56. Adoration des bergers.

(Le dimanche, 25 novembre). Aux premières lueurs du crépuscule, les trois chefs des bergers vinrent de la colline à la grotte de la Crèche avec les présents qu'ils avaient préparés. C'étaient de petits animaux qui ressemblaient assez à des chevreuils. Si c'étaient des chevreaux, ils différaient de ceux de notre pays : ils avaient de longs cous, de beaux yeux fort brillants ; ils étaient très gracieux et très légers à la course. Les bergers les conduisaient avec eux attachés à des cordes menues. Ils portaient aussi sur leurs épaules des oiseaux qu'ils avaient tués, et sous le bras d'autres oiseaux vivants de plus grande taille.


Ils frappèrent timidement à la porte de la grotte de la Crèche, et Joseph vint à leur rencontre. Ils lui répétèrent ce que les anges leur avaient annoncé, et lui dirent qu'ils venaient rendre leurs hommages à l'enfant de la promesse et lui présenter leurs pauvres offrandes. Joseph accepta leurs présents avec une humble gratitude, et il les conduisit à la sainte Vierge, qui était assise près de la crèche et tenait l'Enfant-Jésus sur ses genoux. Les trois bergers s'agenouillèrent humblement, et restèrent longtemps en silence, absorbés dans un sentiment de joie indicible ; ils chantèrent ensuite le cantique qu'ils avaient entendu chanter aux anges, et un psaume que j'ai oublié. Quand ils voulurent se retirer, la sainte Vierge leur donna le petit Jésus, qu'ils tinrent tour à tour dans leurs bras ; puis ils le lui rendirent en pleurant, et quittèrent la grotte.


(Le dimanche, 25 novembre, dans la soirée.) La soeur avait été toute cette journée dans de grandes souffrances physiques et morales. Le soir, à peine endormie, elle se trouva transportée dans la terre promise. Comme, indépendamment de ses contemplations sur la Nativité, elle avait, en outre, une série de visions sur la première année de la prédication de Jésus, et, précisément à cette époque, sur son jeûne de quarante jours, elle s'écria avec un étonnement naïf : " Combien cela est touchant ! Je vois, d'un côté, Jésus, âgé de trente ans, jeûnant et tenté par le diable dans la caverne du désert, et de l'autre côté, je le vois, enfant nouveau-né, adoré par les bergers dans la grotte de la Crèche ". Après ces paroles, elle se leva de sa couche avec une rapidité surprenante, courut à la porte ouverte de sa chambre, et, comme ivre de joie, elle appela les amis qui se trouvaient dans la pièce antérieure, leur disant : " Venez, venez vite adorer l'enfant, il est près de moi ". Elle revint à son lit avec la même vitesse et commença, le visage rayonnant d'enthousiasme et de ferveur, à chanter, d'une voix claire et singulièrement expressive, le Magnificat, le Gloria in excelsis, et quelques cantiques inconnus, d'un style simple, d'un sens profond, et en partie rimés. Elle chanta le second dessus d'un de ces airs. il' avait en elle une émotion de joie qui était singulièrement touchante. Voici ce qu'elle raconta dans la matinée suivante :


"Hier soir, plusieurs bergers, avec leurs femmes et même leurs enfants, sont venus de la tour des bergers, qui est à quatre lieues de la crèche. Ils portaient des oiseaux, des oeufs, du miel, des écheveaux de fil de différentes couleurs, des petits paquets qui ressemblaient à de la soie brute, et des bouquets d'une plante ressemblant au jonc et qui a de grandes feuilles. Cette plante avait des épis pleins de gros grains. Quand ils eurent remis leurs présents à Joseph, ils s'approchèrent humblement de la crèche, près de laquelle la sainte Vierge était assise. Ils saluèrent la mère et l'enfant, al, s'étant agenouillés, ils chantèrent de très beaux psaumes, le Gloria in excelsis, et quelques cantiques très courts. Je chantai avec eux. Ils chantèrent à plusieurs parties, et je fis une fois le second dessus. Je me souviens à peu près des paroles suivantes : " O petit enfant, vermeil comme la rose, tu parais, semblable à un messager de paix " ! Quand ils prirent congé, ils se courbèrent au-dessus de la crèche, comme s'ils embrassaient le petit Jésus.


(Le lundi, 26 novembre.) J'ai vu aujourd'hui les trois bergers aider tour à tour saint Joseph à tout disposer plus commodément dans la grotte de la Crèche et dans les grottes latérales. Je vis aussi, près de la sainte Vierge, plusieurs femmes pieuses qui lui rendaient divers services. C'étaient des Esséniennes, qui demeuraient à peu de distance de la grotte de la Crèche, dans une gorge située au levant de la colline. Elles habitaient, les unes près des autres, des espèces de chambres creusées dans le roc à une assez grande hauteur. Elles avaient de petits jardins près de leurs demeures, et instruisaient des enfants de leur secte. C'était saint Joseph qui les avait fait venir. Il connaissait cette association depuis sa jeunesse ; car, lorsqu'il fuyait ses frères dans la grotte de la Crèche, il avait plus d'une fois visité ces pieuses femmes. Elles venaient tour à tour près de la sainte Vierge, apportaient de petites provisions et s'occupaient des soins du ménage pour la sainte Famille.


(Le mardi, 27 novembre.) Je vis aujourd'hui une scène très touchante dans la grotte de la Crèche. Joseph et Marie se tenaient près de la crèche et regardaient l'Enfant-Jésus avec un profond attendrissement. Tout à coup l'âne se jeta sur ses genoux et courba sa tête jusqu'à terre. Marie et Joseph versèrent des larmes.


Le soir, il vint un message de la part de sainte Anne. Un homme âgé vint de Nazareth avec une veuve, parente d'Anne et qui la servait. Ils apportaient différents petits objets pour Marie. Ils furent extraordinairement touchés à la vue de l'enfant. Le vieux serviteur versa des larmes de joie. Il se remit bientôt en route pour porter des nouvelles à sainte Anne. La servante resta près de la sainte Vierge.


(Le mercredi, 28 novembre.) Je vis aujourd'hui la Sainte Vierge avec l'Enfant-Jésus et la servante quitter la grotte de la Crèche pendant quelques heures'.


A ceci se rapporte ce qu'elle dit le 29-30 décembre 1820 : Je vis aujourd'hui Marie avec l'Enfant-Jésus dans une autre grotte que je n'avais pas remarquée auparavant. Elle s'ouvrait dans l'entrée a gauche, près de l'endroit où Joseph faisait le feu. On descendait un peu sur un étroit passage assez incommode. La lumière y pénétrait par des trous faits dans la voûte. Marie était assise près de l'Enfant-Jésus qui était devant elle sur une couverture. Elle s'était retirée là pour se dérober a certaines visites - . Je vis plusieurs personnes prés de la crèche, Joseph leur parla.


Je la vis se cacher dans la grotte latérale où avait jailli une source après la naissance de Jésus-Christ. Elle resta environ quatre heures dans cette grotte, où plus tard elle passa deux jours. Joseph, dès le point du jour, l'avait arrangée pour qu'elle pût s'y tenir sans trop d'incommodité.


Ils allèrent là par suite d'un avertissement intérieur, car quelques personnes vinrent aujourd'hui de Bethléhem à la grotte de la Crèche. Je crois que c'étaient des émissaires d'Hérode. Par suite des propos des bergers, le bruit s'était répandu que quelque chose de miraculeux avait eu lieu en cet endroit, lors de la naissance d'un enfant. je vis les hommes échanger quelques paroles avec saint Joseph, qu'ils trouvèrent devant la grotte avec les bergers, et le quitter en ricanant lorsqu'ils eurent vu sa pauvreté et sa simplicité. La sainte Vierge, après être restée environ quatre heures dans la grotte latérale, revint à la crèche avec l'Enfant-Jésus.


La grotte de la Crèche jouit d'une aimable tranquillité. Il n'y vient personne de Bethléhem : les bergers seuls sont en rapport avec elle. Du reste, on ne s'inquiète guère, à Bethléhem, de ce qui s'y passe, car il y a beaucoup de mouvement et d'agitation dans la ville, à cause du grand nombre d'étrangers qui s'y trouvent. On vend et on tue beaucoup d'animaux, parce que plusieurs arrivants payent leur impôt en bétail ; il y a aussi beaucoup de paiens qui sont employés comme domestiques.


Ce soir, la soeur étant endormie dit tout à coup : " Hérode a fait mourir un homme pieux qui avait un emploi important au temple. Il l'a fait inviter amicalement à venir le trouver à Jéricho et l'a fait assassiner en route. Cet homme s'opposait aux empiétements d'Hérode dans le temple. On accuse Hérode de ce meurtre, mais cela ne fait qu'augmenter son influence dans le temple ". Elle dit ensuite qu'Hérode avait fait donner à deux de ses bâtards deux emplois considérables dans le temple, qu'ils étaient saducéens, et que tout ce qui s'y passait lui était révélé par eux.


(Le jeudi, 29 novembre) Le matin, l'hôte de la dernière auberge où la sainte Famille avait passé la nuit, a envoyé à la grotte de la Crèche un serviteur avec des présents. Lui-même est venu dans la journée pour rendre ses hommages à l'enfant. L'apparition de l'ange aux bergers à l'heure de la naissance de Jésus est cause que tous les braves gens des vallées ont entendu parler du merveilleux enfant de la promesse ; ils viennent maintenant pour honorer l'enfant.


(Le vendredi, 30 novembre.) Aujourd'hui plusieurs bergers et d'autres braves gens vinrent à la grotte de la Crèche et honorèrent l'Enfant-Jésus avec beaucoup d'émotion. Ils étaient en habits de fête et allaient a Bethléhem- pour le sabbat. Parmi ces gens, je vis la femme qui, le 20 novembre, avait réparé la grossièreté de son mari envers la sainte Famille en lui offrant l'hospitalité Elle aurait pu aller pour le sabbat à Jérusalem qui était près de chez elle ; mais elle fit un détour jusqu'à Bethléhem, pour voir le saint enfant et ses parents. Elle se sentit tout heureuse de leur avoir donné cette marque d'affection.


Je vis aussi, dans l'après-midi, un parent de saint Joseph près de la demeure duquel la sainte Famille avait passé la nuit le 22 novembre, venir à la crèche et saluer l'enfant. C'était le père de Jonadab, qui, lors du crucifiement, porta à Jésus un drap pour se couvrir. Il avait su que Joseph avait passé près de chez lui et avait entendu parler des miracles qui avaient signalé la naissance de l'enfant ; et comme il allait à Bethléhem pour le sabbat, il était venu à la crèche porter des présents. Il salua Marie et rendit hommage à l'Enfant-Jésus. Joseph le reçut très amicalement, mais il ne voulut rien recevoir de lui ; seulement il lui emprunta de l'argent et lui remit en gage la jeune Anesse', à condition de Pouvoir la reprendre quand il le rembourserait. Joseph avait besoin de cet argent à cause des présents à faire et du repas à donner lors de la cérémonie de la circoncision de l'enfant.


Comme je méditais sur cette jeune ânesse, mise en gage pour fournir aux frais de la circoncision, et que je pensais que dimanche prochain, jour où aura lieu cette cérémonie, on lirait l'Evangile du dimanche des Rameaux (en allemand et en latin dimanche des Palmes), qui raconte l'entrée à Jérusalem de Jésus, monté sur un âne, je vis le tableau suivant, mais je ne sais plus où je le vis, et je ne puis plus bien m'en expliquer le sens. Je vis sous un palmier deux écriteaux tenu' par des anges. Sur l'un je vis représentés divers instruments de martyre, et au milieu une colonne sur laquelle était un mortier avec deux anses ; sur l'autre écriteau 0e trouvaient des lettres ; je crois que c'étaient des chiffres indiquant des années et des époques de l'histoire de l'Église. Au-dessus du palmier était agenouillée une vierge qui semblait sortir de sa tige et dont la robe flottait autour d'elle. Elle tenait dans ses mains, Au-dessous de la poitrine, un vase de la forme du calice de la sainte cène, duquel sortait une figure d'enfant lumineux. Je vis ensuite le Père éternel sous la forme où il m'est montré ordinairement, s'approcher du palmier sur des nuées, en détacher une grosse branche qui avait 1a figure d'une croix et la placer sur l'enfant. Je vis aussitôt l'enfant comme attaché à cette croix de palmier, et 'a Vierge présenter à Dieu le Père cette branche avec l'enfant crucifie, tandis qu'elle tenait de l'autre main le calice vide, qui m'apparut aussi comme étant son coeur. Comme je voulais lire les lettres qui étaient sur l'écriteau au-dessous du palmier, je fus réveillée par une visite. Je ne sais pas si je vis ce tableau dans la grotte de la Crèche, ou si ce fut ailleurs. On peut comparer cette description avec celle de la figure que les rois mages virent dans les étoiles à l'heure de la naissance de Jésus, et aussi avec les apparitions qui ont été racontées à l'occasion de la présentation de Marie au temple.


Quand tout ce monde fut parti pour la synagogue de Bethléhem, Joseph prépara dans la grotte la lampe du sabbat, qui avait sept mèches, l'alluma, et plaça au-dessous une petite table sur laquelle étaient les rouleaux qui contenaient les prières. Ce fut sous cette lampe qu'il célébra le sabbat avec la sainte Vierge et la servante de sainte Anne. Deux bergers se tenaient un peu en arrière de la grotte. Des Esséniennes étaient aussi là.


Aujourd'hui, avant le sabbat, les Esséniennes et la servante préparèrent des aliments. J'ai vu qu'elles faisaient rôtir des oiseaux à une broche placée au-dessus du feu. Elles les roulaient aussi dans une espèce de farine faite avec des grains qui viennent en épis sur une plante semblable au roseau ; on la trouve à l'état sauvage dans les endroits humides et marécageux du pays. On la cultive dans plusieurs lieux ; elle vient souvent sans culture près de Bethléhem et d'Hébron ; je ne la vis pas près de Nazareth. Les pâtres de la tour des bergers en avaient apporté à Joseph. Je vis ces femmes Jaire aussi avec les grains une espèce de crème blanche assez épaisse et pétrir des gâteaux avec la farine. La sainte Famille ne garda pour son usage qu'une très petite quantité des nombreuses provisions que les bergers avaient apportées ; le reste fut donné en présents, et surtout distribué aux pauvres.


(Le samedi, 1er décembre.) Je vis aujourd'hui, dans l'après-midi. plusieurs personnes venir à la grotte de la Crèche, et le soir, après la clôture du sabbat, je vis les Esséniennes et la servante de Marie apprêter un repas dans une cabane de feuillage devant l'entrée de la grotte. Joseph l'avait dressée avec l'aide des bergers. Il avait aussi vidé la chambre située dans l'entrée de la grotte, y avait étendu des couvertures par terre, et avait tout arrangé comme pour une fête, autant que le comportait sa pauvreté. Il avait ainsi disposé les choses avant l'ouverture du sabbat ; car le lendemain était le huitième jour depuis la naissance du Christ, lequel devait être circoncis ce jour-là, conformément au précepte divin.


Joseph était allé vers le soir à Bethléhem, et il en avait ramené trois prêtres, un homme âgé et une femme qui paraissait une sorte de garde ou d'assistante, employée ordinairement dans cette cérémonie. Elle apportait un siège dont on se servait en pareille circonstance, et une pierre plate, fort épaisse et de forme octogone, où se trouvaient les objets nécessaires. Tout cela fut placé sur des nattes, à l'endroit où la cérémonie devait se faire, c'est-à-dire dans l'entrée de la grotte, entre le réduit de saint Joseph et le foyer : le siège était un coffre avec des espèces de tiroirs, qui, mis à la suite les uns des autres, formaient comme un lit de repos avec un appui d'un côté : an y était plutôt étendu qu'assis. La pierre octogone avait plus de deux pieds de diamètre, au milieu était une cavité également octogone, recouverte d'une plaque de métal, et où se trouvaient, dans des compartiments séparés, trois boîtes et un couteau de pierre. Cette pierre fut placée à côté du siège, sur un petit escabeau à trois pieds, qui jusqu'alors était toujours resté sous une couverture à la place où était né le Sauveur


Quand on eut fait ces arrangements, les prêtres saluèrent la sainte Vierge et l'Enfant-Jésus ; ils s'entretinrent amicalement avec Marie, et ils prirent dans leurs bras l'enfant, dont la vue les toucha. Ensuite le repas eut lieu dans la cabane de feuillage ; une quantité de pauvres gens, qui avaient suivi les prêtres, comme il arrivait toujours dans de semblables occasions, entourèrent la table, et, pendant le repas, reçurent des présents de Joseph et des prêtres, en sorte que tout fut bientôt distribué. Je vis le soleil se coucher ; son disque paraissait plus grand qu'il ne parait dans notre pays. Je le vis s'abaisser à l'horizon ; ses rayons pénétraient jusque dans la grotte par la porte ouverte.

Vie de Marie : index

Chapitres 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 87 88 89 90 91 92 93 94 95 96 97 98

Mort de la Sainte Vierge : index

Chapitres 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14