46. Voyage de la sainte Famille.

Ce matin, je vis les saints voyageurs arriver à six lieues de Nazareth, dans une plaine appelée Ghinim, où l'ange était apparu à Joseph l'avant-veille. Anne possédait un pâturage en cet endroit, et les serviteurs devaient y prendre l'ânesse d'un an que Joseph voulait emmener avec lui. Elle courait tantôt en avant des voyageurs, tantôt près d'eux. Anne et Marie de Cléophas prirent ici congé des saints voyageurs et s'en retournèrent avec les serviteurs.


Je vis la sainte Famille s'avancer plus loin par un chemin qui montait vers les montagnes de Gelboë. Ils ne passaient pas dans les villes et suivaient la jeune ânesse qui prenait toujours des chemins de traverse. C'est ainsi que je les vis dans une propriété de Lazare, à peu de distance de la ville de Ghinim', du côté de Samarie. L'intendant les reçut amicalement.


Elle dit que cette plaine de Ghinim a plusieurs lieues de long et qu'elle est de forme ovale. Une autre plaine appelée Ghimmi se trouva plus prés de Nazareth, prés d'un endroit placé sur une hauteur où demeuraient des bergers, et où Jésus, avant son baptême, enseigna du 7 au 9 septembre chez des bergers qui avaient des lépreux cachés parmi eux. Il guérit aussi là son hôtesse qui était hydropique et il fut injurié par les pharisiens. De l'autre côté de ce heu, à une plus grande distance, se trouve, au sud-ouest de Nazareth, au delà du torrent de Cison, un séjour de lépreux. Ce sont des cabanes dispersées autour d'un étang formé par un écoulement du Cison. Jésus y opéra des guérisons avant son baptême, le 30 septembre. La plaine de Ghinim, où nous voyons arriver la sainte Famille, est séparée de cette autre plaine de Ghimmi par un torrent. Les noms sont si semblables que je puis les avoir facilement confondus.


Il semble qu'il y a encore un souvenir de ce nom de Ghimea, qui est dans la même position et que les voyageurs appellent Ghinin, ghinin, Ghilin, Ghenin, Jenin, Chenan, Khilin ou Djenin. Ce lieu est au pied des monts de Gelboé, à quatre milles allemande (environ huit lieues) au nord-est de Samarie, suivant d'autres à une demi journée de Sichem, et d'après Boshard, à quatorze lieues du Jourdain.


Il les avait connus lors d'un autre voyage. Leur famille avait des relations avec celle de Lazare. Il y a là de beaux vergers et des allées. La position est si élevée, qu'on a du toit une vue très étendue. Lazare a hérité ce bien de son père. Notre Seigneur Jésus-Christ s'arrêta souvent en cet endroit pendant sa prédication, et enseigna dans les environs. L'intendant et sa femme s'entretinrent très amicalement avec la sainte Vierge, et se montrèrent étonnés qu'elle eût entrepris ce grand voyage dans la position où elle se trouvait, lorsqu'elle eût pu rester commodément établie dans la maison de sa mère.


(Nuit du jeudi l5 au vendredi 16 novembre). Je vis la sainte Famille, à quelques lieues au delà de l'endroit précédemment indiqué, se diriger dans la nuit vers une montagne le long d'une vallée très froide. Il semblait qu'il y eût de la gelée blanche. La sainte Vierge souffrait beaucoup du froid, et elle dit à Joseph : " il faut nous arrêter ; je ne puis pas aller plus loin ". A peine avait-elle dit ces paroles, que la jeune ânesse s'arrêta sous un grand térébinthe très vieux qui se trouvait près de là, et dans le voisinage duquel était une fontaine. Ils firent une balte sous cet arbre. Joseph arrangea avec des couvertures un siège pour la sainte Vierge, qu'il aida à descendre de sa monture et qui s'assit contre l'arbre ; Joseph suspendit à une branche d'arbre une lanterne qu'il portait avec lui. J'ai souvent vu les gens qui voyagent de nuit dans ce pays en faire autant.


La sainte Vierge invoqua Dieu, lui demandant de ne pas permettre que le froid lui fût nuisible. Alors, elle sentit tout à coup une si grande chaleur, qu'elle tendit les mains à saint Joseph pour qu'il y réchauffât les siennes. Ils se réconfortèrent un peu avec des petits pains et des fruits qu'ils avaient avec eux, et burent de l'eau de la fontaine voisine dans laquelle ils mirent du baume que Joseph portait dans un cruchon. Joseph consola et encouragea la sainte Vierge ; il était si bon ! il souffrait tant de ce que ce voyage était si pénible ! il lui parla du bon logis qu'il espérait lui procurer à Bethléhem. Il connaissait une maison appartenant à de très braves gens, où ils seraient commodément à très bon compte. Il lui vanta Bethléhem en général, et lui dit tout ce qui pouvait la consoler. Cela m'inquiétait, car je savais bien que les choses se passeraient tout autrement.


A ce point de leur voyage, ils avaient passé deux petits cours d'eau ; ils avaient traversé l'un d'eux sur un pont élevé, et les deux ânes avaient passé à gué. La jeune ânesse, qui courait en liberté, avait des allures singulières. Quand la route était bien tracée, entre deux montagnes, par exemple, et qu'on pouvait se tromper, tantôt elle courait derrière les voyageurs, tantôt elle allait bien loin en avant. Quand le chemin se partageait, elle reparaissait toujours et prenait la bonne direction ; lorsqu'ils devaient s'arrêter, elle s'arrêtait elle-même, comme lors de leur halte sous le térébinthe. Je ne sais pas s'ils passèrent la nuit sous cet arbre, ou s'ils atteignirent un autre gîte.


Ce térébinthe était un vieil arbre sacré qui avait fait partie du bois de Moreh, près de Sichem. Abraham, venant de la terre de Chanaan, y avait vu apparaître le Seigneur, qui lui avait promis cette terre pour sa postérité. Il avait élevé un autel sous le térébinthe. Jacob, avant d'aller à Béthel pour y offrir un sacrifice au Seigneur, avait enfoui sous ce térébinthe les idoles de Laban et les bijoux que sa famille avait avec elle. Josué y avait érigé le tabernacle où était l'Arche d'alliance, et y ayant rassemblé le peuple, l'avait fait renoncer aux idoles. C'était aussi en ce lieu qu'Abimélech, fils de Gédéon, avait été proclamé roi par les Sichémites.


(Vendredi, 16 novembre.) Aujourd'hui, je vis la sainte Famille arriver à une grande ferme, à deux lieues plus au midi que le térébinthe. La maîtresse de la maison était absente, et le maître refusa de recevoir saint Joseph, lui disant qu'il pouvait bien aller plus loin. Quand ils eurent fait un peu de chemin au delà, ils trouvèrent la jeune ânesse dans une cabane de berger, où ils entrèrent aussi. Quelques bergers, qui étaient occupés à la vider, les accueillirent avec beaucoup de bienveillance. Ils leur donnèrent de la paille et de petits paquets de jonc et de ramée pour faire du feu. Ces bergers allèrent à la maison d'où ils avaient été repoussés, et, quand ils racontèrent à la maîtresse de cette maison combien Joseph paraissait bon et pieux, combien sa femme était belle et avait l'air sainte, elle fit des reproches à son mari pour avoir repoussé de si excellentes gens. Je vis aussi cette femme se rendre aussitôt près de la cabane où s'était arrêtée la sainte Vierge ; mais elle n'osa pas entrer par timidité, et retourna chez elle pour y prendre quelques aliments.


Le lieu où ils se trouvaient était sur le flanc septentrional d'une montagne, à peu près entre Samarie et Thébez. A l'orient de ce lieu, au delà du Jourdain, se trouve Succoth ; Ainon est un peu plus au midi, toujours au delà du fleuve ; Salem est en deçà. Il pouvait y avoir douze lieues de là à Nazareth.


Au bout de quelque temps la femme vint avec deux enfants trouver la sainte Famille, apportant avec elle quelques provisions. Elle s'excusa poliment et se montra touchée de leur position. Quand les voyageurs eurent mangé et pris quelque repos, le mari vint aussi et demanda pardon à saint Joseph de l'avoir repoussé. Il lui conseilla de monter encore une lieue vers le sommet de la montagne, lui disant qu'il pouvait arriver à un bon gîte avant le commencement du sabbat et y rester pendant le jour du repos. Ils se mirent alors en route.


Quand ils eurent fait à peu près une lieue en montant toujours, ils arrivèrent à une hôtellerie d'assez bonne apparence, composée de plusieurs bâtiments entourés de jardins et d'arbres. 1 ; y avait aussi là des arbrisseaux qui donnent le baume, rangés en espaliers. Cependant l'hôtellerie était encore sur le côté septentrional de la montagne.


La sainte Vierge avait mis pied à terre. Joseph conduisait l'âne. Ils s'approchèrent de la maison, et Joseph pria l'hôte de les loger ; mais celui-ci s'excusa, parce que son auberge était pleine. Sa femme vint alors, et comme la sainte Vierge s'adressa à elle et lui demanda avec la plus touchante humilité de leur procurer un logement, cette femme ressentit une profonde émotion, et l'hôte aussi ne put plus résister. Il leur arrangea un abri commode dans une cabane voisine, et mit leur âne à l'écurie. L'ânesse n'était pas là ; elle courait en liberté dans les environs. Elle était toujours loin d'eux quand elle n'avait pas à monter le chemin.

Joseph apprêta sa lampe, sous laquelle il se mit en prières avec la sainte Vierge, observant le sabbat avec une piété touchante. Ils mangèrent quelque chose et se reposèrent sur des nattes étendues par terre.


(Samedi, 17 novembre.) J'ai vu aujourd'hui la sainte Famille rester en ce lieu toute la journée. Marie et Joseph priaient ensemble. Je vis la femme de l'hôte près de la sainte Vierge avec ses trois enfants ; la femme qui les avait accueillis la veille vint aussi la visiter avec ses deux enfants. Elles s'assirent auprès d'elle d'un air très amical, et furent très touchées de la modestie et de la sagesse de Marie. La sainte Vierge s'entretint avec les enfants et leur donna des instructions.


Les enfants avaient de petits rouleaux de parchemin ; Marie les fit lire et leur parla d'une façon si aimable qu'ils ne la quittaient plus des yeux. C'était touchant à voir et encore plus touchant à entendre.


Je vis saint Joseph dans l'après-midi se promener avec l'hôte dans les environs, examiner les jardins et les champs et tenir des discours édifiants. C'est ce que je vois toujours faire aux gens pieux du pays le jour du sabbat. Les saints voyageurs restèrent encore en ce lieu la nuit suivante.


(Le dimanche, 18 novembre.) Les bons hôteliers d'ici avaient pris la sainte Vierge en affection à un degré incroyable, et ils lui témoignèrent une tendre compassion pour son état. Ils la prièrent amicalement de rester chez eux, et d'y attendre le moment de sa délivrance. Ils lui montrèrent une chambre commode qu'ils voulaient lui donner . La femme lui offrit du fond du coeur tous ses soins et toute son amitié.


Mais ils reprirent leur voyage de grand matin, et descendirent par le côté sud-est de la montagne dans une vallée. Ils s'éloignèrent alors davantage de Samarie, où semblait les conduire la direction qu'ils avaient prise jusque-là. Pendant qu'ils descendaient, ils pouvaient voir le temple qui est sur le mont Garizim. On l'aperçoit de très loin. Il y a sur le toit plusieurs figures de lions ou d'autres animaux qui brillent au soleil.


Je les vis faire aujourd'hui environ six lieues ; vers le soir, étant dans une plaine à une lieue au sud-est de Sichem, ils entrèrent dans une assez grande maison de bergers où ils furent bien accueillis. Le maître de la maison était chargé de surveiller des vergers et des champs qui dépendaient d'une ville voisine. La maison n'était pas tout à fait dans la plaine, mais sur une pente. Ici, tout était plus fertile et en meilleure condition que dans le pays parcouru précédemment ; car ici, on était tourné vers le soleil, ce qui, dans la terre promise, fait une différence considérable à ce moment de l'année D'ici jusqu'à Bethléhem il y avait beaucoup de semblables habitations de bergers, dispersées dans les vallées.


Les gens d'ici étaient de ces bergers dont plusieurs serviteurs des trois rois mages, restés en Palestine, épousèrent plus tard les filles. D'une de ces unions provenait un jeune garçon que Notre Seigneur guérit, dans cette même maison, à la prière de la sainte Vierge, le 31 juillet (7 du mois d'Ab), de sa seconde année de prédication, après son colloque avec la Samaritaine. Jésus le prit ainsi que deux autres jeunes gens pour l'accompagner dans le voyage qu'il fit en Arabie, après la mort de Lazare, et il devint plus tard disciple du Sauveur. Jésus s'arrêta souvent ici, et y enseigna Il y avait des enfants dans cette maison. Joseph les bénit avant son départ.

Vie de Marie : index

Chapitres 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 87 88 89 90 91 92 93 94 95 96 97 98

Mort de la Sainte Vierge : index

Chapitres 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14