1. Sur les ancêtres de la sainte Vierge.
(Communiqué le 27 juin 1819)
Cette nuit, tout ce que j'avais vu si souvent pendant mon enfance, touchant la vie des ancêtres de la sainte vierge Marie, s'est présenté devant moi tout à fait de la même manière, dans une série de tableaux. Si je pouvais raconter tout ce que je sais et ce que j'ai devant les yeux, cela ferait certainement grand plaisir au pèlerin' ; moi-même j'ai été très consolée dans mes souffrances par cette contemplation. Quand j'étais enfant, j'avais une telle assurance relativement à ces choses, que si quelqu'un m'en racontait quelques circonstances d'une autre manière, je lui répondais sans hésiter : " Non, cela est de telle et telle façon " ; et je me serais fait tuer pour attester que la chose était ainsi et non autrement. Plus tard, le monde m'a rendue incertaine, et j'ai gardé le silence ; mais l'assurance intérieure m'est toujours restée, et, cette nuit, j'ai tout revu jusque dans les plus petits détails.
Note 1 : La soeur veut parler ici de l'écrivain, car elle le voyait toujours
dans ses contemplations sous la figure d'un pèlerin, qui, suivant qu'il se
montrait fidèle ou négligent dans le cours de son voyage vers la patrie, était
béni, secouru, protégé et sauve, ou bien éprouvait des obstacles et des tentations,
s'égarait hors de la voie, courait des dangers, et même était retenu en captivité.
A cause de ces visions, elle l'appelait le pèlerin. Dans certaines circonstances,
elle voyait les prières et les bonnes oeuvres qu'elle offrait à Dieu pour
ce pèlerin sous la forme d'oeuvres correspondantes par lesquelles on peut
aider les pèlerins, les prisonniers, les esclaves. Sa direction intérieure
avait cela de particulier, qu'elle n'offrait jamais ses prières pour un seul
homme, pas même pour elle seule, mais toujours pour subvenir a chacune des
misères dont la circonstance qui occasionnait sa prière pouvait être la représentation
ou le symbole. Aussi sommes-nous persuadés que sa prière, dans le cas dont
il s'agit, a procuré des consolations à de vrais pèlerins et à de vrais captifs.
Comme une pareille manière de prier semble devoir être sympathique à tous
les coeurs chrétiens, vraiment pieux et charitables, nous pensons que le lecteur
bienveillant ne trouvera peut-être pas indiscret le conseil d'en faire usage
à l'occasion.
Dans mon enfance, je pensais sans cesse à la crèche, à l'enfant Jésus et à
la mère de Dieu, et je m'étonnais souvent qu'on ne me racontât rien de la
famille de cette divine Mère. Je ne pouvais pas comprendre pourquoi on avait
si peu écrit sur ses ancêtres et ses parents. Dans ce grand désir que j'avais
de les mieux connaître, j'eus un grand nombre de visions sur les ancêtres
de la sainte Vierge. Je vis ses ascendants en remontant jusqu'à la quatrième
ou cinquième génération, et je les vis toujours comme des gens merveilleusement
pieux et simples, chez lesquels régnait un désir secret et tout à fait extraordinaire
de l'avènement du Messie promis. Je voyais toujours ces bonnes gens demeurer
parmi d'autres hommes qui, en comparaison d'eux, me paraissaient pleins de
rudesse et comme des espèces de barbares. Quant à eux, je les voyais si calmes,
si doux, si bienfaisants, que je m'inquiétais Souvent beaucoup pour eux, et
que je me disais à moi-même : " Où pourraient résider ces excellentes gens
s'ils parvenaient à échapper à ces méchants hommes si rudes' Je veux aller
les trouver ; je serai leur servante ; je m'enfuirai avec eux dans quelque
forêt où ils puissent se cacher. Ah ! je les trouverai certainement ". Je
les voyais si distinctement, et je croyais si bien à leur existence, que j'étais
toujours pleine d'inquiétude et de crainte pour eux.
Je les voyais toujours mener une vie de renoncement. Je voyais souvent ceux
d'entre eux qui étaient mariés se promettre réciproquement de vivre séparés
pendant un certain temps, et cela me réjouissait beaucoup sans que je puisse
bien dire pourquoi. Ils observaient principalement cette pratique dans le
temps qui précédait certaines cérémonies religieuses, où ils brûlaient de
l'encens et faisaient des prières. Je connus par ces cérémonies qu'il y avait
des prêtres parmi eux. Je les vis plus d'une fois émigrer d'un lieu à un autre,
quitter des biens considérables pour de plus petits, afin de ne pas être troublés
par de méchantes gens dans leur manière de vivre.
Ils étaient pleins de ferveur et soupiraient ardemment vers Dieu. Je les voyais
souvent, pendant le jour ou même pendant la nuit, courir dans la solitude
en invoquant Dieu et en criant vers lui avec un désir si violent, qu'ils déchiraient
leurs habits pour mettre leur poitrine à nu, comme si Dieu eût dû pénétrer
dans leur coeur avec les .ayons brûlants du soleil, ou comme si, avec la lumière
de la lune et des étoiles, il eût dû désaltérer la soif ardente qu'ils avaient
de l'accomplissement de la promesse. J'avais des visions de ce genre dans
mon enfance ou mon adolescence lorsque je priais Dieu toute seule dans le
pâturage, auprès du troupeau, ou lorsque j'étais agenouillée le soir sur les
plus hautes plaines de notre campagne, ou bien encore lorsque, pendant l'Avent,
j'allais à minuit, à travers la neige, à trois quarts de lieue de notre chaumière,
pour assister aux prières du Rorate qui se faisaient à Coesfeld, dans l'église
de Saint Jacques. Le soir d'avant, et aussi pendant la nuit, je priais ardemment
pour les pauvres âmes qui, peut-être, pour n'avoir pas assez excité en elles-mêmes
pendant leur vie le désir du salut, et pour s'être laissées aller à d'autres
penchants vers les créatures et les biens de ce monde, étaient tombées dans
bien des fautes, et maintenant languissaient de désir et soupiraient après
leur délivrance. J'offrais à Dieu pour elles ma prière et le désir qui me
portait vers le Sauveur comme pour payer leurs dettes. J'avais aussi à cela
un petit intérêt personnel, car je savais que ces pauvres chères âmes, par
reconnaissance et à cause de leur désir perpétuel d'être aidées par des prières,
m'éveilleraient à l'heure voulue et ne me laisseraient pas dormir au delà.
Elles venaient donc, sous la forme de petites lumières peu éclatantes, qui
planaient autour de mon lit et m'éveillaient tellement à la minute, que je
pouvais dire me prière du matin pour elles ; puis je jetais de l'eau bénite
sur elles et sur moi, je m'habillais, je me mettais en route, et voyais les
pauvres petites lumières m'accompagner rangées comme pour une procession.
Alors tout en marchant, je chantais, le coeur plein de désir : " ciel envoyez
votre rosée, et que les nuées pleuvent le juste " ; et je voyais de nouveau,
dans le désert et dans la plaine, ces ancêtres de la sainte Vierge courir
pleins d'un ardent désir et crier après le Messie. Je faisais comme eux, et
j'arrivais toujours à temps à Coesfeld pour la messe du Rorate, quoique les
chères âmes me fissent souvent faire un grand détour en me conduisant par
toutes les stations du chemin de la Croix.
Quand je voyais ces bons ancêtres de la sainte Vierge prier ainsi Dieu comme
affamés de lui, ils me paraissaient avoir quelque chose d'étrange dans leur
costume et leur. manières ; et pourtant ils se montraient si distinctement
et si près de moi, qu'encore maintenant j'ai devant les yeux leur contenance
et les traits de leur visage. Je me demandais toujours à moi-même : " Qui
sont ces gens. Tout cela n'est pas comme à présent ; pourtant ces gens sont
là, et tout cela existe ". Puis j'espérais encore aller les trouver. Ces dignes
personnages étaient pleins d'exactitude et de précision dans leurs actes,
leurs paroles et le culte qu'ils rendaient à Dieu, et ils ne faisaient de
plaintes sur rien, si ce n'est sur les souffrances de leur prochain.
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