CATANA AUREA SUR SAINT LUC
ÉVANGILE DE SAINT LUC PAR SAINT THOMAS
SAINT THOMAS D'AQUIN CATENA AUREA SUR SAINT LUC
CHAPITRE
IX
vv. 1-6.
S. CYR. Il convenait que les ministres établis de Dieu pour enseigner
la sainte doctrine, eussent le pouvoir de faire des miracles et de faire reconnaître
par leurs oeuvres, qu'ils étaient les envoyés de Dieu : "
Jésus ayant assemblé les douze Apôtres, leur donna puissance
et autorité sur tous les démons, " etc. Il abaisse ainsi
la fierté superbe du démon, qui avait osé dire autrefois
: Nul ne peut me contredire. (Is 10, 14.) - EUSEBE. Comme il veut conquérir
par eux tout le genre humain, il leur donne non seulement le pouvoir de chasser
les esprits mauvais, mais encore de guérir en son nom toute espèce
d'infirmité : " Et pour guérir les maladies. " - S.
CYR. (Très., 14, 14.) Considérez ici la divine puissance du Fils
de Dieu, qui ne peut convenir à aucune nature créée, car
si les saints faisaient des miracles, ce n'était point en vertu d'un
pouvoir naturel, mais par la participation de l'Esprit saint. Ils ne pouvaient
d'ailleurs en aucune façon communiquer cette puissance aux autres, car
comment une nature créée pourrait-elle disposer en maître
des dons de l'Esprit saint ? Au contraire, Notre-Seigneur Jésus-Christ
étant Dieu par nature, distribue cette grâce à qui il veut,
il n'appelle pas sur ceux qui la reçoivent une vertu étrangère,
il la leur communique de ses propres trésors. - S. CHRYS. (hom. 33 sur
S. Matth.) Mais ce n'est qu'après qu'il les a fortifiés par un
long commerce avec lui, et qu'ils ont acquis une conviction raisonnée
de sa puissance qu'il leur donne cette mission : " Et il les envoya prêcher
le royaume de Dieu. " Remarquez l'objet précis de leur mission,
ce n'est point d'annoncer des choses temporelles, comme Moïse et les prophètes,
qui promettaient la terre et les biens de la terre, les Apôtres annoncent
et promettent le royaume de Dieu et tout ce qu'il renferme.
S. GREG. DE NAZIANZE. En envoyant ses disciples prêcher l'Évangile, Notre-Seigneur leur fait un grand nombre de recommandations qui peuvent se résumer dans cette maxime générale, c'est que leur vertu, leur courage, leur humilité, leur vie toute céleste, doivent briller d'un si vif éclat, qu'ils servent à la propagation de l'Évangile, non moins puissamment que leurs prédications ; c'est pour cela qu'il les envoie sans argent, sans bâton, et avec un seul vêtement : " Ne portez rien en route, ni bâton, ni sac, ni pain, ni argent, " etc. - S. CHRYS. Ce précepte renfermait pour les disciples de nombreux avantages ; premièrement, il les mettait à l'abri de tout soupçon ; secondement, il les affranchissait de toute sollicitude, et leur laissait toute liberté pour la prédication ; troisièmement, il les convainquait de sa propre puissance. On objectera, peut-être, que tous les autres commandements ont leur raison d'être, mais pourquoi leur commander de n'avoir en chemin ni sac, ni deux tuniques, ni bâton ? C'est qu'il veut les former à la plus haute perfection, et faire pour ainsi dire de ses disciples, des anges, en les affranchissant de tous les soucis de la vie, pour ne leur laisser d'autre sollicitude que la prédication de sa doctrine. - EUSEBE. Cette recommandation a donc pour objet de les éloigner de tout attachement aux biens de la terre, et de toutes les préoccupations de la vie. Il mettait ainsi à l'épreuve leur foi et leur courage en leur faisant un devoir devant lequel ils ne reculeraient pas, de vivre au milieu des privations de la vie la plus pauvre. Il était juste qu'il y eût entre eux et leur divin Maître une espèce d'échange, et qu'ils reconnussent le pouvoir qu'il leur avait donné de guérir les malades par une obéissance parfaite à ses commandements. Il veut en faire les soldats du royaume de Dieu, il les prépare donc au combat contre les ennemis, en leur recommandant la pratique de la pauvreté : " Car celui qui est enrôlé au service de Dieu, ne doit pas s'embarrasser dans les affaires du siècle. "
S. AMBR. Ces préceptes divins nous apprennent donc quelle doit être la vie de celui qui annonce le royaume de Dieu, il doit ne point se préoccuper des moyens de pourvoir à l'entretien de la vie présente, et puiser dans une foi vive la confiance que les choses nécessaires lui seront données avec abondance, en raison directe de son peu d'empressement à les rechercher. -THEOPHYL. Il les envoie donc comme des mendiants, avec défense de porter avec eux ni pain, ni aucune de ces choses dont tant d'autres ne peuvent se passer. - S. AUG. (de l'acc. des Evang., 2, 30.) Ou bien encore, si le Sauveur défend à ses disciples de posséder et de porter avec eux aucune de ces choses, ce n'est pas qu'il ne les juge nécessaires au soutien de cette vie, mais il veut leur apprendre, en leur donnant leur mission, qu'ils ont droit à recevoir le nécessaire de ceux à qui ils prêcheraient l'Évangile ; ils doivent donc être parfaitement tranquilles à cet égard, et ne se préoccuper en aucune façon, de mettre en réserve et de porter avec eux les choses nécessaires à la vie. Aussi, d'après saint Marc, il leur commande de ne rien porter avec eux, si ce n'est un bâton, pour montrer que les fidèles doivent tout aux ministres de la parole qui, de leur côté, ne demanderont rien de superflu. Le bâton est donc l'emblème de ce droit et de cette puissance dans ces paroles : " Il leur commanda de ne rien prendre avec eux, si ce n'est un bâton. "
S. AMBR. On peut encore entendre, si l'on veut, et avec plusieurs interprètes, ces paroles dans ce sens, que le Sauveur ne se propose ici que de diriger leurs affections intérieures, qui doivent les porter è se dépouiller du corps comme d'un vêtement, non seulement en méprisant les honneurs et les richesses, mais en renonçant à toutes les séductions de la chair. - THEOPHYL. D'autres encore, croient que par cette recommandation faite aux Apôtres, de ne porter ni sac, ni bâton, ni deux tuniques, Notre-Seigneur veut leur faire entendre qu'ils ne doivent point thésauriser (ce que signifie le sac où l'on peut entasser des sommes considérables), qu'ils doivent maîtriser la colère et la violence (ce qui est figuré par le bâton), et fuir la dissimulation et la duplicité (que représentent les deux tuniques). - S. CYR. Mais, dira-t-on, où trouveront-ils les choses nécessaires ? Écoutez la suite : " En quelque maison que vous entriez, n'en sortez point, " ce qui veut dire : Contentez-vous des choses que vos disciples vous donneront pour votre entretien en échange des biens spirituels qu'ils recevront de vous. Il leur commande de rester dans la même maison pour ne point contrister, en changeant de demeure, celui qui les a reçus chez lui, et ne point s'exposer au soupçon de légèreté d'esprit ou de sensualité. - S. AMBR. Au jugement du Sauveur, il est donc indigne d'un prédicateur du royaume des cieux, de courir de maison en maison, et de violer ainsi les droits sacrés de l'hospitalité. Mais de même qu'il sauvegarde les droits de l'hospitalité, de même aussi il ordonne à ses disciples, quand on refusera de les recevoir, de secouer la poussière de leurs pieds, en sortant de cette ville : " Lorsqu'on refusera de vous recevoir, en sortant de cette ville, secouez même la poussière de vos pieds en témoignage contre eux. " - BEDE. Les Apôtres secouent la poussière de leurs pieds, en témoignage de leurs travaux apostoliques, et comme preuve qu'ils sont entrés dans cette ville pour y faire entendre la prédication de l'Évangile ; ou bien encore, ils secouent la poussière de leurs pieds, comme un signe qu'ils n'ont rien reçu, pas même le nécessaire, de ceux qui méprisent l'Évangile. - S. CYR. Il est très-peu probable que ceux qui méprisent la parole du salut et le père de famille se montrent bienveillants pour ses serviteurs, ou réclament leurs bénédictions. - S. AMBR. On bien encore, dans un autre sens, le Sauveur nous enseigne à reconnaître grandement le bienfait de l'hospitalité, non seulement en donnant la paix à ceux qui nous reçoivent, mais en les délivrant de ces fautes de légèreté qui tiennent à notre nature terrestre et qui sont effacées par les pas des prédicateurs apostoliques auxquels on accorde l'hospitalité. - BEDE. Mais quant à ceux qui, par une négligence coupable ou de dessein prémédité, font mépris de la parole de Dieu, il faut éviter leur société, et en les quittant, secouer la poussière de ses pieds, dans la crainte que les pas de l'âme chaste ne viennent à être souillés par leurs actions pleines de vanité figurées par la poussière.
vv. 7-10.
EUSEBE. Après avoir ceint et revêtu ses disciples, comme les soldats
de Dieu, d'une puissance divine et des enseignements de la sagesse le Sauveur
les envoie vers les Juifs, comme des docteurs et des médecins, et ils
partent pour accomplir cette double mission : " Étant donc partis,
ils parcouraient les villages, prêchant l'Évangile et guérissant
partout ; " ils annoncent l'Évangile en qualité de docteurs,
et comme médecins, ils guérissent les malades, et prouvent par
leurs miracles la vérité de leurs paroles.
S. CHRYS. (hom. 49 sur S. Matth.) Hérode n'apprit les miracles de Jésus que longtemps après que la renommée s'en était répandue, preuve de l'orgueil de ce tyran, qui s'était peu soucié de les connaître dès l'origine : " Cependant Hérode le tétrarque entendit parler de tout ce que faisait Jésus. " - THEOPHYL. Cet Hérode était fils d'Hérode le Grand, qui fit périr les enfants de Bethléem, le premier était roi, le second était simplement tétrarque. Or, il voulait savoir ce qu'était le Christ : " Et il ne savait que penser. " - S. CHRYS. Les pécheurs, en effet, redoutent ce qu'ils connaissent comme ce qu'ils ignorent, ils ont peur de leur ombre. ils soupçonnent partout des embûches, et tremblent au moindre bruit. Telles sont les tristes suites du péché, il dévoile le coupable sans que personne le blâme ou le reprenne, il le condamne sans que personne l'accuse, et il le livre en proie à la crainte et à l'hésitation. L'Évangéliste nous indique les causes de cette crainte : " Et il ne savait que penser, parce que quelques-uns disaient, " etc. - THEOPHYL. Les Juifs espéraient une résurrection des morts, qui leur rendrait une vie toute charnelle de repas et de festins, tandis qu'après la résurrection, les hommes seront affranchis de toutes les actions propres à la chair. - S. CHRYS. Hérode ayant donc appris les prodiges que Jésus opérait, dit : " J'ai fait couper la tête à Jean. " Ce n'était point par ostentation qu'il évoquait ce souvenir, mais pour calmer ses alarmes, et rassurer son esprit troublé en se rappelant qu'il était l'auteur de la mort de Jean-Baptiste. Et comme il lui avait fait couper la tête, il ajoute : " Qui est donc celui-ci, " etc. - THEOPHYL. Si c'est Jean-Baptiste qui est ressuscité des morts, en le voyant, il me sera facile de le reconnaître : " Et il cherchait à le voir. "
S. AUG (de l'acc. des Evang., 2, 43.) Saint Luc, en suivant ici dans son récit le même ordre que saint Marc, ne nous oblige pas de croire que tel fut l'ordre rigoureux des faits. De même que saint Marc, il attribue aussi à d'autres, et non pas à Hérode lui-même, ces paroles : " Jean est ressuscité d'entre les morts ; " mais comme il rapporte qu'Hérode ne savait que penser, on peut admettre, ou bien qu'après ces incertitudes, il finit par ajouter foi au bruit qui se répandait, lorsqu'il dit lui-même à ses serviteurs, selon le récit de saint Matthieu : " C'est Jean-Baptiste, qui est ressuscité des morts, " ou bien, il faut entendre ces paroles de saint Matthieu dans un sens dubitatif.
vv. 10-17
S. AUG. (de l'acc. des Evang., 2, 45.) Saint Matthieu et saint Marc, à
l'occasion de ce qui précède, rapportent comment Jean-Baptiste
fut mis à mort par Hérode. Saint Luc, au contraire, qui avait
déjà raconté la mort du saint Précurseur, après
avoir parlé des incertitudes d'Hérode au sujet de la personne
du Sauveur, ajoute aussitôt : " Et les Apôtres étant
de retour, racontèrent à Jésus tout ce qu'ils avaient fait.
" - BEDE. Ils lui rapportent non seulement les miracles qu'ils ont faits,
et quel a été le sujet de leurs enseignements, mais ils lui apprennent
aussi tout ce que Jean-Baptiste a eu à souffrir pendant qu'ils prêchaient
l'Évangile, et ce sont ses propres disciples, ou ceux de Jean-Baptiste,
qui lui apprennent cette nouvelle, comme semble l'indiquer saint Matthieu.
S. ISID. (livre 1, lettre 133.) Le Seigneur a en abomination les hommes de sang, et ceux qui entretiennent des relations avec eux, quand ils persévèrent dans leurs crimes ; aussi dès qu'il eut appris la mort de Jean-Baptiste, il s'éloigne des meurtriers, et se retire dans un lieu désert : " Et les prenant avec lui, il se retira à l'écart dans un lieu désert, non loin de la ville de Bethsaïde. " - BEDE. Bethsaïde est une ville de Galilée, située sur les bords du lac de Génésareth, et d'où les apôtres André, Pierre et Philippe étaient originaires. Si le Sauveur s'éloigne ainsi, ce n'est point par crainte de la mort, comme le pensent quelques-uns, mais pour épargner à ses ennemis, dans un sentiment de miséricorde, un nouvel homicide, et aussi pour attendre le temps marqué pour sa passion. - S. CHRYS. (hom. 50 sur S. Matth.) Jésus ne s'éloigne que lorsqu'il eut appris ce qui venait d'arriver, profitant ainsi de toutes les circonstances pour manifester la vérité de sa chair. - THEOPHYL. Notre-Seigneur se retire dans un lieu désert pour y opérer le miracle de la multiplication des pains, afin que personne ne pût dire que ces pains avaient été apportés d'une ville voisine. - S. CHRYS. (hom. 50 sur S. Matth.) Ou bien, il se retire dans un lieu désert, pour que personne ne pût le suivre ; mais le peuple ne consent point pour cela à se séparer de lui, et s'attache à ses pas : " Le peuple l'ayant appris, il le suivit, " etc. - S. CYR. Ils le suivaient, pour lui demander les uns d'être délivrés des démons qui les possédaient, les autres d'être guéris de leurs maladies, d'autres enfin ne se lassaient point de rester avec lui, retenus par le charme de sa doctrine.
BEDE. De
son côté Jésus, Sauveur aussi puissant que bon, accueille
ceux qui sont fatigués, instruit les ignorants, guérit les malades,
nourrit ceux qui ont faim, et montre ainsi combien ce pieux empressement des
fidèles lui est agréable : " Et il les accueillit avec bonté,
et il leur parlait du royaume de Dieu, " etc. - THEOPHYL. Il veut nous
apprendre que la sagesse dont nous devons faire profession, consiste dans les
paroles et dans les oeuvres, et nous fait un devoir d'enseigner le bien que
nous faisons, et de mettre en pratique ce que nous enseignons. Comme le jour
était sur son déclin, les disciples commencent à s'inquiéter
pour cette nombreuse multitude, dont ils ont compassion. " Or, le jour
commençant à baisser, les douze vinrent lui dire, " etc.
- S. CYR. Cette multitude, comme nous l'avons dit, venait implorer la guérison
de ses diverses souffrances, et les disciples qui savaient qu'il suffisait au
Sauveur de le vouloir, pour que tous ces malades fussent guéris, lui
disent : " Renvoyez-les, et qu'ils soient délivrés de leurs
souffrances. " Considérez ici l'immense bonté de celui à
qui s'adresse cette prière ; non seulement il accorde ce que lui demandent
ses disciples, mais il répand avec profusion, sur ce peuple qui le suit,
les dons de sa main libérale, en leur commandant de lui donner à
manger : " Et il leur répondit : Donnez-leur vous mêmes à
manger. " - THEOPHYL. En parlant de la sorte, il n'ignorait pas ce qu'ils
allaient lui répondre, mais il voulait les amener à dire combien
ils avaient de pains, pour faire ressortir par cette déclaration la grandeur
du miracle qu'il allait opérer.
S. CYR. Mais il était impossible aux disciples d'exécuter cet
ordre, puisqu'ils n'avaient avec eux que cinq pains et deux poissons : "
Ils lui répartirent : Nous n'avons que cinq pains et deux poissons, à
moins que nous n'allions acheter de quoi nourrir tout ce peuple. " - S.
AUG. (de l'acc. des Evang., 2, 46.) Saint Luc réunit ici, sous une même
phrase, la réponse de Philippe : " Quand on aurait pour deux cents
deniers de pain, cela ne suffirait pas pour en donner à chacun un morceau,
" et celle d'André : " Il y a ici un jeune homme qui a cinq
pains d'orge et deux poissons, " comme le rapporte saint Jean (Jn 6). En
effet, ce que dit saint Luc : " Nous n'avons que cinq pains et deux poissons,
" se rapporte à la réponse d'André, et ce qu'il ajoute
: " A moins que nous n'allions acheter de quoi nourrir tout ce peuple,
" renferme la réponse de Philippe, si ce n'est qu'il ne parle pas
des deux cents derniers, quoiqu'on puisse dire qu'il y est fait allusion dans
la réponse d'André ; car, après avoir dit : " Il y
a ici un jeune homme qui a cinq pains et deux poissons, " il ajoute "
Mais qu'est-ce que cela, pour tant de monde ? " ce qui revient à
dire : " A moins que nous n'allions acheter de quoi nourrir tout ce peuple.
" De cette diversité dans le récit, et de cette concordance
dans les faits comme dans les maximes, ressort pour nous cette importante leçon,
que nous ne devons chercher dans les paroles, que la volonté de ceux
qui parlent, et que les narrateurs, amis de la vérité, doivent
s'attacher surtout à la mettre en évidence dans leurs récits,
qu'il y soit question de l'homme, des anges ou de Dieu. - S. CYR. La grande
multitude de peuple, dont l'Évangéliste fait connaître le
nombre, ajoute encore aux difficultés du miracle : " Or, ils étaient
environ cinq mille hommes, sans compter les femmes et les enfants, comme le
remarque un autre Évangéliste. (Mt 14.)
THÉOPHYL. Notre-Seigneur nous enseigne ici, lorsque nous donnons à
quelqu'un l'hospitalité, à le faire asseoir, et à lui prodiguer
tous les soins qui dépendent de nous : " Jésus dit à
ses disciples : Faites les asseoir par groupes de cinquante. " - S. AUG.
(de l'accord des Evang., 2, 46.) Saint Luc dit qu'on les fit asseoir par troupes
de cinquante ; saint Marc par groupes de cinquante et de cent, mais cette différence
ne peut faire difficulté ; car l'un des Évangélistes n'exprime
qu'une des parties dont les groupes étaient composés, et l'autre
la totalité. Si l'un des deux Évangélistes ne parlait que
de groupes de cinquante, et l'autre de groupes de cent personnes, la contradiction
paraîtrait évidente, et il serait difficile d'admettre que les
deux choses soient vraies, mais racontées chacune par un seul des deux
Évangélistes ; et cependant en y réfléchissant plus
attentivement, qui ne reconnaîtra la vraisemblance de cette explication
? J'ai fait cette observation, parce qu'il se présente souvent des faits
de ce genre qui, pour les esprits superficiels ou. prévenus, paraissent
contradictoires et ne le sont point. - S. CHRYS. (hom. 50 sur S. Matth.) Ce
devait être un article de la foi chrétienne, que Jésus-Christ
était sorti du Père, il lève donc les yeux vers le ciel
avant de faire ce miracle : " Alors Jésus, prenant les cinq pains
et les deux poissons, et levant les yeux vers le ciel, " etc. - S. CYR.
Il le fait encore pour noire instruction, et pour nous apprendre qu'en commençant
le repas, et avant de rompre le pain, nous devons l'offrir à Dieu, et
attirer sur lui la bénédiction céleste : " Et levant
les yeux au ciel, il les bénit et les rompit. " - S. CHRYS. (hom.
50.) Il distribue ce pain au peuple par les mains de ses disciples, par honneur
pour eux, et pour qu'ils n'oublient point le souvenir de ce miracle. Or, ce
n'est point du néant qu'il tire les pains et les poissons dont il nourrit
ce peuple, afin de fermer la bouche aux manichéens, qui affirment que
tout ce qui est créé lui est étranger, et de montrer que
c'est lui qui donne la nourriture à tous les êtres créés,
et qui a dit : " Que la terre produise les plantes " etc. (Gn 1.)
Il multiplie aussi les poissons, pour signifier qu'il est le Seigneur de la
mer, comme de la terre. Il a opéré, en faveur des malades qu'il
a guéris, un miracle particulier, il étend maintenant les effets
de sa bonté à toute la multitude, en nourrissant ceux mêmes
qui n'ont aucune infirmité : " Tous mangèrent et furent rassasiés.
" - S. GREG. DE NYSSE. (grand disc. catéch., chap. 23.) Ce n'était
point le ciel qui distillait la manne, ni la terre qui produisait le blé
selon sa nature, pour subvenir aux besoins de ce peuple ; cette abondante largesse
sortait des trésors ineffables de la puissance divine. Le pain se multiplie
dans les mains de ceux qui le distribuent et il augmente en proportion de la
faim de ceux qui mangent. Ce n'est pas non plus de la mer que sortent les poissons
dont ils se nourrissent, mais de la main de celui qui, en créant les
diverses espèces de poissons, leur a donné la mer pour séjour.
S. AMBR. Ce fut donc grâce à une abondante multiplication des pains
que ce peuple fut rassasié. On eût pu voir les morceaux sortir
comme d'une source mystérieuse, et se multiplier, sans être divisés
entre les mains de ceux qui les distribuaient, et les fragments intacts venir
se glisser d'eux-mêmes sous les doigts de ceux qui les rompaient.
S. CYR. Là ne s'arrête point le miracle, l'Évangéliste
ajoute : " Et des morceaux qui restèrent, on emporta douze corbeilles
pleines. " C'était une preuve manifeste que les oeuvres de charité
envers le prochain obtiennent de Dieu une récompense surabondante. -
THEOPHYL. C'était encore pour nous apprendre la merveilleuse puissance
de l'hospitalité, et combien nous augmentons nos propres richesses, en
les distribuant largement aux indigents. - S. CHRYS. Ce ne sont pas des pains
entiers qui restent, mais des morceaux, pour prouver que c'étaient bien
les restes des pains qui avaient été distribués, et il
en reste douze corbeilles, c'est-à-dire, autant qu'il y avait de disciples.
S. AMBR. Dans le sens mystique, c'est après que cette femme, qui était la figure de l'Église, a été guérie d'une perte de sang ; après que les Apôtres ont reçu la mission d'annoncer le royaume de Dieu, que le Sauveur distribue l'aliment de la grâce céleste. Mais remarquez ceux qui sont jugés dignes de le recevoir, ce ne sont point des gens oisifs, ni ceux qui restent dans les villes, qui siégent dans la synagogue, ou se reposent avec complaisance dans les dignités séculières, mais ceux qui cherchent Jésus-Christ dans le désert. - BEDE. Le Sauveur quitte la Judée, qui, en refusant de croire en lui, s'était ôté l'honneur d'être le siége des prophéties, et il distribue dans le désert l'aliment de la parole divine à l'Église qui n'avait point d'époux. Et lorsqu'il se retire dans le désert des nations, une multitude innombrable de fidèles sortent des murs de leur vie ancienne et de leurs diverses croyances pour s'attacher à ses pas.
S. AMBR. Or, Jésus-Christ accueille avec bonté ceux qui ne se lassent point de le suivre, le Verbe de Dieu s'entretient avec eux, non des choses du temps, mais du royaume de Dieu, et si quelques-uns souffrent quelque douleur corporelle, il applique sur leurs blessures un remède salutaire. En toute circonstance d'ailleurs, il garde un ordre mystérieux, c'est-à-dire, qu'il guérit d'abord les blessures intérieures par la rémission des péchés, et prodigue ensuite avec abondance la nourriture de la table céleste. - BEDE. C'est au déclin du jour qu'il nourrit la multitude, c'est-à-dire, lorsque la fin des temps approche, ou bien, lorsque le soleil de justice s'est incliné et a disparu pour nous (Ml 4, 2). - S. AMBR. Cependant le Sauveur ne donne pas immédiatement à cette multitude les aliments les plus nourrissants. Les cinq pains sont le premier aliment qu'il leur donne comme le lait aux enfants ; le second, les sept pains, et le troisième, le corps de Jésus-Christ, qui est la nourriture la plus substantielle. Or, s'il en est qui appréhendent de demander leur nourriture, qu'ils abandonnent toutes choses et se hâtent de venir entendre la parole de Dieu. Celui qui commence à entendre cette divine parole, éprouve bientôt le sentiment de la faim ; les Apôtres s'en aperçoivent, et si ceux qui ressentent ce besoin, ne comprennent pas encore ce qu'ils désirent, Jésus-Christ le comprend, il sait qu'ils ne soupirent point après les aliments grossiers, mais après la nourriture céleste qui est Jésus-Christ. Les Apôtres n'avaient pas encore compris que la nourriture du peuple fidèle ne s'achète pas comme un aliment ordinaire, mais Jésus-Christ savait que c'est nous-mêmes qui avions besoin d'être rachetés, tandis que la nourriture qu'il nous destinait devait nous être donnée gratuitement.
BEDE. Les
Apôtres n'avaient encore que les cinq pains de la loi mosaïque, et
les deux poissons des deux Testaments, qui étaient cachés dans
les profondeurs obscures des mystères comme dans les eaux de l'abîme.
L'homme a reçu cinq sens extérieurs ; les cinq mille hommes qui
marchent à la suite du Seigneur, figurent donc ceux qui, vivant au milieu
du monde, font un bon usage des biens extérieurs qu'ils possèdent.
Ils se nourrissent des cinq pains, parce qu'ils ont encore besoin d'être
dirigés par les préceptes de la loi. Car pour ceux qui renoncent
pleinement au monde, la nourriture de l'Évangile les fait parvenir à
une perfection sublime. Les divers groupes qui se nourrissent de ces pains,
figurent les assemblées particulières de l'Eglise par toute la
terre, et qui toutes ne font qu'une Église catholique.
S. AMBR. Dans le sens spirituel, ce pain qui est rompu par Jésus, est
la parole de Dieu, et tout discours qui a Jésus-Christ pour objet, et
ils se multiplient quand on les distribue, car c'est au moyen d'un petit nombre
de discours qu'il a donné à tous les peuples une abondante nourriture
il nous a donné ses divins enseignements, comme autant de pains qui se
multiplient en devenant notre nourriture. - BEDE. Or, le Sauveur ne crée
pas de nouveaux aliments pour rassasier la faim de cette multitude, mais il
prend ceux qu'avaient les Apôtres, et il les bénit, parce qu'en
effet, dans le cours de sa vie mortelle, il n'annonce point d'autres vérités
que celles qui ont été prédites par les prophètes,
et il nous fait voir les oracles prophétiques pleins des mystères
de la grâce. Il lève les yeux au ciel, pour nous apprendre à
diriger vers le ciel toute la force de notre esprit, et à y chercher
la lumière de la science. Il rompt les pains et les donne à ses
disciples pour les distribuer au peuple, parce que c'est aux Apôtres qu'il
a dévoilé les mystères de la loi et des prophètes,
en les chargeant de les annoncer par toute la terre.
S. AMBR. Ce n'est pas sans dessein que les restes de ces pains sont recueillis par les disciples, parce que les choses divines se trouvent plus facilement auprès des élus que parmi le peuple. Heureux celui qui peut recueillir le superflu des âmes versées dans la science divine. Mais pourquoi Jésus-Christ a-t-il voulu qu'on remplît douze corbeilles des morceaux qui restèrent, si ce n'est pour délivrer le peuple juif de cette servitude que le Roi-prophète rappelait en ces termes : " Leurs mains servaient à porter sans cesse des corbeilles ? " (Ps 80.) C'est-à-dire que ce peuple qui était condamné à porter de la terre dans des corbeilles (Ex 1 et 6), travaille maintenant par les mérites de la croix de Jésus-Christ, à gagner le pain de la vie céleste. Et cette grâce n'est pas le privilège d'un petit nombre, elle est accordée à tous les hommes ; ces douze corbeilles, en effet, figurent la multiplication et l'affermissement de la foi dans chaque tribu. - BEDE. Ou bien encore, les douze paniers figurent les douze Apôtres et tous les docteurs qui sont venus à leur suite ; au dehors, les hommes n'avaient pour eux que du mépris, mais au dedans, ils étaient remplis des précieux restes de la nourriture du salut.
vv. 18-22.
S. CYR. Le Seigneur se sépare de la foule, et cherche la solitude pour
se livrer à la prière : " Un jour qu'il priait seul dans
un lieu solitaire, " etc. Il se donnait ainsi comme exemple à ses
disciples, et leur apprenait à se rendre facile la pratique de sa doctrine.
C'est ainsi que les pasteurs des peuples doivent leur être supérieurs
par l'éminence de leurs vertus, et leur donner l'exemple d'une application
constante aux devoirs de leur ministère et aux oeuvres qui sont agréables
à Dieu. - BEDE. Les disciples se trouvaient avec le Sauveur, mais nous
le voyons seul prier son Père, parce que les saints peuvent bien être
unis au Seigneur par les liens de la foi et de la charité, mais le Fils
seul peut pénétrer les incompréhensibles secrets des conseils
de Dieu. Il prie donc seul en toutes circonstances, parce que les prières
de l'homme ne peuvent comprendre les desseins de Dieu, et que nul ne peut entrer
en participation des sentiments les plus intimes de Jésus-Christ.
S. CYR. Cependant cette application à la prière pouvait étonner
les disciples, qui voyaient prier, comme un faible mortel, celui qu'ils avaient
vu faire des miracles avec une autorité toute divine. C'est donc pour
dissiper leurs incertitudes qu'il les interroge, il n'ignorait pas sans doute
les témoignages éclatants que le peuple lui rendait, mais il voulait
dégager ses disciples des fausses idées qu'un grand nombre s'était
faites à son sujet, et leur inspirer les sentiments d'une foi éclairée
et véritable : " Il les interrogea, disant : Qui dit-on que je suis
? " etc. - BEDE. C'est dans un dessein plein de sagesse que le Sauveur
avant d'éprouver la foi de ses disciples, leur demande ce que la foule
pense de lui, car il veut que leur profession de foi ait pour fondement, non
l'opinion de la multitude, mais la connaissance de la vérité,
et qu'ils croient après avoir examiné, au lieu d'être comme
Hérode, dans l'incertitude sur ce qu'ils auraient entendu dire. - S.
AUG. (de l'acc. des Evang., 2, 53.) On peut se demander comment saint Luc a
pu dire que le Seigneur interrogea ses disciples sur ce que les hommes pensaient
de lui, lorsqu'il était seul à prier, et qu'ils le suivaient,
tandis que, d'après saint Marc, il les interrogea en chemin ; mais cela
ne peut faire difficulté que pour celui qui pense que le Sauveur n'a
jamais prié chemin faisant.
S. AMBR. L'opinion de la foule que les disciples rapportent n'est pas indifférente " Ils lui répondirent : Les uns disent Jean-Baptiste (qu'ils savaient avoir été décapité), les autres Élie (qu'ils croyaient devoir venir), d'autres, un des anciens prophètes qui serait ressuscité. " Mais je laisse à de plus habiles d'approfondir ces paroles, car si l'apôtre saint Paul se glorifiait de ne savoir que Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié (1 Co 2), que puis-je moi-même désirer que cette divine science de Jésus ? - S. CYR. Mais voyez quelle sagesse dans cette question ; le Sauveur reporta d'abord leurs pensées sur les témoignages extérieurs que le peuple lui rendait, pour en détruire l'impression dans leur esprit, et leur donner une juste idée de sa personne divine. Voilà pourquoi il demande à ses disciples qui lui rapportent l'opinion du peuple, quel est leur propre sentiment : " Et vous, leur demanda-t-il, que dites-vous que je suis ? " Quelle glorieuse distinction dans ce mot : " Et vous ! " Il les sépare de la foule pour leur en faire éviter les préjugés, comme s'il leur disait : Vous, que j'ai appelés à l'apostolat par un choix tout particulier, vous, les témoins de mes miracles, que dites-vous que je suis ? Pierre prévient tous les autres, il devient l'organe de tout le collège apostolique, il révèle les sentiments d'amour dont son coeur déborde, et proclame sa confession de foi : " Simon Pierre répondit Le Christ de Dieu. " Il ne dit pas simplement : " Christ de Dieu, " mais avec l'article, " le Christ de Dieu, " par excellence, c'est pourquoi nous lisons dans le grec, t?? X??st?? ; il en est un grand nombre, en effet, qui, ayant reçu l'onction de Dieu, ont été appelés Christs sous divers rapports, les uns ayant reçu l'onction royale, les autres l'onction prophétique (cf. 2 M 1, 10 ; 1 Paralip., 16, 2, etc.). Nous-mêmes, en vertu de l'onction du Saint-Esprit qui nous a été donnée par Jésus-Christ, nous avons reçu le nom de Christs, mais il n'y en a vraiment qu'un seul qui soit le Christ de Dieu et du Père, parce qu'il est le seul qui, dans un sens véritable ait pour Père celui qui est dans les cieux. Ainsi expliquées, les paroles que saint Luc met dans la bouche du prince des Apôtres, s'accordent avec celles que lui prêle saint Matthieu : " Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant. " Saint Luc n'a fait qu'abréger ces paroles, en lui faisant dire : " Le Christ de Dieu. " - S. AMBR. Dans ce seul nom, en effet, se trouvent exprimées la divinité du Sauveur, son humanité et la foi en sa passion. Pierre a donc tout embrassé dans cette seule expression, la nature aussi bien que le nom qui est comme l'abrégé de ses perfections.
S. CYR.
Remarquez l'extrême prudence de Pierre, qui confesse un seul Christ, condamnant
ainsi ceux qui ont la témérité de diviser l'Emmanuel en
deux Christs différents ; car il ne leur demande pas : Qu'est le Verbe
divin au jugement des hommes, mais : " Qui dit-on qui est le Fils de l'homme
? " Et c'est lui que Pierre confesse être le Fils de Dieu. C'est
en cela qu'il est vraiment admirable, et qu'il a été jugé
digne des plus grands honneurs, que d'avoir cru et proclamé le Christ
du Père, celui qu'il contemplait dans une forme humaine, c'est-à-dire
que le Verbe, engendré de la substance du Père, avait daigné
se faire homme.
S. AMBR. Cependant Notre-Seigneur ne veut pas encore que sa divinité
soit proclamée parmi le peuple, pour éviter toute agitation :
" Mais leur parlant avec empire, il leur enjoignit de ne le dire à
personne. " Il commande le silence à ses disciples pour plusieurs
raisons, pour tromper le prince du monde, pour fuir toute vanité, pour
nous enseigner l'humilité. Jésus-Christ n'a donc point voulu de
la gloire humaine, et vous qui êtes né dans l'obscurité,
vous la recherchez avec empressement ? Il voulait aussi que ses disciples, encore
grossiers et imparfaits, ne fussent point opprimés sous le poids d'une
prédication trop relevée. Il leur défend donc d'annoncer
qu'il est le Fils de Dieu, afin que plus tard ils puissent prêcher publiquement
ses souffrances. - S. CHRYS. (hom. 55 in Matth.) Le Sauveur a défendu
à ses disciples de dire à personne qu'il était le Christ,
pour une autre raison non moins pleine de sagesse. Il voulait qu'après
avoir fait disparaître tout sujet de scandale et consommé le supplice
de la croix, tous ceux qui entendraient la prédication évangélique,
eussent de lui une idée juste, car les préjugés qu'on déracine
et qu'on arrache tout d'abord, peuvent difficilement rentrer et obtenir créance
dans le même esprit ; mais ceux qu'on laisse se développer en toute
liberté sans les arracher, croissent et s'enracinent avec une merveilleuse
facilité ; car si une simple allusion aux souffrances de Jésus-Christ
suffit pour scandaliser Pierre, que serait-il arrivé au plus grand nombre,
lorsque ayant appris qu'il était le Fils de Dieu, il l'aurait vu crucifié
et couvert d'opprobres ? - S. CYR. Il fallait donc que les disciples portassent
son nom jusqu'aux extrémités de la terre, et cette oeuvre était
réservée à ceux qu'il avait appelés à l'apostolat
; mais, comme l'atteste l'Esprit saint, " il y a temps pour toute chose
" (Qo 3), et il fallait que la passion et la résurrection fussent
accomplies, avant que les Apôtres prêchassent l'Évangile
: " Il faut, disait-il, que le Fils de l'homme souffre beaucoup, "
etc. - S. AMBR. Peut-être aussi, Notre-Seigneur, qui savait toute la peine
que ses disciples auraient à croire le mystère de sa passion et
sa résurrection, voulut en être le premier prédicateur.
vv. 23-28.
S. CYR. Les valeureux capitaines, qui veulent inspirer plus de courage et de
hardiesse à ceux qui parcourent avec eux la carrière des armes,
ne se contentent pas de leur promettre les honneurs de la victoire, mais cherchent
à leur persuader qu'il y a de la gloire même à supporter
les souffrances. Notre-Seigneur Jésus-Christ agit de même à
l'égard de ses Apôtres. Il leur avait prédit qu'il aurait
à souffrir les accusations calomnieuses des Juifs, qu'il serait mis à
mort, et qu'il ressusciterait le troisième jour. Mais ils pouvaient croire
que ces souffrances devaient être le partage exclusif de Jésus-Christ,
sauveur du monde, tandis qu'il leur serait permis de mener une vie molle et
sensuelle ; il leur apprend donc qu'ils ont à livrer les mêmes
combats, s'ils désirent partager sa gloire : " Il disait donc à
tout le monde. " - BEDE. Remarquez ces paroles : " Il disait à
tous, " parce qu'en effet c'était avec les disciples seuls qu'il
avait traité de tout ce qui concernait la foi à sa naissance ou
à sa passion.
S. CHRYS.
(hom. 56 sur S. Matth.) Notre-Seigneur, plein de douceur et de bonté,
ne veut point qu'on le serve forcément et à regret, mais volontairement,
et en lui rendant grâces d'être à son service ; aussi il
ne force, il ne violente personne, mais c'est par la persuasion et par les bienfaits,
qu'il attire à lui tous ceux qui désirent le suivre : " Si
quelqu'un veut. " - S. Bas. (Const. mon., 4.) En disant : " Si quelqu'un
veut venir après moi (cf. Jn 12, 21), " il se propose lui-même
comme modèle de la vie parfaite à ceux qui veulent suivre ses
divins enseignements, et il les invite, non pas à le suivre corporellement
(ce qui serait impossible, puisque Notre-Seigneur est maintenant dans les cieux),
mais à suivre fidèlement les exemples de sa vie, selon la mesure
de leurs forces. - BEDE. Il faut nécessairement se détacher de
soi-même, si l'on veut s'approcher de celui qui est au-dessus de nous,
suivant ces paroles du Sauveur : " Qu'il se renonce lui-même. "
- S. BAS. (règle expliq., quest. 6.) L'abnégation de soi-même,
c'est l'oubli de toutes les choses de notre vie passée, et l'abandon
de nos propres volontés. - ORIG. (traité 2 sur S. Matth.) On se
renonce encore soi-même quand on change les habitudes vicieuses d'une
vie mauvaise par la réforme entière de ses moeurs, et par une
conversion sincère et véritable ; par exemple, celui qui a longtemps
vécu dans les plaisirs, se renonce soi-même, quand il devient chaste,
et ainsi toutes les fois qu'on s'abstient d'un vice quelconque, on se renonce
soi-même. - S. BAS. (règle.) Or, désirer mourir pour Jésus-Christ,
mortifier les membres de l'homme terrestre (Col 3), être disposé
à supporter courageusement toutes les épreuves pour Jésus-Christ,
n'avoir aucune affection pour la vie présente, c'est véritablement
porter sa croix : " Et qu'il porte sa croix tous les jours de sa vie. "
- THEOPHYL. La croix, dans la pensée du Sauveur, c'est une mort ignominieuse,
et il nous fait entendre ici que celui qui veut suivre le Christ, ne doit point
reculer devant la perspective d'une mort semblable. - S. GREG. (hom. 32 sur
l'Evang.) On peut encore porter sa croix de deux manières, ou lorsqu'on
mortifie son corps par la pénitence, ou lorsque l'âme s'attriste
et s'afflige en compatissant aux souffrances des autres.
S. GREG. (ou le moine Isaac, Ch. des Pèr. gr.) Notre-Seigneur réunit
à dessein ces deux choses : " Qu'il se renonce lui-même, et
qu'il porte sa croix ; " car de même que celui qui est prêt
à monter sur la croix, est tout disposé intérieurement
à souffrir ce genre de mort, et n'a plus que de l'indifférence
pour la vie présente ; ainsi celui qui veut suivre le Seigneur, doit
d'abord se renoncer lui-même, et ensuite porter sa croix, de sorte que
dans son âme, il soit prêt à supporter toute espèce
de souffrance. - S. BAS. (explic. des règles, quest. 8.) La perfection
consiste donc à tenir son âme dans une complète indifférence
pour la vie présente et à être toujours prêt à
mourir, en évitant toutefois la confiance en soi-même. Or, cette
perfection doit commencer par le renoncement aux choses extérieures,
par exemple, aux richesses, à la vaine gloire, et par le détachement
intérieur de toutes les choses inutiles.
BEDE. C'est donc pour nous une obligation de porter chaque jour cette croix, et de marcher à la suite du Seigneur, qui a voulu porter lui-même sa croix : " Et qu'il me suive. " - ORIG. Il donne la raison de ce commandement, en ajoutant : " Car celui qui voudra sauver son âme, la perdra, " c'est-à-dire celui qui veut jouir de la vie présente et de toutes les satisfactions qu'offrent à son âme les choses sensibles, perdra son âme qu'il néglige de conduire au terme de la béatitude véritable. Il ajoute, au contraire : " Et celui qui perdra son âme à cause de moi, la sauvera, " c'est-à-dire, celui qui méprise les biens sensibles, et ne craint point par amour pour la vérité de s'exposer à la mort, sauvera bien plutôt son âme et sa vie, dont il semble faire le sacrifice à Jésus-Christ. Si donc c'est un véritable bonheur de procurer à son âme le salut qui vient de Dieu, on peut dire que c'est une perte heureuse, que de perdre son âme pour l'amour de Jésus-Christ. On peut encore dire, par analogie avec ce renoncement tel que nous venons de l'expliquer, que chacun doit perdre son âme livrée au péché, pour prendre celle qui doit son salut à la pratique de la vertu.
S. CYR.
Le Sauveur veut faire comprendre combien cette participation aux souffrances
du Christ surpasse de beaucoup les jouissances que donnent les plaisirs et les
biens de ce monde, et il ajoute : " Que sert à l'homme de gagner
le monde entier, s'il vient à se perdre lui-même à son détriment
? " comme s'il disait : Qu'un homme, par attachement aux douceurs et aux
avantages de la vie présente, refuse de souffrir, et aime mieux vivre,
s'il est riche, au milieu du luxe et de l'opulence, que lui en reviendra-t-il,
lorsqu'il aura perdu son âme ? En effet, " la figure du monde passe
(1 Co 7) ; les plaisirs disparaissent comme l'ombre (Sg 5) ; les trésors
de l'iniquité ne serviront de rien, mais la justice délivrera
de la mort. " (Pv 10.)
S. GRÉG. (hom. 32.) La sainte Église traverse deux sortes de temps
dans la vie présente, les temps de persécution et les temps de
paix, et Notre-Seigneur donne ici des préceptes pour ces deux circonstances
si différentes. Dans les temps de persécution, il faut être
prêt à sacrifier son âme, c'est-à-dire sa vie, selon
ces paroles : " Celui qui perdra sa vie ; " dans les temps de paix,
au contraire, il faut s'appliquer à réprimer les désirs
terrestres, qui exercent sur nous une influence tyrannique, et c'est à
quoi Notre-Seigneur nous engage par ces paroles : " Que sert à l'homme
de gagner tout l'univers, s'il vient à perdre son âme ? "
Souvent nous méprisons les choses fragiles et passagères, mais
nous sommes encore retenus par l'habitude du respect humain, qui nous empêche
de professer publiquement les sentiments de droiture et de justice, que nous
conservons au dedans de nous-mêmes. Notre-Seigneur nous donne un remède
convenable pour cette blessure : " Car si quelqu'un rougit de moi et de
mes paroles, le Fils de l'homme rougira de lui. " - THEOPHYL. On rougit
de Jésus-Christ, quand on dit : Est-ce que je croirai à un crucifié
? On rougit de ses discours, en méprisant la simplicité de l'Évangile.
Or, le Seigneur rougira de celui qui rougit de lui, comme un père de
famille rougirait de nommer un de ses mauvais serviteurs.
S. CYR. Il pénètre ses disciples d'une crainte salutaire en leur
annonçant qu'il descendra des cieux, non plus dans son premier état
d'humiliation, et sous une forme semblable à la nôtre, mais dans
la gloire du Père et au milieu des anges : " Lorsqu'il viendra dans
sa majesté et dans celle du Père ; et des saints-anges ; ".
Ce sera donc un malheur affreux de paraître avec le signe de l'inimitié,
et les mains vides de bonnes oeuvres, lorsque ce grand juge descendra au milieu
des célestes cohortes des anges. Apprenez encore de là que pour
avoir pris une chair semblable à la nôtre, le Fils n'en est pas
moins Dieu, puisqu'il annonce qu'il viendra dans la majesté de Dieu son
Père, environné des anges qui exécuteront les ordres qu'il
leur donnera comme juge de tous les hommes, lui qui s'est fait homme-semblable
à nous.
S. AMBR. Toutes les fois que Notre-Seigneur excite ses disciples, à la
pratique de la vertu par la perspective des récompenses éternelles,
et qu'il leur enseigne combien il est utile de mépriser les choses de
la terre, il soutient en même temps la faiblesse de l'esprit humain par
l'attrait d'une récompense présente. Il est dur et pénible,
en effet, de porter sa croix, d'exposer son âme aux dangers, et son corps
à la mort, de renoncer à ce que vous êtes, lorsque vous
voulez être ce que vous n'êtes pas ; et il est rare que la vertu
la plus éminente consente à sacrifier les choses présentes
à l'espérance des biens futurs. Aussi, notre bon Maître,
pour prévenir toute tentation de découragement ou de désespoir,
promet qu'il se révélera immédiatement à ses fidèles
serviteurs : " Je vous le dis, en vérité, quelques-uns, de
ceux qui sont ici présents, ne goûteront point la mort, qu'ils
n'aient vu le royaume de Dieu. "
THEOPHYL. C'est-à-dire la gloire dont jouissaient les justes ; le Sauveur
veut parler de la transfiguration qui était 1e symbole de la gloire future,
comme s'il disait : Quelques-uns de ceux qui sont ici (c'est-à-dire Pierre,
Jacques et Jean) ne mourront point avant d'avoir vu dans ma transfiguration
la gloire réservée à ceux qui auront confessé mon
nom. - S. GREG. (hom. 32.) Ou bien, ce royaume de Dieu ; c'est l'Église
actuelle, et quelques-uns des disciples devaient vivre assez longtemps sur la
terre pour voir l'Église de Dieu établie, et dominant la gloire
du monde. - S. AMBR. Si donc nous voulons n'avoir pas à craindre la mort,
tenons-nous toujours auprès de Jésus-Christ ; car ceux-là
seuls ne goûteront point la mort, qui peuvent se tenir étroitement
unis à Jésus-Christ. Or, on peut conclure du sens propre de ces
paroles, que ceux qui ont mérité d'être admis dans la société
de Jésus-Christ, ne ressentiront pas les atteintes mêmes les plus
légères de la mort. Sans doute, ils goûteront, comme en
passant, la mort du corps, mais ils posséderont pour toujours la vie
de l'âme ; car ce n'est point au corps, mais à l'âme, qu'est
accordé le privilège de l'immortalité.
vv. 29-31.
Eusèbe. Notre-Seigneur ne se contente pas de prédire le grand
mystère de sa seconde apparition, il ne veut pas que la foi de ses disciples
repose uniquement sur des paroles, et il lui donne encore pour fondement le
témoignage des faits, en découvrant aux yeux de leur foi une image
de son royaume : " Environ huit jours après qu'il leur eut dit ces
paroles, il prit avec lui Pierre, Jacques et Jean, et s'en alla sur une montagne
pour prier. " - S. JEAN DAMASC. (disc. sur la transf.) Saint Matthieu et
saint Marc placent la transfiguration six jours après la promesse faite
aux disciples, tandis que saint Luc rapporte que ce fut huit jours après.
Il n'y a toutefois aucune contradiction dans leur récit ; les deux Évangélistes
qui ne parlent que de six jours, n'ont pris que les jours intermédiaires,
sans compter les extrêmes, le premier et le dernier ; c'est-à-dire
celui où la promesse fut faite, et celui de son accomplissement, tandis
que saint Luc, qui compte huit jours, comprend les deux dont nous venons de
parler. Or, pourquoi le Sauveur n'admet-il pas tous ses disciples, mais quelques-uns
seulement à jouir de cette vision ? Il n'y en avait qu'un parmi eux (c'était
Judas), qui fût indigne de voir cette révélation de la divinité,
selon ces paroles : " Faites disparaître l'impie, pour qu'il ne voie
point la gloire de Dieu (Is 26). " Or, si Notre-Seigneur l'avait seul excepté,
sa jalousie eût donné un nouvel aliment à sa méchanceté
; le Sauveur enlève donc à ce traître un prétexte
à sa trahison, en laissant avec lui tous les autres disciples au bas
de la montagne. il en prend trois avec lui, pour que toute parole soit confirmée
par deux ou trois témoins. Il choisit Pierre, pour qu'il entendît
le Père confirmer par son témoignage celui qu'il avait "rendu
lui-même à la divinité du Christ, et aussi parce qu'il.
devait être le chef de toute l'Église. Il prend Jacques, parce
que le premier de tous les Apôtres, il devait donner sa vie pour Jésus-Christ
; enfin il choisit Jean comme l'interprète le plus pur des secrets divins
qui, après avoir été témoin de la gloire éternelle
du Fils, devait faire entendre ces paroles sublimes : " Au commencement
était le Verbe. " - S. AMBR. Ou bien encore, Pierre monte avec Jésus
sur la montagne, parce qu'il devait recevoir les clefs du royaume des cieux
; Jean, parce que le Sauveur devait lui confier sa mère ; Jacques, parce
qu'il devait souffrir le martyre le premier. (Ac 12.) - THEOPHYL. Ou bien encore,
il choisit ces trois disciples, comme plus capables de tenir caché ce
miracle et de ne le révéler à personne. Or, il monta sur
une montagne pour prier ; il nous enseigne ainsi à chercher la solitude
et à nous élever au-dessus des choses terrestres pour assurer
le succès de nos prières.
S. JEAN DAMASC. Toutefois, la prière du Seigneur est différente de la prière des serviteurs ; la prière du serviteur est une élévation de l'esprit vers Dieu, mais la sainte intelligence du Christ (unie hypostatiquement à Dieu), qui nous conduit comme par la main et par degrés, au moyen de la prière, jusqu'à Dieu, nous enseigne par là, que loin d'être l'adversaire de Dieu, il honore son Père comme le principe de toutes choses. Par cette conduite, il tend aussi un piège au démon qui cherchait à savoir s'il était Dieu, ce que l'éclat de ses miracles attestait suffisamment. Il cachait ainsi le hameçon sous l'appât de la nourriture, pour prendre, comme avec un hameçon, par l'humanité dont il était revêtu, celui qui avait séduit le premier homme par l'appât trompeur de la divinité. La prière est une révélation de la gloire divine ; aussi l'Évangéliste ajoute " Et pendant qu'il priait, l'aspect de sa face devint tout autre. " - S. CYR. Ce n'est pas que son corps ait changé de forme, mais il fut environné d'une gloire éclatante. - S. JEAN DAMASC. A la vue de cet éclat qui environnait le Sauveur au milieu de sa prière, le démon se ressouvint de Moïse, dont le visage fut aussi rayonnant de gloire ; mais cette gloire venait à Moïse d'un principe extérieur, tandis que pour le Seigneur, c'était la splendeur innée de la gloire divine. En effet, comme en vertu de l'union hypostatique, le Verbe et la nature humaine ont une seule et même gloire, la transfiguration du Sauveur n'est point l'usurpation de ce qu'il n'était pas, mais la manifestation, aux yeux de ses disciples, de ce qu'il était véritablement. C'est pour cela que saint Matthieu rapporte qu'il fut transfiguré devant eux, et que sa face resplendit comme le soleil ; car Dieu est dans l'ordre des choses spirituelles, ce que le soleil est dans l'ordre des choses sensibles. Or de même que le soleil, qui est la source de la lumière, ne peut être regardé facilement, tandis que nous pouvons contempler sa lumière, parce qu'elle se répand sur la terre ; ainsi le visage de Jésus-Christ resplendit du plus vif éclat, comme le soleil ; et ses vêtements deviennent blancs comme la neige : " Et ses vêtements devinrent d'une éclatante blancheur, " éclairés comme par un reflet de la gloire divine.
En même temps, Moïse et Élie se tiennent comme des serviteurs près du Seigneur dans sa gloire, afin de montrer que le Seigneur du Nouveau Testament est le même que celui de l'Ancien, pour fermer la bouche aux hérétiques, établir la foi à la résurrection, et prouver que celui qui était transfiguré, devait être regardé comme le Seigneur des vivants et des morts : " Et voici que deux hommes s'entretenaient avec lui, " etc. Le Sauveur voulait que le spectacle de la gloire et du bonheur de ces pieux serviteurs, fît admirer à ses disciples sa miséricordieuse bonté, et qu'étant témoins de la douceur des biens à venir, ils fussent excités à marcher sur les traces de ceux qui les avaient précédés, et à soutenir avec plus de force les combats de la foi, car celui qui connaît la récompense promise à ses travaux, les supporte bien plus facilement. - S. CHRYS. (hom. 57 sur S. Matth.) Un autre motif de cette apparition, c'est que le peuple affirmait du Sauveur, qu'il était Elle ou Jérémie, il fallait donc distinguer le Maître du serviteur, faire voir d'ailleurs que le Sauveur n'était ni l'ennemi de Dieu, ni violateur de la loi, car autrement, ni Moïse, qui avait donné la loi, ni Elle, qui avait soutenu avec tant de zèle les intérêts de la gloire de Dieu, n'eussent paru à ses côtés. C'était encore pour manifester les vertus de ces deux grands hommes, car tous deux s'étaient plusieurs fois exposés à la mort pour la défense des commandements de Dieu. Le Sauveur voulait aussi les proposer comme modèles à ses disciples dans le gouvernement du peuple, en leur inspirant la douceur de Moïse et le zèle d'Élie. Enfin il les fait paraître pour montrer la gloire de la croix, et consoler ainsi Pierre, et tous ceux qui craignaient les souffrances : " Ils s'entretenaient de sa fin qu'il devait accomplir en Jérusalem. - S. CYR. C'est-à-dire, du mystère de son incarnation et aussi de sa passion qui devait être le salut du monde et qu'il devait accomplir sur sa croix adorable.
S. AMBR.
Dans un sens mystique, c'est après avoir enseigné à ses
disciples la doctrine du renoncement et de la croix, que le Sauveur les rend
témoins de sa transfiguration, parce que celui qui entend et croit les
paroles du Christ, verra la gloire de la résurrection, car c'est le huitième
jour qu'eut lieu la résurrection, et la plupart des psaumes sont intitulés,
pour le huitième jour. Peut-être aussi, comme Notre-Seigneur avait
dit précédemment, que celui qui perdra sa vie pour le Verbe de
Dieu, veut-il nous montrer qu'il accomplira ses promesses au temps de la résurrection.
- BEDE. Il est ressuscité des morts après le septième jour
de la semaine où il avait été mis dans le sépulcre
; et nous aussi, après les six âges du monde écoulés,
et le septième, qui est celui du repos des âmes dans l'autre vie,
nous ressusciterons pour ainsi dire au huitième âge du monde. -
S. AMBR. Saint Matthieu et saint Marc rapportent que le Sauveur prit avec lui
ses disciples six jours après, ce qui nous autoriserait à dire
que nous ressusciterons après six mille ans, car mille ans sont comme
un jour devant Dieu (Ps 89) ; mais on compte plus de six mille ans jusqu'à
la résurrection, et nous préférons voir dans ces six jours
la figure des six jours de la création du monde, en ce sens que par le
temps, il faut entendre les oeuvres, et par les oeuvres, le monde. Aussi la
résurrection ne doit s'accomplir qu'après que les temps marqués
pour l'existence du monde seront écoulés. Peut-être encore,
est-ce pour figurer que celui qui se sera élevé au-dessus du monde,
et aura traversé la courte durée de la vie de ce siècle,
sera placé comme en un lieu sublime pour attendre le fruit de la résurrection
qui dure éternellement. - BEDE. Aussi, voyez le Sauveur monter sur une
montagne pour y prier et y être transfiguré, et en même temps
nous apprendre que ceux qui attendent le fruit de la résurrection et
désirent voir le roi dans sa gloire (Is 13, 17), doivent habiter les
cieux en esprit, et faire de leur vie une prière continuelle.
S. AMBR. Dans ces trois disciples que le Sauveur conduit sur la montagne, je
serais porté à voir la figure du genre humain tout entier, qui
est descendu des trois enfants de Noé, si ces disciples n'avaient été
expressément choisis. Ceux qui sont jugés dignes de monter sur
la montagne, sont au nombre de trois, parce que personne ne peut voir la gloire
de la résurrection, s'il n'a conservé dans toute son intégrité,
la foi au mystère de la Trinité.
BEDE. Dans sa transfiguration, le Sauveur nous donne une idée de sa gloire,
ou de sa résurrection future, ou de la notre, car après le jugement,
il apparaîtra à tous les élus tel qu'il est apparu aux Apôtres.
Le vêtement du Seigneur, c'est le choeur des saints qui l'environnent
; tandis qu'il était sur la terre, ce vêtement paraissait méprisable,
mais aussitôt qu'il monte sur la montagne, il brille d'un éclat
nouveau ; c'est ainsi que, " bien que nous soyons les enfants de Dieu,
ce que nous serons un jour ne paraît pas encore, mais nous savons que
quand il viendra dans sa gloire, nous serons semblables à lui. "
(1 Jn 3.)
S. AMBR. Ou bien dans un autre sens : Le Verbe de Dieu se rapetisse ou s'agrandit selon la mesure de vos dispositions, et si vous ne montez au sommet le plus élevé de la sagesse, vous ne pouvez voir toute la grandeur de Dieu qui est dans le Verbe. Les vêtements du Verbe sont les paroles de l'Écriture et comme l'enveloppe de l'intelligence divine, et le sens des divins enseignements se dévoile aux yeux de votre âme dans toute sa clarté, de même que les vêtements du Sauveur devinrent d'une blancheur éclatante.
vv. 32-36.
THEOPHYL. Pendant que Jésus priait, Pierre se laisse gagner par le sommeil,
car il était faible, et il cède ici à la faiblesse propre
à la nature humaine : " Cependant Pierre, et ceux qui étaient
avec lui, étaient appesantis par le sommeil, " mais aussitôt
qu'ils sont réveillés, ils voient la gloire qui l'environne, et
les deux hommes qui étaient avec lui : " Et se réveillant,
ils le virent dans sa gloire, et les deux hommes qui étaient avec lui.
" - S. CHRYS. (hom. 57 sur S. Matth.) On peut encore entendre par ce sommeil,
la grande stupeur dont cette vision frappa les Apôtres, car il n'était
pas nuit, mais l'éclat de la lumière blessait la faiblesse de
leurs yeux. - S. AMBR. En effet, la splendeur ineffable de la divinité
est un poids accablant pour la faiblesse de nos sens, car si les yeux qui nous
servent à voir les corps ne peuvent regarder en face l'éclat des
rayons du soleil, comment les sens corruptibles de l'homme pourraient-ils contempler
la gloire de Dieu ? Peut-être aussi, Jésus permit qu'ils fussent
appesantis par le sommeil, afin de voir l'image de la résurrection qui
suivit le sommeil. ils virent donc le Seigneur dans sa gloire, lorsqu'ils se
furent réveillés, car ce n'est qu'à cette condition qu'on
peut voir la gloire du Christ. Pierre en fut ravi de joie, et la gloire de la
résurrection captiva celui que les délices du siècle ne
devaient pas séduire : " Et comme ils le quittaient, " etc.
- S. CYR. Peut-être Pierre pensait-il que le temps du royaume de Dieu
approchait, et c'est pourquoi il demande à rester sur la montagne. -
S. JEAN DAMASC. (Disc. sur la transfig.) Il ne vous est pas avantageux, ô
Pierre, que Jésus reste sur la montagne, car s'il y fut resté,
la promesse qu'il vous a faite n'aurait pas eu son accomplissement, vous n'auriez
pas reçu les clefs du royaume, et l'empire de la mort n'eût pas
été détruit. Ne cherchez pas le bonheur avant le temps
marqué, comme Adam, qui cherchait à devenir semblable à
Dieu. Viendra un jour où vous contemplerez éternellement cette
sublime vision, et où vous habiterez avec celui qui est la lumière
et la vie.
S. AMBR.
Cependant Pierre, toujours prompt, non seulement à manifester son amour,
mais à donner des preuves de son dévouement, offre dans sa pieuse
activité, au nom de ses compagnons, de construire trois tentes : "
Faisons trois tentes, une pour vous, " etc. - S. JEAN DAM. Le Seigneur
vous a donné la mission de construire, non point des tentes, mais l'Église
universelle ; vos disciples, vos brebis ont accompli votre désir en construisant
une tente pour le Christ et aussi pour ses serviteurs. Du reste, saint Pierre
ne parlait pas ainsi de lui-même, mais par une inspiration de l'Esprit
saint, qui lui révélait les choses futures, c'est pour cela que
l'Évangéliste ajoute : " Ne sachant ce qu'il disait. "
- S. CYR. Il ne savait ce qu'il disait, car on n'était pas encore à
la fin des siècles, et le temps n'était pas encore venu pour les
saints, de participer au bonheur qui leur était promis. Et alors que
l'oeuvre de la rédemption ne faisait que commencer, comment Jésus-Christ
aurait-il cessé d'aimer le monde et de vouloir mourir pour lui ? - S.
JEAN DAMASC. Il était d'ailleurs de la bonté comme de la justice
de Dieu, de ne point restreindre le fruit de l'incarnation à ceux qui
étaient sur la montagne avec Jésus, mais de L'étendre à
tous ceux qui embrasseraient la foi, ce qui ne devait s'accomplir que par les
souffrances de sa passion et par sa croix. - TITE DE BOSTR. Pierre ne savait
pas ce qu'il disait, pour une autre raison, c'est qu'il n'était pas besoin
de trois tentes pour les trois dont il parle, car on ne peut mettre les serviteurs
sur le même rang que leur maître, ni comparer la créature
au Créateur. - S. AMBR. D'ailleurs la condition naturelle à l'homme
dans ce corps corruptible, ne lui permet d'élever un tabernacle à
Dieu, ni dans son âme, ni dans son corps, ni dans tout autre lieu. Cependant,
quoiqu'il ne sût pas ce qu'il disait, Pierre offre ses services au Sauveur,
et son zèle ne vient pas ici d'une vivacité irréfléchie,
mais d'un dévouement prématuré qui était comme le
fruit de son amour pour Jésus ; son ignorance venait de sa condition,
sa proposition de son dévouement. - S. CHRYS. (hom. 57 sur S. Matth.)
Ou bien encore, il entendait le Sauveur déclarer qu'il lui fallait mourir,
et ressusciter le troisième jour, et comme il contemplait l'étendue
de l'espace et de la solitude où il se trouvait, il jugea que ce lieu
offrait plus de sûreté, ce qui lui fait dire : " Il est bon
pour nous d'être ici. " Ajoutez qu'il voyait Moïse, qui entra
autrefois dans la nuée (Ex 24), et Élie, qui fit descendre le
feu du ciel (4 R 1), et vous comprendrez le trouble de son esprit, que l'Évangéliste
veut exprimer par ces paroles : " Il ne savait ce qu'il disait. "
- S. AUG. (de l'accord des Evang., 2, 56.) Saint Luc, dit de Moïse et d'Élie
: " Comme ils se séparaient de Jésus, Pierre lui dit : Maître,
il nous est bon d'être ici, " ce qui n'est nullement en contradiction
avec le récit de saint Matthieu et de saint Marc, d'après lequel
Pierre tint ce langage, alors que Moïse et Élie s'entretenaient
encore avec le Seigneur, car ces deux Évangélistes ne se sont
pas expliqués, mais ont gardé le silence sur ce que dit saint
Luc, que Pierre parla ainsi, alors que Moïse et Élie se retiraient.
THEOPHYL. Pendant que Pierre disait : " Faisons trois tentes, " le
Seigneur se construit une tente qui n'est pas faite de main d'homme, et il y
entre avec les prophètes : " Il parlait encore, lorsqu'une nuée
se forma et les enveloppa de son ombre, " Le Sauveur montre ainsi qu'il
n'est pas inférieur à son Père, car de même que dans
l'Ancien Testament, nous lisons que Dieu habitait dans une nuée, ainsi
le Seigneur est enveloppé d'une nuée non plus ténébreuse
mais éclatante. - S. BAS. C'est, qu'en effet, les obscurités de
la loi étaient dissipées, car de même que la fumée
est produite par le feu, la nuée est produite par la lumière ;
et comme la nuée est un symbole de tranquillité, cette nuée
qui enveloppe Jésus et les prophètes, figure le repos de la demeure
éternelle. - S. AMBR. Cette nuée qui voile le Sauveur, a pour
auteur l'Esprit saint, et loin de répandre les ténèbres
sur les affections du coeur de l'homme, elle lui révèle les choses
cachées. - ORIG. (Trait. 3 sur S. Matth.) Les disciples, ne pouvant supporter
l'éclat de cette gloire, sont saisis de crainte, et se prosternent en
s'humiliant sous la main puissante de Dieu, car ils se rappelaient ces paroles
dites à Moïse : " L'homme qui verra ma face, ne vivra point.
" Et ils furent saisis de frayeur en les voyant entrer dans la nuée.
S. AMBR. Remarquez que cette nuée n'est point formée par les noires
vapeurs d'un air condensé, et ne couvre point le ciel d'épaisses
ténèbres, c'est une nuée lumineuse qui, au lieu de nous
inonder de torrents de pluie, répand la rosée de la foi et arrose
les âmes des hommes à la voix du Dieu tout-puissant : " Et
une voix sortit de la nuée, qui disait : " Celui-ci est mon Fils
bien-aimé, " ce n'est point Moïse, qui est ce fils, ce n'est
point Élie, mais celui-là seul est mon Fils, que vous voyez seul
sur la montagne. - S. CYR. Comment donc pourrait-on croire que celui qui est
le vrai Fils de Dieu, ait été fait ou créé, alors
que Dieu le Père fait retentir cette voix du haut des cieux : "
Celui-ci est mon Fils, " c'est-à-dire, ce n'est pas un de mes fils,
mais celui qui est mon Fils en vérité et par nature, et c'est
par ressemblance avec lui que les autres sont nies fils adoptifs. Or, Dieu le
Père nous commande d'obéir à ce Fils par ces paroles :
" Écoutez-le, " et écoutez-le plus que Moïse et
Élie, car le Christ est la fin de la loi et des prophètes (Rm
10, 4 ; Mt 11, 13), aussi est-ce avec un dessein marqué, que l'Évangéliste
ajoute : " Pendant que la voix parlait, Jésus se trouva seul. "
THEOPHYL. C'était afin que personne ne pût penser que ces paroles
: " Celui-ci est mon Fils bien-aimé, " s'appliquaient à
Moïse ou à Élie. Ces deux personnages disparaissent aussitôt
que Dieu le Père proclame la divinité du Sauveur, ils étaient
trois au commencement de la transfiguration, il n'en reste plus qu'un seul à
la fin ; la perfection de la foi produit cette unité. Ils sont donc comme
reçus dans le corps de Jésus-Christ, pour nous apprendre que nous
aussi nous ne ferons qu'un avec Jésus, ou peut-être encore, parce
que la loi et les prophètes ont le Verbe pour auteur. - THEOPHYL. Ce
qui doit son existence au Verbe prend également fin dans le Verbe, et
Dieu nous apprend pat cette conduite que la loi et les prophètes ne devaient
apparaître que, pour un temps, comme Moïse et Élie, dans la
transfiguration, et qu'ils devaient ensuite disparaître pour laisser la
place à Jésus seul ; en effet, la loi a cessé d'exister
pour faire place à l'Évangile, qui demeure éternellement.
- BEDE. Remarquez que le mystère de la Trinité tout entière
est révélé dans la transfiguration de Jésus sur
la montagne, comme il l'avait été lors de son baptême dans
le Jourdain, et parée qu'en effet, nous verrons dans la résurrection
la gloire de celui que nous avons confessé dans le baptême. Et
ce n'est pas sans raison que l'Esprit saint apparaît ici sous la forme
d'une nuée lumineuse, tandis qu'au baptême du Sauveur, il apparaît
sous la forme d'une colombe, pour nous apprendre que celui qui conserve dans
la simplicité de son coeur la foi qu'il a reçue, contemplera un
jour dans la lumière d'une vision manifeste les vérités
qui ont été l'objet de sa foi.
ORIG. (Traité 3 sur S. Matth.) Jésus ne veut point qu'on fasse
connaître avant sa passion ces glorieuses manifestations : " Et ils
se turent, et en ces jours-là ils ne dirent rien à personne de
ce qu'ils avaient vu, " car on eût été scandalisé
(le peuple surtout), de voir crucifié celui que Dieu avait ainsi glorifié.
- S. JEAN DAMAS. (disc. sur la Transfig.) Le Sauveur leur fit aussi cette recommandation,
parce qu'il connaissait l'imperfection de ses disciples, qui n'avaient pas encore
reçu la plénitude de l'Esprit saint, il ne voulait ni exposer
aux sentiments d'une profonde tristesse ceux qui n'avaient pas été
témoins de sa gloire, ni exciter contre lui la jalouse fureur de son
traître disciple.
vv. 37-44.
BEDE. Nous voyons ici un parfait rapport entre les lieux et les choses ; sur
la montagne, Notre-Seigneur prie, se transfigure, et dévoile à
ses disciples les secrets de sa Majesté. Lorsqu'il descend dans la plaine,
la foule s'empresse autour de lui : " Le jour suivant, comme ils descendaient
de là montagne, une foule nombreuse vint au-devant d'eux. " Sur
la montagne, il fait entendre la voix du Père, dans la plaine, il chasse
les mauvais esprits : " Et voilà que de la foule, un homme s'écria
: Maître, je vous en supplie, jetez un regard sur mon fils. " - Tite
DE BOSTR. J'admire la sagesse de cet homme, il ne dit pas au Sauveur : Faites
ceci ou cela, mais : " Jetez un regard, " car cela suffit pour sa
guérison ; c'est dans le même sens que le Roi-prophète disait
: " Jetez les yeux sur moi, et ayez pitié de moi. " (Ps 24,
16 ; Ps 85, 15 ; Ps 118, 132). Cet homme dit à Jésus : "
Jetez un regard sur mon fils, " pour motiver la hardiesse qui le portait
à crier seul au milieu de cette multitude. Il ajoute : " Car c'est
le seul que j'aie, " c'est-à-dire, je ne puis espérer d'autre
consolation de ma vieillesse. Il expose ensuite la nature de sa maladie, pour
émouvoir la compassion du Sauveur : " Un esprit se saisit de lui,
" etc. Enfin, il semble accuser les disciples, mais il paraît bien
plus vouloir excuser sa hardiesse. Ne pensez pas, semble-t-il dire au Sauveur,
que je viens à vous avec légèreté, votre dignité
impose, et je me suis bien gardé de vous importuner tout d'abord ; j'ai
commencé par m'adresser à vos disciples, mais comme ils n'ont
pu guérir mon fils, je suis forcé de recourir à vous. Aussi
les reproches du Seigneur ne s'adressent pas à cet homme, mais à
cette génération incrédule : " Et Jésus prenant
la parole, leur dit : O race infidèle, " etc.
S. CHRYS.
(hom. 58 sur S. Matth.) Cependant nous voyons par plusieurs expressions rapportées
dans le saint Évangile, que cet homme était encore bien faible
dans la foi ; ainsi il dit au Sauveur : " Aidez mon incrédulité.
" (Mc 9, 23.) Et encore : " Si vous pouvez. " (Mc 9, 21.) Et
Notre-Seigneur même lui dit : " Tout est possible à celui
qui croit. " (vers. 22.) - S. CYR. Le motif le plus probable du reproche
d'incrédulité que le Sauveur fait à cet homme, est donc
l'accusation portée contre les saints Apôtres, qu'ils ne pouvaient
commander aux démons ; il aurait dû bien plutôt honorer Dieu
en implorant son secours, car Dieu exauce ceux qui lui rendent l'honneur qui
lui est dû. Mais accuser ceux qui ont reçu de Jésus-Christ
le pouvoir de chasser les démons d'impuissance sur ces esprits mauvais,
c'est attaquer la grâce de Dieu elle-même, plutôt encore que
ceux qui l'ont reçue et par lesquels Jésus-Christ manifeste ses
divines opérations. C'est donc offenser Jésus-Christ que d'accuser
les saints auxquels il a confié la prédication de la parole sainte,
aussi voyez comment le Seigneur réprimande cet homme et tous ceux qui
partagent ses sentiments : " O génération infidèle
et perverse, " comme s'il lui disait : C'est à cause de votre infidélité
que la grâce n'a pas produit son effet.
S. CHRYS. (hom. 58 sur S. Matth.) Jésus ne s'adresse pas seulement à
cet homme, pour ne point le jeter dans le trouble, mais à tous les Juifs,
car il est vraisemblable qu'un grand nombre d'entre eux s'étaient scandalisés,
et avaient conçu des soupçons injustes contre les disciples. -
THEOPHYL. Le Sauveur, en les appelant génération perverse, démontre
qu'ils n'étaient pas mauvais par principe et par nature, car en qualité
de fils d'Abraham, ils étaient droits par nature, et c'est par leur malice
qu'ils s'étaient volontairement pervertis. - S. CYR. Ils étaient
comme des hommes qui né savent point suivre la voie droite. Or, Jésus-Christ
dédaigne de demeurer avec ceux qui sont ainsi disposés : "
Jusques à quand serai-je avec vous et vous supporterai-je ? " Leur
commerce lui devient comme insupportable, à cause de la dépravation
de leur coeur. - S. CHRYS. Il nous fait voir en même temps combien il
désirait la mort, et qu'il redoutait moins le supplice de la croix que
de rester plus longtemps avec eux. - BEDE. Ce n'est point que le Sauveur, si
plein de mansuétude et de douceur, se soit laissé dominer par
un sentiment d'aigreur et d'ennui, mais il parle ici comme un médecin
qui, voyant un malade agir contre ses prescriptions, lui dirait : " A quoi
bon venir plus longtemps vous visiter, puisque vous faites tout le contraire
de ce que j'ordonne. " Il est si vrai que ce n'est pas contre cet homme,
mais contre la mauvaise disposition de son âme qu'il est irrité,
qu'il ajoute aussitôt : " Amenez ici votre fils. " - TIT. DE
BOSTR. Le Sauveur pouvait le délivrer d'un seul mot, mais il veut faire
constater sa maladie, en l'exposant aux regards de tous ceux qui l'entouraient.
Aussitôt que le démon sentit la présence du Seigneur, il
agita convulsivement l'enfant : " Et comme l'enfant s'approchait, le démon
le jeta contre terre et l'agita violemment. " Le Sauveur voulait que sa
maladie fût bien établie avant d'y apporter remède. - S.
CHRYS. Gardons-nous de croire cependant que Je Seigneur obéisse ici à
un motif d'ostentation, il agit ainsi dans l'intérêt du père,
qu'il veut amener à croire le miracle qu'il va opérer, en lui
faisant voir le démon rempli de trouble à sa seule parole : "
Et Jésus commanda avec menace à l'esprit impur, et il guérit
l'enfant, et il le rendit à son père. " - S. CYR. Jusque-là,
en effet, il n'appartenait pas à son père, mais au démon
qui le possédait. L'Evangéliste ajoute, que tous étaient
stupéfaits à la vue de ces grandes choses que Dieu opérait
: " Et tous étaient stupéfaits de la puissance de Dieu. "
L'auteur sacré veut ici relever l'excellence du don que Jésus-Christ
avait fait aux saints Apôtres, en leur accordant le pouvoir divin de faire
des miracles et de commander aux démons.
BEDE. Dans le sens mystique, nous voyons ici que le Seigneur agit tous les jours
avec les hommes, selon le degré de leurs mérites, il monte avec
les uns, en élevant sur les hauteurs les plus sublimes les âmes
parfaites, dont la vie est tout entière dans le ciel (Ph 3, 20), les
instruisant des secrets de l'éternité, et en leur enseignant des
vérités qui ne peuvent être entendues de la foule ; il descend
avec les autres, c'est-à-dire, avec les âmes qui ont encore les
goûts de la terre et sont privés de la véritable sagesse,
en les fortifiant, en les enseignant et en les châtiant. Saint Matthieu
fait remarquer que ce possédé était lunatique (Mt 18) ;
saint Marc, qu'il était sourd et muet (Mc 9). Il est ainsi la figure
de ceux qui sont inconstants comme la lune (Qo 27, 12), et que l'on voit successivement
croître et décroître dans les vices auxquels ils sont livrés
; de ceux encore qui sont muets, parce qu'ils ne confessent pas la foi, et de
ceux qui sont sourds, parce qu'ils n'entendent pas la parole de la foi. A peine
l'enfant s'est-il approché du Seigneur, qu'il est violemment agité
; c'est qu'en effet, le démon soumet à de plus rudes tentations
ceux qui se convertissent à Dieu, pour leur inspirer l'éloignement
de la vertu, ou pour venger l'affront qu'on lui fait en le chassant. C'est ainsi
que dans les commencements de l'Église, il lui livra autant de combats
acharnés qu'il eut à souffrir de coups portés à
son empire. Ce n'est point l'enfant qui souffrait cette violence que le Sauveur
reprend avec menace, mais le démon qui en était l'auteur, parce
qu'en effet, celui qui désire ramener au bien un pécheur doit
poursuivre le vice de ses reproches et de sa haine, mais donner à l'homme
pécheur les témoignages d'un amour sincère, jusqu'à
ce qu'il l'ait remis guéri de ses infirmités entre les mains des
pères spirituels de l'Église.
vv. 44-48.
S. CYR. Tout ce que faisait Jésus excitait l'admiration générale,
car chacune de ses oeuvres brillait d'un éclat surnaturel et divin, selon
cette parole du Roi-prophète : " Vous l'avez environné de
gloire et de beauté. " (Ps 20.) Cependant, quoique cette admiration
fût commune à tous ceux qui étaient témoins de ses
oeuvres, ce n'est qu'à ses disciples qu'il adresse les enseignements
qui suivent : " Et comme ils admiraient tout ce que faisait Jésus,
il dit à ses disciples, " etc. Il avait découvert à
ses disciples sur la montagne une partie de sa gloire, puis il avait délivré
un possédé du malin esprit, mais il fallait qu'il se dévouât
pour notre salut aux souffrances de sa passion. Or, les disciples pouvaient
lui dire dans le trouble où les jetait cette triste prédiction
: Est-ce que nous avons été trompés en croyant que vous
étiez Dieu ? C'est donc afin de leur faire connaître ce qui devait
lui arriver, qu'il leur commande de garder comme un dépôt dans
leur âme le mystère de sa passion : " Pour vous, mettez bien
ceci dans votre coeur. " Il dit : " Pour vous, " afin de les
distinguer des autres, car pour le peuple il ne devait pas encore connaître
qu'il devait souffrir, mais pour éviter tout scandale, il devait plutôt
recevoir l'assurance que le Sauveur ressusciterait vainqueur de la mort. - TITE
DE BOSTR. C'est lorsque tous sont dans l'admiration à la vue des prodiges
qu'il opère, qu'il leur prédit lui-même sa passion, car
ce ne sont point les miracles qui sauvent les hommes, c'est la croix qui est
pour eux la source de toutes les grâces : " Le Fils de l'homme doit
être livré entre les mains des hommes. " - ORIG. (traité
4 sur S. Matth.) Il n'exprime pas ouvertement quel est celui qui le livrera,
les uns disent que ce doit être Judas, les autres, le démon ; saint
Paul affirme au contraire, que c'est Dieu le Père qui l'a livré
à la mort pour nous tous. (Rm 8) ; c'est-à-dire que Judas l'a
livré pour une somme d'argent dans un dessein perfide, tandis que Dieu
le Père l'a livré pour la rédemption des hommes.
THEOPHYL. Cependant le Sauveur ne permit point que ses disciples comprissent cette prédiction de sa croix, par condescendance pour leur faiblesse, et parce qu'il les conduisait d'après un plan arrêté et en suivant une marche progressive : Aussi l'Évangéliste ajoute : " Mais ils n'entendaient pas cette parole, " etc. - BEDE. Cette ignorance des disciples avait moins pour cause la pesanteur de leur esprit, que leur amour pour Jésus-Christ. Ils étaient encore charnels, ils ne connaissaient pas encore le mystère de la croix, et ils ne pouvaient s'imaginer que celui qu'ils regardaient comme vrai Dieu, devait être soumis à la mort. Et comme le Sauveur leur parlait souvent par figures, ils pensaient qu'en annonçant qu'il serait livré, il voulait exprimer figurativement quelqu'autre vérité. - S. CYR. On demandera peut-être comment les disciples de Jésus-Christ pouvaient ignorer le mystère de la crois, puisque la loi, qui était pleine de figures, y faisait allusion en plusieurs endroits. Nous répondons avec saint Paul, que jusqu'à ce jour, lorsque les Juifs lisent Moïse, ils ont un voile sur le coeur. Ceux qui veulent s'approcher de Jésus-Christ, doivent donc lui dire : " Ôtez le voile qui est sur mes yeux, et je contemplerai les merveilles de votre loi. " - THEOPHYL. Remarquez encore la réserve respectueuse des disciples : " Et ils craignaient même de l'interroger sur ce sujet, " car la crainte est un degré du respect.
vv. 46-48.
S. CYR. Le démon tend des piéges de toute sorte à ceux
qui s'attachent à vivre saintement ; lorsqu'il peut séduire une
âme par l'attrait des plaisirs charnels, il excite en elle l'amour des
voluptés ; si elle échappe à cette tentation, il cherche
à la rendre esclave d'une autre passion, de l'amour de la gloire, et
c'est ce désir de la vaine gloire qui s'empare de quelques-uns des Apôtres
: " Il leur vint en pensée lequel d'entre eux était le plus
grand. " Or, avoir cette pensée, c'est désirer être
plus grand que les autres. Il n'est pas vraisemblable que tous les disciples
aient succombé à ce sentiment de vaine gloire, et c'est pour ne
point faire tomber sur quelqu'un d'entre eux cette accusation, que l'Évangéliste
s'exprime d'une manière générale : " Il leur vint
en pensée. " - THEOPHYL. Il paraît que cette pensée
leur vint de ce qu'ils n'avaient pu guérir cet homme qui était
possédé ; dans la discussion qu'ils eurent à ce sujet,
l'un disait Ce n'est point par suite de mon impuissance que je n'ai pu le guérir,
c'est le fait d'un autre, et telle fut la cause de cette dispute sur celui d'entre
eux qui étaient le plus grand. - BEDE. On peut dire encore que les Apôtres
ayant va le Sauveur faire choix de Pierre, Jacques et Jean, pour les conduire
séparément sur la montagne, et promettre à Pierre les clefs
du royaume des cieux, se persuadèrent que ces trois disciples avaient
le pas sur eux, ou que Pierre était mis à la tête de tous
les Apôtres. Ou bien enfin, ils crurent que Pierre était placé
au-dessus d'eux, parce que le Sauveur l'avait comme égalé à
lui-même dans le paiement du tribut. Cependant le lecteur attentif trouvera
qu'ils avaient agité entre eux cette question avant qu'il fût question
de ce tribut. D'ailleurs saint Matthieu rapporte cette discussion comme ayant
eu lieu à Capharnaüm (Mt 18) ; saint Marc fait de même : "
Et ils vinrent à Capharnaüm, et lorsqu'ils furent dans la maison,
il leur demanda : Que discutiez-vous en chemin ? Et ils se taisaient, parce
que dans le chemin, ils avaient disputé ensemble qui d'entre eux était
le plus grand. " - S. CYR. Le Seigneur, qui sait prendre les moyens les
plus convenables pour nous sauver, voit naître dans l'esprit des disciples
cette pensée d'orgueil comme une racine d'amertume (cf. He 12, 5), il
l'extirpe donc entièrement avant qu'elle se soit développée
; car rien de plus facile que de triompher de nos passions lorsqu'elles ne font
que de naître, mais lorsqu'elles ont pris de l'accroissement, il est on
ne peut plus difficile de les détruire : " Mais Jésus, voyant
les pensées de leur coeur, " etc. - Que celui qui ne veut voir en
Jésus-Christ qu'un homme, reconnaisse ici son erreur : le Verbe s'est
fait chair, il est vrai, mais il n'a pas cessé d'être Dieu ; car
à Dieu seul, il appartient de sonder les coeurs et les reins. Il prend
un enfant et le place près de lui, pour l'instruction des Apôtres
et pour la nôtre ; car la maladie de la vaine gloire s'attaque principalement
à ceux qui ont quelque supériorité sur les autres hommes.
Un enfant, au contraire, a l'âme candide, le coeur pur, une grande simplicité
dans ses pensées ; il n'ambitionne pas les honneurs, il ne recherche
aucune distinction, il ne craint point de paraître inférieur aux
autres, son esprit, comme son coeur sont exempts de toute rigoureuse exigence.
Tels sont ceux que le Seigneur affectionne et chérit tendrement, qu'il
daigne placer près de lui, parce qu'ils ont les inclinations et les goûts
de son propre coeur. C'est lui qui nous dit en effet : " Apprenez de moi
que je suis doux et humble de coeur. " Et ici : " Quiconque recevra
cet enfant en mon nom, me reçoit, " Voici le sens de ces paroles
: Puisqu'il n'y a qu'une seule et même récompense pour ceux qui
honorent les saints, qu'ils soient petits aux yeux des hommes, ou qu'ils soient
environnés d'honneur et de gloire, parce que c'est Jésus-Christ
qu'on reçoit dans leur personne, quelle vanité de se disputer
la prééminence ! - BEDE. Le Sauveur veut ici apprendre à
ceux qui veulent être les premiers à recevoir en son nom et par
honneur pour lui les pauvres de Jésus-Christ, ou à imiter l'innocence
des petits enfants (cf. 1 Co 14, 20). Aussi, après avoir dit : "
Quiconque recevra cet enfant, " il ajoute : " En mon nom, " pour
engager ses disciples à suivre, par raison et au nom de Jésus-Christ,
ces exemples de vertu qu'un enfant pratique et donne naturellement. Mais comme
c'est lui qu'on doit recevoir en recevant un enfant, et que lui-même a
daigné se faire enfant pour nous, on aurait pu croire qu'il n'était
que ce qu'il paraissait extérieurement, aussi ajoute-t-il : " Et
quiconque me recevra, reçoit celui qui m'a envoyé. " Ainsi
il veut qu'on le croie tout à fait semblable et aussi grand qu'est son
Père. - S. AMBR. En effet, celui qui reçoit un imitateur du Christ,
reçoit le Christ lui-même ; et celui qui reçoit l'image
de la substance de Dieu, reçoit aussi Dieu lui-même. Mais comme
nous ne pouvions voir l'image de Dieu, Dieu nous l'a rendue sensible et présente
par l'incarnation du Verbe, pour nous réconcilier avec la divinité
qui est au-dessus de nous,
S. CYR. Le Sauveur explique encore plus à fond le sens des paroles qui
précèdent : " Car celui qui est le plus petit parmi vous
tous, est le plus grand, " paroles qui conviennent à l'âme
qui est humble, qui, par un profond sentiment de modestie, n'ose avoir aucune
grande pensée d'elle-même. - THEOPHIL. Notre-Seigneur venait de
dire : " Celui qui est le plus petit parmi vous, est le plus grand, "
Jean craignit donc qu'ils ne se fussent rendus coupables en faisant en leur
nom une défense formelle à un homme qui chassait les démons
; car faire défense n'est pas un acte d'infériorité, mais
le signe d'une autorité supérieure : " Jean, prenant la parole,
lui dit : Maître, nous avons vu un homme qui chasse les démons
en notre nom, et nous l'en avons empêché. " Ce n'était
point par un sentiment d'envie, mais parce qu'ils voulaient s'assurer de la
nature et de l'authenticité de ces miracles. En effet, cet homme n'avait
pas été revêtu, comme eux, du pouvoir d'opérer des
prodiges ; il n'avait pas reçu, comme eux, la mission divine, il ne marchait
pas continuellement à la suite de Jésus-Christ, comme Jean l'affirme
: " Il ne vous suit pas avec nous. " - S. AMBR. Jean, le plus aimant
des disciples, et pour cela le plus aimé, croit qu'on doit refuser ce
pouvoir tout divin à celui qui n'est point le disciple fidèle
de Jésus. - S. CYR. Il eût été plus raisonnable de
penser que cet homme n'était pas l'auteur des miracles qu'on lui voyait
opérer, mais la grâce divine qui agit dans celui qui fait des miracles
au nom et par la puissance du Christ. Qu'importe que ceux qui ont reçu
cette grâce de Jésus-Christ, ne sont point comptés parmi
les Apôtres ? Les dons du Christ sont très-différents, mais
comme le Sauveur avait spécialement donné aux Apôtres le
pouvoir de chasser les esprits immondes (Mt 10), ils s'imaginèrent que
c'était un privilège qui leur était exclusivement personnel,
et c'est pour cela qu'ils s'approchent de Notre-Seigneur pour lui demander si
d'autres partageaient ce pouvoir avec eux.
S. AMBR.
Le Sauveur ne fait aucun reproche à Jean, parce qu'il agissait sous l'inspiration
de son amour, mais il lui apprend à connaître la différence
qui sépare les chrétiens faibles de ceux qui sont morts. Le Seigneur
récompense ceux qui sont forts, mais il n'exclut pas pour cela ceux qui
sont plus faibles : " Et Jésus lui dit : Ne l'en empêchez
point, car celui qui n'est point contre vous, est pour vous, " Oui, Seigneur,
vous dites vrai, car Joseph et Nicodème étaient vos disciples
cachés par crainte, et cependant ils ne vous refusèrent pas en
son temps le témoignage de leur fidélité et de leur amour.
Et toutefois, comme vous avez dit vous-même ailleurs : " Celui qui
n'est pas avec moi, est contre moi ; et celui qui ne recueille pas avec moi,
dissipe " (Lc 11, 23) ; daignez faire disparaître cette apparente
contradiction. Quant à moi, je pense que celui qui considérera
attentivement le divin scrutateur des coeurs, sera convaincu qu'il discerne
les actions des hommes par l'intention qui les produit. - S. CHRYS. (hom. 42
sur S. Matth.) En effet, lorsqu'il dit : " Celui qui n'est pas avec moi
est contre moi, " il veut faire connaître à ses disciples
que le démon et les Juifs sont contre lui ; mais ici, il veut leur apprendre
que cet homme, qui chassait les démons au nom de Jésus-Christ,
était en partie de leur côté. - S. CYR. Comme s'il disait
: A cause de vous qui aimez le Christ, il en est qui cherchent tout ce qui a
rapport à sa gloire, et qui ont reçu le même grâce.
THEOPHYL. Qu'elle est admirable la puissance de Jésus-Christ, et comme
sa grâce opère par des hommes indignes qui ne sont pas ses disciples
! C'est ainsi que les prêtres produisent la sanctification dans les âmes,
bien qu'ils n'aient pas eux-mêmes la grâce de la sainteté.
S. AMBR. Mais pourquoi ne veut-il pas qu'on empêche ceux qui, par l'imposition
des mains, ont le pouvoir de commander aux esprits immondes au nom de Jésus,
tandis que dans l'Évangile de saint Matthieu, il leur dit : " Je
ne vous connais point ? " Il n'y a ici aucune contradiction, nous devons
seulement conclure de ces dernières paroles, que le Sauveur ne demande
pas seulement aux clercs les oeuvres de leur ministère, mais des oeuvres
de vertu ; et que le nom de Jésus-Christ renferme une si grande puissance,
qu'il la communique à ceux mêmes qui sont loin d'être saints,
pour le bien de leurs frères, mais non pour leur propre sanctification.
Que personne donc ne s'attribue le mérite de la guérison spirituelle
d'un homme, que la puissance du nom éternel de Dieu a délivré
de ses crimes ; ce n'est point votre mérite, mais la haine que Dieu porte
au démon, qui est la cause de sa défaite. - BEDE. Lorsque donc
nous rencontrons des hérétiques et des mauvais catholiques, ce
que nous devons détester et combattre en eux, ce ne sont pas les pratiques
qui nous sont communes avec eux, et qui sont comme un lien d'unité qui
les rattache encore à nous, mais la division contraire à la paix
et à la vérité, qui les rend nos ennemis.
vv. 51-56.
S. CYR. Comme le temps approchait où le Seigneur devait, après
les souffrances de sa passion, remonter au ciel, il résolut de se rendre
à Jérusalem : " Les jours où il devait être
enlevé de ce monde étant près de s'accomplir, " etc.
- TITE DE BOSTR. Il fallait, en effet, que le véritable agneau fût
offert là où l'agneau figuratif était immolé. L'Évangéliste
dit qu'il " affermit son visage, " c'est-à-dire qu'il n'allait
point de côté et d'autre, qu'il ne parcourait point les bourgs
et les villages, mais qu'il se rendait directement à Jérusalem.
- BEDE. Que les païens cessent donc d'insulter, comme un homme, ce crucifié
qui a prévu, certainement comme Dieu, le temps de son crucifiement, et
qui, consentant à cette mort ignominieuse, a marché avec une contenance
ferme, c'est-à-dire avec une âme résolue et intrépide.
S. CYR. Il envoie devant lui des messagers, pour lui préparer un logement
et à ceux de sa suite, mais, lorsqu'ils arrivèrent dans le pays
de Samarie, ils ne furent point reçus : " Et il envoya devant lui
quelques-uns de ses disciples, et ils partirent et entrèrent dans un
bourg de Samarie pour lui préparer un logement ; mais les habitants refusèrent
de le recevoir. " - S. AMBR. Remarquez que le Sauveur ne voulut point être
reçu par ceux qu'il savait n'être point sincèrement convertis
; s'il l'eût voulu, il eût changé leurs mauvaises dispositions,
et leur eût inspiré un véritable dévouement pour
sa personne ; mais Dieu appelle qui il veut, et donne aussi suivant sa volonté
la grâce de la foi et de la piété. Or, l'Évangéliste
nous fait connaître la raison pour laquelle ils refusèrent de le
recevoir : " Parce qu'il se dirigeait vers Jérusalem. " - THEOPHYL.
Mais s'ils refusèrent de le recevoir, parce que son intention était
de se rendre à Jérusalem, ne sont-ils pas excusables ? Nous répondons
qu'il faut entendre ces paroles de l'Evangéliste : " Et ils ne le
reçurent pas, " dans ce sens qu'il ne vint même pas dans le
pays de Samarie, " et qu'à cette question : Pourquoi ne l'ont-ils
pas reçu ? l'auteur sacré répond, que ce n'est point par
impuissance de sa part, mais parce qu'au lieu de se rendre dans le pays de Samarie,
il aima mieux aller à Jérusalem. - BEDE. On peut dire aussi que
les Samaritains ne voulurent point le recevoir, par ce qu'ils le voyaient se
diriger vers Jérusalem, car selon la remarque de saint Jean, les Juifs
ne communiquent pas avec les Samaritains. (Jn 4.)
S. CYR. Le Sauveur, qui connaissait toutes choses avant leur accomplissement,
savait bien que ceux qu'il envoyait, ne seraient pas reçus par les Samaritains
; il leur commande cependant d'aller annoncer sa venue, parce qu'il agissait
toujours dans l'intérêt de ses disciples. Il se rendait à
Jérusalem aux approches de sa passion, c'est donc pour leur épargner
le scandale de ses souffrances, et leur apprendre à supporter patiemment
les outrages, qu'il permit ce refus des Samaritains, comme une espèce
de prélude de ce qu'il devait souffrir. Il leur donnait encore une autre
leçon, ils étaient destinés à être un jour
les docteurs de tout l'univers, et devaient parcourir les villes et les bourgades
pour y prêcher l'Évangile, et ils devaient nécessairement
rencontrer des hommes qui refuseraient de recevoir cette sainte doctrine, et
ne permettraient pas à Jésus de demeurer au milieu d'eux. Il leur
apprend donc, qu'eu annonçant cette divine doctrine, ils doivent se montrer
pleins de patience et de douceur, fuir tout sentiment de haine et de colère,
et ne jamais chercher à sévir contre ceux qui les outrageraient.
Mais telles n'étaient point leurs dispositions ; cédant aux mouvements
d'un zèle trop ardent, ils voulaient faire tomber sur les Samaritains
le feu du ciel : " Ce qu'ayant vu ses disciples, ils lui dirent : Seigneur,
voulez-vous que nous commandions que le feu du ciel descende, " etc. -
S. AMBR. Ils se rappelaient que le zèle de Phinées, qui avait
mis à mort des sacrilèges (Nb 25), lui avait été
imputé à justice ; et encore, qu'à la prière d'Elie,
le feu était descendu du ciel pour venger les outrages faits à
ce prophète (4 R 1.) - BEDE. Ces saints personnages, en sachant parfaitement
que la mort qui sépare l'âme du corps, n'est pas à redouter,
ont semblé partager les idées de ceux qui la craignaient, et ont
puni quelquefois de mort certains crimes. Ils inspiraient ainsi à ceux
qui en étaient témoins une salutaire frayeur, et pour ceux qui
étaient punis de mort, ce n'est pas la mort qui leur était funeste,
c'eût été bien plutôt le péché qui n'aurait
fait que s'accroître, s'ils eussent vécu plus longtemps.
S. AMBR. Laissons la vengeance à celui qui est dominé par la crainte
; celui qui est sans crainte, ne cherche pas à se venger. Nous voyons
encore ici que les Apôtres étaient égaux en mérites
aux prophètes, puisqu'ils espèrent obtenir le même pouvoir
que le prophète ; et l'espérance qu'ils ont de faire descendre
le feu du ciel est fondée, puisqu'ils sont les fils du tonnerre. (Mc
3, 17.)
TITE DE BOSTR. Les disciples estiment que la punition des Samaritains, frappés
de mort pour avoir refusé de recevoir le Sauveur, serait beaucoup plus
juste que celle des cinquante soldats envoyés pour se saisir d'Élie,
son serviteur. - S. AMBR. Le Sauveur, au contraire, ne s'irrite point contre
eux, il veut nous apprendre que le désir de la vengeance est incompatible
avec la perfection de la vertu, que la plénitude de la charité
exclut toute colère, qu'il ne faut point repousser la faiblesse, mais
bien plutôt l'aider, et que les âmes vraiment pieuses doivent rejeter
bien loin tout mouvement d'indignation, et les âmes magnanimes tout désir
de vengeance : " Jésus, se tournant vers eux, les reprit, en disant
: Vous ne savez pas de quel esprit vous êtes. " - BEDE. Le Seigneur
ne leur reproche point de vouloir suivre l'exemple du saint prophète,
mais l'erreur grossière où ils étaient par rapport à
la vengeance, et il les reprend de ce qu'ils désiraient se venger de
leurs ennemis, par sentiment de haine plutôt que de les ramener au bien
par un sentiment d'affection. Aussi, après qu'il leur eut enseigné
comment ils devaient aimer leur prochain comme eux-mêmes, et lors même
qu'ils eurent reçu le Saint-Esprit, on vit encore de ces vengeances,
quoique plus rarement que dans l'Ancien Testament ; car comme Notre-Seigneur
ajoute : " Le Fils de l'homme n'est pas venu pour perdre les âmes,
mais pour les sauver. " Vous donc qui êtes marqués de son
esprit, soyez les imitateurs de ses oeuvres, exercez ici bas la miséricorde,
vous jugerez avec justice dans le siècle futur. - S. AMBR. En effet,
il ne faut pas toujours punir ceux qui sont coupables ; souvent la clémence
est bien plus utile ; elle vous fait pratiquer la patience, et elle inspire
au pécheur le désir de devenir meilleur. C'est ainsi que les Samaritains,
sur lesquels le Sauveur refusa de faire tomber le feu du ciel, embrassèrent
la foi avec plus d'empressement.
vv. 57-62.
S. CYR. Le Seigneur est plein de libéralité pour tous les hommes,
cependant il ne donne point indistinctement, et au hasard, les choses célestes
et divines ; il les réserve pour ceux qui en sont dignes, c'est-à-dire
pour ceux qui savent préserver leur âme des souillures du péché,
c'est ce que nous enseigne la parole puissante du saint Évangile : "
Pendant qu'ils étaient en chemin, un homme lui dit : Je vous suivrai
partout où vous irez. " - Remarquons d'abord que cet homme s'approche
de Jésus avec beaucoup de tiédeur, et que, par conséquent,
ses prétentions sont excessives ; en effet, il ne demande pas à
marcher simplement à la suite de Jésus-Christ, à l'exemple
d'un grand nombre, mais il aspire ouvertement à la dignité d'apôtre,
contrairement à cette parole de saint Paul : " Personne ne peut
s'attribuer cet honneur, mais il faut y être appelé de Dieu. "
(He 5.) - S. ATHAN. Il ose encore s'égaler à la puissance incompréhensible
du Sauveur en lui disant : " Je vous suivrai, partout où vous irez.
" Car si la nature humaine, dans la condition que Dieu lui a faite, peut
suivre le Sauveur pour entendre sa doctrine, il lui est impossible de le suivre
partout où il est ; car il est incompréhensible, et n'est circonscrit
par aucun lieu. - S. CYR. Le Sauveur avait encore un autre motif légitime
pour ne point accepter l'offre que lui faisait cet homme ; il enseignait qu'il
devait auparavant porter sa croix et renoncer aux affections de la vie présente
; et son intention, en lui donnant cette leçon, n'était pas de
lui faire un reproche, mais de lui inspirer des dispositions plus parfaites.
" Jésus lui dit : Les renards ont des tanières, " etc.
- THEOPHYL. Cet homme avait vu le Sauveur entraîner une grande multitude
à sa suite ; il s'imagina qu'elle lui payait un tribut, et qu'en s'attachant
lui-même au Seigneur, il trouverait le moyen de s'enrichir. - BEDE. Aussi
Jésus lui répond : " Pourquoi n'avez-vous d'autre motif,
en désirant me suivre, que d'obtenir les richesses et les avantages de
ce monde, lorsque je suis si pauvre, que je ne possède pas même
la plus petite demeure, et que le toit qui m'abrite, ne m'appartient pas ? "
- S. CHRYS. (Ch. des Pèr. gr.) Voyez avec quelle sévérité
le Sauveur pratique la pauvreté qu'il avait enseignée ; il n'avait
à lui ni table, ni chandelier, ni maison, ni aucune des choses nécessaires
à la vie.
S. CYR. Dans le sens figuré, les renards et les oiseaux du ciel sont
le symbole des puissances malignes et astucieuses des démons, et Jésus
semble dire à cet homme : Les renards et les oiseaux du ciel trouvent
en vous leur demeure, comment le Christ pourrait-il s'y reposer ? Qu'y a-t-il
de commun entre la lumière et les ténèbres ? (2 Co 6, 14.)
S. ATHAN.
Ou bien encore, le Seigneur veut montrer ici la grandeur de sa nature, comme
s'il disait : Toutes les créatures peuvent être circonscrites par
un espace, mais la puissance du Verbe de Dieu ne peut être ni comprise
ni limitée par un lieu quelconque. Ne dites donc point : " Je vous
suivrai partout où vous irez. " Si cependant vous désirez
devenir son disciple, renoncez à tout ce qui est contraire à la
raison ; car il est impossible que celui qui se plaît au milieu des choses
déraisonnables, devienne le disciple du Verbe. - S. AMBR. Ou bien encore,
dans la pensée du Sauveur, les renards sont la figure des hérétiques
; le renard, en effet, est un animal trompeur, toujours occupé à
tendre des piéges, et qui ne vit que de fraudes et de rapines, il ne
laisse rien en repos, rien en paix, rien en sûreté, et cherche
sa proie jusque dans la demeure des hommes. De plus, le renard, animal astucieux,
se creuse une tanière, et aime à s'y tenir caché ; tels
sont aussi les hérétiques qui ne savent se construire une demeure,
mais qui s'efforcent d'enlacer et de resserrer les âmes dans leurs sophismes
trompeurs. Enfin, cet animal ni ne s'apprivoise, ni ne peut servir aux usages
domestiques. Aussi l'Apôtre fait-il cette recommandation : " Fuyez
celui qui est hérétique, après le premier ou le second
avertissements " (Tt 3.) Les oiseaux du ciel, qui sont souvent dans les
Écritures la figure de la malice spirituelle, construisent leurs nids
dans le coeur des méchants ; et tant que la malice et la perfidie dominent
leurs affections, Dieu ne peut prendre possession de leur âme ; mais dès
qu'il rencontre une âme innocente, il abaisse sur elle, pour ainsi dire,
la plénitude de sa majesté, car il entre dans le coeur des bons,
en y versant sa grâce avec profusion. Nous ne pouvons donc raisonnablement
regarder comme simple et fidèle cet homme que le Sauveur ne juge pas
digne de marcher à sa suite, bien qu'il promît de le servir avec
un dévouement que rien ne pourrait affaiblir. C'est que le Seigneur ne
se contente pas de l'apparence du dévouement, il exige la pureté
d'intention, et il ne peut agréer l'obéissance de celui dont il
n'approuve point les services. Nous ne devons exercer qu'avec réserve
et prudence les devoirs de l'hospitalité spirituelle ; car en ouvrant
sans précaution, aux infidèles, la demeure intérieure de
notre âme, nous nous exposons à tomber dans leur infidélité
par une confiance imprévoyante, Cependant, Dieu, après avoir éloigné
cet hypocrite, admet à sa suite un homme sincère, pour nous apprendre
qu'il ne rejette point la piété véritable, mais la fidélité
mensongère.
" Il dit à un autre : Suivez-moi. " Il savait que cet homme,
auquel il s'adressait, avait perdu son père : " Celui-ci lui répondit
: Maître, permettez-moi d'aller auparavant ensevelir mon père.
" - BEDE. Il ne refuse point de devenir le disciple de Jésus-Christ,
mais il veut remplir auparavant les devoirs de la piété filiale,
pour le suivre ensuite plus librement.
S. AMBR. Mais le Seigneur appelle sans délai ceux que sa miséricorde
a choisis : " Et Jésus lui dit : Laissez les morts ensevelir leurs
morts. " Puisque la religion elle-même nous commande de rendre à
nos semblables les devoirs de la sépulture, pourquoi le Sauveur défend-il
à cet homme d'ensevelir son père, si ce n'est pour nous faire
comprendre que ce devoir purement humain, doit le céder aux obligations
qui ont Dieu pour objet ? Le désir de cet homme était bon, mais
les difficultés que l'accomplissement de ce désir lui créait,
étaient plus à craindre ; celui dont le zèle est partagé,
partage aussi son amour, et en appliquant ses soins à deux objets différents,
il retarde nécessairement les progrès de son âme. Il faut
donc remplir d'abord les devoirs les plus importants, à l'exemple des
Apôtres qui, pour n'être point absorbés par le soin des pauvres,
établirent des ministres pour distribuer les aumônes. - S. CHRYS.
(hom. 28 sur S. Matth.) Quelle obligation plus pressante que de rendre à
un père les derniers devoirs ? Mais encore, quelle obligation plus facile,
puisqu'il suffit de quelques instants pour l'accomplir. Le Sauveur veut donc
nous apprendre ici à ne point employer inutilement la plus légère
partie du temps, lors même que mille circonstances sembleraient nous forcer,
et à toujours placer les intérêts spirituels au-dessus des
choses les plus nécessaires ; car le démon est sans cesse aux
aguets, pour trouver quelque entrée dans notre âme, et s'il surprend
la moindre négligence, il nous jette dans un relâchement extrême.
- S. AMBR. Le Sauveur ne défend donc pas de rendre à un père
les derniers devoirs, mais il place les devoirs de religion au-dessus des devoirs
de la piété filiale. Il veut qu'on laisse à ses parents
l'accomplissement des uns, mais il fait à ses élus une obligation
d'accomplir les autres. Or comment les morts peuvent-ils ensevelir les morts,
à moins que vous ne compreniez qu'il y a deux morts différentes,
la mort naturelle, et la mort du péché ? Il y a encore une troisième
mort, c'est celle qui nous fait mourir au péché, et vivre pour
Dieu. (Rm 9.)
S. CHRYS. (hom. 28, sur S. Matth.) Cette expression du Sauveur : " Leurs
morts ", montrent que ce mort ne lui appartenait pas, sans doute parce
qu'il était mort dans l'infidélité. - S. AMBR. Ou bien
encore, comme la bouche des impies est un sépulcre ouvert (Ps 5), le
Seigneur commande de détruire la mémoire de ceux dont tout le
mérite meurt avec le corps ; il ne détourne donc pas ce fils des
devoirs que lui impose la piété filiale, mais il le sépare
de tout commerce avec les infidèles. Ce n'est pas l'accomplissement d'un
devoir qu'il interdit, c'est un acte de religion qu'il commande, c'est-à-dire
qu'il ne faut avoir aucun rapport avec les nations qui sont dans la mort. -
S. CYR. On peut encore dire que le père de ce jeune homme était
accablé de vieillesse, et il croyait faire un acte louable en se proposant
de pratiquer à son égard les devoirs de la piété
filiale, comme Dieu lui-même le commande : " Honorez votre père
et votre mère. " (Ex 20.) Aussi Notre-Seigneur l'ayant appelé
au ministère évangélique en lui disant : " Suivez-moi,
" il demandait un délai pour subvenir aux besoins de son vieux père
: " Permettez-moi d'aller auparavant ensevelir mon père. "
Il ne demandait pas d'aller rendre à son père les devoirs de la
sépulture, car Jésus-Christ ne l'en eût pas empêché,
mais cette expression ensevelir signifiait qu'il désirait soutenir sa
vieillesse jusqu'à sa mort. Mais le Seigneur lui répondit : "
Laissez les morts ensevelir leurs morts ; " car son père avait d'autres
parents aussi proches qui pouvaient prendre soin de lui, mais qui étaient
morts, en ce Sens qu'ils n'avaient pas encore embrassé la foi. Apprenez
de là que la piété, que nous devons à Dieu, doit
l'emporter sur l'amour et le respect que nous devons à nos parents, parce
qu'ils nous ont engendrés. En effet, le Dieu de toutes les créatures
nous a donné l'être, lorsque nous étions dans le néant,
tandis que nos parents n'ont été que les instruments dont il s'est
servi pour notre entrée dans la vie.
S. AUG. (de l'accord des Evang., 2, 23.) Telle est la réponse que Jésus
fit à celui qu'il avait appelé lui-même à sa suite.
Un autre disciple s'approcha encore de lui sans avoir été appelé,
et lui dit : " Seigneur, je vous suivrai, mais permettez-moi de disposer
auparavant de ce que j'ai dans ma maison, " - S. CYR. La résolution
de cet homme est admirable et digne d'éloges ; mais en demandant à
renoncer aux biens qu'il possède, pour s'affranchir des soins qu'ils
réclament, il montre que son coeur est encore partagé, puisque
sa résolution n'est pas encore parfaitement arrêtée. Car
vouloir consulter des proches, qui ne consentiront point à ce dessein,
c'est montrer une résolution tant soit peu chancelante. Aussi Notre-Seigneur
n'approuve pas ce dessein ; " Jésus lui répondit : Quiconque
met la main à la charrue, et regarde en arrière, n'est pas propre
au royaume de Dieu, " etc. - Mettre la main à la charrue, c'est
être disposé à suivre Jésus-Christ par amour ; mais
c'est regarder en arrière, que de demander un délai pour avoir
occasion de revenir dans sa maison, et de s'entendre avec ses proches. - S.
AUG. (serm. 7 sur les par. du Seig.) Jésus semble lui dire : L'Orient
vous appelle, et vous regardez au couchant. - BEDE. Mettre la main à
la charrue, c'est aussi briser la dureté de son coeur avec le bois et
le fer de la passion du Seigneur, comme avec un instrument de pénitence,
et ouvrir son âme pour lui faire produire les fruits des bonnes oeuvres.
Celui qui se livre à cette culture, et qui, semblable à la femme
de Loth (Gn 19, 20), jette un regard de regret et d'affection sur les choses
qu'il a laissées, demeure privé de la récompense du royaume
éternel. - CHAINE DES PER. GR. En jetant de fréquents regards
sur les choses auxquelles nous avons renoncé, nous sommes entraînés
par la force de l'habitude vers les actes de notre vie ancienne. L'usage, en
effet, a une force véritable pour nous enchaîner. Est-ce que l'habitude
ne naît pas de l'usage ? est-ce que l'habitude, à son tour, ne
devient pas une seconde nature ? Or, il est bien difficile de vaincre ou de
changer la nature, et si elle cède tant soit peu quand elle y est forcée,
elle reprend bien vite son premier empire. - BEDE. Si Notre-Seigneur blâme
sévèrement ce disciple qui désirait le suivre, parce qu'il
voulait d'abord disposer de ce qu'il avait dans sa maison ; que dira-t-il à
ceux qui, sans aucun motif d'utilité, visitent fréquemment les
maisons de ceux qu'ils ont laissés dans le monde ?