CATANA AUREA SUR SAINT LUC
ÉVANGILE DE SAINT LUC PAR SAINT THOMAS
SAINT THOMAS D'AQUIN CATENA AUREA SUR SAINT LUC
CHAPITRE
XII
vv. 1-3.
THEOPHYL. Les pharisiens s'efforçaient de surprendre Jésus dans
ses paroles, pour détourner le peuple de le suivre, mais leurs efforts
aboutissaient à un résultat contraire, car le peuple se pressait
autour de lui par milliers, et dans le vif désir qu'ils avaient de s'approcher
de sa personne, ils se foulaient les uns les autres, tant la vérité
a de puissance, tant au contraire la fourberie est toujours faible : "
Cependant une grande multitude s'étant assemblée autour de Jésus,
" de sorte qu'ils se foulaient les uns les autres, il commença à
dire à ses disciples : " Gardez-vous du levain des pharisiens, qui
est l'hypocrisie. " - S. CYR. Notre-Seigneur recommande à ses disciples
de se garder des pharisiens, parce que c'étaient des fourbes qui se moquaient
de tout. - S. GREG. DE NAZ. Le levain est tantôt pris en bonne part, comme
produisant le pain, qui alimente la vie, et tantôt en mauvaise part, comme
étant le symbole d'une méchanceté aigre et invétérée.
- THEOPHYL. Le Sauveur donne le nom de levain à l'hypocrisie, parce qu'elle
altère et corrompt les intentions des hommes dans le coeur desquels elle
pénètre, car rien ne corrompt les moeurs comme l'hypocrisie. -
BEDE. De même qu'un peu de levain aigrit toute la pâte (1 Cor 5),
de même la dissimulation ôte à l'âme toute sincérité
et toute vérité dans la pratique des vertus.
S. AMBR. Pour nous détourner d'imiter la conduite perfide des Juifs en agissant d'une manière et en parlant d'une autre, Notre-Seigneur place ici une magnifique leçon de simplicité et de foi, et nous rappelle qu'à la fin des temps, nos pensées cachées nous accuseront ou nous défendront, et dévoileront ainsi le secret de notre âme : " Rien de secret qui ne soit révélé, " etc. - ORIG. Il veut donc parler de ce temps où Dieu jugera les actions les plus cachées des hommes ; ou il veut dire que quelques efforts qu'on fasse pour étouffer le bien que font les autres sous le poids de la calomnie, le bien de sa nature ne peut rester caché. - S. CHRYS. (hom. 35, sur S. Matth.) Il semble dire à ses disciples : On vous traite maintenant de séducteurs et de magiciens, mais le temps dévoilera toutes choses, il mettra au grand jour leurs calomnies et fera éclater votre vertu. Prêchez donc hardiment, le front découvert, et sans crainte aucune à tout l'univers, ce que je vous ai enseigné dans ce petit coin de la Palestine : " Ainsi ce que vous avez dit dans les ténèbres, on le dira au grand jour, " etc. - BEDE. Ou bien encore, il parle de la sorte, parce que tout ce que les apôtres ont dit et souffert autrefois dans les ténèbres, des persécutions, et dans les noirs cachots où on les enfermait, est maintenant annoncé publiquement par la lecture qui se fait de leurs actes, dans l'Église répandue par tout l'univers. Ces paroles : " Sera prêché sur les toits, " se rapportent à l'usage de la Palestine, où les habitants se tiennent sur les toits, car les toits ne sont point surmontés de combles comme les nôtres, mais nivelés en plate-forme, c'est-à-dire en surface plane. Ainsi ces paroles : " Sera publié sur les toits, " signifie : sera annoncé de manière à être entendu de tous. - THEOPHYL. Ou bien encore, Notre-Seigneur s'adresse aux pharisiens, et leur dit : O pharisiens, ce que vous avez dit dans les ténèbres, c'est-à-dire, les embûches que vous méditez contre moi dans les épaisses ténèbres de vos coeurs, seront dévoilées au grand jour : car je suis la lumière, et je révélerai dans cette lumière tout ce que vous tramez ténébreusement contre moi. Et ce que vous dites à l'oreille et dans l'intérieur de vos maisons (c'est-à-dire, tout ce que vous murmurez à voix basse à l'oreille), sera prêché sur les toits, c'est-à-dire sera entendu de moi, comme si on le prêchait sur les toits. On peut dire encore que la lumière, c'est l'Évangile, que les toits sont les âmes élevées des Apôtres, car toutes les âmes insidieuses des pharisiens furent dévoilées, et mises au grand jour dans la lumière de l'Évangile, par l'oracle divin de l'Esprit saint qui se reposait sur les âmes des Apôtres.
vv 4-7.
S. AMBR. Deux causes produisent ordinairement la perfidie de la trahison, une
méchanceté naturelle et invétérée, ou une
crainte accidentelle. Notre-Seigneur prémunit donc ses disciples contre
la crainte qui les porterait à renier le Dieu qu'ils reconnaissent dans
leur coeur : " Or, je vous dis à vous qui êtes mes amis :
Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, " etc. - S. CYR. Ces paroles ne
peuvent s'appliquer indifféremment à tous, mais à ceux-là
seulement qui aiment Dieu de tout leur coeur, et qui peuvent dire en toute assurance
: " Qui nous séparera de la charité de Jésus-Christ
? " (Rm 8, 35-38) Ceux qui ne sont point dans cette disposition, sont faibles
et bien près de tomber, c'est le Seigneur lui-même qui a dit :
" Personne ne peut témoigner un plus grand amour que de donner sa
vie pour ses amis. " Or, ne serait-il pas souverainement injuste de ne
pas rendre à Jésus-Christ ce que nous avons reçu de lui
? - S. AMBR. Il leur apprend aussi que la mort n'a plus rien de redoutable,
puisque l'immortalité la rachète par une si riche compensation.
S. CYR. Souvenons-nous donc que Dieu prépare des couronnes et des honneurs pour récompenser les travaux de ceux sur lesquels les hommes exercent ici-bas leur colère, et que la mort du corps met un terme à leurs persécutions, comme l'ajoute Notre-Seigneur : " Et après cela ils ne peuvent rien faire de plus. " - BEDE. C'est donc en vain que les persécuteurs exercent leur fureur insensée sur les membres déchirés des martyrs, qu'ils jettent en pâture aux bêtes féroces, ou aux oiseaux du ciel, puisqu'ils ne peuvent empêcher la toute-puissance de Dieu de leur rendre la vie en les ressuscitant.
S. CHRYS. (hom. 23, sur S. Matth.) Considérez comment le Seigneur rend ses disciples supérieurs à tous les événements, puisqu'il les exhorte à mépriser même la mort si redoutable à tous les hommes. Mais voyez en même temps comme il multiplie les preuves de l'immortalité de l'âme : " Mais je vous montrerai qui vous devez craindre, craignez celui qui, après avoir ôté la vie, a le pouvoir de jeter dans la géhenne. - S. AMBR. C'est qu'en effet la mort est la fin de la nature et non du châtiment ; aussi la conclusion de Notre-Seigneur est-elle, que la mort met fin au supplice du corps, tandis que le châtiment de l'âme est éternel, et que nous ne devons craindre que Dieu seul, à la puissance duquel la nature ne peut prescrire des bornes, mais qui lui-même commande à la nature : " Oui je vous le dis, ajoute-t-il, craignez celui-là. " - THEOPHYL. Remarquez que les pécheurs ont à subir le double châtiment et de la mort temporelle, et du supplice de l'enfer où ils sont jetés. Si vous approfondissez ces paroles, vous y trouverez encore un autre enseignement. En effet, Notre-Seigneur ne dit pas : " Qui envoie dans la géhenne, " mais : " Qui a le pouvoir d'envoyer. " Car tous ceux qui meurent dans le péché ne sont pas immédiatement livrés au supplice, mais ils éprouvent quelques moments de repos et d'adoucissement par suite des sacrifices et des prières qui sont offertes pour les âmes des défunts.
S. AMBR.
Notre-Seigneur venait d'inspirer à ses Apôtres l'amour de la simplicité,
et d'affermir leur courage ; leur foi seule était chancelante, il la
fortifie donc merveilleusement par les exemples empruntés aux choses
les plus simples : " Est-ce que cinq passereaux ne se vendent pas deux
as (un diponde) ? et pas un d'eux n'est en oubli devant Dieu, " c'est-à-dire,
si Dieu n'oublie point les passereaux, comment pourrait-il oublier les hommes
? - BEDE. Le diponde est un des poids les plus légers, et il est composé
de deux as. - LA GLOSE. Or, l'as est dans le poids ce que un est dans les nombres,
et le diponde équivaut à deux as. - S. AMBR. Mais, comment, objectera-t-on,
l'Apôtre a-t-il pu dire : " Est-ce que Dieu prend soin des boeufs
? " Et cependant un boeuf est d'un plus grand poids qu'un passereau. Nous
répondons qu'autre chose est le souci, autre chose la connaissance que
Dieu a des plus petites créatures.
ORIG. (Ch. des Pèr. gr.) Ces paroles signifient donc littéralement
que l'action pénétrante de la Providence s'étend aux plus
petites choses. Dans le sens mystique, les cinq passereaux sont le symbole des
sens spirituels de l'âme, qui perçoivent les choses célestes
et supérieures à l'homme, qui voient Dieu, entendent sa voix,
savourent le pain de vie, respirent l'odeur des parfums de Jésus-Christ,
et touchent le Verbe divin. Ils sont vendus deux as, c'est-à-dire, qu'ils
sont mis à vil prix par ceux qui regardent les choses de l'Esprit comme
une folie, mais cependant ils ne sont pas en oubli devant Dieu. Néanmoins,
l'Écriture dit quelquefois que Dieu oublie certains hommes à cause
de leurs crimes. - THEOPHYL. Ou bien encore, ces cinq sens sont vendus pour
deux as, c'est-à-dire, pour le Nouveau et l'Ancien Testament, et ainsi
ils ne sont pas en oubli devant Dieu, car Dieu se souvient toujours de ceux
qui appliquent leurs sens à la parole de vie, et se rendent dignes de
cet aliment spirituel. - S. AMBR. Ou bien encore, le bon passereau est celui
qui a reçu de la nature la faculté de voler, car nous avons reçu
nous-mêmes de la nature la puissance de voler, et la volupté nous
l'a ravie, en appesantissant l'âme par ses jouissances grossières
et en s'inclinant vers la terre comme une masse de chair. Si donc les sens du
corps cherchent à se nourrir des souillures de la terre, ils deviennent
incapables de s'élever jusqu'aux fruits des oeuvres surnaturelles. Celui-là
donc ressemble au mauvais passereau, à qui les jouissances corrompues
de la terre ont retranché les ailes ; tels sont ces passereaux qui se
vendent deux as, c'est-à-dire, pour les plaisirs impurs du monde ; car
notre ennemi nous met à vil prix comme un troupeau d'esclaves, tandis
que le Seigneur, juste appréciateur de son oeuvre, nous a rachetés
à un grand prix comme de nobles serviteurs qu'il avait faits à
son image.
S. CYR. Il cherche donc avec le plus grand soin à connaître la vie des saints, comme l'indiquent les paroles suivantes : " Les cheveux même de votre tête sont tous comptés, " c'est-à-dire, qu'elle connaît exactement tout ce qui les concerne, car l'action de compter manifeste une sollicitude des plus attentives. - S. AMBR. Cette manière de parler ne veut pas dire que Dieu ait compté tous nos cheveux, mais exprime la science naturelle qu'il a de tout ce qui existe ; Notre-Seigneur dit cependant qu'ils sont comptés, parce que nous comptons ce que nous voulons conserver.
S. CYR. Dans le sens mystique, la tête est l'intelligence de l'homme, et les cheveux sont les pensées qui sont toutes à découvert aux yeux de Dieu. - THEOPHYL. Ou bien encore, par la tête on peut entendre la vie du fidèle, qui s'applique à imiter Jésus-Christ, et par les cheveux les oeuvres de mortification extérieure que Dieu compte et qui sont dignes de fixer son attention. - S. AMBR. Si donc la puissance de Dieu est si grande, qu'un seul passereau, qu'aucun de nos cheveux ne lui soit inconnu, ne serait-ce pas une indignité de penser que le Seigneur ne connaît point les coeurs des fidèles, ou qu'il les dédaigne, lui dont la science s'étend aux plus petites choses : " Ne craignez donc point, conclut-il, vous valez plus que beaucoup de passereaux. " - BEDE. On ne doit point lire, vous êtes plus (plures), comme s'il était question du nombre, mais vous êtes plus (pluris), c'est-à-dire, vous êtes d'un plus grand prix aux yeux de Dieu. - S. ATHAN. (Disc. 3 cont. les ar.) Or, je demanderai aux ariens : si Dieu dédaignant de créer les autres êtres, n'a fait que son Fils, et lui a abandonné toutes les autres créatures, comment sa providence s'étend-elle jusqu'aux moindres choses, jusqu'à un cheveu, un passereau ? Car tous les êtres que Dieu embrasse par sa providence, il les a créés par sa parole.
vv. 8-12.
BEDE. Après avoir déclaré que toutes nos oeuvres, que toutes
nos pensées les plus secrètes seront révélées
; Notre-Seigneur ajoute que cette révélation aura lieu, non pas
au milieu d'une assemblée ordinaire, mais en présence de la cité
céleste, devant le Juge et le Roi éternel des siècles :
" Or, je vous le dis, quiconque m'aura confessé devant les hommes,
" etc. - S. AMBR. Le Sauveur insère ici admirablement tout ce qui
petit rendre la foi plus vive, eu lui donnant la force pour fondement et pour
base ; car de même que la foi est le stimulant du courage, la force est
le plus ferme appui de la foi. - S. CHRYS. (hom. 35, sur S. Matth.) Dieu ne
se contente donc pas de la foi intérieure, il en demande la confession
extérieure et publique, et nous excite ainsi à une plus grande
confiance et à un plus grand amour. Et comme cet enseignement est utile
à tous, il parle en général : " Quiconque m'aura confessé
devant les hommes, " etc. - S. CYR. Saint Paul dit dans son Épître
aux Romains : " Si vous confessez de bouche que Jésus est. le Seigneur,
et si vous croyez de coeur que Dieu l'a ressuscité après la mort,
vous serez sauvé. " Tous les mystères du Christ sont compris
dans ces paroles. En effet, il faut d'abord reconnaître que le Verbe qui
est sorti du Père, c'est-à-dire, son Fils unique, né de
sa substance, est le Seigneur de toutes choses, et que son souverain domaine
n'est point un domaine usurpé, ni qui vienne d'un principe extérieur,
mais qu'il lui vient, comme à son Père, de sa nature même
et de son existence. Il faut ensuite confesser que Dieu a ressuscité
des morts ce même Seigneur, qui s'est fait homme, et qui a souffert la
mort pour nous ; car c'est ainsi qu'il est ressuscité des morts. Quiconque
confessera ainsi devant les hommes la divinité et le souverain domaine
de Jésus-Christ, le Sauveur, à son tour, le confessera devant
les auges de Dieu, lorsqu'il descendra avec les saints anges dans la gloire
du Père, à la consommation des siècles.
EUSEBE. Or, qu'y aura-t-il de plus glorieux que de voir le Fils unique, le Verbe de Dieu, rendant témoignage au jour du jugement, et donnant dans son amour une récompense sensible du témoignage qui lui a été rendu sur la terre, à l'âme qu'il aura jugée digne de cette récompense ? Car il ne restera pas en dehors de cette âme, mais il lui rendra témoignage en habitant au milieu d'elle et en l'inondant de sa lumière. Après avoir fortifié ses Apôtres par la douce espérance d'aussi magnifiques promesses, il les affermit encore par des menaces non moins effrayantes : " Mais celui qui m'aura renié devant les hommes, sera renié devant les anges de Dieu. " - S. CHRYS. (hom. 35 sur S. Matth.) C'est-à-dire, que le châtiment sera plus sévère et la récompense plus abondante, comme s'il disait : Ici-bas, c'est vous qui me confessez, ou qui me niez, mais au jour du jugement, ce sera moi-même, et ainsi la récompense du bien que vous aurez fait, ou le châtiment du mal que vous aurez commis, vous seront rendus avec usure dans l'autre vie. - EUSEBE. Le Sauveur fait ici cette menace, pour leur faire comprendre combien il est important qu'ils confessent son nom, par la perspective du châtiment qui les attend, châtiment qui consiste à être renié par le Fils de Dieu, c'est-à-dire, par la sagesse de Dieu ; à perdre la vie, à être privé de la lumière, et dépouillé de tous les biens, à souffrir ce châtiment devant le Père, qui est dans les cieux et les anges de Dieu.
S. CYR. Or ceux qui nient Jésus-Christ sont d'abord ceux qui abjurent la foi aux approches de la persécution, il faut y joindre encore les docteurs hérétiques et leurs disciples. - S. CHRYS. (comme préc.) Il est encore d'autres manières de renier Jésus-Christ, que saint Paul énumère, lorsqu'il dit : " Ils font profession du connaître Dieu, mais ils le renoncent par leurs actions, " (Tt 1, 16) et encore : " Si quelqu'un n'a pas soin des siens, et particulièrement de ceux de sa maison, il a renoncé à la foi, et il est pire qu'un infidèle, " (1 Tm 5, 8) et enfin : " Fuyez l'avarice, qui est une espèce d'idolâtrie. " (1 Co 2, 5.) Puisqu'il y a plusieurs manières de renier Jésus-Christ, il est évident qu'il y a autant de manières de le confesser, et celui qui aura confessé le Sauveur de ces différentes manières, entendra cette voix si consolante de Jésus-Christ, rendant un glorieux témoignage à tous ceux qui l'auront confessé. Considérez ici la propriété des expressions, dans le texte grec, on lit : " Quiconque aura confessé en moi, " ce qui veut dire que ce n'est point par les forces naturelles, mais à l'aide de la grâce de Dieu, qu'on peut confesser Jésus-Christ. Mais pour celui qui nie, il ne dit point : Celui qui aura nié en moi ; mais : " Celui qui m'aura renié, " car celui qui le nie est privé de la grâce ; il ne laisse pas toutefois d'être coupable, parce qu'il est cause de cette privation de la grâce, et que c'est par sa propre faute qu'elle lui fait défaut. - BEDE. De ce que le Sauveur doit un jour renier tous ceux qui l'ont nié sur la terre, il ne s'ensuit pas que le même sort soit réservé à tous indifféremment, à ceux qui l'ont nié de dessein prémédité, et à ceux qui ne l'ont fait que par faiblesse et par ignorance, aussi Notre-Seigneur ajoute : " Et quiconque parle contre le Fils de l'homme, il lui sera remis, " etc. - S. CYR. Ces paroles du Sauveur signifient-elles que toute parole injurieuse que nous aurons dites contre un de nos semblables, nous sera pardonnée, si nous nous en repentons, elles n'offrent alors aucune difficulté, puisque Dieu étant naturellement bon, pardonne à ceux qui veulent se repentir, mais si elles doivent s'entendre de Jésus-Christ lui-même, comment celui qui parle contre lui ne sera-t-il pas condamné ? - S. AMBR. Par le Fils de l'homme, nous entendons le Christ, qui a été engendré par l'opération du Saint-Esprit, de la Vierge, qui est seule sur la terre la cause de sa naissance temporelle. Or, dirons-nous que l'Esprit saint est plus grand que le Christ, de manière que ceux qui pèchent contre le Christ, puissent obtenir leur pardon, tandis que ceux qui pèchent contre l'Esprit, n'ont aucune miséricorde à attendre ? Mais où il y a unité de puissance, on ne peut établir aucune comparaison.
S. ATHAN.
(Traité sur ces par. : Quiconque, etc.) D'anciens auteurs, le savant
Origène et l'admirable Théognoste, enseignent qu'on se rend coupable
du blasphème contre l'Esprit saint, quand après avoir reçu
ce divin Esprit par le baptême, on retourne à ses anciens péchés,
et c'est la cause, disent-ils, qui les rend indignes de pardon, suivant ces
paroles de saint Paul : " Il est impossible que ceux qui ont été
une fois éclairés, qui ont goûté le don du ciel,
qui ont été faits participants du Saint-Esprit, soient renouvelés
par la pénitence. " (He 6.) Chacun de ces deux docteurs motive ainsi
son sentiment : Dieu le Père, dit Origène, pénètre
et embrasse toutes choses ; la puissance du Fils ne s'étend qu'aux créatures
raisonnables, et l'Esprit saint n'habite que les âmes qui l'ont reçu
dans le baptême. Lors donc que les catéchumènes ou les gentils
se rendent coupables, ils pèchent contre le Fils, qui demeure au milieu
d'eux ; ils peuvent cependant obtenir leur pardon, quand ils deviennent dignes
du sacrement de la régénération. Au contraire, quand ils
retombent dans le péché, après le baptême, leur crime
atteint l'Esprit saint, contre lequel ils pèchent après l'avoir
reçu ; aussi leur condamnation est-elle irrévocable. Théognoste,
de son côté, enseigne que celui qui a franchi le premier et le
second degré de culpabilité, mérite un moindre châtiment,
mais celui qui franchit le troisième n'a plus de pardon à espérer.
Or, suivant lui, le premier et le second degré, c'est la doctrine du
Père et du Fils ; le troisième, c'est la participation à
l'Esprit saint, conformément à ces paroles du Sauveur : "
Lorsque l'Esprit de vérité sera venu, il vous enseignera toute
vérité. " (Jn 16.) Ce n'est pas sans doute, que la doctrine
de l'Esprit saint surpasse la doctrine du Fils ; mais le Fils est plein de condescendance
pour les âmes imparfaites, tandis que le Saint-Esprit est comme le sceau
des âmes arrivées à la perfection. Si donc le blasphème
contre l'Esprit saint ne mérite aucun pardon, ce n'est pas que l'Esprit
saint soit supérieur au Fils, mais parce que les âmes imparfaites
ont droit au pardon, tandis que celles qui sont arrivées à la
perfection, ne peuvent apporter aucune excuse. Car il faut reconnaître
que le Fils étant dans le Père, il est dans ceux en qui le Père
habite, et que l'Esprit saint y est aussi, car la sainte Trinité est
indivisible. Ajoutons que si toutes choses ont été faites par
le Fils, et ne subsistent que par lui (Jn 1, 3 ; Col 1, 16.17), il est donc
lui-même en toutes choses, et ainsi celui qui pèche contre le Fils,
pèche nécessairement contre le Père et le Saint-Esprit.
Enfin le sacrement de baptême s'administre au nom du Père, et du
Fils, et du Saint-Esprit ; ceux donc qui retombent dans le péché
après le baptême, blasphèment contre la sainte Trinité.
Mais, puisque les pharisiens n'avaient pas reçu le baptême, pourquoi
les accuse-t-il de blasphème contre le Saint-Esprit, qu'ils n'avaient
pas encore reçu, alors surtout qu'il ne les accuse pas de simples péchés,
mais de blasphème ? car le péché n'est que la transgression
de la loi, tandis que le blasphème est un outrage direct à Dieu
lui-même. Et encore, s'il n'y a plus de pardon à espérer
pour ceux qui pèchent après le baptême, pourquoi l'Apôtre
pardonne-t-il à l'incestueux pénitent de Corinthe. (2 Co 2.) Pourquoi
écrit-il aux Galates, qui étaient retournés en arrière,
qu'il les enfante de nouveau, jusqu'à ce que Jésus-Christ soit
formé en eux ? (Ga 3.) Pourquoi reprochons-nous à Novatien de
ne pas admettre la pénitence après le baptême ? Disons donc
que l'Apôtre, dans son Épître aux Hébreux, ne détruit
pas la pénitence après le baptême, mais il combat la fausse
idée des Juifs devenus chrétiens, qu'il pût y avoir des
baptêmes multipliés tous les jours pour la rémission des
péchés, selon les prescriptions de la loi. Il exhorte donc à
la pénitence, mais il déclare qu'il n'y a qu'une seule régénération
par le baptême. En méditant ces diverses considérations,
je me reporte à l'admirable économie de l'incarnation du Christ
qui, étant Dieu s'est fait homme ; qui comme Dieu ressuscitait les morts,
et en tant qu'homme, revêtu de notre chair, était soumis à
la soif, à la fatigue, à la souffrance. Ceux donc qui, ne considérant
en lui que l'homme, le voient sujet à la soif et à la douleur,
et tiennent des discours injurieux à son humanité, sont coupables,
il est vrai, mais ils peuvent par le repentir obtenir promptement le pardon
de leur péché, en s'excusant sur les faiblesses de la nature humaine.
Ceux qui au contraire considèrent les oeuvres divines de Jésus-Christ,
et doutent qu'il ait un corps véritable, pèchent gravement eux-mêmes,
cependant le repentir peut encore leur mériter le pardon, parce qu'ils
peuvent donner pour excuse la grandeur des oeuvres opérées par
Jésus-Christ. Mais quand ils attribuent aux démons les oeuvres
de la divinité, ils prononcent contre eux une sentence de condamnation
irrévocable, en donnant an démon un pouvoir divin, et en n'accordant
pas au vrai Dieu plus de puissance qu'au démon. C'est à ce degré
d'aveuglement et de perfidie, que les pharisiens en étaient arrivés.
Le Sauveur opérait sous leurs yeux les oeuvres de son Père, il
rendait la vie aux morts, la vue aux aveugles, il faisait mille autres prodiges
semblables, et ils attribuaient ces oeuvres à Béelzébub.
Ils auraient pu dire avec autant de raison, en voyant l'ordre du monde, et la
Providence qui le gouverne, qu'il a été créé par
Béelzébub. Aussi tant qu'ils se sont bornés à ne
voir en Jésus-Christ qu'un homme, et à dire d'un esprit incertain
et douteux : " N'est-ce pas là le fils du charpentier ? (cf. Mt
13, 55) Et comment sait-il les Écritures, puisqu'il ne les a pas apprises
? " il a supporté leur incrédulité qui était
un péché contre le Fils de l'homme. Mais dès qu'ils ont
poussé le délire jusqu'à dire que les oeuvres de Dieu avaient
pour auteur Béelzébub, il ne put les souffrir davantage. C'est
ainsi qu'autrefois il avait supporté l'incrédulité de leurs
pères, tant qu'ils ne murmuraient que de manquer de pain et d'eau, mais
lorsqu'ils eurent fondu le veau d'or et qu'ils lui attribuèrent les bienfaits
qu'ils avaient reçus du ciel, Dieu les punit, et par la mort d'un grand
nombre d'entre eux, et par la prédiction des châtiments à
venir : " Je les punirai, dit-il, au jour de la vengeance, du crime qu'ils
ont commis. " (Ex 32, 34.) Le Sauveur prédit le même châtiment
aux pharisiens condamnés à brûler éternellement avec
le démon, dans le feu qui a été préparé pour
lui. Notre-Seigneur ne veut donc point ici établir une comparaison entre
le blasphème proféré contre lui et le blasphème
contre le Saint-Esprit, comme si le Saint-Esprit était plus grand que
lui ; mais des deux blasphèmes qu'ils proféraient contre lui,
il veut montrer que l'un est plus grave que l'autre, car ils l'outrageaient
en ne voyant en lui qu'un homme, et en attribuant à Béelzébub
les oeuvres toutes divines qu'il faisait.
S. AMBR. Il en est qui pensent que par le Fils et le Saint-Esprit, il faut entendre
le Christ, tout en gardant la distinction des personnes et l'unité de
substance, parce que le même Jésus-Christ, Dieu et homme tout ensemble,
est appelé l'Esprit dans la sainte Écriture : " L'Esprit
de notre bouche, le Christ, le Seigneur. " Il est également saint,
puisque le Père est saint, que le Fils est saint, et que l'Esprit est
saint. Si donc le Christ est l'un et l'autre, pourquoi cette différence,
si ce n'est pour nous apprendre quel crime c'est pour nous que de nier la divinité
de Jésus-Christ ? - BEDE. On peut encore donner cette explication : Celui
qui attribue au démon les oeuvres de l'Esprit saint, ne peut espérer
de pardon ni en ce monde ni en l'autre, non pas que nous refusions à
Dieu de lui pardonner s'il pouvait se repentir, mais parce qu'il est presque
impossible à celui qui se rend coupable d'un tel blasphème, non
seulement d'obtenir son pardon, mais de faire de dignes fruits de pénitence,
selon ces paroles d'Isaïe : " Il les a frappés d'aveuglement,
à ce point qu'ils ne pourront se convertir, et obtenir leur guérison
" (Is 5). Or, si l'Esprit saint n'était qu'une simple créature
et qu'il ne fût pas consubstantiel au Père et au Fils, comment
les outrages proférés contre lui entraîneraient-ils un châtiment
aussi terrible que celui qui est réservé aux blasphèmes
contre Dieu ? (Lm 15, 20.)
BEDE. Cependant tous ceux qui nient l'existence de la divinité de l'Esprit
saint, ne sont point pour cela coupables de ce crime irrémissible de
blasphème, parce qu'ils agissent par ignorance naturelle plutôt
que par le principe d'envie diabolique qui animait les principaux d'entre les
Juifs. - S. AUG. (serm. 2 sur les par. du Seign.) Donnons encore cette autre
explication : si le Sauveur s'était exprimé de la sorte : Celui
qui se sera rendu coupable de n'importe quel blasphème contre l'Esprit
saint, nous devrions entendre toute espèce de blasphème sans exception,
mais il se borne à dire : " Celui qui blasphémera contre
l'Esprit saint, " c'est-à-dire, celui qui profère, non pas
un blasphème quelconque, mais un blasphème de telle gravité,
qu'il ne puisse jamais être pardonné. C'est dans le même
sens qu'il est dit : " Dieu ne tente personne, " (Jc 1) ce qui doit
s'entendre, non pas de toute tentation en général, mais d'un certain
genre de tentation. Mais quel est ce blasphème irrémissible contre
l'Esprit saint ? Le voici : Le premier bienfait dont les fidèles sont
redevables à l'Esprit saint, c'est la rémission des péchés,
c'est contre ce don purement gratuit que blasphème le coeur impénitent
; l'impénitence est donc le blasphème contre l'Esprit saint, qui
ne sera remis ni en ce monde ni en l'autre, parce que c'est la pénitence
seule qui obtient en cette vie la rémission des péchés
dont nous devons recueillir les fruits en l'autre. - S. CYR. Après avoir
inspiré à ses disciples une crainte salutaire et les avoir préparés.
à résister généreusement à ceux qui s'écartent
de la vraie foi, il leur recommande de ne point s'inquiéter d'ailleurs
de la réponse qu'ils devront faire, parce que l'Esprit saint qui habite
dans les âmes bien disposées pour les instruire, leur suggérera
ce qu'il convient de répondre : " Lorsqu'on vous conduira dans les
synagogues et devant les magistrats, ne vous mettez point en peine comment vous
répondrez ni de ce que vous direz. " - LA GLOSE. interl. Le Sauveur
dit : " Comment vous répondrez, " quant à la forme de
la réponse que vous ferez à ceux qui vous questionneront : "
Ni de ce que vous direz, " pour le fond même des choses, que vous
exposerez à ceux qui désireront s'instruire. - BEDE. En effet,
lorsque nous sommes conduits devant les tribunaux pour la cause de Jésus-Christ,
nous devons nous contenter d'offrir pour lui notre bonne volonté, pour
le reste, la grâce du Saint-Esprit nous assistera dans nos réponses
: " Car l'Esprit saint vous enseignera à l'heure même ce qu'il
vous faudra dire. " - S. CHRYS. (hom. 34 sur S. Matth.) Il est dit ailleurs,
il est vrai : " Soyez toujours prêts à répondre pour
votre défense à tous ceux qui vous demanderont raison de l'espérance
qui est en vous. " (1 P 3, 13) C'est-à-dire, que lorsqu'il s'élève
une discussion, une controverse entre amis, nous devons alors réfléchir
à ce qu'il nous faut répondre ; mais quand nous sommes traduits
devant ces tribunaux, où tout inspire la terreur, il nous entoure comme
d'un rempart de sa propre force, et nous donne le courage de parler sans crainte.
- THEOPHYL. Or, comme notre faiblesse vient de deux causes, ou parce. que nous
voulons éviter le martyre. par la crainte du supplice, ou parce que notre
ignorance nous empêche de rendre compte de notre foi, le Sauveur combat
ces deux causes : la crainte de la douleur, lorsqu'il dit : " Ne craignez
pas ceux qui tuent le corps, " la crainte de l'ignorance, par ces dernières
paroles : " Ne soyez point en peine comment vous répondrez ni de
ce que vous direz. "
vv. 13-15.
S. AMBR. Tous les enseignements qui précèdent, ont pour but de
nous encourager à souffrir pour le nom du Seigneur, ou par le mépris
de la mort, ou par l'espérance de la récompense, ou par la menace
des supplices éternels, qu'aucune miséricorde ne viendra jamais
adoucir. Or, comme l'avarice est une source fréquente de tentations pour
la vertu, Notre-Seigneur veut en détruire jusqu'au germe dans notre âme,
et à l'appui du précepte qu'il donne, il apporte cet exemple :
" Alors, du milieu de la foule, quelqu'un lui dit : Maître, dites
à mon frère de partager avec moi notre héritage. "
- THEOPHYL. Ces deux frères se disputaient pour diviser l'héritage
paternel, il fallait donc que l'un cherchât à frauder l'autre.
Or, le Sauveur, voulant nous appendre à ne point abaisser notre esprit
jusqu'aux choses de la terre, rejette la demande de celui qui l'appelait à
diviser cet héritage : " Mais Jésus lui répondit :
Homme, qui m'a établi pour vous juger ou pour faire vos partages ? "
- BEDE. Cet homme veut préoccuper du souci de diviser la terre le Maître
qui est venu nous inspirer le goût des joies et de la paix du ciel ; aussi
est-ce avec raison que Notre-Seigneur lui donne le nom d'homme ; dans le même
sens que ces autres paroles : " Puisqu'il y a parmi vous des jalousies
et des contentions, n'est-il pas visible que vous êtes charnels, et que
vous vous conduisez comme des hommes. "
S. CYR.
Lorsque le Fils de Dieu a daigné se rendre semblable à nous, Dieu
son Père l'a établi roi et prince sur la sainte montagne de Sion,
pour annoncer ses divins commandements (cf. Ph 2, 7 ; Ps 2). - S. AMBR. C'est
donc avec raison qu'il refuse de s'occuper des intérêts de la terre,
lui qui n'est descendu sur la terre que pour nous enseigner les choses du ciel
; il dédaigne d'être le juge des différends et l'arbitre
des biens de la terre, lui à qui Dieu a donné le pouvoir de juger
les vivants et les morts, et l'appréciation décisive des mérites
des hommes. Il faut donc considérer ici, non pas ce que vous demandez,
mais à qui vous faites cette demande, et ne pas chercher à détourner
à des choses de médiocre importance, celui dont l'esprit est appliqué
à des objets d'un intérêt supérieur. Ce frère
méritait donc la réponse que lui fit le Sauveur, lui qui voulait
que le dispensateur des biens célestes, s'occupât des intérêts
périssables de la terre. Ajoutons d'ailleurs que ce n'est point par l'intervention
d'un juge, mais par l'affection, qu'un bien patrimonial doit être partagé
entre des frères. Enfin les hommes doivent attendre et espérer
le patrimoine de l'immortalité plutôt que celui des richesses.
BEDE. Notre-Seigneur profite de l'occasion de cette demande inconsidérée
pour prémunir par des préceptes et des exemples, la foule et ses
disciples, contre le fléau contagieux de l'avarice : " Et s'adressant
à tous ceux qui étaient présents, il leur dit : "
Gardez-vous avec soin de toute avarice. " Remarquez ces paroles : "
De toute avarice, " parce que bien des actions ont une apparence de droiture,
mais leur intention vicieuse n'échappe pas à l'oeil pénétrant
du juge intérieur. - S. CYR. Ou bien encore : " Gardez-vous de toute
avarice, grande ou petite, " car l'avarice est tout à fait inutile
au témoignage du Seigneur lui-même : " Vous bâtirez
des maisons magnifiques, et vous ne les habiterez pas. " (Am 5, 11.) Et
ailleurs : " Dix arpents de vigne ne rapporteront qu'une mesure, la terre
ne rendra plus que la dixième partie de la semence. " (Is 5, 10.)
Le Sauveur donne une autre raison de l'inutilité de l'avarice : "
Dans l'abondance même, la vie d'un homme ne dépend pas des biens
qu'il possède. " - THEOPHYL. Il condamne ici les vains prétextes
des avares, qu'on voit entasser des richesses, comme s'ils devaient toujours
vivre. Mais l'opulence peut-elle prolonger votre vie ? Pourquoi donc vous dévouer
à des inquiétudes certaines pour un repos qui n'est rien moins
que certain ? Car il est bien douteux que vous atteigniez la vieillesse pour
laquelle vous amassez des trésors.
vv. 16-21.
THEOPHYL. Notre-Seigneur confirme la vérité qu'il vient d'enseigner,
que l'abondance des richesses ne peut prolonger la vie humaine, par la parole
suivante " Il y avait un homme riche, dont les terres avaient rapporté
beaucoup de fruits. " - S. BASIL. (hom. 6 de l'avar.) Notre-Seigneur ne
dit pas que cet homme voulut faire aucun bien avec ses grandes richesses, et
il rend plus éclatante la longanimité de Dieu, qui étend
sa bonté même aux méchants, et fait tomber sa pluie sur
les justes et sur les coupables. Or, comment cet homme témoigne-t-il
sa reconnaissance à son bienfaiteur ? Il oublie la nature qui lui est
commune avec tous les hommes, il ne pense pas qu'il y a obligation pour lui
à distribuer aux indigents son superflu ; ses greniers étaient
surchargés par l'abondance de ses récoltes, mais son coeur insatiable
n'était pas rempli. Il ne voulait rien donner des fruits anciens, tant
était grande son avarice ; il ne savait ni recueillir les nouveaux, tant
ils étaient abondants, aussi sa prudence est aux abois et ses soucis
frappés de stérilité : " Et il s'entretenait lui-même
de ces pensées : Que ferai-je ? car je n'ai point où serrer ma
récolte. " Il s'inquiète à l'égard des pauvres
; n'est-ce pas là, en effet, ce que dit l'indigent : Que ferai-je ? Comment
me procurer la nourriture et le vêtement ? Tel est aussi le langage de
ce riche, il est comme accablé sous le poids de ses richesses, dont ses
greniers regorgent et dont il ne veut point les laisser sortir pour le soulagement
des misérables, semblables à ces gens avides et affamés,
qui aimeraient mieux être victimes de leur voracité, que de laisser
les restes de leur table aux indigents.
S. GRÉG. (Moral., xv, 13.) O inquiétudes, qui êtes le fruit
de l'abondance et de la satiété ! En disant : " Que ferai-je
? " ne montre-t-il pas clairement qu'il est comme accablé par l'accomplissement
de ses désirs, et qu'il gémit, pour ainsi dire, sous le fardeau
de ses liens ? - S. BAS. (comme précéd.) Quoi de plus facile que
de dire : J'ouvrirai mes greniers, je réunirai tous les pauvres ; mais
non, une seule pensée le préoccupe, ce n'est point de distribuer
le trop plein de ses greniers, c'est d'entasser sa nouvelle récolte :
" Voici, dit-il, ce que je ferai : Je détruirai mes greniers. "
Vous faites là une bonne action, ces greniers d'iniquité méritent
d'être détruits ; abattez donc ces greniers d'où la consolation
n'est jamais sortie pour personne. Il ajoute : " Et j'en ferai de plus
grands. " Et si vous parvenez encore à les remplir, les détruirez-vous
de nouveau ? Mais quelle folie que ce travail sans fin ? Vos greniers (si vous
voulez), doivent être les maisons des pauvres. Vous me direz : A qui fais-je
tort, en gardant ce qui m'appartient ? Car ce riche ajoute : " Et j'y amasserai
le produit de mes terres et tous mes biens. " Dites-moi quels sont les
biens que vous avez en propre ? De quelle source les avez-vous tirés
pour les apporter dans cette vie ? Semblables à un homme qui, arrivant
avant l'heure du spectacle, empêcherait les autres d'y venir, et prétendrait
avoir la jouissance exclusive de ce qui est destiné au public, les riches
regardent comme leur appartenant en propre des biens dont ils se sont emparé,
lorsqu'ils étaient la propriété commune de tous les hommes.
Si chacun ne prenait que ce qui suffit à ses besoins, et abandonnait
tout le superflu aux indigents, il n'y aurait plus ni riche ni pauvre.
S. CYR. Écoutez une autre parole inconsidérée de ce riche
: " J'y amasserai tout le produit de mes terres et tous mes biens. "
Ne semble-t-il pas qu'il n'est pas redevable à Dieu de ses richesses,
et qu'elles sont le fruit de ses travaux ? - S. BAS. (comme précéd.)
Mais si vous reconnaissez que vous les tenez de Dieu, est-ce que Dieu serait
injuste en nous distribuant inégalement les biens de la fortune ? Pourquoi
êtes-vous dans l'abondance, celui-ci dans la pauvreté, si ce n'est
pour vous donner occasion d'exercer une générosité méritoire,
à ce pauvre de recevoir un jour le prix glorieux de sa patience ? Or,
n'êtes-vous pas un véritable spoliateur, en regardant comme votre
propriété ces biens que vous n'avez reçus que pour en faire
part aux autres ? Ce pain que vous conservez, appartient à cet homme
qui meurt de faim ; cette tunique que vous serrez dans votre garde-robe, appartient
à cet autre qui est sans vêtement ; cette chaussure qui dépérit
chez vous, est à celui qui marche pieds nus ; cet argent que vous avez
enfoui dans la terre, appartient aux indigents ; vous commettez donc autant
d'injustices que vous pourriez répandre de bienfaits. - S. CHRYS. Mais
il se trompe encore en regardant comme des biens véritables, des choses
tout à fait indifférentes. Il y a, en effet, des choses qui sont
essentiellement bonnes, d'autres essentiellement mauvaises, d'autres enfin qui
tiennent le milieu. La chasteté et l'humilité, et les autres vertus
sont de véritables biens, et rendent bon celui qui les pratique. Les
vices opposés à ces vertus sont essentiellement mauvais, et rendent
également mauvais celui qui s'y livre. D'autres choses tiennent le milieu,
comme les richesses, tantôt elles servent à faire le bien, l'aumône,
par exemple, tantôt elles sont un instrument pour le mal, c'est-à-dire
pour l'avarice. Il en est de même de la pauvreté, elle conduit
tantôt au blasphème, tantôt à la véritable
sagesse, selon les dispositions intérieures des personnes.
S. CYR. Ce ne sont point des greniers permanents, mais de passagère durée,
que ce riche construit, et ce qui est une folie plus insigne, il se promet une
longue vie : " Et je dirai à mon âme : Mon âme, tu as
beaucoup de biens en réserve pour plusieurs années. " O riche,
tes greniers, il est vrai, regorgent de fruits, mais qui peut te garantir plusieurs
années de vie ? - S. ATHAN. (contre Antig.) Celui qui vit comme s'il
devait mourir chaque jour, à cause de l'incertitude naturelle de la vie,
ne commettra point ce péché ; car cette crainte de la mort prémunit
contre l'attrait séduisant des voluptés ; mais au contraire, celui
qui se promet une longue vie, aspire après les plaisirs de la chair.
Écoutez en effet ce riche : " Mon âme, repose-toi, mange,
bois, fais bonne chair, " c'est-à-dire fais des repas somptueux.
- S. BAS. (comme précéd.) O riche, tu es si oublieux des biens
de l'âme, que tu lui donnes en nourriture les aliments du corps ! Si cette
âme est vertueuse, si elle est féconde en bonnes oeuvres, si elle
s'attache à Dieu, elle possède alors de grands biens, et jouit
d'une véritable joie ; mais comme tu es tout charnel et esclave de tes
passions, tes désirs et tes cris viennent tout entiers du corps et non
de l'âme. - S. CHRYS. (hom. 39 sur la Ière Epît. aux Cor.)
Il ne convient nullement de se plonger dans les délices, d'engraisser
le corps et d'affaiblir l'âme, de lui imposer un lourd fardeau, de l'envelopper
dans les ténèbres et de la couvrir d'un voile épais. Lorsque
l'homme vit dans les délices, l'âme qui devait être reine,
devient esclave, et le corps qui devait obéir, domine et commande. Les
aliments sont nécessaires au corps, mais non pas les délices,
il faut le nourrir, mais non pas le débiliter et l'amollir. Or, les délices
sont nuisibles au corps autant qu'à l'âme ; de fort qu'il était,
elles le rendent faible ; à la santé, elles font succéder
la maladie ; à l'agilité, la pesanteur ; à la beauté,
la laideur ; à la jeunesse, une vieillesse prématurée.
S. BAS. (comme précéd.) Cet homme a été laissé
libre de délibérer sur toutes ces choses, et de faire connaître
ses intentions, afin que son avarice insatiable reçût le juste
châtiment qu'elle méritait. Tandis, en effet, qu'il parle ainsi
dans le secret de son âme, ses pensées et ses paroles sont jugées
dans le ciel, d'où lui vient cette réponse : " Insensé
! cette nuit même, on te redemandera ton âme. " Entendez-vous
ce nom d'insensé que votre folie vous a mérité, ce ne sont
pas les hommes, c'est Dieu lui-même qui vous l'a donné. - S. GREG.
(Moral., XXII, 2. sur ces par. de Jb 26 : " Si j'ai regardé l'or,
" etc.) Il fut enlevé cette nuit-là même, lui qui s'était
promis de longues années, et tandis qu'il avait amassé des biens
considérables pour un grand nombre d'années, il ne voit même
pas le jour du lendemain. - S. CHRYS. (disc. 2 sur Lazare.) " On te redemandera
ton âme, " etc. Peut-être quelques puissances terribles étaient
envoyées pour lui redemander son âme ; car si nous ne pouvons sans
guide passer d'une ville à une autre, combien plus l'âme, séparée
du corps, a-t-elle besoin d'être conduite vers les régions inconnues
de l'autre vie. C'est pour cela que l'âme, sur le point de quitter le
corps, résiste fortement, et rentre dans les profondeurs du corps ; car
toujours la conscience de nos péchés nous fait sentir son aiguillon
; mais c'est surtout lorsque nous devons être traduits devant le tribunal
redoutable du juste Juge, que toute la multitude de nos crimes vient se placer
sous nos yeux et glacer notre âme d'effroi. Comme des prisonniers sont
toujours dans les angoisses, surtout lorsqu'arrive pour eux le moment de paraître
devant leur juge ; ainsi l'âme est alors attristée et torturée
par le souvenir de ses péchés, mais bien plus encore lorsqu'elle
est sortie du corps. - S. GREG. (Moral., xxv, 2.) Cette âme a été
enlevée pendant la nuit, c'est-à-dire dans l'obscurité
du coeur ; elle est séparée du corps pendant la nuit, parce qu'elle
a fermé les yeux à la lumière de la raison qui aurait pu
lui faire prévoir les supplices qu'elle s'exposait à souffrir.
Dieu ajoute
: " Et ce que tu as amassé, pour qui sera-t-il ? " - S. CHRYS.
(Ch. des Pèr. gr. et hom. 23 sur la Gen.) Car vous laisserez tous ces
biens, et non seulement vous n'en retirerez aucun avantage, mais vous serez
accablé sous le poids de vos péchés. Toutes ces richesses
que vous avez amassées, passeront le plus souvent aux mains de vos ennemis,
mais c'est vous qui aurez à en rendre compte.
" Il en est ainsi de celui qui thésaurise pour soi, et qui n'est
pas riche selon Dieu. " - BEDE. C'est un insensé qui doit être
enlevé dans la nuit. Que celui donc qui veut être riche selon Dieu,
n'amasse pas de trésors pour lui ; mais qu'il distribue aux pauvres ceux
qu'il possède. - S. AMBR. Pourquoi, en effet, amasser des richesses dont
on ne sait faire aucun emploi ? Pouvons-nous regarder comme nous appartenant
des choses que nous ne pouvons emporter avec nous ? La vertu seule nous accompagne
au sortir de cette vie, la miséricorde seule nous suit, et nous conduit
après la mort dans les tabernacles éternels (Lc 16, 9).
vv. 22,
23.
THEOPHYL. Notre-Seigneur élève peu à peu ses disciples
à une doctrine plus parfaite. Il leur a enseigné à se mettre
en garde contre l'avarice, et leur a cité à l'appui la parabole
du riche, pour leur démontrer plus clairement la folie de celui qui désire
des choses superflues ; il va maintenant plus loin, il ne nous permet pas même
la sollicitude pour le nécessaire, et arrache ainsi de nos coeurs, jusqu'à
la racine de l'avarice : " C'est pourquoi je vous dis Ne vous mettez pas
en peine, " etc. C'est-à-dire puisque vous avez compris la folie
de celui qui se promettait une longue vie, et que cette espérance rendait
encore plus avare ; ne vous mettez pas en peine pour votre âme de ce que
vous mangerez. Notre-Seigneur s'exprime de la sorte, non que l'âme spirituelle
et intelligente se nourrisse d'aliments corporels, mais parce que la nourriture
de notre corps est une condition essentielle de l'union de l'âme et du
corps ; ou bien encore, comme c'est le propre du corps animé de prendre
de la nourriture, le Sauveur attribue à l'âme le soin de la nourriture
; car l'âme est appelée la vertu nutritive du corps, et ses paroles
peuvent recevoir ce sens : " Ne vous mettez pas en peine pour la partie
nutritive de votre âme, de ce que vous mangerez. " Le corps, au contraire,
même privé de la vie, peut être couvert de vêtements
; aussi Notre-Seigneur ajoute : " Ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez.
" - S. CHRYS. (hom. 22 sur S. Matth.) " Ne vous inquiétez pas,
" ne veut pas dire : Ne travaillez pas ; mais : " Ne vous laissez
pas absorber par les choses de la terre ; " en effet, on peut très-bien
se livrer au travail, mais sans préoccupation, sans agitation d'esprit.
- S. CYR. La vie est supérieure à la nourriture, et le corps au
vêtement, au témoignage du Sauveur : " La vie est plus que
la nourriture, et le corps plus que le vêtement, " c'est-à-dire
: Dieu qui a fait le plus, ne dédaignera pas de faire le moins. Que des
choses si peu importantes ne soient donc point l'objet unique de nos pensées,
que notre esprit ne soit pas l'esclave du vêtement et de la nourriture,
mais qu'il se préoccupe surtout des moyens de sauver l'âme et de
l'élever jusqu'au royaume des cieux. - S. AMBR. Rien de plus propre à
établir cette vérité, que Dieu accorde tout à ceux
qui se confient en lui, que de voir ce souffle céleste qui, sans effort
de notre part, perpétue l'union intime du corps et de l'âme, dans
une communauté de vie à qui l'aliment nécessaire ne fait
défaut, que lorsqu'arrive le jour de la séparation et de la mort.
Puisque donc l'âme est enveloppée du corps comme d'un vêtement,
et que le corps, à son tour, puise sa vie dans la vigueur de l'âme,
n'est-ce pas une absurdité de craindre que la nourriture puisse nous
faire défaut, alors que Dieu nous a donné et nous continue le
bienfait précieux de la vie ?
vv. 24-26.
S. CYR. De même que dans ce qui précède, Notre-Seigneur
a voulu produire dans l'esprit de ses disciples une foi vive et ferme à
la Providence par l'exemple des oiseaux qui sont de peu de valeur, il se sert
encore de la même comparaison, pour nous inspirer une ferme et inébranlable
confiance en Dieu : " Considérez les corbeaux, ils ne sèment
ni ne moissonnent (pour se procurer la nourriture), ils n'ont ni cellier ni
grenier (pour mettre leur récolte), et Dieu les nourrit. " Combien
ne valez-vous pas mieux qu'eux. " - BEDE. C'est-à-dire, vous êtes
d'un plus grand prix, car un être raisonnable tel que l'homme, occupe
dans la nature un rang plus élevé que les êtres dépourvus
de raison, comme sont les oiseaux.
S. AMBR. C'est là un grand exemple offert à notre foi. En effet,
les oiseaux qui n'ont ni les travaux de la culture, ni de riches moissons, trouvent
cependant leur nourriture dans le fond inépuisable de la providence divine.
il est donc vrai que la cause de notre indigence, c'est notre avarice ; car
pourquoi les oiseaux reçoivent-ils sans travail aucun une abondante pâture
? c'est parce qu'ils ne cherchent pas à s'approprier la possession des
biens destinés à la nourriture commune de tous les êtres.
Pour nous, au contraire, nous perdons nos droits à ces biens communs,
en voulant les posséder en propre. Et d'ailleurs quelle propriété
véritable pouvons-nous avoir, là où il n'y a rien de durable,
quelles richesses assurées, là où tous les événements
sont incertains ?
S. CHRYS. (hom. 22 sur S. Matth.) Notre-Seigneur pouvait donner en exemple ces
hommes qui ont professé une souveraine indifférence pour les choses
de la terre, comme Élie, Moïse, Jean-Baptiste, et d'autres semblables,
mais il préfère emprunter ses comparaisons aux oiseaux, suivant
en cela l'exemple de l'Ancien Testament, qui renvoie l'homme à l'abeille
et à la fourmi (Pv 6, 6.8), et à d'autres animaux qui ont reçu
du Créateur des instincts qui leur sont propres. - THEOPHYL. Or, il cite
l'exemple des corbeaux, de préférence aux autres oiseaux, parce
que la providence de Dieu nourrit les petits des corbeaux avec un soin tout
particulier. En effet, les corbeaux, après que leurs petits sont éclos,
les abandonnent sans se mettre en peine de les nourrir, et c'est le vent qui,
d'une manière vraiment merveilleuse, leur porte à travers les
airs leur pâture qu'ils reçoivent dans leur bec entr'ouvert. Peut-être
encore parle-t-il ainsi par synecdoche, en prenant la partie pour le tout. En
effet, dans saint Matthieu (Mt 6), il nous renvoie aux oiseaux du ciel en général,
ici, au contraire, il nous donne pour exemple les corbeaux, comme plus avides
et plus voraces. - EUSEBE. Peut-être aussi, l'exemple des corbeaux a-t-il
une signification particulière ; car les oiseaux qui se nourrissent de
graines et de plantes, trouvent plus facilement leur pâture ; tandis que
les corbeaux qui sont carnivores, la trouvent avec plus de difficulté,
et cependant ces derniers eux-mêmes ne manquent jamais de nourriture,
grâce à cette providence de Dieu qui s'étend à tout.
Il prouve ensuite la même vérité par un troisième
raisonnement : " Qui de vous, pourrait avec tous ses soins, ajouter une
coudée à sa taille ? "
S. CHRYS. (hom. 22 sur S. Matth.) Remarquez que l'âme que Dieu nous a
donnée, demeure toujours la même, tandis que le corps prend tous
les jours de nouveaux accroissements, voilà pourquoi Notre-Seigneur passe
sous silence l'âme qui n'est point susceptible d'accroissement, et ne
parle que du corps ; et il nous donne à entendre que ce n'est point aux
aliments seuls qu'il doit son accroissement, mais à la providence divine,
par cette raison, que personne ne peut à l'aide de la nourriture ajouter
quelque chose à sa taille : " Donc, conclut-il, si vous ne pouvez
pas même les moindres choses, pourquoi vous inquiéter des autres
? " - EUSEBE. (Ch. des Pèr. gr.) Comme s'il disait : Si aucun homme
n'a pu par tous ses soins se donner sa teille, s'il ne peut, avec toute son
industrie, ajouter un seul instant à la durée que Dieu a fixée
à son existence, pourquoi s'inquiéter outre mesure des choses
nécessaires à l'entretien de sa vie ? - BEDE. Laissez donc le
soin de gouverner votre corps à celui qui a pris soin de le créer,
et de lui donner la taille qui lui convenait.
S. AUG. (quest. Evang., 2, 28.) Notre-Seigneur dit de l'accroissement du corps
que c'est une chose moindre, parce qu'en effet, c'est pour Dieu une de ses moindres
oeuvres que de créer des corps.
vv. 27-31.
S. CHRYS. (hom. 23, sur S. Matth.) Notre-Seigneur donne ici pour le vêtement,
la même leçon qu'il vient de donner pour la nourriture : "
Considérez les lis, comment ils croissent ; ils ne travaillent ni ne
filent, " pour se faire des vêtements. En nous proposant dans ce
qui précède l'exemple des oiseaux qui ne sèment, ni ne
moissonnent, le Sauveur n'a point condamné l'ensemencement des champs,
mais les soins superflus ; de même ici en nous proposant celui des lis
qui ne travaillent point, et ne filent point, il ne condamne pas le travail,
mais les vaines sollicitudes.
EUSEBE. Que celui qui désire se parer de vêtements précieux
considère que Dieu étendant sa providence jusqu'aux fleurs qui
naissent sur la terre, les a ornées de couleurs variées en donnant
à leurs membranes délicates, des teintes plus vives que celles
de la pourpre et de l'or, à ce point que les plus grands rois, et Salomon
lui-même qui fut si célèbre parmi les anciens par ses richesses,
sa sagesse et sa magnificence, n'eurent jamais une si riche parure, au témoignage
de Notre-Seigneur : " Je vous déclare que Salomon même, dans
toute sa gloire, n'était pas vêtu comme l'un deux. "
S. CHRYS. (comme précéd.) Pourquoi Notre-Seigneur n'apporte pas
ici l'exemple des oiseaux, tels que le cygne et le paon, mais celui des lis
? C'est pour faire ressortir davantage ces deux extrêmes, la fragilité
des choses qui brillent d'un si vif éclat, et la richesse de la parure
qu'il a donnée aux lis. Aussi dans la suite de son discours, il ne les
appelle plus les lis ; mais l'herbe des champs : " Or, si l'herbe qui est
aujourd'hui dans les champs. " Il ne dit pas non plus : Et qui ne sera
plus demain, mais : " Qui demain sera jetée au feu. " Remarquez
encore qu'au lieu de dire simplement : Si Dieu la revêt, il emploie cette
locution plus expressive : " Si Dieu la revêt ainsi, " et qu'il
ajoute : " Combien plus le fera-t-il pour vous, " paroles qui expriment
à la fois l'excellence du genre humain, et la providence dont il est
l'objet. Enfin, au lieu des reproches que méritaient ses disciples, il
leur parle avec douceur, et les accuse, non pas de leur manque absolu de foi,
mais de leur peu de foi : " Combien plus le ferait-il pour vous hommes
de peu de foi ? " Langage persuasif qui a pour objet de nous ôter
la préoccupation des vêtements et de l'éclat des vaines
parures. - S. CYR. (Ch. des Pèr. gr.) Il suffit aux sages en effet d'avoir,
pour satisfaire à la nécessité, des vêtements convenables
et simples, et la nourriture dont ils ont besoin. Et quant aux saints ils se
contentent de ces délices spirituelles que donne l'union avec Jésus-Christ,
et de la gloire qui doit les suivre. - S. AMBR. Notre-Seigneur met une simple
fleur en comparaison avec l'homme, il lui donne même la préférence
sur l'homme dans la personne de Salomon, pour nous faire voir dans l'éclat
de ses vives couleurs une image de la grâce des anges du ciel, qui sont
véritablement les fleurs de ce monde, parce qu'ils en sont l'ornement
par l'éclat de leur perfection, qu'ils répandent partout le parfum
de leur sainteté, et que sans être préoccupés d'aucun
souci, ni fatigués d'aucun travail, ils conservent en eux les dons de
la libéralité divine et de leur nature toute céleste. Aussi
est-ce avec raison qu'il est dit ici que Salomon était revêtu,
et dans saint Matthieu (Mt 6, 9), qu'il était couvert de sa gloire, parce
qu'en effet il revêtait de la gloire de ses oeuvres la faiblesse de sa
nature corporelle, qui était comme couverte et enveloppée par
les vertus de son âme. Quant aux anges dont la nature plus parfaite est
exempte des infirmités du corps, ils sont justement mis au-dessus du
plus grand des hommes. Cependant nous ne devons pas pour cela désespérer
de la miséricorde de Dieu, nous à qui Dieu promet par la grâce
de la résurrection, des qualités aussi éclatantes que celles
des anges.
S. CYR. Il eût été contraire à la raison que les
Apôtres, qui devaient donner aux autres la règle et l'exemple d'une
vie parfaite, se rendissent coupables des défauts dont ils devaient préserver
les autres. Aussi écoutez la recommandation du Sauveur : " Ne vous
mettez donc pas en peine de ce que vous mangerez, ou de ce que vous boirez.
" En détachant ainsi ses disciples des préoccupations de
la terre, il les applique tout entiers aux intérêts de la prédication.
Remarquez cependant qu'il ne dit pas : Ne vous occupez pas, ne vous inquiétez
point de la nourriture, ou de la boisson, ou du vêtement ; mais : "
Ne vous mettez pas en peine de ce que vous mangerez, ou de ce que vous boirez.
" Paroles qui condamnent ceux qui, dédaignant la manière
de vivre, ou de se vêtir du commun des hommes, recherchent un genre de
nourriture, ou de vêtement plus somptueux, ou plus austère que
ne l'adoptent ceux au milieu desquels ils vivent.
S. GREG. DE NYSS. (1 Disc. sur l'orais. dom.) Il en est qui ont demandé
et obtenu en priant la puissance, les honneurs, les richesses, pourquoi donc
nous défend-on d'en faire l'objet de nos prières ? Que tous ces
biens dépendent de la volonté divine, il n'est personne qui n'en
soit convaincu ; cependant Dieu les accorde à ceux qui les demandent,
afin que nous nous élevions au désir de biens plus parfaits, en
voyant que Dieu nous accorde des grâces bien moins importantes ; c'est
ainsi que nous voyons les enfants, aussitôt qu'ils sont nés, s'attacher
de toutes leurs forces au sein maternel, mais lorsque l'enfant grandit, il laisse
le sein de sa mère, et demande des parures ou quelqu'autre chose qui
charme ses yeux ; lorsqu'enfin son esprit s'est développé avec
le corps, il rompt avec tous les désirs de l'enfance, et demande à
ses parents ce qui est en rapport avec son âge plus parfait.
S. AUG. (quest. évang., 2, 29.) Après avoir défendu toute
sollicitude de la nourriture et du vêtement, Notre-Seigneur nous recommande
conséquemment d'éviter l'orgueil : " Ne vous élevez
pas si haut. " Car l'homme recherche d'abord ces choses pour satisfaire
à ses besoins, mais lorsqu'il les a en abondance, il en conçoit
de l'orgueil, semblable à un homme qui, s'étant blessé,
se vanterait d'avoir quantité de remèdes dans sa maison, alors
qu'il lui serait mille fois plus avantageux d'être sans blessure, et de
n'avoir point besoin de remèdes. - THEOPHYL. Ou bien cette élévation
de l'esprit que le Sauveur défend, c'est un mouvement inconstant de l'âme
qui embrasse une foule de pensées, et passe de l'une à l'autre
pour nourrir son orgueil. - S. Bas. (Ch. des Pèr. gr.) Voulez-vous bien
comprendre en quoi consiste cette élévation, rappelez-vous la
vanité de vos jeunes années, alors qu'étant seul, vous
pensiez à la vie et à ses honneurs, promenant vos désirs
de dignité en dignité, amassant des richesses, bâtissant
des palais, comblant de bienfaits vos amis, et vous vengeant de vos ennemis.
Or, de telles pensées sont coupables, parce qu'en mettant son plaisir
dans les choses superflues, l'âme s'éloigne de la vérité
; aussi Notre-Seigneur ajoute : " Car ce sont ces choses que les nations
du monde recherchent. " - S. GREG. DE NYSS. Car c'est le propre de ceux
qui n'ont ni l'espérance de la vie future, ni la crainte du jugement,
de s'inquiéter de tous ces biens extérieurs. - S. BAS. Quant aux
choses nécessaires : " Votre Père sait que vous en avez besoin.
" - S. CHRYS. (hom. 23, sur S. Matth.) Il ne dit pas : Votre Dieu, mais
: " Votre Père, " pour leur inspirer une plus grande confiance,
car quel est le Père qui laisserait manquer ses enfants du nécessaire
? Et vous ne pouvez pas objecter qu'il est Père, il est vrai, mais qu'il
ne connaît pas vos besoins ; car celui qui a créé notre
nature, sait bien ce qui lui est nécessaire.
S. AMBR. Notre-Seigneur montre ensuite que la providence et la grâce de
Dieu ne feront jamais défaut aux fidèles, ni pour le temps présent,
ni pour l'avenir, à la condition toutefois qu'en désirant les
biens du ciel, ils ne chercheront pas avec inquiétude les biens de la
terre, car il serait honteux à des hommes qui combattent pour un royaume
de s'inquiéter de la nourriture. Est-ce que le roi ne sait pas comment
il doit entretenir, nourrir et vêtir sa maison ? " Cherchez donc
premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses vous
seront données par surcroît. " - S. CHRYS. (Ch. des Pèr.
gr.) Ce n'est pas seulement son royaume, mais des richesses que Jésus-Christ
nous promet ; car si nous-mêmes nous nous faisons un devoir de délivrer
de tout souci, ceux qui sacrifient leurs intérêts pour s'occuper
des nôtres, à plus forte raison Dieu agira-t-il de la sorte. -
BEDE. Il distingue dans les dons de Dieu, ce qui est essentiel de ce qui n'est
que de Surcroît, parce qu'en effet nous devons nous proposer les biens
éternels comme la fin de notre vie, et faire simplement usage des biens
du temps présent.
vv. 32-34.
La GLOSE. Après avoir banni du coeur de ses disciples la sollicitude
des choses de la terre, Notre-Seigneur en exclut la crainte, qui est le principe
des vaines inquiétudes : " Ne craignez point, petit troupeau, "
etc. - THEOPHYL. Notre-Seigneur appelle petit troupeau ceux qui veulent devenir
ses disciples, ou bien à cause de la pauvreté volontaire qu'ils
ont embrassée, ou parce qu'ils sont au-dessous de la multitude des anges,
dont la nature est incomparablement supérieure à la nôtre.
- BEDE. Notre-Seigneur appelle encore petit le troupeau des élus, soit
par comparaison avec le grand nombre des réprouvés, soit plutôt
à cause de l'amour des élus pour l'humilité.
S. CYR. Il leur donne ensuite la raison qui doit bannir de leur coeur tonte
crainte : " Parce qu'il a plu à votre Père de vous donner
son royaume. " Comme s'il leur disait : Comment celui qui vous destine
un si précieux héritage pourrait-il refuser de vous traiter avec
bonté ? Car bien que ce troupeau soit petit (par la nature, le nombre,
et l'éclat), cependant c'est à ce petit troupeau que la bonté
du Père a donné l'héritage des esprits célestes,
c'est-à-dire, le royaume des cieux. Si vous voulez donc posséder
le royaume des cieux, méprisez les richesses de la terre : " Vendez
ce que vous avez, " etc. - BEDE. Notre-Seigneur veut leur dire : Ne craignez
pas qu'en combattant pour le royaume de Dieu, vous manquiez jamais du nécessaire
; loin de là, vendez même ce que vous avez, conseil qui est noblement
pratiqué par celui qui, non content d'avoir fait pour Dieu le sacrifice
de tous ses biens, travaille ensuite de ses mains pour suffire à ses
besoins et pouvoir encore donner l'aumône. - S. CHRYS. (hom. 25, sur les
Actes.) Il n'est point de péché que l'aumône ne puisse effacer,
c'est un remède efficace pour toutes les blessures. Or, on ne fait pas
seulement l'aumône en donnant de l'argent, mais en faisant des oeuvres
de charité, en défendant le faible, en guérissant les malades,
en donnant un sage conseil.
S. GRÉG.
DE NAZIANZE. (Disc. sur l'am. des pauv.) Je crains que vous ne regardiez la
pratique de la miséricorde non comme obligatoire, mais comme facultative
; c'était d'abord aussi mon avis, mais je suis épouvanté
par la vue des boucs placés à la gauche du Sauveur, non pour avoir
ravi le bien d'autrui, mais pour avoir négligé d'assister Jésus-Christ
dans la personne des pauvres. - S. CHRYS. (hom. sur S. Matth.) Sans l'aumône
en effet, il est impossible de posséder le royaume ; une source qui retient
ses eaux, se corrompt, il en est de même de ceux qui conservent leurs
richesses pour eux-mêmes.
S. BAS. (Régl. abrég., 92.) On me demandera peut-être pour
quel motif il faut vendre ce que l'on possède ? Est-ce parce que les
biens de la terre sont naturellement mauvais, ou à cause des tentations
dont ils peuvent-être la source ? Je réponds premièrement,
que si une seule des choses qui existent dans le monde, était essentiellement
mauvaise, elle cesserait par là même d'être créature
de Dieu, car toute chose créée de Dieu est bonne (2 Tm 4) ; secondement
que le sauveur en nous disant : " Faites l'aumône, " ne nous
commande pas de nous dépouiller de nos richesses comme si elles étaient
mauvaises, mais de les distribuer aux pauvres.
S. CYR. Peut-être ce commandement paraîtra-t-il dur aux riches ;
cependant quels avantages il offre à des esprits raisonnables, puisqu'ils
peuvent ainsi gagner le royaume des cieux : " Faites-vous des bourses que
le temps n'use point ? " etc. - BEDE. En faisant des aumônes dont
la récompense durera éternellement, il ne faut pas croire cependant
qu'il soit défendu ici aux chrétiens de rien avoir en réserve,
soit pour leur usage, soit pour celui des pauvres, puisque le Seigneur lui-même,
qui était servi par les anges (Mt 4), avait cependant une bourse (Jn
12), pour conserver les offrandes des âmes fidèles. Notre-Seigneur
veut simplement dire qu'on ne doit ni servir Dieu en vue de ces biens, ni abandonner
la pratique de la justice dans la crainte de les perdre. - S. GREG. DE NYSS.
(ch. des Pèr. gr.) Il leur recommande de placer leurs biens et leurs
richesses terrestres dans le ciel où la corruption ne pourra les atteindre
: " Faites-vous un trésor qui subsiste dans les cieux. " -
THEOPHYL. C'est-à-dire : Ici bas les vers peuvent ronger ces biens, mais
ils ne les rongent pas dans le ciel, et comme il y a des biens qui sont à
l'épreuve des vers, il ajoute : " Et où les voleurs n'ont
point d'accès, " car l'or ne peut-être rongé par les
voleurs, mais il peut être enlevé par les voleurs.
BEDE. Il faut donc entendre simplement ce passage, dans ce sens que l'argent
mis en réserve se perd, tandis que s'il est donné au prochain,
il produit des fruits éternels pour le ciel ; ou encore, que le trésor
des bonnes oeuvres, s'il est amassé en vue d'un avantage terrestre, se
corrompt facilement et se perd, tandis que s'il est acquis en vue du ciel, il
ne peut être atteint ni extérieurement par la vaine estime des
hommes (semblable au voleur qui ravit au dehors), ni intérieurement par
la vaine gloire (qui, comme le ver, ronge et déchire au dedans.) - LA
GLOSE. Ou bien les voleurs sont les hérétiques et les démons,
qui ne cherchent qu'à nous dépouiller des biens spirituels : le
ver qui ronge secrètement les vêtements, c'est l'envie qui ronge
et déchire le zèle où le fruit des bonnes oeuvres et réduit
le lien de l'unité (Ep 4, 46.)
THEOPHYL. Mais comme il est des biens qui ne peuvent être enlevés
par les voleurs, Notre-Seigneur donne une raison plus décisive et qui
ne souffre aucune réplique : " Là où est votre trésor,
là est votre coeur ; " comme s'il leur disait : Soit, que vos biens
ne soient ni rongés par les vers, ni enlevés par les voleurs,
mais quel supplice ne mérite pas celui qui attache son coeur à
un trésor qu'il a enfoui, et qui ensevelit ainsi dans la terre son âme,
oeuvre de Dieu par excellence ? - EUSEBE. (Ch. des Pèr. gr.) En effet,
tout homme devient naturellement l'esclave de ce qui fait l'objet de ses affections
; il applique toute son âme aux choses dont il espère retirer de
plus grands avantages. Si donc il met dans les biens de la vie présente
toute son âme, et toutes ses intentions, il est tout entier plongé
dans les choses de la terre. Si, au contraire, il dirige toutes les facultés
de son âme vers les choses du ciel, il y aura aussi son coeur, il paraîtra
vivre avec les hommes par le corps seul, tandis que par son âme, il sera
déjà en possession des demeures célestes. - BEDE. Cette
vérité ne s'applique pas seulement aux richesses, mais à
toutes les passions ; les festins sont les trésors de l'homme sensuel
; les vains amusements, les trésors de l'homme dissolu ; la volupté,
le trésor de l'impudique.
vv. 35-40.
THEOPHYL. Après avoir établi ses disciples dans une sage modération,
en les délivrant de tous les soins et de toutes les sollicitudes de la
vie, le Seigneur les prépare aux oeuvres du ministère en leur
disant : " Ceignez vos reins, " c'est-à-dire, soyez toujours
prêts à accomplir les oeuvres de votre Maître, " et
ayez dans vos mains des lampes allumées, " c'est-à-dire ne
passez pas votre vie dans les ténèbres, mais ayez toujours la
lumière de la raison pour vous montrer ce qu'il faut faire et ce qu'il
faut éviter. Le monde, en effet, est une nuit profonde ; avoir aux reins
la ceinture, c'est être prêts pour la vie active et pratique. Telle
est en effet la tenue des serviteurs, ils doivent avoir aussi des lampes allumées,
c'est-à-dire le don de la discrétion, pour pouvoir distinguer
dans la pratique, non seulement ce qu'il faut faire, mais comment il faut le
faire ; autrement on s'expose à tomber dans le précipice de l'orgueil.
Remarquez encore que Notre-Seigneur commande premièrement de ceindre
les reins ; en second lieu, d'avoir des lampes allumées, parce que la
contemplation qui est la lumière de l'âme, ne vient qu'après
l'action. Appliquons-nous donc à pratiquer la vertu, de manière
à ce que nous ayons toujours deux lampes allumées ; l'intelligence
qui éclaire toujours notre âme, et la doctrine qui répand
la lumière dans l'âme des autres. - S. MAX. (Ch. des Pèr.
gr.) Ou bien encore, il nous enseigne à porter toujours des lampes allumées,
par notre application à la prière, à la contemplation,
et par la charité. - S. CYR. (du liv. de l'ador. en esprit.) Ou bien,
l'action de ceindre ses reins est un symbole de l'empressement et de la résolution
avec lesquelles nous devons supporter les maux de la vie par un motif d'amour
de Dieu ; les lampes figurent la vive lumière que nous devons projeter,
de manière à ne laisser personne vivre dans les ténèbres
de l'ignorance. - S. GREG. (hom. 43 sur les Evang.) Ou bien dans un autre sens,
nous ceignons nos reins, lorsque nous comprimons par la continence les passions
de la chair, car la source de la luxure pour les hommes est dans les reins,
et pour les femmes dans l'ombilic (cf. Jb 40, 11) ; c'est donc à cause
du sexe le plus noble, que la luxure se trouve figurée par les reins.
Mais comme il ne suffit pas de ne pas faire le mal, et qu'il faut encore s'appliquer
de toutes ses forces à la pratique des bonnes oeuvres, le Sauveur ajoute
: " Ayez dans vos mains des lampes allumées, " car nous tenons
dans nos mains des lampes allumées, lorsque par nos bonnes oeuvres nous
donnons au prochain des exemples éclatants de lumière. - S. AUG.
(Quest. évang., 2, 25.) Ou bien encore, il nous commande de ceindre nos
reins, en ne nous laissant point aller à l'amour des choses du monde
; et d'avoir des lampes allumées, c'est-à-dire d'agir en cela
pour une fin louable, et avec une intention droite.
S. GREG. (hom. 43 sur les Evang.) Si quelqu'un accomplit fidèlement ces
deux commandements, il ne lui reste plus qu'à placer toute son espérance
dans la venue du Rédempteur : " Soyez semblables, leur dit-il, à
des hommes qui attendent que leur maître revienne des noces, " etc.
Notre-Seigneur est parti pour des noces, parce qu'en montant aux cieux, son
humanité renouvelée s'est uni la multitude des esprits célestes.
- THEOPHYL. Tous les jours encore, il épouse les âmes des saints,
que lui présente comme des vierges chastes saint Paul (2 Co 11, 2), ou
tout autre de ses ministres. Il revient des noces qu'il a célébrées
dans le ciel, soit quand à la fin du monde, il reviendra pour tous les
hommes dans la gloire de son Père ; soit lorsqu'à chaque heure
du temps présent, il revient inopinément pour la mort de chacun
de nous. - S. CYR. (Ch. des Pèr. gr.) Remarquez encore qu'il revient
des noces comme d'une fête qui est l'état permanent de la divinité
; car rien ne peut attrister cette nature incorruptible. - S. GREG. DE NYSSE.
(hom. 11 sur le Cant.) Ou bien encore, après qu'il eut terminé
ses noces, épousé l'Église, et qu'il l'eut admise dans
son lit mystérieux, les anges attendaient le retour de leur roi dans
le séjour de sa béatitude naturelle. Or, nous devons rendre notre
vie semblable à celle des anges ; et comme en vivant dans l'innocence
ils sont toujours prêts à recevoir leur Maître à son
retour, ainsi nous devons veiller nous-mêmes à l'entrée
de sa maison, et nous préparer à lui obéir promptement
lorsqu'il viendra frapper à la porte : " Afin, dit-il, que dès
qu'il arrivera et frappera à la porte, ils lui ouvrent aussitôt.
"
S. GREG.
(hom. 13 sur les Evang.) Notre-Seigneur est de retour, lorsqu'il vient pour
nous juger ; il frappe lorsque la gravité de la maladie nous avertit
que la mort est proche ; nous lui ouvrons aussitôt, si nous le recevons
avec amour ; car l'âme qui craint de sortir du corps, ne veut pas ouvrir
au juge qui frappe à la porte, et elle redoute de paraître devant
ce juge qu'elle se souvient d'avoir méprisé pendant sa vie ; mais
celui à qui son espérance et ses oeuvres inspirent une humble
confiance, ouvre à son juge aussitôt qu'il frappe, parce qu'en
voyant le temps de sa mort approcher, il se réjouit de voir aussi approcher
la gloire de la récompense. Aussi le Sauveur ajoute-t-il : " Heureux
ces serviteurs, que le maître, à son retour, trouvera veillants.
" Celui-là veille qui tient les yeux de son âme ouverts pour
contempler la lumière véritable, qui conforme sa conduite à
sa croyance, et repousse loin de lui les ténèbres de la tiédeur
et de la négligence. - S. GREG. DE NYSSE. C'est pour nous faciliter la
pratique de cette vigilance, que Notre-Seigneur nous avertit précédemment
de ceindre nos reins, et d'avoir des lampes allumées ; car la lumière
qui brille devant nos yeux en éloigne le sommeil, et la ceinture que
nous mettons autour de nos reins, empêche le corps de dormir. Ainsi celui
qui a la chasteté pour ceinture, et une conscience pure pour flambeau,
ne se laisse jamais aller au sommeil.
S. CYR. Si donc le Seigneur trouve à son retour ses serviteurs éveillés,
la ceinture aux reins, et la lumière dans le coeur, il les proclamera
bienheureux : " Je vous le dis en vérité, il se ceindra lui-même,
" c'est-à-dire qu'il agira envers nous, comme nous aurons agi à
son égard, en se ceignant les reins pour ceux qui se seront ainsi disposés
à le recevoir. - ORIG. (Ch. des Pèr. gr.) En effet, il aura pour
ceinture autour de ses reins la justice, selon la prophétie d'Isaïe
(Is 11.) - S. GREG. Il prend pour ceinture la justice, c'est-à-dire qu'il
se prépare à rendre à chacun ce qui lui est dû. -
THEOPHYL. Ou bien il se ceindra, dans ce sens qu'il ne versera pas toute l'abondance
de ses biens, mais qu'il la retiendra dans une certaine mesure ; car qui pourrait
contenir Dieu dans toute sa grandeur ? Aussi voyons-nous les séraphins
se voiler la face devant l'éclat des splendeurs divines. (Is 6.) "
Et il les fera mettre à table, " etc. De même qu'en s'asseyant,
on fait reposer tout le corps ; ainsi lors du second avènement les saints
jouiront d'un repos complet. Ici-bas, en effet, leur corps n'a pas eu de repos,
mais alors leurs corps devenus spirituels et revêtus d'incorruptibilité,
jouiront avec leurs âmes d'un repos parfait. S. CYR. Il les fera mettre
à table, pour réparer leurs forces épuisées, pour
servir dés délices spirituelles, et dresser devant eux la table
somptueuse et richement servie de ses grâces et de ses dons. - S. DENIS
(sur l'Epît. à Tit.) Cette action de se mettre à table,
figure le repos après tous les travaux, une existence sans douleur, une
vie divine dans la lumière et la région des vivants, avec toutes
les saintes affections, et l'abondance de tous les dons, source d'une joie parfaite.
Voilà ce que fera Jésus en les faisant asseoir à table,
il les mettra en possession d'un repos éternel, et leur distribuera la
multitude de ses dons : " Et passant de l'un à l'autre, il les servira.
" THEOPHYL. Il leur rendra pour ainsi dire la pareille ; ils l'ont servi
sur la terre, il les servira lui-même dans le ciel. - S. GREG. (hom. 13.)
Il passe lorsqu'après le jugement, il retourne dans son royaume ; ou
bien le Seigneur passe pour nous après le jugement, lorsqu'il nous élève
de la vue de son. humanité jusqu'à la contemplation de sa divinité.
S. CYR. Notre-Seigneur connaît le penchant de la fragilité humaine
pour le péché ; mais comme il est bon, loin de nous laisser tomber
dans le désespoir., il a pitié de notre faiblesse, et il nous
donne la pénitence comme remède salutaire, c'est pour cela qu'il
ajoute : " Et s'il vient à la seconde veille, et s'il vient à
la troisième, " etc. Ceux qui font sentinelle la nuit sur les murailles
des villes, pour observer les attaques des ennemis, partagent la nuit en trois
ou quatre veilles. - S. GREG. (hom. 13.) La première veille est donc
le premier âge de notre vie, c'est-à-dire l'enfance ; la seconde
veille, c'est l'adolescence ou la jeunesse ; la troisième est la vieillesse.
Que celui donc qui n'a pas été vigilant pendant la première
veille, soit attentif à veiller pendant la seconde, et que celui qui
a laissé passer la seconde veille, ne perde pas les ressources que lui
offre la troisième ; et s'il a négligé de se convertir
à Dieu dans son enfance, qu'il revienne à lui au moins dans sa
jeunesse ou dans ses dernières années. - S. CYR. Le Sauveur ne
parle cependant pas de la première veille, parce que l'enfance est plutôt
digne de pardon que de châtiment, mais pour le second et le troisième
âge de la vie, ils doivent obéir à Dieu, et par la pratique
des vertus, conformer leur vie à sa divine volonté. - SEVERE D'ANT.
On peut dire encore qu'à la première veille appartiennent ceux
dont la vie est plus parfaite et qui occupent le premier rang, à la seconde,
ceux dont la vertu est ordinaire ; à la troisième, ceux qui leur
sont inférieurs, et ainsi de la quatrième et de la cinquième
(si toutefois elle existe) ; car il y a divers degrés dans la vertu,
et le juste rémunérateur rend à chacun suivant son mérite.
- THEOPHYL. Ou bien encore, comme les veilles sont les heures de la nuit qui
portent les hommes au sommeil, on peut dire qu'il y a dans notre vie certaines
circonstances qui nous rendent heureux, si nous sommes vigilants et attentifs
à en profiter. Ainsi on vous a dérobé vos biens, la mort
vous a enlevé vos enfants, vous êtes injustement accusé
; si au milieu de ces épreuves vous ne faites rien qui soit contraire
aux commandements de Dieu, il vous trouve attentifs à veiller dans la
seconde et la troisième veille, c'est-à-dire dans ce temps plein
de dangers où les âmes négligentes se laissent aller à
un sommeil pernicieux,
S. GREG. (hom. 13 sur les Evang.) Or, pour secouer la tiédeur de notre
âme, le Sauveur nous en fait voir les funestes effets par une comparaison
prise des pertes extérieures que nous pouvons faire " Sachez que
si le père de famille savait à quelle heure le voleur doit venir,
il veillerait, " etc. - THEOPHYL. Il en est qui veulent que le voleur dont
il est ici question, soit le démon ; la maison, notre âme, et le
père de famille, l'homme ; mais cette explication ne paraît pas
s'accorder avec la suite ; car l'avènement du Seigneur est comparé
dans les Écritures à un voleur qui vient à l'improviste,
comme dans ces paroles de l'Apôtre : " Le jour du Seigneur viendra
comme un voleur pendant la nuit. " Aussi Notre-Seigneur ajoute : "
Et vous aussi soyez donc prêts, parce qu'à l'heure que vous ne
pensez pas, le Fils de l'homme viendra. " - S. GREG. (comme précéd.)
Ou encore, le voleur force la maison à l'insu du père de famille,
parce qu'en effet, tandis que l'âme endormie néglige de veiller
sur elle-même, la mort vient à l'improviste forcer la maison de
notre corps. Elle aurait pu résister à l'attaque du voleur, si
elle eût été vigilante ; car en se mettant en garde contre
l'arrivée du juge qui vient prendre en secret les âmes, elle eût
été au devant de lui par le repentir, et ne serait point morte
dans l'impénitence. Or, le Seigneur a voulu que notre dernière
heure nous fût inconnue, afin que cette incertitude même fût
pour nous un motif de nous y préparer sans cesse.
vv. 41-46.
THEOPHYL. Pierre à qui le Sauveur avait déjà confié
le soin de l'Église (cf. Mt 16), agit comme s'il en avait déjà
la responsabilité, et demande à son divin Maître si cette
parabole s'adressait à tous : " Alors Pierre lui dit : Seigneur
est-ce pour nous que vous dites cette parabole, ou pour tout le monde ? "
- BEDE. Dans ce qui précède, Notre-Seigneur avait donné
deux avertissements distincts, qu'il viendrait à l'improviste et qu'ils
devaient être toujours prêts à le recevoir. Or, il est difficile
de dire, si Pierre a en vue ces deux vérités ou l'une des deux
seulement, quand il fait cette question, et quels sont ceux qu'il met en opposition
avec lui et avec ses compagnons quand il dit : " Est-ce pour nous que vous
dites cette parabole, ou pour tout le monde ? " Les expressions nous et
tous ne peuvent guère désigner que les Apôtres et les continuateurs
de leur ministère, et le reste des fidèles, ou les chrétiens
et les infidèles, ou ceux qui meurent successivement et un à un,
et qui acceptent volontiers ou à contre coeur l'avènement de leur
juge, et ceux qui seront encore vivants, lors du jugement universel. Or, il
serait étrange que Pierre ait pu douter que nous devions tous vivre avec
tempérance, piété et justice (Tt 2, 12), en attendant la
félicité que nous espérons, ou que l'heure du jugement
viendrait pour tous à l'improviste. Donc puisque ces deux choses lui
étaient parfaitement connues, il faut nécessairement admettre
que sa question a pour objet les choses qu'il ne savait pas, c'est-à-dire,
si les préceptes sublimes d'une vie plus parfaite, comme de vendre ce
qu'on possède, se faire des bourses qui ne s'usent pas, avoir les reins
ceints et porter des lampes allumées, s'adressent aux Apôtres et
à ceux qui remplissent le même ministère, ou à tous
les chrétiens en général.
S. CYR. Les âmes fortes sont faites pour ce qu'il y a de plus difficile
et de plus élevé dans les commandements de Dieu, mais pour ceux
qui n'ont point encore atteint ce haut degré de vertu, ils ne peuvent
accomplir que des préceptes plus faciles. Aussi le Seigneur se sert d'une
comparaison des plus claires, pour bien établir que les commandements
qui précèdent s'adressent à ceux qu'il a élevés
à la dignité de ses disciples : " Le Seigneur lui répondit
Quel est à votre avis le dispensateur fidèle et prudent ? "
etc. - S. AMBR. Ou bien dans un autre sens, les préceptes qu'il vient
de donner, s'adressent à tous, mais celui qu'il donne par la comparaison
suivante s'adresse spécialement aux dispensateurs, c'est-à-dire
aux prêtres : " Et le Seigneur lui répondit : Quel est à
votre avis le dispensateur fidèle et prudent que le maître a établi
sur tous ses serviteurs, pour leur distribuer, dans le temps, leur mesure de
froment ? " - THEOPHYL. La parabole précédente s'adressait
à tous les fidèles, mais écoutez ce qui vous regarde particulièrement,
vous qui êtes apôtres ou docteurs. Je demande donc où l'on
pourra trouver un dispensateur qui réunisse tout à la fois la
fidélité et la prudence. Dans l'administration des biens de la
terre, l'imprudence même avec la fidélité, ou la prudence
avec l'infidélité, amènent également la ruine de
la fortune du maître ; il en est de même dans les choses divines
qui demandent tout à la fois de la fidélité et de la prudence.
J'ai connu un grand nombre de bons et fidèles serviteurs de Dieu, mais
qui, incapables de traiter avec prudence les affaires ecclésiastiques,
non seulement perdaient les biens de l'Église, mais encore les âmes
elles-mêmes, en exerçant à l'égard des pécheurs
un zèle indiscret, soit en leur imposant des pénitences exagérées,
soit en ayant pour eux une douceur inopportune.
S. CHRYS. (hom. 78, sur S. Matth.) Le Sauveur fait cette question, non pas qu'il
ignore quel est le dispensateur fidèle et prudent, mais il veut nous
faire entendre la rareté de la chose, et l'importance de cet emploi.
- THEOPHYL. Tout dispensateur fidèle et prudent doit donc se mettre à
la tête des serviteurs de son maître, pour leur donner dans le temps
convenable la mesure de froment, c'est-à-dire l'enseignement de la doctrine
qui est la nourriture des âmes, ou l'exemple des bonnes oeuvres pour être
la règle de la vie. - S. AUG. (Quest. évang., 2, 26.) Il dit :
" La mesure de froment, " parce que la capacité varie suivant
les auditeurs. - S. ISIDOR. (liv. 3, lett. 70 ; liv. 4, lett. 145.) Il ajoute
: " Dans le temps, " parce qu'un bienfait qui ne vient pas en son
temps, est rendu inutile, et perd le nom de bienfait ; de même que le
pain est désirable pour celui qui a faim, tandis qu'il l'est très-peu
pour celui qui est rassasié.
Quant à la récompense de ce dispensateur fidèle et prudent, la voici : " Heureux ce serviteur que le maître, lorsqu'il viendra, trouvera agissant ainsi. " - S. BAS. (Ch. des Pèr. gr.) Il ne dit pas qu'il trouvera agissant par hasard, mais " agissant ainsi ; " car il ne suffit pas de vaincre, il faut encore combattre suivant les règles : c'est-à-dire faire chacune de ses actions, comme Dieu nous l'ordonne. - S. CYR. Si donc le serviteur fidèle et prudent distribue en son temps avec prudence aux serviteurs leur nourriture, c'est-à-dire les aliments spirituels, il sera heureux suivant la promesse du Sauveur, c'est-à-dire qu'il obtiendra un emploi supérieur, et recevra la récompense réservée aux amis. " Je vous le dis en vérité ; qu'il l'établira sur tous les biens qu'il possède. " - BEDE. Il y a une grande différence de mérites entre les bons auditeurs et les bons docteurs, cette différence existera également dans les récompenses. Pour les premiers, s'il les trouve attentifs à veiller, il les fera mettre à table, mais pour les dispensateurs fidèles et prudents, il les établira sur tout ce qu'il possède, c'est-à-dire sur toutes les joies du royaume des cieux, non pas pour qu'ils en aient la possession exclusive, mais pour qu'ils en jouissent plus pleinement pendant l'éternité que les autres saints. - THEOPHYL. Ou bien, " il l'établira sur tous ses biens, " non seulement sur sa maison, mais il soumettra à son commandement les créatures du ciel et de la terre. Tel fut Josué fils de Nave (Si 46, 1 ; Jos 10, 12 ; 3 R 17, 2 ; 18, 24 ; Jc 5, 17.18), tel fut encore Élie, l'un commandant au soleil, l'autre aux nuées du ciel ; de même tous les saints usent des créatures comme des amis de Dieu. Tel est encore tout homme dont la vie est vertueuse, et qui gouverne sagement ses serviteurs, c'est-à-dire la colère et la concupiscence, et qui donne à chacun dans son temps la mesure de froment, à la colère, en tournant ses efforts contre les ennemis de Dieu ; à la concupiscence, en réglant sur la nécessité l'usage des choses extérieures, et en le rapportant à Dieu. Celui qui agira de la sorte, sera établi sur tous les biens que possède le Seigneur, et méritera de contempler toute vérité par l'oeil éclairé de son intelligence.
S. CHRYS. (hom. 78 sur S. Matth.) Ce n'est pas seulement par la promesse de la récompense réservée aux bons, mais par la menace du châtiment qui attend les mauvais, que Notre-Seigneur excite à la vigilance ceux qui l'écoutent : " Que si ce serviteur dit en lui-même : Mon maître n'est pas près de venir, " etc. - BEDE. Remarquez qu'au nombre des vices de ce mauvais serviteur, le Sauveur met la pensée où il était que son maître tarderait à venir, tandis qu'il ne met point au nombre des vertus du bon serviteur qu'il espérait le prompt retour de son maître, mais simplement qu'il a rempli fidèlement son devoir. Le mieux pour nous est donc de supporter patiemment l'ignorance où nous sommes de ce que nous ne pouvons savoir, et de nous appliquer seulement à être trouvés dignes de la récompense qui nous est préparée.
THEOPHYL. On se laisse aller à une multitude de fautes, parce qu'on ne pense pas à sa dernière heure ; car si nous avions toujours présent à l'esprit que le Seigneur doit venir, et que le terme de notre vie approche, nous commettrions moins facilement le péché. Voyez, en effet, la suite : " Et qu'il se mette à battre les serviteurs et les servantes, à manger, à boire et à s'enivrer. " - BEDE. Dans la condamnation de ce mauvais serviteur, il faut voir celle de tous les mauvais supérieurs qui, sans crainte aucune de Dieu, non seulement mènent une vie criminelle, mais accablent de mauvais traitements ceux qui leur sont soumis. Dans le sens figuré, " frapper les serviteurs et les servantes, " peut signifier corrompre les âmes faibles par de mauvais exemples ; comme " manger, boire et s'enivrer, " signifie être esclave des séductions et des plaisirs coupables du monde, qui font perdre la raison à l'homme. Or, voici quelle sera la peine de ce mauvais serviteur : " Le maître de ce serviteur viendra au jour où il ne l'attend pas, et à l'heure qu'il ne sait point (c'est-à-dire à l'heure de la mort et du jugement), et il le divisera. " - S. BAS. (liv. sur l'Esprit saint, 16.) Le corps n'est pas divisé, en ce sens qu'une partie soit soumise au châtiment, tandis que l'autre partie en serait exempte ; car c'est une opinion fausse et contraire à toute justice, qu'une partie seulement du corps soit punie, quand le corps a péché tout entier. L'âme non plus ne sera pas divisée ; car elle est unie tout entière à la conscience coupable, et partage avec le corps la complicité du mal ; cette division n'est donc autre chose que l'éternelle séparation de l'âme avec l'Esprit saint. En effet, dans la vie présente, bien que la grâce de ce divin Esprit ne réside pas dans les âmes, qui en sont indignes, elle paraît cependant être près d'elles en quelque sorte, attendant la conversion qui doit les conduire au salut, mais alors cette grâce sera complètement retranchée de l'âme coupable. Le Saint-Esprit est donc tout à la fois la récompense des justes et la première condamnation des pécheurs, parce que les indignes en seront dépouillés à jamais. - BEDE. Ou bien encore, il le divisera en le retranchant de la société des fidèles, et en le rangeant parmi ceux qui n'ont jamais eu la foi : " Et il lui donnera son lot parmi les serviteurs infidèles. " Car, dit l'Apôtre : " Si quelqu'un n'a pas soin des siens, et particulièrement de ceux de sa maison, il a renoncé à la foi, et il est pire qu'un infidèle. " (1 Tm 5, 8.) - THÉOPHYL. Le dispensateur infidèle mérite en effet le sort des infidèles, puisqu'il n'a pas eu la véritable foi.
vv. 47-48.
THEOPHYL. Notre-Seigneur nous enseigne ici une vérité plus importante
et plus terrible, non seulement le dispensateur infidèle sera dépouillé
de la grâce qu'il avait reçue, et qui ne pourra lui faire éviter
le supplice, mais la grandeur et l'élévation de sa dignité
seront pour lui la cause d'une condamnation plus sévère : "
Le serviteur qui a connu la volonté de son maître, et ne lui a
point obéi, recevra un grand nombre de coups. " - S. CHRYS. (hom.
27 sur S. Matth.) En effet, les mêmes actions ne seront pas soumises pour
tous les hommes au même jugement, mais une connaissance plus parfaite
deviendra la cause d'une punition plus, grande. - S. CYR. (sur S. Jn liv. 6,
chap. 10.) Ainsi l'homme qui a reçu une intelligence plus pénétrante,
et a dégradé ses affections jusqu'à les traîner dans
de honteux excès, n'aura aucun titre pour implorer la miséricorde
divine, parce qu'il a commis un crime sans excuse en s'écartant par une
malice réfléchie de la volonté de son maître, mais
l'homme grossier et ignorant sera plus fondé à implorer le pardon
de son juge ; car " celui qui n'a pas connu la volonté de son maître,
et qui aura fait des choses dignes de châtiment, recevra moins de coups.
" - THEOPHYL. A cette objection, que font quelques-uns : On punit justement
celui qui, connaissant la volonté de son maître, ne l'a pas suivie
; mais pourquoi punir celui qui ne l'a pas connue ? nous répondons, parce
qu'il aurait pu la connaître, s'il avait voulu, et que sa négligence
a été l'unique cause de son ignorance.
S. BAS. (Rég. abrég., Quest. 267.) Mais s'il est vrai que l'un reçoive un plus grand nombre de coups, et l'autre un plus petit nombre, comment peut-on dire que les supplices de l'autre vie n'auront point tic fin ? Il faut donc entendre que ces paroles ont pour objet d'exprimer, non la durée ou la fin des supplices, mais leurs différents degrés. Un homme peut avoir mérité d'être condamné au feu qui ne s'éteint pas, mais qui est plus ou moins intense ; et au ver qui ne meurt pas, mais qui ronge et déchire avec plus ou moins de force. THEOPHYL. Il explique ensuite pourquoi le châtiment des docteurs et de ceux qui sont plus instruits sera plus sévère : " Car on demandera beaucoup à celui à qui l'on a beaucoup donné, et on exigera davantage de celui à qui on a confié beaucoup. " Dieu donne aux docteurs la grâce de faire des miracles, il leur confie le ministère de la parole et le pouvoir d'enseigner ; il ne dit pas qu'il demandera davantage, pour ce qu'il a donné, mais pour ce qu'il a confié comme un dépôt ; car la grâce du ministère de la parole demande un accroissement continuel, et on demandera au docteur plus qu'il n'a reçu, il ne doit donc jamais rester oisif, mais développer de jour en jour le talent de la parole qui lui a été confié. - BEDE. Ou bien encore, souvent Dieu donne de plus grandes grâces à de simples fidèles, qui reçoivent la connaissance de sa volonté, et la grâce de mettre en pratique ce qu'ils connaissent. Mais il confie beaucoup à celui qui, avec le soin de son âme, est revêtu de la charge de paître le troupeau du Seigneur. Ceux donc qui ont reçu de plus grandes grâces, seront punis plus sévèrement s'ils viennent à pécher (Sg 6, 8.9). Pour ceux qui ne sont coupables d'autre péché que du péché originel, le châtiment sera des plus doux, et pour les autres qui ont ajouté à ce péché des fautes volontaires, leur punition sera d'autant moins sévère, que leurs fautes seront moins grandes.
vv. 49-53.
S. AMBR. C'est aux dispensateurs, c'est-à-dire aux prêtres, que
Notre-Seigneur adresse les enseignements qui précèdent, et il
leur apprend qu'un châtiment sévère les attend dans l'autre
vie, si l'amour des plaisirs du monde les détourne de veiller sur la
maison du Seigneur et de gouverner le peuple qui leur est confié. Cependant
comme on fait peu de progrès quand on ne revient de ses égarements
que par la crainte du châtiment, et qu'il vaut mieux devoir ce retour
à la charité cl à l'amour de Dieu, le Sauveur cherche à
enflammer ses disciples de cet amour de Dieu en leur disant : " Je suis
venu jeter le feu sur la terre, " non pas ce feu qui dévore les
bons, mais ce feu qui produit la bonne volonté, qui purifie et transforme
les vases d'or de la maison du Seigneur, tandis qu'il consume l'herbe et la
paille.
S. CYR.
(Ch. des Pèr. gr., ou comment. sur S. Luc.) Les saintes Écritures
ont coutume de désigner par le feu les discours inspirés et divins.
En effet, de même que ceux qui travaillent à l'épuration
de l'or, le purifient par le feu de toutes ses souillures ; ainsi le Sauveur
purifie par les enseignements de l'Évangile, par la vertu de l'Esprit
saint l'intelligence de ceux qui croient en lui. C'est donc là le feu
salutaire et utile qui embrase d'ardeur pour la vie de la piété
les habitants de la terre froids, et comme éteints sous les glaces du
péché. - S. CHRYS. Cette terre dont parle le Sauveur, n'est pas
celle que nous foulons aux pieds, mais celle que Dieu a formée de ses
mains, c'est-à-dire l'homme à qui Dieu inspire un feu tout divin
pour détruire ses péchés et renouveler son âme. -
TITE DE BOSTR. Or, c'est du ciel que descend ce feu ; car s'il venait de la
terre sur la terre, Notre-Seigneur ne dirait pas : " Je suis venu jeter
le feu sur la terre. " - S. CYR. Le Seigneur hâtait l'embrasement
de ce feu, comme il le déclare : " Et que désire-je, sinon
qu'il s'allume. " Quelques israélites avaient embrassé la
foi, et les premiers avaient été ses fidèles disciples,
mais ce feu une fois allumé dans la Judée, devait embraser tout
l'univers, lorsque le mystère de sa passion serait consommé. C'est
pour cela qu'il ajoute : " Je dois être baptisé d'un baptême,
et combien je me sens pressé jusqu'à ce qu'il s'accomplisse. "
En effet, avant l'auguste mystère de la croix, et la résurrection
du Sauveur d'entré les morts, la Judée seule était témoin
de ses prédications et de ses miracles ; mais après que dans l'excès
de leur fureur, ils eurent mis à mort l'auteur de la vie, c'est alors
qu'il ordonna à ses disciples d'aller enseigner toutes les nations. (Mt
28) - S. GREG. (hom. 12 sur les Evang.) Ou bien encore, le feu est jeté
sur la terre, quand les ardeurs de l'Esprit saint embrasent une âme terrestre,
consument en elle tous les désirs charnels, et l'enflamment d'un amour
spirituel, qui lui fait déplorer le mal qu'elle a commis, c'est ainsi
que la terre est embrasée lorsque ta conscience s'accuse elle-même,
et que le coeur est comme consumé dans les douleurs de la pénitence.
- BEDE. Notre-Seigneur ajoute : " Je dois être baptisé d'un
baptême, " c'est-à-dire je dois être d'abord comme inondé
de mon propre sang avant d'embraser les coeurs des fidèles du feu de
l'Esprit saint.
S. AMBR. La bonté du Sauveur pour nous est si grande, qu'il éprouve
le besoin de nous attester le désir qu'il a de nous inspirer son divin
amour, de nous conduire à la perfection, et de hâter le moment
où il doit souffrir et verser son sang pour notre salut : " Et comme
je me sens pressé jusqu'à ce qu'il s'accomplisse. " - BEDE.
Quelques manuscrits portent : Combien je suis dans l'angoisse, c'est-à-dire
dans la tristesse. Notre-Seigneur n'avait rien en lui qui pût l'attrister,
mais il s'attristait de nos misères, et cette tristesse qu'il montrait
aux approches de sa mort, ne venait point de la crainte qu'il avait de mourir,
mais du retard même de l'oeuvre de notre rédemption. En effet,
puisqu'il était dans l'angoisse jusqu'à l'accomplissement de sa
passion, il devait l'envisager sans inquiétude et sans trouble, et s'il
manifeste quelque frayeur, elle ne vient point de la crainte de la. mort, mais
d'un sentiment naturel à la faiblesse humaine, car dès lors qu'il
s'est revêtu d'un corps semblable au nôtre, il a dû prendre
sur lui toutes les infirmités du corps, la faim, l'anxiété,
la tristesse ; mais la divinité reste immuable au milieu de ces affections.
Il nous montre encore par ces paroles, que dans le combat qu'il eut à
soutenir au temps de sa passion, la mort du corps mit un terme à ses
angoisses, et ne fut point pour lui la cause d'un redoublement de douleur.
BEDE. Il nous enseigne ensuite comment la terre doit s'embraser après
le baptême de sa passion, après la venue de ce feu tout spirituel
: " Pensez-vous que je sois venu apporter la paix sur la terre ? "
etc. - S. CYR. Que dites-vous, Seigneur ? Est-ce que vous n'êtes pas venu
apporter la paix, vous qui êtes devenu notre paix (Ep 2), pacifiant par
le sang que vous avez répandu sur la croix, tant ce qui est sur la terre,
que ce qui est dans le ciel (Col 1), vous qui avez dit : " Je vous donne
ma paix ? " Il est évident que la paix a ses avantages, mais elle
devient quelquefois funeste, et nous sépare de l'amour de Dieu, lorsque,
par exemple, elle nous fait vivre en intelligence avec ceux qui sont éloignés
de Dieu ; et ce sont ces liaisons de la terre que le Sauveur nous enseigne à
éviter. C'est pour cela qu'il ajoute : " Car désormais cinq
personnes dans une maison seront divisées, trois contre deux et deux
contre trois, " etc. - S. AMBR. Quoique l'énumération qui
suit, comprenne six personnes, le père et le fils, la mère et
la fille, la belle-mère et la belle-fille, il n'y en a réellement
que cinq, parce que la mère et la belle-mère peuvent être
prises pour une seule et même personne ; car la mère du fils est
naturellement la belle-mère de son épouse. - S. CHRYS. (Ch. des
Pèr. gr.) C'est ici une prédiction de ce qui devait arriver. On
vit, en effet, dans la même maison, des chrétiens que leur père
voulait entraîner à l'apostasie, mais telle fut la puissance de
la doctrine de Jésus-Christ, que les fils se séparaient de leurs
pères, les filles de leurs mères, et les parents de leurs enfants.
Les disciples fidèles de Jésus-Christ consentirent non seulement
à sacrifier tous leurs biens, mais à endurer tous les genres de
souffrance, pour conserver la foi qu'ils avaient embrassée. Si Jésus-Christ
n'avait été qu'un homme, comment aurait-il pu entrer dans son
esprit que les pères l'aimeraient plus qu'ils n'aimaient leurs enfants,
que les enfants l'aimeraient plus que leurs pères, les époux plus
que leurs épouses ? et cela non seulement dans une seule maison, dans
cent familles, mais par toute la terre. Or, non seulement il a fait cette prédiction,
mais il l'a réellement accomplie.
S. AMBR. Dans le sens mystique, cette maison c'est l'homme, nous lisons souvent que l'homme est composé de deux parties, de l'âme et du corps ; si ces deux parties sont d'accord entre elles, elles ne font plus qu'un. On distingue aussi trois parties dans l'âme, l'une raisonnable, l'autre concupiscible, et la troisième irascible ; c'est ainsi que deux sont divisés contre trois, et trois contre deux ; car à l'avènement de Jésus-Christ, l'homme qui, dans sa conduite, était dépourvu de raison, est devenu raisonnable nous étions charnels terrestres, Dieu a envoyé son Esprit dans nos coeurs (Ga 4), et nous sommes devenus des enfants spirituels. On peut encore dire qu'il y a dans cette maison cinq autres choses, l'odorat, le toucher, le goût, la vue et l'ouïe. Si donc, nous rendant dociles à ce que nous lisons ou à ce que nous entendons par les sens de la vue et de l'orne, nous renonçons aux plaisirs superflus du corps, dont les trois sens du goût, du tact et de l'odorat sont pour nous les instruments, nous en opposons deux à trois, en préservant notre âme de tomber dans les piéges de la volupté. Ou, si nous admettons que les cinq sens sont corporels, la division sera entre les vices et les péchés du corps. On peut encore voir ici le corps et l'âme qui est séparée de l'odorat, du tact et du goût des plaisirs sensuels ; car la raison, comme représentant le sexe le plus fort, aspire aussi à des sentiments plus nobles, tandis que le corps cherche à amollir la raison. Telle est donc la source des diverses passions ; mais dès que l'âme rentre en elle-même, elle renie ces enfants dégénérés, la chair elle-même gémit d'être ainsi enlacée dans les liassions auxquelles elle a donné naissance, comme dans les buissons du monde ; mais la volupté, comme la bru du corps et de l'âme, a épousé ces mouvements des passions mauvaises. Tant que la paix régnait dans cette maison par l'accord et la complicité des vices entre eux, on n'y voyait point de division ; mais dès que Jésus-Christ eut jeta sur la terre le feu qui devait consumer les péchés du coeur, ou qu'il eut apporté ce glaive qui pénètre au plus intime de l'âme, alors le corps et l'âme, renouvelés dans le mystère de la régénération, se séparent de leur malheureuse postérité ; et les pères sont ainsi divisés contre leurs fils, lorsque la passion de l'intempérance renonce à se satisfaire, et que l'âme refuse la complicité du consentement coupable. Les enfants sont aussi divisés contre leurs parents, alors que les hommes renouvelés rompent avec leurs anciennes habitudes criminelles, tandis que la volupté, avec la fougue du jeune âge, refuse de se soumettre aux règles de la piété, et semble se révolter contre le régime d'une maison trop sévère. - BEDE. Ou bien encore, les trois représentent ceux qui croient à la Trinité ; les deux, ceux qui se sont séparés de l'unité de la foi. Le père, c'est le démon, dont nous étions les enfants en marchant sur ses traces ; mais lorsque ce feu du ciel fut descendu sur la terre, il nous sépara du démon, et nous montra un autre père qui est dans les cieux. La mère, c'est la synagogue ; la fille, c'est la primitive Église, qui a été persécutée dans sa foi par la synagogue qui lui avait donné le jour, et qui, forte de la vérité de sa foi, lutta elle-même contre la synagogue. La belle-mère, c'est encore la synagogue ; la bru, c'est l'Église qui vient des nations ; car Jésus-Christ, qui est l'époux de l'Église, est le Fils de la synagogue selon la chair. La synagogue se trouve donc divisée contre sa bru et contre sa fille, en persécutant les fidèles qui viennent de l'un et de l'autre peuple ; et celles-ci sont à leur tour divisées contre leur mère et leur belle-mère, en refusant de se soumettre à la circoncision de la chair.
vv. 54-57.
THEOPHYL. Ce que le Sauveur venait de dire de la prédication qu'il avait
comparée à un glaive, pouvait jeter le trouble dans l'esprit dé
ses auditeurs qui ne savaient pas le but de ces paroles. Aussi, ajoute-t-il,
qu'ils devraient connaître son avènement, de même qu'ils
connaissent les variations de l'atmosphère à certains signes particuliers
: " Lorsque vous voyez un nuage se former au couchant, vous dites aussitôt
: La pluie vient, et cela arrive ainsi. Et quand vous voyez que souffle le vent
du midi, vous dites : Il fera chaud, et cela arrive ainsi. " Comme s'il
leur disait : Mes paroles et mes oeuvres indiquent clairement que je suis en
contradiction avec vous. Vous pouvez donc conjecturer que je ne suis pas venu
apporter la paix, mais l'orage et la tempête : car je suis la nuée,
et je viens de l'occident, c'est-à-dire de la nature humaine qui depuis
longtemps est enveloppée des ténèbres épaisses du
péché. Je suis venu aussi apporter le feu, c'est-à-dire
inspirer une grande chaleur ; car je suis le vent du midi, vent brûlant
qui est opposé au froid glacial du nord. - BEDE. Ou bien encore, ceux
qui par les variations des éléments peuvent facilement conjecturer
l'état de l'atmosphère pourraient aussi, s'ils le voulaient, connaître
par les oracles des prophètes le temps de l'avènement du Seigneur.
- S. CYR. Car les mystères de Jésus-Christ se trouvent annoncés
en mille endroits des prophètes. Ils devraient donc, s'ils étaient
prudents, porter leurs regards vers les choses futures et ne pas ignorer les
tempêtes qui doivent suivre la vie présente, car ce sera le temps
du vent, de la pluie et du supplice du feu ; c'est le sens de ces paroles :
" La pluie vient. " Ils auraient dû également connaître
les jours de salut, c'est-à-dire l'avènement du Sauveur, qui a
introduit dans le monde la religion parfaite ; ce que signifient ces paroles
: " Vous dites : Il fera chaud. " Aussi leur fait-il ce reproche :
" Hypocrites, vous savez reconnaître l'aspect du ciel et de la terre,
comment donc ne reconnaissez-vous pas les temps où nous sommes ? "
S. BAS. (homél. 6 sur l'hexamer.) Remarquons que les pronostics que l'on
tire des astres sont nécessaires aux hommes pourvu qu'ils ne soient pas
exagérés. Il est utile en effet de connaître par avance
les signes qui annoncent la pluie, les signes précurseurs des grandes
chaleurs et des tempêtes soit particulières soit universelles,
et de savoir si elles seront violentes ou modérées. Il n'est personne
qui ne sache quelle utilité on peut retirer dans la vie de ces divers
pronostics. Il importe eu effet au navigateur de prévoir les dangers
des tempêtes, au voyageur les changements de temps, au laboureur les signes
qui lui promettent une grande abondance de fruits.
BEDE. Il pouvait s'en trouver dans la foule qui allégueraient leur ignorance
des oracles prophétiques et s'excuseraient ainsi de ne pouvoir connaître
les temps marqués ; le Sauveur leur ôte cette excuse en ajoutant
: " Comment ne discernez-vous point par vous-même ce qui est juste
? " et il leur apprend ainsi que sans savoir les lettres humaines, leur
sens naturel seul pouvait leur faire reconnaître que celui qui avait opéré
des oeuvres que nul autre n'eût pu faire était au-dessus de l'homme
et qu'il était Dieu, et qu'aux injustices du monde présent, succéderait
un jour le juste jugement du Créateur. - ORIG. (homél. 35 sur
S. Luc.) Or si nous n'avions en nous-mêmes la faculté de discerner
ce qui est juste, jamais le Sauveur n'eût parlé de la sorte.
vv. 58-59.
THEOPHYL. Notre-Seigneur vient de parler d'une guerre bonne et louable, il nous
apprend maintenant qu'il y a une paix qui ne l'est pas moins : " Lorsque
vous allez avec votre adversaire devant le magistrat, tâchez de vous dégager
de lui en chemin, " etc. C'est-à-dire, lorsque votre adversaire
vous traîne devant les tribunaux, tâchez, c'est-à-dire, faites
tous vos efforts pour vous libérer envers lui. Ou bien encore, tâchez,
c'est-à-dire si vous n'avez rien, empruntez pour vous acquitter envers
lui, de peur qu'il ne vous fasse comparaître devant le juge. " De
peur, ajoute-t-il, qu'il ne vous traîne devant le juge, et que le juge
ne vous livre à l'exécuteur, et que l'exécuteur ne vous
jette en prison. " - S. CYR. Où vous aurez à souffrir jusqu'à
ce que vous ayez payé la dernière obole : " Je vous le dis,
vous ne sortirez pas de là que vous n'ayez payé jusqu'à
la dernière obole. "
S. CHRYS. (homél. 16 sur S. Matth.) Notre-Seigneur me paraît vouloir
parler ici des juges de la terre, de la comparution devant leurs tribunaux,
et des prisons de ce monde, car souvent ce sont ces comparaisons tirées
des choses qui se passent sous leurs yeux qui ramènent au bien les hommes
sans raison qui s'en sont écartés. Aussi ce n'est pas seulement
par la perspective des biens et des maux à venir, mais par le spectacle
des choses présentes que le Sauveur cherche à convertir, à
cause de la grossièreté de ses auditeurs. - S. AMBR. On bien,
notre adversaire est le démon qui sème sous nos pas les séductions
du vice, afin de faire partager son supplice à ceux qui auront été
les complices de son crime. Nôtre adversaire c'est encore notre mauvaise
conscience, qui fait ici-bas notre tourment, et qui sera notre accusateur et
notre condamnation dans l'autre : Faisons donc tout au monde pendant le voyage
de cette vie pour nous délivrer de toute action coupable, comme d'un
adversaire dangereux ; de peur qu'en allant avec cet adversaire devant le magistrat,
il ne condamne en chemin nos égarements. Or, quel est ce magistrat, si
ce n'est celui qui possède toute puissance ? Il livre le coupable au
juge, à celui qui a reçu le pouvoir de juger les vivants et les
morts, c'est-à-dire à Jésus-Christ qui mettra au grand
jour tous les crimes secrets, et qui infligera le châtiment à toutes
les oeuvres mauvaises. C'est lui-même qui livre le coupable à l'exécuteur,
et le jette en prison : " Saisissez-vous de lui, dit-il, et jetez-le dans
les ténèbres extérieurs. " (Mt 22.) Ses exécuteurs
ce sont les anges, dont il est dit : " Les anges viendront et sépareront
les mauvais du milieu des justes, et ils les jetteront dans la fournaise de
feu. " Et il ajoute : " Je vous le dis, vous ne sortirez pas de là,
que vous n'ayez payé jusqu'à la dernière obole. "
De même que ceux qui acquittent une dette, ne cessent d'être débiteurs
jusqu'à ce qu'ils aient payé intégralement toute la somme
par quelque moyen que ce soit, de même la peine que au péché
ne peut-être acquittée que par la charité, par les bonnes
oeuvres et par la satisfaction.
ORIG. (homél. 33.) On peut encore donner cette explication : Nous voyons
ici quatre personnes, l'adversaire, le prince ou le magistrat, le juge et l'exécuteur
; saint Matthieu ne parle pas du prince, et remplace l'exécuteur par
ce qu'il appelle ministre. Les deux évangélistes diffèrent
encore en ce que saint Matthieu se sert du mot de denier, et saint Luc de celui
d'obole ; tous deux disent " jusqu'au damier. " Or, nous lisons que
tous les hommes ont deux anges près d'eux, un mauvais qui les excite
au mal, un bon qui leur conseille le bien ; toutes les fois que nous succombons
au péché, notre adversaire triomphe, parce qu'il sait qu'il a
le droit de se glorifier devant le prince de ce monde qui l'a envoyé.
Dans le texte grec, nous lisons l'adversaire avec l'article, ce qui désigne
un adversaire spécial entre tous ; car chacun est sous la domination
du prince qui commande à sa nation. Efforcez-vous donc de vous délivrer
de votre adversaire, ou du prince devant lequel votre adversaire veut vous traîner,
en cherchant à acquérir la sagesse, la justice, la force et la
tempérance. Mais en faisant tous vos efforts, soyez uni à celui
qui a dit : " Je suis la vie ; " (Jn 14), autrement votre adversaire
vous traînera devant le juge. Il se sert de cette expression : "
il vous traînera, " pour montrer qu'il force les coupables de venir
entendre leur condamnation malgré toutes leurs résistances. Quant
au juge qui doit livrer à l'exécuteur, je n'en connais pas d'autre
que Notre-Seigneur Jésus-Christ. Nous avons tous nos exécuteurs,
et ils ont pouvoir sur nous, lorsque nous sommes leurs débiteurs ; mais
si je paie à tous mes créanciers ce que je leur dois, je me présente
devant l'exécuteur et je lui réponds avec fermeté : "
Je ne vous dois rien. " Mais si au contraire je suis débiteur, l'exécuteur
me jettera en prison et ne m'en laissera sortir que lorsque j'aurai payé
toute ma dette, car l'exécuteur n'a pas le droit de me faire grâce
de la moindre obole. Celui que nous voyons remettre à l'un de ses débiteurs
cinq cents deniers, à l'autre cinquante, (Lc 6) était le maître
; l'exécuteur au contraire n'est pas le maître, il est chargé
par le maître d'exiger tout ce qui lui est dû. Il dit " Jusqu'à
la dernière obole " pour signifier ce qu'il y a de moindre et de
plus léger. Car les fautes que nous commettons sont graves ou légères
; bienheureux donc celui qui ne pèche point, heureux ensuite celui qui
ne commet que des fautes légères. Mais dans les fautes même
légères, il y a des degrés, autrement le Sauveur ne dirait
pas : " Jusqu'à ce que vous ayez payé la dernière
obole. " Ainsi celui dont les dettes sont minimes ne sortira pas qu'il
n'ait payé jusqu'au dernier denier ; mais pour celui qui est chargé
de dettes énormes, il lui faudra un nombre infini de siècles pour
s'acquitter.
BEDE. Ou bien encore, notre adversaire dans le chemin, c'est la parole de Dieu
qui est en opposition avec nos désirs charnels dans la vie présente.
Nous nous délivrons de cet adversaire en obéissant à ses
préceptes : autrement il nous livrera au juge, car le mépris qu'on
aura fait de la parole du Seigneur est un crime dont le pécheur rendra
compte au tribunal du juge. Le juge le livrera à l'exécuteur,
c'est-à-dire à l'esprit mauvais ; pour le punir, celui-ci le jettera
en prison, c'est-à-dire dans l'enfer, c'est là que le pécheur
souffrira éternellement sans pouvoir jamais acquitter ses dettes et obtenir
son pardon ; il n'en sortira donc jamais, mais il sera condamné à
des peines éternelles, avec le serpent redoutable, avec le démon.