Chemin de la perfection de Ste Thérèse d'Avila
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CHAPITRE 12
Commence à
traiter du grand bien qui existe à essayer de se détacher de toutes
choses intérieurement et extérieurement.
1 Venons-en maintenant au détachement que nous devons avoir, car de sa
perfection dépend tout le reste. Je dis que tout le reste en dépend,
parce que si nous embrassons le seul Créateur et n'attachons aucune importance
à toutes les choses créées, Sa Majesté nous infuse
les vertus de telle sorte que, si nous ne cessons de travailler à faire
tous les efforts qui sont en notre pouvoir, nous n'aurons plus beaucoup à
combattre ; le Seigneur se chargera de nous défendre contre le démon
et contre le monde tout entier. Pensez-vous, mes soeurs, que ce soit pour nous
un maigre bénéfice que d'obtenir celui de nous livrer entièrement
au Tout sans aucune réserve ? En lui sont tous les biens, je le répète,
c'est pourquoi nous devons remercier sans cesse le Seigneur de nous avoir réunies
en ce lieu où nous ne recherchons que le détachement. Mais je
ne sais pas pourquoi je vous parle puisque, dans une certaine mesure, vous toutes
qui êtes ici maintenant êtes aptes à m'enseigner là-
dessus ; je confesse être la plus imparfaite 73 sur ce point si important
; pourtant, puisque vous me l'ordonnez, j'effleurerai certaines choses qui se
présentent à mon esprit.
2 Quant à l'extérieur, on voit fort bien que nous sommes complètement
détachées ; il semble qu'en nous amenant ici, la volonté
du Seigneur ait été de nous dégager de toutes choses, afin
que Sa Majesté puisse nous approcher sans obstacle. O mon Créateur
et mon Seigneur ! Quand ai-je mérité un si grand honneur ? Il
semble que vous n'ayez cessé de chercher mille moyens pour vous approcher
plus prés de nous. Plaise à votre bonté que nous ne le
perdions pas par notre faute ! O mes soeurs ! essayez, pour l'amour de Dieu,
de comprendre pleinement combien cette grâce est grande, et que chacune
y réfléchisse en son for intérieur puisque nous ne sommes
que douze, et que Sa Majesté a voulu que vous fussiez l'une d'elles.
Combien d'autres meilleures que moi - une multitude d'autres ! - auraient, je
le sais, pris cette place de bon coeur, et c'est à moi, si incapable
de la mériter, que le Seigneur l'a donnée ! Béni soyez-vous,
Seigneur, et que les anges et toutes les choses créées chantent
vos louanges, car je ne saurai pas plus payer cette grâce de retour que
je n'ai été capable de le faire pour tant d'autres que vous m'avez
octroyées ; immense fut celle de m'appeler à l'état religieux.
Comme j'ai été une si piètre religieuse, vous ne vous êtes
pas fié à moi Seigneur ; je suis entrée là où
il y avait tant de bonnes religieuses que ma misère y serait sans doute
passée inaperçue jusqu'à la fin de ma vie (moi, je l'aurais
cachée comme je l'ai fait durant des années), si vous ne m'aviez
amenée, Seigneur, à ce monastère où nous sommes
si peu nombreuses qu'il semble impossible qu'on ne la voie pas ; ceci, afin
que je me surveille davantage. Vous m'enlevez toutes les occasions de chute,
afin qu'au jour du jugement je n'aie aucun motif me permettant de me disculper
si je n'ai pas fait ce que je devais.
3 Considérez, mes soeurs, que si nous ne sommes pas bonnes, nous sommes
beaucoup plus à blâmer que les autres, et ainsi j'exhorte fortement
celle qui, après l'avoir tenté, ne verra pas en elle la force
spirituelle suffisante pour observer ce qu'on observe ici, à le dire
; il existe d'autres monastères où, peut-être, le Seigneur
est beaucoup mieux servi. Qu'elle ne trouble pas les quelques religieuses que
Sa Majesté a réunies ici pour son service ; ailleurs, elle aura
la liberté de se consoler prés de ses proches ; ici, si l'on revoit
quelques parents, c'est pour leur consolation à eux. Mais la soeur qui
a besoin de voir ses proches pour son propre réconfort, et ne se lasse
pas après leur seconde visite - à moins qu'ils ne soient spirituels
ou qu'elle ne fasse du bien à leur âme -, qu'elle se considère
imparfaite ; qu'elle comprenne qu'elle n'est pas détachée, qu'elle
n'est pas saine, et qu'elle ne peut jouir de la liberté de l'esprit ni
posséder une paix absolue ; elle a besoin d'un médecin.
4 Je ne connais pas de meilleur remède que celui de ne jamais revoir
ses proches jusqu'à ce qu'elle se sente libre en esprit et ait fait des
progrès ; alors, à la bonne heure, qu'elle les voie de temps en
temps - quand leurs visites lui seront devenues une croix - pour leur faire
du bien, comme il n'est pas douteux qu'elle leur en fera ; mais si elle a pour
ses proches un amour trop sensible, si leurs peines la touchent démesurément,
si elle écoute de bon gré leurs histoires mondaines, qu'elle soit
bien persuadée qu'elle se portera préjudice et ne leur sera d'aucune
utilité.