grande multitude de peuples de la Judée et aussi de la région maritime de Tyr et de Sidon (contrées dont les habitants étaient idolâtres), il les établit docteurs de tout l'univers ; pour affranchir les Juifs de la servitude de la loi, et rappeler des erreurs des Gentils à la connaissance de la vérité, ceux qui rendaient au démon un culte idolâtre : " Il descendit ensuite avec eux, et s'arrêta avec la troupe de ses disciples, et une grande multitude de peuple de toute la Judée, de Jérusalem et de la contrée maritime de Tyr et de Sidon. " - BEDE. Cette région maritime, d'où venait cette multitude qui suivait le Sauveur, n'est point celle qui avoisinait la mer de Galilée, il n'y aurait eu en cela rien d'extraordinaire, mais c'était la région qui touche à la grande mer (et où pouvaient se trouver Tyr et Sidon), comme l'indique l'Évangéliste : " Et de Tyr et de Sidon. " Ces deux villes qui étaient habitées par des Gentils, sont expressément désignées pour faire ressortir la grandeur de la renommée et de la puissance du Sauveur, qui presse des villes idolâtres de venir lui demander la guérison de leurs maux et les enseignements de la vérité : " Qui étaient venus pour l'entendre. " - THEOPHYL. C'est-à-dire, pour la guérison de leurs âmes, et pour être délivrés de leurs infirmités, c'est-à-dire, pour la guérison de leurs corps. - S. CYR. Après avoir choisi et désigné les saints Apôtres, Jésus voulant convaincre les Juifs et les Gentils rassemblés en grand nombre, que par ce choix il les avait élevés à la dignité de l'apostolat, et que lui-même était plus qu'un homme, qu'il était Dieu et le Verbe incarné, opéra devant eux plusieurs miracles éclatants : " Et tout le peuple cherchait à le toucher, parce qu'une vertu sortait de lui, " etc. En effet, Jésus-Christ n'avait pas recours à une puissance étrangère, mais comme il était Dieu par nature, il guérissait tous les malades en répandant sur eux sa propre puissance.

S. AMBR. Considérez attentivement toutes ces circonstances, comment Jésus monte avec les Apôtres et descend ensuite vers la foule, car la foule ne pouvait voir le Christ que dans un lieu peu élevé, elle ne peut le suivre sur les hauteurs, sur le sommet des montagnes, mais dès qu'il descend, il trouve des infirmes, car les infirmes ne peuvent se trouver sur les hauteurs. - BEDE. Rarement vous verrez la foule suivre le Seigneur sur les hauteurs, ou un malade guéri sur une montagne ; mais quand la fièvre des plaisirs sensuels est éteinte, et le flambeau de la science divine allumé, chacun tend à s'élever successivement jusqu'au sommet élevé des vertus. La foule qui a eu le bonheur de toucher le Seigneur, est guérie par la vertu de cet attouchement, comme nous avons vu plus haut le lépreux guéri par l'attouchement du Seigneur. L'attouchement du Sauveur est donc un moyen certain de salut, le toucher, c'est croire fermement en lui, être touché par lui, c'est être guéri par sa grâce.


vv. 20-23.
S. CYR. Après avoir choisi ses Apôtres, le Sauveur forme ses disciples à la nouveauté de la vie évangélique. - S. AMBR. Sur le point d'annoncer les divers oracles, il prend une attitude sublime. Le lieu où il se trouve est peu élevé, mais il lève bien haut les yeux : " Alors levant les yeux vers ses disciples. " Qu'est-ce que lever les yeux, si ce n'est découvrir la lumière dont son âme était pleine ? - BEDE. Il s'adressait à tous en général, cependant il lève plus particulièrement les yeux sur ses disciples, c'est-à-dire, qu'il verse en plus grande abondance la lumière de sa grâce intérieure sur ceux qui écoutent sa parole avec un coeur attentif et docile. - S. AMBR. Saint Luc ne rapporte que quatre béatitudes, tandis que saint Matthieu en compte huit, mais on peut dire que les huit renferment les quatre, comme aussi les quatre comprennent les huit. Saint Luc a voulu tout ramener aux quatre vertus cardinales, saint Matthieu, dans les huit béatitudes, nous donne la signification mystérieuse du nombre huit, car ce nombre huit est la perfection de notre espérance, et comprend aussi toutes les vertus. Les deux Évangélistes mettent la pauvreté en tête des autres béatitudes ; en effet, elle est la première et comme la mère des vertus, parce que celui qui méprisera les choses du temps, méritera celles de l'éternité, et s'il veut obtenir la gloire du royaume des cieux, il faut nécessairement qu'il se dégage de l'amour du inonde qui le presse de toutes parts : " Et il dit : Bienheureux les pauvres. " - S. CYR. Dans l'Évangile selon saint Matthieu, nous lisons : " Bienheureux les pauvres d'esprit, " pour nous faire comprendre qu'il y a des pauvres d'esprit qui ont la modestie et l'humilité de l'intelligence, c'est dans ce sens que le Sauveur dit : " Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur. " Ici, Notre-Seigneur dit simplement : " Bienheureux les pauvres, " sans ajouter " d'esprit, " c'est-à-dire, bienheureux les pauvres qui méprisent les richesses. Il convenait, en effet, que ceux qui devaient annoncer les vérités de l'Évangile du salut, n'eussent point un esprit cupide, et que leurs affections fussent placées en lieu plus élevé.
S. BAS. (Ps 33.) Cependant gardons-nous de croire que tous ceux que la pauvreté accable, aient part à cette béatitude, elle est réservée à ceux-là seuls qui sacrifient les richesses de la terre aux préceptes de Jésus-Christ. Combien, en effet, sont pauvres des biens de la terre, mais on ne peut plus cupides par leurs désirs ; la pauvreté ne les sauve point, mais leurs désirs sont la cause de leur damnation, car rien de ce qui est involontaire ne peut mériter le bonheur éternel, parce qu'on ne peut comprendre la vertu sans le libre arbitre. Bienheureux donc celui qui est pauvre, comme l'est un disciple de Jésus-Christ, qui a souffert pour nous la pauvreté, car le Seigneur a voulu accomplir le premier toutes les oeuvres qui conduisent à la béatitude, en se rendant le modèle de ses disciples. - EUSEBE. On parvient au royaume des cieux par plusieurs degrés de vertus ; or, le premier degré est franchi par ceux qui pratiquent la pauvreté pour plaire à Dieu, et Jésus fit cette grâce à ceux qui, les premiers, devinrent ses disciples. Aussi est-ce en s'adressant personnellement à ceux qui étaient devant lui et vers lesquels il avait levé les yeux, qu'il dit : " Parce que le royaume des cieux est à vous. "
S. CYR. Après avoir recommandé la pratique de la pauvreté, il promet l'honneur et la gloire aux privations qu'elle impose. Or, comme ceux qui ont en partage la pauvreté manquent souvent des choses nécessaires, et peuvent à peine se procurer de quoi vivre, il affermit ses disciples contre la perspective d'une condition aussi pénible en leur disant : " Bienheureux vous qui maintenant avez faim. " - BEDE. C'est-à-dire, bienheureux vous qui châtiez votre corps et le réduisez en servitude, qui vous livrez au ministère de la prédication en souffrant la faim et la soif, parce que vous jouirez un jour de l'abondance des joies célestes. - S. GREG. DE NYSSE. (Des béatit., disc. 4.) Dans un sens plus élevé, de même que, pour la nourriture matérielle, les goûts divers des hommes leur font préférer diverses espèces d'aliments ; de même pour ce qui est de la nourriture de l'âme, les uns recherchent un bien purement imaginaire, et les autres ce qui est naturellement bon. Aussi saint Matthieu proclame-t-il bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice comme d'une nourriture et comme d'un breuvage, justice qui n'est point la justice considérée comme vertu particulière, mais la justice universelle, et il proclame bienheureux celui qui a faim de cette justice. - BEDE. Notre-Seigneur nous enseigne on ne peut plus clairement que nous ne devons jamais nous estimer assez justes, mais chercher à nous avancer de jour en jour dans la justice ; et ce n'est pas dans ce monde, mais dans la vie future que nous en serons pleinement rassasiés, suivant cette parole du Psalmiste : " Je serai rassasié lorsqu'apparaîtra votre gloire (Ps 16). " Aussi le Sauveur ajoute : " Parce que vous serez rassasiés. " - S. GREG. DE NYSSE. Il promet à ceux qui sont avides de la justice, l'abondance de tous les biens désirables, car aucune des voluptés qu'on recherche dans la vie ne peut rassasier ceux qui les poursuivent ; seul, le désir de la vertu est suivi d'une récompense qui répand dans l'âme une gloire sans limite comme sans durée.
S. CYR. Une des suites de la pauvreté, c'est non seulement la privation de toutes les choses qui procurent quelque plaisir, mais encore la tristesse qu'elle répand sur le visage, c'est pourquoi il ajoute : " Bienheureux vous qui pleurez. " Il appelle bienheureux ceux qui pleurent, non pas ceux dont les yeux versent extérieurement des larmes (ce qui est commun aux fidèles et aux infidèles, quand le malheur les atteint), mais il proclame surtout bienheureux ceux qui fuient une vie légère toute plongée dans les vices et dans les voluptés de la chair, ceux qui ont horreur de ce qui fait les délices des hommes, et qui sont comme dans les pleurs par le dégoût et l'ennui que leur causent les vanités du monde. - S. CHRYS. (Ch. des Pèr. gr.) La tristesse qui est selon Dieu, est d'un grand prix à ses yeux, et elle obtient la pénitence qui conduit au salut. Aussi saint Paul, qui n'avait point de fautes personnelles à pleurer, versait des larmes pour les péchés d'autrui ; heureuses larmes qui deviennent une source de joie : " Parce que vous rirez. " Si, en effet, nos larmes sont inutiles à ceux pour qui nous les répandons, elles sont loin d'être perdues pour nous, car celui qui pleure ainsi les péchés des autres, à plus forte raison pleurera ses propres fautes, et se garantira plus facilement contre de nouvelles chutes. Gardons-nous donc de la dissolution pendant cette vie si courte, pour ne point nous exposer à des gémissements sans fin ; ne recherchons pas les plaisirs qui sont une source de larmes amères et de douleur profonde, mais affligeons-nous de cette tristesse qui engendre le pardon. Souvenons-nous, d'ailleurs, qu'on vit bien souvent le Seigneur pleurer, mais qu'on ne le vit point rire une seule fois. - S. BAS. (hom. sur l'act. de grâces.) Il promet la joie, le rire à ceux qui pleurent, non point sans doute ce rire extérieur qui sort des lèvres, mais une joie pure et sans mélange d'aucune tristesse.

BEDE. Heureux donc celui qui, en vue du riche héritage de Jésus-Christ, du pain de la vie éternelle, de l'espérance, des joies célestes, désire les larmes, la faim, la pauvreté ; mais plus heureux celui qui pratique courageusement ces vertus au milieu de l'adversité : " Vous serez bienheureux quand les hommes vous haïront. " Les hommes peuvent vous haïr, mais la méchanceté de leur coeur ne peut atteindre un coeur aimé de Jésus-Christ. - SUITE " Lorsqu'ils vous sépareront. " Qu'ils vous séparent, qu'ils vous chassent de la synagogue, Jésus-Christ saura bien vous trouver et vous fortifier : " Ils vous traiteront injurieusement. " Ils vous feront un outrage du nom du crucifié, mais lui-même ressuscite ceux qui meurent avec lui, et il les fait asseoir avec lui dans les cieux (Ep 2, 6 ;2 Tm 2, 2). - SUITE. " Et ils rejetteront votre nom comme mauvais. " Il veut parler du nom des chrétiens que les Gentils et les Juifs se sont efforcés de détruire complètement, et que les hommes ont rejeté, sans aucun autre motif de haine que le Fils de l'homme, et parce que les fidèles ont choisi pour leur nom le nom même du Christ (Ac 11, 26). Il leur prédit donc qu'ils seront persécutés par les hommes, mais que le bonheur qui les attend est au-dessus de toute pensée humaine : " Réjouissez-vous en ce jour-là, et soyez transportés de joie, car voici que votre récompense est grande dans les cieux, " etc. - S. CHRYS. (Ch. des Pèr. gr.) La signification de ces mots beaucoup et peu, doit se mesurer par la grandeur et la dignité de celui qui les emploie. Or, quel est celui qui promet une grande récompense ? Un prophète ou un Apôtre, qui ne sont que des hommes, eussent estimé peut-être comme considérable ce qui ne l'était pas, mais ici celui qui promet cette grande récompense, c'est le Seigneur qui possède des trésors éternels et des richesses au-dessus de toute conception humaine. - S. BAS. Quelquefois encore le mot grand a une signification absolue comme dans ces propositions : Le ciel est grand, la terre est grande ; quelquefois une signification purement relative, comme lorsque nous disons qu'un cheval est grand, qu'un boeuf est grand, par comparaison avec d'autres animaux. Or, la récompense réservée à ceux qui sont en butte aux outrages pour Jésus-Christ sera grande, non par comparaison avec les choses de la terre, mais grande en elle-même et digne de la magnificence du Dieu qui la donne. - S. JEAN DAMASC. (De la log., chap. 40.) Tout ce qui peut être mesuré ou compté s'exprime d'une manière déterminée, mais on appelle grandes, considérables en général, les choses qui, par leur excellence, sont au-dessus de tout nombre et de toute mesure, et c'est ainsi que nous disons que la miséricorde de Dieu est grande.
EUSEBE. Notre-Seigneur arme ensuite les Apôtres pour le combat qu'ils devaient soutenir en prêchant l'Évangile par tout l'univers, et il ajoute : " C'est ainsi que leurs pères traitaient les prophètes. " - S. AMBR. En effet, les Juifs persécutèrent les prophètes, jusqu'à leur ôter la vie. - BEDE. Ceux qui disent la vérité sont ordinairement persécutés, mais jamais les anciens prophètes ne cessèrent d'annoncer la vérité par crainte de la persécution.
S. AMBR. " Bienheureux les pauvres. " Voilà la tempérance qui s'abstient du mal, foule aux pieds les choses du monde et ne recherche point les plaisirs séducteurs : " Bienheureux vous qui avez faim. " Voilà la justice, car celui qui a faim, a compassion de celui qui éprouve le même besoin, la compassion le rend charitable, la charité le rend juste, et sa justice demeure éternellement (Ps 111, 8). " Bienheureux vous qui pleurez. " Voilà la prudence qui pleure sur les choses périssables et mortelles, et s'attache aux biens de l'éternité. " Vous serez bienheureux quand les hommes vous haïront. " Voilà la force, non celle qui s'attire la haine par ses violences criminelles, mais celle qui souffre la persécution pour la foi. C'est ainsi que vous mériterez la couronne réservée à la souffrance, si vous méprisez la faveur des hommes pour ne rechercher que celle de Dieu. La tempérance produit donc la pureté du coeur, la justice produit la miséricorde, la prudence produit la paix, la force produit la douceur. Ces vertus sont unies et étroitement liées entre elles, de sorte que celui qui en possède une, paraît avoir toutes les autres. Les saints ont tous une vertu qui leur est propre, mais celle qui est plus féconde en fruits de salut, est aussi celle qui obtient la plus grande récompense. Quel amour de l'hospitalité, quelle humilité profonde dans Abraham ! mais comme il a brillé surtout par sa foi ! c'est à cette vertu qu'il doit son plus beau titre de gloire. Chacun donc peut obtenir plusieurs récompenses, parce qu'il a un grand nombre d'occasions de pratiquer les vertus ; mais la vertu dont la fécondité aura été plus grande, recevra aussi la récompense la plus magnifique.

vv. 24-26.
S. CYR. Notre-Seigneur vient d'enseigner que la pauvreté supportée en vue de Dieu, est la cause de tout bien, et que la faim et les larmes auront droit à la récompense des saints ; il passe maintenant aux vices opposés à ces vertus, et les présente comme une cause de damnation et de supplice : " Malheur à vous, riches, qui avez votre consolation. " - S. CHRYS. (hom. 17 sur la Gen.) Cette locution malheur s'adresse toujours dans l'Écriture à ceux qui ne peuvent échapper au supplice de la vie future. - S. AMBR. L'abondance des richesses est la source de bien des séductions coupables, mais aussi de bien des inspirations vertueuses. Quoique la vertu ne recherche pas l'opulence, et que l'aumône du pauvre soit plus agréable à Dieu que la libéralité du riche ; cependant ce ne sont point ceux qui ont des richesses, mais ceux qui ne savent point en faire usage qui sont atteints par la sentence divine. En effet, le pauvre a d'autant plus de mérite, qu'il donne par un mouvement spontané du coeur ; et le riche est d'autant plus coupable, qu'il devait rendre grâce à Dieu de ce qu'il a reçu, et ne point réserver inutilement une fortune qui ne lui a été donnée que pour l'utilité commune. Ce ne sont donc point les richesses qui sont mauvaises, c'est l'attachement aux richesses qui est coupable. Et quoiqu'il n'y ait pas de plus grand tourment pour l'avare que d'entasser avec crainte et inquiétude des trésors dans l'intérêt de ses héritiers, cependant, parce que ses désirs d'amasser ont pour lui quelque attrait, il est juste que ceux qui ont la consolation de la vie présente, perdent les joies de la vie éternelle. Ces riches peuvent être aussi la figure du peuple juif ou des hérétiques, ou plutôt des pharisiens qui, se complaisant dans l'abondance des paroles et dans l'éloquence prétentieuse de leurs discours, ont dépassé la simplicité de la vraie foi et amassé des trésors inutiles.

" Malheur à vous qui êtes rassasiés, parce que vous aurez faim. " - BEDE. Ce riche, vêtu de pourpre, se rassasiait en s'asseyant tous les jours à des tables splendidement servies, mais il souffrit ensuite ce cruel malheur, lorsque dévoré par la soif, il demandait que Lazare trempât le bout de son doigt dans l'eau pour rafraîchir sa langue. - S. BAS. L'Apôtre prouve la nécessité de la tempérance, en la plaçant parmi les fruits de l'Esprit (Ga 5). En effet, voulez-vous dompter votre corps ? point de moyen plus puissant que la tempérance, elle est comme un frein à l'aide duquel nous devons modérer l'ardeur de la jeunesse. La tempérance est donc la mort des crimes, l'apaisement des passions, le principe de la vie spirituelle, elle émousse l'aiguillon des plaisirs séducteurs. Néanmoins, pour éviter d'être confondus avec les ennemis de Dieu, nous devons, lorsque les circonstances l'exigent, accepter ce qui nous est présenté, pour montrer que tout est pur pour ceux qui sont purs, et user des choses nécessaires à la vie, en nous interdisant tout ce qui peut favoriser la volupté. D'ailleurs, tous ne peuvent pas s'imposer la même heure, ni la même manière, ni la même mesure dans la pratique de la tempérance, mais tous doivent avoir la même intention, de ne point aller jusqu'à la satiété, car la réplétion de l'estomac rend le corps lui-même impuissant à remplir ses fonctions, l'appesantit et le dispose au mal. - BEDE. Ou encore, si ceux qui ont faim des oeuvres de justice, sont heureux, combien sont malheureux, au contraire, ceux qui cherchent à satisfaire tous leurs désirs, et n'éprouvent aucune faim du bien véritable.
" Malheur à vous qui riez, " etc. - S. BAS. Puisque le Seigneur menace ici ceux qui rient, il est donc évident que dans aucun temps, le vrai fidèle ne doit s'abandonner au rire, à la vue surtout de la multitude si grande de ceux qui meurent dans le péché et sur lesquels il faut bien plutôt verser des larmes. D'ailleurs, le rire immodéré est le signe d'un esprit déréglé et d'une âme désordonnée ; toutefois il n'est pas défendu de manifester la joie intérieure, en donnant au visage une certaine expression de gaieté. - S. CHRYS. Mais dites-moi pourquoi cette dissipation, ces rires immodérés dans un chrétien qui doit paraître au terrible jugement de Dieu, et rendre compte de tout ce qu'il a fait ici-bas ?
BEDE. La flatterie nourrit le péché, et, semblable à l'huile qui excite le feu, elle fournit un aliment à l'ardeur du mal ; aussi Notre-Seigneur ajoute : " Malheur à vous, quand les hommes vous loueront, " etc. - S. CHRYS. (Ch. des Pèr. gr.) Cette recommandation n'est point opposée à ces autres paroles du Sauveur : " Que votre lumière luise devant les hommes (Mt 5). " En effet, nous devons avoir un saint empressement à faire le bien pour la gloire de Dieu, et non pour notre propre gloire, car rien de plus funeste que la vaine gloire, elle engendre l'injustice, le désespoir et l'avarice, mère de tous les maux. Si donc vous voulez éviter ces funestes effets, tenez vos regards constamment tournés vers Dieu, et contentez-vous de la gloire qui vient de lui. Car, si, en toute espèce de chose, on doit choisir les plus savants pour experts et pour arbitres, comment pourriez-vous confier l'appréciation de votre vertu aux hommes plutôt qu'à Dieu, qui la connaît mieux qu'eux tous, qui en est à la fois l'auteur et la récompense ? Si vous désirez la gloire qui vient de Dieu, fuyez donc les louanges des hommes, car nul n'a plus de droit à notre admiration que celui qui dédaigne la gloire, et si tels sont nos sentiments, à plus forte raison, ceux du souverain Maître de toutes choses. Considérez, d'ailleurs, que la gloire des hommes passe bien vite, parce que le cours rapide du temps la fait tomber dans l'oubli.

" Car c'est ainsi que leurs pères faisaient aux faux prophètes. " - BEDE. Les faux prophètes sont ainsi appelés, parce qu'ils s'efforçaient de prédire l'avenir pour gagner la faveur du peuple. Or, Notre-Seigneur n'a proclamé sur la montagne que les béatitudes des bons, tandis que, descendu dans la plaine, il prédit aussi les supplices des réprouvés, parce que les auditeurs encore ignorants et grossiers, ont besoin d'être poussés dans la voie du bien par la crainte des châtiments, tandis qu'il suffit pour les parfaits, de les inviter par l'attrait des récompenses. - S. AMBR. Remarquez encore que saint Matthieu attire les peuples à la foi et à la vertu par la perspective des récompenses, tandis que saint Luc cherche à les éloigner des crimes par la menace des châtiments.

vv. 21-31.
BEDE. Après avoir prédit à ses disciples ce qu'ils pourraient avoir à souffrir de la part de leurs ennemis, il leur apprend maintenant la conduite qu'ils devront tenir à l'égard de ces mêmes ennemis : " Mais je vous dis, à vous qui m'écoutez. " - S. AMBR. Ce n'est point sans raison qu'il a fait précéder d'actions toute célestes d'aussi sublimes enseignements. Il voulait enseigner aux peuples, fortifiés par ces miracles de la puissance divine, à s'avancer comme sur les pas de ces prodiges, au delà des limites étroites de la loi. D'ailleurs, de ces trois grandes vertus, la foi, l'espérance et la charité, c'est la charité qui est la première (1 Co 13, 13 ; Ct 1, 4), et c'est elle que le Sauveur nous recommande, lorsqu'il dit : " Aimez vos ennemis. " - S. BAS. (règles abrég., rép. à la quest., 176.) C'est le propre des ennemis de nuire et de tendre des embûches ; tous ceux donc qui, de quelque manière que ce soit, cherchent à nuire quelqu'un, sont ses ennemis. - S. CYR. Il fallait pénétrer de ces divins enseignements les saints docteurs qui devaient prêcher la parole du salut par tout l'univers ; car s'ils s'étaient laissé aller à tirer vengeance de leurs persécuteurs, jamais ils ne les auraient appelés à la connaissance de la vérité. - S. CHRYS. (hom. 48 sur S. Matth.) Il ne dit pas : Ne haïssez point, mais : " Aimez, " et non seulement : " Aimez, " mais : " Faites du bien à ceux qui vous haïssent. " - S. BAS. Or, l'homme étant composé d'une âme et d'un corps, nous faisons du bien à l'âme de nos ennemis en les reprenant, en les avertissant, en les amenant, comme par la main, à se convertir à une vie meilleure, et nous faisons du bien à leur corps, en leur procurant les choses nécessaires à la vie.
" Faites du bien à ceux qui vous maudissent. " - S. CHRYS. Ceux qui blessent ainsi leur âme sont bien plus dignes de larmes amères que de malédictions ; quoi de plus détestable, en effet, qu'une âme d'où sortent les malédictions, quoi de plus immonde que la langue qui les profère ? O homme, ne distillez pas ainsi le venin de l'aspic, ne vous changez pas en bête féroce ; Dieu vous a donné la bouche, non pour déchirer, mais pour guérir les plaies de vos frères ; et quant à vos ennemis, il vous ordonne de les mettre au rang de vos amis, et de vos amis les plus chers, de ceux pour lesquels vous avez coutume de prier : " Priez pour ceux qui vous persécutent, " etc. Mais, au contraire, la plupart de ceux qui se prosternent la face contre terre, les mains étendues, au lieu de supplier Dieu de leur pardonner leurs crimes, l'implorent contre leurs ennemis, c'est-à-dire qu'ils se percent de leurs propres mains. Quoi, vous priez celui qui a défendu les imprécations contre les ennemis, d'écouter les malédictions que vous proférez contre eux, et vous espérez d'être exaucés, vous qui provoquez sa juste colère, en frappant votre ennemi devant son roi ? car vous le frappez réellement, sinon avec la main, au moins par vos paroles. Que faites-vous donc, ô homme ? Vous venez implorer le pardon de vos péchés, et votre bouche est remplie d'amertume, ah ! croyez-moi, c'est le temps de la pacification, de la prière, des gémissements, et non celui de la fureur. - BEDE. Mais on se demande alors, pourquoi nous trouvons dans les prophètes tant d'imprécations contre les ennemis ? Nous répondons que, par ces imprécations, les prophètes ont simplement prédit ce qui devait arriver ; ainsi ce n'étaient point des voeux qui exprimaient leurs désirs, mais des prédictions qui leur étaient révélées par l'Esprit saint.

S. CYR. L'ancienne loi défendait toute offense envers le prochain, ou si on en avait été offensé le premier, elle défendait de dépasser dans la vengeance la mesure de l'offense qu'on avait reçue ; mais la perfection ne se trouve ici que dans Jésus-Christ et dans ses commandements : " A celui qui vous frappe sur une joue, présentez encore l'autre. " En effet, lorsque les médecins reçoivent des coups de pieds des furieux qu'ils cherchent à guérir, leur compassion pour ces malheureux redouble, et ils s'appliquent avec plus de zèle à leur guérison ; telle est la conduite que vous devez tenir à l'égard de ceux qui vous persécutent ; car ce sont eux surtout qui sont malades, ne cessez donc point de leur prodiguer des soins, jusqu'à ce qu'ils aient vomi toute l'amertume de leur âme ; alors ils vous rendront grâces, et Dieu lui-même vous couronnera, pour avoir délivré votre frère d'une maladie des plus funestes. - S. BAS. (sur Is 1, 23.) Presque tous les hommes transgressent ce commandement, surtout les puissants et les princes, non seulement quand on les outrage, mais encore quand on leur manque de respect ; ils regardent comme des ennemis tous ceux qui ne leur rendent pas les honneurs dont ils se croient dignes. Or, c'est une grande honte pour un prince que de céder si facilement à la vengeance ; comment, en effet, pourra-t-il enseigner aux autres à ne point rendre le mal pour le mal (Rm 12), lui qui est si prompt à se venger de ceux qui l'offensent ?
S. CYR. Le Seigneur veut encore que nous professions un grand mépris pour les biens que nous possédons : " Celui qui vous prend votre manteau, laissez-le prendre aussi votre tunique. " Voilà la vertu d'une âme entièrement exempte de la passion et du désir des richesses ; en effet, celui qui est miséricordieux, doit oublier le mal qu'on lui fait, et abandonner à ses ennemis ce qu'il donnerait à ses meilleurs amis. - S. CHRYS. (hom. 18 sur S. Matth.) Le Sauveur ne dit pas : Supportez humblement la violence de celui qui vous outrage ; mais procédez avec sagesse, et préparez-vous à souffrir tout le mal qu'il veut vous faire ; dominez son insolence par une prudence à toute épreuve, et faites qu'il se retire couvert de honte à la vue de votre patience inaltérable. Vous me direz, comment pouvoir mettre en pratique ce précepte ? Quoi ! en voyant celui qui s'est fait homme et qui a tant souffert pour vous, vous hésitez encore, et vous demandez comment on peut pardonner à ses frères les outrages dont ils se sont rendus coupables ? Mais qui donc d'entre vous a jamais souffert d'aussi grands outrages que votre Seigneur, chargé de chaînes, flagellé de coups, couvert de crachats, et enfin mis à mort ? Il ajoute : " Donnez à quiconque vous demande. " - S. AUG. (serm. du Seig., 1, 40.) Il ne dit pas : Donnez-leur tout ce qu'ils demandent, mais : " Tout ce que vous pouvez leur donner d'après les règles de la justice et de la bienséance, " c'est-à-dire ce qui n'est nuisible ni pour lui ni pour vous, autant qu'il est possible à l'homme de le prévoir ; et lorsque vous lui refusez justement ce qu'il demande, il faut lui faire apprécier la justice de ce refus, et souvent vous lui ferez un présent bien supérieur à ce qu'il désire, en lui faisant comprendre l'injustice de sa demande. - S. CHRYS. Nous nous rendons souvent grandement coupables, non seulement en ne donnant pas à ceux qui nous demandent, mais en les accablant de reproches. Pourquoi, dites-vous, ne travaille-t-il point ? pourquoi vit-il dans l'oisiveté ? Dites-moi, et vous-même, est-ce par votre travail que vous avez acquis les biens que vous possédez ? et si vous travaillez, est-ce pour acquérir le droit de blâmer les autres ? Quoi ! parce qu'un homme vous demande du pain et de quoi se vêtir, vous l'accusez de cupidité ? Ne lui donnez rien, soit, mais au moins ne l'outragez pas ; vous êtes sans pitié pour lui, pourquoi vouloir éteindre la compassion dans le coeur de ceux qui voudraient le secourir. Si nous donnons à tous indifféremment, nous pratiquons toujours la miséricorde. C'est parce qu'Abraham exerçait l'hospitalité à l'égard de tous, qu'il mérita de recevoir des anges. Celui qui vous demande est un homicide, un brigand, n'est-il pas au moins digne que vous lui donniez du pain ? Ne nous érigeons donc jamais en censeurs sévères des autres, si nous ne voulons être jugés aussi avec la même sévérité.

" Si l'on vous ravit votre bien, ne le réclamez pas. " - S. CHRYS. (Hom. 10 sur la 1re Épître aux Corinth.) C'est de Dieu que nous recevons tout ce que nous avons ; nous disons le mien, le tien, mais ce sont de vains mots. Vous dites que votre maison vous appartient, c'est une parole dépourvue de sens ; car l'air, la terre, les pierres appartiennent au Créateur, aussi bien que vous qui avez construit la maison. J'admets que vous en ayez la jouissance, avec quelle incertitude, tant à cause de la mort, que par suite de la vicissitude des choses humaines ? Votre vie même ne vous appartient pas, à quel titre vos biens seraient-ils à vous ? Cependant Dieu veut que les biens qu'il vous a confiés, deviennent votre propriété, mais à la condition que vous les partagerez avec vos frères ; si au contraire, vous ne les prodiguez que pour votre utilité personnelle, ils cessent d'être à vous. Or, comme le désir déréglé des richesses est une source de discussions et de procès, Notre-Seigneur fait cette recommandation : " Ne redemandez pas votre bien à celui qui vous le ravit. " - S. AUG. (disc. du Seig., 1, 26.) Il veut parler ici des vêtements, des habitations, des terres, des animaux, et en général de tous les biens. Un chrétien qui possède un esclave, ne doit pas l'assimiler à la possession d'un cheval ou de l'argent ; cependant si vous traitez votre esclave avec plus d'égards que celui qui veut vous l'enlever, je ne sais si quelqu'un oserait dire qu'il ne vous est point permis de le revendiquer.
S. CHRYS. Nous avons tous en nous une loi naturelle qui nous fait discerner le vice et la vertu, le bien d'avec le mal ; aussi Notre-Seigneur ajoute : " Ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le pareillement pour eux. " Il ne dit pas : Ne faites point vous-mêmes ce que vous ne voulez pas qu'on vous fasse. Il y a bien, en effet, deux voies qui conduisent à la vertu, s'abstenir du mal et faire le bien ; le Sauveur se contente de parler de la seconde voie qui, dans son esprit, renferme la première. Or, s'il s'était exprimé de la sorte : Voulez-vous être des hommes ? aimez les animaux, ce commandement serait assez difficile, mais il nous commande d'aimer nos semblables, pour lesquels il nous a donné une inclination naturelle, où est donc la difficulté de cette loi que nous voyons observée par les lions et les loups eux-mêmes, qu'un instinct naturel porte à s'aimer entre eux. Notre-Seigneur Jésus-Christ ne nous commande donc rien qui soit au-dessus de notre nature, il ne fait que renouveler ce qu'il a gravé lui-même dans notre conscience, et il veut que votre propre volonté devienne votre loi ; vous voulez qu'on vous fasse du bien, faites-en aux autres ; vous voulez qu'on ait compassion de vous, commencez par avoir compassion du prochain.

vv. 32-37.
S. CHRYS. Le Seigneur venait de commander l'amour des ennemis, mais n'allez pas croire qu'il parle ici hyperboliquement et pour inspirer un sentiment de crainte ; car écoutez la raison de ce commandement : " Et si vous aimez ceux qui vous aiment, quel est votre mérite ? " Plusieurs causes concourent à former les affections, mais l'affection spirituelle est supérieure à toutes les autres, elle ne reconnaît pour principe et pour cause, rien de terrestre, ni les bienfaits, ni la nature, ni le temps, mais elle descend directement du ciel. Quoi d'étonnant qu'elle se forme indépendamment de tout bienfait, puisqu'elle ne peut être ébranlée par les mauvais traitements ? Un père outragé, rompt les liens d'amour qui l'attachaient à son épouse ; une femme se sépare de son mari à la suite de querelles domestiques ; un enfant regarde comme un fardeau un père dont les jours se prolongent dans un âge avancé ; mais, au contraire, saint Paul allait vers ceux qui voulaient le lapider pour leur faire du bien (Ac 14) ; Moïse tourmenté, et comme lapidé par les Juifs, se venge en priant pour eux. (Ex 17.) Ayons donc une profonde vénération pour les amitiés spirituelles, parce qu'elles sont indissolubles. Notre-Seigneur ajoute, pour stimuler les indifférents : " Les pécheurs aiment aussi ceux qui les aiment, " comme s'il disait : Je veux que vous vous éleviez à une vertu plus éminente, voilà pourquoi je vous commande d'aimer non seulement vos amis ; mais même vos ennemis ; car il est naturel à tous les hommes de faire du bien à ceux qui leur en font. Il leur apprend donc qu'il exige d'eux plus qu'il n'est ordinaire aux pécheurs de faire, quand ils se montrent bienfaisants pour leurs amis : " Et si vous faites du bien à ceux qui vous en font, quel est votre mérite ?

BEDE. Ce n'est pas seulement l'affection et les bienfaits des pécheurs qu'il déclare sans mérite et sans fruit, mais aussi le prêt fait dans les mêmes conditions. " Et si vous prêtez à ceux de qui vous espérez recevoir, quel est votre mérite ? Car les pécheurs eux-mêmes prêtent à leurs semblables, pour en recevoir l'équivalent. "

S. AMBR. La philosophie divise la justice en trois parties, l'une qui a Dieu pour objet et qu'on appelle religion ; la seconde, qui comprend les devoirs envers les parents et le reste du genre humain ; la troisième, qui s'étend aux morts, et nous oblige de leur rendre convenablement les derniers devoirs. Mais Notre-Seigneur Jésus-Christ, s'élevant au-dessus des prescriptions de la loi et des oracles des prophètes, étend l'obligation de faire du bien jusqu'à ceux qui nous ont fait tort : " Pour vous, aimez vos ennemis, " etc. - S. CHRYS. En agissant ainsi, vous ferez beaucoup plus pour vous que pour eux-mêmes ; quant à eux, ils ont l'affection de leur semblable, mais pour vous, vous devenez semblable à Dieu. Or, c'est un acte de grande puissance, que de combler de nos bienfaits ceux qui cherchent à nous faire du mal, comme Notre-Seigneur nous le recommande ; car, comme l'eau jetée sur une fournaise ardente, suffit pour l'éteindre, tel est l'effet de la raison jointe à la douceur ; en effet l'humilité et la douceur sont à la colère, ce que l'eau est au feu, et de même que le feu ne peut éteindre le feu, ainsi la colère ne peut apaiser la colère.

S. GREG. DE NYSSE. (disc. contre les usur.) L'homme doit éviter cette damnable cupidité qui lui fait demander à l'indigent un produit de l'or ou de l'argent qu'il lui prête, et exiger les fruits d'un métal stérile, c'est le sens de cette recommandation : " Prêtez sans en espérer rien, " etc. Celui qui traitera de vol et d'homicide la funeste invention de l'usure, ne se trompera pas ; car quelle différence entre celui qui perce les murs pour s'emparer du bien qui ne lui appartient pas, et celui qui s'approprie le gain illicite, produit par l'argent qu'il a prêté ? - S. BAS. Dans la langue grecque, ce genre d'avarice est justement appelé t????, enfantement, à cause de sa malheureuse et coupable fécondité. En effet, ce n'est qu'avec le temps que les animaux grandissent et se reproduisent, mais à peine l'usure a pris naissance, qu'elle devient féconde. Les animaux les plus précoces à se reproduire, cessent aussi plutôt d'engendrer ; mais l'argent des avares ne fait que se multiplier d'années en années. Les animaux, en transmettant à leurs petits la faculté d'engendrer, cessent eux-mêmes d'engendrer, mais l'argent des avares produit continuellement de nouveaux fruits, et renouvelle les premiers. Ne vous exposez donc point aux mortelles atteintes de ce monstre cruel. Que vous servirait-il, en effet, d'éviter l'indigence actuelle, si elle doit revenir bientôt fondre sur vous, plus grande et plus écrasante ? Demandez-vous comment vous pourrez rendre ce que vous empruntez ; comment l'argent pourra se multiplier assez dans vos mains, pour qu'une partie vous soulage de votre indigence, qu'une autre représente et conserve le capital, et qu'une troisième produise l'intérêt. Mais me direz-vous, comment faire pour vivre ? Travaillez, mettez-vous en service, mendiez enfin s'il le faut, tout est préférable à un emprunt usuraire. Vous me direz encore : Qu'est-ce que le prêt sans espérance d'intérêt ? Méditez la vertu de la parole divine, et vous admirerez la miséricorde de son auteur. Lorsque vous donnez au pauvre pour l'amour de Dieu, vous faites à la fois un prêt et un don ; un don, car vous n'espérez point d'intérêt ; un prêt, parce que la bonté de Dieu se charge de vous rendre ce que vous donnez au pauvre, comme le Sauveur vous en assure : " Car votre récompense sera grande. " Est-ce que vous refuseriez d'avoir le Tout-Puissant pour caution et pour débiteur ? Quoi ! vous acceptez la caution d'un homme riche, et vous refuseriez la caution que Dieu vous donne pour le pauvre ? - S. CHRYS. (hom. 3 sur la Genèse.) Considérez l'admirable nature du prêt : L'un reçoit, et c'est un autre qui s'oblige à payer ce qu'il doit, c'est-à-dire le centuple dans le temps présent, et après cette vie, la vie éternelle.

S. AMBR. Quelle est grande la récompense de la miséricorde, puisqu'elle nous donne droit à l'adoption divine : " Et vous serez les enfants du Très-Haut. " Pratiquez donc la miséricorde, pour mériter la grâce qui lui est promise. La bonté de Dieu s'étend sur tous les hommes, il fait tomber la pluie sur les ingrats, la terre féconde ne refuse pas ses fruits aux méchants : " Car il est bon aux ingrats et aux méchants. " - BEDE. Soit qu'il leur donne les biens temporels, soit qu'il inspire, par sa grâce, le goût des biens célestes.

S. CYR. Quelles sont donc grandes les prérogatives de la miséricorde ! elle nous rend semblables à Dieu, elle imprime dans notre âme comme le sceau de la nature divine : " Soyez donc miséricordieux comme votre Père céleste est miséricordieux, " etc. - S. ATHAN. (disc. 4 contre les Ariens.) C'est-à-dire que la considération des bienfaits qu'il répand sur les hommes, doit nous porter à leur faire du bien, non point en vue des hommes, mais en vue de Dieu, afin d'obtenir de lui seul, et non pas des hommes, la récompense de nos oeuvres de charité.

vv. 37-38.
S. AMBR. Notre-Seigneur condamne ensuite le jugement téméraire, et vous défend de vous rendre les juges des autres, alors que votre conscience vous accuse vous-même : " Ne jugez point. " - S. CHRYS. (Ch. des Pèr. gr.) Ne jugez pas ceux qui sont placés au-dessus de vous ; disciples, ne jugez pas vos maîtres ; pécheurs, ne jugez pas ceux qui sont innocents ; contentez-vous, sans leur faire de reproches, de les avertir et de les corriger avec charité. Gardez-vous aussi de juger dans les choses incertaines et douteuses qui n'ont pas le caractère du mal, où qui ne sont ni graves ni défendues. - S. CYR. Notre-Seigneur veut réprimer ici cette détestable passion qui domine nos âmes, et qui est le principe et l'origine de nos superbes mépris. On en voit, en effet, un grand nombre qui, au lieu de s'observer eux-mêmes, et de vivre selon les prescriptions de la loi de Dieu, ne s'occupent qu'à examiner la conduite des autres ; et dès qu'ils y surprennent quelques faiblesses, oubliant leurs propres passions, ils en font le sujet de leurs conversations malignes. - S. CHRYS. (lettre à Démét.) A peine trouverez-vous un seul homme (père de famille ou vivant dans le cloître), qui soit exempt de ce défaut ; cependant, ce sont là autant de tentations dangereuses du démon ; car celui qui juge sévèrement les fautes d'autrui, n'obtiendra jamais le pardon de ses propres fautes : " Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés. " En effet, celui qui est doux et miséricordieux pour les autres, a beaucoup moins à craindre pour ses péchés ; mais celui qui est dur et sévère pour ses frères, ajoute à ses propres crimes. - S. GREG. DE NYSSE. Ne vous hâtez donc pas de juger rigoureusement vos serviteurs, si vous ne voulez être traités de même ; car par ce jugement sévère vous vous attirez une condamnation plus rigoureuse : " Ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés. " Notre-Seigneur ne défend donc pas le jugement accompagné de clémence et suivi du pardon. - BEDE. Le Sauveur résume ensuite, dans une courte sentence, tous les commandements qu'il avait faits sur les rapports que nous devons avoir avec nos ennemis : " Pardonnez, et il vous sera pardonné, " etc. C'est-à-dire qu'il nous ordonne de pardonner les injures, et de répandre des bienfaits sur nos ennemis, si nous voulons obtenir le pardon de nos péchés, et la vie éternelle pour récompense.

S. CYR. Il nous montre ensuite avec quelle munificence, avec quelle libéralité nous serons récompensés par le Dieu qui donne avec largesse à ceux qui l'aiment : " Ils verseront dans votre sein une bonne mesure, pressée et remuée, et se répandant par dessus les bords. " - THEOPHYL. C'est-à-dire : De même que pour mesurer largement une mesure de farine, vous la pressez, vous l'agitez, et vous en versez jusqu'à la faire déborder ; de même le Seigneur versera dans votre sein une mesure abondante, et qui, pour ainsi dire, se répandra par dessus les bords. - S. AUG. (Quest. évang., 2, 8.) Il dit : " Ils verseront, " car ils recevront la récompense céleste par les mérites de ceux auxquels ils auront donné, ne fût-ce qu'un verre d'eau froide, parce qu'ils étaient disciples de Jésus-Christ. (Mt 10, 42.)
" On usera pour vous de la même mesure dont vous aurez usé pour les autres, " etc. - S. BAS. La mesure dont chacun de vous se sert dans le bien qu'il opère, comme dans le mal qu'il commet, sera aussi la mesure des récompenses ou des châtiments qu'il recevra. - THEOPHYL. Mais peut-être nous fera-t-on cette question tant soit peu subtile : Si la récompense est si abondante, comment peut-on dire qu'elle est égale à la mesure dont nous nous sommes servi ? Nous répondons que Notre-Seigneur ne dit point : Il vous sera donné dans une mesure égale en quantité, mais : " Dans la même mesure. " Vous avez bien agi, on agira bien à votre égard, ce qui est rendre la même mesure ; mais Notre-Seigneur dit que cette mesure sera surabondante, parce qu'il rendra mille fois plus de bien qu'on en a fait. Il en est de même pour le jugement ; celui qui juge, et qui est ensuite jugé, reçoit dans la même mesure, mais il sera jugé plus sévèrement qu'il n'a jugé lui-même son semblable ; en cela la mesure est surabondante. - S. CYR. L'Apôtre résoud cette difficulté, lorsqu'il dit : " Celui qui sème peu (c'est-à-dire en petite quantité et d'une main avare), moissonnera peu (c'est-à-dire une moisson peu abondante) ; et celui qui sème dans les bénédictions, moissonnera aussi dans les bénédictions (c'est-à-dire avec abondance.) " (2 Co 9, 6.) Si on ne possède rien, on n'est pas coupable en ne donnant point ; car Dieu nous tient compte des biens que nous avons, et non de ceux qui ne sont pas en notre possession.

vv. 39-42.
S. CYR. Notre-Seigneur ajoute aux enseignements qui précèdent une parabole bien nécessaire : " Il leur faisait aussi cette comparaison. " En effet, ses disciples étaient appelés à devenir les docteurs du monde ; ils devaient donc connaître toutes les règles d'une vie sainte, et répandre les clartés d'une lumière toute divine, pour éviter d'être des aveugles servant de guide à d'autres aveugles. Il leur dit donc : " Un aveugle peut-il conduire un autre aveugle ? " S'il arrive à quelques-uns d'atteindre au même degré de vertu que ceux qui les enseignent, qu'ils se contentent de cette mesure, et marchent toujours sur les traces de leurs maîtres ; car, dit Notre-Seigneur : " Le disciple n'est pas au-dessus du maître. " Aussi saint Paul dit aux Philippiens : " Soyez mes imitateurs, comme je le suis de Jésus-Christ. " (Ph 3.) Pourquoi donc voulez-vous juger les autres, alors que Jésus-Christ ne juge pas ? Car il n'est pas venu pour juger le monde, mais pour le sauver. (Jn 3.) - THEOPHYL. Ou encore, si vous jugez les autres, et que vous soyez coupable des mêmes fautes, ne ressemblez-vous pas à l'aveugle qui conduit un autre aveugle ? Comment le conduirez-vous au bien, alors que vous suivez la voie du mal ? Le disciple n'est point au-dessus du. maître. Si donc vous ne savez éviter le péché, vous qui vous décernez le titre de maître et de conducteur, que deviendra celui qui devient votre disciple et se place sous votre conduite ? Car tout disciple sera parfait, s'il est comme son maître. - BEDE. Ou bien le sens de ces paroles dépend des enseignements qui précèdent, où Notre-Seigneur recommande de donner l'aumône et de pardonner les injures. Si vous vous laissez aveugler par la colère contre celui qui vous fait violence, et par l'avarice à l'égard de celui qui vous demande du secours, comment, dans cette disposition coupable de votre âme, pourrez-vous les guérir de leurs propres vices ? Voyez Jésus-Christ, notre Maître ; il était Dieu, il pouvait venger les injures qui lui étaient faites, et cependant il a préféré adoucir la fureur de ses ennemis en les supportant avec patience ; n'est-il donc pas nécessaire que ses disciples, qui ne sont que des hommes, suivent la même règle de perfection. - S. AUG. (Quest. évang., 2, 9.) Ou bien encore, Notre-Seigneur, par ces paroles : " Est-ce qu'un aveugle peut conduire un autre aveugle ? " veut leur ôter l'espoir de recevoir des lévites cette mesure dont il a dit : " Ils verseront dans votre sein, " etc. En effet, ils payaient les décimes à ceux que le Sauveur appelle des aveugles, parce qu'ils ne recevaient pas l'Évangile. Il veut donc que le peuple commence à attendre cette récompense des disciples du Seigneur, qu'il déclare être ses imitateurs en disant : " Le disciple n'est point au-dessus du maître. "

THEOPHYL. Le Seigneur ajoute une autre parabole qui a le même objet : " Pourquoi voyez-vous une paille (c'est-à-dire une faute légère dans l'oeil de votre frère), tandis que vous n'apercevez pas la poutre, (c'est-à-dire les fautes énormes) qui sont dans votre oeil ? " - BEDE. Cette comparaison fait suite à la précédente, où le Sauveur nous déclare qu'un aveugle ne peut servir de guide à un autre aveugle, (c'est-à-dire qu'un pécheur ne peut être repris par un autre pécheur) ; Notre-Seigneur ajoute donc : " Comment pouvez-vous dire à votre frère : Mon frère, laissez-moi ôter la paille de votre oeil, vous qui ne voyez pas la poutre qui est dans le vôtre ? " - S. CYR. C'est-à-dire : Comment celui dont la conscience est chargée de crimes énormes (figurés par la poutre) peut-il condamner celui qui n'en a que de légers, ou même qui n'en a aucun à se reprocher ? car c'est ce que la paille signifie. - THEOPHYL. Cette leçon s'adresse à tous, mais surtout aux docteurs qui punissent sévèrement, dans leurs disciples, les moindres fautes, tout en s'accordant le bénéfice de l'impunité pour les plus grandes ; c'est ce qui leur attire de la part du Seigneur le reproche d'hypocrisie, parce qu'ils jugent sévèrement les péchés d'autrui pour faire ressortir leur propre justice : " Hypocrites, ôtez d'abord la poutre de votre oeil, " etc. - S. CYR. C'est-à-dire purifiez-vous d'abord de ces crimes énormes qui souillent votre conscience, et alors vous pourrez vous montrer zélé pour corriger votre frère de ses fautes légères. - S. BAS. (hom. 9 sur l'Hexam.) La connaissance de soi-même est en effet de la dernière importance ; l'oeil qui considère les choses extérieures, ne peut voir ce qui se passe en lui-même ; ainsi en est-il de notre esprit, lorsqu'il est prompt à juger les péchés d'autrui, il devient lent à découvrir ses propres défauts.

vv. 43-45.
BEDE. Notre-Seigneur continue à parler ici contre les hypocrites : " L'arbre qui produit de mauvais fruits, n'est pas bon, " etc. ; paroles dont voici le sens : Si vous voulez avoir une vertu véritable et sincère, montrez-vous dans les oeuvres ce que vous êtes en paroles ; car l'hypocrite qui se couvre du masque de la vertu, n'est cependant pas vertueux, s'il fait le mal ; et s'il ose reprendre un innocent, ses reproches ne le rendent pas pour cela mauvais, puisqu'il fait le bien. - TITE DE BOST. Que ces paroles ne favorisent point votre négligence, un arbre est soumis aux lois qui régissent la nature végétale ; pour vous, au contraire, vous avez l'usage de votre libre arbitre ; tout arbre stérile a été créé pour une fin particulière ; pour vous, vous avez été créé pour pratiquer la vertu. - S. ISID. (Liv. 4, lettre 81.) Ce n'est point le repentir, mais la persévérance dans le mal, que le Sauveur condamne par ces paroles ; tant que la disposition de l'âme reste mauvaise, elle ne peut produire de bons fruits ; mais si elle se tourne du côté du bien, alors elle produit des fruits de vertu. La nature de l'arbre s'appelle en nous l'affection, aussi elle peut ce qui est impossible à un arbre mauvais, c'est-à-dire produire de bons fruits.

S. CHRYS. (Hom. 43 sur S. Matth.) Quoique le fruit naisse de l'arbre, il le fait néanmoins connaître, en ce sens, que la nature, l'espèce d'un arbre se distinguent par ses fruits. - S. CYR. Ainsi la vie de tout homme est l'expression véritable de ses moeurs, car ce n'est point aux ornements extérieurs, aux dehors d'une feinte humilité qu'on reconnaît l'éclat du vrai bonheur, mais par les oeuvres que chacun opère ; vérité que le Sauveur confirme par ces paroles : " On ne cueille point de figues sur des épines. " - S. AMBR. Ce n'est point parmi les épines de ce monde qu'on peut trouver ce figuier qui est l'image de la résurrection, parce que les seconds fruits en sont meilleurs que les premiers, ou encore, parce que, selon ces paroles du livre des Cantiques (Ct 2) : " Les figuiers ont donné leurs premières figues, " les fruits qu'ils ont donnés au temps de la synagogue, n'étaient ni mûrs, ni durables, ni utiles ; ou bien encore, parce que notre vie ne parvient pas à sa maturité dans ce corps mortel, mais seulement dans sa résurrection. Nous devons donc rejeter loin de nous les sollicitudes de la terre qui déchirent l'âme et consument l'esprit, afin d'obtenir par nos soins assidus des fruits d'une maturité parfaite. Ainsi ces paroles se rapportent à la vie présente et à la résurrection, et les suivantes à l'âme et au corps. " On ne vendange point de raisin sur des ronces, " c'est-à-dire, que le péché ne peut faire produire aucun fruit à l'âme qui, semblable au raisin, se corrompt si elle est trop près de la terre, et ne peut mûrir que dans les hauteurs ; ou bien que personne ne peut échapper à la damnation de la chair, s'il n'est racheté par Jésus-Christ, qui, comme le raisin, a été suspendu sur le bois. - BEDE. Ou bien encore, les épines et les ronces signifient les soucis du siècle et les atteintes perçantes des vices, tandis que les figues et le raisin représentent les douceurs de la vie nouvelle et l'ardeur de la charité. Or, on ne cueille point de figues sur les épines, ni de raisin sur les ronces, parce que l'âme qui est encore courbée sous le poids des habitudes du vieil homme, peut bien avoir l'apparence trompeuse de la fécondité, mais ne peut produire les fruits de l'homme nouveau. Remarquons encore que, de même que la branche féconde de la vigne, s'appuie et s'enlace aux buissons, de sorte que les épines supportent et conservent pour l'usage de l'homme, un fruit qui n'est pas le leur ; ainsi les paroles ou les actions des méchants peuvent quelquefois être utiles aux bons, ce qui doit être attribué, non à la volonté des méchants, mais aux desseins providentiels de Dieu qui sait tirer le bien du mal.

S. CYR. Après avoir montré que le bon et le méchant peuvent se reconnaître à leurs oeuvres, comme on reconnaît un arbre à ses fruits, Notre-Seigneur enseigne la même vérité sous une autre figure : " L'homme bon tire le bien du bon trésor de son coeur, et l'homme mauvais tire le mal du mauvais trésor de son coeur. " - BEDE. Le trésor du coeur est comme la racine de l'arbre ; celui donc qui possède dans son coeur un trésor de patience et d'amour parfait, produit des fruits excellents en aimant ses ennemis et en pratiquant tous les divins enseignements qui précèdent ; mais celui qui n'a dans son coeur qu'un trésor de méchanceté, agit d'une manière tout opposée. - S. BAS. De plus, la nature des paroles est un indice certain de l'état du coeur d'où elles sortent, et en révèle clairement les dispositions les plus intimes : " Car la bouche parle de l'abondance du coeur. " - S. CHRYS. (hom. 43 sur S. Matth.) Lorsque la source intérieure du mal est abondante, par une conséquence naturelle, les paroles mauvaises s'exhalent des lèvres ; aussi quand vous entendez un homme proférer des paroles coupables, ne croyez pas que la méchanceté de son coeur est simplement égale à la malignité de ses discours, mais concluez sans crainte de vous tromper, que la source est beaucoup plus abondante que le ruisseau. - BEDE. Par les paroles qui sortent de la bouche, Notre-Seigneur a voulu désigner tout ce qui prend sa source dans notre coeur, c'est-à-dire, les paroles, les actions ou les pensées, car c'est la coutume des Écritures, d'employer les paroles pour les actes.

vv. 46-49.
BEDE. Notre-Seigneur ne veut pas qu'on se fasse illusion sur le sens de ces paroles : " La bouche parle de l'abondance du coeur, " comme s'il n'exigeait des vrais chrétiens que les paroles et non pas les oeuvres ; il ajoute donc : " Pourquoi m'appelez-vous Seigneur, Seigneur, et ne faites-vous point ce que je dis, " c'est-à-dire : Pourquoi vous glorifiez-vous de produire les feuilles des louanges de Dieu, vous qui ne produisez aucun fruit de bonnes oeuvres. - S. CYR. Celui qui a le souverain domaine sur toute la nature, a droit au nom et à la chose exprimée par le nom. - S. ATHAN. (Disc. cont. les sectat. de Sabell.) Ce langage n'est pas celui d'un homme, mais celui d'un Dieu qui fait voir qu'il est engendré par le Père, car celui-là seul est Seigneur, qui tire son origine de l'unique et seul Seigneur ; cependant ne craignez pas de dualité, car tous deux ont une seule et même nature.
S. CYR. Le Sauveur nous fait ensuite connaître quels sont les avantages attachés à l'observation des commandements, et quel malheur menace ceux qui les transgressent : " Celui qui vient à moi et qui écoute mes paroles, est semblable à un homme qui bâtit sa maison sur la pierre. " - BEDE. Cette pierre, c'est Jésus-Christ ; creuser bien avant, c'est à l'aide des préceptes de l'humilité, enlever du coeur des fidèles tout ce qui est terrestre, afin qu'ils servent Dieu pour des motifs tout spirituels. - S. BAS. (commenc. des Prov.) Poser le fondement sur la pierre, c'est s'appuyer sur la foi de Jésus-Christ, pour demeurer ferme dans l'adversité, soit qu'elle vienne des hommes, soit qu'elle vienne de Dieu. - BEDE. Ou bien encore, le fondement de la maison, c'est l'intention de mener une vie vertueuse, que le parfait disciple conçoit et place dans son âme pour accomplir fidèlement les préceptes de Jésus-Christ. - S. AMBR. Ou enfin, il veut nous enseigner que le fondement de toutes les vertus est l'obéissance aux commandements de Dieu, obéissance qui fait que la maison que nous bâtissons, ne peut être ébranlée ni par le torrent impétueux des passions, ni par la violence des esprits de malice, ni par les eaux entraînantes du monde, ni par les disputes ténébreuses des hérétiques, c'est pourquoi il ajoute : " Les eaux s'étant débordées, " etc. - BEDE. Ce débordement arrive de trois manières : sous l'influence des esprits immondes, par l'agitation des méchants, par le trouble de l'âme ou de la chair ; plus les hommes mettent leur confiance dans leurs propres forces, plus aussi leur chute est grande, et plus ils s'appuient sur la pierre invincible, plus ils sont inébranlables.

S. CHRYS. (Hom. 25 sur S. Matth.) Notre-Seigneur nous enseigne encore que la foi ne sert de rien si la vie est souillée par des vices qui la déshonorent : " Celui qui écoute mes paroles sans les pratiquer, est semblable à un homme qui bâtit sa maison sur la terre sans fondement, " etc. - BEDE. Le monde qui est tout entier fondé sur le malin esprit (1 Jn 5), est la maison du démon ; il la bâtit sur la terre, parce qu'il détourne du ciel pour les ramener vers la terre ceux qui se rendent ses esclaves. Il bâtit sans fondement, parce que le péché n'a pas de fondement, il ne subsiste pas en lui-même et par sa propre nature ; le mal, en effet, n'a point d'existence propre, c'est une négation, et de quelque manière qu'il arrive, il s'unit à la nature du bien ; comme le mot fondement a pour étymologie le mot fond, on peut lui donner cette dernière signification ; ainsi, de même que celui qui tombe dans un puits s'arrête nécessairement au fond, de même l'âme qui tombe dans le mal, s'arrête comme dans un espèce de fond, si elle ne dépasse pas une certaine mesure dans le mal qu'elle commet, mais lorsque, non contente du péché où elle est tombée, elle fait tous les jours de nouvelles et plus lourdes des chutes, elle ne trouve plus, pour ainsi dire, de fond qui l'arrête dans le puits où elle est tombée. Ainsi les méchants et ceux qui n'ont que l'apparence du bien, deviennent plus mauvais à chaque tentation qui vient fondre sur eux, jusqu'à ce qu'enfin ils tombent dans les châtiments éternels : " Le torrent est venu fondre sur cette maison et elle est tombée aussitôt, " etc. Par ce fleuve qui se précipite avec violence, on peut entendre les suites du jugement dernier, alors que l'une et l'autre de ces deux maisons étant détruites, les impies iront à l'éternel supplice, et les justes dans la vie éternelle. - S. CYR. Ou bien encore, ceux-là bâtissent sur la terre sans aucun fondement, qui posent sur le sable mouvant du doute et des opinions humaines, le fondement de l'édifice spirituel que quelques gouttes de tentations suffisent pour renverser.
S. AUG. (de l'acc. des Evang., 2, 14.) L'exorde de ce long discours du Sauveur est le même dans saint Matthieu et dans saint Luc : " Bienheureux les pauvres. " La plupart des enseignements qui suivent, sont également les mêmes dans les deux Évangélistes, et le discours se termine absolument de la même manière, par la comparaison de l'homme qui bâtit sur la pierre on sur le sable. On serait donc autorisé à croire que saint Luc a rapporté ici le même discours que saint Matthieu, en omettant certaines maximes que saint Matthieu avait développées, pour en rapporter lui-même d'autres que saint Matthieu avait omises ; mais on est arrêté par cette difficulté que, suivant saint Matthieu, lorsque le Seigneur fit ce discours, il était assis sur une montagne, tandis que d'après saint Luc, le Sauveur était alors debout dans la plaine. Cependant il est probable que ces deux discours eurent lieu à des époques peu éloignées, par la raison que les deux Évangélistes placent immédiatement avant et après ce discours des faits semblables ou même identiques. On peut aussi supposer que Notre-Seigneur s'est tenu d'abord seul avec ses disciples sur la partie la plus élevée de la montagne, lorsqu'il fit choix parmi eux des douze Apôtres, et qu'il est ensuite descendu du sommet de la montagne dans la plaine, c'est-à-dire, sur un plateau qui se trouvait à mi-côte et qui pouvait contenir une grande multitude. C'est là qu'il s'est tenu debout jusqu'à ce que la foule fût assemblée autour de lui, puis lorsqu'il se fut assis, ses disciples s'approchèrent de lui, et c'est devant eux et en présence de tout le peuple réuni, qu'il fit ce seul et même discours qui est rapporté par les deux Évangélistes.