85. Lieu inhospitalier. Montagnes. Séjour chez des voleurs. Guérison de l'enfant lépreux du brigand.
La sainte Famille fit deux lieues vers l'orient en suivant la grand route ordinaire. Le nom du dernier endroit où ils arrivèrent, entre la Judée et le désert, était quelque chose comme Mara. Cela me fit penser au lieu d'où sainte Anne était originaire ; mais ce n'était point lui. Les gens d'ici étaient sauvages et inhospitaliers, et la sainte Famille ne reçut d'eux aucune aide. Ils entrèrent ensuite dans un grand désert de sable. Il n'y avait plus de chemin ni rien qui leur indiquât la direction à prendre, et ils ne savaient comment faire. Après avoir un peu marché, ils gravirent devant eux une sombre chaîne de montagnes. Ils étaient très attristés ; ils se mirent à genoux et appelèrent Dieu à leur secours. Plusieurs grands animaux sauvages se rassemblèrent autour d'eux ; il semblait d'abord qu'il y eût du danger ; mais ces animaux n'étaient pas méchants. Au contraire, ils les regardèrent d'un air amical, comme me regardait le vieux chien de mon confesseur lorsqu'il venait à moi. Je connus que ces bêtes étaient envoyées pour leur montrer le chemin. Elles regardaient du côté de la montagne, couraient en avant, puis revenaient, comme fait un chien qui veut conduire quelqu'un. Je vis enfin la sainte Famille suivre ces animaux et arriver à travers les montagnes (de Seir ?) à une contrée triste et sauvage.
Il faisait sombre ; ils cheminèrent le long d'un bois. Hors du chemin,
devant le bois, je vis une méchante cabane. A peu de distance on avait
suspendu à un arbre une lanterne qu'on pouvait voir de très
loin, et qui était destinée à attirer les voyageurs.
Le chemin était très difficile et coupé ça et
là par des fossés. Il y avait aussi des fossés autour
de la cabane, et sur les parties du chemin où l'on pouvait passer,
étaient tendus des fils cachés, qui correspondaient à
des sonnettes placées dans la cabane. Les voleurs qui y habitaient
étaient ainsi avertis de la présence des voyageurs et venaient
les dépouiller. Cette cabane de voleurs n'était pas toujours
à la même place, elle était mobile, et ses habitants la
transportaient ailleurs, suivant les circonstances.
Quand la sainte Famille s'approcha de la lanterne, je la vis entourée
du chef des voleurs et de cinq de ses compagnons. Ils avaient d'abord de mauvaises
intentions ; mais je vis partir de l'Enfant-Jésus un rayon de lumière,
qui toucha comme un trait le coeur du chef, lequel ordonna à ses gens
de ne pas faire de mal aux saints voyageurs. La sainte Vierge vit aussi ce
rayon arriver au coeur du brigand, comme elle le raconta à la prophétesse
Anne après son retour.
Ce détail est mentionné ici parce que nous rapportons cet événement,
ainsi que beaucoup d'autres choses relatives à la fuite en Egypte,
d'après les conversations du vieil Essénien Eliud, qui accompagna
Jésus lorsqu'il alla de Nazareth au lieu où saint Jean baptisait.
Il raconta que la prophétesse Anne lui avait dit avoir appris cette
circonstance de la bouche de la sainte Vierge.
Le voleur conduisit alors la sainte Famille dans sa cabane, où se trouvaient
sa femme et ses deux enfants. La nuit était venue. L'homme raconta
à sa femme le mouvement extraordinaire qui s'était produit en
lui à la vue de l'enfant. Elle accueillit la sainte Famille avec quelque
timidité, quoique non sans bienveillance. Les saints voyageurs s'assirent
à terre dans un coin et se mirent à manger quelque chose des
provisions qu'ils avaient avec eux. Leurs hôtes furent d'abord réservés
et craintifs, ce qui pourtant ne paraissait pas être dans leurs habitudes.
Peu à peu ils se rapprochèrent. Il vint d'autres hommes qui,
pendant ce temps, avaient mis sous un abri l'âne de Joseph. Ces gens
s'enhardirent, se placèrent autour de la sainte Famille et s'entretinrent
avec elle. La femme offrit à Marie des petits pains avec du miel et
des fruits. Elle lui porta aussi à boire. Le feu était allumé
dans une excavation pratiquée dans un coin de la hutte. la femme disposa
une place séparée pour la sainte Vierge, et lui apporta, sur
sa demande, une auge pleine d'eau pour baigner l'Enfant-Jésus. Elle
lava aussi ses langes et les fit sécher devant le feu.
Marie baigna l'Enfant-Jésus sous un drap. Le voleur était si
ému qu'il dit à sa femme : " Cet enfant juif n'est pas
un enfant ordinaire ; c'est un saint enfant. Prie la mère de nous laisser
baigner notre petit garçon lépreux dans l'eau où elle
l'a lavé ; cela le guérira peut-être ". Quand la
femme s'approcha de Marie, celle-ci lui dit ? avant qu'elle n'eut parlé,
de laver son enfant lépreux dans cette eau. La femme apporta dans ses
bras un petit garçon d'environ trois ans. Il était rongé
de la lèpre, et son visage n'était qu'une croûte. L'eau
dans laquelle Jésus avait été baigné paraissait
plus claire qu'auparavant. Quand l'enfant y eut été mis, les
croûtes de la lèpre se détachèrent et tombèrent
à terre. Il était parfaitement guéri.
La mère était transportée de joie. Elle voulait embrasser
Marie et l'Enfant-Jésus ; mais Marie lui fit signe de n'en rien faire.
Elle ne se laissa pas toucher par elle, non plus que le petit Jésus.
Elle lui dit de creuser une citerne dans le roc et d'y verser cette eau, qui
donnerait à la citerne la même vertu. Elle s'entretint encore
avec elle, et je crois que la femme promit de quitter ce lieu à la
première occasion.
Ces gens étaient tout joyeux de la guérison de leur enfant.
Plusieurs de leurs compagnons étant venus pendant la nuit, on leur
montra l'enfant guéri, et on leur raconta ce qui s'était passé.
Ces nouveaux venus, parmi lesquels étaient quelques jeunes garçons,
entourèrent la sainte Famille et la regardèrent avec étonnement.
Il était d'autant plus remarquable de voir ces brigands se montrer
si respectueux envers la sainte Famille, que je les vis, pendant cette même
nuit où ils recevaient de si saints hôtes, arrêter plusieurs
autres voyageurs attirés par la lumière placée dans leur
voisinage, et les conduire dans une grande caverne placée plus bas
dans le bois. Cette caverne, dont l'entrée était cachée
par des broussailles, paraissait être leur magasin. J'y vis plusieurs
enfants volés, âgés de sept à huit ans, et une
vieille femme chargée de garder tout ce qui s'y trouvait. J'y vis des
vêtements, des tapis, de la viande, des chameaux, des montons, des animaux
plus grands, et toute espèce de butin. C'était un endroit spacieux
; tout s'y trouvait en abondance.
Je vis Marie prendre un peu de sommeil pendant cette nuit ; la plupart du
temps elle resta assise sur sa couche. Ils partirent de grand matin, munis
de provisions qu'on leur avait données. Ces gens les accompagnèrent
quelque temps et les menèrent jusqu'au bon chemin, en les faisant passer
près de plusieurs fosses.
Ces voleurs prirent congé de la sainte Famille avec une grande émotion,
et le chef dit aux voyageurs, d'une façon très expressive :
" Souvenez-vous de nous en quelque lieu que vous alliez. A ces paroles,
je vis tout d'un coup une scène de crucifiement, et je vis le bon larron
dire à Jésus : " Souvenez-vous de moi quand vous serez
dans votre royaume ". Je reconnus que c'était l'enfant guéri
de la lèpre. La femme du brigand renonça au bout d'un certain
temps à la vie qu'elle menait ; elle s'établit dans un endroit
où la sainte Famille s'était reposée postérieurement
; une source y avait jailli, et un jardin de baumiers y était venu
; plusieurs honnêtes familles s'établirent dans cet endroit.
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