Chemin de la perfection de Ste Thérèse d'Avila

INDEX DES 73 CHAPITRES

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CHAPITRE 50

Traite du grand profit que l'on tire de ce mode d'oraison.

1 Comme je ne parle que de la manière de réciter convenablement la prière vocale, point n'est besoin de tant en dire. Tout ce que je prétends est que nous voyions qui est celui à qui nous parlons, et que nous demeurions avec lui sans lui tourner le dos (nous ne faisons pas autre chose quand nous parlons à Dieu et avons l'esprit fixé sur toutes sortes de vanités). Tout le mal vient du fait que nous ne comprenons pas vraiment qu'il est près de nous, et que nous l'imaginons loin ; et combien loin, si nous allons le chercher au ciel ! Comment se fait-il donc, Seigneur, que nous ne regardions pas votre visage alors qu'il est si près de nous ? Il nous semble, quand nous parlons aux hommes, que ceux-ci ne nous entendent pas si nous ne voyons pas qu'ils nous regardent. Et nous fermons les yeux pour ne pas voir que vous nous regardez ? Comment pouvons-nous alors savoir si vous avez entendu ce que nous disons ? Tout ce que je voudrais vous faire comprendre, c'est que pour nous accoutumer petit à petit à assurer peu à peu et facilement notre esprit, afin que nous puissions comprendre ce que nous disons et réaliser avec qui nous parlons, nous devons recueillir nos sens extérieurs au-dedans de nous-mêmes, et leur donner un sujet d'occupation ; le ciel n'est-il pas à l'intérieur de nous-mêmes, puisque le Seigneur est en nous ?
2 Et une fois que nous avons commencé à goûter qu'il n'est pas nécessaire d'élever la voix pour lui parler - parce que Sa Majesté fera sentir sa présence -, nous réciterons le Paternoster et toute autre prière de notre choix avec un grand repos de l'esprit, et le Seigneur lui-même veillera à ce que nous ne nous fatiguions pas ; en effet, à peine aurons-nous commencé à faire des efforts pour rester près de lui, qu'il nous entendra par signes ; et si nous devions réciter plusieurs fois le Paternoster pour être entendues, il nous entendra maintenant dés la première fois. Il aime beaucoup à nous épargner de la fatigue, et même si dans l'espace d'une heure nous ne disons qu'une fois le Paternoster, cela suffit pourvu que nous comprenions que nous sommes avec lui, que nous sachions ce que nous lui demandons (quel désir il a de nous exaucer - enfin, comme un père -, quel plaisir il a de se trouver avec nous), et que nous nous réjouissions avec lui ; il n'aime pas que nous nous rompions la tête. C'est pourquoi, mes soeurs, pour l'amour de Dieu, accoutumez-vous à réciter le Paternoster avec le recueillement dont je parle ; vous verrez bien vite le bénéfice que vous en tirerez. C'est une méthode de prière qui habitue rapidement l'âme à ne pas divaguer, et les puissances à ne pas s'inquiéter ; le temps vous le fera découvrir (je vous supplie seulement de vous y essayer, même si cela vous coûte un peu, comme il arrive pour tout ce dont nous n'avons pas l'habitude) ; je vous assure cependant que vous serez bien vite consolées en voyant que, sans avoir à vous fatiguer pour chercher le saint Père que vous priez, vous le trouvez en vous.
3 Que Sa Majesté l'enseigne à celles d'entre vous qui l'ignorent ; pour moi, je vous avoue que je n'ai jamais su ce que c'était de réciter avec satisfaction et consolation, jusqu'au jour où le Seigneur me l'a enseignée ; et les grands avantages que j'ai toujours retirés de ce recueillement intime m'ont poussée à écrire longuement sur ce sujet. Peut-être savez-vous toutes cela, mais une soeur qui l'ignore pourrait venir chez vous ; ainsi ne regrettez pas que je vous en aie parlé. Considérons maintenant comment notre bon Maître poursuit sa prière, et commence à supplier son saint Père pour nous ; voyons ce qu'il demande, car il est bien que nous le comprenions.