28 Départ de Marie pour le temple.

J'entrai la nuit dans la maison de sainte Anne. Il était resté quelques parents qui dormaient. La famille s'occupait des préparatifs du départ. La lampe à plusieurs bras, suspendue devant le foyer, était allumée. Je vis successivement tous les habitants de la maison en mouvement.


Joachim, dès la veille, avait envoyé des serviteurs au temple avec des animaux qu'il voulait offrir en sacrifice : il y en avait cinq de chaque espèce, et c'étaient les plus beaux qu'il possédât. Ils formaient un très beau troupeau. Je le vis occupé à charger les bagages sur une bête de somme qui était devant la maison : c'étaient les habits de Marie soigneusement empaquetés à part et des présents pour les prêtres. Cela faisait une bonne charge pour la bête de somme. Sur le milieu de son des était un large paquet sur lequel on pouvait s'asseoir commodément. Tout avait été déjà arrangé par Anne et les autres femmes en petits paquets faciles à porter. Je vis des corbeilles de différentes formes attachées aux deux côtés de l'âne. Dans une de ces corbeilles se trouvaient des oiseaux gros comme des perdrix. D'autres corbeilles, semblables aux hottes où l'on porte le raisin, contenaient des fruits de toute espèce. Quand l'âne fut entièrement chargé, on étendit sur le tout une grande couverture à laquelle pendaient de grosses houppes. Je vis que dans la maison tout était en mouvement comme pour un départ. Je ils une jeune femme, la soeur aînée de Marie, aller ça et là, d'un air affairé, avec une lampe. Sa fille. Marie de Cléophas, était presque toujours à ses côtés. Je remarquai une autre femme, qui me parut être une servante. Je vis encore deux des prêtres qui étaient restés. L'un d'eux était un vieillard ; il avait un capuchon qui se terminait en pointe sur le front ; son habit de dessus était plus court que celui de dessous. C'était celui qui la veille s'était principalement occupé de l'examen de Marie, et qui lui avait donné sa bénédiction. Je le vis encore donner des instructions à l'enfant. Marie, âgée d'un peu plus de trois ans, belle et délicate, était aussi avancée qu'un enfant de cinq ans chez nous. Elle avait des cheveux d'un blond doré, lisses, bouclés à l'extrémité, et plus longs que ceux de Marie de Cléophas, enfant de sept ans, dont la blonde chevelure était courte et frisée. Les enfants comme les grandes personnes avaient tous pour la plupart des vêtements longs de laine brune sans teinture.


Parmi les assistants, je remarquai particulièrement deux jeunes garçons qui ne paraissaient pas être de la famille et qui ne s'entretenaient avec aucun de ses membres. Il semblait que personne ne les vit. Ils étaient beaux et aimables, avec leurs cheveux blonds et frisés, et ils me parlèrent. Ils avaient des livres, probablement pour leur instruction. La petite Marie n'avait aucun livre, quoiqu'elle sût déjà lire. Ce n'étaient pas des livres comme les nôtres, mais de longues bandes, larges à peu près d'une demi aune, roulées autour d'un bâton, dont les bouts arrondis sortaient de chaque côté. Le plus grand de ces deux garçons avait un rouleau déployé. Il s'approcha de moi, et lut quelque chose qu'il m'expliqua. C'étaient des lettres d'or qui m'étaient tout à fait inconnues, écrites à rebours, et chaque lettre semblait représenter un mot entier. La langue était tout à fait étrangère pour moi, mais pourtant je la comprenais. Malheureusement j'ai oublié ce qu'il m'expliquait : c'était un texte de Moise ; il me reviendra peut-être. Le plus petit portait son rouleau à la main comme un jouet. Il sautait ça et là comme font les enfants et agitait son rouleau en jouant. Je ne puis dire à quel point ces enfants me plaisaient. Ils étaient tout autrement que les assistants, et ceux-ci ne paraissaient pas faire attention à eux.

C'est ainsi que la soeur parla longtemps de ces jeunes garçons avec une complaisance naive, sans pouvoir, bien préciser qui ils étaient. Mais, après souper, quand elle eut dormi quelques minutes, elle dit en revenant à elle : " Ces garçons que je vis avaient une signification spirituelle ; leur présence là n'était pas selon l'ordre naturel. C'étaient seulement des figures symboliques de prophètes. Lé plus grand portait son rouleau avec beaucoup de gravité. Il m'y montrait le passage du second livre de Moise où celui-ci voit, dans le buisson ardent, le Seigneur qui lui dit d'ôter sa chaussure. Il m'expliqua que, de même que le buisson brûlait sans se consumer, de même le feu du Saint Esprit brûlait dans la petite Marie, qui portait cette sainte flamme en elle comme un enfant, sans en avoir la conscience. Cela indiquait aussi l'union prochaine de la Divinité avec l'humanité. Le feu signifiait Dieu, le buisson les hommes. Il m'expliqua aussi l'ordre de se déchausser, mais je ne me souviens plus de son explication. Cela signifiait, je crois, que maintenant le voile était enlevé, et que la réalité se montrait ; que la loi recevait son accomplissement ; qu'il y avait ici plus que Moise et les prophètes.


L'autre enfant portait son rouleau au bout d'un bâton comme un petit drapeau flottant au vent : cela voulait dire que Marie entrait maintenant avec joie dans la carrière de mère du Rédempteur. Ce garçon paraissait plein de naïveté et jouait avec son rouleau. Cela représentait l'innocence enfantine de Marie, sur laquelle reposait une si grande promesse, et qui, avec cette sainte destination, jouait pourtant comme un enfant. Ces jeunes garçons m'expliquèrent sept passages de leurs rouleaux. Mais, dans l'état de souffrance où je suis, tout m'est sorti de la mémoire, excepté ce que j'ai dit. " O mon Dieu ! " s'écria la narratrice, a comme tout cela, quand je le vois, me parait beau et profond, et en même temps simple et clair ! Mais je ne puis le raconter avec ordre, et il me faut tout oublier, à cause des misérables soucis de cette triste vie. '


Il y a lieu de s'effrayer de l'empire que prennent sur l'homme les choses de la vie, quelque déchue qu'elle soit, quand on considère tout ce qu'elles faisaient oublier à cette âme favorisée, si peu attachée à la terre. Elle voyait tous les ans à cette époque le tableau du départ de Marie pour le temple, et toujours l'apparition les deux prophètes sous forme de jeunes garçons s'y trouvait mêlée de quelque manière. Elle les voyait dans l'enfance, et non avec leur âge réel, parce qu'ils n'étaient pas personnellement présents dans cette circonstance et qu'ils ne s'y rattachaient que comme symbole. Si nous réfléchissons que bien des peintres aussi dans leurs tableaux historiques placent des personnages qui ne servent qu'à mettre en relief une vérité, et ne les représentent pas avec leur extérieur véritable, mais sous forme d'enfants, de génies ou d'anges, nous verrons que cette manière de représenter les choses n'est pas une création de leur fantaisie, mais qu'elle est dans la nature de toutes les apparitions : car la soeur Emmerich aussi n'a pas inventé ces apparitions, mais elles se sont ainsi montrées à elle.


Un an auparavant, au milieu de novembre 1820, la soeur, racontant ses contemplations relatives à la Présentation de Marie, parla encore de l'apparition des enfants prophètes dans les circonstances suivantes. Le 16 novembre, au soir, on avait apporté auprès de la soeur, alors endormie, une ceinture de pénitence qu'un homme, désireux de pratiquer la mortification, mais manquant tout à fait de direction ecclésiastique suivie, s'était faite avec une grosse courroie de cuir, hérissée de pointes de clous, et que, du reste, il ne lui avait pas été possible de porter une heure entière, à cause de la douleur excessive qu'elle produisait. Anne Catherine, dormant encore, fit un mouvement brusque comme pour éloigner ses mains de cette ceinture, et s'écria : " Oh ! c'est tout à fait déraisonnable et impraticable. Moi aussi, dans ma jeunesse, j'ai porté longtemps une ceinture de pénitence pour me mortifier et me surmonter moi-même ; mais il n'y avait que des pointes en fit de laiton, très courtes et très rapprochées. Avec cette ceinture-ci, il y a de quoi mourir. Cet homme s'est donné bien de la peine et il n'a pas pu la porter une fois pendant un peu de temps. On ne doit jamais rien faire de semblable sans la permission d'un directeur éclairé : mais il ne le savait pas, car il n'est pas en mesure d'avoir un directeur. De pareilles exagérations sont plus nuisibles qu'utiles.


Le lendemain matin, quand elle raconta les contemplations de la nuit, sous la forme d'un voyage fait en songe, elle dit, entre autres choses : " Je suis allée à Jérusalem, je ne sais pas exactement dans quel temps, mais c'était un tableau de l'époque des anciens rois de Juda. Je l'ai oublié. Il me fallut ensuite aller à Nazareth, vers la maison de sainte Anne. Devant Jérusalem, les deux jeunes garçons s'étaient joints à moi ; ils faisaient la même route. L'un d'eux portait à la main, d'un air très grave, un rouleau d'écritures. Le plus jeune avait son rouleau au bout d'un bâton, et s'amusait à le faire flotter au vent comme un drapeau. Ils me parlèrent avec joie de l'accomplissement des temps prédits dans leurs prophéties, car c'étaient des figures de prophètes. J'eus près de moi cette ceinture de pénitence qui me fut apportée hier, et je la montrai, je ne sais par quelle impulsion, à l'un de ces enfants-prophètes, qui était Élie. Il me dit : " C'est un instrument de torture qu'il n'est pas permis de porter. Moi aussi, sur le mont Carmel, j'ai préparé et porté une ceinture que j'ai laissée à tous les enfants de mon ordre, les Carmes et Carmélites. Voilà la ceinture que cet homme doit porter ; elle lui sera bien plus profitable que l'autre ".


Il me montra ensuite une ceinture, de la largeur de la main, où étaient dessinés des lettres et des signes de toute espèce, qui avaient rapport à certaines luttes et à certains triomphes sur soi-même. Il m'indiqua divers points, me disant : " Cet homme pourrait porter ceci huit jours, cela un jour, etc ". Oh ! comme je voudrais que ce brave homme sût cela !


Comme nous étions près de la maison de sainte Anne, et que je voulais y entrer, je ne pus pas en venir à bout, et mon conducteur, mon ange gardien, me dit : " il faut auparavant te défaire de beaucoup de choses ; tu dois revenir à l'âge de neuf ans ". Je ne savais pas comment m'y prendre, mais il m'aida, je ne sais comment, et trois années furent tout à fait retranchées de ma vie, ces trois années pendant lesquelles je fus si vaine de mes ajustements, et aimais tant à être une fille bien parée. Je finis par n'avoir que neuf ans, et alors je pus entrer dans la maison avec les enfants-prophètes. Alors Marie, à l'âge de trois ans, vint à ma rencontre ; elle se mesura avec moi, et elle était de ma taille quand elle s'approcha de moi. Oh ! qu'elle était affable et gracieuse, sans cesser pourtant d'être grave !


Je me trouvai dans la maison à côté des prophètes. On ne paraissait pas nous remarquer, nous ne dérangions personne. Quoiqu'ils fussent déjà vieux plusieurs siècles auparavant, ils ne s'étonnaient pas d'assister là en jeunes garçons ; et moi, qui étais pourtant une religieuse de quarante et quelques années, je n'étais pas surprise non plus de me retrouver une pauvre petite paysanne de neuf ans. Quand on est avec ces saints personnages, on ne s'étonne de rien, si ce n'est de l'aveuglement des hommes et de leurs péchés.


Elle raconta ensuite les préparatifs du voyage de Marie au temple, comme elle le faisait tous les ans à cette époque. L'obligation où elle fut de se sentir un enfant de neuf ans peut venir de ce que sa présence à ces scènes n'était pas plus réelle que celle des prophètes, et qu'il lui fallait, en pareil cas, revenir à l'âge de l'enfance. Ceux-là signifiaient l'accomplissement des prophéties ; elle, la contemplation de cet accomplissement. Elle sentit particulièrement qu'il lui fallait se dépouiller des trois années pendant lesquelles elle avait eu un peu de vanité dans les habits. Cela semblerait venir de ce que Marie, dans la cérémonie décrite plus haut, était revêtue de plusieurs habits de fête, et que la spectatrice devait les regarder avec la même humilité qu'elle, et n'y voir que leur signification spirituelle. La circonstance que la petite Marie se mesure avec elle peut vouloir dire : " Ce n'est que dans cet âge innocent de ton enfance que tu peux regarder cette sainte cérémonie avec la simplicité nécessaire ". Ou bien encore : " Vois, j'ai trois ans et toi neuf, pourtant je suis aussi grande que toi, car, dans mon intérieur, je suis bien au-dessus de mon âge, etc., etc ".

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