30 Arrivée à Jérusalem. La ville. Le temple.

Le 6 novembre 1821, dans la soirée, la soeur raconta ce qui suit : J'ai vu aujourd'hui, à midi, l'arrivée de Marie à Jérusalem, avec le cortège qui l'accompagnait. Jérusalem est une singulière ville. Il ne faut pas se figurer qu'il y ait autant de gens dans les rues qu'il y en a, par exemple, à Paris. A Jérusalem, il y a plusieurs vallées escarpées qui passent derrière la ville, sur lesquelles ne donne aucune porte ni aucune fenêtre, et qui sont dominées par des maisons tournées toutes de l'autre côté ; car plusieurs quartiers de la ville ont été bâtis successivement les uns à la suite des autres, et l'on y a ainsi renfermé plusieurs hauteurs ; mais les murs de la ville sont restés au milieu des maisons. Souvent ces vallées sont traversées par des ponts élevés et solidement bâtis. Dans la plupart des maisons, les chambres habitées sont autour des cours et tournées vers l'intérieur. Du côté de la rue, on ne voit que la porte ou bien une terrasse au-dessus du mur. A cela près, les maisons sont parfaitement closes. Quand les habitants n'ont pas affaire au marché, ou qu'ils ne prennent pas le chemin du temple, ils sont presque toujours dans l'intérieur des cours ou des maisons.


En général, les rues de Jérusalem sont assez tranquilles, excepté dans le voisinage des marchés et des palais, où il y à un certain mouvement de soldats et de voyageurs. Là, aussi, il y a plus de vie et plus de communications des habitations aux rues. Rome est beaucoup plus agréable ; il n'y a pas tant de chemins étroits et escarpés, et les rues sont bien plus animées.


Aux époques où tout le monde est rassemblé autour du temple, plusieurs quartiers de la ville sont tout à fait morts. L'habitude qu'on a de rester chez soi, et la quantité de chemins solitaires dans les vallées faisaient que Jésus pouvait souvent parcourir la ville avec ses disciples sans être dérangé par personne. Il n'y a pas abondance d'eau dans la ville. On voit des suites d'arcades sur lesquelles on la fait passer, et des tours où on la pompe et où on l'élève à une grande hauteur. Au temple, où il faut beaucoup d'eau pour laver et nettoyer les vases, on en est très économe. On l'y fait monter à l'aide de grandes machines hydrauliques.


Il y a beaucoup de marchands dans la ville ; ils sont établis ordinairement sur les marchés et sur les places publiques dans de petites cabanes. Ainsi, par exemple, il y a dans le voisinage de la porte des Brebis beaucoup de gens qui vendent toute espèce de bijoux, de l'or et des pierres brillantes. Ils ont de petites cabanes rondes, qui sont de couleur brune, comme si elles étaient enduites de poix ou de résine. Elles sont légères et pourtant très solides. Ils y font leur ménage ; d'une de ces cabanes à l'autre on étend des toiles sous lesquelles ils exposent leurs marchandises. La montagne sur laquelle le temple est bâti est du côté où la pente est la plus douce, entourée de maisons qui forment plusieurs rues derrière des murs épais ; elles sont sur des terrasses placées les unes au-dessus des autres. Il y loge des prêtres et aussi des serviteurs subalternes du temple, qui font les gros ouvrages, comme, par exemple, de nettoyer les fosses où se rendent les immondices provenant des sacrifices d'animaux faits dans le temple.


Il y a un côté, celui du nord, si je ne me trompe, ou la montagne du temple est très escarpée. En haut, tout autour du sommet, se trouve une zone de verdure formée par de petits jardins qu'ont là les prêtres. Même au temps de Jésus-Christ, on travaillait toujours à certaines parties du temple. Ce travail ne cessa jamais. Dans la montagne du temple, il y avait beaucoup de minerai qu'on en retira lorsqu'on bâtit et qu'on employa dans la construction de l'édifice. Il y a sous le temple plusieurs caves et des endroits pour fondre des métaux. Je n'ai jamais trouvé dans le temple une place où je pusse bien prier. Tout y est extraordinairement massif, haut et solide. Les nombreuses cours qui s'y trouvent, sont étroites et sombres, encombrées d'échafaudages et de sièges ; et, quand la foule y est grande, on se trouve à l'étroit entre ces gros murs et ces épaisses colonnes, au point d'en être effrayé. Je n'aime pas non plus ces sacrifices continuels et ce sang versé en abondance, quoique tout cela s'y fasse avec un ordre et une propreté incroyables. Il y avait longtemps, ce me semble, que je n'avais vu tous les bâtiments, les chemins et les passages, aussi distinctement qu'aujourd'hui. Mais il y a tant de choses, que je ne puis pas en bien rendre compte.


Les voyageurs, avec la petite Marie, arrivèrent à Jérusalem par le côté du nord ; toutefois, il n'entrèrent pas là, mais tournèrent autour de la ville jusqu'au mur oriental, en suivant une partie de la vallée de Josaphat. Alors, laissant à gauche la montagne des Oliviers et le chemin de Béthanie, ils entrèrent dans la ville par la porte des Brebis, qui conduit au marché aux bestiaux. Près de cette porte, est une piscine, où on lave pour la première fois les brebis destinées aux sacrifices. Ce n'est pas la piscine de Béthesda.


Le cortège, après s'être un peu avancé dans la ville, tourna de nouveau à droite et entra comme dans un autre quartier. Ils suivirent ensuite une longue vallée intérieure que dominent d'un côté les hautes murailles d'un quartier plus élevé ; puis ils vinrent dans la partie occidentale, dans les environs du marché au poisson, où se trouve la maison paternelle de Zacharie d'Hébron. Il y avait là un homme très âgé ; c'était, je crois, le frère de son père. Zacharie revenait toujours là après avoir fait son service au temple. Lui-même était encore dans la ville ; son temps de service était fini, et il ne devait plus rester que quelques jours à Jérusalem, pour assister à l'entrée de Marie au temple. Il n'était pas présent lors de l'arrivée du cortège. Il se trouvait alors dans la maison plusieurs parents des environs de Bethléhem et d'Hébron, notamment deux filles de la soeur d'Elisabeth. Elisabeth, elle-même, n'était pas présente. Toutes ces personnes vinrent au-devant des voyageurs, jusqu'à un quart de lieue par le chemin de la vallée ; elles avaient avec elles plusieurs jeunes filles qui portaient des guirlandes et des branches d'arbres. Elles reçurent les arrivants avec des démonstrations de joie, et conduisirent le cortège à la maison de Zacharie, où on leur fit fête. On leur donna quelques rafraîchissements, et l'on se disposa à les conduire à une auberge voisine du temple, où les étrangers logent les jours de fête. Les animaux destinés au sacrifice par Joachim avaient été déjà conduits des environs du marché aux bestiaux dans des étables situées près de cette maison. Zacharie vint aussi pour conduire le cortège de sa maison paternelle à l'auberge en question.


On mit à la petite Marie le second vêtement de cérémonie avec le manteau bleu céleste. Tous se mirent en marche, formant comme une procession. Zacharie allait en avant, avec Joachim et Anne ; puis, venait Marie, entourée de quatre petites filles habillées de blanc ; les autres enfants, avec leurs parents, fermaient la marche. Ils suivirent plusieurs rues et passèrent devant le palais d'Hérode, et devant la maison qu'habita plus tard Pilate. Ils se dirigèrent vers l'angle nord-est du temple, ayant derrière eux la forteresse Antonia, grand édifice fort élevé, situé au nord-ouest du temple. Ils montèrent un escalier percé dans une haute muraille. La petite Marie monta toute seule avec un empressement joyeux ; on voulait l'aider mais elle ne le permit pas ; tout le monde la regardait avec étonnement.


La maison où ils entrèrent était une auberge pour les jours de fête, 6ituée à peu de distance du marché aux bestiaux. Il y avait plusieurs auberges de ce genre autour du temple. Zacharie avait loué celle-ci pour eux. C'était un grand bâtiment avec quatre galeries autour d'une cour spacieuse. Dans les galeries étaient les chambres à coucher, et aussi de longues tables basses. Il y avait, en outre, une vaste salle et un âtre pour la cuisine. La cour où étaient les animaux envoyés par Zacharie était dans le voisinage Des deux côtés de cet édifice habitaient des serviteurs du temple, qui avaient des fonctions dans tes sacrifices Quand les voyageurs entrèrent, on leur lava les pieds comme on faisait aux étrangers : ils furent lavés aux hommes par des hommes, aux femmes par des femmes. Ils se rendirent ensuite dans une salle au milieu de laquelle une grande lampe à plusieurs bras était suspendue au-dessus d'un grand bassin d'airain rempli d'eau. Ils s'y lavèrent je visage et les mains. Quand on eut déchargé la bête de somme de Joachim, un serviteur la mena à l'écurie. Joachim, qui s'était fait annoncer comme devant sacrifier, suivit les serviteurs du temple dans l'endroit où étaient les animaux qu'ils examinèrent.


Joachim et Anne se rendirent ensuite avec Marie dans l'habitation des prêtres, laquelle était située plus haut. Ici aussi l'enfant, comme poussée et portée par un esprit intérieur, monta les degrés très vite et avec un élan extraordinaire. Les deux prêtres qui étaient dans la maison, l'un très âgé, l'autre plus jeune, les accueillirent très amicalement ; tous deux avaient assisté à l'examen de Marie à Nazareth, et ils attendaient sa venue. Après qu'on eut échangé quelques paroles sur le voyage et sur la cérémonie prochaine de la présentation, ils firent appeler une des femmes du temple : c'était une veuve âgée qui devait être chargée de veiller sur l'enfant. Elle habitait dans le voisinage du temple avec d'autres personnes de même condition ; elle faisait toutes sortes d'ouvrages de femme et élevait des petites filles. Leur habitation était un peu plus éloignée du temple que les pièces immédiatement adjacentes à cet édifice, dans lesquelles avaient été disposés, pour les femmes et les jeunes filles consacrées au service du temple, de petits oratoires d'où l'on pouvait voir dans le sanctuaire sans être vu soi-même. La matrone qui venait d'arriver était si bien enveloppée dans ses vêtements, qu'on pouvait à peine voir un peu de son visage. Les prêtres et les parents de Marie lui présentèrent l'enfant comme devant être confiée à ses soins. Elle fut affectueuse avec dignité, sans cesser d'être grave ; l'enfant, de son côté, se montra humble et respectueuse. On instruisit cette femme de tout ce qui concernait Marie, et on s'entretint avec elle touchant la remise solennelle au temple. Elle descendit avec eux à l'auberge, prit un paquet d'effets appartenant à l'enfant, et les emporta avec elle pour tout préparer dans le logement qui lui était destiné.


Les gens qui avaient accompagné le cortège depuis la maison de Zacharie, s'en retournèrent chez eux. Seulement les parents venus avec la sainte Famille restèrent dans l'auberge louée par Zacharie. Les femmes s'installèrent et préparèrent tout pour un repas de fête qui devait avoir lieu le jour suivant.


Le 7 novembre, la soeur raconta ce qui suit : J'ai passé toute la journée d'aujourd'hui à contempler les préparatifs du sacrifice de Joachim et de la réception de Marie au temple.


Joachim et quelques autres hommes conduisirent de bon matin les victimes au temple devant lequel elles furent encore inspectées par les prêtres. Quelques animaux furent rejetés, et on les conduisit aussitôt dans la ville au marché aux bestiaux. Les animaux acceptés par les prêtres furent conduits dans la cour où ils devaient être immolés. Je vis là bien des choses que je ne saurais plus raconter dans l'ordre où elles se passèrent. Je me souviens qu'avant l'immolation, Joachim mettait la main sur la tête de chacune des victimes. Il devait recevoir le sang, dans un vase et aussi quelques parties de l'animal. Il y avait là des colonnes, des tables et des vases où tout était découpé, partagé et rangé. L'écume du sang était enlevée ; la graisse, le foie et la rate étaient mis à part. On salait aussi le tout. Les intestins des agneaux étaient nettoyés, remplis de quelque chose et remis dans le corps, en sorte que l'agneau semblait rester tout entier. Les pieds des animaux étaient attachés en forme de croix. On portait une grande partie de la chair dans une autre cour aux vierges du temple, qui avaient quelque chose à faire à cette occasion. Peut-être devaient-elles la préparer pour leur nourriture ou pour celle des prêtres.


Tout cela se passait avec un ordre incroyable. Les prêtres et les lévites allaient et venaient, toujours deux par deux, et, dans ce travail compliqué et pénible, tout se faisait facilement et comme de soi-même. Les morceaux destinés au sacrifice restaient dans le sel jusqu'au jour suivant, qui était celui où ils étaient offerts sur l'autel.


Dans l'auberge il y eut aujourd'hui fête et repas solennel. Il y avait bien là cent personnes, les enfants compris. Environ vingt-quatre jeunes filles de différents âges étaient présentes. Je vis, entre autres, Séraphia, qui fut nommée Véronique après la mort de Jésus. Elle était déjà assez grande, elle pouvait bien avoir dix ou douze ans. On prépara des couronnes et des guirlandes de fleurs pour Marie et ses compagnes. L'on para aussi sept cierges ou flambeaux : c'étaient comme des chandeliers en forme de sceptre, sans piédestal'. Quant à la flamme qui brillait à leur extrémité, je ne sais si elle était alimentée par de l'huile, par de la cire ou par quelque autre matière. Pendant la fête, plusieurs prêtres et lévites entrèrent et sortirent. Ils prirent aussi part au repas. Comme ils s'étonnaient de la quantité de victimes offertes par Joachim, il leur dit qu'en souvenir de l'affront qu'il avait reçu au temple quand son sacrifice avait été rejeté, et à cause de la miséricorde de Dieu qui avait exaucé sa prière, il voulait maintenant témoigner sa reconnaissance suivant ses moyens. Je vis encore aujourd'hui la petite Marie se promener à l'entour de la maison avec les autres jeunes filles. J'ai oublié beaucoup d'autres choses.

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