47. Continuation du voyage jusqu'à Bethléhem.
(Le lundi, 19 novembre.) Aujourd'hui je les vis suivre un chemin plus uni. La sainte Vierge allait de temps en temps à pied. Ils trouvaient plus souvent des haltes commodes où ils se réconfortaient. Ils avaient avec eux des petits pains et une boisson à la fois rafraîchissante et fortifiante, dans de petites cruches très élégantes qui avaient deux anses et brillaient comme du bronze. C'était du baume qu'on mêlait avec l'eau. Ils cueillaient aussi des baies et des fruits qui pendaient encore aux arbres et aux buissons dans certains endroits exposés au soleil. Le siège de Marie sur l'âne avait à droite et à gauche des espèces de rebords sur lesquels les pieds s'appuyaient, de sorte qu'ils ne pendaient pas comme chez les gens de la campagne qui vont à cheval dans notre pays. Ses mouvements étaient singulièrement posés et décents. Elle s'asseyait alternativement à droite et à gauche. La première chose que faisait Joseph quand on faisait une halte ou qu'on entrait quelque part était de chercher une place où la sainte Vierge pût s'asseoir et se reposer commodément. Il se lavait souvent les pieds ainsi que Marie ; en général, ils se lavaient souvent.
Il faisait déjà nuit lorsqu'ils arrivèrent à une
maison isolée ; Joseph frappa et demanda l'hospitalité. Mais
le maître du logis ne voulut pas ouvrir ; et quand Joseph lui représenta
la situation de Marie, qui n'était pas en état d'aller plus
loin, ajoutant qu'il ne demandait pas à être logé gratuitement,
cet homme dur et grossier répondit que sa maison n'était pas
une auberge, qu'il voulait qu'on le laissât tranquille et qu'on cessât
de frapper, et autres choses semblables. Cet homme intraitable n'ouvrit même
pas, mais fit sa grossière réponse à travers la porte
fermée. Ils continuèrent donc leur chemin, et au bout de quelque
temps ils entrèrent dans un hangar prés duquel ils trouvèrent
l'ânesse arrêtée. Joseph se procura de la lumière
et prépara une couche pour la sainte Vierge, qui l'y aida. Il fit aussi
entrer l'âne, pour lequel il trouva de la litière et du fourrage.
Ils prièrent, mangèrent un peu et dormirent quelques heures.
De la dernière auberge jusqu'ici il pouvait y avoir six lieues de chemin.
Ils étaient maintenant à environ vingt-six lieues de Nazareth
et à dix de Jérusalem. Jusqu'alors ils n'avaient pas suivi la
grand-route, mais avaient traversé plusieurs chemins de communication
qui allaient du Jourdain à Samarie, et aboutissaient aux grandes routes
qui conduisaient de Syrie en Egypte. Les chemins de traverse qu'ils suivaient
étaient très étroits ; dans la montagne, ils étaient
souvent si resserrés, qu'il fallait beaucoup de précautions
pour y avancer sans broncher. Mais les ânes y marchaient d'un pas très
assuré. Leur gîte actuel était sur un terrain uni.
(Le mardi, 20 novembre) Ils quittèrent cet endroit avant le jour. Le
chemin redevint un peu montant. Je crois qu'ils touchèrent à
la route qui conduisait de Gabara à Jérusalem, et qui formait
en cet endroit la limite entre la Samarie et la Judée. Ils furent encore
une fois grossièrement repoussés d'une maison. Comme ils étaient
à plusieurs lieues au nord-est de Béthanie, il arriva que Marie
étant très fatiguée éprouva le besoin de prendre
quelque chose et de se reposer. Alors Joseph se détourna du chemin
pour aller à une demi lieue de là dans un endroit où
se trouvait un beau figuier, qui était ordinairement chargé
de fruits. Cet arbre était entouré de bancs où l'on pouvait
se reposer, et Joseph le connaissait depuis un de ses précédents
voyages. Mais, quand ils y arrivèrent, ils n'y trouvèrent pas
un seul fruit, ce qui les attrista. Je me souviens confusément que
plus tard Jésus rencontra cet arbre, qui était couvert de feuilles
vertes, mais qui ne portait plus de fruits. Je crois que le Seigneur le maudit
dans un voyage qu'il fit après s'être enfui de Jérusalem,
et qu'il se dessécha entièrement '.
La soeur était tellement malade lorsqu'elle raconta ceci, qu'elle ne
put pas indiquer bien précisément dans quel lieu était
ce figuier, qui n'est pas du reste le figuier maudit de l'Evangile.
Ils s'approchèrent ensuite d'une maison dont le maître commença
par traiter grossièrement Joseph, qui lui demandait humblement l'hospitalité.
Il regarda la sainte Vierge à la lueur de sa lanterne, et railla Joseph
de ce qu'il menait avec lui une femme aussi jeune. Mais la maîtresse
de la maison s'approcha ; elle eut pitié de la sainte Vierge, leur
offrit amicalement une chambre dans un bâtiment attenant à la
maison, et leur porta même quelques petits pains. Le mari se repentit
aussi de sa grossièreté, et se montra très serviable
envers les saints voyageurs.
Ils allèrent plus tard dans une troisième maison, habitée
par un jeune ménage. On les y accueillit, mais sans beaucoup de courtoisie
: on ne s'occupa guère d'eux. Ces gens n'étaient pas des bergers
aux moeurs simples, mais, comme les riches paysans de ce pays, assez occupés
d'affaires, de négoce, etc.
Jésus visita une de ces maisons, après son baptême, le
20 octobre (16 du mois de Tisri). On avait fait un oratoire de la chambre
où ses parents avaient passé la nuit. Je ne sais pas bien si
ce n'était pas la maison dont le maître avait d'abord raillé
saint Joseph. Je me souviens confusément qu'on avait fait cet arrangement
après les miracles qui signalèrent la naissance du Sauveur.
Joseph fit des haltes fréquentes à la fin du voyage ; car la
sainte Vierge en était de plus en plus fatiguée. Ils suivirent
le chemin que leur indiquait la jeune ânesse, et firent un détour
d'une journée et demie à l'est de Jérusalem. Le père
de Joseph avait possédé des pâturages dans cette contrée,
et il la connaissait très bien. s'ils avaient traversé directement
le désert qui est au midi derrière Béthanie, ils auraient
atteint Bethléhem en six heures ; mais ce chemin était montueux
et très incommode dans cette saison. Ils suivirent donc l'ânesse
le long des vallées et se rapprochèrent un peu du Jourdain.
(Le mercredi, 21 novembre.) Je vis aujourd'hui les saints voyageurs entrer
en plein jour dans une grande maison de bergers, qui pouvait être à
trois lieues de l'en. droit où Jean baptisait dans le Jourdain, et
à environ sept lieues de Bethléhem. C'est la maison où,
trente ans après, Jésus passa la nuit, le il octobre, la veille
du jour où, pour la première fois après son baptême,
il passa devant Jean-Baptiste. Près de cette maison, se trouvait une
grange séparée où étaient déposés
les instruments de labourage et ceux dont se servaient les bergers. Il y avait
dans la cour une fontaine entourée de bains, qui recevaient par des
conduits l'eau de cette fontaine. Le maître de la maison devait avoir
des propriétés étendues ; il y avait là une exploitation
considérable. Je vis aller et venir plusieurs valets qui prirent là
leur repas.
Le maître de la maison accueillit les voyageurs très amicalement
et se montra fort serviable. On les conduisit dans une chambre commode, et
on prit soin de leur âne. Un domestique lava les pieds de Joseph à
la fontaine et lui donna d'autres habits, pendant qu'on nettoyait les siens
qui étaient couverts de poussière ; une servante rendit les
mêmes offices à la sainte Vierge. Ils prirent leur repas dans
cette maison et y dormirent.
La maîtresse de la maison était d'un caractère assez bizarre,
et elle resta renfermée dans sa chambre. Elle avait regardé
les voyageurs à la dérobée ; et comme elle était
jeune et vaine, la beauté de la sainte Vierge lui avait déplu
; elle craignait, en outre, que Marie ne s'adressât à elle, ne
voulut rester dans sa maison et y faire ses couches ; aussi eut-elle l'impolitesse
de ne pas se montrer et prit-elle ses mesures pour que les voyageurs partissent
le jour suivant. C'est la femme que Jésus, trente ans après,
le il octobre, trouva dans cette maison, aveugle et courbée en deux,
et qu'il guérit, après lui avoir donné quelques avis
sur son inhospitalité et sa vanité. Il y avait aussi des enfants
dans la maison. La sainte Famille y passa la nuit.
(Le jeudi, 22 novembre.) Aujourd'hui, vers midi, je vis la sainte Famille
quitter le lieu où elle avait logé la veille.
Quelques habitants de la maison l'accompagnèrent jusqu'à une
certaine distance. Après un court voyage d'environ deux lieues, elle
arriva sur le soir à un lieu que traversait une grande route, bordée
de chaque coté d'une longue rangée de maisons avec des cours
et jardins. Joseph avait des parents qui demeuraient là. Il me semble
que c'étaient les enfants du second mariage d'un beau-père ou
d'une belle-mère. Leur maison avait beaucoup d'apparence. Ils traversèrent
pourtant cet endroit d'un bout à l'autre ; puis, à une demi
lieue de là, ils tournèrent à droite dans la direction
de Jérusalem, et arrivèrent à une grande auberge, dans
la cour de laquelle se trouvait une fontaine avec plusieurs conduits. Il y
avait là beaucoup de gens rassemblés : on y faisait des funérailles.
L'intérieur de la maison, au centre de laquelle se trouvait le foyer
avec un conduit pour la fumée, avait été transformé
en une grande pièce par la suppression de cloisons mobiles qui formaient
ordinairement plusieurs chambres séparées ; derrière
le foyer étaient suspendues des tentures noires, et en face se trouvait
quelque chose qui ressemblait à une bière recouverte en noir.
Il y avait là plusieurs hommes qui priaient ; ils portaient de longues
robes noires, et par-dessus des robes blanches plus courtes ; quelques-uns
avaient une espèce de manipule noir à franges suspendu au bras.
Dans une autre chambre se trouvaient les femmes, entièrement enveloppées
dans leurs vêtements ; elles étaient assises sur des coffres
très bas et pleuraient. Les maîtres de la maison, tout occupés
de la cérémonie funèbre, se contentèrent de faire
signe aux voyageurs d'entrer ; mais les domestiques les accueillirent très
bien et prirent soin d'eux. On leur prépara un logement à part
formé avec des nattes suspendues, ce qui le faisait ressembler à
une tente. Je vis plus tard les hôtes visiter la sainte Famille et s'entretenir
amicalement avec elle. Ils n'avaient plus leurs vêtements blancs de
dessus. Joseph et Marie, après avoir pris un peu de nourriture, prièrent
ensemble et se reposèrent.
(Le vendredi, 23 novembre.) Aujourd'hui, vers midi, Joseph et Marie se mirent
en route pour Bethléhem, dont ils étaient encore éloignés
d'environ trois lieues. La maîtresse de la maison les engagea à
rester, parce qu'il lui semblait que Marie pouvait accoucher d'un moment à
l'autre. Marie répondit, après avoir baissé son voile,
qu'elle avait encore trente-six heures à attendre. Je ne sais pas bien
si elle ne dit pas trente-huit. Cette femme les aurait gardés volontiers,
non pas pourtant dans sa maison, mais dans un autre bâtiment. Je vis,
au moment du départ, Joseph parler de ses ânes avec l'hôte
; il fit l'éloge de ces animaux, et dit qu'il avait pris l'ânesse
avec lui pour la mettre en gage en cas de nécessité. Comme les
hôtes parlaient de la difficulté de trouver un logement à
Bethléhem, Joseph dit qu'il y avait des amis et qu'il y serait certainement
bien accueilli. J'étais toujours peinée de l'entendre parler
avec tant d'assurance du bon accueil qu'il attendait. Il en parla encore à
Marie pendant la route. On voit par là que même d'aussi sainte
personnages peuvent se tromper.
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